Archive de juin, 2012

13
juin

Beyond the invisible - chapitre 04

   Ecrit par : shinilys   in Beyond the invisible

Chapitre 04

par Shinigami

Sans un mot de plus, ignorant totalement le dénommé Juha, je partis donc en direction du réfectoire. Cependant, alors que je m’apprêtais à entrer dans la salle de restauration, je sentis mon téléphone portable vibrer dans ma poche. Revenant sur mes pas, j’attrapais mon téléphone et murmurais pour moi-même un “fais chier” peu discret à la vue du numéro qui s’affichait sur l’écran. Je retiens à grand peine un soupir d’exaspération et de lassitude puis finis par décrocher, interpellant mon troubleur de paix d’un ton peu aimable :

- Ouais ?

- …

- Oui, je sais que c’est toi ! Qu’est ce que tu veux ?

- …

- S’t'aprèm ? Ho putain mais tu fais chier !

- …

- Hn ? Non… J’avais des trucs à faire…

- …

- Ben j’vais annuler ! Qu’est ce que tu veux que je fasse d’autre ! J’ai pas le choix !

- …

- Ouais, c’est ça !

Aussitôt, je raccrochais, passablement énervé par l’égoïsme dont pouvait faire preuve Marion. Putain, je n’arrivais pas à y croire ! Elle savait parfaitement, que j’ai un concours bientôt et que j’avais prévu de parfaire l’entraînement d’Orphée aujourd’hui. Parfois, j’ai plus l’impression d’être son larbin que son soit disant petit ami. Pour être honnête, je m’entendais de moins en moins bien avec elle et moins je la voyais, mieux je me portais. Quel soulagement cela a été pour moi, d’apprendre qu’elle partait une semaine à Paris chez l’une de ses amies. Au moins, j’ai eu le temps de souffler trois minutes et de prendre du temps pour m’occuper de mes chevaux que j’avais quelque peu délaissé ces derniers temps, à mon plus grand regret.

Agacé, je replaçais mon portable dans ma poche et entrais de nouveau au réfectoire. J’allais me servir de quoi manger, le menu n’étant pas trop dégueu aujourd’hui, avant de me diriger vers ma place habituelle au fond de la salle. La tête plongée dans mon assiette, je mangeais sans faire attention à ce qui se passait autour de moi, écoutant d’une oreille distraite les un faire des commentaires sur tel autres. Si extérieurement j’avais tout l’air de quelqu’un qui en a rien à foutre, intérieurement, je plaignais sérieusement mes collègues. Les commérages et les langues de bois de mes collègues de travail m’exaspéraient au plus haut point. Devoir supporter chaque jour les doléances des hommes et des femmes qui travaillaient ici avait quelque chose de pathétique.

Blasé, je cessais de porter attention aux lamentations de mes aînés pour la plupart, et me concentrais sur mon propre désarrois du moment. Je n’avais toujours pas digéré le coup que venais de me faire Marion et plus j’y pensais, plus cela me nouait les boyaux. J’en arrivais à un stade où je ne pouvais plus la supporter, et où il devenait urgent de faire quelque chose avant qu’un meurtre ne soit commis. Cependant, je me doutais bien que Marion ne prendrait pas la chose dans la joie et la bonne humeur. S’il y avait bien une chose que je supportais de moins en moins chez elle, c’était son sale caractère. Depuis sept ans que l’on se connaissait et quatre ans de vie commune, j’arrivais à bout de patience.

Pourtant, ce n’est pas comme si j’avais le choix. Depuis la dernière fois où je lui avais fait part de mon envie de faire un break, elle avait trouvé le moyen de faire pression sur moi en usant du chantage, comme quoi sans elle je pouvais dire adieux à ma carrière, et c’est sans scrupules aucun qu’elle prenait un malin plaisir à me le rappeler. Derrière son visage d’ange et ses cheveux blonds, cette fille avait tout d’une femme fatale. Elle était la fille de Philippe et savait jouir de cet avantage à bon comme à mauvais escient.

Je fus sorti de mes sinistres pensées lorsque quelqu’un s’arrêta devant moi, me faisant de l’ombre. Ma pire crainte se réalisa lorsque, sans lever les yeux, j’entendis l’autre con tirer la chaise à lui pour s’asseoir à la place située en face de moi.

Relevant discrètement les yeux pour connaître ne serait-ce que le visage du suicidaire, je ne fus même pas surpris de voir le bleu me faire face. Il me regardait en souriant d’un air niais qui me donnait l’envie de lui coller deux claques pour lui retirer cette expression du visage. Retenant un quelconque commentaire malvenu, je replongeais la tête dans mon assiette, faisant totalement abstraction du monde extérieur, lui en particulier.

Le regard posé sur moi avec insistance, il semblait me dévisager avec intérêt. Ce comportement m’agaçait au plus haut point, j’avais l’impression d’être une bête de foire sous le regard ahuri du public et tout cela avait pour conséquence de m’énerver prodigieusement. Après plusieurs minutes passées dans un silence monastique et chargé de tension, à supporter son regard fixé sur moi, je relevais la tête et sans chercher à cacher le fait qu’il me faisait chier, je lui demandais d’un ton qui cachait mal mon agacement :

- Tu as un problème ou quoi ? Pourquoi est-ce que tu me fixes sans arrêt ?

A la vue du sourire narquois et énigmatique qui étira ses lèvres à ma réflexion, je dus me faire violence pour ne pas le frapper et lui effacer cet air arrogant et supérieur de son joli minois. Putain mais il avait décidé de m’emmerder jusqu’au bout ou quoi ?

Pourtant, écoutant pour une fois la voix de ma conscience, je n’esquissais aucun mouvement vers lui, et terminais silencieusement mon dessert, tournant sept fois ma langue dans ma bouche avant de sortir une réflexion qui aurait pu être blessante. Son regard posé sur moi et son petit sourire indéfinissable me mettait mal à l’aise. J’avais l’impression qu’avec ses yeux perçant, il lisait en moi comme dans un livre ouvert, et je ne pouvais supporter cela. Son regard vert et pénétrant avait le don de me faire perdre mon assurance et je me sentais guère rassuré. Son regard me troublait, et il le savait. Je pouvais lire sur son visage une certaine fierté et une arrogance à avoir réussis à percer un trou dans le mur qui entourait mon coeur. Masquant tant bien que mal le trouble qu’il faisait naître en moi, je tentais de me soustraire à son observation sans chercher à savoir le pourquoi du comment. Tout en lui montrait qu’il était étrange et son sourire vicelard prouvait parfaitement ce que j’avançais.

Soudain, avisant une deuxième personne derrière lui, je levais les yeux et tombais nez à nez avec Dorian. Poussant un soupir d’exaspération que je ne fis même pas l’effort de dissimuler, je repoussais mon assiette encore à moitié pleine et alors que j’allais entamer mon dessert, je l’entendis demander à son nouveau pote :

- Pourquoi tu t’es mis à côté de lui ?

Je sentais une colère froide monter en moi et me nouer l’estomac. Sa réflexion m’ayant coupé l’appétit, je repoussais violemment mon plateau et me levais brusquement, déclarant d’un ton froid et méprisant :

- “Lui” s’en va ne t’inquiètes pas.

Je fis quelques pas, puis me ravisant, je m’arrêtais et me retournais vers Juha. Après un regard hautain à Dorian, je déclarais à Juha :

- Je te conseille de mieux choisir tes fréquentations…

Je savais parfaitement que Dorian était homosexuel, tout dans son attitude et dans la façon qu’il avait de me regarder avant de trouver une proie potentielle en Juha le prouvait. De plus, il ne faisait rien pour démentir les rumeurs et ne se cachait pas. J’avais conscience qu’avec ces mots on me prendrait certainement pour ce que je ne suis pas, cependant, je me trouvais dans un tel état d’énervement, que je me foutais complètement de ce que l’on pourrait penser. Je l’entendis alors répliquer, mais je n’y prêtais pas attention, et sans un regard, je quittais la pièce avant de me faire incarcérer pour meurtre. J’avais peut être des tendances suicidaires, mais pour rien au monde je ne voulais terminer le reste de ma misérable existence en prison. J’avais entendu bien trop de témoignages plus horribles les un que les autres sur ce qui se passait dans ce genre d’endroit…

Alors que je m’éloignais, j’entendis Dorian s’exclamer :

- Ce mec a vraiment un problème ! Putain d’homophobe !

A ces mots, je ne sais ce qui me retint d’aller lui coller mon poing dans la gueule. Sans le savoir, il venait de réveiller le démon en moi et celui-ci ne demandait qu’à sortir. Retenant tant bien que mal mes pulsions meurtrières, je fis celui qui n’avait rien entendu et poursuivit mon chemin.

J’entendis alors quelqu’un me courir après alors qu’une voix que je ne connaissais malheureusement que trop bien m’interpellait :

- Attends !

Je ne sais ce qui me prit à ce moment, mais je me retournais brusquement et lui fit face. Entamant les hostilités, il s’exclama :

- Tu te crois peut être plus intéressant que lui ?

Soutenant sans broncher son regard furieux, je lui répondis froidement :

- Et pourquoi pas ? Moi je n’aborde pas les gens pour leur cul !

Voila c’était dit ! Je venais d’exprimer tout haut ce que je pensais tout bas depuis un petit moment déjà. S’il parut choqué par mes paroles, il n’en laissa rien paraître et répliqua :

- Ah non ça c’est sur ! C’est même pire !

- Tu entends quoi par pire ? Lui demandais-je sceptique.

- C’est la première fois depuis ce matin que tu m’adresses plus de deux mots.

Bon, très bien ! S’il voulait jouer à ce petit jeu, soit, mais il allait bien vite comprendre sa douleur ! Quoi ? Tu croyais que j’allais être ton meilleur pote ? C’est beau de rêver mon vieux, mais faut pas abuser non plus ! A ce point là, c’est plus un rêve mais un miracle ! Sérieux, qu’est-ce que j’irais foutre avec un gars comme toi ?

- Estimes-toi heureux, répliqua-t-il semblant avoir de plus en plus de mal à se contenir.

Ben quoi ? C’est vrai non ! D’habitude je ne prends même pas la peine de répondre à ce genre de réflexions débiles. D’ailleurs, je ne sais même pas pourquoi je continue de lui répondre ! Il n’en vaut même pas la peine !

Alors que je m’apprêtais à repartir, il me devança et s’exclama :

- Je te demande pas grand chose, juste un minimum de respect !

- Et moi je te demande juste de me foutre la paix ! M’exclamais-je.

Si j’étais parvenu à contenir ma fureur jusqu’à maintenant, je n’y parviens pas une seconde de plus. Cependant, lorsque je vis Dorian arriver au niveau de Juha, une telle haine m’envahit que je préférais partir. De toute façon, moins je le voyais, mieux je me sentais. C’était comme Marion, ça va bien à petite dose, mais j’arrivais vite à saturation.

Je sortis précipitamment du réfectoire et prenais la direction des écuries, allant chercher la présence du seul être qui parvenait réellement à m’apaiser. Certains diront que je fuis, je préfère les laisser dire. Après tout, il y a un peu de vrai dans cela…

Je ressentais l’envie urgente de m’éloigner le plus loin possible de cet homme, que je jugeais dangereux. Il émanait de lui quelque chose qui me perturbait et me troublait. Je sentais que sa présence ravivait en moi des sentiments que je n’aurais jamais pensé ressentir de nouveau un jour. Ces sentiments que j’imaginais à jamais enfoui au plus profond de moi, ce que je m’étais toujours efforcé de cacher aux yeux du monde. Ces sentiments qui faisaient ma honte et mon supplice.

J’arrivais au box d’Orphée et esquissais un faible sourire en le voyant sortir la tête en m’entendant arriver. Je m’approchais de lui et lui caressais le chanfrein avant de poser mon front contre le sien et de me laisser aller à ce contact rassurant. Je restais un long moment ainsi, puisant en Orphée la plénitude et la sérénité dont j’allais avoir besoin pour l’après-midi orageux qui s’annonçait. Puis, avisant l’heure tardive, j’allais prendre une douche rapide et prenais le temps de m’habiller de propre pour aller chercher Marion à l’aéroport.

La dernière fois que j’y étais allé en tenue de tous les jours, j’avais eu droit à une scène de ménage dans le hall de l’aéroport, qui avait continué dans la voiture pendant plus d’une heure pour se terminer lorsque je garais la voiture dans la cours du centre.

Une fois prêt, j’allais chercher les clefs du 4×4 dans le bureau de Philippe et le trouvais assis à son bureau. Philippe était bien la seule personne que j’appréciais et respectais un temps soit peu. Je trouvais en lui le modèle paternel que je n’avais jamais eu, et lui vouais une profonde affection, même si cela, je ne le montrais pas forcément. Cependant, il l’avait senti et me le rendait bien. Il possédait une force de caractère et une prestance imposante qui en faisait une personne sûr et digne de confiance. S’il paraissait antipathique pour certain, pour moi, il était un modèle de droiture. Bien que sa carrure imposante et sa grosse barbe lui donnaient l’air d’un ours, c’était un homme qui avait le coeur sur la main.

Semblant se rendre compte de la présence, il releva la tête et un sourire vient étirer ses lèvres lorsqu’il m’aperçut :

- Gabriel, mon garçon ! Comment vas-tu ?

- Hn, ça va, je te remercie, répondis-je sans grande conviction. Et toi ? Toujours dans tes papiers ?

- Et oui, comme tu peux le constater ! Je n’ai qu’une envie c’est que cela se termine au plus vite.

Je ne répondis rien, mais allais prendre place dans le fauteuil qui faisait face au bureau. Face à l’air las qui s’affichait sur mon visage, il demanda :

- Quelque chose ne va pas ?

- Non je… C’est à propos de cet homme que tu as engagé, je… Il m’exaspère…

Philippe me lança un regard interrogateur, et n’ayant pas l’intention de m’étendre sur le sujet, je déclarais rapidement sans trop entrer dans les détails :

- Je l’ai trouvé dans le box d’Orphée hier et je l’ai un peu rabroué… Depuis il se comporte envers moi comme si j’étais un aliéné qu’il faut faire enfermer !

Contre toute attente, Philippe éclata d’un rire tonitruant et déclara amusé :

- Je me doute qu’il arrive à quoi que se soit avec toi…

Je ne répondis rien, me contentant de sourire faiblement, puis il ajouta :

- Gabriel, je sais que ce n’est pas toujours évident pour toi de cohabiter avec les autres employés, mais s’il te plait… Essaye de faire un effort…

- Oui je… Je vais faire attention. C’est juste que j’arrive un peu à bout en ce moment et je suis à cran, soupirais-je avec lassitude.

- Tu devrais peut être te reposer un peu tu ne crois pas ? Avec tout le boulot que tu amasses cet an-ci, c’est normal que tu n’arrives plus à suivre le rythme.

- Non, il y a bientôt ce concours et je ne peux pas me permettre de louper des entraînements…

- Si tu veux savoir, je pense que tu te mets trop la pression. Tu devrais lâcher un peu du leste…

- Hn… Tu as sûrement raison, comme d’habitude ! Remarquais-je.

Philippe m’adressa un sourire bienveillant, et après un moment de silence, je me levais et déclarais :

- Bon aller, je file ! Je vais être en retard sinon et je n’ai pas vraiment envie de m’attirer les foudres de la furie.

Un rire suivit cette déclaration et après avoir prit les clefs, je m’apprêtais à sortir lorsque Philippe m’interpella :

- Gabriel !

Je me retournais, lui lançant un regard interrogateur, tandis qu’il me demandais sur le ton de la confidence :

- Tout se passe bien avec Marion ?

- Je… Je vais être en retard, répondis-je en quittant le bureau.

Je me doutais bien que face à mon comportement Philippe se poserait certaines questions, mais je ne me sentais ni le courage ni l’envie de répondre à sa question. Cela faisait un moment déjà que je remettais notre couple en doute et plus le temps passait, plus je me disais que nous étions pas fait l’un pour l’autre. Son coté dominatrice m’insupportait et elle s’acharnait à m’ôter cette liberté à laquelle j’aspirais. Avec elle auprès de moi, j’avais l’impression de me sentir enfermé. Elle représentait les barreaux de ma prison dorée qui m’empêchaient d’atteindre cette liberté dont je rêvais.

Le fil de ma vie, sur lequel je n’arrivais à avoir aucune prise dès qu’elle croisait mon chemin, me rendait uniquement spectateur de ma vie. J’avais la cruelle impression de ne pouvoir être acteur de ma propre vie. Pourtant, elle était là devant moi, à travers les barreaux de cette cage, je parvenais à entrapercevoir ce doux rêve d’avenir avec les chevaux où elle n’avait définitivement pas sa place mais dès que je tendais ma main pour saisir cette vie qui m’appartenait, je ne pouvais que me heurter au métal de cette cage, comme prisonnier de moi même.

Mes pas me menèrent inconsciemment jusqu’à la voiture, et machinalement, je pris place côté conducteur, toujours plongé dans mes pensées. Je restais un moment immobile, le visage dans les mains et les coudes callés contre le volant, avant de prendre la route. Finalement, je tournais la clef de contact et allumais l’autoradio ultra moderne duquel s’échappait les aboiements gutturaux du chanteur de mon groupe préféré. Aussitôt remotivé, je partais chercher Marion, me disant que de toute façon, cela ne servait à rien de reculer l’échéance, car tôt ou tard, je ne pourrais plus y échapper.

Près d’une heure plus tard, j’arrivais enfin à l’aéroport. Par chance, je trouvais une place pas trop loin et garais la voiture sur l’immense parking. Puis, j’entrais dans le hall des débarquements, à la recherche de Cerbère. Je la trouvais quelques minutes plus tard, assise à la terrasse d’un café. J’allais m’asseoir en face d’elle et je déclarais sans plus de cérémonie :

- Salut !

- Tiens tu es là toi ! Je commençais à me demander si je n’allais pas devoir faire appel à un taxi.

Je la fusillais du regard et répondis agressivement :

- Ca va commence pas ! Je parlais avec ton père.

- Et de quoi parliez vous de si important que tu en oublies l’heure à laquelle tu devais venir me chercher ?

- Mais j’t'en pose des questions ? Tu peux pas te mêler de ton cul non ? Et puis rien ne t’empêchais de commencer à rentrer à pieds.

- Pardon ? Je crois que j’ai pas bien entendu ce que tu viens de me dire…

- Quoi ? Que tu te démerdes pour rentrer ? Si… Tu as très bien entendu…

A mon grand soulagement, elle ne répondit rien, se contentant de me lancer un de ses regards qui se voulaient méprisants. Cela ne me fit ni chaud ni froid, et sans un regard pour elle, je me levais et je quittais l’endroit. Du coin de l’oeil je la vis attraper précipitamment son sac et courir à ma suite. Un sourire étira le coin de mes lèvres et sans lui prêter la moindre attention, je continuais ma route, regardant droit devant moi, faisant une totale abstraction des regards envieux que certaines femmes posaient sur moi. Je n’étais pas d’humeur à m’amuser et en l’instant précis, cela me soulait plus qu’autre chose.

La laissant se démerder avec ses valises, je grimpais dans la voiture et j’attendais patiemment qu’elle ait prit place à mes côtés pour démarrer. Je dois avouer que c’était pas l’envie qui me manquait de la laisser là, sur le trottoir.

Pour la route du retour, j’empruntais exprès les petits chemins au lieu de la voix rapide, roulant largement au dessus de la vitesse autorisée. La vue de Marion fermement cramponnée à son siège avait quelque chose de jouissif et je m’en délectais avec un plaisir non feint.

Au bord de la crise cardiaque, j’entendis Marion me dire, hurlant plus fort que le chanteur de la radio :

- Tu veux pas ralentir un peu ?

Quittant un instant la route des yeux, je reportais mon attention sur elle, sans pour autant ralentir l’allure. Je connaissais si bien cette route que j’aurais pu la faire les yeux fermés, mais je doutais que Marion apprécie vraiment l’initiative. Dans un élan de grande bonté, j’accédais à sa requête et je levais le pied.

Nous arrivâmes un moment plus tard, tandis que régnais dans la voiture, un silence de mort. Nous fûmes accueillis par Philippe qui, s’approchant de nous avec un grand sourire, demanda joyeusement :

- Alors mes enfants ! Le trajet s’est bien passé ?

- A merveilles ! Répondis-je, en adressant un sourire hypocrite à Marion. Je vous laisse, j’ai des choses à faire !

Sans donner plus d’explications, je tournais les talons et j’entrais dans l’écurie. C’est avec soulagement que j’entrais enfin dans le box d’Orphée, le nécessaire de pansage à la main. Un long moment durant, je bichonnais ma monture, la brossant avec énergie avant de démêler avec soins les noeuds de sa crinière et de sa queue que je nattais négligemment, histoire qu’elle ne s’emmêle pas de nouveau pendant que je le travaillerais. Puis, j’allais chercher ma selle et mon filet, même si je n’étais pas certain de me servir de ce dernier.

Le filet sur l’épaule, la selle dans un main callée sur la hanche, j’attrapais au vol un lot de protection et retournais auprès de ma monture qui, bien que la porte du box soit restée ouverte, m’attendais patiemment à l’intérieur. Me regardant arriver avec un certain empressement, tout en grattant le sol avec son pied. Tout aussi impatient que lui, je me hâtais de le seller. Lorsque ce fut fait, je l’invitais à me suivre d’une légère pression sur la longe.

Alors que je me dirigeais vers l’extérieur, je passais devant un box et je trouvais Dorian et Juha en pleine action de pelotage avancée. Putain à croire que ce mec à vraiment chaud au cul ! Tous les gays sont comme ça ou c’est seulement eux ? Exaspéré par tant d’exhibitionnisme, je m’exclamais, plus blasé qu’autre chose :

- Il n’y a pas des chambres pour ce genre de choses ? Franchement aller faire vos cochonneries ailleurs.

Je n’arrivais pas à comprendre comment ils arrivaient à se peloter de la sorte alors qu’à tout moment, ils pouvaient se faire surprendre par n’importe qui. Et je ne parle pas du fait qu’ils soient homos, je pense la même chose des couples hétérosexuels ! Personnellement, il ne me viendrait pas à l’idée de m’afficher ainsi à l’extérieur, et encore moins avec Marion. Peut être est-ce moi qui suis pudique ou trop romantique, mais j’estime que ce genre de choses se doivent d’être faites dans un minimum d’intimité.

Je soutenais un moment le regard de Juha qui semblait prendre un malin plaisir à me narguer, puis je détournais le regard. Je ne sais pas pourquoi, mais il semblait avoir le don de me mettre mal à l’aise. Un éclair de lubricité éclaira ses prunelles vertes alors qu’il se jetait sur Dorian et l’embrassait avec fougue. Exaspéré et dégoûté par tant de laisser aller, je quittais l’écurie et je prenais la direction de la carrière.

Pendant deux bonnes heures, je travaillais Orphée dans la carrière, à lui faire répéter les enchaînements qu’il connaissait déjà, et commençant à lui en apprendre de nouveaux. J’étais tellement concentré dans mon travail que je ne me rendis même pas compte que la nuit était tombée. Satisfait du travail qu’avait fourni ma monture, je décidais d’arrêter là et lui laissant prendre le chemin du retour, je m’étirais longuement.

Comme il l’avait appris, Orphée s’arrêta à l’entrée de l’écurie, attendant que je descende et reprenne les rênes pour me suivre. Après quoi, je lui offrit un pansage amplement mérité et après lui avoir donné sa ration d’orge et de foin pour la nuit, je remplissais son bac d’eau et quittais l’écurie après une dernière caresse à ma monture.

Ne souhaitant pas me retrouver immédiatement avec la harpie qui me servait de copine, je pris la direction du pré. Passant sous la clôture, je me dirigeais vers le troupeau et repérais Niladhëvan. Je m’approchais d’elle et la caressais longuement, avant de la tester en lui faisant faire quelques petits exercices.

Satisfait, je m’éloignais d’elle après une dernière caresse et j’allais m’asseoir sur la barrière. Je restais là un long moment, jusqu’à ce qu’engourdi par le froid de cette nuit de presque hiver, je ne sente plus mes doigts.

Lorsque je rentrais dans le réfectoire, j’eus l’agréable surprise de ne trouver personne. Il faut dire qu’il était déjà tard et que tous devaient déjà être rentrés chez eux. J’allais chercher de quoi grignoter à la cuisine, et plus fatigué qu’autre chose par cette journée éreintante, j’allais manger dans ma chambre.

Jetant mes chaussures à travers la pièce, je me laissais tomber sur le lit et fermais les yeux de bien être. Au moment où je m’apprêtais à m’endormir, j’entendis la porte s’ouvrir et me réveillais en sursaut pour tomber nez à nez avec Marion.

Je poussais un soupir de soulagement, mais lorsque je réalisais sa présence ici, je lui demandais sèchement :

- Qu’est-ce que tu veux ?

- Je peux te parler ? Demanda-t-elle innocemment.

Je la fixais un moment d’un air sceptique, puis je finis par m’écarter pour lui permettre d’entrer. Puis je me tournais vers elle et je déclarais, cachant mal mon impatience et mon envie d’en finir :

- Je t’écoute !

Je la vis alors s’approcher de moi d’une démarche aguicheuse et murmurer d’une voix langoureuse :

- Tu m’as manqué cette semaine, tu sais !

A ce moment, je me fis violence pour ne pas lui dire que ce n’était pas réciproque et la renvoyer dans ses appartements. Contrairement à cela, je me contentais de rester immobile, la fixant d’un air impénétrable. Si elle pensait vouloir me donner envie de la toucher par un tel comportement, elle se trompait fortement. Elle s’approcha de moi, tandis que je reculais jusqu’à ce que je rencontre le lit et tombe assis sur le matelas. Là, elle prit place sur mes genoux et commença à faire glisser ses mains sous mon t-shirt puis, ses lèvres vinrent prendre possession des miennes. Je la laissais faire un moment, jusqu’à ce que soudain, un flash s’imposa à moi. Aussitôt, je la repoussais vivement et l’empoignant par le bras, je la reconduisais à la sortie. Sans un mot, je la foutais dehors et refermais la porte, prenant soin de tourner le verrou pour ne pas être dérangé.

Une fois enfermé dans ma chambre, je retournais sur mon lit sur lequel je me laissais tomber pour la deuxième fois de la soirée. Les yeux rivés au plafond, je repensais à la vision que je venais d’avoir. Pourquoi celle-ci s’était-elle imposée à moi de cette façon ? Jamais encore cela ne m’était arrivé… Et surtout, pourquoi “lui” ? Pourquoi “ça” ?

Si mon esprit se mettait à me jouer des tours, je ne m’en sortirais jamais. Pourquoi cette image de Juha en train d’emballer Dorian était-elle venue s’imposer à moi au contact des lèvres de Marion ? Etais-je en train de devenir fou ?

Je ressentis subitement le besoin de prendre l’air, si bien que je remettais mes chaussures, j’enfilais ma veste à la hâte et sortais précipitamment de la pièce. C’est à peine si je remarquais la neige qui commençait à tomber. Je me laissais guider par mes pas sans même faire attention à l’endroit où je me dirigeais, si bien que j’arrivais bientôt à l’orée de la forêt. Sans pour autant ralentir ma course, je m’engouffrais dans les ténèbres des sous bois. J’avais besoin de réfléchir à tout ce qui venait de se passer, à la signification de cette apparition.

Certes, cela faisait longtemps que je n’avais pas touché Marion, et si au début cela ne me dérangeais pas, je ne ressentais à présent ni le besoin, ni même l’envie de le faire. La simple idée de l’embrasser me répugnais au plus haut point et je ne parvenais pas à déterminer la cause de se soudain changement. L’éducation que j’avais reçu était-elle en train de me faire défaut ? Je n’en savais rien, tout ce que je savais, c’était que j’étais en train de me foutre dans une merdre pas possible.

Je n’aurais su dire combien de temps je restais dehors, dans le froid et l’humidité, mais vaincu par la fatigue, je finis par regagner ma chambre. A peine entré, je quittais mes chaussures n’importe où dans la pièce, sans même prendre le temps de me déshabiller, je tombais sur le lit, endormis.

Lorsque j’ouvris de nouveau les yeux, j’avais l’impression de ne les avoir fermé qu’une seconde. Tournant la tête vers mon radio réveil, je dus me rendre à l’évidence que ce n’était cependant pas le cas, car celui-ci indiquait déjà trois heures quarante et une. Le corps couvert de transpiration, je ne parvenais toujours pas à me remettre du cauchemar que je venais de faire. Je sentais mon corps réagir à ce souvenir et aussitôt, je me précipitais sous la douche. J’avais encore l’horrible impression de sentir “ses” lèvres dévorer les miennes avec gourmandise, mêlant sa langue à la mienne pour l’entraîner dans un ballet des plus érotiques. Jamais encore je n’avais ressenti cela en embrassant Marion, l’impression que mon corps ne me répondais plus, de perdre totalement pied au contact si sensuel de sa langue qui parcourait lentement mon cou, à la recherche d’une zone particulièrement sensible. Malgré l’eau froide qui coulait sur ma peau depuis un moment, je ne parvenais pas à me libérer de cette sensation de brûlure exquise qui consumait mon corps et embrasait les reins.

Je restais sous la douche jusqu’à ce que la sensation de brûlure disparaisse totalement. J’attrapais ensuite une serviette que je nouais sur ma taille, et sans prendre la peine de sécher mes cheveux dégoulinant d’eau, je me recouchais, avec l’espoir de parvenir à me rendormir. Ce ne fut qu’au petit matin que je réussis enfin à fermer les yeux, et alors que je sombrais de nouveau dans le sommeil, la sonnerie de mon réveil me fit sursauter. Je haïssais définitivement les réveils bruyants, surtout lorsque ceux-ci vous foutait la trouille de votre vie.

En râlant, je me levais avec difficultés, encore fatigué de ma nuit blanche et me rendis à la salle de bain, où j’ai faillis me tuer en me faisant un croche-patte avec ce putain de tapis. Pour couronner le tout, je me retrouvais avec un épis de maïs sur la tête en guise de coiffure. Pestant contre moi-même et mon crâne sensible, je m’efforçais de me calmer pour ne pas hurler de douleur à chaque fois que je passais le peigne dans ma chevelure emmêlée.

Une demi heure plus tard, je ressemblais enfin à quelque chose. Je me changeais et me rendis au réfectoire où Marion se trouvait déjà. Je fis celui qui ne l’avait pas vu et filais à la cuisine chercher mon petit déjeuner que j’avalais rapidement. Puis, sans un regard pour personne, je sortais du réfectoire et me dirigeais vers les écuries. Un hennissement que je ne connaissais que trop bien retentit dans le silence matinal et aussitôt, je me précipitais à l’entrée de l’écurie. Alors que j’allais entrer par la grande porte, je faillis me faire renverser par Tenbu Horin, qui sortit de l’écurie au petit galop. Alors que je réalisais tout juste ce qui venait de se passer, je vis Juha sortir de l’écurie, complètement paniqué. Lorsqu’il m’aperçut, il me lança un regard apeuré et sans même faire attention, à lui, je me précipitais à la poursuite de l’animal.

Par chance, il s’arrêta à la réserve à grain. M’approchant lentement de lui, je le contournais pour l’intercepter s’il venait à fuir et calmement, je m’approchais de lui en l’appelant pas son nom. Trop occupé à se remplir la panse, il ne fit pas attention à moi, si bien que je pus l’attraper aisément. Démuni de licol, je le saisis par le toupet et le forçais à relever la tête afin de me suivre, ce qu’il fit sans trop de problèmes.

Une fois que j’eu ramené Tenbu dans son box, je me tournais vers Juha qui me suivais timidement, et tentant de réfréner ma colère qui ne rimerait à rien, je demandais d’une voix calme :

- Que s’est-il passé ?

- Je… Commença timidement Juha.

- Tu ?

- J’étais entrain de faire son box et il… Il m’a bourré pour sortir… Au départ j’avais fermé la porte, mais on m’a dit de ne jamais m’enfermer dans le box, alors j’ai réouvert…

- Hn…

Je me désintéressais alors de lui et me retournais vers l’animal qui nous regardait, laissant Juha retourner vaquer à ses occupations. Saisissant la fourche callée contre le mur du box, j’entrais de nouveau dans le box, faisant exprès de laisser la porte grande ouverte, souhaitant juger par moi-même la réaction de l’animal. Alors que je faisais un pas en direction de la sortie, je l’arrêtais et d’une légère pression du doigt sur le poitrail et d’une voix douce mais ferme, je lui donnais l’ordre de reculer. Je recommençais ce manège jusqu’à ce que je puisse laisser la porte ouverte sans qu’il ne soit tenté de la franchir, ce qui me prit tout de même une bonne vingtaine de minutes.

Après l’avoir félicité par des caresses, je décidais de sortir du box et de le laisser tranquille pour le remercier de son travail et alors que je fermais la porte, je fus surpris de voir Juha m’observer. Accoudé à la porte du box d’en face, il semblait m’observer depuis un bon moment. Il m’adressa un petit sourire que je ne parvins pas à déterminer et agacé par son comportement, j’allais chercher un licol et une grande longe avant de prendre la direction du parc.

Là, je me dirigeais vers Niladhëvan. Arrivé à sa hauteur, je la caressais en guise de bonjour et lui enfilais le licol avant de l’entraîner à ma suite. Pour ce matin, j’avais prévu de travailler un peu ma nouvelle jument avant de monter Orphée cet après-midi. Je conduisis la jument dans le round pen et y restais toute la matinée. Niladhëvan prenait plaisir à travailler et y allait de bonne volonté, si bien que j’en profitais, car je savais parfaitement qu’il y aurait des jours où elle n’en ferait qu’à sa tête. De plus, même si le sol était recouvert de quinze centimètres de neige, il était encore assez praticable pour y faire évoluer un cheval au pas.

Il était midi passé lorsque je ramenais Niladhëvan au pré. Malgré mes mitaines et mon écharpe, j’étais frigorifié et pressé d’aller me mettre au chaud. Une fois dans le réfectoire, j’allais rejoindre ma place habituelle, sans un seul regard pour Marion. Pourtant, je sentis très bien le regard de Juha posé sur moi. Dorian penché vers lui semblait lui souffler quelque chose à l’oreille, me fixant bizarrement lui aussi.

Je mangeais sans prêter attention aux commérages des autres employés, pensant à mon emploi du temps de cet après-midi. Pour une fois, je prenais mon temps pour manger. Il faut dire qu’avec le froid et le peu que j’avais mangé ce matin, j’avais relativement faim. En plus que pour une fois, la bouffe était pas trop dégueulasse, pas que la cuisinière cuisinait mal, loin de là, mais mes goûts alimentaires laissaient à désirer. Je sortais presque une heure plus tard, et alors que je quittais le réfectoire, je sentis quelqu’un m’attraper le bras pour me retenir, en m’appelant par mon prénom :

- Gabriel…

- Qu’est ce que tu me veux encore ? Demandais-je d’une voix qui contenait mal mon agacement et ma lassitude.

A ce moment, je vis les dernières personnes qui restaient au self sortir précipitamment de la pièce, en évitant mon regard. Après quoi, je reportais mon attention sur Marion qui me demanda un peu plus sèchement :

- Tu peux m’expliquer ce qui t’as prit hier soir ?

- Y’a rien à expliquer, répondis-je à mon tour un peu plus durement.

A mon plus grand étonnement, Marion se planta devant moi et avec un air sérieux que je ne lui connaissait pas, elle demanda :

- Tu me trompes ?

Stupéfié par cette question des plus débiles, je restais un moment sans rien dire, tentant d’avaler la pilule puis je finis par éclater de rire, me foutant ouvertement de sa gueule, ce qui ne fit que renforcer la colère de la harpie.

- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? M’exclamais-je après avoir retrouvé un minimum de sérieux. Arrête tes conneries, et lâche moi un peu, tu veux !

- J’ai quand même le droit de me poser la question figure-toi, ajouta-t-elle en haussant le ton. On s’est pas vu depuis une semaine et alors que je viens te voir, tu trouves le moyen de me foutre à la porte !

A présent plus qu’agacé, je rétorquais aussi vivement, ne prenant plus la peine de retenir mes mots blessant :

- Oui et alors ? Il ne t’est pas venu à l’esprit que je n’avais peu être pas envie de te voir justement ?

Mais achevez moi par pitié, qu’elle arrête avec ses insinuations débiles ! Passez moi une corde et un lustre que j’aille me pendre ! Ma réplique sembla choquer Marion car elle ne répliqua rien, si bien que j’en profitais pour m’échapper des mailles du filet, ignorant que quelqu’un avait été témoins de la scène.

Soudain, je bousculais quelqu’un et me reçu en même temps une décharge électrique. Relevant la tête, je reconnu Juha. Celui-ci me fixait d’un air apeuré, comme s’il venait de croiser un revenant ou autre créature tout droit sortit de son imagination. Passablement énervé, je me mis à l’engueuler :

- Tu peux pas regarder où tu vas non ? T’es miro ou quoi ?

- Oh, commence pas à m’emmerder hein !

- Pardon ? Moi je t’emmerde ? Répondis-je plus incrédule par les mots en eux même que par le ton qu’avait employé Juha.

- Oui tu m’emmerdes, toujours avec ton air supérieur et arrogant ! Tu peux pas t’empêcher de faire chier les autres, c’est maladif ou quoi ? T’as besoin de faire chier le monde pour te sentir bien ?

- Tu commences vraiment à me les briser, de plus, je t’ai rien demandé alors retourne curer tes box et fous moi la paix !

Un air indigné étira alors les traits de Juha et avant qu’il ne puisse répondre quoi que ce soit, je m’éloignais rapidement, rejoignant le seul endroit où je me sentais totalement libre. Puis, me ravisant, je fis demi tour et pris la direction du bureau de Philippe. Là, j’entrais sans frapper, sachant pertinemment qu’il n’était pas là aujourd’hui et m’emparais des clefs de la voiture.

Moins de deux minutes plus tard, le moteur vrombissait dans la cours et je quittais précipitamment cet endroit.

Je roulais pendant plusieurs heures, sans but précis, mais cela eut l’effet escompté et je finis par me calmer. Après réflexion, j’ai me suis rendu compte que j’avais été dur avec Juha, mais sous le coup de la colère, j’ai parlé sans penser réellement ce que je disais.

Enfin, il est pas en sucre non plus, il s’en remettra. C’est pas comme si cela ne lui était pas déjà arrivé. Et puis j’y peux rien moi s’il ne regardait pas où il allait ! Cependant, il y avait quelque chose dans son regard, quelque chose qui m’a perturbé… Pendant un bref instant, j’ai cru y déceler une douleur quasi inhumaine… Comment un homme pouvait-il souffrir autant ? Etait-ce réellement mes paroles qui l’ont touchées à ce point ? Et puis pourquoi sursautait-il à chaque fois qu’on se touchait par inadvertance ? Est-ce que je le répugne tant que ça ? Je sais bien que je n’ai pas été super sympa avec lui, mais de là à me fuir comme un pestiféré c’est quand même un peu fort… Oh et puis je m’en fou ! S’il n’est pas heureux, rien ne l’empêche de partir et s’il ne veut pas partir, il n’a qu’à faire avec ! Après tout, je ne lui ais rien demandé, pourquoi se croyait-il obligé d’intervenir à chaque fois ? C’est trop demander un peu de solitude ? Moi qui espérais secrètement que cette fin d’année serait un peu meilleure, apparemment je me trompais…

Après un moment, je me décidais à prendre la route du retour. Je m’étais déjà absenté plus d’une heure et je ne voulais pas inquiéter Philippe de mon absence au cas où il serait de retour.

Il me fallut près d’une heure encore avant d’apercevoir le centre au bout de l’allée. Retrouvant l’air impassible que j’abordais tous les jours que dieu fait, je sortais de la voiture et j’allais reposer les clefs dans le bureau de Philippe. Par chance, celui-ci n’était pas encore rentré, je n’aurais donc pas à subir son interrogatoire. Car même si Philippe respectait notre liberté et notre vie privée, il n’en était pas moins mère poule et veillait à ce qu’aucun de nous ne manque de rien.

Une fois les clefs posées à leur place habituelle, je sortais, prenant soins de bien fermer la porte pour ne pas laisser entrer le froid qui régnait dehors et me dirigeais vers les écuries. J’avais promis à Orphée que je le sortirais aujourd’hui et comme en cette période la nuit tombe vite, je voudrais être de retour avant. Je me dirigeais vers la sellerie et allais prendre ma selle et mon tapis, m’épargnant un trajet inutile. Je posais le tout à l’entrée du box d’Orphée et retournais chercher les brosses dont j’avais besoin. Lorsque je me relevais, j’eus la mauvaise surprise de me retrouver en face de Juha. Il semblait mal à l’aise de se retrouver en face de moi et cela peut se comprendre, car à sa place, je le serais aussi. Sans un regard de plus, je le dépassais pour rejoindre le box de ma monture et c’est non sans une certaine animosité que je constatais qu’il me suivait. Cependant, je décidais de ne pas y prendre garde et continuais ce que j’avais à faire sans me préoccuper de lui. Après tout, même si je détestais être le point de mire de quelqu’un, il ne faisait rien de mal… Apparemment, je parlais trop vite, car du coin de l’oeil, je le vis ouvrir la bouche pour parler. Face à son air indécis, je le devançais :

- Qu’est-ce que tu veux ?

- Je… Je tenais à m’excuser pour toute à l’heure…

Son air dépité avait le don de m’exaspérer et souhaitant mettre un terme au plus vite à cette conversation qui ne mènerait à rien, je répondis :

- Hn, et alors ? Qu’est-ce que tu veux que cela me foute ?

- Dis-moi, ajouta t-il, semblant ne pas avoir apprécié ma remarque, tu es toujours comme ça avec tout le monde ou c’est juste parce que c’est moi ?

- Rassures-toi, tu n’as rien d’exceptionnel !

Contrairement à ce que je pensais, il ne s’emballa pas, se contentant de respirer calmement avant de répondre :

- Tu es toujours comme ça ? A balancer des vannes à longueur de journée ?

Cette fois-ci, ce fut mon tour de soupirer, mais d’agacement. Stoppant mon action, je me retournais vers lui et avec un magnifique sourire hypocrite, je déclarais :

- Non, je me suis levé du pied gauche ce matin ! Ca te va comme réponse ?

- J’y crois pas ! Il faut toujours que t’ais le dernier mot hein ? C’est pas croyable d’être aussi gamin ! T’es vraiment aigri comme type ! Pas étonnant que ta copine aille voir ailleurs…

A ses mots, je crus que mon coeur manquait un battement. Je me sentis pâlir et il dut s’en apercevoir car je le vis esquisser un mouvement vers moi. C’est alors que je retrouvais mes esprits et m’exclamais, furieux :

- Ne t’approches pas de moi !

Il stoppa aussitôt son geste et je continuais :

- Ma vie privée ne concerne que moi c’est clair ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler de tes affaires et de rester en dehors de mes histoires ? Est-ce que je te pose des questions sur tes histoires de cul ? Non ? Alors fais en de même !

- Je… Tu ne sais rien de moi… commença Juha en pâlissant à vue d’oeil.

- Justement, toi non plus ! répondis-je.

Sur ses mots, j’attrapais la longe d’Orphée et bousculait Juha qui se trouvait devant moi. Une fois dehors, j’enfourchais lestement ma monture avant de m’éloigner rapidement au petit galop, sentant toujours le regard de Juha posé sur moi, qui semblait me brûler en profondeur.

Je ralentissais l’allure lorsque je jugeais m’être suffisamment éloigné. La reprise en carrière initiale venait de se transformer en balade à l’extérieur mais cela ne semblait pas déplaire à Orphée qui, il faut l’avouer, n’était pas sorti depuis longtemps. Cependant, bien que le centre n’était plus dans mon champ de vision depuis de longues minutes déjà, je ne parvenais pas à calmer cette fureur qui bouillonnait en moi. Je n’arrivais toujours pas à avaler les paroles de cet imbécile. Ce n’était pas comme si je n’avais pas de doute sur les agissements de Marion, mais je ne supportais pas qu’un étranger vienne se mêler de ma vie privée. Déjà lorsque je connaissais la personne j’avais du mal, alors avec un inconnu en prime cela n’avait rien d’étonnant.

Quant à mon caractère et bien il a qu’a faire avec. J’ai toujours été comme cela et ce n’est pas pour ses beaux yeux que je vais changer. Je ne supporte pas le besoin qu’on les gens que je croise à vouloir m’enchaîner. Je suis libre et je le revendique. Je n’ais jamais accepté que l’on me passe une laisse autour du cou, et ce n’est pas demain que cela va commencer. Et si Marion ne voulait pas le comprendre, c’est que l’on avait plus rien à faire ensemble. Cela je l’avais évidemment compris depuis bien longtemps, peut être même depuis le début de notre relation, mais je m’étais forcé à rester en espérant qu’avec le temps, notre conception des choses changeraient, mais ce n’était à l’évidence pas le cas.

Certes cela n’allait pas bien depuis longtemps, mais j’avais l’intime conviction que les choses s’étaient précipités depuis l’arrivée opportune de Juha dans le centre… Qui était-il ? D’où venait-il ? Tant de questions pour le moment sans réponse…

Alors que je me prenais la tête avec toutes ses interrogations, je manquais de vigilance et ne me rendis compte de l’accident qu’au moment où celui-ci arriva. Je sentis Orphée glisser sous moi et pris de cours, je tombais à terre. Je sens ma tête taper violemment contre une surface dure et le trou noir, je sombrais dans l’inconscience…