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déc

Beyond the invisible - chapitre 05

   Ecrit par : admin   in Beyond the invisible

Chapitre 05 par Lybertys

 

Je finis par me laisser totalement aller, nos respirations étaient maintenant devenues plus que calme et nos cœurs avaient retrouvés leur rythme habituel. Je ne sais au bout de combien de temps je finis par me retirer et m’asseoir à côté de lui, posant ma tête contre son épaule. Mes yeux étaient de nouveau en train de se fermer, nous amenant tous deux dans un état de mi-sommeil.

C’est au moment où je me sentais sombrer que j’entendis sa voix me murmurer  :

 - On va se coucher, tu viens dans mon lit… Tu vas pas rester sur le canapé.

J’acquiesçais sans prendre la peine de répondre, trop fatigué pour ne serait-ce que prononcer un mot. Nous nous rendîmes donc jusqu’à sa chambre, tirions les draps et en moins de temps qu’il fallu pour le dire, nous étions déjà allongés côté à côté, tendant les bras à Morphée qui nous saisit au moment même où nous fermions les yeux.

Malgré toute ma fatigue, ma nuit fut extrêmement mouvementée et torturée. Je ne cessais de mêler passé et présent dans des images qui s’approchaient plus du cauchemar que du rêve. Je me réveillais aux mêmes heures des visites des gardiens lorsque j’étais en prison, et toujours cette peur de la nuit et cette ambiance qui y régnait m’imprégnait continuellement. La présence de Dorian à mes côtés avait quelque chose à la fois de très rassurant et de dérangeant.

Le rêve le plus étrange que je fis fut très tard dans la nuit. J’embrassais un homme à pleine bouche, me sentant envahi d’un désir insatiable et d’un plaisir que je n’avais jamais ressenti auparavant. Je pouvais ressentir la même chose provenant de cet être dont je ne connaissais pour l’instant toujours pas l’identité. Je me délectais de ses lèvres, de son cou, le sentant glisser ses mains jusqu’au bas de mes reins. Enivré d’un plaisir inconnu, la curiosité me poussa à ouvrir les yeux qui dans mon rêve étaient clos. A peine découvrais-je l’identité de l’inconnu que mes yeux s’ouvrirent pour de vrai pour cette fois, me plongeant dans la pénombre de la pièce. J’en ressortais avec des sueurs froides. Même si ce n’était qu’un rêve, il ne fallait jamais que ce genre de chose se produise. Non pas parce que c’était Gabriel, mais par l’interaction qu’il y avait en nous. Je l’avais assez payé. Je portais ma main à mon omoplate, touchant inconsciemment le tatouage que je m’étais fait faire en prison. Ne plus jamais recommencer les erreurs du passé, c’était ce que cet oiseau mythique me rappelait sans cesse. Ce phœnix symbolisait aussi ce qui m’était arrivé, ce qui était censé me faire aller de l’avant. Il renaît de ses cendres pour commencer une nouvelle vie, et c’est ce que je tentais de faire depuis dix ans. J’étais comme mort en même temps que lui, et je tentais de renaître.

Assis au bord du lit, je mis longtemps avant de m’en remettre, prenant ma tête entre mes mains pour tenter de calmer en moi l’angoisse grandissante et les souvenirs grouillant, pensant surtout à ce jour qui avait changé ma vie et clos la sienne.

Je finis par m’allonger, n’ayant rien d’autre à faire que dormir et en ayant surtout besoin. Je ne fis que somnoler, ne parvenant pas à trouver la paix en moi. Ce n’est que vers l’aube que je parvins réellement à m’endormir. Et c’est à peine une heure plus tard que je sentais Dorian me secouer légèrement par l’épaule pour me réveiller.

Je sursautais violemment, vieille habitude héritée de prison qui n’était pas prête de me quitter. Il me regarda surpris et me dis assez rapidement :

- On a une demi heure et on décolle.

Je mis un temps à habituer mes yeux à la lumière, il avait ouvert les volets sans que je m’en aperçoive. Il se tenait là à côté de moi en serviette, sortant apparemment de la douche.

- J’vais faire le petit déjeuner, je te laisse te préparer.

Il me laissa sur ces derniers mots. Au pied du lit étaient pliés mes vêtements d’hier, ainsi que ceux qu’il m’avait prêtés la veille. Je me redressais, grimaçant sous les courbatures dues au travail de la journée d’hier ainsi que de la soirée assez mouvementée. Je rougis à ce souvenir, et me dirigeais d’un pas rapide jusqu’à la salle de bain, sachant que seule une bonne douche achèverait de me réveiller.

Une fois prêt, propre et habillé, je me rendis jusqu’à la cuisine où les souvenirs de la veille me revinrent en un instant. Heureusement qu’il fallait se dépêcher, car je sentis presque le rouge me monter aux joues. Un petit sourire complice fut tout de même échangé, lorsque nous mettions nos vestes pour sortir. Les courbatures étaient tout aussi violentes que la veille et je savais que j’allais devoir les supporter toute la journée.

Durant tout le trajet en voiture, nous échangeâmes une petite conversations tranquille, finissant par parler de l’organisation de ce soir. A l’idée que j’allais enfin pouvoir avoir un “chez moi”, je sentais mon cœur s’emballer dans ma poitrine. J’appréhendais assez cependant, le fait de me retrouver à vivre seul. Jamais cela ne m’était arrivé avant la prison et les dix années que j’avais vécues en prison était bien sur à l’encontre d’une telle possibilité.

Lorsque nous arrivâmes au centre, Dorian m’indiqua directement ce que j’avais à faire, et dit rapidement qu’il allait me rejoindre plus tard. Je me dirigeais donc vers le premier box et commençait à accomplir le même travail qu’hier. Le premier box que je nettoyais contenait un animal bien plus agité que tous ceux que j’avais pu voir jusqu’à aujourd’hui. Je le sentais particulièrement agacé et surtout impressionné par la puissance qu’il dégageait. Jamais je n’aurais pu imaginer être impressionné par un tel animal, mais j’étais, je devais l’avouer presque intimidé par la prestance et la force qu’il dégageait. Je continuais malgré tout mon travail, ayant beaucoup de mal à garder mon sang froid et à quitter des yeux ce cheval qui je le pressentais, était en train de préparer quelque chose. Je sursautais lorsque j’entendis la voix de Dorian provenant de l’entrée du box. Je lui souris, tentant tant bien que mal de cacher mon malaise. Je dus très mal m’y prendre car il me conseilla aussitôt :

- Ne t’enferme jamais avec un cheval, laisse toujours ouvert. C’est une sécurité à prendre, surtout avec celui-ci, dit-il en me le pointant d’un bref mouvement de tête.

J’acquiesçais avec un sourire de remerciement et me remis au travail aussitôt. Dorian ouvrit la porte du box et repartit à ses occupations. Seulement, depuis qu’il était parti, l’occupant de ce box, avait tout à fait compris que la porte était maintenant ouverte. Il commença vicieusement à se déplacer vers moi, empiétant au fur et à mesure sur mon territoire, si bien que je me retrouvais presque plaqué contre la porte. Je me mis alors à faire ce que je ne devais précisément pas faire : je paniquais. Il le remarqua immédiatement, et ne m’offrant pas la moindre faveur, il me bourra sans plus de cérémonie afin de sortir. Autant dire que je ne faisais pas le poids face à lui et que je ne savais pas du tout comment réagir dans pareille situation. Sans trop réaliser ce qu’il se passait, l’animal était déjà partit au petit galop dans l’écurie, se dirigeant vers la sortie de celle-ci. Maintenant totalement paniqué, je partis à sa poursuite, n’ayant pas la moindre idée de la manière avec laquelle j’allais m’y prendre pour le faire rentrer de nouveau dans son box et pire encore pour ne serait-ce que je le rattraper. Dorian n’étais même pas là. Alors que je sortais de l’écurie en courant je tombais sur la dernière personne que j’avais envie de voir. Je lui lançais un regard apeuré, ne sachant ni que dire, ni quoi faire dans une telle situation. Gabriel m’aperçu rapidement et sans une attention pour moi, il se précipita à la poursuite du cheval échappé. Heureusement, son estomac eut une plus forte intensité que son envie d’évasion, car le cheval s’arrêta à la réserve à grain. J’observais avec attention, malgré le fait que j’étais extrêmement embêté, la manière dont Gabriel s’y prenait avec cet animal. Lentement, il s’approcha de lui, avant de la contourner pour l’intercepter, se plaçant de manière stratégique. Tout en s’approchant, il l’appela par son nom, bien que le cheval était très occupé à manger. Il saisit le cheval par les crins situés au sommet de sa tête, et le força à relever la tête pour le suivre. L’animal était totalement soumis et n’avait pas du tout le même comportement avec lui qu’avec moi. Anxieusement, je le suivis jusqu’au box, ne sachant pas trop à quoi m’attendre, me mettant cette fois-ci à le craindre vraiment. Il semblait furieux, mais il me demanda d’une voix calme, une fois l’animal dans le box :

- Que s’est-il passé ?

- Je… Commençais-je timidement.

- Tu ?

J’avais l’impression d’être un enfant que l’on était en train de réprimander et d’interroger sur sa bêtise. Rentrant malgré moi dans le jeu, je me lançais et lui racontais tout :

- J’étais en train de faire son box et il… Il m’a bourré pour sortir… Au départ j’avais fermé la porte, mais on m’a dit de ne jamais m’enfermer dans le box, alors j’ai réouvert…
- Hn…
Gabriel se désintéressa alors totalement de moi, pour porter pleinement son attention sur le fameux cheval qui m’avait causé des problèmes. Je décidais de prendre du temps pour le regarder faire, soulagé du fait de ne plus ressentir sa souffrance. Ma colère m’avait vraiment coupé de tout ressentiments le concernant, du moins pour un temps. J’avouais me sentir encore extrêmement honteux de ce qui venait de se passer. Il entra donc de nouveau dans le box, laissant apparemment volontairement la porte grande ouverte. Alors que l’animal faisait un pas en direction de la sortie, je vis Gabriel l’arrêter d’une légère pression du doigt sur le poitrail et lui dire d’une voix douce et ferme de reculer. Il recommença ce manège jusqu’à ce qu’il lui laisse la porte ouverte sans qu’il ne soit tenté de la franchir. Cela dû prendre une bonne vingtaine de minute mais jamais ce spectacle ne me parut ennuyant. C’était fascinant de voir cet homme travailler avec ce cheval. Rien que son comportement était tout autre et l’animal finissait par lui renvoyer une certaine forme de respect. Ce Gabriel là devait être extrêmement agréable à vivre, tout le contraire de ce qu’il m’avait montré jusque là. Je sentais ma colère envers lui s’estomper au fil des secondes. Cet homme avait tout simplement besoin d’aide pour accoucher sa souffrance. Il ne supportait plus les hommes, et trouvait refuge vers d’autres êtres vivants. Mais comment atteindre le bonheur en s’isolant totalement ? Je connaissais parfaitement l’isolement. Ce n’était certes pas les mêmes circonstances, mais la véritable solitude, je la connais parfaitement, je la vis depuis tellement longtemps. Le contact avec autrui est bien trop dangereux pour moi. J’avais payé mon envie de me lier à quelqu’un.
Après une dernière caresse, il se décida à sortir du box et me surpris en train de l’observer accoudé à la porte du box d’en face. A vrai dire, il semblait tout aussi surpris que moi. Je lui adressais un petit sourire, ne voulant pas donner suite aux hostilités. Evidement, il n’y répondit pas et retourna vaquer à ses occupations.
Je me remis au travail, ayant fait une pause suffisamment grande. Un frisson me parcourut, il faisait bien plus froid que la veille.
Dorian revint une petite heure plus tard, apparemment préoccupé par une chose dont j’ignorais la nature.
- Tu t’en sors ?
- Oui, répondis-je simplement, n’ayant pas envie de raconter tout de suite ce qu’il s’était passé avant.
- Je ne pourrais pas te raccompagner ce soir, ma soeur a un problème et je partirais un peu plus tôt. J’ai appelé mon ami, il t’attendra là bas pour signer les papiers, et ce soir tu as ton chez toi. Tu n’as pas trop d’affaires à transporter ? Tu t’en sortiras ?
- Oui, ne t’inquiète pas, merci beaucoup en tout cas…
Nous échangeâmes un regard comprenant tout deux parfaitement ce qu’il signifiait, nous replongeant dans le souvenir de la nuit dernière. Ne voulant cependant pas aller plus loin que de simples pensées, je décidais de changer de sujet :
- Rien de grave pour ta sœur ? demandais-je légèrement inquiet.
- Non, un petit soucis rien de plus.
Dorian m’aida à faire les box, ce qui nous pris toute la matinée. C’était impressionnant comme ce travail était long et pénible. Mais à aucun moment je ne m’en plaignais. Vers onze heure et demi, il m’expliqua comment donner du foin aux chevaux, me montrant la quantité à donner à chacun. Pendant que je m’occupais de cette tache, il alla dans la sellerie réparer une sangle qui s’était cassée la veille. Une heure plus tard, nous nous rendîmes au réfectoire, prenant une pause pour manger bien méritée.
Nous nous installâmes à une table après être allé chercher à manger, avec les autres employés bien plus agréable que Gabriel, ou du moins polis. Dorian m’avait montré discrètement la copine de Gabriel qui se prénommait Marion. Elle était très belle, mais quelque chose gâchait cette beauté. Il y avait quelque chose qui me gênait chez elle. Nous en étions vers la fin du plat principal lorsque je vis Gabriel entrer dans le réfectoire. Il marcha directement jusqu’à sa place habituelle, celle où je l’avais vu hier midi, sans un seul regard pour Marion, assise un peu plus loin. Dorian se pencha et me souffla à l’oreille :
- Il y a de l’eau dans le gaz. Je serais sa copine je l’aurais déjà largué… Peut être qu’il reste avec elle parce que c’est la fille du patron…
Il continua à me parler, mais je ne l’écoutais plus vraiment. Les commérages commençaient à fuser. Tout le monde avait un petit mot pour cette scène. Gabriel semblait totalement étranger à tout cela. Il vivait dans son petit monde, comme enfermé dans sa bulle. Une seule chose émanait simplement de lui et il ne cherchait pas à le cacher. Elle signifiait clairement : foutez moi la paix. Je ne pouvais nier que j’étais de nouveau intrigué par cet homme. Malgré ce qui s’était passé hier, je ne pouvais jouer à l’indifférent. Cela aurait été uniquement se mentir à soi-même. Un par un les employés quittaient le réfectoire, il ne restait plus que Dorian, Marion, Gabriel, quelques autres personnes et moi. Dorian se leva et me dit de prendre mon temps pour finir de manger, il n’avait pas besoin de moi pour le moment. J’allais donc à la cuisine me chercher un café que je décidais de boire là-bas, profitant d’un peu de calme. J’avais beau tenter de me forcer un peu, je n’étais pas habitué à côtoyer autant de personnes et à ne plus avoir mes moments de solitude.
Alors que je retournais au réfectoire pour aller chercher ma veste et retourner travailler, je tombais en plein milieu d’un échange houleux entre Marion et Gabriel.
- Tu peux m’expliquer ce qui t’as pris hier soir ? demanda Marion.
- Y’a rien à expliquer, répondit-il très sèchement.
Je sentais soudain à la manière dont Marion se planta devant lui, que je n’avais vraiment pas à assister à cette conversation. Elle lui demanda alors :
- Tu me trompes ?
Aussitôt, Gabriel répondit stupéfait :
- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? S’exclama-t-il après avoir retrouvé un minimum de sérieux. Arrête tes conneries, et lâche-moi un peu, tu veux !
- J’ai quand même le droit de me poser la question figure-toi, ajouta-t-elle en haussant le ton. On s’est pas vu depuis une semaine et alors que je viens te voir, tu trouves le moyen de me foutre à la porte !
Je n’étais même pas étonné de ce que lui disait Marion et des choses intimes que j’étais en train d’apprendre. Il suffisait de se pencher un peu sur son cas pour s’apercevoir que tout dans la vie de Gabriel n’allait pas comme il le fallait. Je restais tout de même choqué par sa réponse, même si je savais qu’il n’allait pas être tendre dans sa réponse.
- Oui et alors ? Il ne t’est pas venu à l’esprit que je n’avais peu être pas envie de te voir justement ?
Je vis Marion encaisser le coup sans trop vraiment réaliser ce qu’elle venait d’entendre. Dans un état de choc proche de celui de Marion, je ne fis pas attention et ne vis pas que Gabriel était en train de partir et étant sur son chemin, il me bouscula, ne m’ayant pas vu. Aussitôt le contact qui s’était rompu hier revint plus violemment que jamais. Ce qu’il ressentait à l’instant, en plus de ce qu’il se cachait à lui-même, je le vivais multiplié par dix. Je crus ne jamais réussir à respirer de nouveau. Toutes mes forces venaient de m’être enlevées. Mon corps maintenant totalement meurtri, me donnait l’impression d’avoir était roué de coups. La migraine que j’avais connu la veille était revenue de plus belle. Et toujours cette question, comment faisait-il pour ne pas s’effondrer. J’en avais la certitude, ce n’était maintenant qu’une question de temps avant la fin. Gabriel avait besoin d’aide ou bien il craquerait à jamais. Malgré toute la colère que j’avais pu ressentir pour lui et que je ressentais encore, je ne pouvais pas ne pas venir à son aide. J’étais le seul qui avait eu un véritable aperçu de cette souffrance à l’état brut. Ne m’en remettant pas je le fixais d’un air apeuré. Cet homme m’effrayait de part notre liaison. Ressentir tout de lui, sans aucune limite était terriblement angoissant. Apparemment, il n’apprécia pas que je le regarde comme cela, peut être que mon regard était en train de lui renvoyer un seul instant l’image de sa souffrance, ou peut être, inconsciemment, pouvait-il y lire ma peur face à sa douleur.
C’est sa voix emplie de hargne qui me ramena à la réalité :
- Tu peux pas regarder où tu vas non ? T’es miro ou quoi ?
Tout ce cinéma d’arrogance et d’apparence m’agaçait énormément. Il ne faisait que se mentir à lui même. Dans l’état actuel ou j’étais, étant loin de m’en remettre, je n’étais pas près à affronter sa colère contre le monde entier et son caractère exécrable. J’avais l’impression de ne jamais parvenir à me débarrasser de ce mal qui habitait Gabriel et qui avait maintenant pris possession de chaque partie de mon être, attirant mon âme vers la chute ultime. Sachant cela, je répondais rapidement sans trop réfléchir, ayant surtout besoin d’être seul et de m’éloigner de lui :
- Oh, commence pas à m’emmerder hein !
Evidemment, cela ne lui plu vraiment pas et il répondit aussitôt :
- Pardon ? Moi je t’emmerde ?
Pour me défendre, je décidais d’attaquer, c’était la seule manière de m’en sortir :
- Oui tu m’emmerdes, toujours avec ton air supérieur et arrogant ! Tu peux pas t’empêcher de faire chier les autres, c’est maladif ou quoi ? T’as besoin de faire chier le monde pour te sentir bien ?
- Tu commences vraiment à me les briser, de plus, je t’ai rien demander alors retourne curer tes box et fou moi la paix !
Autant dire que je m’attendais à tout sauf à cela. Je savais qu’il l’avait dit sous la colère, mais je ne pouvais m’empêcher d’en être indigné. Heureusement, il s’en alla. Marion me regarda un instant, puis passa devant moi sans un seul mot. Je me retrouvais seul dans le réfectoire, les jambes tremblantes, ayant l’impression qu’un ouragan m’était passé dessus. Comment aider un homme qui souhaitait tout sauf cela ? Tout à coup ce que j’étais en train d’entreprendre me semblait inutile, et surtout vain. Je n’avais aucune chance. Je dus m’asseoir, me remettant doucement de la douleur quasi inhumaine que j’avais ressenti quand il m’avait heurté. Un voile de solitude s’empara de moi, depuis ce jour, il y a plus de dix ans, je ne l’avais jamais autant ressenti. La prison me l’avait caché, le retour à la liberté me le dévoilait de nouveau, sans prendre de gant. Je me souvins de lui, je portais un regard détaché sur ma vie, me posant toujours cette même question : « A quoi bon ? »…
Je venais d’être projeté dans un monde où j’avais maintenant l’impression de ne pas avoir le droit d’en faire parti, ou peut être de ne jamais en être capable. Les bonnes résolutions que j’avais prise en prison étaient en train de s’effilocher. J’avais soudain envie de partir, de fuir comme je l’avais pensé la veille, mais fuir pour aller où. Le seul échappatoire qui s’offrait à moi, celui de la solitude ultime, celui de ma fin, celui que je ne pouvais envisager réellement. Pourquoi ? Qu’est-ce qui me retenait ici ? Peut-être le besoin de me racheter…Peut être que je n’avais pas le courage de le faire, et surtout qu’au fond de moi je n’avais pas envie de réellement quitter cette vie.
Seulement, quel avenir ? Quel futur s’offrait à moi ? Allais-je vivre seul et faire ce boulot toute ma vie ? Le seul but qui m’était fixé maintenant était d’aider cet homme. Il s’était imposé à moi et je n’avais pas vraiment eu le choix. Même si cela était extrêmement douloureux, même si cela était loin d’être une solution de facilité, je savais que c’était l’unique chose qui me tenait encore debout, qui me maintenait au bord du précipice à l’aide d’un fil que je savais très fin.
Trouvant que mes pensées devenaient bien trop sombres et surtout très dangereuses, je pris sur moi et décidais de me lever. Un mal de tête violent s’était maintenant saisi de moi et je savais que je devrais passer au meilleure des cas toute ma journée avec. Alors que je me dirigeais vers la sortie je tombais nez à nez avec une scène que je n’aurais jamais du voir. Je ne m’arrêtais pas et poursuivi mon chemin, réalisant à peine ce que je venais de voir : Marion, tendrement enlacée dans les bras d’un autre homme, en train de l’embrasser à pleine bouche, trahissant son amour pour Gabriel.
C’était étrange à dire, mais j’avais l’impression d’être tout aussi trahis que Gabriel ne l’était. Alors que j’aurais simplement pu ressentir un léger malaise, je me retrouvais investi dans cette histoire qui n’était pas la mienne. C’était la dernière des choses à faire subir à Gabriel en ce moment. J’avais la certitude qu’il n’avait pas connaissance de cela.
Heureusement, c’est ce moment-là que choisit Dorian pour m’appeler. Il était à l’entrée de la sellerie et m’indiquait clairement de le rejoindre. J’entrais dans cette pièce assez mal éclairée et l’écoutais m’indiquer le travail à faire qui consistait à graisser les cuirs des selles. Alors que je lui tournais le dos pour accomplir ma tâche, prenant garde à ne surtout pas le toucher, vu ma sensibilité accrue, je sentis son regard posé sur moi, et l’envie qui émanait de lui. Je choisis de me retourner vers lui, lui faisant face et sautant sur l’occasion. Ce que j’allais faire, j’en avais plus que tout besoin en cet instant. Je devais évacuer le trop plein, je devais sentir ce contact physique pour me rattacher à la réalité.
De manière féline, je m’approchais de lui, lui lançant un regard provocateur. Dorian ne mit pas bien longtemps à comprendre mon intention et pris de court, il ne pu que répondre à mon baiser passionné. Nos langues ne mirent que peu de secondes à se rencontrer et à se mêler dans un esprit de fusion totale.
Je me laissais fondre en lui, me débarrassant de ce poids qui était de trop pour mes épaules. Je pouvais sentir son rythme cardiaque s’accélérer, faisant écho au mien et me rappelant que je vivais moi aussi. Sentir ses lèvres sur les miennes, sa langue caresser la mienne avec envie consolidait le fil si fin qui me maintenait en vie.
Je laissais glisser mes mains sur son corps que je connaissais maintenant intimement, l’attirant plus près de moi, pour approfondir notre échange. Je serais bien resté des heures ainsi, m’unissant simplement de cette manière à son être, mais cela aurait pu être risqué pour lui comme pour moi. Je finis par m’arracher à contre cœur à son étreinte et après un sourire échangé, je me tournais pour accomplir mon travail. Si je restais face à lui, je savais très bien que je n’y résisterais pas. Je finis par me plonger totalement dans mon travail, y mettant tout le soin et l’attention dont j’étais capable, les joues encore rosies par la chaleur du baiser échangé. Dorian était parti vaquer à d’autres tâches, me laissant seul accomplir mon travail, avec l’ordre de nourrir les chevaux une fois ces deux selles terminées. Une bonne heure plus tard, j’avais eu le temps de finir et je me dirigeais vers le lieu où étaient rangées les fourches. Au retour, je tombais nez à nez avec celui que j’avais le moins envie de croiser aujourd’hui. Il se tenait accroupis dans la sellerie, cherchant apparemment une brosse. Lorsqu’il se redressa nous tombâmes nez à nez. Je n’avais pas besoin de me servir de mon don pour deviner qu’il n’avait pas envie de me voir. L’image de Marion le trompant me revint en mémoire et sa souffrance vint de nouveau s’infiltrer en moi. Je ne pouvais pas le laisser comme cela et la première des choses que j’avais à faire était de tenter d’établir de meilleurs liens entre nous. La chose était loin d’être évidente, car sans un regard de plus pour moi, il me dépassa et se dirigea vers le box de sa montre. Je n’avais pas d’autre choix que de le suivre, sachant que je prenais sur moi pour faire cela. Arrivé au box, je parvins à capter son attention un instant, et voulu prendre la parole. Cependant, il me devança en me demanda froidement :
- Qu’est ce que tu veux ?
- Je…commençais hésitant, ne sachant pas comment le prendre. Je tenais à m’excuser pour tout à l’heure…
- Hn, et alors ? Qu’est ce que tu veux que cela me foute ?
J’avais de plus en plus de mal à me concentrer face à ce qui émanait de lui, si bien que sa réponse me mit presque hors de moi, bien que je ne le laissais pas paraître pour le moment. N’appréciant tout de même pas sa remarque, trouvant qu’il dépassait les bornes, je répliquais :
- Dis moi, tu es toujours comme ça avec tout le monde ou c’est juste parce que c’est moi ?
- Rassure-toi, tu n’as rien d’exceptionnel !
Certes le chemin de la réelle discussion était très lointain, mais j’en profitais tout de même pour en apprendre un peu plus sur lui. Je décidai de ne pas m’emballer et de répondre calmement :
- Tu es toujours comme ça ? A balancer des vannes à longueur de journée ?
Cette fois-ci, ce fut à son tour de soupirer, apparemment plus qu’agacé. Je tentais continuellement de garder cette distance entre nous, ne sachant pas vraiment comme je réagirais s’il était trop près. Stoppant toute action, il se retourna vers moi et avec un sourire qui était totalement hypocrite, il me déclara :
- Non, je me suis levé du pied gauche ce matin ! Ca te va comme réponse ?
Je perdis patience, ne parvenant plus à me contrôler, sa colère venant se mêler à la mienne, je ne fis pas attention aux mots blessants que je lui jetais à la figure.
- J’y crois pas ! Il faut toujours que t’ais le dernier mot hein ? C’est pas croyable d’être aussi gamin ! T’es vraiment aigri comme type ! Pas étonnant que ta copine aille voir ailleurs…
Je vis aussitôt son visage se décomposé, pâlir sous la nouvelle cruelle je venais de lui apprendre. Une douleur à l’état brut, un sentiment de trahison profonde envahi son cœur et le mien. Ne pouvant supporter cela, j’esquissais un mouvement vers lui, ce qui eut pour effet de le faire s’exclamer furieux :
- Ne t’approche pas de moi !
Je me maudissais tellement de lui avoir dit cela. Je stoppais mon geste, ne sachant plus vraiment que faire ou que dire.
- Ma vie privée ne concerne que moi c’est clair ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler de tes affaires et de rester en dehors de mes histoires ? Est-ce que je te pose des questions sur tes histoires de cul ? Non ? Alors fais en de même !
La fureur qu’il déchaîna m’effrayait. L’idée qu’il me connaisse totalement, qu’il connaisse mon passé et mon don m’effrayait. Je me rendais soudain compte que j’avais extrêmement peur de me faire juger par cet homme. Sa colère me rappela celle de celui qui m’avait mené jusqu’ici dans ma vie. En une seule phrase, en une seconde seulement ou je ressentais tout, il m’avait fait replonger dans le passé et dans sa propre souffrance. Pâlissant à vue d’œil, ne parvenant plus à cacher quoi que ce soit, je bredouillais :
- Je… Tu ne sais rien de moi…
- Justement toi non plus !
Sur ces derniers mots, il attrapa la longe de son cheval et me bouscula, finissant d’achever en moi le peu de force mentale qu’il me restait. Je le suivis très difficilement et le vis enfourcher son cheval lestement une fois dehors, avant de s’élancer au galop afin de partir loin de moi, loin de ce qu’il ne supportait plus. Mon regard l’avait percé à jour, et ne plus pouvoir mentir comme il le faisait avec tout le monde, ne plus pouvoir se protéger sous son arrogance était en train de fissurer le mur qu’il s’était construit. Je le vis disparaître à l’horizon, sachant que je ne pouvais rien faire pour lui pour le moment.
Je sentis à ce moment-là Dorian arriver derrière moi. Je me tournais pour lui faire face, tentant de sourire pour cacher le tout qui rongeait mon esprit, mon corps le supportant de moins en moins bien.
- Juha ?!!! Qu’est ce qui t’arrive ? Tu es tout pâle ! Ca t’arrive souvent les crises comme ça ? Tu avais la même tête hier…
- Non ça va, ne t’inquiète pas, dans quelques minutes ça va passer… lui mentais-je.
- J’étais venu te dire, il y a quelqu’un au téléphone pour toi, dans le bureau.
Intrigué et surtout très étonné je lui demandais :
- Tu es sur que tu ne t’es pas trompé ?
- Non, cet homme te cherche bien, je lui ait dis que je venais te chercher…
C’était totalement impossible que quelqu’un me cherche, n’ayant plus de contact avec personne depuis dix ans et n’ayant annoncé ma sortie à personne. Qui était-ce et comment cette personne m’avait trouvé ?
Retrouvant de nouvelle force en moi grâce à la curiosité, je me dirigeais jusqu’au bureau non sans une certaine appréhension et une angoisse grandissante. Alors que j’arrivais dans le bureau, je trouvais le combiné décroché posé sur la table. Les mains tremblantes je saisis le téléphone et le porta à mon oreille avant de dire fébrilement « Allô ». J’entendis une respiration un cours instant, avant d’entendre la tonalité classique me signifiant qu’il avait raccroché.
Le combiné me glissa des doigts, ne parvenant plus à le maintenir. La seule question qui avait emplie toute mes pensées était : qui était-ce ? Une peur sourde s’insinua en moi, sans que je puisse avoir de prise sur elle. J’étais effrayé par ce que ce coup de téléphone pouvait entraîner. Dorian avait bien dit que c’était un homme, et malgré moi je pensais connaître son identité. Préférant ne pas y penser et vivre cela uniquement comme un mauvais rêve, je sortais de ce bureau après avoir raccroché ce téléphone, n’essayant même plus de tenter de cacher mon mal-être. Je rejoins Dorian qui était en train de vérifier mon travail dans la sellerie, essayant de quitter cette sournoise idée que le passé allait revenir me hanter. Je fus sorti de mes pensées par Dorian qui me demanda :
- Tu as pu l’avoir ? Tu as fais vite.
- Oui… répondis-je simplement, ne sachant rien dire de plus.
- Juha ? Tu es sur que tu vas bien ? Tu ferais mieux de rentrer chez toi. De toute façon il n’y a plus rien que tu puisses faire aujourd’hui. Va te reposer tu seras plus efficace demain…
N’ayant même pas le courage de contester sa décision, j’acquiesçais faiblement.
- Je passe te chercher demain matin ?
- Oui, merci…
- L’ami qui te loue l’appartement habite sur la place, à deux maisons de chez moi, passe chez lui directement pour signer les papiers et avoir les clefs.
Il me griffonna l’adresse sur un bout de papier sortie de sa poche et me le tendit :
- Voilà, à demain Juha, passe une bonne soirée.
- Toi aussi, à demain, et encore merci.
Je le quittais me rendant dans la chambre que m’avais louée Philippe. J’attrapais mon vieux sac de toile et y mettais le peu d’affaires qui m’appartenaient. Puis, emmitouflé dans mon manteau, je sortis et pris le chemin pour rentrer chez moi. Plus que tout, j’avais besoin de repos, mais l’idée de me retrouver seul dans cet appartement m’angoissait légèrement, je ne pouvais le nier. Progressivement, il se mit à neiger et le soleil passait lentement derrière les montagnes pour faire place au froid hivernal.
Je marchais sans trop faire attention au monde qui m’entourait, ayant déjà assez de préoccupations avec moi-même. Un bruit pourtant me fit lever les yeux et je vis un cheval, légèrement affoler, dans le champ à côté de la route. Je ne mis pas longtemps à reconnaître le cheval de Gabriel et inquiet je m’approchais de lui tout doucement quittant la route. Je n’y connaissais rien en équitation, mais je savais qu’il était dangereux de laisser un cheval seul au bord d’une route. Il suffisait d’un minimum de jugeote pour le savoir. De la même manière dont j’avais vu Gabriel le faire avec le cheval de ce matin, je m’approchais de celui-ci. Lentement, je continuais ma progression vers lui, en étant attentif à chacune de ses réactions, m’arrêtant lorsque je sentais que ma présence le dérangeais. Je savais que je ne me rendais pas compte de cela uniquement grâce à mon observation, ayant parfaitement conscience que mon don y était pour quelque chose. Avoir l’intuition de ce que l’autre ressentait, même un animal était une chose que je faisais sans même en avoir conscience la plupart du temps. Je finis par arriver à sa hauteur, et m’arrêtais un instant le temps de le laisser m’accepter à ses côtés. Docile, il ne bougea pas d’un pas et lentement je tendais ma main vers lui dans le but d’attraper sa longe qui traînais sur le sol. Je soupirais de soulagement lorsque je sus que j’avais réussi. La longue dans les mains, je continuais de m’aventurer dans le champs, constatant avec joie que la monture de Gabriel m’obéissait à peu près, me suivant en se plaçant à quelques pas derrière moi.
Lorsque je vis une tache bien plus loin, j’accélérais le pas, me doutant parfaitement de l’identité celle-ci. En avançant je pouvais et sentir et voir Gabriel étendu dans la neige inconscient. Je courais presque vers lui, ne lâchant surtout pas la longe, voyant que l’animal commençait à être impatient. Une fois arrivé à sa hauteur, je restais figé sur place, me rendant compte que j’étais dans l’incapacité de me baisser vers lui. Sa tête avait heurté une pierre, et son sang commençait à imbiber la neige, ses yeux clos et sa peau rendue pâle par le froid lui donnait l’apparence d’un mort. Il me renvoyait une fois de plus bien trop loin, bien trop profondément dans mon passé. Je savais qu’il fallait que j’agisse vite, il était question de sa vie, mais j’étais comme paralysé. La souffrance psychique je pouvais la supporter, mais la souffrance physique violente, celle qui nous rend proche de la mort, c’était au dessus de mes forces. C’est en voyant son torse se soulever et s’abaisser, signifiant qu’il respirait encore, que je tentais de me reprendre.
Je dus me faire violence pour me pencher et prendre le portable qui dépassait un peu de sa poche. Appeler les secours, c’était la seule chose qui était en mon pouvoir. J’ôtais ma veste, lâchant un court instant la longe de son cheval qui restais là sans bouger à côté de nous, cherchant parmi la neige piétinée un petit brin d’herbe. Je lui posais dessus, frissonnant sous le vent qui commençait à se lever. J’appelais enfin les secours, leur indiquant ma position, et ce qu’il s’était passé. Dans dix minutes minimum me dirent-ils, ils seraient là. Je restais là, debout, le dominant de ma hauteur, ne sachant pas vraiment que faire. Je ne connaissais le numéro d’aucune personne au centre et n’aurait pas été capable de parler à qui que ce soit d’autre. Je sentis soudain mes jambes céder sous mon poids, me retrouvant agenouillé à ses côtés. Je me mis à trembler comme une feuille, sachant pertinemment que cela n’était pas du au froid. Je tenais fermement la longe de ma mains droite, cela me permettait de m’aider à tenir. Je fixais le corps inerte sans jamais pouvoir esquisser un seul geste vers lui. J’étais en train de me perdre, mêlant ma frayeur à son inconscience et ma propre souffrance à la sienne. J’étais comme en état de choc. J’attendais que quelqu’un vienne nous aider. Dix minutes… Il fallait seulement attendre dix minutes… A l’instant, elles me paraissaient aussi longues que les dix ans que j’avais passé exclu de tout. Depuis plus de dix ans, je me retrouvais toujours paralysé devant un corps inerte, devant un corps proche de la mort ou l’étant déjà. Je revoyais son visage, je me retrouvais à ressentir ces choses que je m’efforçais chaque jour de cacher. Mon manque de lui était toujours aussi fort, comme une plaie béante à vif qui ne s’était jamais refermée après toutes ces années.
Je sentais peu à peu la souffrance mentale de Gabriel se faire de plus en plus lointaine. Je me rendais compte qu’il était en train de partir et je ne faisais rien pour le retenir ou pour l’aider. Plongé dans un profond désarroi, une larme coula le long de ma joue sans que je m’en aperçoive, laissant un sillon glacé par le vent. La main fébrile, je la tendis vers lui, sachant que si je ne le faisais pas, il ne tiendrait pas. Le soleil avait presque disparu et il risquait l’hypothermie, voir bien plus grave… Je la posais sur son front et constatais qu’il était brûlant de fièvre.
Je dus fermer les yeux un instant pour tenter de faire le point en moi, tout était bien trop en ébullition, tout bougeait dans tous les sens, je ne savais plus à quoi me rattacher. J’avais l’impression de perdre ce qui faisait mon unité. C’est au prix d’un effort immense que je parvins à rassembler toutes les parties de moi, les séparant de celles qui ne m’appartenaient pas. Je laissais glisser ma main jusqu’à la sienne et la serra très fort, tentant de le ramener parmi nous, sentant qu’il était en train de quitter ce monde. Mentalement, je lui hurlais de revenir, de ne pas partir, de rester ici. Il ne pouvait pas partir comme cela, c’était bien trop bête et cela n’avait aucun sens. Je serrais encore plus fort sa main, sa respiration était en train de s’accélérer légèrement. Bientôt, j’entendis les sirènes s’approcher, s’accompagnant d’un soulagement de ma part. La monture de Gabriel s’agita, semblant craindre le bruit du camion. Je finis par me redresser, lâchant la main de Gabriel afin d’être sur d’être capable de maîtriser cet animal. Deux ambulanciers sortirent du véhicule garé sur le bord de la route, et accoururent vers moi avec une civière. L’un vint me demander très rapidement ce qu’il s’était passé, tandis que l’autre prodiguait déjà les premiers soins et la première auscultation à Gabriel. Une fois qu’ils eurent finis de l’installer sur la civière, ils me donnèrent pour mission de prévenir le centre. Je me retrouvais donc seul dans la neige, en plein milieu de ce champ dans ma veste, avec ce cheval qui commençait à s’impatienter. Je me mis en marche, après un dernier regard sur l’ambulance, prenant la direction de l’écurie. Marcher rapidement me réchaufferait peut être un peu. L’épuisement qui s’était maintenant emparé de moi n’aidait en rien à réchauffer mon corps.
C’est frigorifié que j’arrivais dans les écuries, et que je croisais par chance Philippe en train de s’occuper d’un cheval. Intrigué de me voir ici, en prime avec le cheval de Gabriel, il sortit aussitôt du box et vint à ma rencontre.
- Qu’est ce que tu fais avec ce cheval ? me demanda-t-il aussitôt.
Puis étant plus près et voyant l’expression maladive et inquiète qui se dépeignait sur mon visage il me demanda d’un ton bien plus inquiet :
- Qu’est-ce que tu fais habillé comme ça ? Tu n’as pas l’air bien.
Malgré le froid qui paralysait mes mâchoires, je réussis à articuler quelques mots, lui expliquant la situation. A peine eut-il entendu « Gabriel, chute, hôpital » il m’attrapa la longe des mains et ramena le cheval dans le box. Après l’avoir débarrassé de son matériel, il sortit et se redirigea vers moi qui n’avait pas bouger d’un pouce.
- Viens avec moi, tu m’expliqueras mieux en chemin, on va à l’hôpital.
Sans dire un mot je partis à sa suite, et montais dans la voiture avec lui. Il me laissa cinq minutes le temps de me réchauffer, avant de me demander ce que j’avais fait de ma veste, et de lui raconter précisément tout ce qu’il s’était passé et ce que j’avais fait. Il semblait terriblement angoissé et je perçus que leur relation n’était pas uniquement celle de patron à employé.
A l’intuition que l’on pouvait avoir,on aurait pu nommer cette relation de père à fils.
A peine garé sur le parking, nous sortîmes de la voiture et nous nous ruions vers l’accueil de l’hôpital. On nous indiqua qu’il était encore en observation et qu’il fallait attendre encore une petite demi-heure avant de se rendre à la chambre où il serait transféré.
Encore plus angoissé qu’avant, Philippe me proposa d’aller boire un café, disant que cela me réchaufferait. Je remarquais que j’étais toujours grelottant. Je mis double dose de sucre dans celui-ci, tentant de me donner un minimum de force. Lorsqu’une infirmière vint enfin nous chercher, elle nous expliqua que Gabriel n’avait rien eu de grave à part une petite commotion cérébrale, qu’il allait lui falloir un peu de repos, et que c’était une chance d’avoir réussi à l’aider aussi tôt, car cela aurait pu être bien plus grave. Soulagés, mais souhaitant tout de même constater son état par nous-même, nous nous rendîmes dans sa chambre. Il était là, allongé dans son lit, légèrement redressé, la tête dans les vapes. Je restais un peu à l’écart, tandis que Philippe se jetait presque sur lui.
C’est à ce moment là que je m’aperçu en faisant un tour d’horizon de la pièce que ma veste avait été posée sur la chaise à côté de moi, placée à l’opposé du lit. Gabriel semblait être totalement dans les vapes, et mit du temps avant de parler à Philippe. Je ne fis pas vraiment attention à ce qu’ils échangèrent, trop occupé à tenter de me réchauffer. Je pris ma veste et m’y emmitouflait. Puis, voulant tout de même voir comment Gabriel allait, m’avouant que je m’inquiétais tout de même beaucoup pour lui, je m’approchais un peu, entrant dans l’intimité qui s’était installé entre les deux hommes. Lorsque Gabriel m’aperçut, il semblait avoir retrouvé assez de force pour s’exclamer assez fébrilement tout de même, mais sans cacher son agacement et son arrogance habituelle :
- Qu’est ce qu’il fout ici lui ?
- Enfin Gabriel ! C’est grâce à lui que tu es ici. On peut même dire qu’il t’a sauvé la vie.
Je ne fis pas attention à la suite de leur échange. Etant en train de me réchauffer progressivement, je sortais de mon engourdissement. Je réalisais soudain dans quel endroit je me trouvais : un lieu plus que dangereux pour moi, un lieu que j’avais toujours évité depuis la découverte de mes capacités. J’étais en train de prendre conscience de la véritable bataille qui se menait dans mon esprit, des barrières qui s’étaient dressées et qui tentaient en vain de résister contre la foule de sentiments extérieurs frappant sans relâche aux portes de mon esprit. J’étais inconsciemment en train de lutter contre la souffrance des autres…
Tout devint flou, et j’avais de plus en plus de mal à me concentrer sur ce qui se passait dans le monde extérieur. Une voix terriblement inquiète et trahissant toujours un certain agacement, me sortit cependant de mon état second :
- Et Orphée ? Philippe ! Comment va mon cheval ?
- Calme toi Gabriel, Juha s’en ai très bien occupé, il l’a ramené et…
Je n’entendis pas la suite, il m’étais presque impossible de me concentrer plus de quelques instants sur une chose précise, telle que cette conversation. Philippe sembla enfin s’apercevoir de mon trouble et de mon mal-être car il se tourna vers moi, avec un regard interrogateur, suivit de celui méprisant de Gabriel. Bredouillant, je déclarais :
- Je crois que je vais rentrer, je…
- Oh, excuse moi, je n’avais pas vu ton état, j’étais tellement inquiet pour Gabriel. C’est vrai que tu semble avoir besoin de repos. On est pas habitué au travail ici hein ? dit Philipe tentant de détendre l’atmosphère.
Pour une fois, c’était le regard de Gabriel qui était posé sur moi et je ne parvenais pas à le soutenir, le fuyant par tous les moyens. Il était en train de me détailler, bien qu’encore dans un état semi-comateux. Mais j’avais la cruelle impression qu’il tentait de découvrir quelque chose en moi, en m’inspectant ainsi, quelque chose qui était en train de l’intriguer. Je lui en voulais d’être aussi peu reconnaissant de l’avoir sauvé, et supportais très difficilement son regard posé sur moi. Même pas un merci, mais cela n’était pas mon problème pour le moment. Pour l’heure, il fallait que je sorte d’ici. C’est heureusement ce que nous fîmes. Philipe allait me raccompagner, disant à Gabriel qu’il reviendrait après. Je jetais un dernier regard à Gabriel. Nos regards se croisèrent un instant, sa souffrance était plus forte que toutes celles que je pouvais ressentir, et il m’était impossible de tenir plus longtemps. Plus que cet hôpital, je devais m’éloigner de lui.
Nous quittâmes cet hôpital, nous dirigeant sur le parking. Dorian avait apparemment prévenu Philippe au sujet de mon emménagement, car il me demanda où il devait me déposer. Je sortis le papier que m’avait donné Dorian, sur lequel était marquée l’adresse. Philippe me fit alors un sourire bienveillant, avant de déclarer :
- Très bien, allons-y.
Heureusement, ce n’était pas très loin de l’hôpital et en un petit quart d’heure, nous arrivâmes à l’adresse donnée. J’étais resté silencieux tout le long du voyage, et ce n’est qu’au moment où je sortais de la voiture, récupérant mon sac que je l’entendis me dire :
- Il ne te le dira peut être pas, ce n’étais vraiment son genre, mais merci pour ce que tu viens de faire pour lui…
Les coins de mes lèvres s’étirèrent un peu, lui offrant un sourire. Je finis par lui dire au revoir et Philipe reprit le chemin de l’hôpital. Je me retrouvais maintenant devant la porte de mon locateur, sonnant à la porte. Il vint m’ouvrir très rapidement, et s’exclama dès qu’il me reconnut :
- Tiens Juha ! Je ne t’attendais plus…
Il me fit rentrer chez lui, disant qu’il n’avait pas beaucoup de temps. En une dizaine de minutes, je me retrouvais de nouveau dehors, les papiers signés en poche et les clefs de mon nouvel appartement dans la main. Il ne me restait plus que quelques dizaines de mètres à faire pour rentrer chez moi. Ayant un bon sens de l’orientation et une bonne mémoire, je retrouvais mon appartement assez rapidement.
Tourner la clef dans la serrure avait quelque chose d’excitant mais je n’avais pas le cœur à être heureux. Comme si ce lieu avait toujours été à moi, je jetais négligemment les clefs sur la table, déposais mon sac sur le sol. Je vis qu’il m’avait laissé des draps et le lit était fait. Dorian devait y être pour quelque chose. De la nourriture y avait aussi était amenée, de quoi tenir quelques jours, et le chauffage était mis en route, instaurant dans la pièce une sorte de cocon douillet, un refuge pour me ramener au calme et au repos.
Tel un zombie, je me dirigeais jusqu’à la petite salle de bain, hésitant entre un bain et une douche. J’optais pour une douche brûlante, et sans rien faire d’autre, n’ayant pas faim, ni envie de quoi que ce soit, je m’étendais sur le lit, rabattis les couvertures sur moi et m’endormis aussitôt, dans un sommeil lourd, sans rêves, me suffisant pour récupérer pleinement.
Ce fut une sonnerie de téléphone qui me réveilla en sursaut. Je me redressais et mis un temps avant de réaliser où je me trouvais et ce qui s’était passé la veille. Je tournais la tête en direction du fameux téléphone que j’ignorais possédé. Je me levais donc à la hâte, décrochant le téléphone de justesse.
- Salut Juha, bien dormi ?
C’était la voix de Dorian.
- Je passe te prendre dans dix minutes ça te vas ? Au fait tant que j’y pense, ton ami à rappellé hier soir, je lui ai donné ton numéro de fixe, comme ça, ça sera plus simple. Aller à tout de suite.
- Oui, à tout de suite.
Si j’avais été calme jusqu’à maintenant ce n’était plus le cas. L’idée qu’une personne me cherchait avec tant de ténacité et ne me dévoilait pas son identité me faisait craindre le pire.
 Je préférais ne pas y penser, et préférais me concentrer sur le fait que j’avais dix minutes pour me préparer.
La journée fut assez longue et pénible, je n’avais pas encore récupéré de la veille. J’appris de la part de Philipe que Gabriel ne rentrerait que le demain, et qu’il restait encore en observation à la clinique. Cela ne me gênait pas vraiment, au contraire, cela m’offrait un peu de répit. J’avais de plus en plus de mal à digérer le fait qu’il ne m’ait pas remercié ou ne serait-ce qu’esquisser autre chose que de la rancœur à mon égard et son air supérieur. Une sorte de mélancolie s’était maintenant installée dans mon cœur, certains psy disent qu’il est tout à fait normal de passer par une phase de dépression une fois sortie de prison. J’aspirais à me retrouver seul sans le vouloir vraiment. J’étais dans un état d’entre deux, ayant l’impression de ne pas être à ma place et de ne jamais pouvoir l’être un jour.
Ce fut la nuit qui fut la plus terrible pour moi. L’homme du téléphone avait mon numéro et m’appela plusieurs fois sans jamais dire un seul mot. L’angoisse qui m’habitait n’était plus du tout tenable. Je finis de rage par débrancher le téléphone, pour avoir la paix, même si ce n’était plus la peine maintenant. Impossible de fermer l’œil pas la suite. Qui cela pouvait-il être et que me voulait-il ?
Je restais là assis sur mon lit, les jambes rabattues sur ma poitrine, attendant que le temps passe et que ma peur me quitte. Ce fut des coups frappés à la porte qui me sortirent au petit matin de mon état second. Je sentis aussitôt mon cœur s’emballer à une vitesse folle. Je ne sais où je trouvais les forces de me lever et de marcher jusqu’à la porte afin d’ouvrir à l’inconnu. Je ne pu que soupirer de soulagement lorsque je constatais que le visiteur n’était autre que Dorian.
- Juha ? Pourquoi tu ne réponds pas au téléphone ? Tu l’as débranché ? Eh ? Ca va ?
Il était vrai que l’expression que j’abhorrais était proche de quelqu’un qui venait de voir un fantôme. Je me préparais rapidement devant l’air de plus en plus suspicieux et inquiet de Dorian.
La journée fut semblable à la suivante, si ce n’est que j’étais constamment sur mes gardes, toujours à l’afflux. Je ne comptais pas le nombre de fois où je sursautais ou lorsque mon cœur manquait un battement.
Lorsque j’appris en fin de journée que Dorian ne pouvais pas me raccompagner en voiture, je ne pu décrire la panique qui s’empara de moi, allant même jusqu’à être difficile à cachée. Mais je n’eu pas le choix, et en fin de journée, alors que le soleil était déjà parti depuis un bon moment je pris le chemin pour rentrer chez moi. Durant tout le trajet, je ne pus me débarrasser de cette désagréable impression d’être suivi. Je me retournais plusieurs fois, pour constater toujours la même chose : j’étais le seul à marcher sur cette route et le reste n’était que le fruit de mon imagination.
Arrivé devant la porte de mon appartement, je me sentis légèrement soulager, mon cœur continuant de battre à toute allure. C’est au moment où je tournais la clef dans la serrure que j’entendis des pas derrière moi. Je n’hésitais pas une seule seconde à me retourné, et vis avec le plus grand effroi qu’il n’y avait personne, sauf une sorte de sentiment de haine qui irradiait le couloir. Je commençais à me dire que je devenais complètement fou !
C’est au moment où j’entrouvris la porte que je sus que je ne l’étais pas. Quelqu’un se tenait vraiment derrière moi et je pouvais sentir son souffle chaud dans ma nuque. Je fis quelques pas pour rentrer chez moi, tentant de garder mon calme et de ne pas me mettre à crier de terreur. Puis je décidais de me tourné, n’ayant d’autre moyen que de faire face à ma peur.
Jamais je n’aurais imaginer me trouver en face de lui, ou pire encore j’avais l’intime conviction de son identité depuis le début, mais je me le dévoilais uniquement maintenant, ne voulant pas croire que j’avais raison.
D’une voix extrêmement froide j’entendis cet homme qui me faisait maintenant face avec toute sa haine tournée vers moi :
- Tu n’aurais jamais dû sortir Juha ! Tu le sais tu mérites bien plus que ces dix petites années de prison ! Assassin, ordure…
Je n’eus pas le temps de réagir que déjà il s’était jeté sur moi, déversant toute sa haine, sa colère et sa brutalité sur moi… Les larmes coulaient de mes yeux… Il lui ressemblait tellement. Qu’est ce qui était le plus douloureux ? Les coups qui pleuvaient maintenant sur moi sans que je puisse rien faire, ou tous les ressentis haineux qu’il éprouvait à mon égard. Coup après coup, je sentais ma conviction et mes forces de vivre diminuer, anéanties par ce retour brutal dans le passé. Dire qu’il y a dix ans, cet homme était mon meilleur ami, celui sur qui j’avais pensé pouvoir compter toute ma vie.  Les insultes pleuvaient comme les coups, il ne s’arrêterait pas tant que de la rancœur à mon égard existait encore dans son cœur. Je savais que ma vie ne ferait pas le poids face à celle-ci, mais peut être était-ce la fin que je méritais. Après tout, cela était vrai, je n’étais qu’un meurtrier et je méritais le même sors…

A suivre…

Cet article a été publié le Lundi 3 décembre 2012 à 23:26 et est classé dans Beyond the invisible. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Vous pouvez faire un commentaire, ou un trackback depuis votre propre site.

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