Archive pour la catégorie ‘’

Beyond the invisible - chapitre 11 part 01

Jeudi 28 février 2013

Chapitre 11 par Lybertys

Shanenja aboya bruyamment lorsqu’il rencontra Cobalt, courant joyeusement vers lui. Cependant, je l’occultais de mon monde, toute mon attention étant prise par l’homme qui était en train de regarder Gabriel trahissant une familiarité déconcertante, comme s’il le connaissait parfaitement.

- Bonjour petit prince, ajouta le jeune homme avec un sourire.

C’est à ces derniers mots que Gabriel changea du tout au tout. Comme figé, il le regardait alors que celui-ci se contentait de l’admirer avec cette lueur dans le regard qui me déplaisait. Il connaissait Gabriel, et j’avais peur de comprendre de qui il s’agissait. Amusé par la réaction de Gabriel que je ne pouvais percevoir étant dos à moi, l’homme finit par dire à Gabriel :

- Et bien, tu ne dis plus bonjour ?

Alors que Gabriel portait toute son attention sur lui, un large sourire vint se dépeindre sur le visage de son vis-à-vis alors qu’il le regardait avec tendresse et amusement. Mon cœur s’emballa, créant une douleur plus sensible dans ma poitrine, j’avais compris… Si l’homme que j’avais aimé était mort, ce n’était pas le cas de l’ami d’enfance de Gabriel qui avait fini par le retrouver. Gabriel accourut vers lui pour se jeter dans ses bras tendus vers lui, en sanglotant bruyamment :

- Oh mon Dieu… C’est toi… C’est bien toi, sanglota-t-il sans parvenir à se contrôler. Tu m’as tellement manqué.

Le jeune homme se pencha vers l’oreille de Gabriel et lui murmura des paroles similaires. J’assistais impuissant à leur retrouvailles, coupant de ce que nous étions en train de vivre avec Gabriel. De plus, voir ainsi Gabriel dans les bras d’un autre était plus dur que je ne l’aurais cru. Ce Kay arrivait au mauvais moment, l’éloignant de moi plus qu’il n’était déjà le cas ; le pire étant que j’étais impuissant face à ma propre défaite. Je réalisais trop tard l’ampleur de mon geste et la portée de ce que je n’avais pas fait hier soir. J’aurais du le prendre dans mes bras, réagir…

Au lieu de cela, j’avais laissé Gabriel s’éloigner de moi comme je l’avais fait ces derniers jours, et il semblait que j’allais à mon tour en payer le prix. La main de Kay frottait le dos de Gabriel avec une familiarité déconcertante. Son regard croisa le mien un court instant, je ne pus que le fixer avec un air glacial.

Il lui murmura de nouveau quelque chose à l’oreille et Gabriel s’empressa de lui répondre entre deux sanglots.

Leur échange de murmures non audible dura un moment que je jugeais trop long, mais je n’avais pas mon mot à dire, surtout maintenant, après ce qui venait de se passer. Ce fut certainement le baiser dans les cheveux de Gabriel de la part de Kay qui me parut de trop et qui me fit craquer, déjà honteux de la réaction que je pourrais avoir lors de notre échange.

- Gabriel ? Tu ne nous présentes pas ? Demandais-je, sans parvenir à faire taire la pointe de reproche au milieu de laquelle ma jalousie transparaissait.

C’est à contrecœur que Gabriel sembla s’arracher à l’étreinte de Kay, et n’osant croiser mon regard, il entreprit de nous présenter bien que nous sachions tous deux parfaitement à qui j’avais affaire :

- Juha, je te présente Kay, mon ami d’enfance dont je t’ai déjà parlé… Kay, voici Juha, mon… Mon.. ?

- Son amant, répondis-je froidement à sa place sans parvenir à me contrôler.

La tension monta lourdement lorsque nous échangeâmes une poignée de main courtoise mais extrêmement froide. Mais cela ne m’empêcha pas de ressentir ce que j’avais trop peur de m’imaginer quelques instants auparavant. Kay débordait d’amour pour Gabriel. Un amour si pur qu’il me désarçonnait, m’envoyant en plein visage ce que Gabriel recherchait désespérément de ma part.

Même la jalousie qu’il éprouvait pour moi était masquée par ce sentiment. Les larmes faillirent me monter aux yeux, mais furent chassées par une colère froide envers ma personne, chose dans laquelle j’avais toujours excellé. Je ne pouvais pas rester, ou j’allais déraper pour de vrai, ou me mettre à pleurer bêtement pour montrer une fois de plus mon mauvais côté à Gabriel. J’étais déjà assez faible à ses yeux pour en rajouter.

- J’vous laisse, j’ai du travail. Ravi d’avoir fait ta connaissance, Kay…

- Moi de même, répondis-Kay, en saisissant la main que je lui tendais, alors que j’avais déjà redressé mes barrières mentales, loin de vouloir retenter l’expérience.

Leur tournant rapidement le dos, je pris le chemin de l’écurie, j’avais du travail en retard, et ce ne serait que dans l’activité physique que je ne penserais pas à tout cela. Cela n’empêcha pas à mes larmes de commencer à rouler sur mes joues, ayant l’impression de le perdre pour de bon en le laissant à cet homme qui l’aimait à ce point. Jamais je n’aurais cru qu’un tel sentiment soit possible.

J’avais retrouvé le même que Killian éprouvait pour moi. Je n’avais jamais cherché à sonder Gabriel à ce sujet, m’obligeant à dresser une barrière descente pour ne pas empiéter sur son âme, et c’était peut être pour cela que j’avais été sourd à sa détresse lorsqu’il m’avait déclaré ses sentiments. Trop concentré sur moi, je m’étais éloigné de lui à l’instant le plus important, oubliant que c’était une étape cruciale pour lui, et l’abandonnant au pire moment. Cela ne faisait que prouver une fois de plus ma faiblesse…

Entrant dans l’un des box qui méritait le plus d’être nettoyé après avoir pris le nécessaire pour le faire, j’entamais mon travail, ravalant mes larmes, me refusant à pleurer pour de bon. Royale for You était une jument assez calme, qui s’écarta pour me laisser la place. Refermant consciencieusement la porte derrière moi, je profitais du silence qui régnait dans l’écurie, les autres devant être devant être occupés ailleurs. Les mains tremblantes, je saisis la fourche et entamais mon travail.

Seulement, mon répits fut de courte durée, deux voix dont une que je ne connaissais que trop bien, me prévenait que Kay et Gabriel n’allaient pas tarder à arriver. Curieux malgré moi, continuant tout de même mon travail, je tendis l’oreille.

- Lorsque j’ai quitté l’orphelinat, le jour de mes dix-huit ans… Ou plutôt, devrais-je dire, quand ils m’ont mi à la porte, j’ai tenté désespérément de savoir où tu étais, mais… Tu semblais avoir… Disparu… Comme si tu n’avais jamais existé que dans mon imagination.

Gabriel fit une pause. J’étais en train d’assister aux retrouvailles de deux hommes qui s’étaient aimés par le passé. Assistant en retrait à cette scène, j’avais l’impression de perdre ma place. J’entendais la voix tremblante de Gabriel et la douleur qui émanait de lui. Mais j’y restais sourd. Depuis que j’avais touché la main de Kay, j’avais eu bien trop peur de sonder à mon tour Gabriel pour découvrir le même genre de sentiments. La voix brisée par l’émotion, Gabriel poursuivit :

-  Je t’ai cherché pendant des jours entiers… Où étais-tu ? Pourquoi ne m’as-tu pas attendu ? Après ça, j’en suis arrivé à te haïr pendant un temps. Je pensais que tu m’avais abandonné toi aussi, que ce que nous avions vécu ensemble tout au long de ses années n’était rien pour toi… Et… Du jour au lendemain, tu réapparais dans ma vie sans que je ne sache ni pourquoi ni comment… Poursuivit-il alors que sa voix se brisait en un sanglot incontrôlable.

Je ne les voyais pas, mais j’étais presque sur que Kay était en train de le prendre dans ses bras en ce moment. D’une voix douce, il commença à parler, me donnant cette désagréable impression d’être maintenant l’ombre noire du tableau :

- J’ai pensé t’attendre, Petit Prince… Je ne vivais que pour le jour où l’on se retrouverait enfin… Mais, plus le temps passait plus je me disais que si nous en étions arrivé là, c’était par ma faute, que tu avais suffisamment souffert à cause de moi… Je voulais que tu puisses avoir une vie normale pour un enfant de ton âge, que tu sois heureux…

- Comment peux-tu dire cela ? Demanda alors Gabriel indigné. Je n’ai jamais été aussi heureux que lorsque tu étais près de moi… Tu étais mon seul ami, Kay… Le seul à avoir prit soin de moi et à m’avoir apporté l’amour que tout le monde me refusait…

- Arrêtes de m’idéaliser, Gabriel ! S’exclama-t-il à son tour. Aurais-tu oublié ce qu’ils t’ont fait subir ? Trois jours… Trois putains de jour ils t’ont laissé enfermer dans cette cave…

Mon cœur se serra, sa douleur et sa souffrance passée, je ne la connaissais que trop bien. C’était celle-là même qui m’avait cruellement déstabilisé et bouleversé lors de notre première rencontre.

En les écoutant, j’en apprenais d’avantage sur le passé de Gabriel, passé qu’aucun homme n’aurait du vivre…

- Comment veux-tu que je l’oubli ? S’emporta Gabriel, blessé. J’en fais constamment des cauchemars… Tu ignores tout de cet enfer que j’ai vécu après ton départ, ajouta-t-il bien plus bas.

- Tu n’avais pas à subir les conséquences de mes actes, reprit Kay, lui aussi, plus calmement.

- J’étais tout aussi coupable que toi, répondit Gabriel.

- Pardonne-moi, souffla alors Kay.

J’avais l’impression d’être le spectateur d’un film qui n’acceptait pas ma présence en tant qu’acteur. J’avais même cessé totalement mon travail pour écouter. Après un silence, Kay ajouta sur un ton plus léger :

- A peine nous nous retrouvons que déjà nous nous crions dessus.

- Comme au bon vieux temps, répondit Gabriel.

Comment aurait réagit Gabriel si Kilian était encore vivant et m’avait retrouvé après toute ses années. Aurait-il sentit cette jalousie le ronger à chaque parole échangé ? Mais surtout, comment aurais-je réagis à sa place… Après un instant de silence, Gabriel repris la parole, me coupant dans mes réflexions :

- Mais ça ne répond pas à ma question.

- Je t’ai vu par hasard à la télévision…Finit par répondre Kay. Je ne savais pas que tu aimais les chevaux.

Ils étaient maintenant assez proches de mon box, mais s’arrêtèrent devant celui d’Orphée.

- Alors c’est lui le fameux Orphée ? Demanda Kay.

Rongeant mon mal en patience, je restais parfaitement immobile, comme si je ne voulais pas trahir ma présence. Après un temps qui me parut interminable, j’entendis Kay :

- Tout à l’heure, tu disais que ce n’étais pas à l’orphelinat qu’ils t’avaient nommé ainsi…

Kay ne termina pas sa phrase. Il en savait plus sur Gabriel et celui-ci se dévoilait à lui comme dans un livre ouvert, rien qui n’arrangeait ma jalousie et ma peine.

- Tu sais mieux que quiconque la manière dont ils m’appelaient là-bas, me hélant ou m’appelant d’une façon dont je n’oserais même pas appeler mon chien… Ca a empiré après que tu sois parti et pas seulement de la part des adultes… Lorsque je suis arrivé ici, naturellement, Philippe m’a demandé mon prénom. Evidement, je suis resté muet, n’en ayant jamais reçu ou si c’est le cas, ne l’ayant jamais entendu… Je te laisse imaginer l’humiliation que j’ai pu ressentir à ce moment… Mais Philippe est vraiment quelqu’un d’extraordinaire… Après m’avoir longuement détaillé, il a décrété qu’il m’appellerait Gabriel parce qu’il trouvait, je cite, “que je ressemblais à un ange avec mes longs cheveux blond platine et mes yeux bleus”…

Après une pause il poursuivit :

- Sans même me connaître, il m’a tout donné… Il m’a offert un nom, ainsi qu’un endroit ou vivre et un travail, le tout en moins d’une heure… Je ne le remercierais jamais assez pour tout ce qu’il a fait pour moi… Je lui dois ce que je suis…

- Tu as l’air de beaucoup tenir à lui, fit remarqué Kay. Et vue la façon dont il parle de toi, c’est réciproque…

- C’est vrai que je tiens à lui, c’est l’un des êtres le plus cher à mon cœur… D’une certaine manière, je vois en lui l’image paternelle que je n’ai jamais eu…

- Oui, je comprends, murmura Kay.

Un nouveau silence s’installa et un profond malaise me prit. Si je connaissais la douleur de Gabriel, si je la ressentais comme si elle était mienne, la partageant à son insu, je n’avais aucune idée précise de tout ce qui l’avait causée.

Pire encore, je m’étais coupé de lui ces derniers jours, me concentrant sur moi, et ignorant ce qu’il avait finit par me dévoiler hier soir en pleine détresse. J’avais eus tellement peur d’aimer quelqu’un à nouveau, et de le clamer haut et fort que j’étais resté sourd et aveugle, me cachant la vérité, et laissant Gabriel à ses tourments.

- Tu veux boire ou manger quelque chose ?

- Je veux bien un verre d’eau, s’il te plait, Gabriel, répondit-il en insistant sur son prénom.

C’est en sortant de l’écurie qu’il m’aperçut, réalisant alors que j’avais été témoin d’une scène qu’il n’aurait souhaité me faire voir. Nos regards se croisèrent un bref instant, avant que Gabriel baisse les yeux honteux. Je venais d’en apprendre sur lui plus qu’il n’avait jamais voulu me réveiller. Le regrettait-il ? Les yeux rivés sur le sol, il finit par poursuivre sa route, suivit de près par Kay qui me toisa d’un regard qui me déplaisait. Ils quittèrent l’écurie sans un bruit, me laissant seul. Déjà maintenant, je me sentais mis à l’écart, alors que je savais en être pour une grande partie responsable…

Mes jambes devinrent soudain très faibles. Sentant que je ne tiendrais plus très longtemps debout affaibli par ses derniers jours, je sortis du box avec les outils, et les laissaient devant, après avoir refermé la porte. Sans faire un pas de plus, je m’adossais contre le mur et m’assis sur la botte de paille. J’étais en train de le perdre… J’étais en train de perdre le seul homme qui comptait pour moi… Fermant les yeux et callant la tête contre le mur, je pris une profonde inspiration pour tenter de me calmer et surtout de ne pas me mettre à pleurer.

- Juha? Qu’est ce qui t’arrive ?

Je sursautais violemment, n’ayant pas du tout entendu Dorian m’approcher et encore moins s’arrêter à quelques mètres de moi. Ouvrant les yeux, je tombais nez à nez sur son visage emplie d’inquiétude réelle à mon égard, le même visage qu’il avait eut lors de notre première rencontre.

- Rien… répondis-je simplement las et fatigué.

S’agenouillant pour être à ma hauteur, il posa ses deux mains sur ses genoux pour se maintenir avant de me dire :

- Je ne t’ai pas vu ces derniers jours, tu étais malade ?

Troublé par ce soudain regain d’intérêt à mon égard, je lui demandais suspicieux :

- Depuis quand tu t’inquiètes pour moi Dorian ?

Baissant les yeux, Dorian répondit après un temps :

- Je tiens à m’excuser pour ce qui j’ai fait ces derniers mois Juha. Je n’ai jamais porté Gabriel dans mon cœur, et quand je t’ai vu aller vers lui, j’ai été… J’ai bêtement été…

- Jaloux ? Poursuivis-je à sa place, comprenant son sentiment plus que tout maintenant.

- Oui… Me confessa Dorian. Aujourd’hui je le regrette sincèrement. Nous aurions pu devenir de bons amis.

Ayant plus que toute peur de la solitude qui allait me peser un peu plus que d’habitude et surtout en ces circonstances, je répliquais :

- Il n’est peut être pas trop tard…

Dorian redressa le visage, m’offrant un sourire qui m’apaisa. J’y répondis faiblement, mais le cœur n’y était pas. Nous nous fixâmes un moment, je pouvais ressentir les sentiments de Dorian et ils attestaient la vérité de ses propos. Puis, semblant se rappeler que nous avions du travail, je me redressais alors que Dorian me demandait :

- Tu as beaucoup de box à faire, et je n’ai rien à faire pour le moment, que dis-tu d’un coup de main ?

- Ce n’est pas de refus, répondis-je en le remerciant.

C’est ainsi que nous abattîmes tous deux une quantité monstre de travail. Ayant retrouvé un peu de force à son contact, je concentrais mon énergie dans le travail, ne voulant penser à ce que m’avait dit Gabriel ce matin, à ce que j’avais appris et surtout à Kay qui était avec lui.

Nous trouvâmes largement de quoi nous occuper ensuite dans le manège couvert, devant remettre en état une partie du bois abimé et qui laissait passer le vent glacé. Le manque de nourriture de ces derniers jours se fit sentir, et je luttais contre la fatigue. Lorsque vers midi et demi passé Dorian me vit vaciller en descendant de l’échelle, Dorian déclara :

- Que dis-tu d’aller manger un bout avec moi, tu sembles en avoir vraiment besoin.

- Oui… Ca ne serait pas refus soufflais-je. Je vais voir si Shanenja va bien et je te rejoins.

- D’accord Juha ! Répondit Dorian. Je suis content de travailler de nouveau avec toi, avoua-t-il avant de me tourner le dos et d’aller au réfectoire.

Une fois dans la cour, Shanenja se jeta sur moi, me poussant déjà avec la force de sa vitalité. Lui offrant de nombreuses caresses et jouant un moment avec lui, je finis par le laisser et pris la direction du réfectoire. Après un détour pour aller me laver les mains, je me rendis dans le réfectoire déjà plein de monde. Je vis aussitôt Gabriel, qui m’invita à aller les rejoindre. Ayant peur de ma réaction face à Kay, mais ne voulant surtout pas le montrer, je me contentais de ne pas y répondre, et j’allais m’asseoir seul à une table. Dorian n’était pas encore là, mais il n’allait pas tarder à me rejoindre. S’il n’avait pas été là, j’aurais de toute façon préféré manger seul. Je préférais éviter de rendre leur repas désagréable, et les laisser à leurs retrouvailles où je n’avais plus ma place.

Dorian ne tarda pas à venir s’asseoir en face de moi avec un sourire. S’il vit ma jalousie, il ne fit aucun commentaire, n’observant que d’un bref regard Kay et Gabriel, comprenant peut être un peu mieux mon malaise. Ce fut certainement pour cela qu’il tenta de me faire rire par tous les moyens, et il y parvint je ne savais trop comment. J’étais à dix-mille lieux de penser pouvoir rire aujourd’hui. Rien de mauvais n’émanait de lui, et loin de mes problèmes, je prenais un bol d’air frais afin d’acquérir une certaine distance face à ces évènements.

Je ne pus pas manquer Gabriel qui sortait précipitamment du réfectoire et je savais que j’étais responsable.

- Il y a de l’eau dans le gaz ? Me demanda soudain Dorian.

Face à la mine fermée laissant transparaître uniquement un voile de tristesse sur mon regard, il n’attendit pas de réponse de ma part. Qu’étions-nous en train de faire ? Croyait-il vraiment que j’aurais pu être capable de m’asseoir à leur côté et de manger comme si de rien était. Après la dispute que nous avions eue ce matin, il était nécessaire que nous nous retrouvions uniquement tous les deux pour parler, mais cela était impossible pour le moment et je me demandais quand ce Kay partirait enfin. Dans d’autres circonstances, j’aurais adoré le rencontrer, mais maintenant j’avais trop honte de ma réaction. J’avais peur que Gabriel ne m’échappe, peur qu’il réalise que l’amour de Kay  était là et qu’il le compare au mien, me trouvant des épaules trop peu fortes pour l’accompagner tout au long de notre vie.

Kay partit le rejoindre après avoir rangé leur deux plateaux, j’en était pour ma part totalement incapable. Plongé dans mon mutisme, Dorian tenta de me faire réagir :

- Hé, Juha, qu’est ce qui se passe ?

Les larmes commençaient à me brûler les yeux et pourtant je le contenais. Je ne méritais pas de pleurer, j’étais loin d’en avoir le droit… Tout était en train de filer entre mes doigts comme un liquide insaisissable.

- Juha ! Déclara un peu plus fort Dorian.

Je sursautais presque, revenant à moi. Mal à l’aise face à mon état, Dorian déclara :

- Dépêche-toi de finir de manger.

Je jetais un coup d’œil sur son assiette, si la sienne était vide, la mienne ne l’était qu’à moitié.

- Nous avons encore pas mal de chose à faire. La carrière à gelée, tu m’aideras à casser un peu la glace et à enlever le plus gros de la neige afin que son état ne s’empire pas. Heureusement que nous avons un manège. Ensuite tu donneras du foin aux chevaux et tu iras graisser les selles pendant que j’irais acheter ce que Philippe m’a demandé.
J’acquiesçais simplement, n’ayant pas la tête à refuser des ordres qu’il n’avait pas à me donner. Je n’étais de toute façon pas en état de prendre des initiatives et ce long programme qui allait me prendre jusqu’à tard était finalement loin de me déranger. Cela m’occuperait l’esprit et m’éviterait de ressasser ce qui c’était passé ces derniers jours. Je sentis la main de Dorian poser sur mon épaule. Il était inquiet pour moi, même s’il ne le montrait pas. Sa jalousie vis-à-vis de Gabriel restait tel un vestige, mais était masqué par le remord de ses derniers agissements.

- A tout de suite dans la carrière, finit par dire Dorian.

Je répondis par un faible hochement de la tête et un sourire. Ayant perdu tout appétit, je mis tout de même du temps à venir à bout de la fin de mon assiette. Une fois celle-ci terminée, je me levais et après avoir enfilé mon manteau, je partis en direction de la carrière.

Mon cœur se serra vivement à la vue de Gabriel et de Kay marchant côte à côte en direction de la forêt. La force qui habitait normalement Gabriel et qui l’illuminait semblait s’être brutalement flétrie. Il était dans un état pire que le premier jour où je l’avais vu. Jamais je n’aurais dû me laisser aller à tenter de l’aider. Je n’avais finalement fait que l’enfoncer d’avantage, le rendant encore plus vulnérable et abimé qu’il ne l’était avant ma rencontre.

Etait-ce cela mon destin, blesser ceux qui devenait trop proche de moi. Mon don d’empathie prenait ce goût amer de malédiction, de barrage vers les autres. Finalement, trop en savoir sur leurs pensées les plus profondes m’éloignait d’eux. La mort de Killian avaient était la seule relation exclusive ou je m’étais laissé aller, et qui l’avait mené irrémédiablement vers la plus terrible des fins. Ne fallait-il pas que je m’éloigne de Gabriel et que je le laisse avec ce Kay qui saurait lui offrir bien plus que moi et surtout bien plus rapidement que j’en étais capable…

J’avais sondé son amour et j’avais était effrayé par cette pureté. Sans ma venue ici, un couple heureux aurait pu naître. Je n’étais plus qu’une ombre au tableau, un empêcheur de tourner en rond… Il fallait un homme plus sain d’esprit pour Gabriel, une épaule plus forte, quelqu’un capable d’aller de l’avant, et c’est en Kay qu’il pourrait trouver cela…Cependant, l’unique idée de renoncer à Gabriel, de retrouver ma vie solitaire et de me refuser notre amour m’était insurmontable. J’avais goûté à quelque chose de nouveau avec Gabriel, une chose si précieuse que c’était elle qui me poussait à poursuivre mon chemin chaque jour. J’étais très loin d’être prêt à l’abandonner.

Ce fut Shanenja me mordillant les doigts qui me sorti de mes sombres pensées. Je me rendis compte que j’étais là, immobile, planté au milieu de la cours à fixer la forêt où Kay et Gabriel avaient disparut depuis longtemps. Je m’abaissais vers cet animal plein de vie qui déjà attendait sur le dos des caresses sur son ventre. Je lui en fit sans hésiter, avant de me mettre en marche, suivant Shanenja qui s’était déjà élancé devant moi en courant. Ses gestes étaient beaucoup moins pataud, il grandissait à vue d’œil.

Shanenja resta avec Dorian et moi, s’amusant avec tout ce qui pouvait faire office de jouet, puis finissant par se coucher sous le petit abri en bois qui servait à regarder les reprises. Nous finîmes assez tard, la nuit commençait à tomber. La glace était profonde, et il nous fallut un temps interminable. Je ne sentais presque plus mes bras, et Dorian ne semblait pas dans un meilleur état que moi. Il me laissa ranger les outils pendant qu’il allait faire ses courses avant que tout ne ferme. Une fois cela fait, accompagné de Shanenja qui alla se coucher dans un tas de paille dans la sellerie, je distribuais le foin aux pensionnaires, profitant de mes muscles encore chauds, avant que les courbatures ne les saisissent, le froid n’aidant pas. Ce fut évidement à ce moment là que Kay et Gabriel entrèrent dans l’écurie. Gabriel passa devant moi sans un regard, comme je m’y attendais. Malgré moi, je fus obligé de suivre leur conversation.

- Tu as quelques par où dormir, demanda soudain Gabriel.

- Je prendrais une chambre d’hôtel près d’ici.

Je me tendis, à peu près sûr de la proposition de Gabriel qui suivrait cette réponse. Si une chose était sur, c’était que je n’avais aucune envie que nous nous retrouvions tous les trois dans ce petit appartement. Evidement, Gabriel ne perdit pas de temps pour s’exclamer :

- Ca va pas non ! Viens à la maison. Ce n’est pas grand mais ce sera sûrement mieux que l’hôtel. Et puis c’est hors de question que tu payes la peau du cul une chambre d’hôtel miteuse.

Kay croisa mon regard qui en disait long sur ce que je pensais de cette invitation et que je ne parvenais pas à cacher.

- Je ne voudrais pas causer de problème entre vous…

- Il n’y a aucun problème, répondit Gabriel, un peu trop hâtivement pour être crédible.

Le fait même qu’il ne me demande pas mon avis me mis hors de moi. Certes je n’aurais pas refusé et cet appartement était aussi bien à Gabriel qu’à moi. Mais justement, j’avais le droit d’être concerté. Surtout après ce qu’il se passait entre nous, le fait que Kay vienne chez nous ne ferait qu’envenimer la situation. Evitant mon regard, Gabriel reprit calmement après un temps :

- Je vais voir Philippe, j’ai deux trois choses à régler avec lui, je reviens vite…

- D’accord je t’attends.

Gabriel adressa un sourire de remerciement à Kay qui me hérissa les poils et nous quitta. Il ne m’en fallut pas plus pour me débarrasser des deux fourches qui restaient à donner et sans un mot pour Kay qui resta planté dans l’écurie, je me rendis dans la sellerie pour finir ce qui me restait à faire. Je pris rageusement tous les filets en cuir et les posais sur la table avant d’attraper une selle. Il fallait que je me calme, c’était de la jalousie qui était en train de ronger.

Après avoir pris le gros pot de graisse, je m’assis sur le banc et entamais mon travail. Shanenja ne tarda pas à venir se coucher à mes pieds, s’allongeant sans aucun gène sur ceux-ci. Même nerveux, je m’appliquais à réaliser ma tache. J’avais encore à faire toute les selles et à ce rythme là j’en avais pour toute la nuit. C’est à ce moment là que Gabriel entra dans l’écurie, s’approchant de moi, je l’avais sentit avant qu’il n’arrive. Je me contins, attendant qu’il parle de lui-même, peu près à coopérer.

- Je… Nous n’allons pas tarder à rentrer… Tu viens ?

Je ne pus me retenir de répondre sèchement, sans le moindre regard pour lui, contenant tout de même ma colère :

- Je suis occupé, tu ne vois pas ? J’ai du travail, alors rentre avec ton Kay, je rentrerais à pied avec Shanenja lorsque j’aurais terminé.

Je vis tout de même Gabriel serrer les poings avant de murmurer un « va te faire foutre » rageur. Me laissant seul, je jetais mon pinceau dans le pot, mes mains tremblaient de ce mélange de sentiments que je ne parvenais à dissocier. Je n’étais plus très loin des larmes, mais j’entendis une voix me souffler :

- Et si tu me racontais Juha ce qui est en train de se passer, même si je commence à comprendre.
Je redressais la tête pour croiser le regard de Dorian, certainement entré par l’autre porte. Il ne faisait aucun doute sur le fait qu’il ait assisté à notre court échange. Il tenait deux tasses de café brulants.

- Laisse-ça pour le moment. Tu mérites une pause. A deux on finira plus vite. Bois déjà ça.

Il me tendit une des deux tasses, puis poussant tout le matériel à graisser, il s’assit en face de moi.

- Je ne sais pas ce qui est en train de se passer entre vous deux, mais ça m’a tout l’air d’un beau paquet de nœuds. J’ai aussi l’impression que Kay n’y est finalement pas pour grand-chose, mais qu’il n’est qu’une couche de plus à vos problèmes…

Je bus une gorgée de café, profitant de sa chaleur se répandant en moi.

- Peut être que je ne suis pas fait pour les relations durables, soupirais-je amèrement.

- Tu es donné pour bien d’autres choses me fit Dorian avec un petit sourire pervers en coin.

Je ne pus m’empêcher de sourire légèrement face à son sous entendu douteux, sachant qu’il ne cherchait qu’à dédramatiser la situation. Inspirant légèrement, je décidais de me confier un peu à lui, ayant besoin de me soulager.

- Je ne peux pas lui donner ce qu’il attend de moi, et je ne sais même pas recevoir ce qu’il me donne …

Perplexe, Dorian me demanda :

- Tu peux m’expliquer un peu plus en détail ?

- Je… Tentais-je, lamentablement.

Mais une boule à la gorge monta en moi, et je fus incapable de lui expliquer.

- Juha ? S’inquiéta Dorian.

- Je suis complètement  perdu, lâchais-je, commençant à trembler.

J’étais dans un tel état, que même les larmes ne semblaient pas appropriées à la situation. Se rendant compte de ma détresse, Dorian se leva presque aussitôt, et venant à côté de moi, il me hissa pour me prendre simplement dans ses bras. Dans cette simple étreinte, un flot de réconfort sincère m’envahie. J’en avais réellement besoin, le serrant simplement en répondant à son étreinte. Pas de larmes, juste un moment dans ses bras pour profiter un instant de l’épaule qu’il m’offrait. J’avais l’impression de puiser mes forces en lui, de me sentir un peu mieux, alors que je n’y croyais plus.

Dorian ne s’éloigna de moi que lorsqu’il m’en sentait capable. Un bref regard fut échangé et il me sourit tendrement. M’asseyant de nouveau, je reposais mes mains sur le cuir pour poursuivre mon travail, honteux de m’être montrer ainsi face à lui. Une main ferme se posa sur mon épaule et Dorian déclara :

- On fera tout ça demain Juha, ça pourra bien attendre un jour de plus.

Sans me laissait le temps de répondre, il entreprit de tout ranger. Une fois cela fait, Dorian se tourna vers moi et me demanda :

- Si j’ai bien compris Gabriel habite chez toi maintenant ?

- Il habite avec moi, rectifiais-je en me levant. Jusqu’à ce matin nous étions ce qui se rapproche le plus d’un couple.

Dorian ne dit rien, semblant réaliser combien notre relation avait évoluée, bien plus qu’il ne le soupçonnait.

- Et il vient d’inviter Kay chez t… Chez vous se reprit-il.

Un silence pesant suivit ses quelques mots. Dorian soupira avant de demander plus clairement :

- Juha, qu’est-ce qui se passe réellement entre toi et Gabriel ?

Une colère monta subitement en moi. Elle n’était pas tournée contre Dorian, mais contre moi-même et vers le chemin que nous étions en train de prendre avec Gabriel.

- Il m’a simplement dit qu’il m’aimait hier et je n’ai rien su lui répondre. Il a très mal pris la chose et je ne lui reproche pas. Seulement il a du mal à comprendre que ce n’est pas si facile que cela pour moi. Déclarais-je sèchement. Je passe pour un monstre et c’est comme cela que je me vois. Je lui demande tant et je suis incapable de lui en donner ne serais-ce que la moitié. Et maintenant il y a ce Kay si parfait… Si tu savais comme il l’aime Dorian…

Baissant les yeux, un voile de tristesse me masqua la vue, et j’ajoutais plus bas :

- Ce n’est pas moi dont Gabriel a besoin, c’est de Kay… Mais bon Dieu que ça fait mal…

- Alors tu vas baisser les bras si j’ai bien compris ? S’exclama Dorian. Si tu abandonnes, alors tu donneras une valeur de vérité à ce que tu viens de dire. Tu es mieux que tu ne le penses Juha, ne te laisse pas souffler à la moindre difficulté. Prouve lui autrement que par des mots, prouve-lui que tu mérites son amour ! Crois-moi, je sais ce que cela fait d’aimer quelqu’un à sens unique. Mais Gabriel n’est pas dans ce cas n’est-ce pas !? Car si ce n’est pas le cas, va lui dire dès ce soir !

- Si je ne ressentais rien pour lui, crois-tu vraiment que nous en serions là ! Il me faut juste du temps, et pouvoir parler seul avec lui. J’ai voulu le faire toute la journée, comptant sur ce soir, mais Kay est chez nous…

- Alors rentre, et comporte toi en adulte. Ravale ta jalousie et patiente encore. Vous trouverez bien un moment pour vous expliquer, même si ce n’est pas ce soir.

J’acquiesçais simplement, la gorge serrée.

- Aller je te ramène chez toi, comme avant ! S’exclama-t-il avec un petit sourire plein de sous entendu.

Shanenja se redressa subitement, comprenant que nous allions rentrer. Alors que je partais à la suite de Dorian, celui-ci se tourna brusquement vers moi :

- Juha, si jamais ça se passait mal, si jamais tu as besoin de parler ou quoi que ce soit, sache que ma porte t’est toujours ouverte, et je parle sérieusement. J’ai merdé par le passé, mais c’était parce que…

Son regard se fit fuyant puis en reprenant la route à mes côtés pendant qu’une petite boule de  poil partait en éclaireuse, il ajouta plus bas :

- J’ai changé maintenant.

Une meurtrissure liée à ma propre personne m’apparut alors que sa main effleura la mienne. Un sentiment qu’il s’était efforcé d’enfouir à mon égard, un sentiment que j’ignorais ce soir là, ayant déjà mon lot de problèmes…

Nous montâmes en voiture et Dorian me ramena chez moi. Shanenja était assis à mes pieds, de mieux en mieux habitué à la voiture. Lorsque Dorian me déposa devant chez moi, je ne pus que le remercier et lui souhaiter une meilleure soirée que la mienne. Constatant que la pâtisserie à l’autre bout de la rue était encore ouverte, je décidais d’aller acheter un gâteau pour faire un pas en avant et tenter d’excuser mon attitude.

Lorsque je rentrais, Shanenja alla directement s’allonger, fatigué par sa journée mouvementée de chiot. J’allais dans la cuisine et en y découvrant Kay je compris que Gabriel devait être dans la salle de bain entendant l’eau couler.

- Tu as pu finir ton travail ? Me demanda poliment Kay.

- Oui… Me contentais-je de répondre.

Je posais le gâteau sur le plan de travail, avant d’aller me servir un verre d’eau et de m’asseoir à la table de la cuisine, pendant que Kay continuait assez mal à l’aise sa préparation du repas.

- Vos casseroles sont rangées où ? Me demanda-t-il alors que je me perdais dans l’observation de la nuit par la fenêtre.

Pour toute réponse, je me levais et lui tendis la casserole qui me semblait appropriée après l’avoir prise dans le placard. Restant à côté de lui, las de ce silence gêné, je me décidais à entamer la conversation.

- Nous… Nous avons mal commencé les présentations.

Kay s’arrêta et me lança un petit sourire. La jalousie de le voir ainsi aussi charmeur me vrillait les tempes pourtant je me forçais à lui rendre son sourire. Je lui tendis la main, et il fit de même. Ce fut après un bref échange que je lui proposais mon aide, qu’il accepta avec joie.

Alors que je mettais la table pour trois, il m’interrogea :

- Tu travailles ici depuis quelques mois, qu’est ce que tu faisais avant ?

- Rien de bien intéressant. J’ai voulu changer d’air et j’ai trouvé une place ici. Répondis-je évasif.

Je détestais ce regard posé sur moi. J’avais l’impression qu’il me jugeait. De plus il était indéniable qu’il ne m’appréciait de son côté pas plus que cela, je n’avais pas besoin de le toucher pour le savoir, je le sentais de là où j’étais.

Pourtant il poursuivit la conversation, me posant plusieurs questions de manière détournée sur moi et ma relation avec Gabriel, sans jamais me le demander franchement. Je dus faire appel à tout mon sang froid pour rester courtois et polis. A vrai dire, je n’avais qu’une seule envie, me retrouver seul à seul avec Gabriel pour parler sérieusement. Ce ne serait certainement pas possible ce soir.

Ce fut à ce moment là que Gabriel entra dans la cuisine. Je n’avais pas besoin de faire appel à mon don pour savoir qu’il était au plus mal. Ses yeux rouges et ses traits tirés parlaient pour lui. Non sans un certain effort, il finit par me demander :

- Tu… Tu es arrivé il y a longtemps ?

- Près d’une demi-heure, répondis-je ne pouvant m’empêcher de le dévisager longuement.

Honteux, Gabriel détourna le regard et pris place en bout de table entre Kay et moi. Tout comme moi, il n’avait pas particulièrement faim. Si je me forçais, il ne faisait que grignoter. Un silence monastique et désagréable régnait dans la pièce. Kay ne cessait de lancer des regards à Gabriel et croiser le mien avec froideur. Il était jaloux, tout comme je l’étais de lui, mais l’amour qu’il ressentait pour Gabriel m’oppressait et me donnait encore plus de raison de l’être. Lui aurait eut la réponse que je n’avais pu lui donner hier soir… Une petite voix ne cessait de dire dans ma tête : c’est avec Kay que Gabriel serait réellement heureux.

Plusieurs minutes s’écoulèrent ainsi dans un silence qui pesait sur chacun de nous. N’en pouvant plus, et voulant abréger l’angoisse qui pointait vivement chez Gabriel, je me forçais à prendre la parole :

- Sinon, tu fais quoi dans la vie ?

Kay me répondis d’un ton détaché, après un regard dans la direction de Gabriel :

- Je suis ostéopathe, et peintre amateur à mes heures perdues.

- Peintre ? Répéta Gabriel surpris. Aurais-tu une quelconque notion de ce que le mot « art » signifie ? Demanda-t-il en se moquant gentiment de lui. Car si mes souvenirs sont bons, on ne peut pas vraiment dire que tu étais un fervent admirateur des tableaux accrochés aux murs de l’église… Ajouta-t-il.

Un sourire narquois étira ses lèvres, qui disparut bien vite lorsque Kay rétorqua :

- Et qu’est devenu ton don pour le théâtre ?

Gabriel ouvris de grands yeux à cette question.

- Je… Je ne vois pas du tout de quoi tu parles… Tenta-t-il de nier.

En un rien de temps, je me sentais exclu de la conversation. Je n’avais plus ma place dans leur passé commun. Je n’écoutais plus. Je n’avais de toute façon  pas la tête à cela ce soir. Je regardais simplement Gabriel, heureux de retrouver des souvenirs avec un homme qu’il croyait avoir perdu. Mon cœur battait douloureusement en comprenant qu’il l’aimait encore plus que je ne l’aurais cru. Je me refusais à sonder ses sentiments à mon égard. Kay éclata soudain de rire, et n’en connaissant pas le sujet, je me contentais de sourire pour masquer mes tourment. Gabriel avait cette chance que je n’aurais jamais avec Killian. Une question de plus en plus vive commençait à naître en moi : devrais-je finir par m’effacer de sa vie et laisser ma place pour son bonheur ?

La conversation animée qui se déroulait sous mes yeux entre ces deux hommes faisait pourtant bouillir la jalousie en moi, mais derrière se cachait une certaine forme de résignation.

Jamais je n’aurais pensé que l’éclat de rire de Gabriel me serait un jour à ce point insupportable. Combien de fois avions nous partagé un simple fou rire tous les deux ? Las, je finis par me lever et apportais le gâteau sur la table. Je servis Kay, puis Gabriel qui commença par refuser et céda au regard empli de reproche de Kay qui ne me passa pas inaperçu. J’en pris une part à mon tour, n’y touchant même pas, ce qui ne fut remarqué ni par l’un ni par l’autre.

Après quoi, Gabriel servit un café à Kay avant de passer au salon. Kay prit place à côté de moi dans le canapé alors que Gabriel déplaça le fauteuil pour se mettre en face de nous.

Leur conversation reprit de plus belle, Gabriel ne posant à aucun instant les yeux sur moi, enfermé dans sa bulle avec Kay. Il faut dire aussi que je ne faisais rien pour m’intégrer. Jugeant avoir suffisamment fait office de présence, ne supportant plus leurs éclats de rire et leur complicité, et encore moins leurs sentiments réciproques qui débordaient, je décidais d’aller me coucher.

Après une douche plus que succincte, j’allais dans la chambre, tentant de rester sourd à la suite de leur discussion. Je m’installais d’abord sur le milieu du lit, ne pouvant m’empêcher de respirer à plein poumons l’odeur si particulière de Gabriel, seule chose que j’aurais aujourd’hui. Puis épuisé de cette journée qui avait plus l’apparence d’un cauchemar, voulant fuir un court instant la réalité, j’allais me coller contre le mur inconsciemment, fuyant le vide laissé par Gabriel qui n’était cette nuit pas à côté de moi. Ce ne fut qu’après un temps qui me parut interminable que je finis par m’endormir, replié sur moi-même et indéniablement seul.

Je me réveillais assez tôt le matin et à la fatigue qui se lisait sur les traits de Gabriel encore endormis, je sus qu’il s’était couché peut de temps avant le lever du soleil. Ne désirant plus être dans ce lit, je choisis de me lever. Attrapant mes vêtements, j’allais dans la salle de bain. Après m’être rasé et débarbouillé, je m’habillais assez rapidement. Entrant dans la cuisine, Shanenja déboula dans mes jambes attendant son repas avec une envie non dissimulée. Après quelques caresses, j’accédais à sa demande. N’ayant pas faim, je me fis un simple café, et me décidais à ranger et à nettoyer notre repas de la veille.

Lorsque j’eus finis, Kay et Gabriel dormaient encore profondément. Avant de partir, je tentais de réveiller Gabriel, mais ce fut sans succès, me heurtant à quelques grognements avant qu’il ne me tourne carrément le dos. Peu enclin à insister, je choisis de partir seul. Il était encore tôt, mais une bonne promenade avec Shanenja avant d’aller travailler me ferait le plus grand bien. J’avais besoin de solitude.

Et je l’obtins toute la journée. Gabriel ne vint pas travailler, et Dorian était trop occupé pour avoir le temps de discuter avec moi. J’abattis de mon côté une quantité monstre de travail, m’octroyant quelques pauses pour jouer avec mon jeune chiot. En fin de journée, n’ayant plus grand chose à faire, je choisis de rentrer. Je fis cependant un détour par la forêt, profitant de cette fin de journée ensoleillée. Shanenja alla directement se coucher lorsque nous rentrâmes, épuisé de sa journée remplie. Kay et Gabriel n’étaient pas là. Évitant soigneusement de me poser trop de questions sur leur journée, j’allais me prendre un bain bien mérité.

Une fois finis, j’allais m’installer dans le canapé devant la télévision, réfléchissant à un moment ou je pourrais être seul à seul avec Gabriel pour parler sérieusement. J’ignorais mon mal-être, comme je l’avais fait toute la journée, et me concentrais sur ce téléfilm inintéressant. Ce ne fut qu’une fois l’heure du repas bien dépassée que je commençais à m’inquiéter et à me poser des questions. A quelle heure comptait-il rentrer ?

La moindre des choses aurait été de me laisser un mot ou de me passer un coup de téléphone. Mais peut être était-il trop occupé avec Kay pour y penser. La colère monta d’un cran. M’exclure pour une soirée de retrouvailles soit, mais il ne fallait pas que cela dure indéfiniment. Les minutes continuèrent à défiler, puis une heure et une deuxième. Je n’avais pas bougé de ma place, il faisait maintenant nuit et je n’avais allumé aucune lumière. J’avais même éteint la télévision n’en supportant plus les images et le son. Plus le temps passait, plus la colère mêlée d’inquiétude grandissait en moi. Lui était-il arrivé quelque chose ? Le doute ne me permettait pas de m’abandonner à la fureur. Un simple coup de téléphone aurait pourtant réduit mon état au calme.

L’angoisse était de plus en plus oppressante, m’imaginant mille et une possibilités d’ennui ou d’accident pour Gabriel. Une pression monstre que je ne parvenais pas à calmer.

C’est alors que j’entendis leur voix dans le couloir. Ils semblaient aller bien. Entrant dans l’appartement, j’allumais la lumière alors qu’ils pénétraient dans le salon. Me redressant et constatant qu’ils allaient parfaitement bien tout les deux, je ne pus m’empêcher de lui demander furieux :

- Tu étais où ?

Malheureusement, ce ton ne plut pas du tout à Gabriel, qui répondit avec colère et sarcasmes :

- Je suis allé m’envoyer en l’air ! Je n’existe pas à tes yeux alors je suis allé chercher un peu de réconfort ailleurs…

A peine eut-il terminé sa phrase que ma main s’abattit sur sa joue avec une telle violence qu’il chancelait sur le coup. Je n’avais pas pu me retenir. J’avais flanché sous la colère nourrie depuis des heures d’attente et d’angoisse. Je regrettais ce geste à l’instant même ou j’avais élevé ma main, mais je ne pouvais revenir en arrière. Le voir la main sur sa joue meurtrie et surtout son regard blessé et emplie de larmes par ma faute fut une des pires choses qui m’est été donné de vivre, surtout en repensant au passé de Gabriel. Sans me laisser le temps de réagir, de m’excuser lamentablement ou de faire quoi que ce soir, Kay s’interposa entre nous et d’une voix froide, il déclara :

- Ne relève plus jamais la main sur lui…

Gabriel posa sa main sur le bras de Kay, alors que je contemplais dès lors le fossé qui nous séparait et que j’avais moi-même creusé.

- Laisse, c’est rien ! T’es vraiment trop con, ajouta-t-il en se tournant vers moi, avec un regard qui me fit froid dans le dos. Et puis même si c’était le cas, je ne te dois rien ! Nous ne sommes pas mariés, ça ne te regarde pas ce que je fais de mon cul !

J’accusais le coup sans broncher, je l’avais bien mérité après tout. La jalousie me rongeait de l’intérieur plus que je ne me l’étais imaginé. Je n’étais pas uniquement jaloux de leurs sentiments partagés, j’étais jaloux qu’il me donne cette impression de souffrir moins que moi, et qu’il est retrouvé l’homme qu’il avait aimé par le passé. Et moi qui restais toujours accroché à mon amant décédé, laissant fuir Gabriel.

Je restais planté dans le salon alors que Kay me lançait un regard dédaigneux. Alors qu’il allait m’adresser la parole, je lui tournais le dos et allais m’enfermer dans la chambre, suivit de près par Shanenja qui se coucha au pied du lit. Broyant du noir, je restais debout, ne parvenant pas à me calmer. Qu’avais-je fait ? Qu’étions-nous en train de devenir ? Les réponses me prenaient à la gorge de manière douloureuse. Ce fut un couinement du jeune chiot qui me fit revenir sur terre. M’asseyant sur le sol à ses côtés, Shanenja vint s’allonger sur mes jambes, tandis que les premières larmes se mettaient à couler.

Malheureusement, les murs n’étaient pas assez épais pour me cacher la conversation de Gabriel et de Kay lorsque celui-ci sortit de la salle de bain.

- J’ai tellement honte Kay… Je… Même les coups de ceinture étaient moins humiliants que cette gifle qu’il m’a donnée…

J’étais au pied du mur, j’avais l’impression d’avoir fait quelque chose d’irréparable, les rapprochant encore un peu plus et m’excluant d’une possible vie à deux avec Gabriel. Me bouchant les oreilles, je fuis le reste de la conversation, priant pour qu’ils se taisent le plus vite possible. Mais je ne pouvais me couper à la détresse de Gabriel qui était si vive qu’une migraine ne tarda pas à s’y ajouter.

Ce ne fut qu’après un long moment que je compris que Gabriel s’était endormi et qu’il ne me rejoindrait pas. Ne pouvant me résoudre à sortir, j’allais m’étendre dans le lit, emprunt d’une douloureuse tristesse.

Je ne fermais l’œil que quelques heures cette nuit-là, la culpabilité et la douleur me tiraillant sans me laisser de répit.

Le lendemain matin, je me levais avec l’impression qu’un tank était passé sur mon corps. L’esprit dans le même état, il me fallut faire preuve d’énormément de courage pour oser sortir de la chambre, habillé de propre. Gabriel dormait sur le canapé avec Kay, et je détournais les yeux de cette vision qui se révélait surement être leur avenir. Surmontant la boule qui se formait dans ma gorge, j’allais dans la cuisine pour préparer à chacun un petit déjeuner. Kay ne tarda pas à me rejoindre, me renvoyant toujours ce regard maintenant presque haineux que je ne pus soutenir. Pas un mot ne fut échangé tandis que je nourrissais Shanenja. Lorsque le café fut prêt, ce fut au tour de Gabriel de nous rejoindre. Le silence était de plus en plus oppressants, sans compter les regards évités et ceux qu’ils ressentaient tous deux à mon égard : du mépris et de la rancœur.

Une fois le petit déjeuner terminé, nous nous préparâmes pour nous rendre au ranch. La journée et la semaine se déroulèrent ainsi, dans un silence monastique alors que notre relation se dégradait de jour en jour. Pas un instant je ne pus me retrouver seul avec Gabriel qui fuyait une confrontation. Pas un seul moment, je ne pus m’expliquer ou tout simplement m’excuser, me refermant chaque jour un peu plus.

Nous étions maintenant mercredi soir et Dorian était venu me prévenir que le directeur voulait s’entretenir avec moi. Intrigué, je choisis de finir ma tache avant d’aller à son bureau. Lorsque j’arrivais la porte était ouverte, et en tournant le dos, je pus voir la voiture de Kay partir en direction de notre studio.

- Te voilà Juha, dit Philippe dans mon dos, d’une voix qui me fit sursauter.

- Je… Oui…Répondis-je en lui faisant face. Vous vouliez me voir ?

- Viens dans mon bureau. J’ai quelques papiers à te faire signer et deux trois choses plus personnelles dont j’aimerais que nous parlions.

Docile, je le suivis, prenant place en face lui. Il commença par me faire signer quelques papiers concernant la prison et ma réinsertion dans la vie professionnelle. Mon contrat fut lui aussi remis à jour, me prenant définitivement comme palefrenier, satisfait de mon travail. Une fois que tout le côté administratif fut terminé, Philippe s’enfonça dans son fauteuil voulant maintenant abordé les choses « personnelles ». 

- Qu’est ce qu’il se passe entre vous deux en ce moment Juha ? Me demanda-t-il de façon très directe.

- Il n’y a pas besoin d’être devin pour voir que nous sommes en froid en ce moment, répliquais-je.

- C’est à cause de la présence de Kay ? Ajouta-t-il.

- Pas vraiment, tentais-je d’élucider, disons que sa présence n’améliore pas la situation, dis-je en détournant le regard.

- Juha, tu sais très bien que c’est son ami d’enfance, c’est normal que tu sois jaloux. Mais mets-toi sa place, il le croyait mort.

Alors que j’allais répondre, Philippe ajouta :

- Attention, ce n’est pas pour autant que je donne raison à Gabriel, je ne suis du côté ni de l’un, ni de l’autre. Mais je ne supporte pas de vous voir ainsi. Tu es quelqu’un de bien Juha, et c’est tout à fait normal que tu sois jaloux. Laisse-lui un peu de temps… Mais bon Dieu, réagissez avant qu’il ne soit trop tard, vous êtes en train de vous détruire.

Philippe soupira avant de se lever et de déclarer, marquant la fin de la conversation :

- Bon, rentrons Juha, je te ramène.

- Vous n’êtes pas obliger…

- J’y tiens, je t’ai fait rester plus tard.

C’est ainsi que nous montâmes dans la voiture et qu’il me ramena, me donnant encore quelques conseils, et me priant d’arranger la situation au plus vite lorsqu’il me déposa devant chez moi. N’ayant pas la moindre envie de retourner chez moi pour retrouver cette ambiance lourde qui régnait depuis une bonne semaine, ayant un seul but en tête, me retrouver seul à seul avec Gabriel ne serais-ce qu’une petite heure pour enfin pouvoir parler.

Shanenja venu avec nous alla comme à son habitude se lover avec un jouet sur sa petite couverture, tandis que j’allais dans le salon. La lumière était allumée, mais il n’y avait personne. C’est alors que j’entendis une discussion étouffée dans la salle de bain. Curieux, j’allais y jeter un œil et la vision qui s’offrit à moi me glaça d’effroi. Kay était agenouillé aux pieds de Gabriel, qui, le pantalon légèrement baissé, le laissait toucher sans rien faire. Le soupire de bien-être que Gabriel lâcha fut de trop, et d’une voix froide, je laissais échapper :

- On s’amuse bien à s’que j’vois !

Gabriel ouvrit les yeux, s’apercevant de ma présence dans l’encadrement de la porte. Je ne savais plus que penser, incapable de cacher ma fureur d’avoir vu de mes propres yeux ce que j’avais toujours craint. Etant incapable de soutenir cette vision, Gabriel le torse nu, le pantalon à moitié déboutonné comme offert à Kay, je fis demi-tour, me retenant pour ne pas casser la première chose qui me tombait sous la main. Gabriel se précipita à ma suite, m’attrapant par le bras alors que je traversais le salon. Me forçant à me retourner, il m’adressa un regard meurtrier. Sans comprendre sa colère, je restais figé, sans pouvoir faire un seul geste.

Rageusement, il s’exclama :

- Non mais tu m’fais quoi là ? Ta pseudo crise de jalousie tu peux te la foutre au cul, Juha !

Priant pour que je me sois trompé, mais ne voyant pas ce qui pourrait expliquer une telle pose, je scrutais attentivement son torse à la recherche d’une quelconque trace de suçon ou de trahison de sa part. Était-ce seulement la première fois ? Je ne trouvais rien, descendant mon regard plus bas. Lorsque mes yeux se posèrent sur son bas ventre, je sursautais violemment alors que je vis un tatouage assez récent en train de cicatriser.

Rassuré, ma colère ne me quitta pas pour autant. Ma réaction avait été absurde, mais j’avais cru voir se dérouler devant mes yeux ce que je craignais le plus. Est-ce que tout cela n’était finalement pas qu’une question de temps ? Comment cela aurait-il progressé si je n’étais pas arrivé ? La distance imposée entre nous me semblait éternelle. Depuis combien de temps ne nous étions pas pris dans les bras. Je n’étais même pas au courant de ce nouveau tatouage à la différence de Kay. Je n’en pouvais plus de ressentir son mépris à mon égard et sa jalousie faisant échos à la mienne. J’étouffais, et n’osais même plus toucher Gabriel par peur d’y découvrir un amour plus fort pour son ami d’enfance. Celui-ci enfonça le couteau dans la plaie, en colère mais satisfait :

- Je ne suis pas une pute, Juha. Je ne déclare pas mon amour à un homme pour aller voir ailleurs à la première dispute entre nous ! Si tu n’as pas confiance en moi, c’est qu’on n’a rien à faire ensemble.

Sur ces mots, il me tourna le dos et retourna dans la salle de bain. Ne pouvant en supporter d’avantage, je pris la direction de la sortie, claquant violemment la porte, en colère contre notre relation qui semblait ne plus pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit. Alors que j’arrivais dehors, je fus saisi par le froid, étant sortit sans manteau. Je décidais de marcher, allant droit devant moi sans choisir ma direction. Les larmes ruisselaient de nouveau, sans pouvoir les retenir, je trébuchais et manquaient de tomber, mais cela n’arrêta pas ma course. Une voiture s’arrêta soudain à ma hauteur. La vitre se baissa et je vis Dorian les traits tirés pas l’inquiétude.

- Juha ? Mais qu’est ce que tu fais dehors à cette heure là ? Sans une veste en plus ?

- J’avais besoin de prendre l’air, répondis-je en essuyant mes larmes d’un geste bref.

Les traits tirés, je sentis soudain une grande fatigue et une grande lassitude concernant le chemin que prenait ma vie. Étais-je uniquement fait pour vivre seul ?

- Attends-moi ici, je vais me garer. Tu vas boire truc chaud chez moi, tu ne peux pas rester dehors avec si peu sur le dos.

Je restais là, sans bouger tandis qu’il avançait pour trouver une place pas très loin d’ici. Je savais très bien de quel mauvais œil Gabriel verrait ce que j’étais en train de faire, mais j’avais besoin de quelqu’un sur qui me reposer un peu ce soir. Gabriel avait toujours eu Kay avec lui, contrairement à moi qui n’avait personne. Je n’enviais cependant pas sa place non plus.

Dorian me rejoignis au pas de course. Une fois arrivé à ma hauteur, il me jeta son manteau sur le dos avant de m’attirer jusque chez lui. Posant ses affaires une fois chez lui, il m’invita à prendre place dans le salon, tandis qu’il allait faire chauffer l’eau pour un thé. De légères rougeurs vinrent tinter mes joues en repensant à ce que nous avions fait tous les deux ici, mais ce souvenir fut bien vite inondé par mon accablement et mon désespoir.

Il rangea quelques affaires dans la cuisine et revint avec une tasse de thé fumante. S’asseyant près de moi, il me dévisagea quelques secondes lorsqu’il croisa mon regard : mon mal-être se voyait-il à ce point sur mon visage ?

- Ca ne s’est toujours pas arrangé ? Me demanda-t-il le regard peiné.

Portant la tasse à mes lèvres, j’avalais avec difficulté une maigre gorgée de thé brûlante.

- Je suis fatigué Dorian… Fatigué de cette jalousie qui me rend un peu plus fou chaque jour. J’ai… J’ai l’impression de ne plus avoir ma place près de lui. On ne se parle plus, on ne s’approche plus à part pour nous disputer. On étouffe depuis plus d’une semaine et je ne peux plus voir en peinture ce Kay. Gabriel m’évite, et je ne peux jamais avoir un moment seul à seul avec lui. Kay est toujours à ses côtés.

Je fis une pause, avalant une deuxième gorgée semblable à la première avant de poursuivre :

- Le pire Dorian, c’est que si j’avais maintenant l’occasion de lui parler, je ne saurais même pas quoi lui dire… Au fur et à mesure du temps, les raisons qui le pousseraient à aller vers Kay au lieu d’aller vers moi se multiplient. Seulement, je ne peux pas me résigner à baisser les bras. Je… je tiens trop à lui…

Je finis par craquer littéralement, m’effondrant en larmes après avoir dit :

- Je sais pourtant que ce serait la meilleure des choses à faire pour lui, je n’ai fait que l’enfoncer avec moi.

Dorian ne résista pas et me pris dans ses bras, tandis que je posais ma tête sur son épaule pleurant silencieusement, le corps secoué de léger spasmes. D’une petite voix, il me demanda alors :

-Tu l’aimes… ?

Restant contre lui, manquant cruellement d’un peu de chaleur, je mis beaucoup de temps avant de répondre entre deux sanglots minable :

- Je ne sais pas…

Dorian soupira avant de répondre, d’une voix sérieuse :

- J’ai franchement du mal à croire que ce n’est pas le cas Juha. Tu as décidément beaucoup de mal à faire confiance aux autres et à te faire confiance. Mais une chose et sûre, si vous ne faites rien, vous allez droit dans le mur. Vous vous détruisez l’un l’autre.

Me repoussant afin de me regarder droit dans les yeux, il ajouta le plus sérieusement du monde :

- Promets-moi que tu va faire quelque chose dans les jours qui viennent !

Me tenant par les deux épaules, il me serra de nouveau contre lui une fois que j’eus acquiescé faiblement. Je restais ainsi, contre lui un long moment, et il respecta mon besoin de silence et de soutient. Ce ne fut que lorsque que je sentis capable de me retenir de pleurer que je m’écartais de lui. Il était temps que je rentre et Dorian le comprit. Les deux tasses de thé étaient trop froides pour être bues et ce fut après une dernière étreinte et des remerciements que je le laissais dans le but de rentrer chez moi.

Tout était éteint, les deux hommes semblant dormir. N’ayant plus qu’à faire de même, remettant au lendemain ma résolution de parler, je me rendis silencieusement dans la chambre. Refermant délicatement la porte derrière moi, je me mis en pyjama sans faire de bruit. Gabriel semblait dormir. Mon regard se posa sur lui. Combien de temps pourrais-je encore tenir avec cette distance ? Combien de temps devrais-je encore tenir avant de pouvoir le prendre dans mes bras tout contre moi, et inspirer son odeur tout en profitant de sa présence qui m’était devenue nécessaire ? Question bien plus cruelle qui me saisit alors : combien de temps aurais-je encore pour avoir le privilège de le regarder dormir ?

Emprunt d’une grande lassitude et d’une douleur profonde, je finis par aller m’allonger à côté de lui, résistant à l’envie plus forte que jamais de le prendre dans mes bras, tout contre moi : une simple étreinte qui me faisais cruellement défaut à chaque seconde de plus passée loin de lui.

Je mis un temps infini à seulement réussir à fermer les yeux, mais le sommeil se refusa à moi cette nuit là. Je sentais Gabriel remuer dans tout les sens, et lorsqu’il se leva alors que la nuit était loin d’être fini, je ne sus ce qui me retint de prononcer son nom. Depuis combien de temps n’osais-je même plus lui adresser la parole, à simplement lui effleurer la main ? J’avais cette cruelle impression de m’être coupé de lui, ne parvenant même plus à saisir de ce qu’il ressentait vraiment. Peut-être étais-ce pour me protéger, par peur et crainte de ce que je pourrais y découvrir. N’étais-ce finalement pas moi qui m’étais coupé de Killian ?

Une boule dans la gorge me saisit, la culpabilité de son assassinat me prenait en traitre à un moment de faiblesse. Si je perdais Gabriel, j’aurais définitivement tout perdu. Il m’avait beaucoup plus aidé que ce dont j’avais désiré faire pour lui. En fixant le lit vide à côté de moi, la simple idée que Gabriel n’occuperait plus cette place m’était insoutenable. Me redressant, je tirais légèrement le rideau pour regarder la nuit étoilée. Perdu dans ma contemplation, je ne cessais de réfléchir à la situation, tentant d’y trouver une issue. Il fallait à tout prix que je trouve l’occasion de lui parler dans la journée. Comme le disait Dorian et Philippe, nous ne pouvions continuer très longtemps comme cela. 

Gabriel n’était toujours pas rentré lorsque je sortais de la chambre, me décidant à me lever bien déterminé à entamer cette discussion. Allant me préparer un petit déjeuner sans oublier Shanenja, Kay ne tarda pas à me rejoindre, sans un mot, toujours avec ce regard méprisant et dédaigneux. Je ne savais même plus comment je pouvais supporter sa présence, et ce matin là je ne pus que l’ignorer, m’abstenant tout comme lui des salutations matinales de politesses.

Ce fut non sans un certain soulagement que j’entendis Gabriel rentrer, et celui ne tarda pas à arriver dans la cuisine. Il ne s’aperçut pas de ma présence, saluant simplement Kay avant de se préparer une tasse de chocolat chaud. Il semblait si faible moralement, que je me demandais comment il trouvait encore la volonté de tenir sur ces deux jambes. Frigorifié, je savais que cela était loin d’être uniquement du au temps extérieur. Mon envie de faire un premier geste me prit à la gorge, mais alors que j’allais me lever, Kay demanda :

- Où tu étais ?

- Je suis allé prendre l’air, répondit-il. Je… J’avais besoin de réfléchir… J’en peux plus, j’ai l’impression d’étouffer ici…

Se retournant après avoir mis sa tasse au micro-onde, il sursauta en s’apercevant enfin de ma présence. Fuyant automatiquement mon regard, je fis de même, définitivement coupé dans mon élan.

Lorsqu’il revint à table avec de quoi déjeuner, ses mains bleues ne l’aidèrent pas à faire ses tartines. Nous déjeunâmes en silence, mangeant plus par automatisme que par appétit. Finissant ensuite de nous préparer, nous sortîmes, Gabriel suivit de près par Shanenja, trop heureux qu’il lui prête un peu d’attention. Gabriel s’assit devant avec Shanenja à ses pieds, Kay conduisant, tandis que je montais à l’arrière.

Une fois arrivé, je sortis de la voiture, laissant Kay et Gabriel passer leur journée ensemble, et partant de mon côté. J’avais toute la journée pour trouver un moment à discuter seul à seul avec lui, mais je ne comptais pas le faire ce matin.

Je n’eus même pas besoin de rentrer dans l’écurie pour comprendre que quelque chose n’allait pas, et ce pressentiment s’accentua lorsque je vis tous les regards posés sur moi alors que j’allais chercher mon matériel dans la sellerie. Peur, moquerie, écœurement, dégout, dédain : c’était ce que tous ressentais pour moi. C’était tellement puissant que je dus sortir m’adosser quelques minutes contre le mur de la sellerie, pièce heureusement déserte.

Prenant sur moi, j’inspirais un bon coup, tentant de me dire que cela était plus du à la fatigue qu’autre chose, me rendant malgré moi plus sensible, comme je l’avais vécu dans ma jeunesse. Renforçant comme je le pouvais mes barrières mentales, je m’éloignais du mur et allait prendre ce dont j’avais besoin pour travailler.

Hésitant, je sortis de la sellerie pour me diriger dans le box le plus proche qui était heureusement un de ceux que j’avais à faire ce matin. Cela n’empêcha cependant pas de me faire envahir de nouveau par tous leur ressentis et il était indéniable qu’ils le vivaient par rapport à moi. J’avais beau réfléchir, je ne trouvais pas de raison à tous leurs regards et à leur haine mêlée de peur à mon égard. Fébrile, je saisis la fourche en tentant de les ignorer, me fermant comme une huitre, sans cesse tiraillé.

Jamais je ne mis autant de temps à remplir une simple brouette, et je remerciais l’habitant de ce box pour son calme. Posé, l’animal ne bronchait pas, les yeux à demi-clos, trop vieux pour se soucier des humains et de leurs problèmes. Je devais maintenant aller vider la brouette à l’extérieur, ce qui impliquait de repasser devant eux. Ce fut donc ce que je dus faire, à contrecœur et angoissé. Sortant du box, en prenant soin de bien refermer la porte derrière moi bien que le cheval ne semblait avoir aucune envie de sortir, je redressais la tête vers le couloir qui m’apparaissait interminable. Je sursautais presque en m’apercevant que tous ceux présents ici me fixaient avec un air malsain. Déglutissant, je fis un premier pas et à cet instant seulement que j’entendis un mot chuchoté brièvement : « prison ». Perdant pied, mes murailles s’effondrèrent, et leurs émotions me parurent soudain plus violentes et brutales.

Dévasté, je laissais la brouette avant de marcher d’un pas rapide vers la sortie la plus proche. La tête basse, je devais me faire violence pour ne pas me mettre à courir, et c’est pourtant ce que je fis une fois sorti de leur champ de vision. Me précipitant vers la vielle carrière, j’allais encore plus loin et du m’arrêter chancelant les premiers arbres de la forêt passée.

M’appuyant à un arbre, je ne pus retenir le haut le coeur qui me saisit et me penchant brusquement en avant je rendis le peu que j’avais avalé à mon petit déjeuner, le corps parcourut de violents spasmes de rejet : rejet éprouvé par les autres qui connaissaient maintenant mon passé. C’était une chose que deux personnes le sache ici, s’en était une autre qu’une découverte brutale par tout ceux qui venaient ici, les seules personnes qui faisait partit de mon monde, de ma nouvelle vie…

Alors que je me forçais à oublier mon passé et aller de l’avant, celui-ci revenait me heurter de plein fouet, ravivant ma culpabilité et ma plus grande honte. Qui aurait pu me faire cela, à part le seul qui m’en voulait de ne pas oublier Killian. Une colère irraisonnée coula brusquement dans mes veines, m’aveuglant et m’offrant de nouvelles forces.

Me redressant vivement, j’allais vers l’homme qui m’avait trahi. N’était-ce pas finalement une forme de punition méritée selon lui. Furieux, je pris le chemin de la carrière où je savais qu’il donnait un cours à l’heure actuelle. Les tremblements qui jusqu’alors me parcouraient violemment furent non plus guidés par ma peur, mais par ma colère contre Gabriel. Sans réfléchir une seule seconde et méditer sur la possible vérité de cette idée, j’arrivais bientôt près de lui. Il était en train de parler avec Kay, ce qui redoubla ma colère, m’empêchant de maîtriser cette jalousie. Tel un animal blessé livrant son dernier combat, je puisais dans mes dernières forces et m’exclamais une fois arrivé à sa hauteur :

- Tu étais le seul à savoir… Comment as tu pu me trahir ainsi, Gabriel ?

Gabriel resta sans réaction, et je n’eus pas besoin de m’approcher plus de lui pour comprendre mon erreur. Ce n’était pas lui, il venait d’apprendre la nouvelle en même temps que moi. Incapable de m’excuser, encore sous l’effet de la haine, je préférais m’éloigner d’eux sans un regard. Comment avais-je pu croire un seul instant que c’était lui. Maintenant c’était certain, je ne le méritais pas, je venais de briser la dernière chose qui nous liait encore, je venais de perdre Gabriel…

Cette révélation manqua de me faire chuter, mais je sentis une main se poser sur mon épaule. Me retournant violemment, je m’exclamais la défensive en rompant ce contact qui me vidait de mes dernière forces :

- Ne me touche pas !

Kay me regardait droit dans les yeux, l’air mauvais. Ce qui était le plus douloureux, c’est que j’abandonnais Gabriel à cet homme que je n’avais jamais appris à ne serait-ce qu’apprécier.

- Je savais que quelque chose n’était pas normal chez toi. Tu es différent des autres, et la prison l’explique ! Et ce que tu viens de faire subir à Gabriel, je ne peux pas le laisser passer !

Mon silence et mon absence de réponse, le rendis fou de colère et il ajouta :

- Tu crois que tu ne l’as pas assez fait souffrir pour en plus l’accuser d’une chose qu’il n’a pas faite ? Si tu connaissais un peu plus Gabriel tu n’ignorerais pas que trahir un secret c’est quelque chose qu’il est incapable de faire.

J’attendais qu’il finisse sans broncher, n’ayant tout de façon pas la force ni le courage de répliquer quoi ce soit, le laissant enfoncer le couteau dans la plaie comme je le méritais.

- Si tu n’as pas confiance en lui, comment peux-tu espérer garder son amour ? Tu ne le mérites pas !!

Nous allions y arriver, il allait enfin me dire ce qu’il avait sur le cœur depuis la première fois que nous avions échangé un regard :

- Ne joue pas au con Juha, parce que quand Gabriel décidera de te quitter, moi je serais là pour lui et n’oublie pas qu’on a beaucoup de choses en commun ! Déclama-t-il en insistant sur le « beaucoup » de manière volontaire. Je sais qu’il éprouve des sentiments à mon égard…

C’était maintenant clair, il sous-entendait qu’il pouvait avoir Gabriel quand il le voulait, et qu’il ne me laissait que par soi-disant clémence. Je n’aimais pas la manière dont il parlait de Gabriel, comme un simple objet qu’il consentait à me laisser en attendant que je le casse pour venir le réparer et me le reprendre. Je n’hésitais pas à lui en faire par, ce qui le fit craquer. Il éleva sa main sur moi : grossière erreur. L’attrapant au vol, changeant du tout au tout, je retrouvais le masque d’autorité et de puissance que j’avais acquis pendant ces dix dernières années et déclarais d’une voix glaciale :

- J’ai fait dix ans de prison Kay, ne crois pas que je ne sais pas me défendre. Il vaudrait mieux pour toi ne pas entamer de bagarre.

Kay me lança un dernier regard avant de me tourner le dos et de rejoindre son cher Gabriel. Savait-il seulement que j’étais en train de baisser les bras, et qu’il était maintenant bien plus proche de lui que je ne l’étais ? Je l’avais perdu, et Kay était bien plus proche de la vérité que ce qu’il ne pensait. Pourrais-je seulement supporter de voir Gabriel dans ses bras ? La réponse négative me serre douloureusement le cœur. Si Gabriel n’était plus avec moi, je n’avais plus rien qui me retenait ici. Je le savais depuis mon arrivée ici, je ne sortirais pas indemne de cette relation avec Gabriel. J’espérais l’avoir aider un peu à surmonter la souffrance passée, et ce serait avec Kay qu’il pourrait réellement se reconstruire. J’étais trop instable et nocif pour celui qui s’approchait trop près de moi. Cela avait coûté la vie de Killian et jamais je ne permettrais que cela arrive à Gabriel.

Redressant la tête, je n’avais pas remarqué que j’avais avancé. Près de la vielle carrière, je m’assis sur le tronc d’arbre posé sur le bord, sans me rendre compte de la présence de Dorian qui approchait de moi à grand pas.

Je ne m’aperçus de sa présence que lorsqu’il s’assit à côté de moi. Il gardait une certaine distance qu’il n’avait jamais instaurée entre nous. Ses sentiments étaient confus, et tout comme lui, je ne parvenais pas bien à les discerner. A vrai dire, je ne cherchais pas à le faire.

Ce fut seulement après un soupire qu’il se mit à parler :

- Je pense que tu es au courant de la nouvelle de ce matin à ton sujet…

Il fit une pause, cherchant apparemment ses mots avant de reprendre :

- J’aurais préféré l’apprendre de ta bouche que de celle des autres…

Je lui lançais un simple regard. J’étais fatigué, en deuil de cette vie qui n’avait finalement été que le mirage d’un possible bonheur. Mon visage cerné trahissait ma douleur, et Dorian semblait plus peiné que je ne l’aurais imaginé à mon égard.

- Est-ce que Gabriel était au courant ? Se risqua-t-il à me demander.

- Oui, il savait…

- Je… J’ai croisé Gabriel, il était avec Kay… Il pleurait. Est ce que je peux connaître la rai…

- C’est de ma faute, le coupais-je. Je l’ai accusé à tord.

Un silence s’instaura entre nous, mais ce n’était heureusement pas un silence lourd et pesant. Dorian respectait à sa façon mon besoin de solitude, bien qu’il reste à mes côtés. Il ne me jugeait pas comme tous les autres. Cela cachait bien évidemment une raison plus profonde, mais je m’en moquais pour le moment. A vrai dire, j’étais finalement légèrement soulagé qu’il soit une fois de plus à mes côtés lorsque j’en avais besoin. Dorian aussi me manquerait lorsque je partirais d’ici, mais pas autant que Gabriel. A cette pensée, ma poitrine se comprima si fort que j’eus du mal à respirer.

Dorian s’en apercevant m’appela par mon prénom avant de poser sa main sur moi, hésitant, ne sachant plus trop comment se comporter. Ce contact, je ne le supportais pas, m’écartant de lui le moins brusquement possible, je m’excusais et mon regard suffit à lui faire comprendre. Je n’avais pas besoin qu’il me touche pour savoir qu’il me craignait et ne savait plus trop comment faire avec moi. Je sortais de prison après tout… Évitant son regard peiné, je décidais de me confier un peu, voulant à tout pris alléger en surface le poids qui m’opprimait. Et Dorian m’y aida en me demandant :

- Ca va aller… Laisse-leur le temps de se faire à l’idée que tu sors de prison. Rassure-moi, tu ne vas pas partir d’ici parce qu’ils savent tous ? 

- Qui vous a mis au courant ? Demandais-je en évitant sa question.

- Je ne sais pas… Quand je suis arrivé ce matin, la nouvelle circulait déjà entre eux… Qu’est ce que tu vas faire Juha ? Insista Dorian.

- Je n’en peux plus…Je suis en train de le détruire. Je fais tous de travers… Je… Je crois que je l’ai définitivement perdu. Kay est mieux pour lui. Mais je ne pourrais supporter de les voir ensemble.

- Alors tu baisses tout simplement les bras ?

- Oui, répondis-je catégorique. Pour le bien de Gabriel, c’est ce que j’aurais du faire depuis le début. C’est fini de toute façon, ce n’est plus qu’une question de temps…

- Je ne te savais pas si lâche Juha ! Qui te dis qu’il sera plus heureux avec Kay ?!!

- Kay l’aime et ne traine pas un meurtre derrière lui, dis-je en me redressant. Leur relation sera plus saine !

- Le coup du sacrifice ne marchera pas avec moi Juha. Enfin tu l’aimes ça crève les yeux !

Perdu, je ne répondis pas tout de suite, je ne savais plus que penser. Qu’en savait-il ? Je tenais énormément à Gabriel, mais j’avais peur. Peur de tout perdre et surtout de le perdre. Peur d’accorder une confiance irraisonnée en quelqu’un, comme je l’avais fait avec Killian qui avait fini par me trahir en m’imposant de le tuer. Car finalement c’était sur cela que reposait pour moi une relation amoureuse : la confiance en l’autre. Je n’avais déjà pas confiance en moi…

- Je ne sais pas, dis-je dans un souffle.

Dorian n’en supporta pas plu. Se levant, il se planta devant moi et me dit, le ton légèrement plus haut qu’à son habitude :

- C’est sur que c’est tellement plus simple que de chercher la réponse au fond de toi ! Tu l’aimes, et il n’y a pas que moi qui le pense. Quand vas-tu te l’avouer ! Ça ne se commande pas Juha, crois-moi…

Un silence s’instaura une fois de plus entre nous, jusqu’à ce que Dorian me dise :

- Tu devrais aller manger un peu Juha, tu es pâle à faire peur. Allez viens…

Docile, je le suivis, bien que l’idée de retrouver tout le monde réunis dans cet espace clos ne m’enchantait guère.

Je marchais quelques pas derrière lui, remarquant qu’effectivement, il valait mieux que j’avale quelque chose si je ne voulais pas tomber dans les pommes. Le fait que Dorian m’accompagne me rassurait un peu, mais ce ne fut malheureusement pas le cas. Un collège l’appela à l’aide et il me dit de partir devant et qu’il me rejoindrait après. N’ayant pas d’autre choix que d’y aller, je me rendis donc au réfectoire. Celui-ci était plein, et autant dire que tous les regards furent rivés sur moi lorsque j’attrapais un plateau. Déglutissant, et me coupant d’eux, je commençais à me servir raisonnablement en nourriture, seulement ce que je me sentais capable d’avaler.

C’est alors que je me sentis poussé de manière brusque. Ce n’était autre que Marion qui trouvait que je n’allais pas assez vite.

Ce simple contact la trahis. C’était elle qui était à la source de cette révélation. D’où elle tirait ses informations ? Je n’en avais pas la moindre idée. Elle me lança un regard narquois alors que je lui tournais le dos et finissais de me servir. Je réglerais mes comptes avec elle plus tard.

Choisissant la table la plus éloignée et la plus calme possible, j’allais m’installer seul, soupirant face à la lourdeur de la tension qui régnait dans cette pièce. Les regards furtifs et les messes basses commentant chacun de mes faits et gestes étaient déjà difficiles à supporter, mais ce n’était rien à côté de ce qu’ils ressentaient à mon égard.

Gabriel et Kay n’étaient pas encore là. Baissant les yeux et m’enfermant dans ma bulle pour être capable d’avaler ne serait-ce qu’une bouchée, je ne les vis pas arriver. Ce fut seulement au moment où tout le monde se tut que je redressais la tête, voyant Marion s’approcher de Gabriel, un sourire malsain dépeint sur le visage, Kay étant un peu plus loin.

- Alors Gabriel, ça t’excite les taulards ?

Gabriel sursauta violemment, tout autant surpris que moi par ses propos et sa question. Déjà blême, il devint livide. Satisfaite d’elle et de la réaction de Gabriel, elle se tourna vers l’assemblée et s’exclama :

- Faits une ovation au nouveau couple de l’année.

Un brouhaha inintelligible se fit entendre, tandis que je serrais les poings sous la colère. C’était une chose qu’elle s’en prenne à moi et à ma vie privée, s’en était une autre qu’elle s’en prenne à Gabriel. Lorsque le silence revint, Marion reporta son attention sur Gabriel et reprit :

- Quelle tragique histoire que celle du misérable petit orphelin entiché d’un assassin qui ne veut pas de lui… Et oui je sais tout de toi… Quel effet ça fait de se faire baiser et jeter par la suite ? Regarde dans quel état lamentable tu es… Mon pauvre garçon, tu es pitoyable, tu ne vaux vraiment rien… Tu ne t’es jamais demandé pourquoi ton père et ta mère n’ont jamais voulu de toi…

Ce fut plus que je ne pouvais en supporter. Les larmes de Gabriel inondaient ses joues, et Kay le regardait trop ahurie pour faire quoi que ce soit. Me levant, je me précipitais sur Gabriel qui vacillait. Je l’attrapais au dernier moment, juste avant qu’il ne tombe dans l’inconscience. M’assurant qu’il était bien tout contre moi protégé, ignorant pour l’instant le bien que cela faisait de l’avoir de nouveau dans mes bras, je fis face à Marion, la toisant de toute ma hauteur.

Malheureusement pour elle, elle était allé trop loin. J’aurais pu supporter bien plus à mon égard, mais la colère qu’elle avait déclenché chez moi en s’en prenant à Gabriel en faisait frémir plus d’un dans la salle.

 D’une voix glaciale, rentrant parfaitement dans la peau du personnage que tout le monde semblait s’imaginer : le dangereux criminel, je déclarais en la regardant droit dans les yeux :

- Que tu t’en prennes à moi c’est une chose Marion, mais Gabriel n’a rien à voir là dedans.

- Oh comme c’est touchant ! S’exclama-t-elle en se moquant ouvertement de moi. C’est pour ça qu’il t’a choisit ? Pour que tu le protège comme il savait que tu ne reculais même pas devant le meurtre ? Non mais regarde le, endormi dans tes bras, si beau… On pourrait croire à un ange. Mais toi ! Tu t’es regardé, tu ne fais que le salir rien qu’en l’ayant trainé dans ton lit.

- Dis-moi Marion, répliquais-je, tu aurais un problème avec l’homosexualité ?

- Non ! S’emporta-t-elle. Mais avec les meurtriers oui ! Qu’est-ce que tu croyais ? Nous le cacher éternellement ! Il est important que tout le monde sache, dit-elle en se tournant vers les autres. J’estime que nous devons être au courant du risque que nous courrons à te côtoyer.

- Tu t’imagines les risques que tu prends à me provoquer ainsi ?

- Je n’ai fait que dévoiler la vérité ! Se défendit-elle en faisant un pas en arrière.

- Et t’en prendre à Gabriel ! Il n’a rien à voir là dedans. Pourquoi est-ce que tu t’acharnes ainsi sur lui ? Par jalousie ? Tu n’as pas su le garder… C’est plausible !

- Mais je n’en ai rien à foutre de lui, au contraire, au moins je n’ai plus à le supporter. Un gamin pleurnicheur arrogant et bourré de défaut.

Marion avait vraiment beaucoup de chance que Gabriel soit dans mes bras. Il m’empêchait de déverser réellement ma colère sur elle physiquement.

- Dis-moi Juha, dit-elle en reprenant de l’assurance, est-ce qu’au moins tu as pris ton pied avec lui ? J’espère pour toi qu’il est plus doué avec les hommes… Remarque, se faire baiser, ça doit être plus facile pour lui. Honnêtement, de toi à moi, qu’est-ce que tu lui trouve pour avoir ne serait-ce que l’envie de te le faire ?

- Tu te rends compte à quel point tu es pathétique ! Attaquer aussi bassement, devant tout le monde. Gabriel vaut mille fois mieux que vous tous réunis dans cette salle. Dis-je en les toisant sévèrement. S’il n’était pas là, rien ne m’aurait poussé à rester parmi vous. Vous êtes tous à le jalouser alors que vous n’avez pas vécu ni fait la moitié de ce qu’il a enduré pour parvenir jusqu’ici. Vous devriez le respecter au lieu de le dénigrer. Et n’allez pas en plus lui rajouter mes problèmes sur le dos.

Prenant une courte pause, je toisais Marion de toute ma hauteur et mon mépris, sans cacher la rage qui faisait vibrer mon âme :

- Ta vie ne doit pas vraiment être passionnante si tu prends autant de temps à pourrir celle des autres. Notre vie privée n’est pas une pièce de théâtre ! Ne t’avise plus jamais de t’en prendre à Gabriel… La menaçais-je. Ou je te promets que tu le regretteras.

- Tu crois vraiment que tu me fais peur ! Je…

Marion fut soudain arrêtée, la main de son père atterrissant violemment sur sa joue. Depuis combien de temps était-il ici ? Je n’en avais pas la moindre idée. Kay vint se placer à côté de moi, fixant Gabriel anxieux.

- Disparais de ma vue ! Je ne veux plus te voir jusqu’à nouvel ordre. Tu me fais honte Marion. Tu n’es qu’une salle petite garce égoïste et cruelle.             

L’attrapant d’une poigne ferme par le bras, il l’entraîna hors d’ici loin de nous. C’est à ce moment là seulement que je réalisais mon état. Fébrile, je tremblais encore sous la colère, presque trop faible pour maintenir Gabriel. Kay sembla s’en apercevoir car il le prit de mes bras, pour le porter tout contre lui, m’arrachant à ce que je savais être notre dernière étreinte.

- Je vais l’emmener dans sa chambre, m’expliqua-t-il, sans me laisser vraiment le temps de réagir.

Je ne dis rien, je ne fis rien, simple spectateur de la fin de notre couple. Gabriel, emporté par celui qu’il lui fallait. Je m’étais déjà mille fois imaginé cette scène, mais la vivre réellement était autre chose. Marion avait malheureusement dit vrai : j’étais dangereux, dangereux pour quiconque s’approchait trop de moi.

Cette fois-ci, je me serais au moins arrêté à temps. Tournant les yeux vers la salle qui me fixait encore, muette, je jetais un dernier regard avant de sortir. J’avais pris ma décision, dès que tout serait fini avec Gabriel, je partirais d’ici. Je ne survivrais pas à le voir dans les bras d’un autre, incertain de savoir comment ma vie serait sans lui. A cette question, je préférais ne même pas penser à la réponse. Comprendrait-il seulement un jour mon choix ? N’en avait-il tout simplement pas assez ? Tiraillé entre deux hommes, je l’aidais à faire le meilleur choix possible…

- Juha ? M’interpella Philippe alors que je sortais du bâtiment. Je suis vraiment désolé pour ce qui vient de se passer. Je… Je te donne ton après-midi, repose-toi et nous parlerons de tout cela demain.

Je ne répondis même pas, lui offrant simplement un léger acquiescement de la tête. Me détournant de lui, j’allais droit devant moi. J’avais tellement mal au cœur que pleurer me semblait impossible. Me répéter sans cesse que c’était la bonne décision me faisait pourtant tenir encore debout.

Sans trop m’en rendre compte, je me retrouvais assis sur le banc de la vielle carrière, regardant un poulain et sa mère se dégourdir les pattes dans la neige.

Inspirant profondément, je me sentais vide. La colère me quittait peu à peu. Je repensais à la chaleur de Gabriel collé tout contre moi, inconscient et au bien que cela m’avait fait. C’était en lui que j’avais puisé mes forces et pour lui que j’avais tenu tête à Marion. Fermant les yeux un court instant, je me perdis dans les souvenirs heureux que nous avions pu partager, me remémorant nos étreintes, notre première fois… Le souvenir de notre première rencontre m’aurait presque fait sourire si mon cœur n’était pas aussi meurtri.

Perdu dans toutes ses pensées pendant je ne sais combien de temps, je ne m’aperçus de la présence de Gabriel que lorsqu’il s’assit près de moi. Il gardait une distance respectueuse, étant bien loin du temps où l’on aurait pu se qualifier d’intimes. Il n’avait même pas besoin de commencer à parler, je savais et sentais pourquoi il était ici. Mon cœur tonnait dans ma poitrine, et je tentais laborieusement de me dire qu’il faisait le bon choix.

- Il est beau notre couple, tiens… Souffla-t-il avec amertume et une pointe de faux amusement dans la voix après un cours silence gêné.

Ne pouvant me retenir, je lâchais dans un murmure qui m’était plutôt adressé mais que Gabriel pris pour lui :

- Comment en est-on arrivés là ?

Choqué par ma question, il se tourna face à moi en s’exclamant :

- C’est à moi que tu demande ça ?!

Je ne répondis rien, un silence pesant et angoissant nous enveloppa. Une question finit par me brûler les lèvres, au souvenir de ce qui avait tout déclenché. Jamais je ne l’avais sondé à ce sujet, désirant au moins le savoir avant de définitivement le quitter pour le laisser se reconstruire avec un homme plus sain que moi.

- Pensais-tu réellement ce que tu as dit ?

Gabriel savait pertinemment ce à quoi je faisais allusion. S’il avait connu mon secret, il aurait trouvé ma question ridicule. Je n’avais qu’à le sond Que sa simple amitié ne me suffirait jamais, qu’il comptait pour moi plus que tout. J’aurais pu le prendre dans mes bras, démentir ses propos, lui demander de me laisser du temps. Mais n’aurais-je pas été égoïste ? Serais-je seulement un jour capable de dire à nouveau « Je t’aime » ? Je devais lui rendre sa liberté, et rester dans la prison que je m’étais forgée et dont je ne parvenais pas à sortir. J’aurais pu me battre, ne pas accepter avec autant de résignation cette séparation. Je ne sus grâce à quelle force je restais immobile et silencieux.

Gabriel finit par se lever, et commença à partir, tandis que je redoublais d’effort pour lutter contre mon envie de l’attraper par le bras et de le retenir… Mais le retenir pour quoi ? Pour le détruire d’avantage ?

Gabriel s’arrêta au bout de quelques pas, et sans pour autant se retourner, il déclara :

- Je passerais ce soir chercher quelques affaires pour la semaine…

Sans attendre de réponse, il reprit sa route, s’éloignant définitivement de moi. S’il avait tourné la tête à ce moment là, il aurait vu alors mon visage inondé de larmes…

 Je ne fis rien pour les retenir, j’en aurais été de toute façon incapable. Je restais là, le regard dans le vide, pleurant silencieusement, passif quant à ma douleur, aveugle du monde extérieur.

- Je me doutais que tu serais là… Me dit Dorian, en s’asseyant près de moi. J’ai vu Gabriel…

Je ne lui lançais même pas un regard, ni la moindre attention, murmurant plus pour moi que pour lui, formalisant à voix haute ce qui venait de nous arriver :

- C’est fini…

Les larmes redoublèrent, tandis que la main de Dorian se posa sur mon épaule. Un regard vers lui, sa compassion, ce silence, la douleur poignante me firent craquer pour de bon. La main de Dorian serra plus fort mon épaule, alors qu’il prononçait mon nom avec une voix emprunte de tristesse, avant de me demander :

- Tu lui as parlé ? Dis ce que tu avais sur le coeur ?

Je fis « non » de la tête, et Dorian répliqua aussitôt :

- Mais enfin ? Pourquoi ? Tu m’as dit hier que tu tenterais de lui parler ! Qu’est-ce qui te prend Juha ?

- Si j’avais parlé, cela aurait été trop dur pour Gabriel. Je préfère qu’il m’en veuille… C’est la meilleure solution. Je ne suis pas fait pour lui, ce qui s’est passé avec Marion en est la preuve.

Dorian ne répondit rien, me fixant en attendant que je poursuive :

- Je savais que ça devait arriver Dorian, mais je ne m’attendais pas à ce que ça fasse aussi mal…

Dorian ne résista plus. En un rien de temps, je me retrouvais dans ses bras. Ma tête se posa naturellement sur son épaule, tandis que je pleurais une fois de plus dans ses bras, sans savoir si je parviendrais un jour à m’arrêter.

Dorian me murmura quelques mots de réconfort, mais j’y restais sourd, ne tentant même pas de les entendre. Jamais je ne saurais le remercier assez pour tout ce qu’il faisait pour moi, et pour le soutient qu’il m’avait apporté pendant ces deux semaines. Lui rendant son étreinte, je le serrais contre moi, redressant légèrement la tête. Je croisais le regard du directeur qui passa de la colère à de la peine à mon égard. Il ne vint pas vers nous, poursuivant son chemin vers le parking avant de disparaître de ma vue.

Je ne sus combien de temps je restais dans les bras de Dorian avant de le quitter ayant besoin d’être seul. Dorian me proposa de me ramener chez moi, mais je lui expliquais que je préférais marcher. Il me fit promettre de l’appeler ce soir si jamais j’en avais besoin. C’est ainsi que je rentrais seul, quittant ce centre peut-être pour la dernière fois. Shanenja me suivit, docile et peu joueur, et sans un regard en arrière je rentrais chez moi… Sans Gabriel et avec ce rejet collectif quand à mon passé, je n’avais plus ma place ici.

Assis sur le canapé face à l’entrée depuis que j’étais arrivé ici, je n’avais pas fait un seul geste, me replongeant dans tout mes souvenirs : ceux avec Killian, mais surtout ceux avec Gabriel. Immobile, j’étais maintenant plongé dans le noir, sans trop en avoir conscience. Gabriel n’allait pas tarder à venir chercher ses affaires, et je savais pertinemment que ce serait véritablement la dernière fois que nous nous verrions. M’en voudrait-il d’être partit ainsi ? Certainement énormément, mais j’espérais qu’avec le temps il comprendrait. Je préférais une rupture nette et franche, que de le voir chaque jour un peu plus proche de Kay jusqu’à la concrétisation de leur couple et de leur union. Je préférais me l’imaginer simplement que de le voir de mes propres yeux. De même plus pour Gabriel, mieux valait qu’il m’oublie vite pour se reconstruire avec Kay, que je reste ainsi sous ses yeux.

La porte s’ouvrit, Shanenja se ruant vers Gabriel pour l’accueillir comme il se devait. Allumant la lumière de l’entrée, sans se douter que je le regardais, il s’agenouilla auprès de l’animal avant de le caresser longuement, me laissant imprimer en mon esprit les dernières images de lui que je pourrais emporter.

Après quoi, il se redressa et alluma la lumière. Il ne cacha pas sa surprise de me voir seul dans le salon, dans le noir. Ne supportant pas mon regard, il détourna les yeux en murmurant :

- Je… Je reste pas longtemps…

Sans un mot de plus, il se dirigea dans la chambre. Même vivre dans cet appartement sans lui me serait impossible. Peut-être partirais-je juste après lui, incapable de dormir, mieux valait que je commence à m’éloigner dès maintenant.

Une fois qu’il eut récupéré tout ce dont il avait besoin dans la chambre, il prit la direction de la salle de bain avec son sac. J’avais l’impression que cet instant n’allait jamais prendre fin. De plus, quelque chose tiraillait en moi, comme une envie de sonder Gabriel en profondeur pour vérifier la véracité de ses propos. Pourtant, je m’y refusais depuis qu’il m’avait dit m’aimer. Je m’étais coupé de lui, plus que je ne l’aurais cru, ne sachant plus comment m’y prendre. Seule la peur m’en empêchait… Saurais-je seulement m’en tenir à ce que j’avais décidé si ses sentiments correspondaient et que je me laissais envahir par eux ?

Gabriel arriva dans le salon, ravivant cette tentation à laquelle je résistais sans trop savoir comment. Plus il s’approchait de moi, et plus je sentais ma volonté s’effriter.

- Bon ben… Je… On se voit demain…

Gabriel resta un instant immobile, attendant une quelconque réponse ou réaction de ma part. Ce fut seulement au moment ou il me tourna le dos, prenant la direction de la sortie, lassé de mon comportement, que je ne pus tenir. Je ne pouvais pas partir sans savoir, et c’était maintenant ou jamais. Libérant mon don, celui-ci se déversa aussi vivement que l’eau s’échappant d’un barrage pour aller sonder Gabriel. Pas besoin de contact pour l’atteindre aussi intimement, j’avais été si proche de lui par le passé que nous étions liés.

Passant outre sa douleur actuelle, fuyant son amour pour Kay, évitant ses peurs profondes, je fis le tri à une vitesse que je n’avais jamais expérimentée. Et je parvins enfin à la dénicher, cet amour sincère et si pur. Il n’était pas caché, il était juste là sous mes yeux. Aveuglé par ma peur et ma douleur, je réalisais seulement maintenant l’ampleur du désastre qu’une séparation lui causait. Il m’aimait si profondément, que j’en fus déboussolé mais ravivé de nouvelles forces. Mes résolutions s’effondrèrent tel un château de carte. Impossible de le laisser, impossible de continuer à me taire, impossible de le laisser à un autre.

- Gabriel ! Dis-je alors qu’il venait juste de disparaître du salon.

Marchant vers lui, je me retrouvais debout devant lui, alors qu’il se retournait pour me faire face. Gabriel m’envoya simplement un regard interrogateur. J’avais l’impression d’entendre les battements frénétiques de son cœur, de sentir l’espoir et la peur qu’il ressentait. Me retirant de lui, ayant ce que je voulais, je chutais brusquement dans mon corps, déstabilisé. Si je m’étais écouté après une telle expérience qui avait ruiné toute mon énergie, je me serais effondré. Mais je ne pouvais pas, j’avais entre mes doigts une dernière chance de le récupérer, un dernier espoir, aussi faible qu’une flamme éprouvée par le vent.

Je mis apparemment trop longtemps avant de parler, ne sachant par ou commencer, car il soupira, horriblement déçu, me cachant au mieux son envie de pleurer.

- Ouais… Allez… Salut…

Son sac sur l’épaule, il esquissa un pas vers la porte. Il ne m’en fallut pas plus. Je l’attrapais par le poignet, l’empêchant de fuir.

- Gabriel… Je t’en prie…

Me cédant, Gabriel consenti à se tourner une dernière fois vers moi, m’offrant cette unique chance. Cherchant mes mots, Gabriel attendait patiemment que me lance enfin. Après une longue inspiration, je me décidais enfin à lui dévoiler ce que j’avais sur le cœur. Sans trop savoir ou j’allais, je repris d’une petite voix :

- Jusqu’à maintenant j’ai toujours fait passer Killian avant toi… Je… Je me suis enfermé dans ma douleur et la prison ne m’a certainement pas aidé à oublier et à dépasser ce cap…

- C’est l’impression que j’ai eu aussi, répliqua-t-il.

Ignorant son sarcasme, je poursuivis, laissant les mots traverser mes lèvres sans les retenir :

- Je sais que je suis bourré de défauts, que je t’ai ignoré au moment ou tu avais le plus besoin de moi… J’ai agis comme un égoïste et que toute la douleur que je ressens ne me pardonne pas de mes actes… A présent, je sais ce que ça fait de vivre loin de toi, et je peux désormais affirmer qu’il est certain que je ne peux plus vivre sans toi parce que je ne conçois pas la vie sans toi à mes côtés…

Des larmes coulèrent alors sur les joues de Gabriel. Ne cherchant pas à les interpréter, je fis une courte pause avant de reprendre ma confession :

- Plongé dans ma propre douleur, j’en ai ignoré la tienne, je n’ai pas su écouter ta détresse quand tu as avoué m’aimer… J’ai été trop orgueilleux pour avouer mes fautes tout de suite… Mais je compte bien faire un effort et aller de l’avant, mais pour cela, j’aurais besoin de ton aide car ne j’y arriverais pas tout seul, Gabriel…

Après une seconde durant laquelle il resta silencieux, certainement trop ému pour rajouter quoi que ce soit, j’ajoutais :

- J’espère sincèrement qu’un jour je n’aurais plus besoin de m’appuyer sur toi, et ce jour là seulement, je pourrais être honnête avec moi, mais surtout envers toi…

Voilà pourquoi je ne pouvais pas lui dire « Je t’aime »… Enhardi par une envie que je ne pus retenir, je m’approchais de lui, et m’emparais de ses lèvres pour un baiser violent. Pris d’une pulsion incontrôlable, comme un drogué cédant à sa dose, je forçais le barrage de ses lèvres alors qu’il restait immobile et stupéfié. Insinuant ma langue dans sa bouche, ce ne fut qu’au contact de ma langue contre la sienne que Gabriel répondit enfin au baiser à mon plus grand plaisir.

L’ardeur qu’il y mettait déchaîna un désir insoupçonné dans tout mon être. Nous étions restés tous deux bien trop longtemps loin de l’autre, pour être capable de nous retenir. Si l’empressement que Gabriel mettait dans ce baiser m’étonnait tout autant que cela me ravissait, je ne fis aucun commentaire.

Lorsque je mis fin au baiser, loin d’être rassasié, je déclarai d’une voix étrangement rauque :

- En attendant, je peux déjà te prouver d’une autre façon ce que je ne peux exprimer par des mots…

Sans pour autant lui dévoiler que je comptais m’offrir à lui, je déboutonnais sa chemise avec empressement avant de la laisser tomber sur le sol, incapable de réprimer mes envies. Ma bouche explorait déjà son cou, mordillant sa peau avant de la lécher longuement comme pour effacer la douleur causée par mes dents. Je n’aurais su décrire le plaisir que j’éprouvais à me délecter à nouveau de la saveur si particulière et légèrement sucrée de sa peau.

- Non… Juha… A… Arrête… Tenta-t-il vainement de me repousser, sachant tout comme moi qu’il ne résisterait pas longtemps.

Ne prenant pas attention à ses faibles protestations, je posais délicatement mes mains sur son torse dénudé, galvanisé par ce contact qui m’avait cruellement fait défaut, avide de faire frémir à nouveau sa peau sous mes attentions. Titillant ses tétons qui durcissaient au contact de mes doigts, Gabriel lâcha un soupir de contentement. Prenant cela comme une invitation à aller plus loin, je ne pus que descendre mes mains. Ma virilité commençait déjà à pulser contre sa cuisse, réclamant ce qui lui avait été interdit pendant ces deux semaines. Déboutonnant son jean, passant une main à l’intérieur, Gabriel sembla reprendre ses esprits, car il sursauta violemment en me repoussant. Baissant les yeux, comme honteux, il murmura :

- Je… Nous ne pouvons pas… Ce n’est pas raisonnable… Tout… Tout n’est pas encore pardonné…

- Arrête de réfléchir, Gabriel, murmurais-je d’une voix rauque qui ne cachait pas mon désir. Laisse-toi vivre… Tu n’as qu’une vie, profites-en…

Nous en avions besoin, tous les deux, et pas pour un simple besoin purement physique. J’avais besoin de sentir son corps contre le mien, tout comme c’était nécessaire pour lui. Sans lui laisser le temps de répondre, je l’embrassais de nouveau avec passion et avidité dans le but de le débrider. Réagissant à mon plus grand plaisir à mon injonction, il répondit vivement à mon baiser, glissant une main sur ma nuque et une autre dans mes cheveux afin d’approfondir notre échange.

Un frisson me parcourut l’échine, telle une décharge électrique. N’étant plus maître de moi-même, je mordis sa lèvre inférieure alors que mes mains se posaient sur ses fesses, l’attirant vivement à moi, ne supportant plus cette distance. Nos bassins se rencontrèrent alors que nos lèvres étaient toujours soudées. Soudain, Gabriel poussa un gémissement de douleur et de plaisir mêlés qui mourut dans ma bouche.

Ne lui laissant pas le temps de réfléchir aux raisons qui le pousseraient à refuser, j’investissais son corps, laissant ses résolutions fondre comme la neige au soleil. Il m’avait manqué, terriblement manqué. Aucun de mes gestes n’était dénué de tendresse ou de délicatesse, désirant seulement le retrouver, agissant comme je l’avais toujours fait avec lui dans ce genre de moment. J’avais trop besoin de lui, et je me demandais maintenant comment j’avais fait pour me résoudre à l’abandonner. Aurais-je seulement survécu à une journée sans le voir, en sachant qu’il ne serait plus jamais mien ? Comment avais-je supporté cet éloignement de deux semaines ? J’avais l’impression que cela avait duré une éternité, les secondes se comptant en années.

Gabriel semblait être dans le même état que moi, et il sursauta violemment lorsque je mordillais délicatement le lobe de son oreille, un bras passé avec possessivité autour de sa taille. A ce contact, Gabriel se cambra violemment, nous arrachant à tous deux un gémissement de plaisir lorsque nos virilités entrèrent en contact.

Galvanisé par mon désir plus qu’évident qui battait contre sa cuisse, Gabriel se mit à onduler du bassin, attisant son propre désir tout autant que le mien. A mon plus grand plaisir, il se désinhiba à son tour, me montrant le Gabriel que moi seul connaissait. Entreprenant de me toucher, il mit fin au baiser, explorant de ses lèvres mon visage avant de descendre jusqu’à mon cou, tandis que ses mains se frayaient un chemin sous sa chemise.

Un frisson bien plus violent que le précédent parcourut à nouveau mon échine à cet effleurement, et la seconde qui suivie, Gabriel se retrouvait vivement plaqué contre le mur de l’entrée, alors que je maintenais fermement ses mains au dessus de sa tête, le mettant à ma merci.

Un sourire amusé étira ses lèvres face à la réaction que je venais d’avoir et que je n’avais pu contrôler. Je ne cherchais d’ailleurs en rien à me retenir. Je dévorais son cou et son torse avec une avidité et une gourmandise non feintes. A chaque instant, je savourais sa le gout de sa peau, unique et exaltant. Soudain, un couinement d’impatience s’échappa de ses lèvres entrouvertes lorsque ma langue vint jouer avec ces tétons durcis par le plaisir en même temps que mon genou venait écarter ses cuisses, rapprochant ainsi plus qu’il n’était possible, nos bassins et nos virilités douloureusement tendues. Je n’avais dès lors plus le moindre doute sur l’envie de Gabriel et sur mon propre désir. Les joues et le corps en feu, Gabriel s’abandonnait totalement à moi, m’offrant cette fameuse confiance qui m’effrayait…

Ses mains étaient toujours retenues prisonnières par ma poigne de fer, et il ne pouvait me toucher et me caresser à sa guise, alors que je sentais cette envie lui bruler les doigts. Pleins de ressources, Gabriel pris appuis contre le mur avant de passer ses jambes autour de mes hanches, le pantalon ouvert. Esquissant un lent déhanchement tout en gémissant sans retenue aucune, Gabriel accroissait mon désir déjà plus que conséquent. Fier de l’effet considérable qu’il avait sur moi, il esquissa un sourire ravi, tandis que mes mains venaient se poser sur ses fesses. Les jambes fermement entourées sur ma taille, Gabriel ne pesais presque rien. Il passa un bras autour de mon cou pour m’attirer à lui et ravis mes lèvres d’un baiser enflammé. Se laisser vivre : Gabriel avait pris mon invective au pied de la lettre.

Nos langues se rencontraient ardemment, en manque l’un de l’autre, entraînant sa jumelle dans un ballait érotique et sensuel, toujours plus endiablé, toujours plus profond. Nos corps soudés l’un contre l’autre s’emboitaient à la perfection. Maintenant libre, les mains de Gabriel vinrent vagabonder sur mon corps laissant cours à la passion qui le consumait. Mes vêtements m’empêchaient de véritablement sentir le toucher direct de ses doigts sur ma peau, et cela semblait le troubler tout autant. Bientôt, je laissais sa langue abandonner la mienne, et Gabriel alla se perdre dans la peau de mon cou. Celui-ci prit un mail plaisir à titiller les zones érogènes qu’il y trouva. Le plaisir apporté m’obligeant à laissé échapper des gémissements qui semblait ravir les oreilles de mon amant. Totalement attentif, mon attention toute entière tendu vers ce qu’il me faisait, j’étais tout entier soumis à la moindre de ses caresses et de son bon vouloir.

J’acceptais cette douce torture qu’il fit durer encore un instant, puis lassé de ce petit jeu, il entreprit de passer à autre chose. Non sans difficulté, il déboutonna mon jean. Au contact aérien de ses doigts effleurant ma virilité, je ne pus m’empêcher de me cambrer afin d’approfondir ce contact jugé trop succin, tout en étouffant dans son cou un gémissement rauque incontrôlable. En position d’infériorité face à moi, je ne lui concédais pas moins qu’il était maître de mon plaisir.

Se démenant, il parvint à glisser sa main dans mon boxer et du bout des doigts, il effleura avec hésitation mon érection alors qu’ondulant du bassin, les dents plantées dans son cou, je me laissais complètement aller au plaisir qu’il me faisait ressentir. Les petits cris que je poussais aidèrent Gabriel à prendre confiance en lui et il raffermit sa prise sur ma virilité.

Lentement, il entama un lent va et vient ponctuer de baisers frénétiques déposés dans mon cou. Ivre de plaisir, je tentais d’atteindre le plus rapidement possible les sommets du plaisir en de vigoureux déhanchement, savourant à chaque instant ce que m’offrait mon amant. Cependant, Gabriel gardait obstinément le même rythme horriblement lent dans le but d’attisé au maximum mon désir, cessant parfois tout mouvement ce qui lui valait de ma part un grognement rauque de mécontentement. Jouant de ma patience et de ma capacité à tenir, il accéléra enfin la cadence de ses va et vient, cessant sa torture, m’arrachant un cri d’exaltation à l’état pur. Alors que j’étais sur le point de me libérer, me retenant au maximum, Gabriel finit par accélérer d’avantage. Un instant plus tard, je me libérais dans sa main en un cri de jouissance, irradié par ce plaisir irrationnel et dévastateur.

Il fallut un moment avant que je reprenne mes esprits, restant la tête posée sur son épaule et le visage enfoui dans son cou. La respiration saccadée, je pris le temps de me remettre de cet orgasme violent qui avait déferlé sur moi.

Lorsque ma respiration fut redevenue à peu près régulière, je plongeais mon regard dans le sien, un petit sourire satisfait encore dépeint sur ses lèvres. Avec une avidité sans cesse renouvelée, je m’emparais de ses lèvres tout en entamant un langoureux mouvement de bassin qui réveilla instantanément son désir, bien décidé à lui rendre la pareille. Ravis, j’entendis un gémissement étouffé naître dans sa gorge alors que je me frottais lascivement contre son intimité, lui rendant la monnaie de sa pièce de la manière la plus agréable possible.

Puis, je retirais mes mains de sous ses fesses, et les posais sur ses hanches nue, désirant une position plus convenable pour ce qui allait suivre. L’esprit embué, Gabriel se contenta de me libérer de ses jambes et repris appuis sur ses pieds. Ravi, je laissais glisser mes mains jusque sur ses fesses, m’insinuant sans pudeur mais sans brusquement aucune dans son boxer que je fis lentement glisser le long de ses cuisses en même temps que son jean et ses chaussettes, le voulant entièrement nu sous mes yeux.

Jamais je ne me lasserais de cette vue qui s’offrait maintenant à moi. Je le vis fermer les yeux, et il retint à grand peine un gémissement de plaisir lorsque mes doigts s’enroulèrent délicatement et avec savoir faire sur sa virilité tendue que je savais douloureuse.

M’agenouillant face à lui, je ne tardais pas à laisser ma langue s’enrouler autour de son érection alors que je le prenais en bouche. A mon tour avec une lenteur exagérée, j’entamai un doux va et vient le long de son intimité, lui arrachant un profond soupir de bien être que je désirais entendre encore et encore. Me concentrant sur ma tache, je sentis tout de même les doigts de mon amant se glisser dans mes cheveux. Après un instant de ce traitement, je cessais tout mouvement, lui arrachant un sanglot de protestation qui mourut dans ma bouche après que je me sois relevé afin de lui voler un baiser fiévreux, déjà en manque de ses lèvres.

Puis, libérant ses lèvres après avoir léché le sang séché de ma morsure, ma langue explora son corps comme pour la première fois, le faisant frissonner de plaisir. Il était indéniable que je prenais autant de plaisir que lui à agir ainsi. Le voir se languir ainsi valait tout les trésors du monde. Reprenant ma descente, je m’arrêtais sur son tout nouveau tatouage, prenant cette fois véritablement le temps de l’observer. Avec une extrême délicatesse, j’effleurais de mes doigts cette zone encore sensible, qui eu pour effet de lui déclencher un violent frisson.

Je l’étudiais longuement, l’impriment en ma mémoire comme une chose faisant maintenant partie de mon amant, avant de prendre de nouveau entièrement son sexe en bouche. Les yeux clos, Gabriel cria de plaisir, m’invitant à aller bien plus loin et à cesser de me faire languir. Ma langue experte s’enroulait en un mouvement irrégulier autour de son intimité, le guidant irrémédiablement aux portes de la jouissance. Je sentais Gabriel se noyer dans le plaisir qu’il ressentait, perdant peu à peu conscience de l’espace et du temps. Nous étions tous deux uniquement concentré sur le plaisir que je lui offrais.

Ce fut après une caresse plus poussée que je sentis Gabriel vaciller. Le comprenant proche de la libération, j’accélérais la cadence. Allant toujours plus loin, ce fut après une dernière caresse profonde et bien plus poussée que Gabriel se libéra dans un cri de jouissance qui tinta harmonieusement à mes oreilles. Ses jambes ne supportant plus son poids, il s’écroula sur le sol, le souffle erratique. Sautant sur l’occasion, je vins immédiatement lui voler un baiser passionné.

Agenouillé entre ses cuisses, je déposais des milliers de baisers papillons sur son visage, et son corps moite de sueur, le laissant lentement se remettre de ses émotions et qu’il stabilise sa respiration.

Levant la main, il la posa avec tendresse sur ma joue rugueuse et mal rasé, me forçant à relever la tête et planta son regard dans le mien. Dans ses pupilles, je pu y lire les mots qu’il n’avait pas la force de prononcer. Après une longue minute à nous fixer ainsi, il m’attira à moi et avec une extrême délicatesse, il prit possession de mes lèvres, dans un baiser débordant d’amour, un baiser emprunt d’une douceur qui m’avait fait défaut depuis des années.

Ce baiser n’avait rien à voir avec les précédents baisers enflammés que nous avions partagés. Non, celui-ci scellait enfin notre réconciliation et le pacte que nous venions d’échanger silencieusement. Nous nous promettions tous deux, que plus jamais une crise comme celle que nous venions de vivre n’arrive à nouveau. Jamais nous n’oublierons ces deux dernières semaines, les gardant en mémoire pour ne plus jamais en arriver là…

Dans ce baiser, je sentis Gabriel mettre tout son amour et son désir pour moi, alors que ses bras se refermaient sur moi, me laissant dans une étreinte qui faisait battre mon cœur.

Lorsque nos lèvres ses séparèrent, Gabriel glissa son visage dans mon cou, inspirant profondément avant de murmurer au creux de mon oreille dans un souffle :

- J’ai envie de toi… Mais pas ici… Pas comme ça…

Sa demande me surpris, jamais Gabriel ne s’était montré aussi direct et avenant. Plantant mon regard dans le sien, je cherchais ce qui pouvait être la cause d’un tel changement. Je ne pouvais pas dire que je n’appréciais pas Gabriel ainsi, plus débridé, au contraire, mais je n’étais pas habitué. Celui-ci se mit à rougir, sans détourner les yeux, me montrant à quel point il était déterminé. Il en avait autant envie que moi, mais s’offrait de manière différente. Etait-ce du au fait qu’il m’avait révélé m’aimer, ne voyant plus de limite entre nous deux. Mon regard s’illumina, heureux de connaître à nouveau ce sentiment, heureux de sentir Gabriel plus proche de moi comme jamais il ne l’avait été.

Un sourire vint se dépeindre sur mes lèvres et m’arrachant à son étreinte, je me levais pour accéder à sa requête. Debout face à lui, je ne pus m’empêcher de le contempler sa nudité, avant de lui tendre la main, jugeant l’avoir suffisamment admiré. Gabriel m’adressa un sourire et attrapa la main que je lui tendais avec cette confiance en cet instant ne m’effrayais pas.

D’un geste vif, mais emprunt de tendresse, je l’aidais à se relever, l’attirant contre moi, entourant sa taille d’un bras possessif, ne désirant pour rien au monde le laisser fuir. Un léger sourire dépeint sur les lèvres, Gabriel soutint mon regard. Il s’avança lentement vers moi afin de ravir mes lèvres, à mon plus grand plaisir. Ne pouvant cependant pas supporter sa progression volontairement hésitante, je comblais l’espace qui nous séparait encore avec un empressement non dissimulé.

Bientôt, ma main alla se perdre sur ses fesses, très vite rejointe par sa jumelle. Sans jamais rompre le contact de nos lèvres soudées, je le guidais à travers le salon. Au passage, il fallut bien évidemment que je trébuche sur un objet non identifié, qui faillit nous faire chuter tous les deux. Cramponnés l’un à l’autre, Gabriel esquissa un sourire amusé, tandis que je reprenais ses lèvres en otage. Jamais je ne me lasserais de leur gout, jamais je ne voulais les laisser à quelqu’un d’autre.

Une fois arrivés dans la chambre, je laissais à peine le temps à Gabriel de fermer la porte sur notre passage, la poussant simplement du pied. Sans faire attention, je buttais contre le pied du lit. Chutant sur le matelas, je m’agrippais à lui, l’entrainant dans ma chute.  Gabriel se retrouva allongé sur moi, le visage enfoui dans mon cou. Je ne pu retenir un sourire, amusé par cette chute, mais je fus bien vite emporté par la bouche de Gabriel se déposant sur ma peau. Il était indéniable qu’il gagnait en savoir faire…

Il finit par se redresser, s’agenouillant sur mon bas ventre. Me chevauchant sans la moindre honte, il ondula du bassin, provoquant chez moi une réaction qu’il fut obligé de sentir. Comme si rien n’avait été fait jusqu’à maintenant, mon excitation revenait au point de départ, avide de toujours plus. Les deux mains posées à plat sur mon torse, Gabriel ferma les yeux, mordant sa lèvre inférieure en retenant un gémissement la tête légèrement penché sur le côté. Cette vue me rendait encore plus fou.

Le souffle erratique, il reporta son attention sur moi, me fixant d’un regard à moitié voilé par le plaisir qu’il partageait avec moi. Mes mains posées sur ses hanches, je le guidais au mieux dans son déhanchement, ne le quittant pour  rien au monde du regard. Je n’arrivais cependant pas à cacher ma surprise de le voir ainsi, poussant toujours les limites qu’il s’était inconsciemment fixé. C’était parfait pour ce que je prévoyais pour la suite. Rien que l’idée que je sois sien faisait battre mon cœur encore plus vite, vibrant à cette simple pensée.

Comprenant mon étonnement, Gabriel esquissa un petit sourire en coin, et dans un geste narquois, il pressa plus vivement son intimité contre la mienne, déjà douloureuse, m’arrachant un cri de plaisir à l’état pur.

Dans un état second, je le sentis tout de même se pencher vers moi. Il entreprit de gouter la peau de mon cou, alors que ses doigts se faufilaient habilement sous mon t-shirt. Comment avions nous pu nous passer de cela pendant deux semaines ? Je me rendais compte à chaque instant à quel point Gabriel était devenu vital pour moi, sa présence, son odeur, son corps, son être tout entier… Oh comme il m’avait manqué…

Lentement, il remonta mon vêtement, découvrant la peau de mon ventre sans se gêner pour la regarder et la caresser. Je me laissais faire, trop heureux de lui laisser prendre des initiatives. Attiré par mon corps, Gabriel finit par y poser ses lèvres. A ce contact, mon ventre se contracta alors qu’un gémissement rauque s’échappa de ma gorge. Avec une lenteur exagérée, il redessina la courbe de mes muscles, remontant vers mes tétons durcis par le plaisir qu’il me procurait. Je pouvais sentir mon corps entier bouillir de désir, me vrillant les reins, me coupant du monde extérieur, pour ne vivre qu’avec mon amant.

D’humeur taquine, celui-ci se contenta d’en effleurer un du bout de la langue avant de faire le même avec le second, me laissant en plus la caresse de son souffle chaud irradiant l’entièreté de mon corps. Gabriel réitéra son action plusieurs fois et je ne pus retenir un grondement sourd d’impatience, lui faisant comprendre qu’il était temps de passer à autre chose.

Un sourire satisfait étira ses lèvres alors qu’il se redressait pour dévorer avec avidité mes lèvres, baiser auquel je souhaitais répondre avec la même envie.  Mais alors que j’entrouvrais la bouche, Gabriel s’écarta de moi, m’adressant un regard menaçant et cessant tout mouvement du bassin. Ne comprenant pas ce qu’il voulait, je rongeais mon frein, alors qu’il se penchait vers moi. Mordillant le lobe de mon oreille, il me souffla de manière suave :

- Tu es bien pressé, honey… N’était-ce pas toi qui me disais que nous avions tout notre temps ?

A ces mots, il me lécha l’oreille, me faisant frissonner avant de se redresser. Je ne pu m’empêcher de lui adresser un regard meurtrier, faussement agacé par sa réplique, alors qu’il avait tout fait pour me mettre dans cet état. Son sourire s’accentua, et après m’avoir volé un énième baiser, il commença à jouer avec mon téton droit de manière plus franche, le mordillant délicatement avant de le suçoter longuement. Je me cambrais alors violemment sous l’afflux de plaisir et ne tenant plus, j’inversais nos positions d’un habile cou de rien. Son petit jeu avait assez duré et j’allais lui rendre la monnaie de sa pièce.

A présent totalement à merci, je ne surplombais de toute ma hauteur, le contemplant tout en réfléchissant à ce que j’allais pouvoir lui faire. Une lueur victorieuse illuminait mon regard, tandis que Gabriel acceptait sans broncher le changement de situation.

Comme il l’avait fait précédemment, j’entamais un lent et langoureux déhanchement qui lui arracha un gémissement muet, sa voix se bloquant dans sa gorge. Puis, sans cesser d’attiser son désir, je retirais mon t-shirt, le laissant tomber au pied du lit d’une manière sensuelle.

Gabriel ne sembla pas se gêner pour me contempler comme je l’avais fait. Mais bien vite en manque de nos baisers, il m’attira pas la ceinture qui ne maintenait plus vraiment mon jean, et dans un mouvement brusque, il m’attira à lui avant de ravir mes lèvres avec toute la passion qui grandissait en lui. Amusé, je me retins de lui donner la même réplique. Pas le moins du monde décontenancé par sa son excès de désir, je répondis avec fougue à son baiser alors qu’il tentait, avec une certaine maladresse due à la hâte de retirer mon jean et mon boxer, dans un désir d’égalité.

Une fois cela fait, j’entendis Gabriel soupirer de contentement lorsque je collais mon corps tout contre le sien, sentant sa peau brûlante, m’électriser un peu plus. Il laissa ses mains caresser ma peau luisante de sueur. Soudées, nos lèvres s’emboitaient parfaitement, ne désirant pour rien au monde se séparer. Avide l’un de l’autre, nous nous faisions mutuellement savoir à quel point nous nous étions manqué et l’importance de notre frustration. Dévorant ses lèvres avec avidité, j’entrainais sa langue dans une chorégraphie complexe et tumultueuse, à laquelle il répondit sans se faire prier, me montrant un désir de plus en plus pressent.

Après ce baiser qui nous laissa tout deux pantelant, j’imprimais un rapide déhanchement sur son intimité durcie, lui arrachant un cri de pur plaisir charnel. Glissant dans son cou dont des frissons parcouraient la peau, je décidais qu’il était plus que temps de passer à autre chose. Hésitant tout de même, et appréhendant sa réaction, je finis par me lancer, murmurant à son oreille :

- Gabriel… S’il te plait… Prend-moi…

Ce n’était qu’un murmure à peine soufflé, telle une supplique, agrémenté d’un langoureux déhanchement. Gabriel réagit aussitôt, se redressant sur un coudre, l’autre main posée sur ma poitrine, me repoussant à une distance raisonnable. Il semblait peu certain d’avoir compris le sens de ma supplication et il me demanda d’une voix tremblante de surprise et d’appréhension mêlés :

- Qu… Quoi ?

Je déposais ensuite mes lèvres sur les siennes, l’aidant à prendre sa décision, mais Gabriel me repoussa une seconde fois :

- Je… Non… Juha, je peux pas… Je ne sais pas… Ne me demande pas de…

Alors qu’il était en train de se perdre dans des explications impossibles, ses yeux s’humidifièrent de larmes, retrouvant alors le Gabriel sensible et pétri de timidité. Posant mon index sur ses lèvres, je lui intimais de se taire silencieusement. Je ne pouvais décemment pas le laisser ainsi.

- Qui aurait cru que derrière ses poses sensuelles se cacherait le plus grand timide que cette terre ait jamais vue ? Soufflais-je avec un sourire tendre. Je comprends ta peur pour l’avoir déjà ressentie, Gabriel, repris-je en retrouvant mon sérieux. Tu en es capable, je le sais et si cela te rassure, je te guiderais…

Honteux, Gabriel n’osait me regarder. Prenant son visage en coupe, je le forçais à me faire face, avant de m’emparer violemment de ses lèvres. Ce n’étais pas un de mes caprices, je voulais réellement que Gabriel me fasse sien. Si je ne pouvais encore lui ouvrir mon cœur totalement, je voulais qu’il sache combien il comptait pour moi. Dans mon baiser, je mis toute la passion et le désir dont j’étais capable. L’invitant à aller plus loin, le tentant, je fis preuve de savoir faire et d’érotisme, ma langue entrainant la sienne dans un ballet endiablé. Cela eu l’effet escompté, augmentant considérablement son désir jusque là entre-parenthèse.

Un gémissement de plaisir naquit bientôt dans sa gorge pour aller mourir dans ma bouche. Prenant cela comme une réponse muette, trop heureux, j’accentuais mes déhanchements, parachevant son désir pour moi. Mes lèvres se collèrent aux siennes et un cri de volupté s’échappa alors de ses lèvres entrouvertes, berçant mes oreilles avec douceur. Les mains posées sur son torse, j’ondulais sur son imitée, gémissant érotiquement son prénom, cherchant à le pousser au bout de ses limites pour ne pas laisser place à l’hésitation. J’obtins l’effet escompté. Alors que j’haletais son nom entre deux gémissements, Gabriel sembla perdre la tête et d’un mouvement brusque, il inversa nos positions.

Un sourire carnassier étira mes lèvres, le désirant à l’instant même tel que je n’avais jamais désiré un autre homme. J’oubliais Killian, ne désirant pour rien au monde comparer. Il n’y avait que Gabriel dans ce monde là, un monde qui n’était pas fait pour plus de deux personnes. Juste Gabriel et moi…

Avidement, Gabriel s’empara de mes lèvres pour un baiser ardent comme rarement encore il en avait été l’auteur. Alors que nos langues se caressaient avec sensualité, je sentis ses doigts s’immiscer entre nos lèvres.

Aussitôt, comprenant ce qu’il voulait, je délaissais sa langue, pour me concentrer sur ma nouvelle tache avec un plaisir que je ne cherchais pas à lui dissimuler.

Pendant un long moment, j’humidifiais abondamment ses doigts, Gabriel mêlant parfois sa salive à la mienne lorsqu’il était trop en manque de nos baisers. Un instant plus tard, je consentis à les libérer, et après un énième baiser, désirant lui laisser tout le temps dont il avait besoin pour se lancer, Gabriel laissa ses doigts courir lentement sur mon corps luisant de transpiration. Je ne pus retenir un gémissement rauque lorsque sa main arriva au niveau de mon intimité, luttant contre un désir terrible d’être possédé à l’instant. J’écartais mes cuisses, en une invitation plus qu’explicite. Gabriel sembla rougir, mais il ne me laissa pas le temps de voir ses joues, car il s’empara de mes lèvres, certainement pour se donner du courage.

Avec une lenteur un peu trop exagérée qui trahissait son anxiété de mal s’y prendre, il insinua un premier doit en moi avec délicatesse. Avec inquiétude, il fixa mon visage, comme prêt à tout arrêter au premier signe de douleur. Savait-il seulement la torture qu’il me faisait vivre ? Un sourire amusé étira mes lèvres et passant un bras autour de son cou, je l’attirais à moi et murmurais à son oreille :

- Je ne suis pas en sucre, tu sais…

- Te moques pas, gémit-il honteux. J’ai tellement peur de te faire mal…

- Je ne moque pas Gabriel, soufflais-je avant de l’embrasser tendrement afin de le rassurer. Continue comme tu fais, c’est parfait…

Gabriel esquissa un sourire timide et repris à ma plus grande joie, un lent va et vient, entreprenant de me préparer avec un peu plus de conviction. Je n’hésitais pas à le guider à l’aide de soupirs et de gémissements. Ce début de préparation était fait avec tellement de douceur et de tendresse que je ne ressentis aucune douleur. L’excitation était de toute façon trop forte et j’étais parfaitement détendu dans ses bras. Étrangement, c’était une forme de confiance que je commençais déjà à lui offrir…

Après un temps, rassuré de ne pas me faire mal, Gabriel me pénétra d’un deuxième doigt, l’insérant en moi avec la même délicatesse. Si celui-ci fut au départ gênant, il n’était pas douloureux. Sans se départir de sa douceur, il entama un lent mouvement de va et vient, alors que je m’emparais de nouveau de ses lèvres. Une fois le baiser rompu, Gabriel se redressa, observant avec attention mon visage. Gémissant sans retenu, m’empalant de moi-même sur ses doigts, je lui donnais une réponse plus qu’explicite.

Une lueur de désir à l’état pur éclaira ses prunelles alors qu’il inséra un dernier doigt en moi. Celui-ci fut légèrement douloureux, mais je fis tout pour m’habituer à cette intrusion. Gabriel cessa tout mouvement, déposant des dizaines de baiser papillons sur mon visage, souhaitant me faire oublier… Un sourire de remerciement naquit sur mes lèvres, entièrement satisfait de Gabriel et de ses attentions.

Gabriel me vola un baiser, comme dépendant de ma bouche, tout comme je l’étais avec ses lèvres. La douleur finit par n’être plus qu’un vague souvenir, mais Gabriel continua de longues minutes à me préparer. Je n’avais pas besoin de me servir de mon don pour comprendre qu’il avait du mal à se retenir, ressentant la même envie pressante. M’empalant toujours plus profondément sur ses doigts, mon corps entier réclamait bien plus. Lorsque je ne pus plus tenir une minute de plus, je murmurais entre deux gémissements, l’esprit dans le vague, perdu dans mon désir, enivré par mon plaisir :

- Gabriel… Maintenant… Prend-moi… S’il te plait…

Tétanisé par ma demande empressée, Gabriel stoppa net tout mouvement avant de plonger son regard dans le mien. Je ne pouvais rien faire pour lui cacher mon désir puissant et enflammé. M’apercevant de son hésitation, je me redressais sur mes coudes, et le fixant dans les yeux, je déclarais le plus sérieusement du monde :

- Je te veux Gabriel… Viens…

Sans lui laisser le temps de répondre, je l’embrassais avais voracité, tandis qu’il prenait place avec hésitation entre mes cuisses. De fine gouttes de sueur perlaient sur ses tempes, collant ses cheveux à son front. A aucun instant je ne quittais ses yeux, le suppliant de venir enfin…

Ce ne fut heureusement qu’après un dernier instant d’hésitation qu’il finit par s’insinuer extrêmement lentement en moi. Un soupire de satisfaction traversa mes lèvres alors que Gabriel découvrait l’inconnu.

Toujours trop précautionneux, Gabriel ne se laissait malheureusement pas totalement aller. Tout deux satisfait de manière incomplète, je pris les choses en main, ne pouvant plus attendre pour le sentir entièrement en moi, lui livrant mon corps… Je lui arrachais un cri de surprise et de plaisir mêlés lorsque je m’empalais brusquement sur son érection, d’un habile coup de rein. Un cri de pur plaisir enfin assouvi s’échappa de mes lèvres, faisant écho au sien. Sans attendre, en voulant toujours plus, j’entamais un rapide va et vient, ignorant la douleur qui, je le sentais, passerait très vite…

Gabriel me laissa faire un instant, trop envahi par ce nouveau plaisir, le regard perdu sur mon corps. M’enveloppant dans cette luxure, je me laissais totalement aller à notre plaisir, me mouvant sur lui, dans un état second. Mais mon amant finit par reprendre le contrôle de notre union, et je le laissais faire sans la moindre résistance. Les mains posées sur mes hanches, il nous imposa un tout autre rythme, bien plus langoureux, qui je le savais était destiné à attiser notre plaisir.

Ivre, je laissais cours à mes gémissements, qui finirent par avoir raison de Gabriel qui accéléra sa cadence, me pénétrant toujours plus profondément. Je n’avais connu pareille intensité qu’avec une seule personne, mais c’était à Gabriel uniquement que je m’offrais cette nuit-là, comme toutes celles qui suivraient. Je n’appartenais qu’à lui et à son amour…

Les yeux rivés sur mon visage ravagé par le plaisir, Gabriel ajouta encore à mon plaisir en prenant mon sexe en main, calquant sur celui-ci le même rythme régulier de ses déhanchements. Je ne pus qu’ouvrir la bouche en un cri muet de plaisir, et passant mes bras autour de son cou, je l’attirais à moi pour un baiser ardent, le remerciant ainsi silencieusement.

Puis, sentant que j’arrivais au point de non-retour, Gabriel accéléra astucieusement la cadence, menant la danse à la perfection. Dans un ultime coup de rein, bien plus amble et plus profond que les précédents, Gabriel m’envoya dans les bras d’un orgasme foudroyant, d’une intensité sans pareille. Je me libérais entre nos deux corps enlacés, criant son prénom. Gabriel ne tarda pas à me rejoindre alors que je cambrais mon corps tout entier, effleurant la chute de ses reins. Il se libéra en moi dans un cri de jouissance qui me combla plus qu’il n’était possible.

Le corps luisant de sueur et parsemé de tremblements, mon amant se laissa retomber entre mes bras, enfouissant son visage dans mon cou. Sa respiration était encore saccadée et de mon côté, je me remettais lentement de mon orgasme, mes doigts effleurant lentement le creux de ses reins en un apaisant mouvement qui le fit frissonner.

- Je ne te savais pas si sensible à cet endroit, soufflais-je en esquissant un sourire.

- Je t’aime, souffla-t-il sans relever ma remarque précédente.

Au lieu de me faire peur, de me paralyser, un sourire tendre se dessina sur mes lèvres alors qu’il se redressait pour me voir. Je ne pouvais encore lui donner de réponse orale, mais alors qu’il répondait à mon sourire, je m’emparais de ses lèvres pour un baiser des plus doux, lui montrant que j’étais loin d’y être indifférent, acceptant ces quelques mots et ses sentiments. Gabriel finit par se retirer de moi, et se blotti amoureusement entre mes bras. Je l’embrassais sur la tempe tandis que du bout des doigts, je décollais les mèches de cheveux collées sur son front.

La tête callée au creux de mon épaule, mon amant effleura délicatement du bout des doigts la peau de mon torse, engourdi par la fatigue.

Il finit par s’endormir alors que je veillais encore quelques instant, ne me laçant pas de passer lentement mon bras dans son dos, enivré par son souffle chaud dans mon cou. J’avais du mal à croire que tout cela était réel, et pourtant… Emporté à mon tour, bercé par sa respiration calme et régulière, j’allais le rejoindre dans les bras de Morphée…

Je me réveillais seul dans le lit le lendemain matin. Ouvrant les yeux, le cœur battant, j’eus peur d’avoir simplement vécu un rêve cette nuit là, même si mon corps légèrement courbaturé semblait me prouver le contraire. Tendant l’oreille, je n’aurais su décrire le soulagement que je ressentis lorsque j’entendis du bruit dans la cuisine. Un sourire se dessina alors sur mes lèvres au souvenir de cette nuit partagée… Certes, une discussion allait être nécessaire, mais un espoir nouveau prenait naissance en moi.

Après quelques minutes, je décidais de me lever pour aller le rejoindre, craignant malgré moi sa réaction. Tentant de ne pas y penser d’avantage, j’attrapais mon boxer et mon jean négligemment jeté sur le sol la veille avant de les mettre, n’ayant rien d’autre sous la main à me mettre. Une douche serait de toute façon nécessaire.

Je retrouvais Gabriel dans la cuisine, mais je ne m’attendais certainement pas à le voir ainsi, nu, avec une simple serviette autour de la taille, dos à moi, en train de faire la vaisselle. D’ici, je pouvais voir sa fine cicatrice, mais rien n’aurait pu enlever à mes yeux la beauté de son corps. Elle faisait partie de lui, simple pointe de l’iceberg, cachant bien plus de souffrance qu’on ne pouvait se l’imaginer. Aurais-je un jour le courage de lui dire comment je pouvais le comprendre ?

M’approchant légèrement de lui, un désir à nouveau  insatiable s’empara de moi, et d’une voix rauque, je déclarais avec une pointe d’amusement :

- Quelle agréable vision divine qui s’offre à moi au réveil. J’espère avoir droit plus souvent à des visions de rêves comme celle là…

Sursautant, Gabriel marmonna ensuite en râlant :

- Oui, dans tes rêves.

Loin d’être arrêté, je réduisis la distance entre nos deux corps avant de l’enlacer jalousement par la taille une fois arrivé à sa hauteur. Mes lèvres se déposèrent presque instinctivement sur sa nuque en un frôlement à peine prononcé. Loin d’être satisfait, je l’attirais d’avantage à moi, collant volontairement mon intimité contre ses fesses pour lui montrer l’effet que la vue de son corps aussi peu vêtu produisait chez moi.

Prenant plaisir à le voir perdre ses moyens, déjà fébrile à mon contact, je déposais une nouvelle fois mes lèvres dans son cou avant de les laisser dériver jusqu’à son oreille au creux de laquelle je murmurais après l’avoir léchée avec sensualité :

- Tu disais ?

Pour toute réponse, Gabriel pencha légèrement la tête en arrière afin de m’offrir son cou, laissant à ma langue un plus grand champ d’action. Cédant avec plaisir à sa demande muette, je m’empressais de le combler. Dans un soupire qui ressemblait plus à un gémissement, Gabriel finit par souffler :

- Tu es insatiable, mon amour…

- Comment l’être, répondis-je ayant du mal à cacher mon trouble au sujet du dernier mot qu’il avait employé. Tu es tellement désirable… Surtout quand tu te promènes nu dans l’appartement, ajoutais-je avec une pointe de moquerie, afin de dissimuler au mieux le sentiment étrange qu’il faisait naître en moi à m’appeler ainsi.

S’arrachant à mon étreinte, il se retourna vivement, les joues rouges cramoisies. Il s’exclama, protestant :

- Je ne suis pas nu !!

D’un air mi amusé mi sceptique, je me reculais et d’un air appréciateur qui ne fis qu’accentuer sa gène, je le détaillais de la tête aux pieds sans la moindre pudeur avant de déclarer :

- C’est tout comme… Répondis-je, un sourire intentionnellement vicieux étirant mes lèvres.

Sur ces mots, je m’approchais à nouveau de lui et l’embrassais avec passion, tandis que sans la moindre résistance, mes mains se posèrent sur ses fesses. Le soulevant, je le fis s’asseoir sur le plan de travail. Gabriel s’empressa de m’emprisonner entre ses jambes, les mains posées sur mes hanches alors que les miennes caressaient lentement ses cuisses avec une envie non dissimulée.

- Bonjour, murmurais-je entre deux baisers déposés à la base de son cou.

- Bonjour, souffla-t-il à son tour, semblant avoir beaucoup de difficulté à retenir un gémissement de satisfaction.

Je ne pouvais m’empêcher de repenser au terme qu’il avait employé et au plaisir que j’en avais ressentis. Si bien qu’au bout d’un moment, je finis par craquer :

- Et si… Tu me redisais… Ce que tu as dit tout à l’heure, soufflais-je tout en embrassant son cou, le faisant frissonner de plaisir alors que ma langue explorait cette zone que je savais particulièrement sensible.

- Ce que j’ai dit tout à l’heure ? Répéta-t-il, semblant surpris par ma demande et ne voyant pas là où je voulais en venir.

- Oui, ce que tu as dit, repris-je en lui faisant face, le fixant avec insistance, déterminé. Rappel-toi…

Après quelques secondes de réflexion, il répondit :

- J’ai dit que tu étais insatiable…

- Non, le coupais-je sans méchanceté, d’une voix douce. Après…

- J’ai dit que je n’étais pas nu, murmura-t-il en rougissant légèrement.

- Avant, le corrigeais-je avec une pointe d’amusement dans la voix, prenant plaisir à le voir chercher, ayant du mal à ne pas se laisser déconcentrer par mes doigts qui se faufilaient sans la moindre honte sous sa serviette pour effleurer l’intérieur de ses cuisses.

L’esprit embrouillé, loin d’être aidé par mes attouchements, Gabriel finit par déclarer d’une petite voix penaude :

- Je… Je suis désolé… Hummm… Je ne vois pas, gémit-il après une caresse plus poussée prodigué de ma part par sadisme.

- Tu vas devoir te faire pardonner alors… Soufflais-je avant de laisser ma langue suivre la courbe de sa clavicule gauche, savourant comme à chaque fois le goût suave de sa peau, lui arrachant un couinement de plaisir.

- Pourquoi ? Haleta-t-il. Qu’est ce que j’ai dit ?

- Tu m’a appelé « mon amour », murmurais-je à son oreille, comprenant qu’il ne trouverait pas de lui-même.

Je sentis Gabriel frémir sous mon corps. Savait-il seulement l’effet qu’il me faisait, ainsi dénudé, à ma merci, et empli de tous ces sentiments à mon égard. Après ces dix années jamais je n’aurais imaginé connaître à nouveau ce bonheur. Je ne l’avais pas encore pleinement atteint, privant malgré moi Gabriel d’un sentiment semblable.

- Oh… Répondit-il, me cachant assez mal son malaise. Et… Ça ne te plait pas ? Ajouta-t-il, appréhendant à tort ma réponse.

- J’ai jamais dis ça, susurrais-je avant de dévorer ses lèvres avec avidité, l’entrainant dans un baiser fougueux.

Dans un mouvement brusque, ne pouvant contenir mon désir plus longtemps, je glissais mes mains sous ses fesses et le décollais de son siège de fortune. Je sentis Gabriel raffermir la prise de ses jambes autour de mon bassin, frottant son intimité contre la mienne. Avait-il seulement conscience de la douce torture qu’il m’infligeait ?

Gémissant sous ce contact brûlant, aveuglé par mon désir et la passion qui me consumait, je le posais brutalement sur la table, ne pouvant décemment pas le porter plus loin. Le forçant à s’allonger, je me couchais sur lui pour atteindre sa bouche, saisis par le manque.  Dans un geste maladroit de par ma précipitation, je dénouais sa serviette qui faisait rempart à sa nudité. Lorsqu’il fut nu, je me redressais et posais sur lui un regard brillant de désir et de fierté. Il n’y avait pas de mot pour décrire sa beauté et ce qu’il représentait pour moi…

Je finis par fondre sur lui pour m’emparer à nouveau de ses lèvres pendant que mes mains dansaient sur son corps en ébullition. En un contact aérien, mes doigts frôlèrent sa peau sensible, lui arrachant des gémissements de plaisir à l’état pur. Sans la moindre honte, il s’abandonnait au plaisir que je lui offrais…

Mu par mes envies, ma langue redessinait maintenant les traits ses abdominaux, tandis que plus entreprenante, ma main remontait lentement l’intérieure de sa cuisse, le faisait se tordre de plaisir sous moi. Sa peau était d’une douceur sans pareille, et son corps ainsi exposé : une véritable invitation à la luxure. Mon bassin collé au sien trahissait mon désir qui augmentait à chaque minute, semblant attiser le sien de façon plus que certaine.

Une sonnerie de téléphone sembla parvenir à mes oreilles, mais je n’y prêtais guère attention, bien trop occupé avec Gabriel.

- Tu… Tu devrais aller répondre… Me murmura alors mon amant.

- … Rappellerons… Soufflais-je en m’emparant de ses lèvres afin de le faire taire.

- Non… Reprit-il en mettant fin au baiser. C’est… C’est peut être important.

J’émis un gémissement de frustration, et soupirant pour la forme, je lui volais un baiser avant de l’abandonner à contrecœur. Quittant la cuisine, je décrochais le téléphone d’un geste rageur, offrant un « allo » peu aimable.

- Bonjour, je désirerais parler à Hugo s’il vous plait.

Ne pouvant me retenir de lâcher un soupire, comprenant qu’il s’agissait d’un faux numéro, je finis par répondre qu’il n’y avait aucun  Hugo ici. Mon interlocuteur n’insista heureusement pas, et raccrocha après s’être excusé. Dès que j’eus reposé le combinais, je retournais directement dans la cuisine. Gabriel était toujours assis sur la table de la cuisine, et je ne pus faire autrement qu’arriver en face de lui, la mine renfrognée. Gabriel me demanda, inquiet :

- C’était qui ?

Lui lançant un regard assassin, je répondis :

-Un faux numéro…

Face à ma mine frustrée et rageuse, Gabriel finit par éclater de rire. Me prenant à son petit jeu, je le stoppais d’une voix glaciale en déclarant, le visage à seulement quelques centimètres du sien :

- « C’était peut être important », hein ?

Un peu effrayé par mon comportement et ma voix froide, Gabriel m’appela :

- Euh… Juha ?

Un sourire en coin étira mes lèvres. Je lui demandais alors en le plaquant de nouveau contre la table avec une violence emprunte de douceur :

- Qu’y-a-t-il ? Tu as peu ? Demandais-je amusé et surpris par l’effet que j’avais produit. Tu as peur ou tu me désires ? Tu trembles tellement…

Ma voix susurrée à son oreille sembla attiser son désir.

Ma voix susurrée à son oreille sembla attiser son désir. Pour toute réponse, Gabriel m’emprisonna de ses jambes avant d’onduler éhonteusement contre mon inimité tendue sous mon jean. M’attrapant par les cheveux dans un geste doué de douceur, il m’attira contre lui :

- Cela répond à ta question ?

A ces mots, il m’embrassa franchement, dévorant mes lèvres tandis que sa langue franchissait sans difficulté le barrage de mes dents. Après ce baiser qui nous laissa tout deux à bout de souffle, ne pouvant plus me contenir bien longtemps, j’humidifiais rapidement mes doigts. A bout de patience et avec empressement mais non sans douceur, j’entrepris de le préparer. Un gémissement de plaisir s’échappa de sa gorge alors que mon premier doigt entrait en lui.

Ne négligent pas son érection déjà conséquente, mon autre main s’activa sur celle-ci, lui arrachant des gémissements non contenus. Ne sachant plus vraiment par quelle force de volonté je parvenais à me contenir, un second doigt ne tarda par à rejoindre le premier. Celui-ci ne fut presque pas douloureux, mais Gabriel gémis de douleur lorsque j’entamais un mouvement de ciseau avec mes doigts. Mais cela ne fut bientôt qu’un lointain souvenir, et Gabriel finit par ne ressentir plus que du plaisir. Galvanisé, Gabriel finit par entamer un langoureux déhanchement, s’empalant de lui même sur mes doigts. Retenant de justesse un cri de surprise, je craquais, déclarant d’une voix rauque :

- Gabriel…. Je n’en peux plus… Je te veux…

A mon plus grand soulagement, Gabriel répondit à ma supplication, un sanglot de plaisir se brisant dans sa gorge : 

- Viens… Juha, viens… Maintenant….

Répondant au quart de tour à son injonction, je déboutonnais mon jean et le baissais en même temps que mon boxer libérant mon intimité de son étau. Me présentant à l’entrée de son intimité, un violent frisson de désir me parcourut alors que mon sexe effleurait son orifice. Lui volant un baiser, je me penchais à son oreille et d’une voix pleine de remord sachant pertinemment qu’il n’était pas suffisamment préparé, je murmurais :

- Pardonne-moi…

Sans tenir une seconde de plus, je m’enfonçais vivement en lui, le pénétrant entièrement cédant enfin à ma pulsion. Comme je l’avais craint, Gabriel se cambra violemment, un cri de douleur lui arrachant la gorge. Je connaissais que trop bien ce qu’il devait ressentir. Des larmes coulèrent silencieusement le long de ses joues tandis que ses ongles étaient plantés dans mes épaules. Oubliant le plaisir vif que je ressentais de mon côté, je le laissais s’habituer à ma présence. Mes lèvres parsemaient son visage de baisers papillons, en un pardon qui avait pour but de le détourner de sa souffrance.

Puis, ne pouvant rester ainsi, dans un lent mouvement, je commençais à me mouvoir en lui, tout en lui murmurant des mots doux et apaisant. Me servant de mon empathie, je mettais totalement de côté mes propres ressentis, l’accompagnant au mieux. Soudain, la douleur fit place à un plaisir insoupçonné lorsque, d’un mouvement plus puissant et plus profond, je semblais toucher quelque chose en lui qui lui vrilla les reins. Chutant dans mon corps, je fus saisi à mon tour par mon propre plaisir. Je ne perdis pas une seconde avant de réitérer mon action, accélérant la cadence de mes va et vient.

Alors que je gémissais de plaisir, Gabriel était emporté par un plaisir puissant. Plantant violemment ses ongles dans mes épaules, il m’emprisonna entre ses jambes. Laissant libre court à notre passion et l’amour qui le consumait, Gabriel cria sans la moindre retenu. Il criait à s’en briser la voix, comme jamais je ne l’avais entendu, me dévoilant une expression dépeinte sur le visage qu’il n’offrait qu’à moi. Je ne me lassais pas d’admirer les traits tirés et déformés par le plaisir que ressentais mon amant ; cet homme que j’étais le seul à connaître ainsi…

Gabriel étant bien trop proche de la jouissance à mon goût, je cessais subitement tout mouvement et avec une lenteur infinie, emprunte de sadisme, je me retirais de lui. Frustré au plus haut point, Gabriel entrouvris les yeux qu’il avait fermés depuis le début de son plaisir. J’étais dans le même état que lui, nous désirions tous deux cette libération, et pourtant, je voulais plus ! Quasiment couché sur lui, je le fixais de mon regard perçant et pétillant de désir et d’autres sentiments qui ne portaient pas encore de noms définis. Un sourire narquois étira mes lèvres, n’ayant pas oublié notre conversation matinale.

Sous moi, il se tortillait désespérément en sanglotant de frustration tandis qu’il tentait par tous les moyens d’accéder à la jouissance que je lui refusais sans savoir pourquoi je le faisais. Entre deux sanglots, il déclara, la voix brisée :

- Juha… S’il te plait… Ne… Ne me laisse pas ainsi…

Me penchant vers lui, je murmurais à son oreille, un large sourire étirant mes lèvres :

- Dis le mot magique… Je ne te laisserais pas venir avant de l’avoir entendu… Tu sais que tu as une voix magnifique quand tu es sur le point de jouir ? Et la vue me plait tout autant…

Ponctuant mes mots d’une caresse intime des plus poussée qui lui arracha un cri de plaisir, j’happais ses lèvres entrouverte pour un baiser endiablé. Je n’étais pas prêt à lui céder.

- Allez… Dis le moi… Susurrais-je après l’avoir libérer de ses lèvres, désirant l’encourager.

- Je… Je t’en prie… Sanglota-t-il après qu’un nouveau cri de plaisir lui ait arraché la gorge. Viens… Viens…

- Tss… Tsss… Pas avant que tu n’aies dis ce que je veux entendre, répondis-je la voix rauque du au désir et à la frustration que je m’infligeais aussi.

Un nouveau hoquet de sanglot déchira sa gorge alors que son corps était prit de violents tremblements, réclamant lui aussi d’être comblé. 

- Allez, dis-le… Insistais-je avant de laisser ma langue lécher ses larmes qui maculaient ses joues, m’offrant un étrange goût salé.

L’esprit apparemment trop embrumé, Gabriel se mit à gémir quelques mots :

- Je… Juha… Je t’…

- Oui… Allez mon ange… Dis-le… Dis-je en l’encourageant, la voix brisée par le plaisir.

- Je t’… Aime Juha… J’ai envie… Amour… S’il te…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’un cri de pur extase s’échappa de ses lèvres entrouvertes alors que d’un ample mouvement de bassin, je le pénétrais de nouveau entièrement. Il venait de me combler, bien plus encore que je ne l’avais espérer. Non, ce moment ne pouvait pas être plus parfait.

En lui, je restais immobile l’espace d’un instant avant de reprendre un déhanchement encore plus déchaîné qu’avant l’interruption. Submergé par le plaisir, il ne fallut pas bien longtemps avant que je ne craque. Envahi, dévasté par une jouissance fulgurante, je me répandis en Gabriel dans un ultime coup de rien plus profond et plus puissant que les précédents, gémissant son nom. Mon amant me suivit de près, criant mon prénom qui tinta à mes oreilles avec douceur pour parfaire cet instant…

Haletant, le corps recouvert d’une fine pellicule de sueur, Gabriel ouvrit les bras pour m’accueillir. Dans le même état que lui, épuisé mais comblé, je me laissais aller contre lui, enfouissant mon visage dans son cou, inspirant son odeur à plein poumon, celle que j’avais failli ne plus jamais connaître pour la laisser à un autre…

Je pouvais sentir ses doigts jouer avec les petits cheveux de ma nuque, tandis que je l’embrassais du bout des lèvres dans le cou. Dans un souffle, je murmurais au creux de son oreille, le faisant frissonner :

- J’aime quand tu m’appelles avec des petits mots doux comme tu l’as fait tout à l’heure…

- Ouais ben n’y prend pas trop goût non plus, marmonna-t-il vexé, ne faisant pas preuve d’humour.

- … Ce petit côté fleur bleue, ça me donne envie de te faire l’amour encore et encore… Poursuivis-je sans tenir compte de sa remarque.

Je sentis Gabriel troublé et honteux mais tentant de me le cacher, il posa ses mains sur mes épaules et faisant mine de me repoussé il marmonna :

- T’es lourd…

Sans tenir compte de sa remarque, une fois de plus, je repris, une pointe d’amusement dans la voix :

- On est pas bien là, toi et moi ?

Exaspéré face à mon comportement, il déclara d’une voix blasée sans parvenir néanmoins à me cacher son amusement :

- Tu es d’un romantisme… Je pense qu’il y a quand même mieux qu’une table de cuisine pour ce genre… D’activités, non ?

Me redressant sur mes coudes, je plantais mon regard dans le sien, un sourire vicieux étirant mes lèvres, n’ayant pas dit mon dernier mot, je déclarais :

- Oh mais on peut arranger ça tu sais… Il nous reste la salle de bain, la voiture, le…

- Stop ! S’exclama-t-il.

Me repoussant avec plus de conviction cette fois-ci, il reprit :

- Je vais prendre ma douche…

Face à mon regard lubrique en rapport à cette phrase, Gabriel crut bon d’ajouter :

- Seul !!

Sans me laisser le temps de répondre, il m’embrassa furtivement avant de s’éclipser.

 A suivre…

Beyond the invisible - Chapitre 07

Mardi 25 décembre 2012

 Chapitre 7 par Lybertys

Alors que j’avais perdu tout espoir de m’en sortir, alors que je m’étais abandonné à ses coups recroquevillé sur moi-même, je sentis une deuxième présence proche de nous. Il me semblait la connaître, mais dans mon état, je ne cherchais pas à faire d’effort particulier. J’étais bien trop abattu par les coups et la colère que cet homme versait sur moi. J’avais mal, bien plus intérieurement qu’extérieurement. J’avais fermé les yeux, ne voulant plus voir le visage de cet homme qui ressemblait tant à l’être aimé que j’avais maintenant perdu à jamais par ma faute. Soudain, je reçus un coup plus violent, et je ne pus réprimer un gémissement de douleur.

Peu de temps après, j’entendis un autre coup, mais ce n’était pas sur moi qu’il tombait. J’ouvris instantanément les yeux. Cette présence que j’avais ressenti n’était autre que Gabriel qui venait de me défendre, envoyant un terrible coup à mon bourreau, ne contenant lui non plus pas sa fureur. Celui-ci était étendu parterre, se remettant de la surprise et du coup qu’il venait de se prendre dans la mâchoire. Il lui jeta un air dédaigneux en se redressant, le haïssant de me protéger. Jamais je n’aurais imaginé être sauvé par Gabriel. Alors que je tentais de me redresser avec beaucoup de difficulté, affaibli par tout cet afflux de sentiments, l’homme reporta son agressivité sur moi, et me cracha au visage :

- A peine sorti et tu as déjà trouvé une nouvelle victime… Tu me dégoûtes Juha ! Où est donc passé l’amour incommensurable que tu disais vouer à Killian ? Tu n’es qu’une enflure, sale petite pédale…

Entendre son nom me fit aussitôt rechuter dix ans auparavant… Je n’aurais su quoi répliquer. Si j’avais entrouvert les lèvres, je n’aurais fait que hurler la douleur qui m’envahissait à l’instant présent. Une seconde fois, Gabriel vint à mon secours, car il s’écria :

- Hey ! C’est finit oui ? Tu n’es pas le bienvenue ici ! Alors tu vas être bien sage et tu vas repartir de là où tu es arrivé ! Et que je ne te reprenne pas dans les parages ou cette fois-ci tu ne t’en sortiras pas aussi bien !

Alors que l’homme allait pour protester, n’appréciant pas du tout d’être traité de la sorte, il le devança et déclara :

- Tu comprends le français ou il faut te faire un dessin ?

Il lui lança un regard meurtrier, avant de me dire avec la même haine.

- Fais bien attention à toi Juha, tu ne seras pas accompagné indéfiniment !

Je savais très bien qu’il n’allait pas me laisser en paix. Plus que tout il souhaitait ma mort. Voulant venger la vie de son frère qui n’était plus par ma faute. Il quitta enfin l’appartement en claquant violemment la porte d’entrée. J’étais maintenant vidé de toutes mes forces, et une proie facile à la souffrance qui continuait à émaner de Gabriel. Il resta un moment immobile à me fixer d’un regard impénétrable. Je sentais qu’il était en train de se poser un tas de questions à mon sujet, chose tout à fait normale après ce qu’il venait de voir.

Il finit par s’approcher de moi, et me tendit la main pour m’aider à me relever. J’hésitais un instant, ne sachant pas vraiment ce que ce contact allait s et quitta les lieux.

Je restais encore avec Gabriel, le regardant aller chercher un morceau de pain pour sa monture. Puis il attrapa un licol et alla chercher Kadaj au pré. Je le suivis, voulant profiter encore un peu de sa compagnie qui était depuis hier soir très agréable. Gabriel ne fit aucun commentaire. Il était toujours impressionnant de le voir évoluer avec les chevaux.

Dix minutes plus tard, Kadaj était attaché et mangeais tranquillement dans son filet à foin, tandis que Gabriel se préparait à le ferrer. Je pris place à quelques pas de là, pouvant ainsi l’observer sans le gêner. Assis sur une balle de paille, je restais attentif au moindre de ses gestes. Si Gabriel était d’abord mal à l’aise, il finit par ne plus faire attention à ma présence et commença à limier le pied de l’animal. Etonné, et voyant cela pour la première fois je craquais au bout de quelques minutes et lui demandai :

- Qu’est ce que tu fais ?

- Je lui pare les pieds, afin de pouvoir le ferrer.

- Tu peux pas poser le fer tout de suite ? Demandais-je.

- Non, il faut vérifier les aplombs avant…

Mes questions trahissaient mon manque de connaissance et je lui étais reconnaissant de me répondre. Profitant de sa bonne volonté je continuais :

- Et ça lui fait pas mal ?

- Non, pourquoi veux-tu que cela lui fasse mal ? Cela te fait mal toi quand tu te coupes les ongles ?

- Euh… non…

- Et bien pour lui c’est la même chose, répondit-il patiemment.

Le silence s’installa une nouvelle fois. Je savais que je posais beaucoup de questions, mettant les nerfs de Gabriel à rude épreuve. Mais pendant dix ans je n’avais rien vu du monde extérieur et ma curiosité était maintenant accrue. C’est pourquoi je ne résistais pas à demander encore :

- Cela fait longtemps que tu sais faire ça ?

- Plus ou moins… Trois ou quatre ans pas plus…

- Oh… Tu as besoin d’aide ?

Fatigué par mes questions incessantes Gabriel arrêta ce qu’il était en train de faire pour se redresser et me faire face :

- Tu as pas du boulot à terminer ?

Blessé, je répondis simplement :

- Euh…excuse moi de t’avoir dérangé…

Alors que je commençais à m’éloigner, j’entendis Gabriel pousser un soupir d’exaspération et de la lassitude avant de déclarer :

- Tu peux rester… mais tais-toi !

- Promis ! Répondis-je en retournant m’asseoir sur la balle de paille.

Une heure et demi plus tard, ou pas une seule fois je ne posais une question, il eut enfin fini de ferrer Kajad. Après de longues caresses pour le remercier de sa patience et de sa gentille, Gabriel le ramena au pré. Je le suivis, tout aussi sagement que je l’avais observé. Nous nous rendîmes ensuite côté à côté au réfectoire. J’avais de plus en plus de facilité à me faire à sa souffrance. Maintenant identifié à lui, j’arrivais à faire la très nette séparation entre mes sentiments et les siens.

Certes cela me demandait de l’énergie, mais cela valait le coup. Sa présence était en réalité très agréable. Assez solitaire, tout comme moi, nous passions de long moment sans échanger quoi que ce soit, se supportant l’un l’autre sans trop de difficulté. Dans le réfectoire, nous croisâmes Marion, mais Gabriel ne lui adressa qu’un regard désintéressé. Il continua son chemin et alla s’asseoir à table. Je pris place en face de lui. Nous mangeâmes silencieusement, échangeant de temps en temps quelques mots.
Dans l’après-midi, je retournais à mon travail, laissant Gabriel travailler seul.

La douleur était bien présente et était gênante au vu de mon travail physique, mais étant résistant, je parvins à la cacher aux yeux des autres palefreniers. Je ne vis à aucun moment Dorian, mais ne m’en formalisait pas davantage. 

Ce ne fut qu’en fin d’après-midi que je rejoignis Gabriel, le trouvant en train de graisser sa selle et son filet. Concentré sur sa tâche, il ne me vit pas arriver et sursauta lorsqu’il se rendit compte de ma présence. Il leva brusquement les yeux et vit le petit sourire moqueur que j’affichais. Il me lança un regard meurtrier pour la forme, qui ne me fit ni chaud ni froid, avant de reprendre son travail.

- Il faut le faire souvent, demandais-je par curiosité ?

Le voyant reposer son pinceau sur la table en soupirant de lassitude, je regrettais de lui avoir posé cette question. Il me demanda alors dans répondre à la mienne :

- T’en as pas marre avec tes questions ?

Puis, après un nouveau soupir, il répondit :

- Environ une fois par moi.

Satisfait de sa répondre, je n’ajoutais rien, sachant qu’il n’en supporterait pas plus et qu’il avait déjà fait beaucoup. Une chose était sur, je n’avais pas fini d’en baver avec son fort caractère. Je restais avec lui, jusqu’à ce que Dorian vienne me chercher :

- J’y vais, si tu veux que je te ramène c’est tout de suite ! déclara-t-il.

- J’arrive, répondis-je.

J’adressai un sourire à Gabriel et après un rapide « à demain », je partis en compagnie de Dorian. Nous montâmes dans la voiture, et partîmes en direction de nos appartements. Il y avait quelque chose qui clochait chez Dorian, et je n’aurais su dire quoi. Il me cachait quelque chose parmi sa foule de sentiments, et je n’arrivais pas à le desceller. Peut être était-ce aussi dû à ma fatigue…

J’inspirais profondément, tentant de faire le vide en moi pour recevoir ses émotions et les démêler les unes des autres. Il y avait d’abord la jalousie qu’il ressentait toujours envers Gabriel et notre relation naissance, et puis, cette attirance qu’il avait encore pour moi. Alors que j’étais concentré sur ses sentiments, Dorian me demanda :

- Alors, tu t’entends mieux avec Gabriel ?

- Oui, nos rapports se sont améliorés, me contentais-je de répondre.

Le silence retomba, laissant Dorian songeur, jusqu’à ce qu’il me demande :

- Ca te dit de passer boire un coup chez moi avant de rentrer chez toi ?

- Oui pourquoi pas, répondis-je sans trop réfléchir.

En réalité, j’avais surtout peur de rentrer chez moi. Je savais que son invitation n’était pas dénuée d’un certain intérêt caché, mais je pouvais très bien refuser. J’allais entrer dans son jeu, il voulait se jouer de moi, mais j’allais me servir de lui. Je savais que ce n’était pas bien, mais je ne voulais pas rentrer seul maintenant. La journée finie, Gabriel n’étant plus à mes côtés, je réalisais que ma peur de la veille ne m’avait pas quitté. J’avais l’impression d’être un condamné en sursis. J’en venais même à regretter d’être sorti de prison… Nous nous garâmes devant chez lui. Il me dit alors :

- J’ai quelques courses à faire, ça te dérange ?

- Non ça tombe bien, moi aussi, je n’ai toujours pas fait les miennes.

C’est ainsi que nous nous retrouvâmes dans le supermarché du coin une petite heure avant la fermeture à faire nos courses. Nous ne perdîmes pas de temps, tout aussi fatigué l’un que l’autre.

Rapidement nous nous retrouvâmes chez lui, en train de boire un verre, parlant de choses et d’autres, assis côte à côte dans son canapé. Je le sentais s’approcher au fur et à mesure de moi, mine de rien. Je faisais semblant de ne rien avoir remarqué. Une chose était sure, je ne lui céderai pas. J’avais passé une fois du bon temps avec lui, cela ne se reproduirait pas. De plus je n’étais vraiment pas en état, et n’avais aucune envie qu’il voit les hématomes qui parsemaient mon corps. 

Soudain, il me posa une question qui semblait lui trotter dans la tête depuis un moment :

- Comment ça se fait que Gabriel t’ai amené ce matin ? Que s’est-il passé en une nuit ? Tu lui as montré tes charmes.

Je répondis assez froidement :

- Ce qui s’est passé entre nous la dernière fois ne m’arrive pas tout le temps. Je ne couche pas avec n’importe qui, n’importe quand.

- Hum… C’est pas ce que j’aurais cru la dernière fois… D’ailleurs, je ne pense pas que je suis n’importe qui maintenant…

Il se rapprocha alors dangereusement de moi. Je n’aimais pas du tout sa manière de faire. J’en venais à me demander comment j’avais pu coucher avec cet homme. Je devais vraiment être en manque. Il glissa dans mon coup. Sentir son souffle chaud n’avait cette fois rien d’agréable, au contraire, je trouvais cela écœurant. Il me murmura, tentant de me chauffer, mais réussissant parfaitement à faire l’inverse :

- Ca ne te tenterait pas de…

Je m’écartais aussitôt, allant le plus loin possible de lui à l’autre bout du canapé.

- Non ça ne me tente pas ! Répliquais-je. Je suis venu boire amicalement un verre avec toi. Je ne suis pas uniquement là pour écarter les jambes quand tu en as envie !

Vexé, Dorian démarra au quart de tour et déclara :

- Que je sache, c’est toi qui t’es mis à poil devant moi la dernière fois !

Je ne répondis rien, sentant qu’il allait rajouter quelque chose dans peu de temps. Et c’est ce qu’il fit, laissant libre court à de la jalousie pure :

- Ca y est ?! Je ne te satisfais plus ? Tu as trouvé mieux ? Tu crois que tu va pouvoir baiser Gabriel ? Tu crois que ce petit con prétentieux vaut mieux que moi ?

- Tu délires complètement, dis-je très calme, ne répondant pas à son agressivité. Arrête de voir Gabriel partout, arrête de psychoter sur le sujet et surtout de juger Gabriel sans le connaître.

- Ah ça y est ! Parce que tu as passé un peu de temps avec lui, tu te prends pour son ami, son plus fidèle défenseur. Je vous souhaite tout le bonheur du monde tous les deux.

- Je te remercie Dorian. Jamais je ne t’aurais imaginé comme ça. Tu viens de me dévoiler ton vrai visage. Si je comprends bien, tout ce que tu as fait pour moi, c’était pour me baiser ? Tu croyais que j’allais continuer à coucher avec toi en échange de ton aide. Et bien je te souhaite une bonne nuit, tu peux cesser de faire tous ces efforts, maintenant que tu sais qu’ils sont inutiles.

Je me levais, attrapais mes courses dans la cuisine et sortit de chez lui sans un mot, le laissant méditer dans son salon à mes derniers mots. Je pensais rentrer chez moi, prendre une douche et aller me coucher après manger. J’avais beaucoup de sommeil en retard et je ne voulais surtout pas perdre bêtement mon travail pour de la fatigue. Je sortis donc dehors, saisi par le froid qui était arrivé en même temps que la nuit tombante.

Alors que je fis mes premiers pas à l’extérieur, je sentis comme une présence. Je ne mis pas longtemps à trouver qu’elle ressemblait étrangement à celle de la nuit derrière. Elle se trahit d’ailleurs d’elle même par la haine qui passait au delà de lui et que je ressentais. Pris d’un violent frison, je tournais vivement la tête pour ne voir que la rue vide dans la pénombre de la nuit. Les battements de mon cœur s’amplifièrent aussitôt. Sans réfléchir je me mis à courir aussi vite que je le pouvais, comme si ma vie en dépendait… C’était le cas…

J’entendis des pas derrière, je me risquais tourner la tête et vis le frère de Killian me courir après. Mon cœur battait tellement vite que j’avais l’impression qu’il allait sortir de ma poitrine. Terrifié, je rassemblais toutes mes forces et je courus encore plus vite comme jamais je ne l’avais fait. J’étais littéralement mort de peur, je tenais fermement mon sac de course, sans trop savoir pourquoi je m’acharnais à le garder. J’étais maintenant sur : je ne voulais pas mourir.

Si j’avais tenté une fois d’attenter à ma vie en prison au cours de la première année, ce n’était plus le cas. J’en gardais encore une très légère marque sur le poignet gauche. Et si on le regardait avec attention, on pouvait voir une très fine cicatrice que j’étais toujours parvenu à cacher aux yeux de tous. Après cette épreuve, j’avais compris que la seule manière de payer sa mort était de continuer à vivre avec cette culpabilité. Mourir serait fuir la réalité, fuir la mort de Killian et mes actes affreux.

Arrivé dans mon immeuble, je rentrais sans cesser mon allure, me ruant dans les escaliers. Je n’allais pas prendre le temps d’attendre l’ascenseur. J’entendais ses pas derrière moi, et surtout sa voix qui me hurlait des insultes. Arrivé à mon étage, essoufflé, je cherchais ma clef totalement paniqué. J’avais l’impression de mettre des heures. Lorsqu’enfin, je trouvais la clef, je me remerciais mentalement de ne pas avoir fermé le verrou le matin. J’eus du mal à ouvrir, saisis de tremblements plus violents les uns que les autres. Lorsque, enfin, la porte s’ouvrit, j’entendis qu’il était tout près. J’eus juste le temps de me faufiler chez moi et de refermer la porte, m’attaquant directement au verrou, que je l’entendais déjà frapper et hurler derrière la porte.

- Assassin !! Ouvre cette porte Juha ! Tu ne fais que fuir ce qui arrivera inévitablement.

Le sac me tomba des mains et je me ruais à l’opposé de la pièce. Je me collais contre le mur, m’asseyant par terre, rabattant mes jambes contre moi retrouvant une position fœtale qui était la plus rassurante. Mon cœur battait à tout rompre, comme s’il se battait pour sa vie. J’étais effrayé comme jamais, mes tremblements étaient incontrôlables.

A chaque coup frappé à la porte, j’enfonçais un peu plus la tête dans mes épaules. Je pleurais de terreur. Je sursautais violemment lorsque le téléphone à côté de moi sonna. Espérant que ce soit Gabriel, je le saisis et décrochait aussitôt pour entendre des insultes et des menaces. Chaque mot sorti de la bouche du frère de l’homme que j’avais tué m’enfonçait un peu plus dans ma panique et ma douleur. Je raccrochais, gardant dans mes mains le combiné qui se remit à sonner à peine deux secondes plus tard. J’appelais plusieurs fois vainement à l’aide. Il fallait que tout cela cesse, ou mes nerfs ne tiendraient pas.

Je ne sus combien d’heure dura cela, des heures bien plus terribles que mes dix années de prison, plongé dans la terreur la pire au monde. Je n’eus pas conscience de l’heure où il cessa enfin. Je n’avais pas bougé d’un pouce, totalement replié sur moi-même. Il fallait que quelqu’un vienne. Je ne pouvais pas rester comme ça. J’avais besoin d’aide et je me tournais vers l’unique personne qui allait pouvoir me l’offrir. Je composais son numéro, sans trop savoir comment, et attendit que Gabriel décroche, trouvant chaque tonalité plus longue à chaque fois. Lorsqu’il décrocha enfin, il me sembla l’entendre dire :

- Qui que vous soyez, savez-vous qu’il est plus de trois heures du matin ?

Je n’avais même pas conscience de l’heure. J’essayer de parler, mais les mots restèrent bloqués dans ma gorges, ne laissant échapper que des sanglots. D’une voix tremblante, Gabriel demanda alors :

- Juha ?

Ma langue se délia enfin et je pus seulement dire paralysé par l’angoisse :

- Gabriel… Ne… Ne me laisse pas seul…

- Juha !? Répéta-t-il, apparemment abasourdi. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Noyé dans mes sanglots, j’étais incapable d’aligner trois mots cohérents. Comment lui expliquer ce qui venait de se passer. J’étais mort de peur, je souffrais et j’avais besoin de lui. Je n’avais personne sur qui comptait, et Gabriel était le seul à pouvoir m’aider. Je continuais malgré tout à tenter de lui faire comprendre quelque chose, mais il finit par s’exclamer :

- J’arrive ne bouge pas !!

Je tenais toujours fermement le combiné contre moi, ne bougeant pas et continuant de pleurer bruyamment. Je ne cessais de me répéter qu’il allait arriver dans peu de temps et pourtant chaque minute ne me semblait jamais trouver de fin. Heureusement, je lui avais donné le double de chez moi dans la matinée, au cas où. Je ne serais jamais parvenu à me lever pour aller lui ouvrir. Cloué au sol j’avais l’impression que tout cela ne prendrait jamais fin.

Lorsque je le vis arrivé enfin, il eut un temps d’arrêt lorsqu’il m’aperçut : là, recroquevillé à même le sol dans un coin de la pièce, serrant le combiné de téléphone qui sonnait toujours. Je relevais vers lui un visage trempé de larmes, l’implorant mentalement de m’aider. Gabriel se précipita vers moi et me pris dans ses bras. Trop inquiet et préoccupé par moi, sa souffrance était cachée et ne m’atteins pas directement. Je n’étais de toute manière pas en état d’être réceptif. Il me prit dans ses bras, et me sera contre lui en me murmurant à l’oreille des paroles rassurantes et réconfortantes, la voix tremblante d’émotions :

- Chut… Je suis là… Tout va bien…

Je n’aurais su décrire le bien que Gabriel me prodigua. Au creux de ses bras, je sentais la protection que j’avais désirée pendant ces heures de terreur. Mais plus encore, j’avais l’impression pour la première fois depuis dix ans d’être protégé. Voilà maintenant bientôt onze ans que je ne n’avais pas eu ce genre de contact tendre, alors que j’en avais eu plus que besoin durant toute cette période.

Ses bras m’enveloppaient et faisaient régner une atmosphère de douce chaleur. Je commençais à me laisser aller peu à peu. Ses pensées à mon sujet étaient tout aussi rassurantes que son étreinte. Je lui étais tellement reconnaissant de ce qu’il m’apportait. Il était en train de m’offrir bien plus que tout ce que j’avais pu avoir en plus de dix ans. 

Je me jurais alors intérieurement que j’apporterais toute mon aide à Gabriel et me promettais qu’un jour, sa douleur n’existerait plus dans son cœur. Epuisé, vidé de la moindre de mes forces, je me laissais tant aller dans ses bras que je finis par m’y endormir, fuyant un instant cette réalité, allant trouver le repos dans des cauchemars…

Lorsque j’ouvris les yeux, je me trouvais dans mon lit. Mes yeux papillonnèrent pour s’habiter à la lumière, jusqu’à ce que je réfléchisse aux événements de la veille, ne me rappelant pas m’être couché. Il ne me fallut pas longtemps pour me remémorer le tout : Dorian, le frère de Killian, l’appel au secours désespéré à Gabriel, son aide…

Je compris alors la boule que j’avais dans le ventre depuis ce matin. Je m’étirais, ménageant mes muscles encore meurtris pas les coups de l’avant veille, et me redressait avant de me lever vraiment. Je vis Gabriel allongé sur le canapé, dormant profondément. Je choisis de le laisse dormir, aujourd’hui était un jour de repos.

 En réalité, je n’étais vraiment pas envie de me retrouver tout de suite face à lui. J’avais terriblement honte qu’il m’ait vu dans l’état de la veille et aussi terriblement gêné de l’avoir fait venir en plein milieu de la nuit. Je me rendais donc discrètement à la cuisine, attrapant au passage, mon sac de course posé à l’entrée la vielle dans la panique. Heureusement, il n’y avait presque aucun produit frais. Je déballais rapidement les courses, et décidais de préparer un café. J’en avais tout autant besoin.

Mon programme de la journée allait être simple, j’allais surtout me reposer. Je regardais un moment par la fenêtre, le temps que le café chauffe. Il faisait un temps aussi maussade que ne l’était mon esprit. Les gros flocons de neiges virevoltaient dans le vent et le ciel était nuageux. Je frissonnais, de nature assez frileuse, rien qu’à l’idée de me retrouver dehors par ce temps.

Une fois le café prêt, je m’en servis une tasse généreuse et me rendais dans le salon. C’est au moment où je me mis devant lui qu’il ouvrit les yeux. Je tentais de lui sourire cachant ma gêne, plus que nerveux d’être face à lui. Maladroitement je lui demandais :

- Tu… Tu as bien dormi ?

- Hn… Répondit-il, agacé par ma question.

Je pouvais tout à fait le comprendre.

- Je… Je m’excuse…

- Hn… me répondit-il simplement, apparemment agacé.

- Je comprends que tu m’en veuilles, mais je… Merci d’être venu…

- Hn… Ouais…

Ne voulant pas m’appesantir plus longtemps sur le sujet, je lui demandais très mal à l’aise :

- Tu… Tu veux manger quelque chose ?

- Hn… Oui, s’il te plait.

Je lui adressais alors un petit sourire d’excuse et repartit dans la cuisine. Je revins quelques minutes plus tard avec une tasse de thé fumante que je posais sur la petite table à côté de lui.

- Merci, déclara-t-il simplement en se redressant.

Il déjeuna en silence, chose qui me convins tout à fait, je n’étais pas d’humeur à parler et était surtout trop fatigué. Il resta encore un moment avant de rentrer au centre et de me laisser seul. A peine eut-il fermé la porte que je partis m’étendre sur mon lit. Je fermais les yeux sans même m’en rendre compte et sombrais dans un profond sommeil. 

Les semaines qui suivirent passèrent à une allure folle. Je n’eus aucune nouvelle du frère de Killian à mon plus grand soulagement, sachant que ce n’était cependant qu’une question de temps. Je profitais au mieux de ce répit. Gabriel revint dormir plusieurs fois chez moi. Notre relation allait en s’améliorant. La dispute que j’avais eu avec Dorian nous avait éloignés et nous ne conservions plus qu’un simple rapport de collège de travail.

Nous étions maintenant la veille du concourt de Gabriel et il me communiquait son stress à chaque instant. Cependant, cela lui permettait d’oublier un peu sa douleur, m’offrant un répit de ce côté là. A son insu, je continuais lorsque j’en avais l’occasion à travailler en profondeur sur lui, tentant de rechercher l’origine de son mal, sachant maintenant qu’il ne se confesserait pas comme cela.

Je venais de finir une réunion avec Philipe et tous les employés pour l’organisation du centre demain, comme tous deux serait partit pour le concourt de Gabriel. Je faisais partit des personnes qui restaient là, à s’occuper du centre. Satisfait de mon travail, j’avais le droit à de plus en plus de responsabilités et aussi plus de liberté.

Mon travail étant lui aussi terminé, j’allais directement rejoindre Gabriel. Je le trouvais en train de finir de s’occuper d’Orphée, lui glissant consciencieusement une couverture sur le dos. Lorsqu’il me vit, accoudé à la porte du box en train de l’observé, il répondit à mon sourire. Je lui demandais alors d’une voix qui se voulait calme pour tenter d’éviter d’attiser son stress :

- Tu veux venir boire un verre à la maison, histoire de te changer les idées avant demain ?

Le laisser tout seul n’était pas vraiment une bonne idée, et j’étais sur qu’il passerait une meilleure soirée avec moi, qu’à se stresser tout seul dans son coin et à se torturer l’esprit. Heureusement il accepta ma proposition en répondant :

- Hn… Ouais, pourquoi pas.

Même s’il ne me le dit pas explicitement, je sentis qu’il était heureux de ma proposition et semblait me remercier mentalement. Il quitta le box d’Orphée après une dernière caresse et me suivit, faisant une halte dans la sellerie afin de préparer son matériel pour demain. Puis il prit la direction du bureau de Philippe et revint avec les clefs de la voiture.

Nous montâmes dans la voiture et nous prîmes la direction de mon studio. Le trajet se fit dans un silence monastique, seulement interrompu par les chants brutaux qui s’échappaient de ses enceintes. Plusieurs fois, je me surpris à jeter un coup d’œil vers lui. Je n’aurais su dire quoi, mais je lui trouvais quelque chose de très beau ce soir là. Peut être étais-ce dû à la tension qui tendait ses traits. Je me sentais étrangement envahie d’un sentiment que je n’avais pas connu depuis longtemps.

Un petit quart d’heure plus tard, nous étions installés dans le canapé, une tasse de chocolat chaud à la main.

Aucun de nous ne semblait vouloir prononcer la première phrase. Depuis deux semaines, Gabriel et moi étions en meilleurs termes et notre relation s’était renforcée. Certes nous n’étions pas encore les meilleurs amis du monde, mais c’était déjà cela. Nous arrivions à avoir des conversations sérieuses, bien que je restais totalement muet sur mes peurs qui me poussaient à l’appeler plusieurs fois la nuit. Il en savait déjà suffisamment. Pour rien au monde maintenant, je ne voulais briser l’amitié naissante entre nous. Car c’était ce que je pensais, une fois que Gabriel saurait, il ne serait plus jamais le même avec moi.

Comment réagir face à un homme qui vous révèle qu’il est allé en prison et pire encore pour un meurtre ? J’en avais mal rien qu’à l’idée de sa réaction si jamais il l’apprenait. Je préférais me taire sur ce sujet, qu’il ne découvre jamais ma vrai nature, qu’il ne voit que le Juha de surface, le Juha que je m’étais construit. Je savais ne faire que repousser l’échéance, et que la chute serait bien plus difficile à affronter, mais je n’avais pas le cœur à me priver encore de quelque chose. Malgré moi, je le sentais, je m’attachais de plus en plus à Gabriel, bien plus que je ne le voulais.

Heureusement, ce sujet n’avait pas pour projet d’être abordé ce soir, c’était plutôt l’épreuve de demain qui était au centre de ses préoccupations. Je finis par briser le silence, sentant que le stress était trop fort en lui demandant :

- Tu veux manger quelque chose ?

- Non, cela ira merci. Là tu vois, j’ai plus envie de me vider l’estomac que de le remplir.

J’émis un petit rire amusé et ajoutai :

- Je m’en doute bien, mais il faut que tu manges si tu ne veux pas t’écrouler demain… Un plat de pâtes ça te dit ?

- Hn… répondit-il à contrecœur, mais résigné.

Il se leva avec moi et me suivit dans la cuisine, mettant la table pendant que je mettais de l’eau à chauffer. Dix minutes plus tard, nous étions assis à table l’un en face de l’autre, à parler du concours et de l’organisation de demain. Un moment, hésitant, Gabriel déclara :

- Je… J’aimerais te demander un petit service.

- Je t’écoute, répondis-je, curieux de voir ce qu’il allait me demander.

- Je mettrais Niladhëvan dans un box avant de partir demain et j’aimerais que tu t’occupes d’elle pendant mon absence… Enfin, seulement si tu es d’accord… Si tu veux pas je te force pas hein ! Tu fais comme tu veux…

- C’est d’accord… Je m’occuperais d’elle, répondis-je, trop heureux de la confiance qu’il mettait en moi.
Mieux encore, il m’adressait un sourire soulagé chargé de remerciements qu’il me murmura tout bas :

- Merci…

Je ne pus que lui répondre par un sourire, sentant mon corps s’emballer étrangement. Il me sembla voir ses joues prendre une légère teinte rosée, et je le vis détourner les yeux et reporter son attention sur son assiette. Plus le temps passait et plus je constatais la beauté de Gabriel.

Le repas se termina en silence et à la fin de celui-ci, nous retournâmes au salon, une tasse de thé dans la main. Assis côte à côte, aucun de nous n’osait briser le silence qui régnait dans la pièce. Tout proche de moi, je pouvais sentir le flot d’émotions en lui. Amusé, je finis par lui poser une question dont la réponse était évidente :

- Alors ? Stressé ?

- Plus que tu ne l’imagines, répondit-il.

- Pourquoi ? Il n’y a pas de raisons…

- Et si je me plantais demain ? M’interrompit-il.

- Et si tu arrêtais de dire des conneries… Je ne m’y connais pas beaucoup dans ce milieu, mais j’ai vu depuis que je suis arrivé combien tu as travaillé, et il n’y a aucune raison que tu te plantes, dis-je, tentant de le raisonner.

Et c’était vrai, je le pensais vraiment. A l’avoir vu évolué, pour moi Gabriel avait toutes ses chances de gagner. Pourtant, il répliqua :

- Mais tu comprends pas ! Il y aura vraiment des cracks demain ! J’aurais l’air de quoi moi, pauvre petit clampin tout droit sortit d’ma campagne…La seule chance que j’ai c’est d’assurer un max demain, et vu comme s’est partit, je suis plutôt mal barré…

Plus il parlait, plus j’avais du mal à détacher mes yeux de son visage. Ses cheveux châtain clair encadraient les traits fins de son visage, animés par sa détresse pour le concours de demain.

- C’est bon, déstresse ! Et puis, même si tu te plantais, tu auras d’autres occasions… Franchement, pourquoi tiens-tu absolument à ce que tu te plantes demain ? Prend confiance en toi, Gabriel… Tu as les capacités pour y arriver et je sais que tu y arriveras… Si toi tu n’as pas confiance en toi, moi si…

Je n’aurais jamais pensé en dire autant. J’avais dis plus que ce que je ne l’aurais voulu. Il ne répondit rien, mais ancra son regard au mien. Il était en train de se passer quelque chose, et j’étais incapable de l’arrêter. J’allais toujours plus profondément dans ses yeux bleu foncé qui avaient quelque chose de troublant. Je me laissais porter par l’action, ne prenant pas le temps de réfléchir sur l’acte que j’allais accomplir.

Et plus je le sentais, il semblait en avoir autant envie que moi. Lorsque mes deux lèvres se posèrent sur les siennes, un afflux d’émotions y transparut, avant que sa peur ne vienne prendre sa suprématie. Toujours porté par cet instant, je vins quémander l’entrée de ses lèvres, voulant malgré moi soudain bien plus. Soudain, Gabriel qui jusqu’alors n’avait pas bougé me repoussa brusquement.

- Quelque chose ne va pas ? Demandai-je alors, surpris et frustré malgré moi.

- Ah parce qu’en plus t’as pas compris ! Tu viens de m’embrasser, bien sûr que ça va pas ! S’exclama-il hors de lui.

- Tu avais l’air d’en avoir tout autant envie que moi, répondis-je, blessé.

Pire encore, je réalisais uniquement maintenant ce que je venais de faire. L’embrasser, c’était aller bien trop loin, surtout au vu de mes erreurs passées.

- Est ce que j’ai l’air d’aimer embrasser les hommes ! Tu pourrais au moins t’excuser ! Répliqua-t-il sur un ton qui ne me plu pas du tout.

- M’excuser ? Je ne vois pas pourquoi… C’était à ce point désagréable ? Est ce que ça t’a dégoûté ? Est ce que je te dégoûte ?

- Je…

- Tu ?

Comment pouvait-il se mettre dans un état pareil juste pour un baiser ?

- Rah ! Laisse tomber, s’exclama-t-il avant d’aller s’enfermer dans la salle de bain en claquant violemment la porte.

J’étais presque effrayé par cette réaction tellement démesurée par rapport à l’acte lui-même. J’en venais même à oublier tout ce qui était mes propres problèmes liés à ce qui venait d’être fait. Je venais de commencer à faire ce que je m’étais interdit depuis le début. Et pourtant, ce que je ressentais n’était pas que de la simple attirance purement sexuelle. Malgré toute ma volonté, je n’avais pu empêcher ces sentiments et les repoussaient maintenant de toutes mes forces.

J’accourais devant la porte de la salle de bain maintenant close. Je pouvais sentir cette même souffrance que j’avais connue depuis notre premier contact, décuplé par mille. Quel était ce mal qui le rongeait et quel lien pouvait-il avoir avec ce simple baiser ? Pourquoi cet acte le mettait dans un état pareil ? Que lui avait-on fait ?

Je l’avais ressenti pourtant cette envie lorsque nos lèvres s’étaient touchées. Il n’avait même pas retiré ses lèvres tout de suite, il était resté jusqu’à ce que je tente d’aller plus loin dans le baiser. Ce n’était qu’une esquisse de baiser et elle nous avait tous les deux bouleversé. Il semblait se dérouler un combat intérieur violent en Gabriel, et je ne pouvais rien faire pour l’aider.

De l’autre côté de la porte, je ne savais même pas quoi lui dire. Il semblait maintenant tellement apeuré, plongé dans cet état où il souffrait tant. J’avais de plus en plus de mal à faire la séparation de nos sentiments et pourtant je savais que c’était un terrain dangereux. Il fallait que cela cesse, il ne fallait pas qu’il tombe encore plus bas. Je lui demandais à travers la porte d’une voix très inquiète :

- Gabriel… Sors de la salle de bain… S’il te plait…

- Laisse-moi ! Je ne veux pas te voir ! me répondit-il d’une voix tremblante.

J’en avais maintenant la certitude, il pleurait. Je m’en voulais tellement de l’avoir mis dans cet état. J’étais totalement désemparé.

- Je m’excuse Gabriel, je ne savais pas que cela te mettrait dans un tel état, repris-je d’une voix qui cachait de moins en moins mon inquiétude. Je m’excuse, répétais-je, mais je t’en supplie, sort de cette pièce…

Après un moment de réflexion qui me parut durer des heures, il finit par consentir à m’obéir. Il ouvrit la porte lentement, et sortit sans même m’adresser ne serait-ce qu’un coup d’œil. Voir ses larmes me serra violemment le cœur. Il alla dans le coin qui faisait office de chambre et ouvrit le placard afin d’en sortir une couverture. Je n’osais pas bouger, ni esquisser un geste ver lui. Puis il retourna sur le canapé pour s’y allonger, remontant la couverture sur sa tête, ignorant mes tentatives d’excuses. J’étais tellement mal d’être fautif d’un tel état :

- Je suis sincèrement désolé Gabriel… Je… Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal… Je te promets que c’était la seule et unique fois… Je ne tenterais plus rien, je t’en donne ma parole… Je suis désolé… Gabriel… Dis quelque chose…

Je n’en pouvais plus de ce silence. De plus il m’était impossible de sentir sa souffrance et de ne pouvoir rien y faire. Heureusement il se retourna enfin, plongeant son regard dans le mien.

- Pourquoi ? Me demanda-t-il.

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi tu m’as embrassé ?

Je ne m’attendais pas à cette question, et je ne savais pas quel pouvait être la meilleur réponse, hésitant je commençais :

- Je sais pas, je…

- Tu ?

- Ca m’est venu comme ça… Je sais pas pourquoi… Peut être que j’en avais envie…

Je ne voulais pas lui dire la vérité, tout était bien trop complexe, trop de choses à cacher…

- Et ça te prend comme ça ? Tu embrasses beaucoup de monde sans leur demander leur avis ? Répondit-il avec une pointe de cynisme qu’il ne cherchait pas à dissimuler.

Et avant que je n’ai le temps de répondre, il se retourna de nouveau, me tournant le dos.

- Je…

- Bonne nuit, me coupa-t-il, n’ayant plus aucun envie de parler avec moi.

Je restais totalement immobile. Je ne savais plus vraiment quoi faire. Le regard posé sur sa nuque, je tentais de voir plus clair en lui, de découvrir l’origine de son mal. Il en souffrait tellement, que j’en venais à douter qu’il se confesse un jour. Pourtant il devait parler, que ce soit à moi ou à une autre personne ; c’était la seule chose qui pourrait le tirer de là. Je n’arrivais à rien ainsi.

J’avais beau repousser au maximum les limites de son esprit, il était trop enfermé et protégé par la souffrance qui déferlait sur moi dès que je parvenais un peu trop loin. Je finis par m’éloigner, n’arrivant à rien. Je rangeais un peu avant d’aller me coucher à mon tour, pour ne trouver le sommeil que bien plus tard…

Le lendemain matin, je ne fus pas le premier à me réveiller. J’entendais du bruit dans la cuisine. Il ne me fallut que peu de temps pour me remémorer ce qui s’était passé la veille. Mon cœur se serra alors à ce souvenir.

Ce fut particulièrement gêné que je me levais et allais rejoindre Gabriel dans la cuisine. Un afflux de stress me saisit lorsque je pénétrais dans la pièce. Encore à moitié endormi, je n’avais pas fait attention à me protéger. Gabriel était assis en train de finir son thé et sa tartine de Nutella. Je lui adressais un « bonjour » timide auquel il ne prit pas la peine de répondre, annonçant ainsi tout de suite la couleur. A peine j’eus le temps de me préparer un café que Gabriel s’était déjà levé et déclarait le plus impersonnellement possible :

- Je vais me laver.

Je ne répondis rien et de toute manière, je n’aurais pas eu le temps de le faire. Je ne bus que ma tasse de café, n’ayant pas très faim. Une fois que Gabriel fut sortit de la douche, j’allais prendre la mienne. L’atmosphère qui régnait entre nous était insoutenable et j’étais finalement heureux qu’il ne soit pas là aujourd’hui étant le jour de sa compétition. Après une douche rapide, j’eus à peine le temps de m’habiller que déjà Gabriel m’attendait tout prêt, assis sur le canapé à regarder la télévision. Il l’éteignit lorsqu’il me vit arriver, et alla mettre son manteau. Je fis de même.

Une fois dans la voiture, le silence régna de plus belle. Il n’avait même pas mis sa musique habituelle pour le masquer. C’est ainsi que nous arrivâmes sur le parking et que Gabriel était en train de se garer. Je savais que c’était la dernière fois que j’allais le voir de la journée, et sachant l’épreuve qu’il allait bientôt passer, je ne voulais pas que l’on se quitte comme ça. C’est pourquoi je déclarai avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la portière afin de sortir :

- Gabriel attends.

- Quoi ?! dit-il très sèchement tournant alors sa tête vers moi.

- Ce que je vais te dire n’a rien à voir avec ce qui s’est passé hier soir. Je tiens juste à te souhaiter bonne chance pour ce concours. Je croiserais les doigts pour toi, et je suis sûr que tu gagneras la première place.

- Hn… déclara-t-il simplement, avant d’ouvrir cette fois-ci réellement la portière et de sortir de la voiture.

Je fis de même, blessé qu’il réagisse de cette manière pour une simple erreur de notre part. Car je n’étais pas le seul fautif. Notre relation qui s’était tellement améliorée était maintenant retombé en chute libre.
A contre cœur, je pris une autre direction que la sienne, allant accomplir mon travail. J’espérais vraiment de tout cœur qu’il réussisse ce concours, et mon propre stress était maintenant venu se mêler au sien. Je me rendais aux écuries lorsque j’entendis la voix de Philippe au loin m’appeler :

- Juha, viens par ici s’il te plait.

Intrigué, je m’exécutai, parcourant les quelques mètres qui nous séparait. 

- Qu’y-a-t-il ? Demandais-je, en remarquant aussitôt l’état semblable à celui de Gabriel dans lequel il se trouvait.

- L’employé qui devait faire le lad de Gabriel vient de m’appeler, il est malade et ne pourra pas venir. Tous les autres sont occupés, alors je n’ai que toi… Tu viens donc avec nous deux pour le concours. Je pense que tu en es tout à fait capable.

- Je… dis-je hésitant, ayant honte de mon ignorance. Je veux bien, mais en quoi cela consiste-t-il ?

- A l’aider à s’occuper de son cheval, le préparer… Et apporter toute l’aide nécessaire à Gabriel. Et puis comme tu es en de bons termes avec lui, je me suis dis que ce serait mieux pour Gabriel.

- C’est que…

Devais-je lui parler d’hier. Au fond de moi j’étais content de pouvoir l’aider, mais la situation était loin d’être propice à cela. Comment aller réagir Gabriel lorsqu’il serait au courant ? Allait-il redevenir le même qu’au début de notre rencontre ? Est ce que le début d’amitié qui s’était lié entre nous était définitivement terminé. Je m’en voulais tellement d’avoir cédé à ma pulsion… J’avais tout gâché. Mais Philipe me coupa dans mes réflexions et déclara :

- Bon si tu n’as rien me dire, on y va, tu vas nous aider à rassembler les affaires, nous on va mettre la monture de Gabriel dans le van.

Nous allâmes donc rejoindre Gabriel qui n’était apparemment pas au courant de la décision de Philipe car il me dévisagea lorsqu’il me vit arriver avec Philipe. J’étais très mal à l’aise, et je sentais parfaitement une sorte de haine vis à vis de moi. Gabriel était en train de finir de rassembler ses affaires pour le concours, si bien qu’après un regard meurtrier à mon égard, il reporta toute son attention sur ce qu’il était en train de faire. Ce fut Philipe qui prit la parole :

- J’ai trouvé le remplaçant de Tom.

- Ah ? Qui c’est ? demanda Gabriel sans prendre la peine de relever les yeux vers nous.

- Tu pourrais au moins me regarder quand je m’adresse à toi, ce n’est pas parce que tu stresses que tu dois en oublier la politesse.

Etonnamment Gabriel céda, lâchant un léger soupir. Il se tourna vers nous et déclara lorsqu’il s’aperçut que j’étais toujours là :

- Qu’est ce qu’il fout là lui ?

- Gabriel ! Dit Philippe en haussant le ton. Juha va venir avec nous, c’est ton lad, le remplaçant de Tom.

- Quoi ??! cria presque Gabriel.

- Gabriel, je ne le répèterai pas deux fois. Arrête tout de suite ce comportement. Juha va t’aider aider, c’est le seul qui est disponible pour le faire et je pense que cela sera bénéfique pour vous deux.

Gabriel marmonna quelque chose pour la forme, exprimant ainsi son mécontentement, mais ne vint pas contredire la décision de Philippe.

- Juha, apporte tout le matériel que vient de rassembler Gabriel à l’avant du van, nous devons partir ou alors nous serons en retard.

Je m’exécutais aussitôt pendant que Gabriel et Philippe allait chercher son cheval. Durant tous les préparatifs, Gabriel m’ignora superbement, plus que je ne pouvais le supporter. Cela ne pouvait pas durer, c’est pourquoi alors que Philippe nous attendait dans le van avec Orphée, je coinçais Gabriel un peu à part :

- Tu vas continuer longtemps comme ça ?

- De quoi tu parles ? demanda-t-il agacé, feignant l’ignorance.

- Gabriel, oublions ce qu’il s’est passé hier soir, nous allons travailler ensemble et je ne voudrais pas que tu rates ton concours pour un simple bais…

- C’est bon ! Me coupa Gabriel, comme s’il ne voulait pas entendre le dernier mot. Aller, viens, on est déjà en retard.

Je ne répondis rien, agacé par cette attitude tout de même capricieuse et enfantine de sa part. Nous nous retrouvâmes donc tous trois dans le van. Je ne savais pas combien de temps durerait le trajet. J’étais assis à côté de la fenêtre, Philipe conduisait et Gabriel prenait son mal en patience entre nous deux, fixant Orphée par le biais de la caméra de surveillance.

Je tentais au mieux de reporter toute mon attention sur le paysage qui défilait pour ne pas me synchroniser avec le stresse de Gabriel. Seuls quelques paroles furent échangées entre lui et Philippe, puis quelques ordres et conseils me furent donnés pour l’arrivée. Après deux bonnes heures de routes, je devinais à leur excitation que nous allions bientôt arriver. Jamais je n’avais connu ce genre d’ambiance.

Ce fut le cœur battant que nous arrivâmes enfin. Tout se déroula très vite. On amena Orphée dans un box préparé à son attention, portant toutes les affaires nécessaires. Il y avait beaucoup de monde, et la tension qui régnait entre chaque personne était épuisante. J’aidais Gabriel au mieux, tandis que Philippe allait régler les papiers avec les organisateurs du concours. Orphée aussi était passablement excité, mais en le comparant avec la plupart des autres montures il avait un tempérament assez calme et posé. Gabriel était silencieux, tentant de se concentrer au mieux pour l’événement qui allait suivre.

Philippe revint un moment après avec de quoi boire et manger un peu. Il força Gabriel à avaler un petit quelque chose, et je dus faire de même n’ayant finalement pas très faim non plus. Après un repas succin, nous finîmes de préparer Orphée et nous nous rendîmes dans une carrière qui était faite pour détendre les chevaux et les échauffer avant de passer devant tout le monde pour le concours. Je l’accompagnais en silence, Philippe était allé rejoindre les gradins après lui avoir donné les dernières recommandations.

Nous étions donc tous les deux et je savais que c’était la dernière occasion pour lui dire ce que j’avais sur le cœur. Jamais ne n’avais ressenti une personne stresser autant. Lentement, je posais ma main sur son bras, en un geste si doux qu’il ne se sentit pas le moins du moindre agressé. Il tourna alors la tête vers moi. Mentalement je tentais de le rassurer et d’absorber une partie de son agitation, puis je déclarais plantant mes yeux dans les siens :

- Au plus profond de moi, je sens que tu en es capable, plus que tous ceux présents ici, je crois en toi Gabriel, je n’ai qu’une seule chose à te dire : Fais toi confiance…

Si Gabriel ne me répondit rien, à travers mon contact avec lui et son regard, je sentais qu’il avait envers moi une profonde reconnaissance. Mes simples mots l’avaient-ils touché à ce point ? Aucun son ne sortait pourtant de sa bouche et je commençais à me sentir sérieusement mal à l’aise. C’est alors qu’il mit une fin étonnante à mon supplice, après un léger sourire il me dit tout simplement « merci », avant de déposer à ma plus grande surprise me désarçonnant totalement, un simple baiser sur la joue.

Totalement déstabilisé, je cessais de marcher, le laissant pénétrer seul dans la carrière. Que venait-il de faire ? Qu’est ce que voulait dire ce geste ? Malgré moi, le rouge me monta légèrement aux joues, me signifiant que je rougissais. Je ne m’attendais vraiment pas à ce geste venant de sa part, surtout après le scandale qu’il m’avait fait pour un simple baiser. Gabriel était déjà en train de monter lestement sur sa monture, et tentant de retrouver mes esprits, je vins me mettre sur la barrière et le regardait évoluer avec les autres.

Orphée semblait être parfaitement à l’écoute de Gabriel qui semblait maintenant avoir fait le vide en lui. La concentration que l’on pouvait lire sur son visage, lui donnait un air encore plus charmant et attirant. Je repensais au baiser, à la chaleur de ses lèvres sur les miennes et au bien que cela m’avait procuré. Puis ce baiser sur la joue m’avait finalement troublé, je ne savais pas vraiment ou cela allait nous menait.

Car, même si je me refusais à ressentir quoi que ce soit pour lui, quelque chose était bien là et présent, et je ne pouvais aller à l’encontre. Je tentais de me persuader que jamais je ne répèterais la même erreur, qu’il y avait des circonstances différentes avec Killian. La question qui venait alors, c’est où allait mener ce genre de relation avec Gabriel ?

Soudain, le son des haut-parleurs annonça le début du concours, donnant l’ordre de passage. Gabriel passait le dernier. Je ne savais pas si cela était bien ou non pour lui, et c’est à ce moment là qu’il vint me voir en me tendant son pull. Il semblait avoir trop chaud.

- Prêt ? Lui demandais-je en levant la tête afin de pouvoir le regarder droit dans les yeux.

Gabriel me sourit et me répondit très fermement :

- Plus que jamais !

Il fit virevolter son cheval, et repartit au petit galop, dans le but de l’échauffer et le détendre encore un peu. Il semblait enfin déterminé et avait trouvé toute son assurance et sa confiance. Ce ne fut qu’une heure après, une fois que je lui avais apporté un peu d’eau qu’on hurla son nom et celui de Orphée afin qu’il passe. Mon cœur semblait battre aussi fort que le sien. Je l’accompagnais jusqu’à la grande carrière de concours, voulant être présent jusqu’au bout. Au regard qu’il me lança avant d’y aller vraiment, je sentis qu’il m’en était reconnaissant.

Je me reculais un peu mais restais à peu près à la même place. Je n’avais pas vu les autres, mais il était impressionnant comme Gabriel et Orphée semblait être à l’écoute de l’un de l’autre. Orphée était tout aussi concentré que Gabriel. Il se plaça au milieu de la carrière, attendant qu’on lui dise de commencer.

J’avais tellement envie qu’il gagne. Tous ces sentiments, ces ambiances qui circulaient étaient totalement nouvelles pour moi, et pour une fois je me laissais porter par cette agitation. Cependant, je restais toujours en lien avec Gabriel. Mon regard posé sur lui ne le quittait pas un seul instant. Le signal du départ fut donné et Gabriel entama ce qu’il avait répété depuis des mois.

Mes doigts se croisèrent et j’espérais de toutes mes forces qu’il fasse le meilleur score. Je n’arrivais même pas vraiment à écouter les commentaires qui semblaient complimenter Gabriel. L’épreuve ne durait que quelques minutes et pourtant elle me semblait durer des heures. La grâce avec laquelle Orphée exécutait les demandes de Gabriel était d’une beauté à couper le souffle. Lorsque ce moment pris fin, je ressentais presque un regret que cela ne dure pas plus longtemps.

Je tournais alors ma tête vers tous les spectateurs et en particulier les jurys, ils semblaient tous être tombés sous le charme. Je ne savais pas encore les résultats il était en train de décompté ses points, mais je savais qu’il allait gagner, j’en avais même la certitude. Gabriel qui s’était arrêté au milieu de la carrière revint alors vers moi, un grand sourire sur ses lèvres qui cachaient un peu la tension qui l’habitait.

Lorsqu’il arriva à ma hauteur, il descendit de son cheval, les mains légèrement tremblantes. Je ne pus me retenir de m’exclamer :

- Tu étais superbe ! C’était …

La grosse voix coupa mes paroles, annonçant qu’il y avait une erreur dans le décompte des points et que les résultats seraient donnés d’ici une dizaine de minutes. Gabriel marmonna quelques mots, puis nous allâmes au box d’Orphée avant de le faire boire et de lui mettre une couverture. C’était tout de même l’hiver, et l’effort qu’il venait de fournir l’avait rendu légèrement transpirant, il ne fallait surtout pas qu’il attrape froid. Arrivé au box, nous lui laissâmes tout de même sa scelle et sa bride car Gabriel devrait repasser devant tout le monde avec tout les autres lors de l’annonce des résultats. Cette attente était vraiment insoutenable…

Gabriel me laissa m’approcher de sa monture et l’aider à lui prodiguer des soins, signifiant qu’il me portait de plus en plus de confiance. Au souvenir de notre première rencontre dans le box d’Orphée, je souris.
Soudain, l’homme reprit la parole dans le haut parleur, mon cœur se serra lorsqu’il prononça le premier mot annonçant le gagnant. Lorsque j’entendis le nom de Gabriel, je criais presque de joie et sans réfléchir le moindre instant, je lui sautai au cou en le serrant très fort.

- Je te l’avais dis Gabriel, je… félicitations !!!

Etrangement, il répondit à mon étreinte. La joie qui émanait de lui m’envahissait tout en me réjouissant totalement. Il avait gagnait… La première place… Je resserrais encore un peu plus mon étreinte, me lançant aller à profiter de ce contact. Voilà maintenant tellement longtemps que je n’avais pas senti deux bras puissants et masculins autour de ma taille. J’avais oublié le bien que cela prodiguait. C’est alors qu’une voix qui ne nous était pas étrangère retentie à l’entrée du box :

- Félicitation Gabriel ! déclara Philipe.

Gabriel s’écarta alors vivement de moi, comme s’il avait honte de ce contact. Philipe ne sembla pas y prêter d’importance, et déclara :

- Allez, vient recevoir ton prix.

Un sourire étirait ses lèvres. Il avait une sorte d’attitude paternelle vis à vis de Gabriel, car c’était bien là le sourire de quelqu’un de profondément fière de son fils qui était présent. Nous repartîmes en direction de la carrière, heureux comme jamais.

A quelques pas de la carrière, il remonta sur Orphée et se rendit seul récupérer son prix. Jamais je ne l’avais vu aussi débordant de joie. Ce concours était tellement important pour lui… Il avait tenu à aller jusqu’au bout malgré les difficultés et il y était parvenu.

Nous restâmes côte à côte avec Philipe qui avait déjà attrapé son téléphone et qui prévenait le centre de la victoire de Gabriel. La cérémonie de la remise des prix dura un moment, et jamais le sourire ne quitta les lèvres de Gabriel qui était plus que fier. Après bien des acclamations, Philipe alla régler les derniers papiers, pendant que j’allais m’occuper d’Orphée avec Gabriel. Pendant qu’il lui offrait un bon pansage plus que mérité, je m’occupais de ranger les affaires. Nous fîmes tous deux monter Orphée dans le van, il était déjà une heure avancée de l’après-midi, et il fallait partir si nous voulions arriver avant la nuit.

Gabriel tenait fermement son prix durant tout le trajet en voiture qui se fit dans la bonne humeur générale. Cette tension insoutenable qui avait été présente sur le chemin de l’allée, était remplacée par l’euphorie de la victoire. Lorsque nous arrivâmes enfin au centre, la tombée de la nuit était proche. Nous nous occupâmes en priorité avec Gabriel de son cheval, puis je finis de ranger le matériel pendant qu’il allait voir si sa jument allait bien.

Philippe était partit dans son bureau, et nous le rejoignîmes une vingtaine de minute plus tard. Lorsque nous frappâmes à la porte, personne ne répondit. La lumière était éteinte et constatant qu’il y avait de l’agitation dans le réfectoire, nous nous y rendîmes tous les deux. Les tables avaient été déplacées pour être disposées d’une toute autre manière. Des boissons y avaient été déposées ainsi que quelques petites choses à grignoter.

Presque tous était présent, et acclamèrent Gabriel lorsqu’il arriva. Beaucoup se ruèrent sur lui pour le saluer, et je préférais me mettre un peu à l’écart, ne supportant pas lorsqu’il y avait trop de monde. Trop de sentiments étrangers à repousser…. Gabriel s’aperçut de mon soudain éloignement, et me jeta un regard intrigué. Mais son attention fut vite accaparée par les autres. Je restais ainsi en retrait, spectateur du bonheur de Gabriel. Je savais que cela ne guérirait pas totalement sa douleur bien plus profonde, mais cela l’apaisait au moins un peu. Dorian vint alors me voir, je ne lui avais pas spécialement reparlé depuis ce fameux soir, et j’appréhendais un peu.

- Alors qu’as tu pensé de ce concours, c’est la première fois que tu en voyais un, non ?

- Oui, c’était très intéressant, dis-je avec le sourire, tentant de cacher mon léger malaise.

- Tu veux boire quelque chose ? me demanda-t-il.

- Oui pourquoi pas.

C’est ainsi que nous nous dirigeâmes jusqu’à la table des boissons. Je sentis posé sur moi un instant le regard de Gabriel. Amusé, je pris le verre que me tendis Dorian et allais discuter un peu plus loin avec lui. Il fallait de toute manière que je m’écarte un peu de toute cette agitation qui pompait mon énergie.

Nous parlâmes de tout et de rien, jusqu’à ce qu’il aille voir d’autres amis, me laissant seul. Je profitais donc de cet instant de calme, pour me retrouver un peu. Plusieurs fois je sentis le regard de Gabriel se poser sur moi. Je ne savais pas vraiment ce qu’il se passait, mais depuis que nous nous étions enlacé dans le box lorsque nous avions appris sa victoire, je ne pouvais m’empêcher de ressentir quelque chose d’étrange.

Je me remémorais la chaleur de son corps tout contre le mien… Et ce baiser qu’il avait déposé sur ma joue… Jamais je n’aurais pensé que Gabriel puisse être quelqu’un d’aussi doux et sensible. Jamais je ne l’avais détaillé avec ce regard. Il m’aurait été impossible de dire qu’il ne m’attirait pas. Gabriel était un homme très beau. Ce soir là, ces yeux bleus océans brillaient de joie, éblouissant quiconque s’y plongeait un peu trop longtemps.

C’est alors qu’une personne qui n’aurait pas due venir fit son entrée dans la pièce. Marion dédaigna tout le monde et alla directement jusqu’à Gabriel. Elle s’interposa devant tout le monde et lui offrit un grand sourire avant de déclarer d’une voix qui trahissait son hypocrisie :

- Félicitation Gabriel ! A croire que je me suis trompée ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un type comme toi puisse arriver à gagner quoi que ce soit un jour. Ca doit cacher quelque chose, dit-elle en prenant une moue dubitative.

Voyant l’expression de Gabriel changer, je m’approchais un peu. Etonnamment il n’était pas en train de se mettre en colère ou du moins ne semblait pas y parvenir. Elle était en train d’appuyer là où cela faisait mal, et quelque chose me disait qu’elle avait connaissance d’une partie du passé de Gabriel et de la raison de sa douleur quotidienne. Comme pour l’enfoncer un peu plus elle ajouta :

- Ah je sais, tu as triché pour pouvoir gagner, il n’y a que cela. Quand on sait d’où tu viens on comprend qu’il est impossible que tu puisses faire quoi que ce soit de ta vie.

Le bonheur et la joie de Gabriel s’effilochaient à vue d’œil. Je le sentais, il était à deux doigts de pleurer. Comment cette femme pouvait-elle être aussi mauvaise ? Cette situation ne pouvait pas durer, Gabriel semblait tellement blessé qu’il ne répondait rien, ne cherchant même pas à se défendre. Jamais je ne l’avais vu aussi abattu. Malheureusement, Marion repassa à l’attaque :

- Dis moi Gabriel, c’est quoi ton secret ? T’es passé sous la table pour pouvoir gagner ? C’était des bons coups les jurys ?

S’en était trop, je ne pouvais pas supporter que Gabriel se fasse ainsi détruire. Cette femme était en train de ruiner tous les effets de sa victoire. Maintenant à côté de Gabriel, ma main partie toute seule avant d’atterrir sur sa joue.

Tout le monde se retourna suite au bruit de la gifle, me regardant ébahi. J’y étais peut être allé un peu fort, mais la colère avait été trop grande. Gabriel me regardait comme sous le choc, ne semblant pas s’attendre du tout à une réaction si imprévisible de ma part. Sans me départir de ma hargne je criais presque, défendant de toutes mes forces l’être qui m’était devenu très cher malgré moi :

- Tu n’as pas d’autres endroits pour aller cracher ton venin ! Espèce de petite garce, tu ne vaux vraiment pas la peine qu’on reste en ta compagnie, viens Gabriel, on s’en va ! Bonne soirée à tous et à demain.

J’attrapais Gabriel par le bras, l’attirant avec moi. Il était légèrement tremblant, et je dus faire appelle à toutes mes forces pour ne pas me faire envahir de sa peine ravivée comme jamais.

Une fois à l’extérieur, je tournais la tête vers Gabriel. Les larmes qu’il avait jusqu’à maintenant retenues commençaient à poindre au coin de ses yeux. Sans perdre un seul instant, je l’attirais jusqu’à moi, lui prêtant mon épaule pour qu’il se lâche enfin.

C’est un sanglot déchirant qui parvint à mon oreille, scindant douloureusement mon cœur en deux. Je sentais ses larmes couler dans mon cou, et ses deux bras venir me serrer très fort, comme pour me remercier d’être là. Lentement, je fis glisser ma main sur son dos dans un mouvement d’aller retour, dans le but de le consoler au mieux.

Sa tête était enfouie dans mon cou, légèrement reposée sur mon épaule et il pleurait évacuant sa peine du mieux qu’il pouvait. Mon autre main passa dans ses cheveux dans un geste très tendre qui l’apaisa un peu tout autant que cela sembla l’intriguer.

Nous restâmes un moment ainsi, tout deux enlacés. Plusieurs fois je lui murmurais quelques mots de réconfort, attendant patiemment qu’il se calme. Ce fut le froid qui nous força à nous écarter un peu lorsque ses larmes se tarirent enfin. Son regard était maintenant fuyant, gêné d’avoir craqué ainsi devant moi. Nos visages étaient tellement proche l’un de l’autre, et nos corps encore collés. Il me suffisait de parcourir quelques centimètres pour effleurer de nouveau ses lèvres, mais par force de volonté je fis, après un temps, le mouvement inverse.

A contre cœur, je me détachais de cette étreinte, quittant l’emprise qu’il venait d’avoir sur moi. Décidant de mettre totalement fin à cet instant si tentateur, je lui demandais alors, espérant une réponse positive de sa part.

- Tu viens chez moi ce soir ?

- Pourquoi pas, me répondit-il d’une petite voix faible et honteuse.

Il m’aurait dit non, je l’aurais forcé. Il était impossible qu’il reste seul dans cet état. Il alla chercher les clefs de la voiture dans le bureau, prenant soin de ne pas aller dans le réfectoire, pendant que j’allais prévenir Philipe de notre départ. Même si j’étais gêné de l’affronté alors que je venais de frapper et d’hausser le ton sur sa fille, je ne voulais surtout pas que Gabriel ait à affronter de nouveau tout le monde. Il était justement avec Marion et je priais pour qu’il me voit avant que je n’arrive à leur hauteur. Heureusement, il redressa la tête, et vint directement me voir :

- Comment va-t-il ?

Extrêmement gêné, je ne répondis pas tout de suite à sa question :

- Je suis désolé pour Marion, j’ai… Je…

- J’ai assisté à la scène Juha, tu n’as pas besoin de te justifier. N’abordons pas ce qu’elle a fait, je m’en chargerais avec elle. Comment va Gabriel ?

- Il… Il vient chez moi ce soir.
Philippe m’offrit alors un sourire, l’inquiétude quittant peu à peu son visage et il souffla en quelques mot :

- Merci Juha… Merci pour tout ce que tu fais pour lui.

Je répondis alors par un sourire gêné et nous nous séparâmes en nous souhaitant une bonne soirée. Je rejoignis Gabriel qui m’attendait dans la voiture. Il abhorrait une expression assez froide qui trahissait sa peine. Lorsque je fus dans la voiture, Gabriel démarra. Il ne mit même pas sa musique, laissant le silence s’installer entre nous. Ou était passé la joie qu’il avait encore il y avait à peine une heure ? Rapidement, nous nous retrouvâmes chez moi. Gabriel alla directement s’asseoir dans le canapé.

- Tu veux boire quelque chose ? Demandai-je alors.

- Non, je n’ai pas soif, merci…me dit-il la voix lasse.

- Je vais préparer à manger dans ce cas.

- Je n’ai pas très faim non plus…

Ne supportant plus cette attitude, je vins m’asseoir à côté de lui.

- Je sais que je suis assez mal placé pour te poser des questions sur ton passé, mais… Enfin voilà… Est ce que je peux t’en poser quelques unes ?

Gabriel tourna la tête vers moi surpris. Il ne semblait vraiment pas s’attendre à cela.

- Tu n’es pas obligé de me répondre, si c’est trop personnel, tu peux ne rien me dire. Mais je souhaiterais juste comprendre certaines choses, comme la réaction de Marion par exemple et l’effet qu’elle a eut sur toi.

Je choisissais mes mots avec difficulté, ayant très peur de le braquer totalement. Mais Gabriel me répondit simplement :

- Je t’écoute.

Je n’aimais pas le ton que prenait sa voix, elle était bien trop triste et trop grave. Rassemblant mon courage, je posais ma main sur la sienne et lui demandais :

- Marion a fait allusion à ton passé, en dénigrant d’où tu venais…

J’avais fait exprès de poser ma main sur la sienne. Grâce à cela, je pouvais en savoir plus que ce qu’il ne me transmettrait pas ses propres mots. Certes cette méthode n’était pas très loyale mais il n’y avait que comme cela que je pouvais l’aider.

- Je… C’est trop personnel désolé, je n’ai pas envie d’en parler.

Presque immédiatement, je décelais de la honte dans sa voix et dans son attitude, et toujours cette peur, la même qui l’avait glacé la dernière fois lors de notre baiser. Qu’avait-il vécu pour qu’il soit à ce point traumatisé et si profondément blessé. Sans trop réaliser que je parlais en même temps que je pensais, je déclarais :

- De quoi as-tu si peur et si honte ?

Ma question mourût dans un silence, les larmes commençaient de nouveau à perler sur le coin de ses yeux. J’avais envie de le prendre dans mes bras, et de sécher de mes doigts ses larmes, mais je sentais qu’il n’accepterait pas ce geste maintenant. C’est pourquoi je ne fis que resserrer l’étreinte de ma main sur la sienne.

Je finis par reprendre la parole, cessant ce silence qui était en train de l’oppresser :

- Ca fait combien de temps que tu étais avec Marion ?

Gabriel tenta de se ressaisir et me répondit :

- Six ans environ…

- Ah oui ? Tant que ça ? Comment en êtes vous venu à ce genre de rapport ?

Gabriel prit une profonde inspiration, bien décidé à me répondre et commença :

- A dix-huit ans je suis venu travailler dans ce centre. Marion comme tu le sais est la fille de Philippe. Personne ne faisait vraiment attention à moi, je n’étais qu’un petit nouveau qui avait à peine atteint sa majorité. Marion a été la seule à venir me parler, alors naturellement nous nous sommes rapprochés. Je.. Je pensais vraiment que je l’aimais, mais je peux t’avouer que je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Et pourtant notre relation à continuer se détériorant jusqu’à maintenant.

- Est ce que c’est une question d’orientation sexuelle ? Me risquais-je à demander.

Gabriel tiqua et répliqua aussitôt :

- Pourquoi cette question ?

- Je… C’est que… Vis à vis des sous entendus qu’elle a fait… Désolé, je n’aurais pas du te demander cela.

J’allais même jusqu’à ôter ma main de la sienne, très mal à l’aise. Il me fallut un temps pour me reprendre. Cette fois-ci ma main se posa sur son épaule et je lui déclarais très sérieusement :

- Quoi que ce soit Gabriel, je suis mal placé pour te juger. Tu ne devrais pas avoir honte de toi, tu es quelqu’un de très bien au fond de toi, et tu l’as prouvé aujourd’hui lors du concours. Quoi que t’ai dis Marion, tu as mérité cette place à sa juste valeur plus que tout autre, alors ne gâche pas ta joie pour elle.

Gabriel tourna alors la tête vers moi, quelques larmes coulaient silencieusement de ses yeux. Il me demanda profondément intrigué :

- Pourquoi est ce que tu t’acharnes à vouloir m’aider comme ça ?

Surpris par sa question, je fus pris de court. Que répondre à cela ? Jamais je ne pourrais lui dévoiler la vérité.

- Je… Parce que… J’en ai envie tout simplement…

Je restais très elliptique. A cette question je ne savais finalement pas quoi répondre moi-même.

- Je ne te comprends pas… A quoi cela te sert-il ? Je n’en vaux vraiment pas la peine tu sais.

- Non ça c’est sur, si tu continue à te rabaisser ainsi ! Si j’ai envie de t’aider et bien je le ferais. Laisse les autres juger de ta valeur car s’il y a une chose dans laquelle tu n’excelles pas, c’est l’estime de toi.

Je parlais durement et je le savais, mais je ne supportais pas de le voir se rabaisser ainsi. Après un long silence ou Gabriel médita sur mes paroles, il finit par se lever et déclarer :

- Je vais me laver, j’en ai pas pour longtemps.

-  Très bien je vais faire à manger pendant ce temps.

Gabriel se leva, tentant au mieux de cacher son trouble. Ayant déjà passé plusieurs nuits chez moi, il avait laissé un bas de pyjama et un t-shirt tout simple chez moi. Il les attrapa au passage avant de se rendre directement jusqu’à la salle de bain.

Je me rendis donc dans la cuisine, préparant un repas simple, mais copieux au vu des efforts et des émotions intenses qu’il avait eu aujourd’hui. Il vint assez rapidement me rejoindre, et je lui demandais de mettre la table, pendant que j’allais à mon tour prendre une douche. Je profitais des bienfaits de l’eau et réfléchissais à notre conversation. Plus j’en apprenais sur lui, plus j’étais intrigué par cet homme.

Lorsque je sortis de la douche, je m’aperçus que j’avais oublié mon t-shirt dans le salon. Après m’être séché et avoir enfilé un simple pantalon, je me rendais dans le salon torse nu, où se trouvait Gabriel en train de regarder la télévision. Je passais devant lui, sentant très vite son regard posé sur moi. Il me fallut un temps pour comprendre qu’il regardait en réalité le tatouage que j’avais sur l’épaule.

C’était fou comme ce genre d’attention m’avait manqué, moi qui en avais été tant dépendant à l’époque. Je me rendais compte de l’effet que ces dix années avaient eu sur moi. La vie avant la mort de Killian… J’avais tout enfoui en moi et je ne voulais pas m’en rappeler. Sa mort n’en était que plus dure. Peu à peu je me laissais aller dans ce baiser à la fois si tendre et passionné. Gabriel se laissait porter par mes envies, ne prenant pas encore l’initiative. Lorsque le baiser prit fin, je m’écartais légèrement de lui et déclarais avec un grand sourire :

- Bonjour Gabriel, bien dormi ?

Aussitôt il vira au rouge, semblant réaliser seulement maintenant tout ce qui venait de se passer, jusqu’au baiser que je venais de lui donner.

- Je… Oui, dit-il de plus en puis plus gêné.

Je ne pus retenir un petit rire, et lui dit :

- Assieds-toi, je t’apporte ce dont tu as besoin.

Rapidement nous nous mîmes à déjeuner dans une ambiance à la fois agréable et à la fois assez gênée. Je finis par me lever et j’allais m’habiller puis pendant que Gabriel était allé faire un tour dans la salle de bain, je rangeais un peu l’appartement.

Puis nous prîmes la voiture pour nous rendre au centre. Je sentais son cœur bien plus léger que la veille. Nous passâmes une bonne partie de la journée ensemble. Il me faisait de plus en plus confiance et me confiait des tâches plus importantes en plus de celles que j’avais à accomplir chaque jour.

Au repas de midi, nous mangeâmes ensemble, en ignorant superbement Marion qui chuchotait quelques mots à notre égard à son voisin de table. Au vu du lieu où nous nous trouvions et à la gêne toujours présente de Gabriel, je ne tentais à aucun moment de l’embrasser. En quelques jours je venais de découvrir une autre facette de sa personnalité bien plus fragile que ce qu’il laissait paraître. En aucun cas cependant je ne lui faisais remarquer ou le taquinait avec cela.

Le soir arriva très vite, et n’ayant aucune envie de me séparer de lui ce soir, j’allais le rejoindre alors qu’il était en train de réparer un filet. Marion et Dorian n’étaient pas très loin mais je ne leur prêtais pas la moindre attention.

- Je sais que tu es déjà venu hier, mais est-ce que ça te dis de dormir chez moi ce soir ?

J’appréhendais un peu sa réponse, et pourtant c’est avec un grand sourire qu’il me répondit avec tout le naturel du monde :

- Je finis ça et on y va.

Ayant soudain envie de le taquiner, je répliquais alors amusé de sa réaction :

- Je me trompe où tu as l’air de te sentir comme chez toi dans mon studio, mieux que dans ta petite chambre en tout cas.

Gabriel leva alors les yeux vers moi les planta dans les miens et dit avec tout le sérieux du monde quelque chose qui me toucha beaucoup malgré la maladresse de l’expression :

- J’en ai marre de la solitude, quand je peux être avec une personne que j’apprécie.

Je ne répondis que par un sourire et allait récupérer mes affaires avant de l’attendre à la voiture. Je passais devant Marion et Dorian qui avaient assisté à la scène les ignorants avec superbe.

Gabriel ne mit pas très longtemps à me rejoindre et nous partîmes jusqu’à mon studio. Nous fîmes quelques courses avant, n’ayant plus grand chose dans mon frigo. Je réalisais au moment de passer à la caisse que pleins de choses que j’avais prise étaient mangées uniquement par Gabriel.

Nous nous retrouvâmes finalement en train de manger un petit plat tout simple sur le canapé devant la télévision, tous deux fatigués par la journée. Nous parlions de tout et de rien. Je me levais un moment, demanda à Gabriel ce qu’il voulait comme dessert et débarrassais afin que nous soyons plus à l’aise. Je revins quelques minutes plus tard me mettre à ses côtés lui tendant la pomme qu’il m’avait demandée.

L’ambiance était détendue comme jamais, me permettant de me reposer comme rarement il m’en avait été possible. Je ne sus pas vraiment comment, quelques temps après que nous ayons fini notre dessert, nous nous retrouvâmes l’un tout contre l’autre, profitant de la présence et de la chaleur du corps de l’autre. Puis, à un instant, nous tournâmes lentement la tête l’un vers l’autre, nous fixant l’un l’autre d’un regard intense.

Progressivement et sans heurt aucun, nos lèvres se rapprochèrent avant de s’unir pour la deuxième fois de la journée. J’y avais à peine goûté, et j’étais déjà en manque. Toute la journée, je n’avais cessé de regarder ses lèvres et de me retenir. Gabriel avait déjà entrouvert ses lèvres, se tournant un peu plus vers moi afin de me prendre dans ses bras.

Nous nous enlaçâmes, laissant nos langues entamer une nouvelle danse très tendre apprenant encore à se connaître. Sans trop m’en rendre compte au fur à mesure dans le baiser, je laissais mes mains un peu plus libre de vagabonder sur le corps de Gabriel. Les siens étaient bien moins mobiles que les miennes, bien qu’au fur et à mesure dans le baiser, je tentais de lui communiquer un peu plus de passion et de désirs.

Mes mains finirent après beaucoup de patience à glisser sous son t-shirt, ayant plus que tout envie de sentir sa peau sous ma main. Je remontais tout le long de son dos, lui laissant un frisson. Mes mains partirent ensuite plus lentement et sensuellement à la découverte de cette peau nue qui leur était offerte.

Plusieurs fois je sentis Gabriel frémir. Il semblait se retenir constamment de se laisser aller lui aussi, comme s’il avait peur de quelque chose. Je commençais à supporter avec bien plus de difficultés le fait de ne rien savoir. Alors que je caressais son dos, mon doigt sembla passer sur un aspect différent de son dos.

Aussitôt, je fus comme envahi de cette douleur que j’avais ressentie la première fois où je l’avais touché. Elle était tellement violente, qu’elle dévastait tout en moi sur son passage. Il semblait soudain gêné que je pose ma main sur cet endroit précis de son dos, car il s’écarta soudain, quittant mes lèvres.

- Je vais me laver… commença-t-il par me dire gêné.

Puis s’apercevant de la pâleur soudaine de mon visage, tentant de me remettre de ce qui venait de s’écouler en moi, il déclara :

- Ca va Juha ?!

- Oui, juste un petit coup de fatigue…

- Hn… dit-il dubitatif, avant de se lever et de se rendre dans la salle de bain.

Je me laissais aller dans le fauteuil, laissant doucement l’énergie revenir en moi, tentant de me remettre. Je fermais les yeux un instant, ramenant la paix après la bataille qu’avait déclenché en moi la souffrance de Gabriel. Je les rouvris lorsque je sentis une présence à côté de moi. C’était Gabriel simplement en serviette qui, gêné, venait chercher ses vêtements qu’il avait oubliés dans sa précipitation.

Mon regard se posa alors directement sur son dos qui se trouvait face à moi. Une longue et fine cicatrice lui zébrait le dos. C’était bien cela que j’avais touché tout à l’heure. Une foule de questions vinrent dans ma tête. Pourquoi Gabriel avait-il cette cicatrice qui était indéniablement liée à son passé ? Qui et pourquoi lui avait-on fait cela ?

N’y tenant plus, je me redressais légèrement alors qu’il se retournait et lui demandais :

- Gabriel ? Qu’est que tu t’es fait au dos ?

Je vis aussitôt ses traits s’effondrer, comme s’il redoutait cette question tout autant que mes questions sur son passé. Alors qu’il allait ouvrir la bouche, la sonnerie de ma porte retentie.

- Je, je vais ouvrir. Je reviens.

Gabriel acquiesça et se dirigea directement jusqu’à ma salle de bain. Je me demandais qui cela pouvait être, mais je n’y prêtais pas grande importance, encore plongé dans les questions au sujet de Gabriel. A peine eu-je ouvert la porte qu’un frisson de terreur me pris. Le frère de Killian plus haineux que jamais se tenait à une mètre de moi. J’eus à peine le temps de crier le début du nom de Gabriel qu’il me sauta à la gorge, m’étranglant de ses deux mains.

Il me plaqua contre le mur. Pris de panique, ne pouvant même plus respirer, je tentais au mieux de me débattre, tentant en vain de repousser ses mains avec les miennes. Je priais pour que Gabriel arrive et c’est heureusement ce qui arriva. Il se rua derrière le frère de Killian avant de le tirer en arrière avec une force décuplée par la rage. Il lui envoya son poing dans la figure sans que le frère de Killian n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Je portais mes mains à ma gorge, la massant un peu, après avoir repris une profonde inspiration. Après un regard inquiet pour moi, Gabriel déclara :

- Je crois que tu n’as pas très bien compris la dernière fois !!!

Le frère de Killian se redressa, en se massant la mâchoire après une grimace de douleur. Une fois debout, il se mit en face de Gabriel qui s’était placé devant moi dans une attitude protectrice. Toutefois, ce fut à moi que le frère de Killian s’adressa :

- Comment ça se fait qu’il te protège autant lui ? Tu l’as encore embobiné comme Killian ? Ca ne m’étonnerait pas de toi petite enflure ! Dis moi tu lui réserves la même fin ?

- Arrêtez ça tout de suite ! dit Gabriel, menaçant.

J’étais totalement tétanisé. Je ne savais pas pourquoi, mais je m’attendais au pire. Qu’allait-il se passer et surtout qu’allait répondre le frère de Killian à Gabriel qui ouvrait déjà la bouche.

- Je me méfierais si j’étais toi, je ne ferais pas confiance à un mec qui sort tout juste de prison.

Je vis Gabriel se raidir tout de suite, et il se tourna vers moi. 

- De prison ??? Juha tu sors de prison ?

Je ne pus que détourner le regard à sa question, les larmes venant déjà mouiller mes yeux.

- J’m’en doutais que cette petite merde t’ai rien dit.

Gabriel se retourna aussitôt, voulant se ruer sur lui pour maintenant déverser la colère qu’il ressentait aussi pour moi. Mais le frère de Killian esquiva et s’enfuit par la porte d’entrée encore ouverte. Gabriel ne bougea pas, il me tournait le dos et ses mains tremblaient de rage. A cet instant, je sus que le bonheur que j’avais effleuré venait d’être briser à jamais, détruit par mon passé qui me collerait toujours à la peau. Ne voulant pas que sa colère éclate et qu’il abatte sa haine trop violemment sur moi, je tentais en vain de l’apaiser :

- Je suis désolé Gabriel, j’aurais du te le…

- Tais-toi !! Me hurla-t-il en se retournant. Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu me cacher cela ? A ce stade de notre relation !

Je me laissais glisser le long du mur, n’ayant plus la force de rester sur mes deux jambes. Je tremblais de terreur et de souffrance, supportant avec extrêmement de difficulté les mots blessants et haineux de l’homme avec qui je m’étais attaché plus que je ne l’aurais du.

- Tu… Tu m’as trahis Juha, j’aurais mieux fait de te laisser seul avec le frère de Killian ! Tu… Je te déteste ! Ne m’approche plus jamais.

Gabriel pris un instant sa respiration avant de recommencer de plus belle :

- Tout ce qu’on a fait… Pendant tout ce temps… Ne m’adresse plus jamais la parole ! Ne viens plus jamais me voir et surtout ne pose plus jamais la main sur moi. Toutes ces belles paroles sur la confiance…
Assis, les genoux repliés sur moi, je tentais vainement de dire, voulant me défendre une dernière fois, la voix enrouée :

- Gabriel, je suis désolé… J’aurais du te le dire… Pardonne-moi… J’avais peur de ta réaction… Je ne voulais pas que tu me rejettes en sachant… Je…

- Est ce que tu avais au moins l’intention de me le dire un jour ?! Tu me dégoûtes ! Me cracha-t-il au visage d’une voix froide trahissant sa haine.

Plus une seule fois il ne reposa ses yeux sur moi. Il alla récupérer toutes ses affaires et sortit de mon studio en claquant la porte, me laissant seul avec ma peine.

Sans résister, j’éclatais littéralement en sanglots, posant ma tête entre mes bras contre mes genoux. Je pleurais de douleur face à ce rejet. Pourquoi avait-il du l’apprendre ? Face à sa réaction je savais que tout entre nous deux était fini à jamais, après même que cela est tout juste commencé.

Je me rappelais du goût de ses lèvres et de sa sensibilité qu’il m’avait plusieurs fois laissé entrapercevoir. Ma poitrine se serra si douloureusement que j’eus du mal à respirer, me repliant encore un peu plus sur moi-même. Avait-il parlé sous le coup de la colère ? J’en doutais… Je repensais à ses derniers moi « Tu me dégoûtes », et de la haine qui avait déferlé sur moi.

Des spasmes commencèrent à me saisir, il fallait que je me lève, que je fasse quelque chose, il ne fallait pas que je reste ainsi. J’étais littéralement épuisé, ma gorge me brulait. J’avais encore l’impression d’y sentir les mains du frère de Kilian. Les tremblements étaient de plus en plus violents et je ne cessais de pleurer. J’avais tellement mal au cœur…

Je ne sus comment je parvins à me lever et à marcher jusqu’au canapé où Gabriel avait si souvent dormi. Je n’arrivais pas à aller jusqu’à mon lit. Cela me rappelait encore la dernière nuit que nous avions passé tout contre l’autre. Recroquevillé, je tentais tant bien que mal de me calmer. Je restais ainsi à pleurer un temps interminablement long, jusqu’à fermer les yeux pour me couper du monde. Peut être n’aurais-je pas dus souhaiter dormir…

Flash back

J’eus à peine le temps d’ouvrir de nouveau les yeux, qu’un deuxième poing vint atterrir dans mon ventre, juste en dessous de mes côtes. J’étais totalement perdu.

- Alors comme ça on se prend pour un tueur ? Tu vas voir ce qu’on leur réserve nous aux mecs dans ton genre.

- Arrête Jack, c’est quand même qu’un gamin.

- Il a été émancipé, et puis à dix-sept ans on est plus un gamin ! Il ne mérite que ça.

A peine eut-il terminé sa phrase qu’il me cracha au visage. J’étais totalement paralysé et je n’osais esquisser un seul (il manque un mot « mouvement » « geste »). Je venais à peine d’entrer en prison que c’était déjà l’enfer. Mais le pire était que je n’avais pas encore rencontré les prisonniers… Pour le moment, j’étais seul face à la haine de ces deux gardiens, heureux d’avoir trouvé quelqu’un de plus faible.

Seulement, jamais je n’eus une quelconque réaction. J’étais trop emprisonné dans ma propre douleur. Un seul nom me venait à chaque fois à l’esprit… Killian. Depuis l’instant même où il avait fermé les yeux, mon cœur saignait de cette douleur vive et amère sans cesser un seul instant.

L’un d’eux attrapa alors un dossier posé sur le bureau. Un homme s’y tenait assis depuis le début et prenait un malin plaisir à voir ses deux acolytes faire ce qu’ils voulaient de moi. Je n’aimais pas son regard et la façon qu’il avait de poser ses yeux sur moi me donnait froid dans le dos.

J’avais l’impression qu’il me réservait bien pire que ce que ces deux hommes étaient en train de me faire. Je sentais la douleur de mon corps mais elle n’était en rien comparable avec celle de mon âme blessée et brisée à jamais. J’étais assis sur une chaise, les mains derrière le dos attachées par des menottes. J’étais totalement offert à eux. Après les claques, ils en étaient venus au poing souhaitant ne pas trop m’abîmer le visage. L’homme qui était maintenant en train de lire le dossier, leva un instant les yeux de ses feuilles et me regarda en me demandant :

- Alors quelle était ta victime salaud ?!

Il regarda un instant son cahier avant de reposer son regard sur moi :

- Killian… Pas la peine de te dire son nom, je pense que tu le connaissais… Alors comme ça, tu as assassiné Killian ! Il est mort par ta faute ! Et comment tu as fait ça ? Avec une balle dans la tête… Et bien on ne fait pas les choses à moitié.

Rien qu’entendre son nom me soulevait le cœur.  Alors en entendre autant était impensable. Je savais ce dont j’étais fautif, et ma culpabilité était bien assez grande.

- Maintenant, je t’en fais la promesse, à partir de ce jour tu regretteras à jamais ce que tu as fait…

Je culpabilisais depuis l’instant même où le coup était parti… Ce n’était même plus de la culpabilité. Ce que je ressentais n’avait pas de nom. Peur, peine, regrets, souffrance, douleur, rancœur contre mon être, terreur du futur, terreur du présent, angoisse de la vie que j’allais maintenant devoir affronter sans Killian dans un milieu des plus hostiles.

Ils continuèrent à mêler coups et remarques blessantes, allant jusqu’à me faire tomber lourdement sur le sol. J’avais envie de leur hurler ma douleur, j’avais envie d’extérioriser ce qui me rongeait pourtant aucun mot ne sortait de ma bouche, aucun son… Je ne savais même plus quoi faire, ni comment réagir. J’étais tombé dans un gouffre qui se refermait peu à peu sur moi…

Et cette image atroce de Killian, inerte sur le sol, baignant dans le sang qui ne cessait de couler. Le tapis s’en était imbibé peu à peu, me laissant une image terrifiante de l’homme que j’aimais, ma moitié que j’avais à jamais perdu. Pourquoi ? Pourquoi y avait-il eu une seule balle ?

Pourquoi m’avait-on interdit la mort ? N’étais-je pas ce que je méritais, ces quinze ans de prison. Mais même un an, un jour ou une seule seconde dans cet endroit étaient impensable dans ce lieu. Les coups de poing avaient laissé place au coup de pied, finissant leur course dans mon ventre et moins lourdement parfois dans mes côtes. J’avais l’impression que jamais cela n’allait prendre fin.

Les insultes, elles aussi pleuvaient de plus en plus durement. J’entendis des choses si rabaissantes, humiliantes et blessantes que cela faisait presque aussi mal que les coups. Tout pour m’enfoncer un peu plus la culpabilité gigantesque du meurtre que j’avais commis.

Soudain, les coups cessèrent et les deux hommes s’éloignèrent légèrement de moi ? J’avais de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts, ma tête tournait si fort qu’il m’était de plus en plus difficiles de me situer dans la pièce. Ma respiration était elle aussi plus dure, à cause des coups. J’avais l’impression que la fin était proche, encore quelques coups et je me laisserais totalement détruit par cette haine.

u’importe ce que j’allais subir, le goût de la vie m’avait définitivement quitté. Seulement rien ne m’arrivait depuis plus d’une minute. Je finis résigné, comprenant que c’était ce qu’ils attendaient de moi, grâce à ce don qui m’avait amené à ma perte, à tourner la tête vers eux. Ils s’étaient installés à côté de l’homme appuyé sur le bureau, silencieux depuis le début, tels des gardes du corps. Dès que je croisais son regard, je frissonnais face au mal qu’il dégageait. Il déclara soudain après un rictus haineux :

- Tu as voulu jouer au plus malin et au plus fort. Tu vas payer pour le crime que tu as commis dans cette prison et de la plus horrible des façons qui soit. Nous allons juste t’offrir un petit aperçu…

Il fit signe à ces deux hommes et s’approcha de moi. J’avais le corps tellement meurtri que je ne cherchais même pas à fuir ou à me défendre. Allonger sur le côté, je continuais de fixer l’homme qui m’approchait lentement. Les deux autres étaient à ma hauteur et attendaient l’ordre de leur supérieur. Alors qu’il était maintenant à peine à quelques mètres de moi, il s’arrêta et déclara sans quitter mon regard :

- Relevez-le ! Mettez-le face au mur, collé contre !

Les hommes s’exécutèrent et je me laissais faire, totalement soumis. Quoi qu’allait me faire subir ces hommes, quoi que j’allais devoir supporter, rien n’égalerait la douleur que je ressentais depuis l’instant même où j’avais pressé sur la détente. J’aurais pu tout endurer, peut être que je voyais cela comme une punition…

Tout ce que l’on était en train de faire, plus que tout je trouvais que je le méritais, la culpabilité était trop forte pour que je ne subisse rien. Quelque part, je pensais que j’avais besoin de tout cela.
On me plaqua contre le mur, me soutenant par les épaules. Je ne pouvais rien faire, j’avais toujours les mains dans les menottes. Il m’était impossible d’espérer ne pas vivre ce que j’allais vivre. Je sentais l’haleine brûlante des hommes de chaque côté de mon visage, qui une fois de plus me rabaissait avec les mots.

Je sentis soudain le troisième homme passer ses mains sur mes fesses, me communiquant involontairement son envie. Je compris aussitôt, bien avant qu’il commence à ouvrir mon pantalon et à le baisser. Face au mur, je ne pouvais pas voir son visage, je ne pouvais pas voir ce qu’il faisait. Je ne pouvais nier que j’avais peur, mais je savais que je pouvais subir autant de viol qu’il le souhaitait, jamais cela ne réduirait ma douleur. Il le baissa jusqu’à mi jambe, entraînant mon boxer avec. Je fermais les yeux, souhaitant me concentrer pour que sa folie ne vienne pas se mêler à mon désespoir.

Après quelques instants, l’homme se colla tout contre moi, faisant exprès de coller son intimité déjà dévoilé sur mes fesses, m’offrant un frisson de dégoût. Il colla alors sa bouche tout près de mon oreille pour me murmurer :

- Tu sortais avec celui que tu as buté si j’ai bien lu ton dossier ? Ca doit te manquer de te faire défoncer depuis qu’il est mort. Ne t’inquiète pas, je vais t’aider.

A peine eut-il fini sa phrase qu’il s’écarta de moi et sans prévenir, me pénétra d’un coup sec. Jamais il ne sera possible de décrire une telle douleur, un tel rabaissement. Un hoquet de douleur me saisit, mais le son de ma voix mourut dans ma gorge. Je ne voulais pas crier. Je n’avais de cesse de me répéter que je le méritais.

Mon corps tremblait sous la douleur de cette présence imposée en moi. Il avait déjà entamé ses vas et viens, me laissant à chaque fois cette impression de déchirure un peu plus forte et bien plus douloureuse. Les deux hommes me maintenaient encore les bras ; sans cela de toute façon je n’aurais pas pu tenir debout. Mon corps était douloureux des coups que j’avais reçu, mais le plus douloureux était en moi pour le moment. Ses gémissements de plaisir prit à me violer heurtait violemment mes oreilles. Et le rire des deux autres hommes étaient insupportable. Il s’enfonçait à chaque fois un peu plus en moi, à chaque fois plus brusquement.

Aucun son ne sortait de ma bouche, je me refusais maintenant à crier ma souffrance qui ne demandait qu’à être extériorisée. J’avais de plus en plus de mal à bloquer ce qu’il ressentait à être ainsi en moi, au plaisir qu’il prenait. Cet instant qui était finalement très court, me parut durer des heures. Lorsque je sentis cet homme jouir en moi, la répulsion fut si forte que j’eus envie d’en finir tout de suite. Jamais je ne m’étais senti aussi sale et éloigné de Killian.

Les deux hommes me lâchèrent au même moment où l’homme se retira de moi. Fragilisé comme jamais, je m’effondrais sur le sol. Les larmes commencèrent à couler sans que je ne puisse rien faire pour les retenir. J’avais vécu une chose effrayante, mais je le méritais.

Le choc avec le sol dur avait été bien moins douloureux que tout ce que j’avais subit jusqu’à maintenant. Mon violeur sortit de la pièce après avoir donné un ordre aux deux autres hommes que je ne compris pas. L’un des deux hommes s’approcha de moi, et vint m’enlever les menottes, m’ordonnant de ne surtout pas bouger. J’en aurais été incapable. C’était l’homme qui m’avait fait le moins de choses, le seul qui semblait au vu de ce qu’il ressentait maintenant, être peiné de ce que j’avais subit.

 Ils finirent par sortir tous les deux, me laissant seul me remettre de ce que je venais de vivre. Je restais là, étendu, immobile sur le sol. J’aurais voulu enfouir ma tête dans mes bras, me cacher un instant, mais je ne le pouvais pas. Je n’arrivais même pas à bouger un seul doigt. J’étais totalement paralysé. Je ne sus combien de temps je restais ainsi à simplement sentir les larmes couler sur mes joues.

Je ne fus pas vraiment conscient de ce qui se passa ensuite, jusqu’au moment ou un autre homme vint me chercher. Mon pantalon encore au niveau des genoux, l’état de mon corps et ma posture criaient ce que j’avais vécu, et pourtant l’homme se contenta de fermer les yeux sur ce que j’avais subit et de déclarer simplement :

- Lève-toi… Il est trop tard pour espérer manger quoi que ce soit. Je t’amène à la douche et tu iras dans ta cellule.

Je tendis difficilement mes bras vers mon pantalon, tentant de le remonter, exécutant son ordre. Rien que le fait de bouger les bras, était douloureux. Je surmontais cependant celle-ci, et tentais de me redresser une fois mon pantalon remis. Je ne voulais surtout pas qu’il me touche. Je ne supporterais pas un contact de plus. C’est pourquoi je me hissais sur mes deux jambes, puisant dans des forces qui m’étaient inconnues, avant même qu’il n’ait l’idée de venir m’aider.

Une fois debout, je m’appuyais un instant contre le mur. La douleur du viol était aussi dur mentalement que physiquement. Je me sentais salis à jamais. Je finis par me décider à marcher vers lui, sentant son impatience. Chaque pas était un supplice, faisant renaître la souffrance que j’avais vécu pendant l’abus de l’homme sur mon corps.

C’est ainsi que je suivis cet homme, découvrant le lieu où j’allais passer une des parties les plus importantes de ma vie… Mais peu m’importait, ma vie sans Killian, il m’était impossible de la concevoir, et la vivre ici était ce que je méritais. Cela apaiserait peut être un peu ma culpabilité. Je ne cessais de me répéter ce genre de phrase.

Nous ne tardâmes pas à arriver à la douche. L’homme me tendit des vêtements et une serviette après s’être éclipsé un instant. Chaque prisonnier avait regagné sa cellule et j’étais le seul à l’extérieur. J’allais pouvoir prendre ma douche en paix, tenté de laver les souillures qui maculaient mon corps.
Je me dévêtis avec difficulté à cause de ce corps meurtri. J’ouvris le robinet d’eau brûlante, ajoutant un peu d’eau froide afin que cela reste dans le domaine du supportable. Sans hésiter un seul instant, je me glissais sous ce torrent d’eau, frissonnant au contact de l’eau sur mes muscles endolori
s. Soudain la vois du gardien retentie :

- On n’est pas à l’hôtel ici, tu as encore trois minutes.

J’attrapais alors le savon, me nettoyant le plus rapidement possible. Pour que l’eau soit réellement bénéfique pour mon corps, j’aurais du y rester bien plus longtemps. Mais comprenant que cela n’était pas de l’ordre du possible, je revins à sa fonction première : laver mon corps. Je finis à temps, me frictionnant ensuite avec la serviette avant d’enfiler mes nouveaux vêtements. L’homme qui m’attendait à l’entrée déclara lorsqu’il me vit arriver :

- Et bien, ce n’est pas trop tôt !

Je ne répondis rien, me contentant de baisser les yeux, sans prêter attention à lui et aux autres remarques qu’il ajouta. Je le suivis, ne souhaitant plus qu’une chose, m’étendre dans le lit qui allait m’être attribué et ne plus bouger. Nous marchâmes devant plusieurs cellules, les remarques fusèrent mais je n’y prêtais en aucun cas attention, plutôt concentré à réussir à mettre un pied devant l’autre. Nous nous arrêtâmes enfin devant une cellule.

Le gardien attrapa ses clefs et m’ouvrit la porte, m’invitant à entrer. L’homme couché en haut sur le lit superposé leva la tête afin de voir qui était l’intrus qui osait pénétrer dans sa cellule. J’avais l’impression d’avoir déjà sentit ce regard posé sur moi. Un frisson me parcourut lorsque la porte se referma derrière moi.

Les lumières de la prison s’éteignirent peu de temps après, laissant régner une ambiance qui ne me plaisait pas du tout. Je sentais l’autre prisonnier continuer à me regarder. N’aimant pas cela du tout, j’allais m’asseoir sur mon lit, me cachant ainsi de lui. Seulement, il ne semblait pas avoir décidé que cela se déroule de cette manière.

J’étais à ce moment là, assis sur mon lit, adossé au mur, les genoux remontés afin de trouver une position la plus rassurante possible, totalement replié sur moi-même. Le prisonnier descendit de son lit, et me fit face, restant debout pour le moment.

- La moindre des choses serait de te présenter non !

Je n’aimais pas du tout la façon dont il avait de m’adresser la parole.

- Comment tu t’appelles ?

- … Juha… articulais-je difficilement.

L’homme pris soudain une moue appréciatrice et déclara :

- Et bien ça change du vieux chnoque que j’avais avant. On peut dire que tu es sacrément bandant !
Il vint alors s’asseoir sur le lit, bien trop prêt de moi à mon goût. Mon rythme cardiaque doubla en quelques secondes.

- J’ai vraiment de la chance d’avoir une gueule d’ange comme toi dans ma cellule. Tu vas voir on ne va pas s’ennuyer…

Il commença alors à s’approcher de moi. Je sentis directement ses intentions. Seulement je savais que je ne supporterais pas deux fois. C’était impossible. Plus il s’approchait plus la peur me nouait les boyaux. L’idée même qu’une main se repose sur mon corps me soulevait le cœur et me serrait la poitrine à en crevée.

Il posa alors une main sur mon bras, m’attirant légèrement vers lui. Je retirais vivement ma main, me terrant alors le plus loin possible, bloqué par l’angle du mur. S’il pu lire la terreur dans mes yeux, il n’y prêta aucune attention. Il n’aimait d’ailleurs pas du tout ma réaction. Je savais que je n’allais faire que repousser le moment, mais n’avais-je pas droit à quelques secondes de répit ?

Il était bien plus fort que moi, et mon corps d’à peine dix sept ans ne me permettrait pas de me défendre contre cet homme qui devait en avoir facilement le double. Tout dans cet homme m’écœurait, jusqu’à ses pensées les plus profondes. Il me saisit cette fois-ci bien plus durement le bras, et j’eus beau tenter de me débattre, il ne lâcha pas prise.

Sans que je n’ais eu vraiment le temps de réaliser ce qui m’arrivait, je me retrouvais très vite plaqué contre le lit sur le ventre, avec cet homme au dessus de moi. Il s’abaissa alors et me murmura à l’oreille :

- Laisse-toi faire ! Tu verras ça va être sympas, on va prendre notre pied tous les deux.

Je tentais vainement de me débattre une fois de plus, bougeant le plus possible afin de me dégager de l’étreinte toujours plus puissante et écrasante de cet homme. Les larmes revinrent bientôt dans mes yeux. Je ne pouvais plus, je n’en pouvais plus. Je voulais quitter ce corps à jamais, mettre fin à l’enfer dans lequel j’étais plongé depuis la mort de Killian. Je l’implorais silencieusement de venir me chercher. L’homme devint bien plus brusque, m’empêchant cette fois-ci réellement de me débattre. Cette fois-ci c’était la fin… Agacé de ma rébellion minime, il déclara :

- Arrête de te débattre ! Plus tu fais cela, plus ça sera douloureux pour toi !

Il me révélait maintenant sa nature, ne cherchant plus à faire semblant de me séduire. Il voulait répondre à son besoin pire que bestial, se vider les couilles et j’étais malheureusement sa proie. Est ce que cela aussi je le méritais ? D’une voix extrêmement faible, je me surpris à le supplier alors qu’il commençait à baiser mon pantalon d’une main, tandis que l’autre tenait mes mains au dessus de ma tête :

-  S’il vous plait arrêtez… Pitié… Non… Ne me faites pas ça…

Les sanglots se mêlaient à mes paroles, les entrecoupant. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Tout comme l’autre, il se plaça au dessus de moi, s’installant au mieux pour prendre son pied à mon détriment. Je ne pus réprimer les tremblements qui me saisirent. Ne voulant surtout pas qu’on entende mes cris, résigner à la suite, j’enfouis ma tête dans l’oreiller.

De la même façon que le gardien, il ne prévint pas lorsqu’il décida d’entrer en moi. J’hurlais toute la douleur que je ressentais, dont le son était arrêté par l’oreiller. J’avais le souffle coupé tellement cette fois-ci était bien plus douloureuse que la première fois. Mon cri fut suivit de sanglots qui furent loin d’arrêter mon bourreau. Mon corps était pris de spasmes de plus en plus douloureux. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse ressentir quelque chose d’aussi douloureux. Le prisonnier poussait des gémissements de plaisir qui écorchait mes oreilles à vif.

De tout mon être je priais pour que cela prenne fin. Je tentais lamentablement de bouger mes bras, mais il tenait trop fermement mes poignets. Je ne pouvais plus rien faire… Je ne voulais plus rien sauf une chose : en finir une bonne fois pour toute. Je ne supportais plus de sentir sa peau déjà ruisselante par l’effort se frotter contre la mienne, me donnant l’impression d’un papier de verre.

Le pire était de ressentir le plaisir qu’il prenait à être en moi. Trop affaibli, il m’était maintenant impossible de bloquer mon esprit. Tout pris fin après un temps que je jugeais infiniment trop long. Il se déversa en moi tout comme le gardien, me souillant à son tour. Il ne resta pas une minute de plus à mes côtés. Il se retira de moi, et remonta dans son lit, me laissant étendu dans la même position.

 Ma tête était toujours enfouie dans l’oreiller, mes pleurs toujours plus douloureux. Je me sentais détruit, anéanti à jamais. Mes mains se serrèrent sur draps qui s’étaient légèrement défaits par ce qu’il venait de se passer. Seulement, rester dans cette position était finalement pire que tout. Je finis par me redresser et me mettre assis en boule contre le coin du mur. Je fixais l’entrée de la cellule, laissant les larmes s’écouler. Mes yeux parcouraient la pièce à la recherche d’une issue, je n’étais pas très loin de la folie. Il fallait que je trouve une échappatoire, une solution pour que tout finisse maintenant.

Mes yeux furent alors attirer par quelque chose de brillant au dessus de ma tête. Je levais la tête afin de mieux voir, et m’aperçut qu’il s’agissait d’une larme de cutter coincé et cacher aux yeux des gardiens. Il ne fallut pas longtemps pour préparer ce que je voulais faire. Fébrilement je tendis mon bras vers cette lame, ne pensant plus qu’à une seule chose : en finir une fois pour toute et fuir cet endroit à l’aide de la seule méthode qui était en mon pouvoir.

J’avais assez payé, je pouvais partir. Mourir, c’était tout ce que je méritais. Je portais cette lame à mon poignet, et sans perdre un seul instant, j’incisais cette peau qui ne demandait qu’à l’être. La lame entra comme dans du beurre, laissant échapper aussitôt des flots couleur vermeille, la même couleur qui avait entouré Killian avant sa mort.

J’étais comme hypnotisé par ce sang qui s’échappait en même temps que ma vie. Plus rien ne me retenait dans ce monde. Je pouvais partir, cela ne ferait de peine à personne. Je ne ressentais même pas la douleur, seulement une légère gêne, l’impression qu’on m’enlevait quelque chose d’important. La vie me quittait, ma tête tournait. Mes yeux commençaient à se fermer… Je perdis conscience sans même m’en rendre vraiment compte…

Fin du flash back

J’ouvris soudain les yeux, tout tremblant et transpirant. Mon bras me lançait et il me fallut un temps pour réaliser que tout cela n’avait été qu’un rêve, ou du moins un souvenir revécu en rêve du passé. J’étais tout tremblant, recroquevillé dans le canapé. J’avais l’impression de venir de vivre ce traumatisme de mon passé. Ma cicatrice me brûlait comme si c’était une plaie ouverte. Je ne pouvais pas rester ainsi allongé, il fallait que je me lève. Je me redressais vacillant, faible comme jamais.

En plus de ce cauchemar, je me rappelais de ce qui s’était passé juste avant. Mon cœur se sera douloureusement. Je sentis soudain un haut le cœur, et j’eus à peine le temps de courir jusqu’au toilettes. Un second hoquet me prit, et il m’en fallut pas plus pour vomir. Les larmes vinrent en même temps.

Chaque spasme était de plus en plus violent, me prenant dans le ventre et provoquant des crampes. Rare était les fois où je me sentais aussi faible et aussi minable. J’avais vécu dix ans en prison, pourquoi fallait-il que je rêve du pire… Après ma tentative de suicide, on m’avait placé dans la même cellule pendant dix ans, et l’occupant m’avait pris sous son aile sans jamais rien me demander en échange.

Le temps m’avait aidé à oublier, à dépasser ce traumatisme que je voyais toujours comme une punition. Je ne sus pas vraiment combien de temps je restais là, à finir par vomir toute la bile que contenait mon estomac maintenant désespérément vide. Je finis par me relever et marcher à l’aide de mes jambes tremblantes jusqu’à la salle de bain.

Je me passais un peu d’eau sur le visage, faisant tout pour ne pas regarder mon teint livide dans la glace. Je retournais m’allonger en boule dans le canapé, attrapant une couverture car je frissonnais de froid, affaibli par mon état pitoyable. J’étais en train de craquer comme rarement cela m’était arrivé. L’idée même de n’avoir plus aucun lien avec Gabriel s’était revenir en arrière, me retrouver de nouveau terriblement seul.

Cette solitude me terrifiait de par ce que j’étais capable de faire. Pourquoi ce jour de prison… Je pensais l’avoir dépassé. J’avais pu coucher avec Dorian sans aucun problème, l’acte sexuel en lui même ne me faisait pas peur et j’aurais été tout à fait capable d’aller plus loin avec Gabriel. Non, c’était une toute autre forme de traumatisme que ces deux hommes avaient laissés en moi. Avoir réveillé cette souffrance en moi avait fait revenir à la surface des vieux démons autodestructeurs… Je souhaitais tout autant dormir que rester éveillé.

Ces deux états étaient tous deux maintenant similaires et douloureux. Le soleil s’était maintenant bien levé dans le ciel et je réalisais que la journée était maintenant bien avancée. Je n’étais pas allé travailler et jamais je n’en aurais été capable. Rester allongé là, dans un état de crise, c’était tout ce qui m’était permis de faire. Mon téléphone sonna plusieurs fois dans la journée, mais il m’était impossible de me lever pour répondre. Et puis je n’avais personne à qui j’avais envie de parler. Ce ne pouvait être que le frère de Kilian ou le centre et c’était hors de question.

Je finis par allumer la télévision, m’emmitouflant dans la couverture. Je n’avais pas faim, et l’idée même d’ingurgiter quelque chose me soulevait le cœur. Je tentais plusieurs fois désespérément de suivre le film, puis le suivant, mais rien n’y faisait. Je repensais à toutes ses années que j’avais passé depuis la mort de Killian jusqu’à la récente perte de Gabriel. Est-ce qu’en tuant Killian, j’avais anéanti tout bonheur possible ? Est ce qu’un jour ma culpabilité prendrait fin ? Je n’arrivais plus à y croire…

Je passais la nuit ainsi, dans un semi sommeil, pas assez profond pour rêver de nouveau de mon passé, m’enfonçant plus loin dans les cauchemars. Tout m’inspirait le dégoût de moi même et de mon corps. L’idée d’être souillé à jamais était ressorti de plus belle. Est ce que je ressentirais toujours cela ? La réponse qui me venait à l’instant était positive.

Plongé dans le pessimisme le plus sombre, je passais une seconde nuit des plus difficiles. La journée qui suivit fut encore pire. Les seules fois où je me levais était pour aller vomir. Une volonté sourde et autodestructrice s’était emparait de moi. Je ne savais ce qui me retenait. Plus je pensais au centre et plus je me disais que jamais je ne pourrais y retrouver et affronter Gabriel chaque jour.

Ce qui venait de m’être enlevé était bien trop rare et précieux pour constaté son manque chaque jour. Je dormis très peu la nuit qui suivit, mais elle m’aida à prendre ma décision. Je ne pouvais pas rester comme cela. Très tôt demain matin, j’irais donner ma démission. Je partirais d’ici. Je vivrais le plus seul et plus éloigner des autres. Je m’isolerais à jamais, et pour cela je trouverais la solution la plus radicale.

Ainsi, lorsque l’aube se leva, je me redressais, puisant dans mes dernières forces. J’avais l’impression que l’on m’avait roué de coups, tellement mon corps était courbaturé. J’allais directement dans la salle de bain, ne prenant pas la peine de voir mon visage tout de suite. Je fis couler l’eau sur mon corps, tentant de redresser un peu la tête, ne voulant pas montrer à tous lorsque je sortirais mon abattement. Lorsque je sortis, je me séchais les cheveux, défaisant les quelques nœud.

Une fois sec, j’allais m’habillé. Ce soir, je ferais mes valises et quitterais cet endroit pour aller errer dans un ailleurs où je ne me lierais avec personne. J’attrapais aussi quelque chose à manger pour la route, ayant besoin d’un peu de force, même si la vue de la nourriture ne me donnait pas du tout envie. Je sortis de chez moi, après avoir enfilé ma veste, comme un zombie. Il neigeait dehors, donnant à l’ambiance un ton tout à fait approprié. Dehors, le froid était saisissant et pourtant je continuais de marcher sans y prêter vraiment attention. Plus j’approchais du centre, et plus mon cœur se serrait. Plus j’avançais et plus je ralentissais.

Lorsque j’atteignis enfin le centre, je fus soulagé de constater que personne n’était encore arrivé ou n’avait véritablement commencé à travailler. J’allais directement jusqu’au bureau de Philippe et frappais à sa porte, inspirant un bon coup. Heureusement il était là, et dit simplement :

- Entrez…

Je m’exécutais, ne sachant pas trop comment celui-ci allait réagir à ma venue.

- Tiens, s’exclama Philippe sans cacher sa colère, je pensais ne plus jamais te revoir, qu’est ce que tu fiches ici ?

- Je… euh… Commençais-je à bredouiller. 

Je m’avançais un peu plus en même temps, voulant arriver à sa hauteur.

- Je t’avais prévenu Juha ! Tes problèmes ne devaient pas affecter ton travail ! Deux jours d’absences sans prévenir !! Non mais tu te prends pour qui ? J’espère que tu as une excuse en béton.

Je n’arrivais rien à répondre, j’étais comme paralysé face à sa colère qui m’envahissait et que je ne savais même plus repousser. Jamais je ne me serais imaginé aussi faible.

- Alors Juha j’écoute. Tu es en train de me faire perdre mon temps, déclara-t-il, s’impatientant de plus en plus.

Je ne trouvais qu’une chose à lui dire, prenant mon courage à deux mains, sachant que je ne pourrais pas tenir la tête haute très longtemps :

- Je m’excuse. Ce que j’ai fait un intolérable, c’est pourquoi je donne ma démission. Merci pour tout ce que vous avez fait.

Philippe semblait abasourdit parce que je venais de dire. C’était vraiment la dernière des choses à laquelle il s’attendait. Ce fut à son tour de bégayer quelques mots, mais je ne lui laissais pas le temps de reprendre ses esprits, et déclarait simplement « au revoir » avant de lui tourner le dos et de quitter la pièce. J’avais pris ma décision et c’était l’unique solution que je voyais. A l’instant même où je priais pour ne pas revoir Gabriel, je tombais face à lui en ouvrant la porte, et à voir l’expression qu’il affichait je compris qu’il avait assisté à une bonne partie de la scène. Maintenant qu’il était en face de moi, je ne pouvais plus faire marche arrière.

- Au revoir Gabriel…

A l’instant même où je prononçais ces mots, je les trouvais à la fois si ridicules et déplacés. Il me dévisageait, semblant peu à peu réalisé ce que je venais de dire. Ne pouvant supporter sa vue d’avantage et mon cœur saignait, je poursuivis ma route en le dépassant. Sa voix retendit soudain dans mon dos, mêlant froideur et colère :

- Tu ne fait que fuir !

Je me retournais aussitôt vers lui, presque choqué par ce qu’il venait de dire. Blessé de ces quelques mots, retenant tant bien que mal mes larmes, je déclarais d’une voix assez faible :

- Ne juge pas Gabriel… Tu ne sais rien.

- Non, je ne te juge pas, je ne que fait que constater ce que je vois !

Je détournais le regard, ne supportant plus de le voir. C’était bien trop douloureux. Malgré moi, je constatais que je m’étais attaché à lui bien plus que je ne le pensais.

- Pourquoi est ce que tu ne me regardes pas quand je te parle, reprit-il. De quoi as-tu peur ? De la vérité que je dis ? Tu n’es qu’un lâche Juha ! Tu fuis la queue entre les jambes à chaque problème que tu rencontres !

S’en était trop. Je ne pouvais pas en entendre plus. Une colère sourde m’envahie, faisant échos à la sienne. Je plantais mes yeux dans les siens et déclarais :

- Comment peux-tu dire que tu ne juges pas en me disant cela. Peut être que je fuis, mais que ferais-tu si tu étais dans ma situation. Tu as raison, je sors de prison et cela doit grandement te choquer. Je me doutais de la réaction que tu aurais. Mais as-tu imaginais un seul instant tout ce que j’ai vécu avant la prison et pendant les dix années qui ont suivi ? Je n’ai plus rien à faire ici. Je préfère partir parce que peut être qu’il m’est impossible de rester ! Fuir, n’est ce pas finalement ma seule solution ? J’ai assez souffert pour que tu viennes me juger aussi facilement.

Je pleurais et je tremblais, mais j’extériorisais un peu ma douleur.

- On a tous un passé certes plus ou moins douloureux Juha, mais ce qui compte maintenant c’est ce que l’on ait, et pas le passé ! me répondit-il.

- C’est tellement facile de dire cela ! S’il te plait épargne-moi ces grandes paroles ! J’en ai assez de ces discours moralisateurs.

- Peut être que c’est facile Juha, mais contrairement à toi j’ai plus ou moins réussis à surmonter mes démons.

J’inspirais alors profondément, ne voulant pas laisser échapper des paroles blessantes. Mais je finis par lâcher : 

- Le pire, c’est que tu crois ce que tu dis… Arrête de mentir.

Je réalisais trop tard que j’en disais peut être un peu trop. Sans me départir de ma volonté, je lui tournais subitement le dos, commençant à partir. Mais la main de Gabriel agrippa fermement mon poignet et j’eus à peine le temps de me retourner que je reçus une gifle puissante. Les coups, s’étaient bien la dernière chose que je pouvais encaisser maintenant. Je repris ma fuite, courant vers la porte. J’entendis plusieurs fois Gabriel m’appeler, mais je ne me retournais à aucun moment.

Je courus tout le long du trajet, trop blessé et trop meurtri pour avoir la résistance à quoi que ce soit. Je me retrouvais devant chez moi, montant les marches avec la même cadence. Arrivé devant ma porte, j’avais déjà saisi les clefs. Ma tête tournait à cause de l’effort fourni.

Fuir et cette fois-ci fuir pour de bon était ma seule solution. Je jetais un rapide coup d’œil une fois rentré chez moi dans la pièce, ne prenant même pas la peine de fermer la porte. N’avais-je pas déjà assez souffert et payé pour la mort de Killian ?

N’avais-je pas droit maintenant à cette libération. Je n’avais aucune raison de rester, rien qui me retenait. La seule personne qui me prêtait maintenant réellement attention était le frère de Killian qui souhaitait ma mort. Je saisis le couteau à l’instant même où je le vis. Il était suffisamment aiguisé pour abréger mes souffrances.

Mes jambes cédèrent sous mon poids. Mon poignet fut découvert et offert. Il suffisait d’un seul geste et tout cela était fini. J’avais assez donné, assez souffert, assez payé. J’allais pouvoir fuir pour de vrai et donné raison à Gabriel. Soudain, sa voix retentie, me faisant sursauter :

- Juha ! Putain qu’est ce que tu fous ! Cria-t-il

Il courut vers moi, totalement paniqué et essoufflé, m’arrachant le couteau des mains. Il attrapa alors le poignet que je m’apprêtais à tailladé une ultime fois, souhaitant regarder si je n’avais rien. Je n’eus même pas la force de lui résister et réalisais seulement maintenant ce qu’il allait voir. Il fixa mon ancienne cicatrice, la découvrant pour la première fois. Peut être était-il en train de prendre conscience de ma souffrance… Il plongea ses yeux dans les miens embués de larmes et me demanda au bord des larmes :

- Pourquoi Juha ?

- J’en peux plus Gabriel… répondis-je la voix vide de toute force…

Ce fut la phrase de trop qui le fit pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi il se mettait dans cet état. Pourquoi pleurait-il ? Je détournais les yeux, ne supportant pas d’être la raison de ses larmes. Sa voix retentie de nouveau :

- Est ce que tu es toujours comme cela Juha ? Aussi égoïste ? Est ce que tu agis toujours en ne pensant qu’à toi sans te douter du mal que tes actes peuvent causer aux autres ?

Je relevais mes yeux, les plantant dans les siens, et déclarais, dans une plainte déchirante :

- A qui est ce que je causerais du mal si je partais ?

Une seconde gifle vint atterrir sur ma joue déjà endolorie par le précédent coup.

- As-tu vraiment conscience de ce que tu dis ?!

Je ne résistais plus. Toutes mes forces, toute ma volonté s’effondra comme un château de cartes. Je me jetais presque dans ses bras, me laissant aller à enfouir ma tête contre son épaule. Il ne me repoussa pas et au contraire, m’enlaça avant de me serrer très fort. Au milieu d’un sanglot, je lui soufflais alors simplement un mot :

- Pardon…

Gabriel m’écarta alors un peu de lui, ne mettant cependant pas fin à l’étreinte.

- Comment te faire confiance Juha ? Qu’est ce qui me prouve que tu as été clair et honnête avec moi ?

Tentant un instant de cesser de pleurer, je déclarais la vois enrouée :

- Laisse-moi du temps… Je te promets qu’un jour tu sauras tout… Mais je n’ai pas la force de te le dire maintenant…

Gabriel m’attira alors soudain à lui, me serrant si fort qu’il m’étouffait presque. J’aimais plus que tout être ainsi dans ses bras, sentir ce contact rassurant. Il murmura alors à mon oreille :

- Je t’en supplie, ne recommence jamais ça… Ne me refais jamais aussi peur…

Sa voix mourut dans nos sanglots. Je me laissais aller dans ses bras, m’apercevant de mon état de faiblesse physique dut à ces derniers jours. Me reposer un peu sur ses épaules, j’en avais plus que besoin. Mais j’avais surtout besoin de lui dire une autre chose, transmettant ainsi ma peur, au milieu d’un sanglot, la tête toujours enfouie tout contre lui :

- Ne me laisse pas seul Gabriel, s’il te plait… Je t’en supplie ne me laisse pas seul.

Inconsciemment, je resserrais l’étreinte de mes bras sur son corps. Je tremblais comme une feuille… Tout ce que j’avais emmagasiné jusque là était en train d’éclater sous ses yeux. Semblant percevoir la gravité de ma détresse, il raffermit lui aussi son étreinte et me dit :

- Je n’en ai pas l’intention Juha… Je suis là… Chut…. Calme-toi…

Il s’écarta de nouveau légèrement de moi, et déposa alors un baiser sur mon front. Il y avait tellement de douceur et de réconfort dans ce geste que je fus envahie d’une vague chaude et rassurante. Mes yeux rougis et embués se posèrent sur son visage, avant de croiser son regard pour ne plus le quitter.

Je m’apercevais que j’avais besoin de bien plus qu’un simple baiser sur le front. J’étais presque pris d’un vertige en constatant à quel point, en si peu de temps, j’étais devenu dépendant de lui. Sans penser aux conséquences ou même appréhender sa réaction, j’approchais mon visage du sien, et déposer délicatement mes lèvres sur les siennes.

J’avais besoin de ce baiser, comme pour me sentir vivre, comme pour ressentir quelque chose d’agréable qui me permette de croire que quelque chose me retient dans ce monde. C’était finalement par ce baiser désespéré que je tentais de me raccrocher à la vie. Je n’avais que cela, c’était ma dernière chose et heureusement Gabriel le compris. Je pouvais ressentir sa peine et son affection pour moi, lorsqu’il me céda l’entrée de sa bouche.

Je mis tout mon être dans ce baiser, me mettant comme rarement totalement à nu, lui dévoilant bien plus que mon âme. En cet instant, s’il y prêtait attention, il pouvait tout lire en moi, je m’abandonnais totalement à lui. Si je restais en vie, si je m’agrippais de nouveau à celle-ci, c’était uniquement grâce à lui. Perdu dans l’étreinte de ses bras et dans le baiser dont il était en train de prendre les rênes, je me laisser transporter, le laissant à sa guise me découvrir, me dévoiler…

Mon cœur était maintenant gonflé de ce sentiment précieux de réconfort et d’affection qui m’avait cruellement manqué pendant toutes ses années. Mon cœur battait extrêmement vite, je tremblais encore, mais au creux de ses bras, et en plein milieu de ce baiser, je me sentais protégé…

A suivre…

Beyond the invisible - chapitre 06

Jeudi 6 décembre 2012

Chapitre 6 par Shinigami

 

Allongé dans la neige, je sentais petit à petit le froid prendre possession de mon corps, m’empêchant de faire le moindre mouvement. Je ne pouvais plus bouger, et même respirer devenait de plus en plus difficile. Les yeux fermés, n’ayant pas la force de les ouvrir, je me sentais aspiré dans les ténèbres. J’avais froid, mon corps entier me faisait souffrir, comme si on me plantait des milliers d’aiguilles dans le corps. Cependant, je savais que je n’étais pas seul. Il y avait cette présence près de moi, une présence réconfortante et apaisante.

Une voix s’éleva alors, tremblante de peur et d’angoisse. Je connaissais cette voix, je l’avais déjà entendu, mais déformée par mon cerveau endormi par le froid, je ne parvenais pas à mettre un nom dessus. Ni même un visage d’ailleurs.

Chaque seconde qui passait semblait aussi longue qu’un jour entier. Et mes paupières se faisaient de plus en plus lourdes, le froid de plus en plus présent.

C’est alors que je sentis une douce chaleur envelopper ma main et se propager dans tout mon corps, me réchauffant lentement. Je connaissais la texture de cette peau, je l’avais déjà touché, mais comme la voix, je ne parvenais pas à l’identifier.

La chaleur quitta alors ma main et se déplaça pour se poser sur mon front gelé, mais pourtant luisant de transpiration. J’avais chaud, j’avais froid, je ne ressentais plus rien hormis la douceur de cette main posée sur mon front. Mon corps me refusait le moindre mouvement. Je voulais ouvrir les yeux, et prendre dans la mienne cette main qui m’apaisait de mes souffrances. Mais j’étais paralysé, engourdit par le froid qui continuait de baisser inlassablement, je devais me contenter d’être spectateur, de recevoir de cette personne, sans rien pouvoir lui donner en échange. Pas même un signe de vie qui diminuerait certainement la peur palpable que je pouvais sentir dans l’intonation de sa voix et l’hésitation de ses gestes.

De nouveau, sa main quitta mon front brûlant de transpiration pour reprendre la mienne. Il la sera très fort, comme si par ce geste, il tentait de me maintenir éveillé, comme s’il tentait de me sauver. Lentement, je me sentais quitter ce monde, inexorablement emporté par le froid qui prenait possession de moi, pour finalement se faire chaleur. La douleur physique que je ressentais disparaissait lentement, pour faire place à une sensation de bien être que je n’avais encore jamais ressenti auparavant. Comme si plus rien autour de moi n’existait.

Alors que je me laissais entraîner sur ses rivages lointains, j’entendis une voix dans ma tête qui hurlait mon prénom, une voix emplie de détresse. Cette même voix qui résonnait à mes oreilles tout à l’heure. Qui était donc cet homme qui m’appelait ? Etait-il sorcier pour pénétrer ainsi mon esprit ?

Et toujours cette voix qui hurlait, qui m’intimait de rester auprès de lui, m’ordonnant de me battre et de poursuivre ce combat intérieur contre moi-même, de repousser au loin la tentation de suivre la douce chaleur bienfaitrice qui m’attirait vers cet univers inconnu mais tellement attrayant. Je sentais les dernières volontés qui me restaient s’affaiblir sous l’action cumulée du froids, de la fatigue et de la douleur que je ressentais, autant physiquement que mentalement. L’hypothermie me gagnait et à présent, une seule pensée m’obsédait. J’allais mourir de froid si personne ne faisait rien… Mes dernières forces diminuaient inexorablement sans que je ne puisse l’en empêcher.

Juste avant que je ne sombre définitivement dans l’inconscience, le hurlement d’une sirène me vrilla les tympans, et sans pouvoir esquisser le moindre geste, je sombrais dans l’inconscience.

 

Je fus réveillé par le “bip” régulier qui sonnait à mes oreilles. Avec difficulté, j’ouvris les yeux pour les refermer aussitôt, aveuglé par l’afflux de lumière blanche produite par les allogènes qui éclairaient la pièce. La position allongée me faisant souffrir, je tentais de me redresser avec beaucoup de peine, mon corps endolori, me faisant souffrir au moindre de mes mouvements. Alors que je me redressais, ma tête se mit à tourner, et prit de vertiges, je me vis contraint de me rallonger. Je poussais un soupir d’exaspération et d’énervement pour la forme, et de nouveau gagné par la fatigue, je n’avais même plus la force de râler.

C’est alors que la porte de ma chambre s’ouvrit et je vit Philippe se précipiter sur moi avec empressement, si bien que je ne remarquais pas la seconde personne qui resta un peu en retrait dans la salle. Philippe m’attrapa la main et me demanda comment j’allais. L’inquiétude le faisait parler avec précipitation, si bien que je ne comprenais pas la moitié de ce qu’il me disait. J’avais l’impression d’être un demeuré, mais mon esprit embué de fatigue avait du mal à se connecter à la réalité, et mes neurones semblaient plus vouloir se reposer que tenter d’établir une connexion, ne serait-ce que partielle.

- Tu m’as foutu une sacrée trouille, gamin ! Déclara Philippe. Ne me refais jamais une peur pareille compris ! Sinon c’est moi qui risque de crever d’une crise cardiaque avant l’heure !

- Hey ! Doucement s’teuplé ! J’ai le cerveau qui va exploser entre la lumière et tes hurlements ! J’aurais mieux fait de rester dans les vapes ! Murmurais-je, incapable de parler à haute voix.

C’est alors que je me rendis compte d’une présence dans le fond de la salle. Je tournais la tête en sa direction, et mon coeur failli louper un battement lorsque je reconnu Juha.

- Qu’est-ce qu’il fout ici lui ?

Inconsciemment, je dus exprimer tout haut ce que je pensais tout bas, car je sentis deux paires d’yeux se poser sur moi et me regarder fixement.

- Enfin Gabriel ! C’est grâce à lui que tu es ici. On peut même dire qu’il t’a sauvé la vie, déclara Philippe.

Abasourdi par la révélation que venait de me faire Philippe, j’en oubliais totalement la présence de Juha. Assommé par une telle nouvelle, je reportais lentement mon attention sur l’homme qui me faisait face et le regardais sans pouvoir prononcer le moindre mot.

Alors comme ça, c’était lui… La voix qui résonnait dans ma tête et m’appelait, me forçant à rester conscient, n’était autre que la sienne… Comment n’ais-je pas pu la reconnaître ? Et surtout, pourquoi s’est-il donné tant de mal pour moi ?

- Pardon ? Répondis-je, prenant confirmation de l’information que je venais de recevoir, pensant avoir été victime d’un mauvais tour de mon cerveau dérangé.

- Ne me fais pas répéter ce que tu as très bien entendu Gabriel ! Sévit Philippe.

Je ne répondit rien, me contentant de soupirer de façon exagérée, montrant bien ainsi mon mécontentement.

C’est alors qu’un détail surgit à mon esprit, et paniqué, je demandais d’une voix tremblante de peur :

- Et Orphée ? Philippe ! Comment va mon cheval ?

- Calme toi Gabriel, me répondit Philippe, Juha s’en ait très bien occupé. Il l’a ramené et la remis dans son box, après l’avoir dessellé et pansé. Rassure-toi. Orphée va très bien !

Je poussais un soupir de soulagement audible, ne relevant même pas lorsque Philippe m’apprit que Juha s’était lui-même occupé de ma monture.

Soudain, un mouvement dans le fond de la pièce attira notre attention, et à mon grand étonnement, je vis Juha, blanc comme un linge, tenter de reprendre constance, sans pour autant y parvenir. Son teinte livide, lui donnait un air maladif, si bien que je me demandais si ce n’était pas plutôt lui qui avait sa place dans le lit dans lequel je me trouvais.

D’une petite voix que je ne lui connaissais pas, il déclara :

- Je crois que je vais rentrer, je…

Il ne termina jamais sa phrase, mais j’en devinais aisément la fin…

Face à l’atmosphère étouffant qui régnait dans la pièce, Philippe déclara d’un ton enjoué, tentant d’apaiser les tensions :

- Oh, excuse moi, je n’avais pas vu ton état, j’étais tellement inquiet pour Gabriel. C’est vrai que tu sembles avoir besoin de repos. On est pas habitué au travail ici hein ? dit Philippe tentant de détendre l’atmosphère.

Repoussant la fatigue que je sentais poindre, je posais mon regard sur Juha pour ne plus le lâcher. J’avais l’impression qu’il me cachait quelque chose, mais je n’aurais su dire quoi. Son regard fuyant ne faisait que renforcer cette impression, et inconsciemment, je me fis la promesse de découvrir ce qu’il cachait avec tant de ferveur.

Son visage d’une pâleur maladive reflétait son manque de sommeil et la fatigue qu’il avait accumulée et on pouvait y déchiffrer toute la rancoeur et la déception qu’il éprouvait en cet instant. Semblant se rendre compte également de l’état comateux de Juha, Philippe se leva, m’informant qu’il ramenait Juha chez lui, et repassait ensuite une dernière fois à l’hôpital.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter la pièce, Juha m’adressa un dernier regard que je soutins sans problème, sans parvenir pour autant à déchiffrer le message silencieux qu’il m’envoyait.

Même après qu’il ait quitté la pièce, je restais un long moment à fixer sans même la voir, la porte par laquelle il avait disparu de ma vue. Le regard dans le vide, je songeais sans cesse au dernier regard que m’avait adressé Juha.

Je n’étais moi-même pas certain, mais il me semblait y avoir décelé, l’espace d’un instant, un éclair de tristesse. Mais face à l’incertitude de ce qui m’avait semblé être une illusion, je décidais de n’y prêter aucune importance. Et puis, dans l’état dans lequel j’étais, je préférais largement me reposer que de me prendre la tête avec les problèmes des autres. J’en avais suffisamment moi-même pour jouer les Saints Bernard. Puis, éreinté, le corps endolori et la tête pleine de questions, je finis par m’endormir sans me sentir plonger.

Lorsque je me réveillais, la pièce était plongée dans l’obscurité, et alors que j’ouvrais lentement les yeux, afin de ne pas vivifier mon mal de tête déjà présent, j’entendis le bruit caractéristique d’une poignée de porte, et aussitôt après, celle-ci s’ouvrait, laissant entrer un halo de lumière blanche. Dans l’entrebâillement de la porte, je reconnu Philippe. Celui-ci semblait hésiter entre entrer et repartir, n’étant pas certain de mon état. Face à son doute, je déclarais d’une voix éraillée :

- Tu peux entrer… Je ne dors pas…

Obéissant à ma demande, Philippe entra dans la pièce et referma la porte derrière lui. Se laissant guider par les rayons de la lune, il tâtonna à la recherche de la lampe de chevet posée sur le petit meuble près de mon lit et prit place sur la chaise qu’il occupait tout à l’heure.
- Comment te sens-tu ? Me demanda Philippe d’une voix qui trahissait son inquiétude.
- Comme quelqu’un qui est tombé de cheval, répondis-je avec un rire qui sonnait faux.
Contre toute attente, Philippe posa délicatement sa main sur mon front, en un geste de réconfort, et d’une voix douce, il demanda :
- Que s’est-il passé, Gabriel ? Tu te souviens de quelque chose ?
Bien sûr que je me souvenais de ce qu’il s’était passé, mais pouvais-je réellement le raconter à Philippe ? J’étais pris au pied du mur, et pour la première fois depuis longtemps, je ne sus que faire. Alors, malgré ma réticence, je décidais de lui cacher la vérité… Puis, d’une voix mal assurée, je répondis :
- Oui, je… Je me souviens avoir été perturbé. Je n’étais pas assez concentré et avant que je ne comprenne ce qui se passait, je sentais ma tête cogner violemment contre quelque chose de dur, puis le trou noir…
J’omettais volontairement quelques détails, comme la raison de mon manque de concentration ou la voix de Juha dans ma tête qui m’ordonnait de me battre pour survivre. Cela ne me mettait certes pas très à l’aise, mais je ne me sentais pas le courage d’avouer mes faiblesses à Philippe.
S’il ne crut pas à mes paroles douteuses, il n’en laissa rien paraître et ne chercha pas à essayer de me faire parler, ce dont je le remerciais. Comme je m’y attendais un peu, Philippe engagea la conversation sur un terrain un peu plus glissant, et sans se départir de sa voix douce, dans laquelle je décelais pourtant une once de reproche, il déclara :
- Par contre, je ne comprend vraiment pas ton attitude envers Juha… Qu’est-ce qui te dérange tant que cela en lui ? Dis-toi que s’il n’avait pas été là, tu serais peut être mort de froid à l’heure qu’il est… Franchement Gabriel, je ne te comprend vraiment pas…
- Et il n’y a rien à comprendre, m’exclamais-je un peu trop vivement à mon goût. Je ne sais pas, c’est physique ! Sa seule présence m’insupporte ! Il a quelque chose de pas clair ce gars !
- Je conçois très bien que l’on puisse ne pas aimer une personne, cela m’arrive à moi aussi, mais même si c’est le cas, il a quand même droit à un minimum de respect ! Me répondit Philippe, un peu plus vivement toutefois. Je ne te demande pas de te mettre à genoux devant lui, Gabriel, souffla-t-il dans un soupir, mais un merci aurait été le bienvenue !
Je restais silencieux, faisant ainsi clairement comprendre que je ne désirais aucunement m’attarder sur le sujet, et après quelques minutes de silence un peu gêné, il faut l’avouer, Philippe reprit :
- J’ai appris pour toi et Marion… Que comptes-tu faire à présent ?
- Je… Je n’y ai pas encore réfléchis, répondis-je sincèrement. Mais je pense qu’il serait mieux d’arrêter là avant que cela ne soit trop tard…
Je devais avouer que j’étais extrêmement nerveux. Marion était la fille de Philippe, et je craignais qu’elle joua de son statut pour convaincre son père de me renvoyer, mais au regard compatissant et empli de tendresse que me lança Philippe, je compris qu’il n’en serait rien. A ma grande surprise, il déclara :
- Je comprend ce que tu ressens, et je respecte ton choix. J’avais bien remarqué que cela n’allait pas très bien entre vous depuis quelques temps, mais le comportement de Marion est inadmissible.
Sentant la fatigue me gagner, je n’écoutais qu’à moitié les paroles de Philippe qui, semblant se rendre compte finit par déclarer :
- Je vais te laisser te reposer, je repasserais te voir demain dans la journée.
- D’accord ! Murmurais-je en étouffant tant bien que mal un bâillement. Merci Philippe, ajoutais-je.
L’interpellé ne répondit rien, se contentant de m’adresser un sourire bienveillant avant d’éteindre la lumière et quitter la pièce. Ereinté, je ne mis que quelques minutes à trouver le sommeil.
Lorsque je me réveillais le lendemain, le soleil était déjà haut dans le ciel et se reflétait sur la colline enneigée que je pouvais apercevoir de la fenêtre de ma chambre. Tournant la tête vers le radio réveil, je constatais qu’il était plus de dix heures passées et avisait le plateau contenant mon petit déjeuner posé sur la chaise près de mon lit. Intrigué, je me demandais qui avait bien pu me laisser dormir ainsi, et songeait alors à Philippe. L’initiative venait certainement de lui, car en temps normal, tous les patients de l’hôpital étaient réveillés en même temps que les infirmières, c’est à dire tôt le matin.
Mentalement, je remerciais cet homme prévoyant et en accord avec mon estomac qui se manifesta bruyamment, j’entamais mon petit déjeuner. Celui-ci n’était guère fameux, remarque, il ne fallait pas s’attendre à du grand art en ce lieu, mais lorsque j’aperçus très vite, le petit sachet contenant un pain au chocolat. Intérieurement, je bénis cet homme que je considérais comme mon père et, de bonne humeur, un sourire étirant mes lèvres, je dévorais mon petit plaisir matinal.
Lorsque j’eus terminé, une infirmière vint prendre de mes nouvelles, et changea ma perfusion. Puis, rassurée par mon état de santé, elle quitta la pièce, me laissant à ma solitude. C’est alors que contre toute attente, la conversation que j’avais eu hier soir avec Philippe me revint en mémoire… D’accord, il est vrai que j’y avais été un peu fort avec Juha, mais d’un autre côté, lui non plus ne cachait pas ses ressentiments à mon égard. Comme je l’avais dit plus tôt à Philippe, je n’arrivais pas à cerner Juha. pour moi, il était quelqu’un à éviter si l’on ne voulait pas avoir de problèmes. D’ailleurs, qui était-il ? D’où venait-il ? Pourquoi ne savons nous rien sur lui ? Tant de questions auxquelles il me faudrait apporter des réponses, car je ne supportais pas rester ainsi dans l’inconnu et dans l’ignorance. Si certaines choses pouvaient encore passer, ce n’était pas le cas de celles-ci. Il ne faut pas prendre les gens pour des cons non plus.
C’est un peu cela qui était la cause de ma méchanceté envers Juha. J’avais l’impression qu’il me prenait pour un con et je ne pouvais le supporter. Quitte à aller lui faire des excuses pour mon comportement et le remercier de son geste, j’étais encore sceptique sur la question… Bon d’accord, Philippe avait raison lorsqu’il disait que tout le monde à droit au respect, mais en attendant, il me faut mettre ma fierté de côté et aller me ridiculiser face à l’autre bleu.
Finalement, je restais un long moment à me prendre la tête au sujet de ma némésis. puis, au bout d’une heure, ravalant ma fierté, je pris la décision d’aller le voir lorsque je sortirais d’ici. Je ne savais pas encore ce que je lui dirais, mais j’avais encore aujourd’hui et demain pour y réfléchir.
Je fus tiré de mes pensées par une des aides soignantes qui frappa doucement à la porte, avant de l’ouvrir timidement avec un petit sourire. Etonnamment, je n’eus pas envie de la remballer. Dans la vingtaine, elle avait quelque chose d’apaisant dans son sourire et la façon discrète qu’elle avait de se déplacer. Lorsqu’elle s’adressa à moi d’une petite voix douce, me demandant comment j’allais, je lui répondit avec toute la gentillesse dont j’étais capable. Nous plaisantâmes un instant, puis elle quitta la pièce, devant finir sa tournée avant de quitter son service.
Puis, sentant un mal de tête arriver, je fermais le volet électrique de la baie vitrée et fermais les yeux. Il n’y avait rien de tel que le noir total et le silence pour faire passer un mal de tête. De plus, mon corps encore courbaturé me faisait toujours un peu souffrir, si bien que je préférais dormir pour oublier momentanément la douleur et l’ennui qui s’emparait de moi. Je n’avais pas l’habitude de rester inactif aussi longtemps et cela me déplaisait grandement. Je n’aimais pas rester immobile, allongé dans un lit. Cela me donnait l’impression d’être inutile et de ne servir à rien. Je finis par m’endormir quelques minutes plus tard, bercé par le bruit étouffé des pas des infirmières qui résonnaient dans le couloir.
Je me réveillais bien plus tard, la pièce toujours plongée dans le noir, mais une petite lumière allumée à mon chevet. Les yeux encore embués de sommeil, je tournais la tête vers la source de lumière et papillonnais des yeux pour m’habituer à la lueur qui m’éblouissait. Semblant s’en rendre compte, mon visiteur tourna la lumière de façon à ce qu’elle ne m’arrive plus dans les yeux. Je murmurais un faible “merci” d’une voix toute éraillée. Contre toute attente, mon mal de tête ne s’était pas dissipé et avait, au contraire, gagné en intensité, si bien que, ne pouvais supporter la lumière, je tournais la tête de l’autre côté.
Une voix que je ne connaissais que trop bien résonna à mes oreilles tandis que Philippe déclarait :
- Je ne reste pas longtemps, je suis juste venu prendre de tes nouvelles. Les médecins ont dit que tu pouvais sortir demain ! Je viendrais te chercher demain dans l’après-midi. En attendant, je veux que tu te reposes, mon garçon. Cela ne peut te faire que du bien ! murmura Philippe en posant sa main sur mon épaule en un signe d’encouragement.
- Merci, Philippe, murmurais-je à mon tour en un soupir audible.
Philippe sortit de la pièce sans un mot, mais me lança une petit sourire d’encouragement qui me mit le baume au coeur.
Comme il l’avait promis, il vint me chercher en début d’après-midi. La route qui nous reconduisait au centre se fit en silence. Les yeux rivés sur la fenêtre, je regardais défiler devant moi, le paysage hivernal nappé d’un épais drap d’un blanc immaculé qui luisait de mille feux sous les rayons de soleil. Une fois arrivé, je sautais de la voiture sans attendre l’arrêt complet de celle-ci et me précipitais en courant vers le box d’Orphée, oubliant toutes les recommandations du médecins qui m’avait fait promettre, à force de menaces et de chantage, de rester tranquille quelques temps et de ne pas faire d’efforts physiques inutiles.
Lorsqu’il m’entendit arriver, Orphée sortit la tête de son box et avec un petit hennissement, il accueillit ma venue. Cela me fit chaud au coeur, et je me précipitais vers ma monture. A la hâte, j’ouvrais la porte du box et entrais. Après quelques caresses à mon meilleur ami, je commençais une inspection rigoureuse, à la recherche de la moindre blessure.
Après plus d’une bonne quinzaine de minutes passées à inspecter la moindre parcelle de pelage d’Orphée, j’en arrivais avec soulagement à la conclusion qu’il n’avait pas été blessé. Avec précaution, je lui pris quand même les pieds et examinais ceux-ci avec autant de minutie, vérifiant sa ferrure par la même occasion.
C’est avec un soulagement non feint que constatais qu’Orphée était sain. Je restais encore un moment avec lui jusqu’à ce que je sente la fatigue s’emparer de moi. Je quittais alors le box d’Orphée, après une dernière caresse et prenait la direction de l’écurie. Je passais devant le box de Tenbu Horin et décidais de m’arrêter un instant. J’appréciais énormément ce cheval et restais un peu de temps avec lui. Puis, lorsque mes yeux commencèrent à se fermer sur leur propre initiative, je décidais qu’il était grand temps que j’aille me reposer.
D’un pas chancelant, je me dirigeais jusqu’à ma chambre et une fois dans celle-ci, je trouvais le courage de fermer les volets électriques de la fenêtre. Sans prendre le temps de me déshabiller, je tombais sur le lit et m’endormais immédiatement sans le moindre effort.
Lorsque j’ouvris les yeux, je fus tout d’abord surpris de constater que la pièce était plongée dans le noir, et ce n’est que quelques secondes plus tard que je parviens à me resituer. Avec difficulté, due au courbatures qui me meurtrissaient le cou, je tournais la tête vers mon réveil et je constatais avec surprise que j’avais dormi pendant plus de quatre heures. Tel un félin, je m’étirais longuement en bâillant à m’en décrocher la mâchoire et prenant mon courage à deux mains, je me levais.
Je pris la direction de la salle de bain et jetant mes vêtements à même le sol, j’entrais dans la douche et réglais l’eau sur la température maximale que ma peau pouvait supporter. Peu de temps après, la salle de bain toute entière était inondée de vapeur d’eau, si bien que c’est à peine si je parvenais à voir à l’autre bout de la petite pièce. Cependant, pour rien au monde je n’aurais coupé l’eau. La chaleur de celle-ci me procurait un bien fou et petit à petit, je sentais la douleur de mes muscles de dissiper. 
Je restais encore un long moment sous la douche, le temps d’apprécier la bienfaisance de celle-ci et de me laver les cheveux. J’attrapais ensuite une serviette que je nouais autour de la taille et une deuxième dans laquelle j’essorais mes cheveux afin de les sécher au maximum. J’avais un sèche cheveux à disposition, mais je vouais une haine farouche à cet objet qui, d’une, faisait un bruit pas possible, de deux, vous brûlait le cuir chevelu et de trois, abîmait les cheveux.
Une fois les cheveux secs, je retournais dans ma chambre et alla choisir des vêtements propres. J’optais pour un jean noir et une chemise bordeau par dessus laquelle j’enfilais un pull noir à col roulé. Je venais de prendre une décision, et allais m’y tenir jusqu’au bout, même si à tout instant, ma détermination menaçait de s’envolée comme elle était venue. Je me maintiendrais à cette décision, même si elle me coûtait. Je savais parfaitement que Philippe avait raison, et ce que je m’apprêtais à faire, pour que l’homme qui m’a quasiment élevé n’ait pas un jour à regretter son geste…
J’enfilais mes rangers et mon long manteau noir, attrapais mes papiers et mon trousseau de clés et quittais la pièce. J’allais faire chauffer la voiture, et avant de partir, je passais voir Philippe que je soupçonnais être dans son bureau. Je frappais quelques coups et ouvrait la porte avant même d’attendre une réponse. Je remarquais immédiatement la présence de Marion. Elle se retourna en m’entendant entrer, mais sans un regard pour elle, je m’adressais à Philippe :
- Je prend la voiture, j’ai une course à faire… Je ne devrais pas en avoir pour bien longtemps.
- Très bien, déclara le vieil homme en m’adressant un sourire en coin et un clin d’oeil. A tout à l’heure mon garçon, sois prudent sur la route !
- Hn, répondis-je simplement avant de refermer la porte.
Au clin d’oeil que Philippe venait de m’adresser, je le soupçonnais de savoir la nature de la course que j’avais à accomplir. J’haussais les épaules et montais dans la voiture.
Je roulais une dizaine de minutes sous la neige qui tombait intensément avant d’arriver. Je n’étais pas certain de l’exactitude de l’endroit, mais lorsque j’aperçu sa silhouette un peu plus loin, je sus que je ne m’étais pas trompé. Cependant, un détail attira mon attention, et sans vraiment savoir le pourquoi de mon geste, j’arrêtais le contact et quittais précipitamment la voiture. Discrètement, je pris la direction part laquelle il avait disparu et le suivit.
Le spectacle qui m’attendait alors me mit hors de moi, et je dus faire appel à tout mon sang froid pour ne pas perdre le contrôle de mes actes. Juha était allongé au sol dans l’entrée de son appartement, et un homme prenait plaisir à le ruer de coups. Mais le pire dans tout cela, c’était que Juha semblait accepter le traitement reçu. Allongé au sol, les yeux fermés, il attendait les coups, replié sur lui-même. Une colère sourde m’envahit alors. Comment pouvait-on accepter de recevoir des coups de cette manière sans même se rebeller ? N’avait-il donc aucun honneur, aucune dignité ? Quel homme peut-il accepter de se faire rabaisser ainsi par un autre ?
Lorsqu’un gémissement de douleur s’échappa des lèvres de Juha, je ne pus contenir ma fureur et celle-ci explosa violemment. Je me jetais sur l’inconnu qui, déstabilisé, tomba à terre, et à mon tour, je lui décrochais un violent coup de poing dans la mâchoire.
Le moment de surprise passé, l’homme se redressa, et me jeta un regard dédaigneux qui ne me fit ni chaud ni froid. Puis, il reporta son attention sur Juha qui tentait de se redresser avec difficultés et lui cracha au visage :
- A peine sortit et tu as déjà trouvé une nouvelle victime… Tu me dégoûtes Juha ! Où est donc passé l’amour incommensurable que tu disais vouer à Killian ? Tu n’es qu’une enflure, sale petite pédale…
- Hey ! M’écriais-je alors, bien que je ne comprenais pas un traître mot de la conversation à sens unique à laquelle j’assistais malgré moi. c’est finit oui ? Tu n’es pas le bienvenue ici ! Alors tu vas être bien sage et tu vas repartir de là où tu es arrivé ! Et que je ne te reprennes pas dans les parages ou cette fois-ci tu ne t’en sortiras pas aussi bien !
Alors que l’inconnu allait pour protester, je le devançais et déclarais :
- Tu comprends le français ou il faut te faire un dessin ?
J’eus droit à un nouveau regard meurtrier, et jeta un “fais bien attention à toi Juha, tu ne seras pas accompagné indéfiniment !”, avant de quitter l’appartement en claquant violemment la porte d’entrée. Je restais un moment immobile, fixant Juha d’un regard impénétrable, puis, je m’approchais de lui et lui tendit la main pour l’aider à se relever.
Je le vis hésiter un instant avant de la saisir timidement. Je l’aidais à se relever avant d’aller prendre place dans le canapé qui meublait la petite pièce principale.
- Je ne savais pas que tu étais adepte du masochisme ! Déclarais-je, un sourire ironique étirant le coin de mes lèvres.
Cette remarque le fit sourire légèrement, et étrangement, je m’en félicitais intérieurement. Il vient s’asseoir dans le canapé à une distance raisonnable de moi, et devinant qu’il n’avait pas l’intention de parler, j’engageais les hostilités :
- Je suppose que tu n’as pas l’intention de me dire qui était cet homme je me trompe ?
Comme je m’y attendais, seul le silence me répondit, mais je ne me laissais pas abattre et poursuivit :
- Si j’ai bien compris, tu étais l’amant de ce Killian ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi a-t-il parlé de victime ?
De nouveau, seul le silence me répondit, seulement interrompu par les bruits du village. Face à tant d’éloquence de la part de mon vis à vis, je me levais et déclarais :
- Bon, ben puisque tu ne veux rien me dire, je n’ai plus rien à faire ici…
- Attend ! S’exclama Juha dans mon dos.
Surpris, je me retournais pour voir Juha, debout, une main tendue dans ma direction, comme pour me retenir. Je lui lançais un regard interloqué, et semblant gêné il bredouilla timidement :
- Je… Tu peux… Tu peux rester ici… Cette nuit… S’il te plait ?
Je ne cachais pas ma surprise face à la requête de Juha, et restais un moment silencieux, face à cette demande. Puis, m’étonnant moi-même, je demandais :
- Tu répondras à mes questions ?
- Ou… Oui, murmura-t-il en baissant les yeux.
- Bien, répondis-je en refermant la porte. Tu as un téléphone s’il te plait ?
Il me jeta un regard interrogateur, et sans savoir pourquoi, je me sentais obligé de me justifier :
- J’ai dis à Philippe que je ne rentrerais pas tard, je ne veux pas qu’il s’inquiète inutilement.
- Oh, je… Le téléphone est là, déclara-t-il en me le montrant du doigt.
- Merci, déclarais-je simplement.
Du coin de l’oeil, je vis Juha disparaître dans la pièce voisine, et je le rejoignais quelques minutes plus tard, après avoir brièvement expliqué la situation à Philippe. Accoudé à l’encadrement de la porte de la cuisine, j’observais Juha s’activer à faire chauffer de l’eau :
- Tu devrais soigné ça, déclarais-je alors en m’approchant et en touchant délicatement du doigt, la plaie sur sa tempe de laquelle s’échappait du sang qui maculait sa joue.
- Oh… Oui, j’y vais, répondit-il d’une petite voix hagarde.
Je reportais mon attention sur lui et constatais qu’il était encore plus pâle qu’un cachet d’aspirine. Je lui pris alors la main et le guida jusqu’au canapé où je le forçais à s’asseoir en lui arrachant un hoquet de surprise.
- Reste là, lui ordonnais-je d’une voix ferme avant d’aller chercher la trousse à pharmacie dans la salle de bain.
Je reviens quelques secondes plus tard, et m’assis en face de Juha. Délicatement, j’entrepris de nettoyer la plaie. Puis, brisant le silence, je demandais d’une voix étrangement douce :
- Alors, qui était-ce ? Apparemment, il avait l’air de bien te connaître !
- C’était le… le frère de Killian…
- C’était ? Demandais-je intrigué. Puis, face aux larmes qui inondaient à présent les joues de Juha, j’ajoutais, il est mort ?
J’eus droit à un hochement de tête silencieux en guise de réponse et à mon tour, je me tus, ne sachant trop comment me comporter face à la douleur qui émanait de Juha. Après plusieurs minutes de silence gêné, ce fut finalement Juha qui prit la parole et demanda, changeant radicalement de sujet :
- Pourquoi es-tu ici ?
Je sentis alors mes joues s’empourprer violemment face à la question qui m’était posée, et perdant toute constance, je murmurais en bredouillant :
- Je… J’étais venu m’excuser pour mon comportement… L’autre jour, à l’hôpital… Donc voilà, je… Je m’excuse…
- J’apprécie ton geste, répondit Juha. Et puisque le moment en est aux remerciements et au pardon, je voudrais te remercier pour ce que tu as fait tout à l’heure. Tu n’y étais pas obligé et pourtant, malgré nos différents, tu l’as fait quand même. De plus, tu as accepté de passer la nuit ici… Alors merci, merci pour tout…
Inconsciemment, je laissais aller mon regard sur le visage de Juha que je percevais de profil. Ses cheveux bruns qui lui arrivaient au niveau des épaules faisaient ressortir le noir intense de ses yeux. Ses traits fins, mais néanmoins masculins lui confiaient une certaine grâce. Je ne savais pas si j’avais volontairement évité de telles pensées ou non, mais ce n’est que maintenant que je me rendais compte de la réelle beauté de Juha… Son corps semblait être sculpté dans un bloc de marbre, telles les statues anciennes des dieux grecs, avec un corps à faire pâlir d’envie n’importe qui. Bien qu’un peu trop fin, ses muscles saillaient impeccablement sous son habit, juste ce qu’il fallait pour laisser deviner les formes de son corps.
Réalisant alors les pensées qui étaient les miennes, je me giflais mentalement et me reculais peut être un peu trop brusquement pour paraître naturel. Juha s’en rendit compte car il m’adressa un regard interrogateur que je ne pus supporter. Je détournais les yeux, trop honteux des pensées qui m’avaient effleuré l’esprit. Troublé par le regard que Juha posait sur moi, je me levais et déclarais d’une voix mal assurée :
- Je vais faire à manger, tu devrais te reposer pendant ce temps…
Et sans attendre de réponse de sa part, je pris la direction de la cuisine. Tout en cherchant les ustensiles dont j’avais besoin, je tentais désespérément de calmer les tremblements qui agitaient mes mains. Je sentais la nervosité grandir en moi, sans réellement savoir d’où elle provenait, ni ce qui pouvait m’angoisser ainsi de la sorte. Je m’impliquais consciencieusement dans la tache que je m’étais impartie, tachant d’oublier les pensées honteuses qui s’étaient imposées à moi. Pourquoi avais-je eu de telles pensées ? Pourquoi revenaient-elles me hanter après tout ce temps ? Qu’est-ce que cela signifiait-il ?
Moi qui pensais avoir définitivement tiré un trait sur mon passé, voila qu’il revenait au galop sans crier gare… Un passé honteux que j’étais difficilement parvenu à enfouir au plus profond de moi, à exorciser de mon présent pour ne finalement plus y penser que dans de mauvais rêves qui revenaient lorsque mon sommeil était agité…
Lorsque j’eus dressé la table pour deux et terminé de préparer un petit repas simple, j’allais chercher Juha au salon. En m’entendant arriver, il se redressa et posa sur moi son regard noir intense qui me mettait si mal à l’aise depuis que ces images s’étaient imposées à moi.
- Tu viens manger ? Le repas est prêt, déclarais-je simplement tentant de masquer mon trouble à Juha.
Cette simple phrase me fit un drôle d’effet. Vu de l’extérieur, nous semblions avoir tout l’air d’un jeune couple. Cette image me fit monter le rouge aux joues et je détournais le regard pour ne pas avoir à supporter une fois de plus celui de Juha posé sur moi. Son regard avait quelque chose que je ne parvenais à définir, un je ne sais quoi qui avait le don de me mettre mal à l’aise.
J’avais préparé un repas simple, le frigo étant vide, j’avais du me contenter de boîtes de conserve. Ce n’était certes pas fameux, mais nous nous en contenterions pour ce soir. De toute façon, je doutais que Juha ait l’envie et le courage d’aller remplir son frigo à cette heure-ci, et moi, j’avais tout bonnement horreur de faire cela. Et puis je veux bien être gentil un moment, mais fallait pas pousser le bouchon trop loin non plus.
Nous mangeâmes dans un silence religieux, seulement brisé par le bruit des couverts. J’avais trop de questions et de doute en tête pour me préoccuper du sort de Juha. Et puis, il était suffisamment adulte pour se débrouiller seul, sans avoir toujours auprès de lui quelqu’un pour le materner.
A la fin du repas, j’aidais Juha à débarrasser la table puis, alors qu’il faisait la vaisselle, j’allais m’affaler dans le canapé et allumais la télévision. Je zappais jusqu’à ce que je tombe sur une émission sur les peuples nomades. Intéressé, je posais la télécommande à côté de moi et me plongeais dans le récit du narrateur, émerveillé par les images de paysages qui s’offraient à moi par écran interposé. Plongé dans l’écoute du documentaire, je n’entendis pas Juha venir prendre place à mes côtés, et ne réalisais sa présence que lorsque je sentis le canapé s’affaisser sous son poids. Cependant, je ne lui jetais qu’un fugace coup d’oeil, avant de reporter mon attention sur l’écran.
Deux heures plus tard, lorsque je reportais mon attention sur Juha à la fin de l’émission, je constatais qu’il s’était endormi. La tête reposant sur son épaule, je me demandais bien comment il pouvait arriver à dormir dans une telle position. Ne craignant pas de le voir se réveiller, je laissais mon regard s’attarder sur la courbe de son visage et la douceur de ses traits. Une mèche de cheveux s’échappa de derrière son oreille, et sans réaliser mon geste, j’avançais lentement une main pour la replacer. Alors que je m’apprêtais à le faire, je suspendis mon geste, glacé d’horreur par ce mouvement qui avait était le mien.
Ce qui m’effrayais le plus, ce n’étais pas le geste en lui même, mais la facilité avec laquelle je m’apprêtais à le réaliser… Je compris alors que cette soirée allais être l’une des plus éprouvantes que je n’ai jamais eu à passer, et que finalement, accepter de passer la nuit ici en compagnie de Juha n’était peu être pas une si bonne idée. D’ailleurs, je ne savais toujours pas ce qui m’avait pousser à accepter une telle requête. J’étais venu ici dans l’intention de lui présenter mes excuses au plus vite et de repartir comme j’étais venu, et je me retrouvais coincé ici avec un ronfleur sur les bras.
Bien que fatigué, je ne parvenais pas à trouver le sommeil, si bien que j’attrapais la télécommande, baissais le son pour ne pas réveiller Juha, et recommençait mon manège de zapper les chaînes jusqu’à ce que je trouve un film qui me plaisait. Je tombais par hasard sur un film d’enquête policière et restait un moment à regarder les personnages évoluer sur le petit écran. Plus les minutes défilaient et plus je me sentais absorbé par cette histoire qui ressemblait étrangement à la mienne… Au fur et à mesure que le temps passait, je sentais les larmes me piquer les yeux et les essuyais du revers de la main en reniflant bruyamment. Cependant, je ne parviens pas à les contenir plus longtemps, et lorsque l’émotion fut trop forte, j’éclatais en sanglots. La fatigue additionnée à la douleur que je ressentais autant physiquement que moralement eut raison de moi. Mes sanglots retentissaient étrangement dans la pièce, brisant le silence de la nuit.
Noyé dans mes larmes, je ne vis pas Juha se réveiller et sursautais lorsqu’il me demanda d’une voix ensommeillée qui trahissait son inquiétude :
- Gabriel ? Que se passe-t-il ?
D’un geste hésitant, il posa sa main sur mon épaule pour la retirer vivement, comme s’il venait de recevoir une décharge électrique, ou comme s’il était dégoûté de toucher quelqu’un comme moi… Ce geste m’interpella, mais pour le moment, je n’avais pas la tête à m’interroger sur la raison de ce mouvement brusque. Tout ce que je souhaitais à cet instant, c’était disparaître à jamais de la surface de la terre… De nouveau, Juha posa sa main sur mon épaule, mais cette fois-ci, il ne la retira pas.
Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi, tout ce que je savais, c’était que la main de Juha qui allait et venait dans mon dos d’une façon étrangement réconfortante m’apaisa partiellement, si bien que je finis par me laisser aller. Je m’endormis que bien plus tard, les yeux rougis par les larmes et la fatigue.
Je me réveillais avec l’impression de mettre endormis au pied d’un radiateur, tellement j’avais chaud. En plus de cela, j’avais mal au cou, comme si ma tête était surélevée par rapport à l’alignement de mon dos. Intrigué, j’ouvris difficilement un oeil pour le refermer aussitôt, aveuglé par l’afflux de lumière blanche qui inondait la pièce. Un murmure régulier attira alors mon attention et m’intriguais de plus en plus. C’était comme si l’on parlais à voix basse à côté de moi, ou le murmure incessant d’une télévision. Etrange… je n’avais pas de télévision dans ma chambre…
Sans plus de cérémonie, j’ouvris alors les yeux, et tentait alors de me redresser. Lorsque je posais la main sur ce qui aurait dû être normalement mon matelas, je rencontrais à la place une peau lisse et soyeuse. Je la retirais alors précipitamment et alors que je posais le regard sur la pièce, le tout me reviens en mémoire. Je n’étais pas chez moi, mais chez Juha. Ce nom fit tilt dans ma tête et je reportais mon attention sur mon curieux matelas. Et là, je me figeais littéralement d’effrois.
Mon matelas n’était autre que Juha, et la raison de mon mal de cou était à présent plus que translucide. Au vue de nos positions respectives, mon oreiller n’avait été autre que le torse de Juha… Et le pire dans tout cela, c’est qu’il me regardait avec un sourire amusé étirant ses lèvres et une lueur espiègle qui illuminait ses pupilles noires. Pris de panique, je tentais de me relever. Cette tentative échoua lamentablement, et avisant nos jambes entrelacées, je sentis le rouge me monter brusquement aux joues.
Lorsque je vis Juha ouvrir la bouche, je redoutais qu’il me lance une réflexion acerbe, mais à ma plus grande surprise, sa voix était douce et calme :
- Ca va mieux ?
Je lui lançais un regard intrigué, ne comprenant pas où il voulait en venir et il déclara :
- Tu ne te souviens pas ? Cette nuit, tu t’es endormi dans mes bras après avoir pleuré…
A l’entente de ces mots, je cru mourir de honte. A tout moment, je m’attendais à voir Juha éclater de rire, mais il n’en fit rien, à mon plus grand étonnement. Au contraire, il sembla même prendre la situation à la rigolade, car, un sourire amusé étirant ses lèvres, il s’exclama :
- Tu comptes te lever un jour ?
Réalisant alors notre position, je m’empourprais pour la seconde fois consécutive, et me hâtais de me lever. Juha en fit de même et s’étira longuement dans un bâillement prononcé qu’il me transmis. Cela sembla l’amuser car il me sourit avant de prendre la parole :
- Tu veux manger quelque chose ?
J’hochais silencieusement la tête en signe d’acquiescement et lui emboîta le pas à la cuisine. Il fit chauffer de l’eau dans la bouilloire et  posa sur la table un reste de pain et trois pots de confiture à moitié vides. Sur l’invitation de Juha, je me sortis un bol et fouillais de le placard à la recherche de quelque chose à me mettre sous la dent, ayant horreur de la confiture. Par chance, je trouvais un fond de pot de Nutella. Satisfait, je pris place à table, en face de Juha et me préparais ma tartine de Nutella. Concentré dans ma tache méticuleuse de ne laisser aucun bout de brioche vierge de chocolat, je ne vis pas le sourire amusé de Juha qui me regardait faire avec un amusement non dissimuler.
Une fois fait, je léchais consciencieusement la petite cuillère avant de la reposer toute propre à côté de mon bol.
Je commençais à manger silencieusement, me remettant doucement de la surprise de ce matin, lorsque la voix de Juha retentie douce et mélodieuse, dans la pièce :
- Alors, cela fait longtemps que tu travailles avec les chevaux ?
Surpris de cette question, je relevais la tête de mon bol et posait sur l’homme qui me faisait face, un regard sceptique. Cependant, je dus bien me rendre à l’évidence qu’il n’y avait aucune moquerie ou quoi que ce soit d’autre dans le regard de Juha. Comprenant alors qu’il n’y avait que de la simple curiosité dans sa question, je décidais de jouer le jeu et répondis franchement :
- Je monte depuis que j’ai fait la connaissance de Philippe, soit un peu moins de sept ans. C’est grâce à lui que j’en suis là aujourd’hui, répondis-je un peu mélancolique, les questions de Juha faisant ressurgir mon passé du tréfonds de ma mémoire.
- En tout cas, je suis impressionné par ton savoir faire. Tu as l’air tellement à l’aise en leur compagnie…
Sa réflexion me fit sourire malgré moi. Sur ce point, il ne pouvait pas savoir à quel point il était dans le vrai. J’ai toujours senti que je n’avais pas ma place au milieu des hommes, que le seul endroit où j’avais l’impression d’être utile, c’était auprès des chevaux. Lorsque j’étais arrivé au centre, j’étais une loque humaine. C’est grâce aux chevaux et à l’aide précieuse de Philippe que je suis parvenu à remonter la pente. Sans leur soutien et leur affection, il y a bien longtemps que je ne serais plus de ce monde.
Me prenant à la conversation, je demandais à mon tour, bien décider à en finir avec les embrouilles quotidiennes. Si cela avait été marrant au départ, cela le devenait de moins en moins.
- Et toi ? Tu n’as pas l’air de t’y connaître beaucoup avec les chevaux, fis-je remarquer. Tu faisais quoi avant ? Pourquoi avoir décider de te lancer dans quelque chose dont tu ignores tout ?
- Je… Je travaillais dans une entreprise d’informatique, répondit-il avec une hésitation qui ne m’échappa pas. Quant à savoir pourquoi je me suis lancé dans le domaine du cheval, je… C’est un peu une sorte de défis que je me suis lancé, de… De repartir à zéro et recommencer une nouvelle vie…
Mettant de côtés mes interrogations, je souriais tout en déclarant :
- Si toi tu n’y connais rien en matière de cheval, moi c’est bien l’informatique et la technologie qui me font défaut ! C’est à peine si je sais comment fonctionne mon téléphone portable !!
Ma remarque le fit sourire, puis nous terminâmes notre petit déjeuner en silence. Puis, sur son invitation, j’allais prendre une douche rapide. Lorsque je sortis, j’eus la surprise de trouver des vêtements propres posés au pied du lit. Je les enfilais rapidement, et rejoignis Juha. Je pris place à ses côtés sur le canapé et déclarais :
- Merci pour les vêtements.
- Je t’en prie, me répondit-il en m’adressant un sourire resplendissant. bon, je vais me doucher, ajouta t-il.
Je ne répondis rien et attrapais la télécommande de la télévision tandis que Juha allait s’enfermer dans la salle de bain. Je tombais sur une émission pour les enfants qui diffusait un manga et amusé, je décidais de regarder un moment. Juha sortit de la douche quelques minutes plus tard, et posant distraitement mon regard sur lui, j’aperçus un détail qui me surprit. Sur son omoplate droite, un dessin à l’encre représentant un phénix y était incrusté. Pas que cela me choquait, je possédais également un tatouage, mais je n’aurais jamais pensé en découvrir un chez ma némésis. Certes, il ne fallait pas se fier aux apparences, mais cela m’étonnait tout de même.
Lorsqu’il fut prêt, nous quittâmes l’appartement et partîmes en voiture jusqu’au centre. Le trajet s’effectua dans le silence le plus total. Arrivé au centre, je garais la voiture dans la cours, et alors que j’allais descendre, Juha m’interpella :
- Gabriel !
Intrigué, je me retournais et lui lançait un regard interrogateur, et il poursuivit :
- Merci !
Je ne répondis rien,ne lui adressant qu’un hochement de tête, et quittais la voiture. A la fenêtre de son bureau, je vis Philippe me sourire. Je lui rendis son sourire et le saluais d’un signe de tête. Puis, après avoir fermé la voiture, j’allais le rejoindre pour lui rendre les clefs du véhicule, abandonnant Juha derrière moi.
Lorsque j’entrais dans le bureau, Philippe m’accueillit chaleureusement :
- Bonjour mon garçon ! s’exclama-t-il. Vu l’heure tardive, je n’espérais plus ta venue, ajouta t-il avec un sourire énigmatique étirant ses lèvres.
- Hn… Je suis désolé, répondis-je, ne sachant que dire d’autre. Il y a eu… un incident hier soir, ajoutais-je avec hésitation en faisant attention de bien choisir mes mots.
Alors que Philippe s’apprêtait à ouvrir la bouche pour répondre, je le devançais et lui posait la question qui me brûlait les lèvres depuis un moment déjà :
- Dis moi, Juha… Il faisait quoi avant d’arriver ici ?
- Pourquoi me poses-tu cette question ? Demanda-t-il visiblement intrigué.
- Je ne sais pas, avouais-je. Il y a quelques chose qui me paraît pas clair chez lui, mais je n’arrive pas à cerner ce que c’est… Lorsque je lui ai posé la question tout à l’heure,, il a semblé hésiter avant de répondre… Comme s’il ne savait pas quoi dire…
- Le passé n’a pas d’importance, ce qui compte c’est le moment présent, me répondit Philippe avec un sourire qui se voulait convainquant. Et en parlant de moment présent, n’as-tu pas un concours à préparer ?
- Oui, répondis-je distraitement, un peu déçu du manque de confiance dont Philippe faisait preuve à mon égard. Certes, je comprenais sa réaction suite à nos débuts quelques peu intempestifs, mais j’étais tout de même adulte et suffisamment mature pour me comporter comme tel, malgré quelques petits accrochages avec Juha.
Sans un mot de plus, je quittais le bureau et me rendis dans ma chambre, où je me changeais. J’avais l’intention de monter Orphée ce matin, et enfilais donc une chemise en coton, un vieux jean et mes chaussures en cuir, avant de me rendre à la sellerie.
Je pris mon filet et ma selle et me rendis au box de ma monture. J’attrapais au passage des brosses et un cure-pieds. Je traversais l’écurie, chargé comme un mulet, sans même répondre aux salutations que l’on m’adressait. A vrai dire, je ne les entendais même pas. J’étais encore plongé dans ma récente discussion avec Philippe. Plus cela allait, plus j’avais l’impression que l’on me cachait des choses, à agir dans mon dos sans même m’en informer. Et s’il y avait bien une chose que je détestais pas dessus tout, c’était les mensonges et être prit pour un con.
L’impression que j’avais et qui ne voulait pas me quitter, semblant se confirmer un peu plus à chaque instant qui passait, était que Juha et Philippe semblaient être liés par un secret connu d’eux seuls, comme s’il en découlait quelque chose de vital.
Ravalant la colère que je sentais commencer à poindre en moi, j’entrais dans le box d’Orphée et le caressais longuement en guise de bonjour. Alors que je commençais à le brosser, j’entendis la voix de Philippe retentir de la porte. Surpris, je me retournais brusquement et face à l’air sérieux et inquiet que reflétait son visage, je ne dis rien, lui laissant prendre l’initiative de la parole, ce qu’il ne tarda pas à faire :
- Tout va bien mon garçon ?
- Oui, répondis-je un peu trop prestement à son goût, ce qui suscita chez lui un levé de sourcil sceptique.
- Tu es certain ? Tu me parais fatigué en ce moment, tu te surmenages trop, peut être devrais-tu prendre quelques jours de repos…
- Non ! Ca va, je t’assures ! C’est inutile de t’inquiéter, je vais bien, le coupais-je précipitamment. C’est juste un peu de fatigue, cela va passer, tentais-je de me rattraper, en prenant un ton plus calme.
- Justement, reprit Philippe, je… Je pense que tu devrais annuler ta participation à ce concours…
- C’est hors de question, m’écriais-je à présent envahi d’une colère froide. Je ne m’arrêterais pas aussi prêt du but ! J’ai bossé comme un dingue pour en arriver là, ne me demande pas de faire demi-tour maintenant.
- Je ne te demande pas de tout arrêter Gabriel, ne déforme pas mes paroles. Je te conseil juste d’annuler ce concours ! Tu auras d’autres occasions, de faire tes preuves.
- N’insiste pas Philippe, tu sais très bien que c’est inutile avec moi. J’ai pris ma décision et je ne reviendrais pas dessus, répondis-je intransigeant, tout en sellant ma monture qui, sentant ma colère, s’impatientait de plus en plus.
Je savais que je devais me calmer, mais pour le moment, c’était totalement impossible. Je me forçais à penser à autre chose, ne voulant pas que Orphée se blesse par mon manque de concentration. Je lui mit son filet, et sans un regard de plus pour Philippe, je quittais l’écurie. Je passais devant Juha sans même le voir, pestant intérieurement contre Philippe et son attitude trop protectrice.
Je n’étais quand même pas en sucre, j’étais parfaitement capable de savoir où étaient mes limites et quand je lui assurais que je pouvais participer au concours, c’était que je m’en sentais capable.
Un peu calmé, j’entrais dans la carrière de compétition qui avait été construite un peu plus loin, derrière l’écurie principale et refermais derrière moi. Je menais ma monture au centre du carré de sable et mettais le pied à l’étrier après avoir vérifié le sanglage et que tout était correct. Une fois en selle, je demandais à ma monture d’avancer. Je baissais légèrement mes mains et d’un effleurement des mollets sur ses flancs, celle-ci obéit avec, semblait-il, une certaine impatience.
Je l’échauffais un long moment, souhaitant minimiser au maximum les risques de blessures et c’est seulement au bout d’une petite heure que je commençais le programme officiel de l’entraînement. Ce qui me toucha le plus, ce fut le plaisir et la bonne volonté avec lesquels Orphée exécuta les figures que je lui demandais. J’enchaînais les slides et les spincs à une allure incroyable. Moi-même je n’en revenais pas de l’énergie que ma monture déployait pour cet exercice. Elle aimait faire ce travail et cela se sentait. J’en ressentais moi-même une fierté et une joie sans nom.
Une heure plus tard, je décidais d’offrir à ma monture, un repos bien mérité. Je mis pied à terre et après multiples caresses amplement méritées, je prenais la sortie de la carrière. Alors que je détachais la corde qui fermait l’accès, j’eu la surprise de trouver Juha. Assit sur un banc, il m’observait en souriant.
- Quoi ? lui demandais-je.
- Rien, je regarde juste ce que tu fais, répondis Juha sans se départir de son petit sourire qui avait le don de me mettre mal à l’aise.
Je ne répondis rien, ne sachant que dire et prenais la direction de l’écurie. Juha m’emboîta le pas et c’est côte à côte que nous arrivâmes au box d’Orphée, pour la plus grande surprise des palefreniers et des moniteurs qui avaient plus d’une fois assistés à nos récurrentes prises de bec.
Alors que je dessellais Orphée et lui offrais un bon pansage, Juha, accoudé contre la porte brisa enfin le silence qui s’était installé entre nous :
- Alors comme ça, tu prépares un concours ? Demanda-t-il. Je… Je t’ai entendu en parler avec Philippe toute à l’heure, avoua-t-il, face au regard que je lui lançais.
- Hn… Oui, me forçais-je à répondre, bien que je n’en ai pas vraiment l’envie. Il est dans quinze jours.
- C’est un concours de quoi ? C’est ce que tu faisais toute à l’heure avec Orphée ?
- Oui, je lui faisais revoir les figures qui sont évaluées lors du concours…
- Tu as peur ?
- Un peu avouais-je. Je m’entraîne depuis longtemps et ce concours c’est vraiment la chance de ma vie. Le remporter c’est un peu prouver à tous que je suis capable autant qu’eux de faire quelque chose et de parvenir au bout de mes ambitions. Je ne suis pas particulièrement intéressé par le prix du concours pour l’argent à proprement dit, mais il est vrai que la somme promise me permettrait de me lancer dans mon projet. C’est pour cela qu’il me tient tant à coeur… Tu vas peut être trouver ça bête mais…
- Non, s’exclama alors Juha, je ne trouve pas ça bête, au contraire. Tu as de l’ambition c’est bien, cela prouve que tu sais ce que tu veux faire de ta vie, tu es acteur et non spectateur de ta vie comme beaucoup le sont.
- Hn, répondis-je simplement, méditant sur les paroles philosophiques de mon vis à vis.
- Quel est ton projet ?
- Hein ? Demandais-je, n’ayant pas écouté sa question.
- Tu parlais d’un projet toute à l’heure. C’est quoi ce projet ?
- Je voudrais faire un élevage de chevaux américains comme Orphée et les entraîner pour devenir des champions… J’aimerais avoir mon propre ranch, être mon propre patron et ne pas avoir à travailler pour les autres. Je ne dis pas que Philippe est un mauvais patron, au contraire, mais ce n’est pas pareil. Travailler pour soi c’est en quelque sorte un défis que l’on se lance… Et pis, c’est aussi une preuve que les rêves peuvent parfois devenir réalité… Et toi, demandais-je, après un instant de silence, tu as un rêve que tu aimerais réaliser ? Un projet d’avenir ?
- Moi ? Euh… Si tu as un but précis, moi contrairement à toi, à défaut biensûr, je me laisse porter par la vie pour le moment. Il me faut un peu de temps pour m’en re… pour aller de l’avant. 
Je notais la légère hésitation et la tristesse dans la voix de Juha. Une question me traversa l’esprit, mais j’hésitais à la lui poser, cependant, la tentation étant trop forte, je demandais non sans hésitation :
- C’est… C’est à cause de Killian ?
Face au silence de Juha et à la douleur qui émanait de lui, je me repris :
- Désolé, je ne voulais pas te blesser. Cela ne me regarde pas…
- Ce n’est rien, répondit Juha d’une petite voix tremblante. Oui… C’est lié à… à Killian…
- Cela va sûrement te paraître indiscret comme question, tu n’es pas obligé de répondre, mais il est mort depuis combien de temps Killian ?
- Cela va faire dix ans le mois prochain, répondit Juha après quelques secondes de silence.
- Il serait peut être temps de passer à autre chose, tu ne crois pas ?
- Je… Je sais, mais c’est toujours plus facile à dire qu’à faire… Il y a parfois des circonstances qui font que même si je souhaitais oublier, je ne peux pas…
Alors que j’allais répondre quelque chose, une voix m’appela de l’autre côté de l’écurie :
- Gabriel ?
- Je suis là, répondis-je sans pour autant sortir du box.
- Dis, tu as du temps libre devant toi ? Me demanda Dorian.
- Je peux arranger ça pourquoi ?
- Il faudrait que tu pares les pieds de Kadaj ! On part en promenade cet après midi et il manque un cheval…
- Hn… Je m’occupe de ça après avoir fini avec Orphée…
- Merci c’est super sympa ! s’exclama-t-il. Hey, mais vous vous êtes toujours pas entretués ? Ajouta-t-il avec un air cynique qui ne me plus pas du tout. J’aurais dû me douter qu’avec sa gueule d’ange et son cul de dieu, je ne le garderais pas longtemps…
- Ce n’est pas parce que tu collectionnes les conquêtes d’un soir et les culs des mecs qu’on est tous comme toi ! Heureusement qu’il reste encore quelques mecs bien qui ont encore une morale et savent l’utiliser et l’appliquer à bon escient.
Dorian ne répondit rien, mais se tourna vers Juha et demanda :
- Tu veux que je te ramène ce soir ?
- Oui, je veux bien, merci.
- Tu es bien arrivé ce matin ? Pas trop long la route ?
- Non, c’est… Gabriel m’a amené…
C’est alors qu’il sembla remarquer un détail car il s’approcha de Juha et l’observa longuement :
- Mais, vous vous êtes battus ? Demanda-t-il surpris.
- Non, ce… C’est rien, je… Je me suis prit l’angle d’un placard… Répondit Juha.
Je vis alors Dorian me lancer un regard sceptique et accusateur que je soutins sans sourciller. Je n’avais rien à me reprocher dans cette histoire, et ce n’est pas son air de paon blessé dans sa fierté qui me fera baisser les yeux devant lui.
Cependant, il n’insista pas plus et je l’en remerciais mentalement. Puis, après un dernier regard à Juha qui ne me plus pas, il tourna les talons et quitta les lieux. Ayant finit de prendre soin de ma monture, j’allais lui chercher quelques morceaux de pain que je lui donnais. Puis, j’attrapais un licol et allais chercher Kadaj au pré. J’eus la surprise de voir Juha me suivre, mais ne fit aucun commentaire.
Dix minutes plus tard, Kadaj était attaché et mangeait tranquillement dans son filet à foin tandis que j’enfilais mes chaps de maréchalerie. Je vis Juha prendre place à quelques pas de là. Assis sur une balle de paille, il observait les moindres de mes gestes. Cela me mettait mal à l’aise, mais au bout d’un moment, je finis par faire abstraction de sa présence et commençais à limer le pied de l’animal.
Au bout de quelques minutes, la voix de Juha retentie dans mon dos :
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Je lui parre les pieds, afin de pouvoir le ferrer.
- Tu peux pas poser le fer tout de suite ?
- Non, il faut vérifier les aplombs avant…
- Et ça lui fait pas mal ?
- Non, pourquoi veux-tu que cela lui fasse mal ? Cela te fait mal toi quand tu te coupes les ongles ?
- Euh… non…
- Et bien pour lui c’est la même chose, répondis-je patiemment.
Le silence s’installa une nouvelle fois, mais comme précédemment, il ne dura pas :
- Cela fait longtemps que tu sais faire ça ?
- Plus ou moins… Trois ou quatre ans pas plus…
- Oh… Tu as besoin d’aide ?
Fatigué par ses questions incessantes et pire qu’un gosse, j’arrêtais ce que j’étais en train de faire pour me redresser et lui faire face :
- Tu as pas du boulot à terminer ?
- Euh…excuse moi de t’avoir dérangé…
Alors qu’il commençait à s’éloigner, je poussais un soupir d’exaspération et de lassitude et avant que je ne réalise entièrement ce que je faisais, je déclarais :
- Tu peux rester… mais tais-toi !
- Promis ! Répondit Juha en retournant s’asseoir sur la balle de paille.
Une heure et demi plus tard, j’avais enfin finis de ferrer Kadaj. Après de longues caresses pour le remercier de sa patience et de sa gentillesse, je le ramenais au pré, toujours suivit de Juha, avant d’aller manger. Dans le réfectoire, je croisais Marion, mais je ne lui adressais qu’un regard désintéressé. Par contre, au regard qu’elle posa sur moi, je compris immédiatement que quelque chose n’allait pas pour elle. Cependant, je décidais de ne pas y prêter attention, après tout, je n’avais plus rien à voir avec elle. Si bien que je continuais mon chemin et alla m’asseoir à ma table. Juha prit place en face de moi, et je commençais à manger silencieusement.
Dans l’après midi, Juha retourna à son travail et j’en profitais ainsi pour sortir Niladhëvan. Cela faisait quelques jours que je ne m’étais pas occupé d’elle et comme j’avais un moment de libre, j’en profitais. Je la fis travailler deux bonnes heures, et lorsque j’obtenais d’elle la réaction que j’attendais depuis le début, je cessais la séance. Je lui offris un bon pansage et la ramenais au pré.
Ayant encore deux bonnes heures avant la tombée de la nuit, je décidais de graisser ma selle et mon filet. J’entrais dans la sellerie, attrapa ce dont j’avais besoin, et allait m’installer sur la table dans la cours. Le soleil radieux avait fait fondre la neige qui le tapissait jusqu’à présent. Minutieusement, j’entrepris mon travail, me laissant bercer par les bruits de l’écurie. Le renâclement des chevaux, le bruit des gouttes d’eau qui tombaient du toit étaient les seuls troubles au silence reposant qui régnait sur le centre. Concentré dans ma tache, je n’entendis pas Juha arriver et sursauta lorsqu’une ombre prit place en face de moi. Je relevais brusquement les yeux et reconnut aussitôt le sourire moqueur de Juha. Je lui lançais un regard meurtrier pour la forme avant de reprendre mon travail.
- Il faut le faire souvent ?
Reposant mon pinceau sur la table en soupirant de lassitude, je demandais sans répondre à sa question :
- T’en as pas marre avec tes questions ?
Puis, après un nouveau soupir, je répondis :
- Environ une fois par mois.
Semblant satisfait de ma réponse, il n’ajouta rien d’autre à mon plus grand soulagement. Il resta là, jusqu’à ce que Dorian vienne le chercher :
- J’y vais, si tu veux que je te ramène c’est tout de suite ! déclara-t-il.
- J’arrive, répondit Juha.
Il m’adressa un sourire et après un rapide “à demain”, il partit en compagnie de Dorian.
Je terminais ce que je faisais, puis lorsqu’il commença à faire vraiment trop froid, j’allais nourrir Orphée avant de m’exiler dans ma chambre. Je pris une douche brûlante afin de me réchauffer et ne quitta ma chambre juste pour aller manger.
Ce soir là, je m’endormis de bonne heure, épuisé par la journée éprouvante émotionnellement que je venais de passer.
Dans mon sommeil, j’entendais vaguement un téléphone sonner. Je me retournais dans mon lit, entre l’éveil et le sommeil, lorsque je redressais brusquement… Ce n’était pas un rêve, mon téléphone sonnait bel et bien. L’esprit encore embrumé, j’allumais la lumière et regardais l’heure avant de tendre le bras et d’attraper le téléphone posé sur ma table de chevet. D’une voix encore pleine de sommeil, je déclarais sans plus de cérémonie :
- Qui que vous soyez, savez-vous qu’il est plus de trois heures du matin ?
Cependant, lorsque j’entendis à l’autre bout du fil, une voix que je reconnaîtrais parmi des milliers, m’appeler en sanglotant, je sentis mon sang se glacer d’effroi… D’une voix tremblante, je demandais :
- Juha ?
- Gabriel… Ne… Ne me laisse pas seul…
- Juha !? Répétais-je abasourdi. Qu’est-ce qui t’arrive ?
A vrai dire, j’étais d’autant plus déboussolé par son appel que par le fait qu’il décide de m’appeler moi plutôt qu’un autre. D’ailleurs, pourquoi m’appelait-il à une heure aussi tardive ? Que lui était-il arrivé ? C’est ce que je tentais de lui demander, mais noyé dans ses sanglots, il était incapable d’aligner trois mots cohérents. A présent totalement réveillé, je sautais hors de mon lit et m’exclamais, tentant de me faire entendre par Juha :
- J’arrive, ne bouge pas !!
A vrai dire, je ne savais pas pourquoi j’agissais de la sorte. Après tout, cela faisait même pas un mois que nous nous connaissions, une journée que nous parlions autrement que pour nous lancer des vannes à longueur de journée, et voila que depuis vingt-quatre heures, je me retrouvais impliqué dans une histoire dont j’ignorais toute la trame et qui me dépassait totalement…
Cinq minutes plus tard, montre en main, je roulais en direction du studio de Juha. Et moins de cinq autres minutes après, je me garais sur la petite place publique devant chez lui. Je déboulais dans l’appartement sans prendre le temps de frapper, m’attendant au pire, et le spectacle qui s’offrait à moi me serra le coeur, sans que je ne sache pourquoi. Juha était là, assis à même le sol, recroquevillé dans un coin de la pièce, adossé contre le mur, serrant contre lui, le combiné de téléphone qui sonnait toujours… Lorsqu’il m’entendit arriver, il releva vers moi un visage trempé de larmes.
Sans réfléchir une seule seconde à la conséquence future de mes actes, je me précipitais vers lui et le prenant dans mes bras, je le serrais contre moi en lui murmurant à l’oreille des paroles qui se voulaient rassurantes et réconfortantes, malgré ma voix tremblante d’émotions :
- Chut… Je suis là… Tout va bien…
Je ne sus combien de temps nous restâmes ainsi, mais lorsque je sentis un poids mort sur mon épaule, je compris que Juha s’était finalement endormi. Avec précaution, je me levais et le portais jusque dans son lit où je l’allongeais avant de rabattre les couvertures sur lui.
Une fois fais, j’allais à la cuisine et me préparais un thé à la menthe que j’allais boire, avachis dans le canapé où je finis par m’endormir à mon tour. Lorsque j’ouvris les yeux le lendemain matin, le ciel était nuageux et la neige virevoltait dans l’air froid du matin. Prit d’un frisson, je me roulais en chien de fusil et fermais les yeux, déprimé par le temps pourris de dehors. Finalement, je finis par me rendormir et lorsque je me réveillais de nouveau, je fus assailli par une forte odeur de café.
J’en déduit que Juha devait être levé. Je pris cependant le temps de m’étirer longuement, en bâillant aux corneilles. J’ouvris les yeux pour tomber nez à nez avec Juha qui me souriait mais qui semblait néanmoins assez nerveux et gêné.
- Tu… Tu as bien dormis ?
- Hn…répondis-je agacé par sa question.
- Je… Je m’excuse…
- Hn…
- Je comprend que tu m’en veuilles, mais je… Merci d’être venu…
- Hn… Ouais…
- Tu… Tu veux manger quelque chose ? Demanda-t-il visiblement mal à l’aise.
- Hn… Oui, s’il te plait.
Je vis alors Juha m’adresser un petit sourire d’excuse et repartir comme il était venu à la cuisine, pendant que je me laissais retomber dans le canapé. Il revient quelques minutes plus tard avec une tasse de thé fumante qu’il posa sur la petite table à côté de moi.
- Merci, déclarais-je simplement en me redressant.
Je déjeunais en silence, et restais encore un moment avant de rentrer au centre.
Une fois arrivé, je m’enfermais dans ma chambre et me laissais tomber sur le lit, dans le but de rattraper ma nuit de sommeil.

Les semaines qui suivirent passèrent à une allure folle. Si bien que je me retrouvais la veille du concours avant même d’avoir réalisé. Et je stressais à mort. Debout à côté d’Orphée, je nattais sa crinière à la façon des étalons américains afin de ne pas avoir à passer trop de temps à lui la démêler demain matin. Les préparatifs du concours chamboulaient déjà toute l’organisation de l’écurie et tout le monde était à cran. Il régnait une atmosphère lourde et pesante, chargée de l’inquiétude et de l’angoisse de chacun.
Seul Philippe semblait ne pas être touché par cette agitation collective qui régnait au centre. Abordant constamment son air sûr de lui, nous réglions ensemble les derniers détails pour demain. Le départ était prévu à neuf heures trente d’ici et nous devions arriver tôt le matin afin de charger les chevaux dans le van et préparer tout le matériel nécessaire.
Une fois les derniers détails réglés, Philippe repartit, ayant une réunion dans la sellerie avec les moniteurs et palefreniers qui resteraient là durant notre absence.
Lorsque j’eus terminé de préparer Orphée pour la nuit, lui glissant une couverture sur le dos, j’eus la surprise de trouver Juha qui m’observait, accoudé contre la porte du box. Il m’adressa un sourire auquel je répondis et il demanda de sa voix douce et calme :
- Tu veux venir boire un verre à la maison, histoire de te changer les idées avant demain ?
- Hn… Ouais, pourquoi pas, répondis-je, remerciant mentalement Juha pour sa proposition.
Car il est vrai que si j’étais resté là, seul ce soir, j’aurais certainement passé la nuit à me torturer l’esprit. Reconnaissant envers Juha, je quittais le box d’Orphée après une dernière caresse et suivit Juha, faisant une halte dans la sellerie afin de préparer mon matériel pour demain et être sûr de ne rien oublier, puis je pris la direction du bureau de Philippe afin d’aller chercher les clefs de la voiture.
Nous montâmes dans la voiture et je pris la direction du studio de Juha. Le trajet se fit dans un silence monastique, seulement interrompu par les chants brutaux qui s’échappaient des enceintes.
un petit quart d’heure plus tard, nous étions installé dans le canapé, une tasse de chocolat chaud à la main. Aucun de nous ne semblait vouloir prononcer la première phrase. Depuis deux semaines, Juha et moi étions en meilleurs termes. Certes, ce n’était pas encore tout à fait ça, mais cela commençait à aller déjà mieux. Nous arrivions à avoir des conversations sérieuses, même s’il refusait encore et toujours de me révéler la raison de ses peurs irraisonnées qui le poussaient à m’appeler la nuit.
A vrai dire, j’étais plus dans l’angoisse de demain que réellement concentré sur le moment présent. Finalement, ce fus Juha qui brisa le silence en demandant :
- Tu veux manger quelque chose ?
- Non, cela ira merci. Là tu vois, j’ai plus envie de me vider l’estomac que de le remplir.
Juha émit un petit rire amusé et ajouta :
- Je m’en doute bien, mais il faut que tu manges si tu ne veux pas t’écrouler demain… Un plat de pâtes ça te dit ?
- Hn… répondis-je à contrecoeur.
Cependant, je me levais avec lui et le suivit dans la cuisine où je mis la table pendant qu’il mettait de l’eau à chauffer.
Dix minutes plus tard, nous étions assis à table l’un en face de l’autre, à parler du concours et de l’organisation de demain. Juha faisait partit des personnes qui restaient là demain et j’en profitais pour lui demander un petit service :
- Je, hésitais-je, ne sachant pas vraiment par où commencer. J’aimerais te demander un service en fait…
- Je t’écoute, répondit Juha.
- Je mettrais Niladhëvan dans un box avant de partir demain et j’aimerais que tu t’occupes d’elle pendant mon absence… Enfin, seulement si tu es d’accord… Si tu veux pas je te force pas hein ! Tu fais comme tu veux…
- C’est d’accord… Je m’occuperais d’elle, répondit mon vis à vis.
Je lui adressais un sourire soulagé chargé de remerciements que je lui murmurais tout bas :
- Merci…
Seul un sourire radieux me répondit, et sans savoir pourquoi, je me sentis rougir. Je détournais les yeux et reportais mon attention sur mon assiette. Le repas se termina en silence et à la fin de celui-ci, nous retournâmes au salon, une tasse de thé dans la main. Assis côte à côte, aucun de nous n’osait briser le silence qui régnait dans la pièce. Je fus finalement sortis de mes pensées par la voix de Juha dans laquelle je décelais un certain amusement :
- Alors ? Stressé ?
- Plus que tu ne l’imagines, répondis-je, terrifié malgré moi à l’idée de n’arriver à rien.
- Pourquoi ? Il n’y a pas de raisons…
- Et si je me plantais demain ? L’interrompis-je.
- Et si tu arrêtais de dire des conneries… Je ne m’y connais pas beaucoup dans ce milieu, mais j’ai vu depuis que je suis arrivé combien tu as travaillé, et il n’y a aucune raison que tu te plantes.
- Mais tu comprends pas ! Il y aura vraiment des craks demain ! J’aurais l’air de quoi moi, pauvre petit clampin tout droit sortit d’ma campagne…La seule chance que j’ai c’est d’assurer un max demain, et vu comme s’est parti, je suis plutôt mal barré…
- C’est bon, déstresse ! Et puis, même si tu te plantais, tu auras d’autres occasions… Franchement, pourquoi tiens-tu absolument à ce que tu te plantes demain ? Prend confiance en toi, Gabriel… Tu a les capacités pour y arriver et je sais que tu y arriveras… Si toi tu n’as pas confiance en toi, moi si…
Je ne répondis rien, mais ancrais mon regard au sien. Plus je l’observais, plus je trouvais son regard envoûtant et hypnotisant. Puis, avant que je ne réalise vraiment ce qui se passait, je sentis deux lèvres se poser délicatement sur les miennes. Tétanisé, je restais un moment immobile, et ne retrouvais mes esprits que lorsque la langue de Juha vient quémander l’entrée de mes lèvres. Retrouvant l’utilité de mes mouvements, je le repoussais brusquement.
- Quelque chose ne va pas ? Demanda alors Juha surpris.
- Ah parce qu’en plus t’as pas compris ! Tu viens de m’embrasser, bien sûr que ça va pas ! m’exclamais-je hors de moi.
- Tu avais l’air d’en avoir tout autant envie que moi.
- Est ce que j’ai l’air d’aimer embrasser les hommes ! Tu pourrais au moins t’excuser !
- M’excuser ? Je ne vois pas pourquoi… C’était à ce point désagréable ? Est ce que ça t’a dégoûté ? Est ce que je te dégoûte ?
- Je…
- Tu ?
- Rah ! Laisse tomber, m’exclamais-je avant d’aller m’enfermer dans la salle de bain en claquant violemment la porte.
J’avais parfaitement conscience que ma réaction était démesurée par rapport à l’acte lui-même, mais en réalité, j’étais plus en colère contre moi que contre Juha. En colère parce que non seulement j’avais aimé le contact de ses lèvres sur les miennes, mais j’avais aussi eu envie qu’il poursuive. Que nos langues fassent connaissance…
En quelques secondes, mon esprit s’était retrouvé assailli de souvenirs remontés du plus profond de ma mémoire, là où je pensais les avoir enfoui pour toujours… Des souvenirs dont j’aurais préféré oublier même jusqu’à leur existence, et dont je gardais encore la trace dans le dos… Des images s’imposaient à moi, réveillant de vieux fantômes que j’aurais préféré ne jamais me souvenir…
Apeuré, je me laissais tomber contre la porte de la salle de bain et prenant ma tête entre mes mains, je fermais les yeux, tentant de repousser ces images qui revenaient me hanter. Sur mes lèvres, je sentais encore la chaleur de celles de Juha, je sentais encore leur douceur et leur goût sucré… J’avais aimé cette esquisse de baiser, et je me haïssais pour cela…  Pourtant, pour rien au monde Juha ne devait savoir… Personne ne devait jamais savoir… Je commençais à croire que finalement, tout ce qu’on m’avait dit durant toutes ces années n’était peut être pas si fausses que cela, que c’était peut être ma nature et que le monstre en moi finirait par refaire surface un jour…
Une voix inquiète de l’autre côté de la porte me sortit brusquement de mes pensées :
- Gabriel… Sort de la salle de bain… S’il te plait…
- Laisse moi ! Je ne veux pas te voir ! Répondis-je d’une voix tremblante.
C’est alors que je me rendis compte que je pleurais. Mes joues étaient inondées de larmes que je n’avais pas eu conscience de laisser s’échapper.
- Je m’excuse Gabriel, je ne savais pas que cela te mettrait dans un tel état, reprit Juha dont la voix cachait de moins en moins son inquiétude. Je m’excuse, répéta-t-il, mais je t’en supplie, sort de cette pièce…
Après un moment de réflexion, je finis par consentir à lui obéir. Lentement, je me relevais et ouvrais la porte. Je sortis sans même lui adresser ne serait-ce qu’un coup d’oeil. J’allais dans le coin qui faisait office de chambre et ouvris le placard afin d’en sortir une couverture. Puis, je retournais sur le canapé et m’y allonger, remontant la couverture sur ma tête, ignorant totalement les minables tentatives d’excuses de Juha :
- Je suis sincèrement désolé Gabriel… Je… Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal… Je te promet que c’était la seule et unique fois… Je ne tenterais plus rien, je t’en donne ma parole… Je suis désolé… Gabriel… Dis quelque chose…
- Pourquoi ? Demandais-je en me retournant, plongeant mon regard dans le sien.
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi tu m’as embrassé ?
- Je sais pas, je…
- Tu ?
- Ca m’est venu comme ça… Je sais pas pourquoi… Peut être que j’en avais envie…
- Et ça te prend comme ça ? Tu embrasses beaucoup de monde sans leur demander leur avis ? Répondis-je avec une point de cynisme que je ne cherchais pas à dissimuler.
Et avant qu’il n’ait le temps de répondre, je me retournais de nouveau, lui tournant le dos.
- Je…
- Bonne nuit, le coupais-je, n’ayant aucune envie d’entendre une seconde de plus ses désastreuses tentatives d’explications.
Dans mon dos, je sentis Juha rester immobile un moment. Je sentais son regard posé sur ma nuque, me brûlant la peau comme si l’on y avait apposé de l’acide. Puis, au bout d’un temps qui me parut interminable, il consentit enfin à s’éloigner. Je l’entendis s’affairer encore un moment dans l’appartement jusqu’à ce qu’il finisse par aller se coucher à son tour.

 

A suivre…

Beyond the invisible - chapitre 05

Lundi 3 décembre 2012

Chapitre 05 par Lybertys

 

Je finis par me laisser totalement aller, nos respirations étaient maintenant devenues plus que calme et nos cœurs avaient retrouvés leur rythme habituel. Je ne sais au bout de combien de temps je finis par me retirer et m’asseoir à côté de lui, posant ma tête contre son épaule. Mes yeux étaient de nouveau en train de se fermer, nous amenant tous deux dans un état de mi-sommeil.

C’est au moment où je me sentais sombrer que j’entendis sa voix me murmurer  :

 - On va se coucher, tu viens dans mon lit… Tu vas pas rester sur le canapé.

J’acquiesçais sans prendre la peine de répondre, trop fatigué pour ne serait-ce que prononcer un mot. Nous nous rendîmes donc jusqu’à sa chambre, tirions les draps et en moins de temps qu’il fallu pour le dire, nous étions déjà allongés côté à côté, tendant les bras à Morphée qui nous saisit au moment même où nous fermions les yeux.

Malgré toute ma fatigue, ma nuit fut extrêmement mouvementée et torturée. Je ne cessais de mêler passé et présent dans des images qui s’approchaient plus du cauchemar que du rêve. Je me réveillais aux mêmes heures des visites des gardiens lorsque j’étais en prison, et toujours cette peur de la nuit et cette ambiance qui y régnait m’imprégnait continuellement. La présence de Dorian à mes côtés avait quelque chose à la fois de très rassurant et de dérangeant.

Le rêve le plus étrange que je fis fut très tard dans la nuit. J’embrassais un homme à pleine bouche, me sentant envahi d’un désir insatiable et d’un plaisir que je n’avais jamais ressenti auparavant. Je pouvais ressentir la même chose provenant de cet être dont je ne connaissais pour l’instant toujours pas l’identité. Je me délectais de ses lèvres, de son cou, le sentant glisser ses mains jusqu’au bas de mes reins. Enivré d’un plaisir inconnu, la curiosité me poussa à ouvrir les yeux qui dans mon rêve étaient clos. A peine découvrais-je l’identité de l’inconnu que mes yeux s’ouvrirent pour de vrai pour cette fois, me plongeant dans la pénombre de la pièce. J’en ressortais avec des sueurs froides. Même si ce n’était qu’un rêve, il ne fallait jamais que ce genre de chose se produise. Non pas parce que c’était Gabriel, mais par l’interaction qu’il y avait en nous. Je l’avais assez payé. Je portais ma main à mon omoplate, touchant inconsciemment le tatouage que je m’étais fait faire en prison. Ne plus jamais recommencer les erreurs du passé, c’était ce que cet oiseau mythique me rappelait sans cesse. Ce phœnix symbolisait aussi ce qui m’était arrivé, ce qui était censé me faire aller de l’avant. Il renaît de ses cendres pour commencer une nouvelle vie, et c’est ce que je tentais de faire depuis dix ans. J’étais comme mort en même temps que lui, et je tentais de renaître.

Assis au bord du lit, je mis longtemps avant de m’en remettre, prenant ma tête entre mes mains pour tenter de calmer en moi l’angoisse grandissante et les souvenirs grouillant, pensant surtout à ce jour qui avait changé ma vie et clos la sienne.

Je finis par m’allonger, n’ayant rien d’autre à faire que dormir et en ayant surtout besoin. Je ne fis que somnoler, ne parvenant pas à trouver la paix en moi. Ce n’est que vers l’aube que je parvins réellement à m’endormir. Et c’est à peine une heure plus tard que je sentais Dorian me secouer légèrement par l’épaule pour me réveiller.

Je sursautais violemment, vieille habitude héritée de prison qui n’était pas prête de me quitter. Il me regarda surpris et me dis assez rapidement :

- On a une demi heure et on décolle.

Je mis un temps à habituer mes yeux à la lumière, il avait ouvert les volets sans que je m’en aperçoive. Il se tenait là à côté de moi en serviette, sortant apparemment de la douche.

- J’vais faire le petit déjeuner, je te laisse te préparer.

Il me laissa sur ces derniers mots. Au pied du lit étaient pliés mes vêtements d’hier, ainsi que ceux qu’il m’avait prêtés la veille. Je me redressais, grimaçant sous les courbatures dues au travail de la journée d’hier ainsi que de la soirée assez mouvementée. Je rougis à ce souvenir, et me dirigeais d’un pas rapide jusqu’à la salle de bain, sachant que seule une bonne douche achèverait de me réveiller.

Une fois prêt, propre et habillé, je me rendis jusqu’à la cuisine où les souvenirs de la veille me revinrent en un instant. Heureusement qu’il fallait se dépêcher, car je sentis presque le rouge me monter aux joues. Un petit sourire complice fut tout de même échangé, lorsque nous mettions nos vestes pour sortir. Les courbatures étaient tout aussi violentes que la veille et je savais que j’allais devoir les supporter toute la journée.

Durant tout le trajet en voiture, nous échangeâmes une petite conversations tranquille, finissant par parler de l’organisation de ce soir. A l’idée que j’allais enfin pouvoir avoir un “chez moi”, je sentais mon cœur s’emballer dans ma poitrine. J’appréhendais assez cependant, le fait de me retrouver à vivre seul. Jamais cela ne m’était arrivé avant la prison et les dix années que j’avais vécues en prison était bien sur à l’encontre d’une telle possibilité.

Lorsque nous arrivâmes au centre, Dorian m’indiqua directement ce que j’avais à faire, et dit rapidement qu’il allait me rejoindre plus tard. Je me dirigeais donc vers le premier box et commençait à accomplir le même travail qu’hier. Le premier box que je nettoyais contenait un animal bien plus agité que tous ceux que j’avais pu voir jusqu’à aujourd’hui. Je le sentais particulièrement agacé et surtout impressionné par la puissance qu’il dégageait. Jamais je n’aurais pu imaginer être impressionné par un tel animal, mais j’étais, je devais l’avouer presque intimidé par la prestance et la force qu’il dégageait. Je continuais malgré tout mon travail, ayant beaucoup de mal à garder mon sang froid et à quitter des yeux ce cheval qui je le pressentais, était en train de préparer quelque chose. Je sursautais lorsque j’entendis la voix de Dorian provenant de l’entrée du box. Je lui souris, tentant tant bien que mal de cacher mon malaise. Je dus très mal m’y prendre car il me conseilla aussitôt :

- Ne t’enferme jamais avec un cheval, laisse toujours ouvert. C’est une sécurité à prendre, surtout avec celui-ci, dit-il en me le pointant d’un bref mouvement de tête.

J’acquiesçais avec un sourire de remerciement et me remis au travail aussitôt. Dorian ouvrit la porte du box et repartit à ses occupations. Seulement, depuis qu’il était parti, l’occupant de ce box, avait tout à fait compris que la porte était maintenant ouverte. Il commença vicieusement à se déplacer vers moi, empiétant au fur et à mesure sur mon territoire, si bien que je me retrouvais presque plaqué contre la porte. Je me mis alors à faire ce que je ne devais précisément pas faire : je paniquais. Il le remarqua immédiatement, et ne m’offrant pas la moindre faveur, il me bourra sans plus de cérémonie afin de sortir. Autant dire que je ne faisais pas le poids face à lui et que je ne savais pas du tout comment réagir dans pareille situation. Sans trop réaliser ce qu’il se passait, l’animal était déjà partit au petit galop dans l’écurie, se dirigeant vers la sortie de celle-ci. Maintenant totalement paniqué, je partis à sa poursuite, n’ayant pas la moindre idée de la manière avec laquelle j’allais m’y prendre pour le faire rentrer de nouveau dans son box et pire encore pour ne serait-ce que je le rattraper. Dorian n’étais même pas là. Alors que je sortais de l’écurie en courant je tombais sur la dernière personne que j’avais envie de voir. Je lui lançais un regard apeuré, ne sachant ni que dire, ni quoi faire dans une telle situation. Gabriel m’aperçu rapidement et sans une attention pour moi, il se précipita à la poursuite du cheval échappé. Heureusement, son estomac eut une plus forte intensité que son envie d’évasion, car le cheval s’arrêta à la réserve à grain. J’observais avec attention, malgré le fait que j’étais extrêmement embêté, la manière dont Gabriel s’y prenait avec cet animal. Lentement, il s’approcha de lui, avant de la contourner pour l’intercepter, se plaçant de manière stratégique. Tout en s’approchant, il l’appela par son nom, bien que le cheval était très occupé à manger. Il saisit le cheval par les crins situés au sommet de sa tête, et le força à relever la tête pour le suivre. L’animal était totalement soumis et n’avait pas du tout le même comportement avec lui qu’avec moi. Anxieusement, je le suivis jusqu’au box, ne sachant pas trop à quoi m’attendre, me mettant cette fois-ci à le craindre vraiment. Il semblait furieux, mais il me demanda d’une voix calme, une fois l’animal dans le box :

- Que s’est-il passé ?

- Je… Commençais-je timidement.

- Tu ?

J’avais l’impression d’être un enfant que l’on était en train de réprimander et d’interroger sur sa bêtise. Rentrant malgré moi dans le jeu, je me lançais et lui racontais tout :

- J’étais en train de faire son box et il… Il m’a bourré pour sortir… Au départ j’avais fermé la porte, mais on m’a dit de ne jamais m’enfermer dans le box, alors j’ai réouvert…
- Hn…
Gabriel se désintéressa alors totalement de moi, pour porter pleinement son attention sur le fameux cheval qui m’avait causé des problèmes. Je décidais de prendre du temps pour le regarder faire, soulagé du fait de ne plus ressentir sa souffrance. Ma colère m’avait vraiment coupé de tout ressentiments le concernant, du moins pour un temps. J’avouais me sentir encore extrêmement honteux de ce qui venait de se passer. Il entra donc de nouveau dans le box, laissant apparemment volontairement la porte grande ouverte. Alors que l’animal faisait un pas en direction de la sortie, je vis Gabriel l’arrêter d’une légère pression du doigt sur le poitrail et lui dire d’une voix douce et ferme de reculer. Il recommença ce manège jusqu’à ce qu’il lui laisse la porte ouverte sans qu’il ne soit tenté de la franchir. Cela dû prendre une bonne vingtaine de minute mais jamais ce spectacle ne me parut ennuyant. C’était fascinant de voir cet homme travailler avec ce cheval. Rien que son comportement était tout autre et l’animal finissait par lui renvoyer une certaine forme de respect. Ce Gabriel là devait être extrêmement agréable à vivre, tout le contraire de ce qu’il m’avait montré jusque là. Je sentais ma colère envers lui s’estomper au fil des secondes. Cet homme avait tout simplement besoin d’aide pour accoucher sa souffrance. Il ne supportait plus les hommes, et trouvait refuge vers d’autres êtres vivants. Mais comment atteindre le bonheur en s’isolant totalement ? Je connaissais parfaitement l’isolement. Ce n’était certes pas les mêmes circonstances, mais la véritable solitude, je la connais parfaitement, je la vis depuis tellement longtemps. Le contact avec autrui est bien trop dangereux pour moi. J’avais payé mon envie de me lier à quelqu’un.
Après une dernière caresse, il se décida à sortir du box et me surpris en train de l’observer accoudé à la porte du box d’en face. A vrai dire, il semblait tout aussi surpris que moi. Je lui adressais un petit sourire, ne voulant pas donner suite aux hostilités. Evidement, il n’y répondit pas et retourna vaquer à ses occupations.
Je me remis au travail, ayant fait une pause suffisamment grande. Un frisson me parcourut, il faisait bien plus froid que la veille.
Dorian revint une petite heure plus tard, apparemment préoccupé par une chose dont j’ignorais la nature.
- Tu t’en sors ?
- Oui, répondis-je simplement, n’ayant pas envie de raconter tout de suite ce qu’il s’était passé avant.
- Je ne pourrais pas te raccompagner ce soir, ma soeur a un problème et je partirais un peu plus tôt. J’ai appelé mon ami, il t’attendra là bas pour signer les papiers, et ce soir tu as ton chez toi. Tu n’as pas trop d’affaires à transporter ? Tu t’en sortiras ?
- Oui, ne t’inquiète pas, merci beaucoup en tout cas…
Nous échangeâmes un regard comprenant tout deux parfaitement ce qu’il signifiait, nous replongeant dans le souvenir de la nuit dernière. Ne voulant cependant pas aller plus loin que de simples pensées, je décidais de changer de sujet :
- Rien de grave pour ta sœur ? demandais-je légèrement inquiet.
- Non, un petit soucis rien de plus.
Dorian m’aida à faire les box, ce qui nous pris toute la matinée. C’était impressionnant comme ce travail était long et pénible. Mais à aucun moment je ne m’en plaignais. Vers onze heure et demi, il m’expliqua comment donner du foin aux chevaux, me montrant la quantité à donner à chacun. Pendant que je m’occupais de cette tache, il alla dans la sellerie réparer une sangle qui s’était cassée la veille. Une heure plus tard, nous nous rendîmes au réfectoire, prenant une pause pour manger bien méritée.
Nous nous installâmes à une table après être allé chercher à manger, avec les autres employés bien plus agréable que Gabriel, ou du moins polis. Dorian m’avait montré discrètement la copine de Gabriel qui se prénommait Marion. Elle était très belle, mais quelque chose gâchait cette beauté. Il y avait quelque chose qui me gênait chez elle. Nous en étions vers la fin du plat principal lorsque je vis Gabriel entrer dans le réfectoire. Il marcha directement jusqu’à sa place habituelle, celle où je l’avais vu hier midi, sans un seul regard pour Marion, assise un peu plus loin. Dorian se pencha et me souffla à l’oreille :
- Il y a de l’eau dans le gaz. Je serais sa copine je l’aurais déjà largué… Peut être qu’il reste avec elle parce que c’est la fille du patron…
Il continua à me parler, mais je ne l’écoutais plus vraiment. Les commérages commençaient à fuser. Tout le monde avait un petit mot pour cette scène. Gabriel semblait totalement étranger à tout cela. Il vivait dans son petit monde, comme enfermé dans sa bulle. Une seule chose émanait simplement de lui et il ne cherchait pas à le cacher. Elle signifiait clairement : foutez moi la paix. Je ne pouvais nier que j’étais de nouveau intrigué par cet homme. Malgré ce qui s’était passé hier, je ne pouvais jouer à l’indifférent. Cela aurait été uniquement se mentir à soi-même. Un par un les employés quittaient le réfectoire, il ne restait plus que Dorian, Marion, Gabriel, quelques autres personnes et moi. Dorian se leva et me dit de prendre mon temps pour finir de manger, il n’avait pas besoin de moi pour le moment. J’allais donc à la cuisine me chercher un café que je décidais de boire là-bas, profitant d’un peu de calme. J’avais beau tenter de me forcer un peu, je n’étais pas habitué à côtoyer autant de personnes et à ne plus avoir mes moments de solitude.
Alors que je retournais au réfectoire pour aller chercher ma veste et retourner travailler, je tombais en plein milieu d’un échange houleux entre Marion et Gabriel.
- Tu peux m’expliquer ce qui t’as pris hier soir ? demanda Marion.
- Y’a rien à expliquer, répondit-il très sèchement.
Je sentais soudain à la manière dont Marion se planta devant lui, que je n’avais vraiment pas à assister à cette conversation. Elle lui demanda alors :
- Tu me trompes ?
Aussitôt, Gabriel répondit stupéfait :
- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? S’exclama-t-il après avoir retrouvé un minimum de sérieux. Arrête tes conneries, et lâche-moi un peu, tu veux !
- J’ai quand même le droit de me poser la question figure-toi, ajouta-t-elle en haussant le ton. On s’est pas vu depuis une semaine et alors que je viens te voir, tu trouves le moyen de me foutre à la porte !
Je n’étais même pas étonné de ce que lui disait Marion et des choses intimes que j’étais en train d’apprendre. Il suffisait de se pencher un peu sur son cas pour s’apercevoir que tout dans la vie de Gabriel n’allait pas comme il le fallait. Je restais tout de même choqué par sa réponse, même si je savais qu’il n’allait pas être tendre dans sa réponse.
- Oui et alors ? Il ne t’est pas venu à l’esprit que je n’avais peu être pas envie de te voir justement ?
Je vis Marion encaisser le coup sans trop vraiment réaliser ce qu’elle venait d’entendre. Dans un état de choc proche de celui de Marion, je ne fis pas attention et ne vis pas que Gabriel était en train de partir et étant sur son chemin, il me bouscula, ne m’ayant pas vu. Aussitôt le contact qui s’était rompu hier revint plus violemment que jamais. Ce qu’il ressentait à l’instant, en plus de ce qu’il se cachait à lui-même, je le vivais multiplié par dix. Je crus ne jamais réussir à respirer de nouveau. Toutes mes forces venaient de m’être enlevées. Mon corps maintenant totalement meurtri, me donnait l’impression d’avoir était roué de coups. La migraine que j’avais connu la veille était revenue de plus belle. Et toujours cette question, comment faisait-il pour ne pas s’effondrer. J’en avais la certitude, ce n’était maintenant qu’une question de temps avant la fin. Gabriel avait besoin d’aide ou bien il craquerait à jamais. Malgré toute la colère que j’avais pu ressentir pour lui et que je ressentais encore, je ne pouvais pas ne pas venir à son aide. J’étais le seul qui avait eu un véritable aperçu de cette souffrance à l’état brut. Ne m’en remettant pas je le fixais d’un air apeuré. Cet homme m’effrayait de part notre liaison. Ressentir tout de lui, sans aucune limite était terriblement angoissant. Apparemment, il n’apprécia pas que je le regarde comme cela, peut être que mon regard était en train de lui renvoyer un seul instant l’image de sa souffrance, ou peut être, inconsciemment, pouvait-il y lire ma peur face à sa douleur.
C’est sa voix emplie de hargne qui me ramena à la réalité :
- Tu peux pas regarder où tu vas non ? T’es miro ou quoi ?
Tout ce cinéma d’arrogance et d’apparence m’agaçait énormément. Il ne faisait que se mentir à lui même. Dans l’état actuel ou j’étais, étant loin de m’en remettre, je n’étais pas près à affronter sa colère contre le monde entier et son caractère exécrable. J’avais l’impression de ne jamais parvenir à me débarrasser de ce mal qui habitait Gabriel et qui avait maintenant pris possession de chaque partie de mon être, attirant mon âme vers la chute ultime. Sachant cela, je répondais rapidement sans trop réfléchir, ayant surtout besoin d’être seul et de m’éloigner de lui :
- Oh, commence pas à m’emmerder hein !
Evidemment, cela ne lui plu vraiment pas et il répondit aussitôt :
- Pardon ? Moi je t’emmerde ?
Pour me défendre, je décidais d’attaquer, c’était la seule manière de m’en sortir :
- Oui tu m’emmerdes, toujours avec ton air supérieur et arrogant ! Tu peux pas t’empêcher de faire chier les autres, c’est maladif ou quoi ? T’as besoin de faire chier le monde pour te sentir bien ?
- Tu commences vraiment à me les briser, de plus, je t’ai rien demander alors retourne curer tes box et fou moi la paix !
Autant dire que je m’attendais à tout sauf à cela. Je savais qu’il l’avait dit sous la colère, mais je ne pouvais m’empêcher d’en être indigné. Heureusement, il s’en alla. Marion me regarda un instant, puis passa devant moi sans un seul mot. Je me retrouvais seul dans le réfectoire, les jambes tremblantes, ayant l’impression qu’un ouragan m’était passé dessus. Comment aider un homme qui souhaitait tout sauf cela ? Tout à coup ce que j’étais en train d’entreprendre me semblait inutile, et surtout vain. Je n’avais aucune chance. Je dus m’asseoir, me remettant doucement de la douleur quasi inhumaine que j’avais ressenti quand il m’avait heurté. Un voile de solitude s’empara de moi, depuis ce jour, il y a plus de dix ans, je ne l’avais jamais autant ressenti. La prison me l’avait caché, le retour à la liberté me le dévoilait de nouveau, sans prendre de gant. Je me souvins de lui, je portais un regard détaché sur ma vie, me posant toujours cette même question : « A quoi bon ? »…
Je venais d’être projeté dans un monde où j’avais maintenant l’impression de ne pas avoir le droit d’en faire parti, ou peut être de ne jamais en être capable. Les bonnes résolutions que j’avais prise en prison étaient en train de s’effilocher. J’avais soudain envie de partir, de fuir comme je l’avais pensé la veille, mais fuir pour aller où. Le seul échappatoire qui s’offrait à moi, celui de la solitude ultime, celui de ma fin, celui que je ne pouvais envisager réellement. Pourquoi ? Qu’est-ce qui me retenait ici ? Peut-être le besoin de me racheter…Peut être que je n’avais pas le courage de le faire, et surtout qu’au fond de moi je n’avais pas envie de réellement quitter cette vie.
Seulement, quel avenir ? Quel futur s’offrait à moi ? Allais-je vivre seul et faire ce boulot toute ma vie ? Le seul but qui m’était fixé maintenant était d’aider cet homme. Il s’était imposé à moi et je n’avais pas vraiment eu le choix. Même si cela était extrêmement douloureux, même si cela était loin d’être une solution de facilité, je savais que c’était l’unique chose qui me tenait encore debout, qui me maintenait au bord du précipice à l’aide d’un fil que je savais très fin.
Trouvant que mes pensées devenaient bien trop sombres et surtout très dangereuses, je pris sur moi et décidais de me lever. Un mal de tête violent s’était maintenant saisi de moi et je savais que je devrais passer au meilleure des cas toute ma journée avec. Alors que je me dirigeais vers la sortie je tombais nez à nez avec une scène que je n’aurais jamais du voir. Je ne m’arrêtais pas et poursuivi mon chemin, réalisant à peine ce que je venais de voir : Marion, tendrement enlacée dans les bras d’un autre homme, en train de l’embrasser à pleine bouche, trahissant son amour pour Gabriel.
C’était étrange à dire, mais j’avais l’impression d’être tout aussi trahis que Gabriel ne l’était. Alors que j’aurais simplement pu ressentir un léger malaise, je me retrouvais investi dans cette histoire qui n’était pas la mienne. C’était la dernière des choses à faire subir à Gabriel en ce moment. J’avais la certitude qu’il n’avait pas connaissance de cela.
Heureusement, c’est ce moment-là que choisit Dorian pour m’appeler. Il était à l’entrée de la sellerie et m’indiquait clairement de le rejoindre. J’entrais dans cette pièce assez mal éclairée et l’écoutais m’indiquer le travail à faire qui consistait à graisser les cuirs des selles. Alors que je lui tournais le dos pour accomplir ma tâche, prenant garde à ne surtout pas le toucher, vu ma sensibilité accrue, je sentis son regard posé sur moi, et l’envie qui émanait de lui. Je choisis de me retourner vers lui, lui faisant face et sautant sur l’occasion. Ce que j’allais faire, j’en avais plus que tout besoin en cet instant. Je devais évacuer le trop plein, je devais sentir ce contact physique pour me rattacher à la réalité.
De manière féline, je m’approchais de lui, lui lançant un regard provocateur. Dorian ne mit pas bien longtemps à comprendre mon intention et pris de court, il ne pu que répondre à mon baiser passionné. Nos langues ne mirent que peu de secondes à se rencontrer et à se mêler dans un esprit de fusion totale.
Je me laissais fondre en lui, me débarrassant de ce poids qui était de trop pour mes épaules. Je pouvais sentir son rythme cardiaque s’accélérer, faisant écho au mien et me rappelant que je vivais moi aussi. Sentir ses lèvres sur les miennes, sa langue caresser la mienne avec envie consolidait le fil si fin qui me maintenait en vie.
Je laissais glisser mes mains sur son corps que je connaissais maintenant intimement, l’attirant plus près de moi, pour approfondir notre échange. Je serais bien resté des heures ainsi, m’unissant simplement de cette manière à son être, mais cela aurait pu être risqué pour lui comme pour moi. Je finis par m’arracher à contre cœur à son étreinte et après un sourire échangé, je me tournais pour accomplir mon travail. Si je restais face à lui, je savais très bien que je n’y résisterais pas. Je finis par me plonger totalement dans mon travail, y mettant tout le soin et l’attention dont j’étais capable, les joues encore rosies par la chaleur du baiser échangé. Dorian était parti vaquer à d’autres tâches, me laissant seul accomplir mon travail, avec l’ordre de nourrir les chevaux une fois ces deux selles terminées. Une bonne heure plus tard, j’avais eu le temps de finir et je me dirigeais vers le lieu où étaient rangées les fourches. Au retour, je tombais nez à nez avec celui que j’avais le moins envie de croiser aujourd’hui. Il se tenait accroupis dans la sellerie, cherchant apparemment une brosse. Lorsqu’il se redressa nous tombâmes nez à nez. Je n’avais pas besoin de me servir de mon don pour deviner qu’il n’avait pas envie de me voir. L’image de Marion le trompant me revint en mémoire et sa souffrance vint de nouveau s’infiltrer en moi. Je ne pouvais pas le laisser comme cela et la première des choses que j’avais à faire était de tenter d’établir de meilleurs liens entre nous. La chose était loin d’être évidente, car sans un regard de plus pour moi, il me dépassa et se dirigea vers le box de sa montre. Je n’avais pas d’autre choix que de le suivre, sachant que je prenais sur moi pour faire cela. Arrivé au box, je parvins à capter son attention un instant, et voulu prendre la parole. Cependant, il me devança en me demanda froidement :
- Qu’est ce que tu veux ?
- Je…commençais hésitant, ne sachant pas comment le prendre. Je tenais à m’excuser pour tout à l’heure…
- Hn, et alors ? Qu’est ce que tu veux que cela me foute ?
J’avais de plus en plus de mal à me concentrer face à ce qui émanait de lui, si bien que sa réponse me mit presque hors de moi, bien que je ne le laissais pas paraître pour le moment. N’appréciant tout de même pas sa remarque, trouvant qu’il dépassait les bornes, je répliquais :
- Dis moi, tu es toujours comme ça avec tout le monde ou c’est juste parce que c’est moi ?
- Rassure-toi, tu n’as rien d’exceptionnel !
Certes le chemin de la réelle discussion était très lointain, mais j’en profitais tout de même pour en apprendre un peu plus sur lui. Je décidai de ne pas m’emballer et de répondre calmement :
- Tu es toujours comme ça ? A balancer des vannes à longueur de journée ?
Cette fois-ci, ce fut à son tour de soupirer, apparemment plus qu’agacé. Je tentais continuellement de garder cette distance entre nous, ne sachant pas vraiment comme je réagirais s’il était trop près. Stoppant toute action, il se retourna vers moi et avec un sourire qui était totalement hypocrite, il me déclara :
- Non, je me suis levé du pied gauche ce matin ! Ca te va comme réponse ?
Je perdis patience, ne parvenant plus à me contrôler, sa colère venant se mêler à la mienne, je ne fis pas attention aux mots blessants que je lui jetais à la figure.
- J’y crois pas ! Il faut toujours que t’ais le dernier mot hein ? C’est pas croyable d’être aussi gamin ! T’es vraiment aigri comme type ! Pas étonnant que ta copine aille voir ailleurs…
Je vis aussitôt son visage se décomposé, pâlir sous la nouvelle cruelle je venais de lui apprendre. Une douleur à l’état brut, un sentiment de trahison profonde envahi son cœur et le mien. Ne pouvant supporter cela, j’esquissais un mouvement vers lui, ce qui eut pour effet de le faire s’exclamer furieux :
- Ne t’approche pas de moi !
Je me maudissais tellement de lui avoir dit cela. Je stoppais mon geste, ne sachant plus vraiment que faire ou que dire.
- Ma vie privée ne concerne que moi c’est clair ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler de tes affaires et de rester en dehors de mes histoires ? Est-ce que je te pose des questions sur tes histoires de cul ? Non ? Alors fais en de même !
La fureur qu’il déchaîna m’effrayait. L’idée qu’il me connaisse totalement, qu’il connaisse mon passé et mon don m’effrayait. Je me rendais soudain compte que j’avais extrêmement peur de me faire juger par cet homme. Sa colère me rappela celle de celui qui m’avait mené jusqu’ici dans ma vie. En une seule phrase, en une seconde seulement ou je ressentais tout, il m’avait fait replonger dans le passé et dans sa propre souffrance. Pâlissant à vue d’œil, ne parvenant plus à cacher quoi que ce soit, je bredouillais :
- Je… Tu ne sais rien de moi…
- Justement toi non plus !
Sur ces derniers mots, il attrapa la longe de son cheval et me bouscula, finissant d’achever en moi le peu de force mentale qu’il me restait. Je le suivis très difficilement et le vis enfourcher son cheval lestement une fois dehors, avant de s’élancer au galop afin de partir loin de moi, loin de ce qu’il ne supportait plus. Mon regard l’avait percé à jour, et ne plus pouvoir mentir comme il le faisait avec tout le monde, ne plus pouvoir se protéger sous son arrogance était en train de fissurer le mur qu’il s’était construit. Je le vis disparaître à l’horizon, sachant que je ne pouvais rien faire pour lui pour le moment.
Je sentis à ce moment-là Dorian arriver derrière moi. Je me tournais pour lui faire face, tentant de sourire pour cacher le tout qui rongeait mon esprit, mon corps le supportant de moins en moins bien.
- Juha ?!!! Qu’est ce qui t’arrive ? Tu es tout pâle ! Ca t’arrive souvent les crises comme ça ? Tu avais la même tête hier…
- Non ça va, ne t’inquiète pas, dans quelques minutes ça va passer… lui mentais-je.
- J’étais venu te dire, il y a quelqu’un au téléphone pour toi, dans le bureau.
Intrigué et surtout très étonné je lui demandais :
- Tu es sur que tu ne t’es pas trompé ?
- Non, cet homme te cherche bien, je lui ait dis que je venais te chercher…
C’était totalement impossible que quelqu’un me cherche, n’ayant plus de contact avec personne depuis dix ans et n’ayant annoncé ma sortie à personne. Qui était-ce et comment cette personne m’avait trouvé ?
Retrouvant de nouvelle force en moi grâce à la curiosité, je me dirigeais jusqu’au bureau non sans une certaine appréhension et une angoisse grandissante. Alors que j’arrivais dans le bureau, je trouvais le combiné décroché posé sur la table. Les mains tremblantes je saisis le téléphone et le porta à mon oreille avant de dire fébrilement « Allô ». J’entendis une respiration un cours instant, avant d’entendre la tonalité classique me signifiant qu’il avait raccroché.
Le combiné me glissa des doigts, ne parvenant plus à le maintenir. La seule question qui avait emplie toute mes pensées était : qui était-ce ? Une peur sourde s’insinua en moi, sans que je puisse avoir de prise sur elle. J’étais effrayé par ce que ce coup de téléphone pouvait entraîner. Dorian avait bien dit que c’était un homme, et malgré moi je pensais connaître son identité. Préférant ne pas y penser et vivre cela uniquement comme un mauvais rêve, je sortais de ce bureau après avoir raccroché ce téléphone, n’essayant même plus de tenter de cacher mon mal-être. Je rejoins Dorian qui était en train de vérifier mon travail dans la sellerie, essayant de quitter cette sournoise idée que le passé allait revenir me hanter. Je fus sorti de mes pensées par Dorian qui me demanda :
- Tu as pu l’avoir ? Tu as fais vite.
- Oui… répondis-je simplement, ne sachant rien dire de plus.
- Juha ? Tu es sur que tu vas bien ? Tu ferais mieux de rentrer chez toi. De toute façon il n’y a plus rien que tu puisses faire aujourd’hui. Va te reposer tu seras plus efficace demain…
N’ayant même pas le courage de contester sa décision, j’acquiesçais faiblement.
- Je passe te chercher demain matin ?
- Oui, merci…
- L’ami qui te loue l’appartement habite sur la place, à deux maisons de chez moi, passe chez lui directement pour signer les papiers et avoir les clefs.
Il me griffonna l’adresse sur un bout de papier sortie de sa poche et me le tendit :
- Voilà, à demain Juha, passe une bonne soirée.
- Toi aussi, à demain, et encore merci.
Je le quittais me rendant dans la chambre que m’avais louée Philippe. J’attrapais mon vieux sac de toile et y mettais le peu d’affaires qui m’appartenaient. Puis, emmitouflé dans mon manteau, je sortis et pris le chemin pour rentrer chez moi. Plus que tout, j’avais besoin de repos, mais l’idée de me retrouver seul dans cet appartement m’angoissait légèrement, je ne pouvais le nier. Progressivement, il se mit à neiger et le soleil passait lentement derrière les montagnes pour faire place au froid hivernal.
Je marchais sans trop faire attention au monde qui m’entourait, ayant déjà assez de préoccupations avec moi-même. Un bruit pourtant me fit lever les yeux et je vis un cheval, légèrement affoler, dans le champ à côté de la route. Je ne mis pas longtemps à reconnaître le cheval de Gabriel et inquiet je m’approchais de lui tout doucement quittant la route. Je n’y connaissais rien en équitation, mais je savais qu’il était dangereux de laisser un cheval seul au bord d’une route. Il suffisait d’un minimum de jugeote pour le savoir. De la même manière dont j’avais vu Gabriel le faire avec le cheval de ce matin, je m’approchais de celui-ci. Lentement, je continuais ma progression vers lui, en étant attentif à chacune de ses réactions, m’arrêtant lorsque je sentais que ma présence le dérangeais. Je savais que je ne me rendais pas compte de cela uniquement grâce à mon observation, ayant parfaitement conscience que mon don y était pour quelque chose. Avoir l’intuition de ce que l’autre ressentait, même un animal était une chose que je faisais sans même en avoir conscience la plupart du temps. Je finis par arriver à sa hauteur, et m’arrêtais un instant le temps de le laisser m’accepter à ses côtés. Docile, il ne bougea pas d’un pas et lentement je tendais ma main vers lui dans le but d’attraper sa longe qui traînais sur le sol. Je soupirais de soulagement lorsque je sus que j’avais réussi. La longue dans les mains, je continuais de m’aventurer dans le champs, constatant avec joie que la monture de Gabriel m’obéissait à peu près, me suivant en se plaçant à quelques pas derrière moi.
Lorsque je vis une tache bien plus loin, j’accélérais le pas, me doutant parfaitement de l’identité celle-ci. En avançant je pouvais et sentir et voir Gabriel étendu dans la neige inconscient. Je courais presque vers lui, ne lâchant surtout pas la longe, voyant que l’animal commençait à être impatient. Une fois arrivé à sa hauteur, je restais figé sur place, me rendant compte que j’étais dans l’incapacité de me baisser vers lui. Sa tête avait heurté une pierre, et son sang commençait à imbiber la neige, ses yeux clos et sa peau rendue pâle par le froid lui donnait l’apparence d’un mort. Il me renvoyait une fois de plus bien trop loin, bien trop profondément dans mon passé. Je savais qu’il fallait que j’agisse vite, il était question de sa vie, mais j’étais comme paralysé. La souffrance psychique je pouvais la supporter, mais la souffrance physique violente, celle qui nous rend proche de la mort, c’était au dessus de mes forces. C’est en voyant son torse se soulever et s’abaisser, signifiant qu’il respirait encore, que je tentais de me reprendre.
Je dus me faire violence pour me pencher et prendre le portable qui dépassait un peu de sa poche. Appeler les secours, c’était la seule chose qui était en mon pouvoir. J’ôtais ma veste, lâchant un court instant la longe de son cheval qui restais là sans bouger à côté de nous, cherchant parmi la neige piétinée un petit brin d’herbe. Je lui posais dessus, frissonnant sous le vent qui commençait à se lever. J’appelais enfin les secours, leur indiquant ma position, et ce qu’il s’était passé. Dans dix minutes minimum me dirent-ils, ils seraient là. Je restais là, debout, le dominant de ma hauteur, ne sachant pas vraiment que faire. Je ne connaissais le numéro d’aucune personne au centre et n’aurait pas été capable de parler à qui que ce soit d’autre. Je sentis soudain mes jambes céder sous mon poids, me retrouvant agenouillé à ses côtés. Je me mis à trembler comme une feuille, sachant pertinemment que cela n’était pas du au froid. Je tenais fermement la longe de ma mains droite, cela me permettait de m’aider à tenir. Je fixais le corps inerte sans jamais pouvoir esquisser un seul geste vers lui. J’étais en train de me perdre, mêlant ma frayeur à son inconscience et ma propre souffrance à la sienne. J’étais comme en état de choc. J’attendais que quelqu’un vienne nous aider. Dix minutes… Il fallait seulement attendre dix minutes… A l’instant, elles me paraissaient aussi longues que les dix ans que j’avais passé exclu de tout. Depuis plus de dix ans, je me retrouvais toujours paralysé devant un corps inerte, devant un corps proche de la mort ou l’étant déjà. Je revoyais son visage, je me retrouvais à ressentir ces choses que je m’efforçais chaque jour de cacher. Mon manque de lui était toujours aussi fort, comme une plaie béante à vif qui ne s’était jamais refermée après toutes ces années.
Je sentais peu à peu la souffrance mentale de Gabriel se faire de plus en plus lointaine. Je me rendais compte qu’il était en train de partir et je ne faisais rien pour le retenir ou pour l’aider. Plongé dans un profond désarroi, une larme coula le long de ma joue sans que je m’en aperçoive, laissant un sillon glacé par le vent. La main fébrile, je la tendis vers lui, sachant que si je ne le faisais pas, il ne tiendrait pas. Le soleil avait presque disparu et il risquait l’hypothermie, voir bien plus grave… Je la posais sur son front et constatais qu’il était brûlant de fièvre.
Je dus fermer les yeux un instant pour tenter de faire le point en moi, tout était bien trop en ébullition, tout bougeait dans tous les sens, je ne savais plus à quoi me rattacher. J’avais l’impression de perdre ce qui faisait mon unité. C’est au prix d’un effort immense que je parvins à rassembler toutes les parties de moi, les séparant de celles qui ne m’appartenaient pas. Je laissais glisser ma main jusqu’à la sienne et la serra très fort, tentant de le ramener parmi nous, sentant qu’il était en train de quitter ce monde. Mentalement, je lui hurlais de revenir, de ne pas partir, de rester ici. Il ne pouvait pas partir comme cela, c’était bien trop bête et cela n’avait aucun sens. Je serrais encore plus fort sa main, sa respiration était en train de s’accélérer légèrement. Bientôt, j’entendis les sirènes s’approcher, s’accompagnant d’un soulagement de ma part. La monture de Gabriel s’agita, semblant craindre le bruit du camion. Je finis par me redresser, lâchant la main de Gabriel afin d’être sur d’être capable de maîtriser cet animal. Deux ambulanciers sortirent du véhicule garé sur le bord de la route, et accoururent vers moi avec une civière. L’un vint me demander très rapidement ce qu’il s’était passé, tandis que l’autre prodiguait déjà les premiers soins et la première auscultation à Gabriel. Une fois qu’ils eurent finis de l’installer sur la civière, ils me donnèrent pour mission de prévenir le centre. Je me retrouvais donc seul dans la neige, en plein milieu de ce champ dans ma veste, avec ce cheval qui commençait à s’impatienter. Je me mis en marche, après un dernier regard sur l’ambulance, prenant la direction de l’écurie. Marcher rapidement me réchaufferait peut être un peu. L’épuisement qui s’était maintenant emparé de moi n’aidait en rien à réchauffer mon corps.
C’est frigorifié que j’arrivais dans les écuries, et que je croisais par chance Philippe en train de s’occuper d’un cheval. Intrigué de me voir ici, en prime avec le cheval de Gabriel, il sortit aussitôt du box et vint à ma rencontre.
- Qu’est ce que tu fais avec ce cheval ? me demanda-t-il aussitôt.
Puis étant plus près et voyant l’expression maladive et inquiète qui se dépeignait sur mon visage il me demanda d’un ton bien plus inquiet :
- Qu’est-ce que tu fais habillé comme ça ? Tu n’as pas l’air bien.
Malgré le froid qui paralysait mes mâchoires, je réussis à articuler quelques mots, lui expliquant la situation. A peine eut-il entendu « Gabriel, chute, hôpital » il m’attrapa la longe des mains et ramena le cheval dans le box. Après l’avoir débarrassé de son matériel, il sortit et se redirigea vers moi qui n’avait pas bouger d’un pouce.
- Viens avec moi, tu m’expliqueras mieux en chemin, on va à l’hôpital.
Sans dire un mot je partis à sa suite, et montais dans la voiture avec lui. Il me laissa cinq minutes le temps de me réchauffer, avant de me demander ce que j’avais fait de ma veste, et de lui raconter précisément tout ce qu’il s’était passé et ce que j’avais fait. Il semblait terriblement angoissé et je perçus que leur relation n’était pas uniquement celle de patron à employé.
A l’intuition que l’on pouvait avoir,on aurait pu nommer cette relation de père à fils.
A peine garé sur le parking, nous sortîmes de la voiture et nous nous ruions vers l’accueil de l’hôpital. On nous indiqua qu’il était encore en observation et qu’il fallait attendre encore une petite demi-heure avant de se rendre à la chambre où il serait transféré.
Encore plus angoissé qu’avant, Philippe me proposa d’aller boire un café, disant que cela me réchaufferait. Je remarquais que j’étais toujours grelottant. Je mis double dose de sucre dans celui-ci, tentant de me donner un minimum de force. Lorsqu’une infirmière vint enfin nous chercher, elle nous expliqua que Gabriel n’avait rien eu de grave à part une petite commotion cérébrale, qu’il allait lui falloir un peu de repos, et que c’était une chance d’avoir réussi à l’aider aussi tôt, car cela aurait pu être bien plus grave. Soulagés, mais souhaitant tout de même constater son état par nous-même, nous nous rendîmes dans sa chambre. Il était là, allongé dans son lit, légèrement redressé, la tête dans les vapes. Je restais un peu à l’écart, tandis que Philippe se jetait presque sur lui.
C’est à ce moment là que je m’aperçu en faisant un tour d’horizon de la pièce que ma veste avait été posée sur la chaise à côté de moi, placée à l’opposé du lit. Gabriel semblait être totalement dans les vapes, et mit du temps avant de parler à Philippe. Je ne fis pas vraiment attention à ce qu’ils échangèrent, trop occupé à tenter de me réchauffer. Je pris ma veste et m’y emmitouflait. Puis, voulant tout de même voir comment Gabriel allait, m’avouant que je m’inquiétais tout de même beaucoup pour lui, je m’approchais un peu, entrant dans l’intimité qui s’était installé entre les deux hommes. Lorsque Gabriel m’aperçut, il semblait avoir retrouvé assez de force pour s’exclamer assez fébrilement tout de même, mais sans cacher son agacement et son arrogance habituelle :
- Qu’est ce qu’il fout ici lui ?
- Enfin Gabriel ! C’est grâce à lui que tu es ici. On peut même dire qu’il t’a sauvé la vie.
Je ne fis pas attention à la suite de leur échange. Etant en train de me réchauffer progressivement, je sortais de mon engourdissement. Je réalisais soudain dans quel endroit je me trouvais : un lieu plus que dangereux pour moi, un lieu que j’avais toujours évité depuis la découverte de mes capacités. J’étais en train de prendre conscience de la véritable bataille qui se menait dans mon esprit, des barrières qui s’étaient dressées et qui tentaient en vain de résister contre la foule de sentiments extérieurs frappant sans relâche aux portes de mon esprit. J’étais inconsciemment en train de lutter contre la souffrance des autres…
Tout devint flou, et j’avais de plus en plus de mal à me concentrer sur ce qui se passait dans le monde extérieur. Une voix terriblement inquiète et trahissant toujours un certain agacement, me sortit cependant de mon état second :
- Et Orphée ? Philippe ! Comment va mon cheval ?
- Calme toi Gabriel, Juha s’en ai très bien occupé, il l’a ramené et…
Je n’entendis pas la suite, il m’étais presque impossible de me concentrer plus de quelques instants sur une chose précise, telle que cette conversation. Philippe sembla enfin s’apercevoir de mon trouble et de mon mal-être car il se tourna vers moi, avec un regard interrogateur, suivit de celui méprisant de Gabriel. Bredouillant, je déclarais :
- Je crois que je vais rentrer, je…
- Oh, excuse moi, je n’avais pas vu ton état, j’étais tellement inquiet pour Gabriel. C’est vrai que tu semble avoir besoin de repos. On est pas habitué au travail ici hein ? dit Philipe tentant de détendre l’atmosphère.
Pour une fois, c’était le regard de Gabriel qui était posé sur moi et je ne parvenais pas à le soutenir, le fuyant par tous les moyens. Il était en train de me détailler, bien qu’encore dans un état semi-comateux. Mais j’avais la cruelle impression qu’il tentait de découvrir quelque chose en moi, en m’inspectant ainsi, quelque chose qui était en train de l’intriguer. Je lui en voulais d’être aussi peu reconnaissant de l’avoir sauvé, et supportais très difficilement son regard posé sur moi. Même pas un merci, mais cela n’était pas mon problème pour le moment. Pour l’heure, il fallait que je sorte d’ici. C’est heureusement ce que nous fîmes. Philipe allait me raccompagner, disant à Gabriel qu’il reviendrait après. Je jetais un dernier regard à Gabriel. Nos regards se croisèrent un instant, sa souffrance était plus forte que toutes celles que je pouvais ressentir, et il m’était impossible de tenir plus longtemps. Plus que cet hôpital, je devais m’éloigner de lui.
Nous quittâmes cet hôpital, nous dirigeant sur le parking. Dorian avait apparemment prévenu Philippe au sujet de mon emménagement, car il me demanda où il devait me déposer. Je sortis le papier que m’avait donné Dorian, sur lequel était marquée l’adresse. Philippe me fit alors un sourire bienveillant, avant de déclarer :
- Très bien, allons-y.
Heureusement, ce n’était pas très loin de l’hôpital et en un petit quart d’heure, nous arrivâmes à l’adresse donnée. J’étais resté silencieux tout le long du voyage, et ce n’est qu’au moment où je sortais de la voiture, récupérant mon sac que je l’entendis me dire :
- Il ne te le dira peut être pas, ce n’étais vraiment son genre, mais merci pour ce que tu viens de faire pour lui…
Les coins de mes lèvres s’étirèrent un peu, lui offrant un sourire. Je finis par lui dire au revoir et Philipe reprit le chemin de l’hôpital. Je me retrouvais maintenant devant la porte de mon locateur, sonnant à la porte. Il vint m’ouvrir très rapidement, et s’exclama dès qu’il me reconnut :
- Tiens Juha ! Je ne t’attendais plus…
Il me fit rentrer chez lui, disant qu’il n’avait pas beaucoup de temps. En une dizaine de minutes, je me retrouvais de nouveau dehors, les papiers signés en poche et les clefs de mon nouvel appartement dans la main. Il ne me restait plus que quelques dizaines de mètres à faire pour rentrer chez moi. Ayant un bon sens de l’orientation et une bonne mémoire, je retrouvais mon appartement assez rapidement.
Tourner la clef dans la serrure avait quelque chose d’excitant mais je n’avais pas le cœur à être heureux. Comme si ce lieu avait toujours été à moi, je jetais négligemment les clefs sur la table, déposais mon sac sur le sol. Je vis qu’il m’avait laissé des draps et le lit était fait. Dorian devait y être pour quelque chose. De la nourriture y avait aussi était amenée, de quoi tenir quelques jours, et le chauffage était mis en route, instaurant dans la pièce une sorte de cocon douillet, un refuge pour me ramener au calme et au repos.
Tel un zombie, je me dirigeais jusqu’à la petite salle de bain, hésitant entre un bain et une douche. J’optais pour une douche brûlante, et sans rien faire d’autre, n’ayant pas faim, ni envie de quoi que ce soit, je m’étendais sur le lit, rabattis les couvertures sur moi et m’endormis aussitôt, dans un sommeil lourd, sans rêves, me suffisant pour récupérer pleinement.
Ce fut une sonnerie de téléphone qui me réveilla en sursaut. Je me redressais et mis un temps avant de réaliser où je me trouvais et ce qui s’était passé la veille. Je tournais la tête en direction du fameux téléphone que j’ignorais possédé. Je me levais donc à la hâte, décrochant le téléphone de justesse.
- Salut Juha, bien dormi ?
C’était la voix de Dorian.
- Je passe te prendre dans dix minutes ça te vas ? Au fait tant que j’y pense, ton ami à rappellé hier soir, je lui ai donné ton numéro de fixe, comme ça, ça sera plus simple. Aller à tout de suite.
- Oui, à tout de suite.
Si j’avais été calme jusqu’à maintenant ce n’était plus le cas. L’idée qu’une personne me cherchait avec tant de ténacité et ne me dévoilait pas son identité me faisait craindre le pire.
 Je préférais ne pas y penser, et préférais me concentrer sur le fait que j’avais dix minutes pour me préparer.
La journée fut assez longue et pénible, je n’avais pas encore récupéré de la veille. J’appris de la part de Philipe que Gabriel ne rentrerait que le demain, et qu’il restait encore en observation à la clinique. Cela ne me gênait pas vraiment, au contraire, cela m’offrait un peu de répit. J’avais de plus en plus de mal à digérer le fait qu’il ne m’ait pas remercié ou ne serait-ce qu’esquisser autre chose que de la rancœur à mon égard et son air supérieur. Une sorte de mélancolie s’était maintenant installée dans mon cœur, certains psy disent qu’il est tout à fait normal de passer par une phase de dépression une fois sortie de prison. J’aspirais à me retrouver seul sans le vouloir vraiment. J’étais dans un état d’entre deux, ayant l’impression de ne pas être à ma place et de ne jamais pouvoir l’être un jour.
Ce fut la nuit qui fut la plus terrible pour moi. L’homme du téléphone avait mon numéro et m’appela plusieurs fois sans jamais dire un seul mot. L’angoisse qui m’habitait n’était plus du tout tenable. Je finis de rage par débrancher le téléphone, pour avoir la paix, même si ce n’était plus la peine maintenant. Impossible de fermer l’œil pas la suite. Qui cela pouvait-il être et que me voulait-il ?
Je restais là assis sur mon lit, les jambes rabattues sur ma poitrine, attendant que le temps passe et que ma peur me quitte. Ce fut des coups frappés à la porte qui me sortirent au petit matin de mon état second. Je sentis aussitôt mon cœur s’emballer à une vitesse folle. Je ne sais où je trouvais les forces de me lever et de marcher jusqu’à la porte afin d’ouvrir à l’inconnu. Je ne pu que soupirer de soulagement lorsque je constatais que le visiteur n’était autre que Dorian.
- Juha ? Pourquoi tu ne réponds pas au téléphone ? Tu l’as débranché ? Eh ? Ca va ?
Il était vrai que l’expression que j’abhorrais était proche de quelqu’un qui venait de voir un fantôme. Je me préparais rapidement devant l’air de plus en plus suspicieux et inquiet de Dorian.
La journée fut semblable à la suivante, si ce n’est que j’étais constamment sur mes gardes, toujours à l’afflux. Je ne comptais pas le nombre de fois où je sursautais ou lorsque mon cœur manquait un battement.
Lorsque j’appris en fin de journée que Dorian ne pouvais pas me raccompagner en voiture, je ne pu décrire la panique qui s’empara de moi, allant même jusqu’à être difficile à cachée. Mais je n’eu pas le choix, et en fin de journée, alors que le soleil était déjà parti depuis un bon moment je pris le chemin pour rentrer chez moi. Durant tout le trajet, je ne pus me débarrasser de cette désagréable impression d’être suivi. Je me retournais plusieurs fois, pour constater toujours la même chose : j’étais le seul à marcher sur cette route et le reste n’était que le fruit de mon imagination.
Arrivé devant la porte de mon appartement, je me sentis légèrement soulager, mon cœur continuant de battre à toute allure. C’est au moment où je tournais la clef dans la serrure que j’entendis des pas derrière moi. Je n’hésitais pas une seule seconde à me retourné, et vis avec le plus grand effroi qu’il n’y avait personne, sauf une sorte de sentiment de haine qui irradiait le couloir. Je commençais à me dire que je devenais complètement fou !
C’est au moment où j’entrouvris la porte que je sus que je ne l’étais pas. Quelqu’un se tenait vraiment derrière moi et je pouvais sentir son souffle chaud dans ma nuque. Je fis quelques pas pour rentrer chez moi, tentant de garder mon calme et de ne pas me mettre à crier de terreur. Puis je décidais de me tourné, n’ayant d’autre moyen que de faire face à ma peur.
Jamais je n’aurais imaginer me trouver en face de lui, ou pire encore j’avais l’intime conviction de son identité depuis le début, mais je me le dévoilais uniquement maintenant, ne voulant pas croire que j’avais raison.
D’une voix extrêmement froide j’entendis cet homme qui me faisait maintenant face avec toute sa haine tournée vers moi :
- Tu n’aurais jamais dû sortir Juha ! Tu le sais tu mérites bien plus que ces dix petites années de prison ! Assassin, ordure…
Je n’eus pas le temps de réagir que déjà il s’était jeté sur moi, déversant toute sa haine, sa colère et sa brutalité sur moi… Les larmes coulaient de mes yeux… Il lui ressemblait tellement. Qu’est ce qui était le plus douloureux ? Les coups qui pleuvaient maintenant sur moi sans que je puisse rien faire, ou tous les ressentis haineux qu’il éprouvait à mon égard. Coup après coup, je sentais ma conviction et mes forces de vivre diminuer, anéanties par ce retour brutal dans le passé. Dire qu’il y a dix ans, cet homme était mon meilleur ami, celui sur qui j’avais pensé pouvoir compter toute ma vie.  Les insultes pleuvaient comme les coups, il ne s’arrêterait pas tant que de la rancœur à mon égard existait encore dans son cœur. Je savais que ma vie ne ferait pas le poids face à celle-ci, mais peut être était-ce la fin que je méritais. Après tout, cela était vrai, je n’étais qu’un meurtrier et je méritais le même sors…

A suivre…