Beyond the invisible - Chapitre 07

 Chapitre 7 par Lybertys

Alors que j’avais perdu tout espoir de m’en sortir, alors que je m’étais abandonné à ses coups recroquevillé sur moi-même, je sentis une deuxième présence proche de nous. Il me semblait la connaître, mais dans mon état, je ne cherchais pas à faire d’effort particulier. J’étais bien trop abattu par les coups et la colère que cet homme versait sur moi. J’avais mal, bien plus intérieurement qu’extérieurement. J’avais fermé les yeux, ne voulant plus voir le visage de cet homme qui ressemblait tant à l’être aimé que j’avais maintenant perdu à jamais par ma faute. Soudain, je reçus un coup plus violent, et je ne pus réprimer un gémissement de douleur.

Peu de temps après, j’entendis un autre coup, mais ce n’était pas sur moi qu’il tombait. J’ouvris instantanément les yeux. Cette présence que j’avais ressenti n’était autre que Gabriel qui venait de me défendre, envoyant un terrible coup à mon bourreau, ne contenant lui non plus pas sa fureur. Celui-ci était étendu parterre, se remettant de la surprise et du coup qu’il venait de se prendre dans la mâchoire. Il lui jeta un air dédaigneux en se redressant, le haïssant de me protéger. Jamais je n’aurais imaginé être sauvé par Gabriel. Alors que je tentais de me redresser avec beaucoup de difficulté, affaibli par tout cet afflux de sentiments, l’homme reporta son agressivité sur moi, et me cracha au visage :

- A peine sorti et tu as déjà trouvé une nouvelle victime… Tu me dégoûtes Juha ! Où est donc passé l’amour incommensurable que tu disais vouer à Killian ? Tu n’es qu’une enflure, sale petite pédale…

Entendre son nom me fit aussitôt rechuter dix ans auparavant… Je n’aurais su quoi répliquer. Si j’avais entrouvert les lèvres, je n’aurais fait que hurler la douleur qui m’envahissait à l’instant présent. Une seconde fois, Gabriel vint à mon secours, car il s’écria :

- Hey ! C’est finit oui ? Tu n’es pas le bienvenue ici ! Alors tu vas être bien sage et tu vas repartir de là où tu es arrivé ! Et que je ne te reprenne pas dans les parages ou cette fois-ci tu ne t’en sortiras pas aussi bien !

Alors que l’homme allait pour protester, n’appréciant pas du tout d’être traité de la sorte, il le devança et déclara :

- Tu comprends le français ou il faut te faire un dessin ?

Il lui lança un regard meurtrier, avant de me dire avec la même haine.

- Fais bien attention à toi Juha, tu ne seras pas accompagné indéfiniment !

Je savais très bien qu’il n’allait pas me laisser en paix. Plus que tout il souhaitait ma mort. Voulant venger la vie de son frère qui n’était plus par ma faute. Il quitta enfin l’appartement en claquant violemment la porte d’entrée. J’étais maintenant vidé de toutes mes forces, et une proie facile à la souffrance qui continuait à émaner de Gabriel. Il resta un moment immobile à me fixer d’un regard impénétrable. Je sentais qu’il était en train de se poser un tas de questions à mon sujet, chose tout à fait normale après ce qu’il venait de voir.

Il finit par s’approcher de moi, et me tendit la main pour m’aider à me relever. J’hésitais un instant, ne sachant pas vraiment ce que ce contact allait s et quitta les lieux.

Je restais encore avec Gabriel, le regardant aller chercher un morceau de pain pour sa monture. Puis il attrapa un licol et alla chercher Kadaj au pré. Je le suivis, voulant profiter encore un peu de sa compagnie qui était depuis hier soir très agréable. Gabriel ne fit aucun commentaire. Il était toujours impressionnant de le voir évoluer avec les chevaux.

Dix minutes plus tard, Kadaj était attaché et mangeais tranquillement dans son filet à foin, tandis que Gabriel se préparait à le ferrer. Je pris place à quelques pas de là, pouvant ainsi l’observer sans le gêner. Assis sur une balle de paille, je restais attentif au moindre de ses gestes. Si Gabriel était d’abord mal à l’aise, il finit par ne plus faire attention à ma présence et commença à limier le pied de l’animal. Etonné, et voyant cela pour la première fois je craquais au bout de quelques minutes et lui demandai :

- Qu’est ce que tu fais ?

- Je lui pare les pieds, afin de pouvoir le ferrer.

- Tu peux pas poser le fer tout de suite ? Demandais-je.

- Non, il faut vérifier les aplombs avant…

Mes questions trahissaient mon manque de connaissance et je lui étais reconnaissant de me répondre. Profitant de sa bonne volonté je continuais :

- Et ça lui fait pas mal ?

- Non, pourquoi veux-tu que cela lui fasse mal ? Cela te fait mal toi quand tu te coupes les ongles ?

- Euh… non…

- Et bien pour lui c’est la même chose, répondit-il patiemment.

Le silence s’installa une nouvelle fois. Je savais que je posais beaucoup de questions, mettant les nerfs de Gabriel à rude épreuve. Mais pendant dix ans je n’avais rien vu du monde extérieur et ma curiosité était maintenant accrue. C’est pourquoi je ne résistais pas à demander encore :

- Cela fait longtemps que tu sais faire ça ?

- Plus ou moins… Trois ou quatre ans pas plus…

- Oh… Tu as besoin d’aide ?

Fatigué par mes questions incessantes Gabriel arrêta ce qu’il était en train de faire pour se redresser et me faire face :

- Tu as pas du boulot à terminer ?

Blessé, je répondis simplement :

- Euh…excuse moi de t’avoir dérangé…

Alors que je commençais à m’éloigner, j’entendis Gabriel pousser un soupir d’exaspération et de la lassitude avant de déclarer :

- Tu peux rester… mais tais-toi !

- Promis ! Répondis-je en retournant m’asseoir sur la balle de paille.

Une heure et demi plus tard, ou pas une seule fois je ne posais une question, il eut enfin fini de ferrer Kajad. Après de longues caresses pour le remercier de sa patience et de sa gentille, Gabriel le ramena au pré. Je le suivis, tout aussi sagement que je l’avais observé. Nous nous rendîmes ensuite côté à côté au réfectoire. J’avais de plus en plus de facilité à me faire à sa souffrance. Maintenant identifié à lui, j’arrivais à faire la très nette séparation entre mes sentiments et les siens.

Certes cela me demandait de l’énergie, mais cela valait le coup. Sa présence était en réalité très agréable. Assez solitaire, tout comme moi, nous passions de long moment sans échanger quoi que ce soit, se supportant l’un l’autre sans trop de difficulté. Dans le réfectoire, nous croisâmes Marion, mais Gabriel ne lui adressa qu’un regard désintéressé. Il continua son chemin et alla s’asseoir à table. Je pris place en face de lui. Nous mangeâmes silencieusement, échangeant de temps en temps quelques mots.
Dans l’après-midi, je retournais à mon travail, laissant Gabriel travailler seul.

La douleur était bien présente et était gênante au vu de mon travail physique, mais étant résistant, je parvins à la cacher aux yeux des autres palefreniers. Je ne vis à aucun moment Dorian, mais ne m’en formalisait pas davantage. 

Ce ne fut qu’en fin d’après-midi que je rejoignis Gabriel, le trouvant en train de graisser sa selle et son filet. Concentré sur sa tâche, il ne me vit pas arriver et sursauta lorsqu’il se rendit compte de ma présence. Il leva brusquement les yeux et vit le petit sourire moqueur que j’affichais. Il me lança un regard meurtrier pour la forme, qui ne me fit ni chaud ni froid, avant de reprendre son travail.

- Il faut le faire souvent, demandais-je par curiosité ?

Le voyant reposer son pinceau sur la table en soupirant de lassitude, je regrettais de lui avoir posé cette question. Il me demanda alors dans répondre à la mienne :

- T’en as pas marre avec tes questions ?

Puis, après un nouveau soupir, il répondit :

- Environ une fois par moi.

Satisfait de sa répondre, je n’ajoutais rien, sachant qu’il n’en supporterait pas plus et qu’il avait déjà fait beaucoup. Une chose était sur, je n’avais pas fini d’en baver avec son fort caractère. Je restais avec lui, jusqu’à ce que Dorian vienne me chercher :

- J’y vais, si tu veux que je te ramène c’est tout de suite ! déclara-t-il.

- J’arrive, répondis-je.

J’adressai un sourire à Gabriel et après un rapide « à demain », je partis en compagnie de Dorian. Nous montâmes dans la voiture, et partîmes en direction de nos appartements. Il y avait quelque chose qui clochait chez Dorian, et je n’aurais su dire quoi. Il me cachait quelque chose parmi sa foule de sentiments, et je n’arrivais pas à le desceller. Peut être était-ce aussi dû à ma fatigue…

J’inspirais profondément, tentant de faire le vide en moi pour recevoir ses émotions et les démêler les unes des autres. Il y avait d’abord la jalousie qu’il ressentait toujours envers Gabriel et notre relation naissance, et puis, cette attirance qu’il avait encore pour moi. Alors que j’étais concentré sur ses sentiments, Dorian me demanda :

- Alors, tu t’entends mieux avec Gabriel ?

- Oui, nos rapports se sont améliorés, me contentais-je de répondre.

Le silence retomba, laissant Dorian songeur, jusqu’à ce qu’il me demande :

- Ca te dit de passer boire un coup chez moi avant de rentrer chez toi ?

- Oui pourquoi pas, répondis-je sans trop réfléchir.

En réalité, j’avais surtout peur de rentrer chez moi. Je savais que son invitation n’était pas dénuée d’un certain intérêt caché, mais je pouvais très bien refuser. J’allais entrer dans son jeu, il voulait se jouer de moi, mais j’allais me servir de lui. Je savais que ce n’était pas bien, mais je ne voulais pas rentrer seul maintenant. La journée finie, Gabriel n’étant plus à mes côtés, je réalisais que ma peur de la veille ne m’avait pas quitté. J’avais l’impression d’être un condamné en sursis. J’en venais même à regretter d’être sorti de prison… Nous nous garâmes devant chez lui. Il me dit alors :

- J’ai quelques courses à faire, ça te dérange ?

- Non ça tombe bien, moi aussi, je n’ai toujours pas fait les miennes.

C’est ainsi que nous nous retrouvâmes dans le supermarché du coin une petite heure avant la fermeture à faire nos courses. Nous ne perdîmes pas de temps, tout aussi fatigué l’un que l’autre.

Rapidement nous nous retrouvâmes chez lui, en train de boire un verre, parlant de choses et d’autres, assis côte à côte dans son canapé. Je le sentais s’approcher au fur et à mesure de moi, mine de rien. Je faisais semblant de ne rien avoir remarqué. Une chose était sure, je ne lui céderai pas. J’avais passé une fois du bon temps avec lui, cela ne se reproduirait pas. De plus je n’étais vraiment pas en état, et n’avais aucune envie qu’il voit les hématomes qui parsemaient mon corps. 

Soudain, il me posa une question qui semblait lui trotter dans la tête depuis un moment :

- Comment ça se fait que Gabriel t’ai amené ce matin ? Que s’est-il passé en une nuit ? Tu lui as montré tes charmes.

Je répondis assez froidement :

- Ce qui s’est passé entre nous la dernière fois ne m’arrive pas tout le temps. Je ne couche pas avec n’importe qui, n’importe quand.

- Hum… C’est pas ce que j’aurais cru la dernière fois… D’ailleurs, je ne pense pas que je suis n’importe qui maintenant…

Il se rapprocha alors dangereusement de moi. Je n’aimais pas du tout sa manière de faire. J’en venais à me demander comment j’avais pu coucher avec cet homme. Je devais vraiment être en manque. Il glissa dans mon coup. Sentir son souffle chaud n’avait cette fois rien d’agréable, au contraire, je trouvais cela écœurant. Il me murmura, tentant de me chauffer, mais réussissant parfaitement à faire l’inverse :

- Ca ne te tenterait pas de…

Je m’écartais aussitôt, allant le plus loin possible de lui à l’autre bout du canapé.

- Non ça ne me tente pas ! Répliquais-je. Je suis venu boire amicalement un verre avec toi. Je ne suis pas uniquement là pour écarter les jambes quand tu en as envie !

Vexé, Dorian démarra au quart de tour et déclara :

- Que je sache, c’est toi qui t’es mis à poil devant moi la dernière fois !

Je ne répondis rien, sentant qu’il allait rajouter quelque chose dans peu de temps. Et c’est ce qu’il fit, laissant libre court à de la jalousie pure :

- Ca y est ?! Je ne te satisfais plus ? Tu as trouvé mieux ? Tu crois que tu va pouvoir baiser Gabriel ? Tu crois que ce petit con prétentieux vaut mieux que moi ?

- Tu délires complètement, dis-je très calme, ne répondant pas à son agressivité. Arrête de voir Gabriel partout, arrête de psychoter sur le sujet et surtout de juger Gabriel sans le connaître.

- Ah ça y est ! Parce que tu as passé un peu de temps avec lui, tu te prends pour son ami, son plus fidèle défenseur. Je vous souhaite tout le bonheur du monde tous les deux.

- Je te remercie Dorian. Jamais je ne t’aurais imaginé comme ça. Tu viens de me dévoiler ton vrai visage. Si je comprends bien, tout ce que tu as fait pour moi, c’était pour me baiser ? Tu croyais que j’allais continuer à coucher avec toi en échange de ton aide. Et bien je te souhaite une bonne nuit, tu peux cesser de faire tous ces efforts, maintenant que tu sais qu’ils sont inutiles.

Je me levais, attrapais mes courses dans la cuisine et sortit de chez lui sans un mot, le laissant méditer dans son salon à mes derniers mots. Je pensais rentrer chez moi, prendre une douche et aller me coucher après manger. J’avais beaucoup de sommeil en retard et je ne voulais surtout pas perdre bêtement mon travail pour de la fatigue. Je sortis donc dehors, saisi par le froid qui était arrivé en même temps que la nuit tombante.

Alors que je fis mes premiers pas à l’extérieur, je sentis comme une présence. Je ne mis pas longtemps à trouver qu’elle ressemblait étrangement à celle de la nuit derrière. Elle se trahit d’ailleurs d’elle même par la haine qui passait au delà de lui et que je ressentais. Pris d’un violent frison, je tournais vivement la tête pour ne voir que la rue vide dans la pénombre de la nuit. Les battements de mon cœur s’amplifièrent aussitôt. Sans réfléchir je me mis à courir aussi vite que je le pouvais, comme si ma vie en dépendait… C’était le cas…

J’entendis des pas derrière, je me risquais tourner la tête et vis le frère de Killian me courir après. Mon cœur battait tellement vite que j’avais l’impression qu’il allait sortir de ma poitrine. Terrifié, je rassemblais toutes mes forces et je courus encore plus vite comme jamais je ne l’avais fait. J’étais littéralement mort de peur, je tenais fermement mon sac de course, sans trop savoir pourquoi je m’acharnais à le garder. J’étais maintenant sur : je ne voulais pas mourir.

Si j’avais tenté une fois d’attenter à ma vie en prison au cours de la première année, ce n’était plus le cas. J’en gardais encore une très légère marque sur le poignet gauche. Et si on le regardait avec attention, on pouvait voir une très fine cicatrice que j’étais toujours parvenu à cacher aux yeux de tous. Après cette épreuve, j’avais compris que la seule manière de payer sa mort était de continuer à vivre avec cette culpabilité. Mourir serait fuir la réalité, fuir la mort de Killian et mes actes affreux.

Arrivé dans mon immeuble, je rentrais sans cesser mon allure, me ruant dans les escaliers. Je n’allais pas prendre le temps d’attendre l’ascenseur. J’entendais ses pas derrière moi, et surtout sa voix qui me hurlait des insultes. Arrivé à mon étage, essoufflé, je cherchais ma clef totalement paniqué. J’avais l’impression de mettre des heures. Lorsqu’enfin, je trouvais la clef, je me remerciais mentalement de ne pas avoir fermé le verrou le matin. J’eus du mal à ouvrir, saisis de tremblements plus violents les uns que les autres. Lorsque, enfin, la porte s’ouvrit, j’entendis qu’il était tout près. J’eus juste le temps de me faufiler chez moi et de refermer la porte, m’attaquant directement au verrou, que je l’entendais déjà frapper et hurler derrière la porte.

- Assassin !! Ouvre cette porte Juha ! Tu ne fais que fuir ce qui arrivera inévitablement.

Le sac me tomba des mains et je me ruais à l’opposé de la pièce. Je me collais contre le mur, m’asseyant par terre, rabattant mes jambes contre moi retrouvant une position fœtale qui était la plus rassurante. Mon cœur battait à tout rompre, comme s’il se battait pour sa vie. J’étais effrayé comme jamais, mes tremblements étaient incontrôlables.

A chaque coup frappé à la porte, j’enfonçais un peu plus la tête dans mes épaules. Je pleurais de terreur. Je sursautais violemment lorsque le téléphone à côté de moi sonna. Espérant que ce soit Gabriel, je le saisis et décrochait aussitôt pour entendre des insultes et des menaces. Chaque mot sorti de la bouche du frère de l’homme que j’avais tué m’enfonçait un peu plus dans ma panique et ma douleur. Je raccrochais, gardant dans mes mains le combiné qui se remit à sonner à peine deux secondes plus tard. J’appelais plusieurs fois vainement à l’aide. Il fallait que tout cela cesse, ou mes nerfs ne tiendraient pas.

Je ne sus combien d’heure dura cela, des heures bien plus terribles que mes dix années de prison, plongé dans la terreur la pire au monde. Je n’eus pas conscience de l’heure où il cessa enfin. Je n’avais pas bougé d’un pouce, totalement replié sur moi-même. Il fallait que quelqu’un vienne. Je ne pouvais pas rester comme ça. J’avais besoin d’aide et je me tournais vers l’unique personne qui allait pouvoir me l’offrir. Je composais son numéro, sans trop savoir comment, et attendit que Gabriel décroche, trouvant chaque tonalité plus longue à chaque fois. Lorsqu’il décrocha enfin, il me sembla l’entendre dire :

- Qui que vous soyez, savez-vous qu’il est plus de trois heures du matin ?

Je n’avais même pas conscience de l’heure. J’essayer de parler, mais les mots restèrent bloqués dans ma gorges, ne laissant échapper que des sanglots. D’une voix tremblante, Gabriel demanda alors :

- Juha ?

Ma langue se délia enfin et je pus seulement dire paralysé par l’angoisse :

- Gabriel… Ne… Ne me laisse pas seul…

- Juha !? Répéta-t-il, apparemment abasourdi. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Noyé dans mes sanglots, j’étais incapable d’aligner trois mots cohérents. Comment lui expliquer ce qui venait de se passer. J’étais mort de peur, je souffrais et j’avais besoin de lui. Je n’avais personne sur qui comptait, et Gabriel était le seul à pouvoir m’aider. Je continuais malgré tout à tenter de lui faire comprendre quelque chose, mais il finit par s’exclamer :

- J’arrive ne bouge pas !!

Je tenais toujours fermement le combiné contre moi, ne bougeant pas et continuant de pleurer bruyamment. Je ne cessais de me répéter qu’il allait arriver dans peu de temps et pourtant chaque minute ne me semblait jamais trouver de fin. Heureusement, je lui avais donné le double de chez moi dans la matinée, au cas où. Je ne serais jamais parvenu à me lever pour aller lui ouvrir. Cloué au sol j’avais l’impression que tout cela ne prendrait jamais fin.

Lorsque je le vis arrivé enfin, il eut un temps d’arrêt lorsqu’il m’aperçut : là, recroquevillé à même le sol dans un coin de la pièce, serrant le combiné de téléphone qui sonnait toujours. Je relevais vers lui un visage trempé de larmes, l’implorant mentalement de m’aider. Gabriel se précipita vers moi et me pris dans ses bras. Trop inquiet et préoccupé par moi, sa souffrance était cachée et ne m’atteins pas directement. Je n’étais de toute manière pas en état d’être réceptif. Il me prit dans ses bras, et me sera contre lui en me murmurant à l’oreille des paroles rassurantes et réconfortantes, la voix tremblante d’émotions :

- Chut… Je suis là… Tout va bien…

Je n’aurais su décrire le bien que Gabriel me prodigua. Au creux de ses bras, je sentais la protection que j’avais désirée pendant ces heures de terreur. Mais plus encore, j’avais l’impression pour la première fois depuis dix ans d’être protégé. Voilà maintenant bientôt onze ans que je ne n’avais pas eu ce genre de contact tendre, alors que j’en avais eu plus que besoin durant toute cette période.

Ses bras m’enveloppaient et faisaient régner une atmosphère de douce chaleur. Je commençais à me laisser aller peu à peu. Ses pensées à mon sujet étaient tout aussi rassurantes que son étreinte. Je lui étais tellement reconnaissant de ce qu’il m’apportait. Il était en train de m’offrir bien plus que tout ce que j’avais pu avoir en plus de dix ans. 

Je me jurais alors intérieurement que j’apporterais toute mon aide à Gabriel et me promettais qu’un jour, sa douleur n’existerait plus dans son cœur. Epuisé, vidé de la moindre de mes forces, je me laissais tant aller dans ses bras que je finis par m’y endormir, fuyant un instant cette réalité, allant trouver le repos dans des cauchemars…

Lorsque j’ouvris les yeux, je me trouvais dans mon lit. Mes yeux papillonnèrent pour s’habiter à la lumière, jusqu’à ce que je réfléchisse aux événements de la veille, ne me rappelant pas m’être couché. Il ne me fallut pas longtemps pour me remémorer le tout : Dorian, le frère de Killian, l’appel au secours désespéré à Gabriel, son aide…

Je compris alors la boule que j’avais dans le ventre depuis ce matin. Je m’étirais, ménageant mes muscles encore meurtris pas les coups de l’avant veille, et me redressait avant de me lever vraiment. Je vis Gabriel allongé sur le canapé, dormant profondément. Je choisis de le laisse dormir, aujourd’hui était un jour de repos.

 En réalité, je n’étais vraiment pas envie de me retrouver tout de suite face à lui. J’avais terriblement honte qu’il m’ait vu dans l’état de la veille et aussi terriblement gêné de l’avoir fait venir en plein milieu de la nuit. Je me rendais donc discrètement à la cuisine, attrapant au passage, mon sac de course posé à l’entrée la vielle dans la panique. Heureusement, il n’y avait presque aucun produit frais. Je déballais rapidement les courses, et décidais de préparer un café. J’en avais tout autant besoin.

Mon programme de la journée allait être simple, j’allais surtout me reposer. Je regardais un moment par la fenêtre, le temps que le café chauffe. Il faisait un temps aussi maussade que ne l’était mon esprit. Les gros flocons de neiges virevoltaient dans le vent et le ciel était nuageux. Je frissonnais, de nature assez frileuse, rien qu’à l’idée de me retrouver dehors par ce temps.

Une fois le café prêt, je m’en servis une tasse généreuse et me rendais dans le salon. C’est au moment où je me mis devant lui qu’il ouvrit les yeux. Je tentais de lui sourire cachant ma gêne, plus que nerveux d’être face à lui. Maladroitement je lui demandais :

- Tu… Tu as bien dormi ?

- Hn… Répondit-il, agacé par ma question.

Je pouvais tout à fait le comprendre.

- Je… Je m’excuse…

- Hn… me répondit-il simplement, apparemment agacé.

- Je comprends que tu m’en veuilles, mais je… Merci d’être venu…

- Hn… Ouais…

Ne voulant pas m’appesantir plus longtemps sur le sujet, je lui demandais très mal à l’aise :

- Tu… Tu veux manger quelque chose ?

- Hn… Oui, s’il te plait.

Je lui adressais alors un petit sourire d’excuse et repartit dans la cuisine. Je revins quelques minutes plus tard avec une tasse de thé fumante que je posais sur la petite table à côté de lui.

- Merci, déclara-t-il simplement en se redressant.

Il déjeuna en silence, chose qui me convins tout à fait, je n’étais pas d’humeur à parler et était surtout trop fatigué. Il resta encore un moment avant de rentrer au centre et de me laisser seul. A peine eut-il fermé la porte que je partis m’étendre sur mon lit. Je fermais les yeux sans même m’en rendre compte et sombrais dans un profond sommeil. 

Les semaines qui suivirent passèrent à une allure folle. Je n’eus aucune nouvelle du frère de Killian à mon plus grand soulagement, sachant que ce n’était cependant qu’une question de temps. Je profitais au mieux de ce répit. Gabriel revint dormir plusieurs fois chez moi. Notre relation allait en s’améliorant. La dispute que j’avais eu avec Dorian nous avait éloignés et nous ne conservions plus qu’un simple rapport de collège de travail.

Nous étions maintenant la veille du concourt de Gabriel et il me communiquait son stress à chaque instant. Cependant, cela lui permettait d’oublier un peu sa douleur, m’offrant un répit de ce côté là. A son insu, je continuais lorsque j’en avais l’occasion à travailler en profondeur sur lui, tentant de rechercher l’origine de son mal, sachant maintenant qu’il ne se confesserait pas comme cela.

Je venais de finir une réunion avec Philipe et tous les employés pour l’organisation du centre demain, comme tous deux serait partit pour le concourt de Gabriel. Je faisais partit des personnes qui restaient là, à s’occuper du centre. Satisfait de mon travail, j’avais le droit à de plus en plus de responsabilités et aussi plus de liberté.

Mon travail étant lui aussi terminé, j’allais directement rejoindre Gabriel. Je le trouvais en train de finir de s’occuper d’Orphée, lui glissant consciencieusement une couverture sur le dos. Lorsqu’il me vit, accoudé à la porte du box en train de l’observé, il répondit à mon sourire. Je lui demandais alors d’une voix qui se voulait calme pour tenter d’éviter d’attiser son stress :

- Tu veux venir boire un verre à la maison, histoire de te changer les idées avant demain ?

Le laisser tout seul n’était pas vraiment une bonne idée, et j’étais sur qu’il passerait une meilleure soirée avec moi, qu’à se stresser tout seul dans son coin et à se torturer l’esprit. Heureusement il accepta ma proposition en répondant :

- Hn… Ouais, pourquoi pas.

Même s’il ne me le dit pas explicitement, je sentis qu’il était heureux de ma proposition et semblait me remercier mentalement. Il quitta le box d’Orphée après une dernière caresse et me suivit, faisant une halte dans la sellerie afin de préparer son matériel pour demain. Puis il prit la direction du bureau de Philippe et revint avec les clefs de la voiture.

Nous montâmes dans la voiture et nous prîmes la direction de mon studio. Le trajet se fit dans un silence monastique, seulement interrompu par les chants brutaux qui s’échappaient de ses enceintes. Plusieurs fois, je me surpris à jeter un coup d’œil vers lui. Je n’aurais su dire quoi, mais je lui trouvais quelque chose de très beau ce soir là. Peut être étais-ce dû à la tension qui tendait ses traits. Je me sentais étrangement envahie d’un sentiment que je n’avais pas connu depuis longtemps.

Un petit quart d’heure plus tard, nous étions installés dans le canapé, une tasse de chocolat chaud à la main.

Aucun de nous ne semblait vouloir prononcer la première phrase. Depuis deux semaines, Gabriel et moi étions en meilleurs termes et notre relation s’était renforcée. Certes nous n’étions pas encore les meilleurs amis du monde, mais c’était déjà cela. Nous arrivions à avoir des conversations sérieuses, bien que je restais totalement muet sur mes peurs qui me poussaient à l’appeler plusieurs fois la nuit. Il en savait déjà suffisamment. Pour rien au monde maintenant, je ne voulais briser l’amitié naissante entre nous. Car c’était ce que je pensais, une fois que Gabriel saurait, il ne serait plus jamais le même avec moi.

Comment réagir face à un homme qui vous révèle qu’il est allé en prison et pire encore pour un meurtre ? J’en avais mal rien qu’à l’idée de sa réaction si jamais il l’apprenait. Je préférais me taire sur ce sujet, qu’il ne découvre jamais ma vrai nature, qu’il ne voit que le Juha de surface, le Juha que je m’étais construit. Je savais ne faire que repousser l’échéance, et que la chute serait bien plus difficile à affronter, mais je n’avais pas le cœur à me priver encore de quelque chose. Malgré moi, je le sentais, je m’attachais de plus en plus à Gabriel, bien plus que je ne le voulais.

Heureusement, ce sujet n’avait pas pour projet d’être abordé ce soir, c’était plutôt l’épreuve de demain qui était au centre de ses préoccupations. Je finis par briser le silence, sentant que le stress était trop fort en lui demandant :

- Tu veux manger quelque chose ?

- Non, cela ira merci. Là tu vois, j’ai plus envie de me vider l’estomac que de le remplir.

J’émis un petit rire amusé et ajoutai :

- Je m’en doute bien, mais il faut que tu manges si tu ne veux pas t’écrouler demain… Un plat de pâtes ça te dit ?

- Hn… répondit-il à contrecœur, mais résigné.

Il se leva avec moi et me suivit dans la cuisine, mettant la table pendant que je mettais de l’eau à chauffer. Dix minutes plus tard, nous étions assis à table l’un en face de l’autre, à parler du concours et de l’organisation de demain. Un moment, hésitant, Gabriel déclara :

- Je… J’aimerais te demander un petit service.

- Je t’écoute, répondis-je, curieux de voir ce qu’il allait me demander.

- Je mettrais Niladhëvan dans un box avant de partir demain et j’aimerais que tu t’occupes d’elle pendant mon absence… Enfin, seulement si tu es d’accord… Si tu veux pas je te force pas hein ! Tu fais comme tu veux…

- C’est d’accord… Je m’occuperais d’elle, répondis-je, trop heureux de la confiance qu’il mettait en moi.
Mieux encore, il m’adressait un sourire soulagé chargé de remerciements qu’il me murmura tout bas :

- Merci…

Je ne pus que lui répondre par un sourire, sentant mon corps s’emballer étrangement. Il me sembla voir ses joues prendre une légère teinte rosée, et je le vis détourner les yeux et reporter son attention sur son assiette. Plus le temps passait et plus je constatais la beauté de Gabriel.

Le repas se termina en silence et à la fin de celui-ci, nous retournâmes au salon, une tasse de thé dans la main. Assis côte à côte, aucun de nous n’osait briser le silence qui régnait dans la pièce. Tout proche de moi, je pouvais sentir le flot d’émotions en lui. Amusé, je finis par lui poser une question dont la réponse était évidente :

- Alors ? Stressé ?

- Plus que tu ne l’imagines, répondit-il.

- Pourquoi ? Il n’y a pas de raisons…

- Et si je me plantais demain ? M’interrompit-il.

- Et si tu arrêtais de dire des conneries… Je ne m’y connais pas beaucoup dans ce milieu, mais j’ai vu depuis que je suis arrivé combien tu as travaillé, et il n’y a aucune raison que tu te plantes, dis-je, tentant de le raisonner.

Et c’était vrai, je le pensais vraiment. A l’avoir vu évolué, pour moi Gabriel avait toutes ses chances de gagner. Pourtant, il répliqua :

- Mais tu comprends pas ! Il y aura vraiment des cracks demain ! J’aurais l’air de quoi moi, pauvre petit clampin tout droit sortit d’ma campagne…La seule chance que j’ai c’est d’assurer un max demain, et vu comme s’est partit, je suis plutôt mal barré…

Plus il parlait, plus j’avais du mal à détacher mes yeux de son visage. Ses cheveux châtain clair encadraient les traits fins de son visage, animés par sa détresse pour le concours de demain.

- C’est bon, déstresse ! Et puis, même si tu te plantais, tu auras d’autres occasions… Franchement, pourquoi tiens-tu absolument à ce que tu te plantes demain ? Prend confiance en toi, Gabriel… Tu as les capacités pour y arriver et je sais que tu y arriveras… Si toi tu n’as pas confiance en toi, moi si…

Je n’aurais jamais pensé en dire autant. J’avais dis plus que ce que je ne l’aurais voulu. Il ne répondit rien, mais ancra son regard au mien. Il était en train de se passer quelque chose, et j’étais incapable de l’arrêter. J’allais toujours plus profondément dans ses yeux bleu foncé qui avaient quelque chose de troublant. Je me laissais porter par l’action, ne prenant pas le temps de réfléchir sur l’acte que j’allais accomplir.

Et plus je le sentais, il semblait en avoir autant envie que moi. Lorsque mes deux lèvres se posèrent sur les siennes, un afflux d’émotions y transparut, avant que sa peur ne vienne prendre sa suprématie. Toujours porté par cet instant, je vins quémander l’entrée de ses lèvres, voulant malgré moi soudain bien plus. Soudain, Gabriel qui jusqu’alors n’avait pas bougé me repoussa brusquement.

- Quelque chose ne va pas ? Demandai-je alors, surpris et frustré malgré moi.

- Ah parce qu’en plus t’as pas compris ! Tu viens de m’embrasser, bien sûr que ça va pas ! S’exclama-il hors de lui.

- Tu avais l’air d’en avoir tout autant envie que moi, répondis-je, blessé.

Pire encore, je réalisais uniquement maintenant ce que je venais de faire. L’embrasser, c’était aller bien trop loin, surtout au vu de mes erreurs passées.

- Est ce que j’ai l’air d’aimer embrasser les hommes ! Tu pourrais au moins t’excuser ! Répliqua-t-il sur un ton qui ne me plu pas du tout.

- M’excuser ? Je ne vois pas pourquoi… C’était à ce point désagréable ? Est ce que ça t’a dégoûté ? Est ce que je te dégoûte ?

- Je…

- Tu ?

Comment pouvait-il se mettre dans un état pareil juste pour un baiser ?

- Rah ! Laisse tomber, s’exclama-t-il avant d’aller s’enfermer dans la salle de bain en claquant violemment la porte.

J’étais presque effrayé par cette réaction tellement démesurée par rapport à l’acte lui-même. J’en venais même à oublier tout ce qui était mes propres problèmes liés à ce qui venait d’être fait. Je venais de commencer à faire ce que je m’étais interdit depuis le début. Et pourtant, ce que je ressentais n’était pas que de la simple attirance purement sexuelle. Malgré toute ma volonté, je n’avais pu empêcher ces sentiments et les repoussaient maintenant de toutes mes forces.

J’accourais devant la porte de la salle de bain maintenant close. Je pouvais sentir cette même souffrance que j’avais connue depuis notre premier contact, décuplé par mille. Quel était ce mal qui le rongeait et quel lien pouvait-il avoir avec ce simple baiser ? Pourquoi cet acte le mettait dans un état pareil ? Que lui avait-on fait ?

Je l’avais ressenti pourtant cette envie lorsque nos lèvres s’étaient touchées. Il n’avait même pas retiré ses lèvres tout de suite, il était resté jusqu’à ce que je tente d’aller plus loin dans le baiser. Ce n’était qu’une esquisse de baiser et elle nous avait tous les deux bouleversé. Il semblait se dérouler un combat intérieur violent en Gabriel, et je ne pouvais rien faire pour l’aider.

De l’autre côté de la porte, je ne savais même pas quoi lui dire. Il semblait maintenant tellement apeuré, plongé dans cet état où il souffrait tant. J’avais de plus en plus de mal à faire la séparation de nos sentiments et pourtant je savais que c’était un terrain dangereux. Il fallait que cela cesse, il ne fallait pas qu’il tombe encore plus bas. Je lui demandais à travers la porte d’une voix très inquiète :

- Gabriel… Sors de la salle de bain… S’il te plait…

- Laisse-moi ! Je ne veux pas te voir ! me répondit-il d’une voix tremblante.

J’en avais maintenant la certitude, il pleurait. Je m’en voulais tellement de l’avoir mis dans cet état. J’étais totalement désemparé.

- Je m’excuse Gabriel, je ne savais pas que cela te mettrait dans un tel état, repris-je d’une voix qui cachait de moins en moins mon inquiétude. Je m’excuse, répétais-je, mais je t’en supplie, sort de cette pièce…

Après un moment de réflexion qui me parut durer des heures, il finit par consentir à m’obéir. Il ouvrit la porte lentement, et sortit sans même m’adresser ne serait-ce qu’un coup d’œil. Voir ses larmes me serra violemment le cœur. Il alla dans le coin qui faisait office de chambre et ouvrit le placard afin d’en sortir une couverture. Je n’osais pas bouger, ni esquisser un geste ver lui. Puis il retourna sur le canapé pour s’y allonger, remontant la couverture sur sa tête, ignorant mes tentatives d’excuses. J’étais tellement mal d’être fautif d’un tel état :

- Je suis sincèrement désolé Gabriel… Je… Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal… Je te promets que c’était la seule et unique fois… Je ne tenterais plus rien, je t’en donne ma parole… Je suis désolé… Gabriel… Dis quelque chose…

Je n’en pouvais plus de ce silence. De plus il m’était impossible de sentir sa souffrance et de ne pouvoir rien y faire. Heureusement il se retourna enfin, plongeant son regard dans le mien.

- Pourquoi ? Me demanda-t-il.

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi tu m’as embrassé ?

Je ne m’attendais pas à cette question, et je ne savais pas quel pouvait être la meilleur réponse, hésitant je commençais :

- Je sais pas, je…

- Tu ?

- Ca m’est venu comme ça… Je sais pas pourquoi… Peut être que j’en avais envie…

Je ne voulais pas lui dire la vérité, tout était bien trop complexe, trop de choses à cacher…

- Et ça te prend comme ça ? Tu embrasses beaucoup de monde sans leur demander leur avis ? Répondit-il avec une pointe de cynisme qu’il ne cherchait pas à dissimuler.

Et avant que je n’ai le temps de répondre, il se retourna de nouveau, me tournant le dos.

- Je…

- Bonne nuit, me coupa-t-il, n’ayant plus aucun envie de parler avec moi.

Je restais totalement immobile. Je ne savais plus vraiment quoi faire. Le regard posé sur sa nuque, je tentais de voir plus clair en lui, de découvrir l’origine de son mal. Il en souffrait tellement, que j’en venais à douter qu’il se confesse un jour. Pourtant il devait parler, que ce soit à moi ou à une autre personne ; c’était la seule chose qui pourrait le tirer de là. Je n’arrivais à rien ainsi.

J’avais beau repousser au maximum les limites de son esprit, il était trop enfermé et protégé par la souffrance qui déferlait sur moi dès que je parvenais un peu trop loin. Je finis par m’éloigner, n’arrivant à rien. Je rangeais un peu avant d’aller me coucher à mon tour, pour ne trouver le sommeil que bien plus tard…

Le lendemain matin, je ne fus pas le premier à me réveiller. J’entendais du bruit dans la cuisine. Il ne me fallut que peu de temps pour me remémorer ce qui s’était passé la veille. Mon cœur se serra alors à ce souvenir.

Ce fut particulièrement gêné que je me levais et allais rejoindre Gabriel dans la cuisine. Un afflux de stress me saisit lorsque je pénétrais dans la pièce. Encore à moitié endormi, je n’avais pas fait attention à me protéger. Gabriel était assis en train de finir son thé et sa tartine de Nutella. Je lui adressais un « bonjour » timide auquel il ne prit pas la peine de répondre, annonçant ainsi tout de suite la couleur. A peine j’eus le temps de me préparer un café que Gabriel s’était déjà levé et déclarait le plus impersonnellement possible :

- Je vais me laver.

Je ne répondis rien et de toute manière, je n’aurais pas eu le temps de le faire. Je ne bus que ma tasse de café, n’ayant pas très faim. Une fois que Gabriel fut sortit de la douche, j’allais prendre la mienne. L’atmosphère qui régnait entre nous était insoutenable et j’étais finalement heureux qu’il ne soit pas là aujourd’hui étant le jour de sa compétition. Après une douche rapide, j’eus à peine le temps de m’habiller que déjà Gabriel m’attendait tout prêt, assis sur le canapé à regarder la télévision. Il l’éteignit lorsqu’il me vit arriver, et alla mettre son manteau. Je fis de même.

Une fois dans la voiture, le silence régna de plus belle. Il n’avait même pas mis sa musique habituelle pour le masquer. C’est ainsi que nous arrivâmes sur le parking et que Gabriel était en train de se garer. Je savais que c’était la dernière fois que j’allais le voir de la journée, et sachant l’épreuve qu’il allait bientôt passer, je ne voulais pas que l’on se quitte comme ça. C’est pourquoi je déclarai avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la portière afin de sortir :

- Gabriel attends.

- Quoi ?! dit-il très sèchement tournant alors sa tête vers moi.

- Ce que je vais te dire n’a rien à voir avec ce qui s’est passé hier soir. Je tiens juste à te souhaiter bonne chance pour ce concours. Je croiserais les doigts pour toi, et je suis sûr que tu gagneras la première place.

- Hn… déclara-t-il simplement, avant d’ouvrir cette fois-ci réellement la portière et de sortir de la voiture.

Je fis de même, blessé qu’il réagisse de cette manière pour une simple erreur de notre part. Car je n’étais pas le seul fautif. Notre relation qui s’était tellement améliorée était maintenant retombé en chute libre.
A contre cœur, je pris une autre direction que la sienne, allant accomplir mon travail. J’espérais vraiment de tout cœur qu’il réussisse ce concours, et mon propre stress était maintenant venu se mêler au sien. Je me rendais aux écuries lorsque j’entendis la voix de Philippe au loin m’appeler :

- Juha, viens par ici s’il te plait.

Intrigué, je m’exécutai, parcourant les quelques mètres qui nous séparait. 

- Qu’y-a-t-il ? Demandais-je, en remarquant aussitôt l’état semblable à celui de Gabriel dans lequel il se trouvait.

- L’employé qui devait faire le lad de Gabriel vient de m’appeler, il est malade et ne pourra pas venir. Tous les autres sont occupés, alors je n’ai que toi… Tu viens donc avec nous deux pour le concours. Je pense que tu en es tout à fait capable.

- Je… dis-je hésitant, ayant honte de mon ignorance. Je veux bien, mais en quoi cela consiste-t-il ?

- A l’aider à s’occuper de son cheval, le préparer… Et apporter toute l’aide nécessaire à Gabriel. Et puis comme tu es en de bons termes avec lui, je me suis dis que ce serait mieux pour Gabriel.

- C’est que…

Devais-je lui parler d’hier. Au fond de moi j’étais content de pouvoir l’aider, mais la situation était loin d’être propice à cela. Comment aller réagir Gabriel lorsqu’il serait au courant ? Allait-il redevenir le même qu’au début de notre rencontre ? Est ce que le début d’amitié qui s’était lié entre nous était définitivement terminé. Je m’en voulais tellement d’avoir cédé à ma pulsion… J’avais tout gâché. Mais Philipe me coupa dans mes réflexions et déclara :

- Bon si tu n’as rien me dire, on y va, tu vas nous aider à rassembler les affaires, nous on va mettre la monture de Gabriel dans le van.

Nous allâmes donc rejoindre Gabriel qui n’était apparemment pas au courant de la décision de Philipe car il me dévisagea lorsqu’il me vit arriver avec Philipe. J’étais très mal à l’aise, et je sentais parfaitement une sorte de haine vis à vis de moi. Gabriel était en train de finir de rassembler ses affaires pour le concours, si bien qu’après un regard meurtrier à mon égard, il reporta toute son attention sur ce qu’il était en train de faire. Ce fut Philipe qui prit la parole :

- J’ai trouvé le remplaçant de Tom.

- Ah ? Qui c’est ? demanda Gabriel sans prendre la peine de relever les yeux vers nous.

- Tu pourrais au moins me regarder quand je m’adresse à toi, ce n’est pas parce que tu stresses que tu dois en oublier la politesse.

Etonnamment Gabriel céda, lâchant un léger soupir. Il se tourna vers nous et déclara lorsqu’il s’aperçut que j’étais toujours là :

- Qu’est ce qu’il fout là lui ?

- Gabriel ! Dit Philippe en haussant le ton. Juha va venir avec nous, c’est ton lad, le remplaçant de Tom.

- Quoi ??! cria presque Gabriel.

- Gabriel, je ne le répèterai pas deux fois. Arrête tout de suite ce comportement. Juha va t’aider aider, c’est le seul qui est disponible pour le faire et je pense que cela sera bénéfique pour vous deux.

Gabriel marmonna quelque chose pour la forme, exprimant ainsi son mécontentement, mais ne vint pas contredire la décision de Philippe.

- Juha, apporte tout le matériel que vient de rassembler Gabriel à l’avant du van, nous devons partir ou alors nous serons en retard.

Je m’exécutais aussitôt pendant que Gabriel et Philippe allait chercher son cheval. Durant tous les préparatifs, Gabriel m’ignora superbement, plus que je ne pouvais le supporter. Cela ne pouvait pas durer, c’est pourquoi alors que Philippe nous attendait dans le van avec Orphée, je coinçais Gabriel un peu à part :

- Tu vas continuer longtemps comme ça ?

- De quoi tu parles ? demanda-t-il agacé, feignant l’ignorance.

- Gabriel, oublions ce qu’il s’est passé hier soir, nous allons travailler ensemble et je ne voudrais pas que tu rates ton concours pour un simple bais…

- C’est bon ! Me coupa Gabriel, comme s’il ne voulait pas entendre le dernier mot. Aller, viens, on est déjà en retard.

Je ne répondis rien, agacé par cette attitude tout de même capricieuse et enfantine de sa part. Nous nous retrouvâmes donc tous trois dans le van. Je ne savais pas combien de temps durerait le trajet. J’étais assis à côté de la fenêtre, Philipe conduisait et Gabriel prenait son mal en patience entre nous deux, fixant Orphée par le biais de la caméra de surveillance.

Je tentais au mieux de reporter toute mon attention sur le paysage qui défilait pour ne pas me synchroniser avec le stresse de Gabriel. Seuls quelques paroles furent échangées entre lui et Philippe, puis quelques ordres et conseils me furent donnés pour l’arrivée. Après deux bonnes heures de routes, je devinais à leur excitation que nous allions bientôt arriver. Jamais je n’avais connu ce genre d’ambiance.

Ce fut le cœur battant que nous arrivâmes enfin. Tout se déroula très vite. On amena Orphée dans un box préparé à son attention, portant toutes les affaires nécessaires. Il y avait beaucoup de monde, et la tension qui régnait entre chaque personne était épuisante. J’aidais Gabriel au mieux, tandis que Philippe allait régler les papiers avec les organisateurs du concours. Orphée aussi était passablement excité, mais en le comparant avec la plupart des autres montures il avait un tempérament assez calme et posé. Gabriel était silencieux, tentant de se concentrer au mieux pour l’événement qui allait suivre.

Philippe revint un moment après avec de quoi boire et manger un peu. Il força Gabriel à avaler un petit quelque chose, et je dus faire de même n’ayant finalement pas très faim non plus. Après un repas succin, nous finîmes de préparer Orphée et nous nous rendîmes dans une carrière qui était faite pour détendre les chevaux et les échauffer avant de passer devant tout le monde pour le concours. Je l’accompagnais en silence, Philippe était allé rejoindre les gradins après lui avoir donné les dernières recommandations.

Nous étions donc tous les deux et je savais que c’était la dernière occasion pour lui dire ce que j’avais sur le cœur. Jamais ne n’avais ressenti une personne stresser autant. Lentement, je posais ma main sur son bras, en un geste si doux qu’il ne se sentit pas le moins du moindre agressé. Il tourna alors la tête vers moi. Mentalement je tentais de le rassurer et d’absorber une partie de son agitation, puis je déclarais plantant mes yeux dans les siens :

- Au plus profond de moi, je sens que tu en es capable, plus que tous ceux présents ici, je crois en toi Gabriel, je n’ai qu’une seule chose à te dire : Fais toi confiance…

Si Gabriel ne me répondit rien, à travers mon contact avec lui et son regard, je sentais qu’il avait envers moi une profonde reconnaissance. Mes simples mots l’avaient-ils touché à ce point ? Aucun son ne sortait pourtant de sa bouche et je commençais à me sentir sérieusement mal à l’aise. C’est alors qu’il mit une fin étonnante à mon supplice, après un léger sourire il me dit tout simplement « merci », avant de déposer à ma plus grande surprise me désarçonnant totalement, un simple baiser sur la joue.

Totalement déstabilisé, je cessais de marcher, le laissant pénétrer seul dans la carrière. Que venait-il de faire ? Qu’est ce que voulait dire ce geste ? Malgré moi, le rouge me monta légèrement aux joues, me signifiant que je rougissais. Je ne m’attendais vraiment pas à ce geste venant de sa part, surtout après le scandale qu’il m’avait fait pour un simple baiser. Gabriel était déjà en train de monter lestement sur sa monture, et tentant de retrouver mes esprits, je vins me mettre sur la barrière et le regardait évoluer avec les autres.

Orphée semblait être parfaitement à l’écoute de Gabriel qui semblait maintenant avoir fait le vide en lui. La concentration que l’on pouvait lire sur son visage, lui donnait un air encore plus charmant et attirant. Je repensais au baiser, à la chaleur de ses lèvres sur les miennes et au bien que cela m’avait procuré. Puis ce baiser sur la joue m’avait finalement troublé, je ne savais pas vraiment ou cela allait nous menait.

Car, même si je me refusais à ressentir quoi que ce soit pour lui, quelque chose était bien là et présent, et je ne pouvais aller à l’encontre. Je tentais de me persuader que jamais je ne répèterais la même erreur, qu’il y avait des circonstances différentes avec Killian. La question qui venait alors, c’est où allait mener ce genre de relation avec Gabriel ?

Soudain, le son des haut-parleurs annonça le début du concours, donnant l’ordre de passage. Gabriel passait le dernier. Je ne savais pas si cela était bien ou non pour lui, et c’est à ce moment là qu’il vint me voir en me tendant son pull. Il semblait avoir trop chaud.

- Prêt ? Lui demandais-je en levant la tête afin de pouvoir le regarder droit dans les yeux.

Gabriel me sourit et me répondit très fermement :

- Plus que jamais !

Il fit virevolter son cheval, et repartit au petit galop, dans le but de l’échauffer et le détendre encore un peu. Il semblait enfin déterminé et avait trouvé toute son assurance et sa confiance. Ce ne fut qu’une heure après, une fois que je lui avais apporté un peu d’eau qu’on hurla son nom et celui de Orphée afin qu’il passe. Mon cœur semblait battre aussi fort que le sien. Je l’accompagnais jusqu’à la grande carrière de concours, voulant être présent jusqu’au bout. Au regard qu’il me lança avant d’y aller vraiment, je sentis qu’il m’en était reconnaissant.

Je me reculais un peu mais restais à peu près à la même place. Je n’avais pas vu les autres, mais il était impressionnant comme Gabriel et Orphée semblait être à l’écoute de l’un de l’autre. Orphée était tout aussi concentré que Gabriel. Il se plaça au milieu de la carrière, attendant qu’on lui dise de commencer.

J’avais tellement envie qu’il gagne. Tous ces sentiments, ces ambiances qui circulaient étaient totalement nouvelles pour moi, et pour une fois je me laissais porter par cette agitation. Cependant, je restais toujours en lien avec Gabriel. Mon regard posé sur lui ne le quittait pas un seul instant. Le signal du départ fut donné et Gabriel entama ce qu’il avait répété depuis des mois.

Mes doigts se croisèrent et j’espérais de toutes mes forces qu’il fasse le meilleur score. Je n’arrivais même pas vraiment à écouter les commentaires qui semblaient complimenter Gabriel. L’épreuve ne durait que quelques minutes et pourtant elle me semblait durer des heures. La grâce avec laquelle Orphée exécutait les demandes de Gabriel était d’une beauté à couper le souffle. Lorsque ce moment pris fin, je ressentais presque un regret que cela ne dure pas plus longtemps.

Je tournais alors ma tête vers tous les spectateurs et en particulier les jurys, ils semblaient tous être tombés sous le charme. Je ne savais pas encore les résultats il était en train de décompté ses points, mais je savais qu’il allait gagner, j’en avais même la certitude. Gabriel qui s’était arrêté au milieu de la carrière revint alors vers moi, un grand sourire sur ses lèvres qui cachaient un peu la tension qui l’habitait.

Lorsqu’il arriva à ma hauteur, il descendit de son cheval, les mains légèrement tremblantes. Je ne pus me retenir de m’exclamer :

- Tu étais superbe ! C’était …

La grosse voix coupa mes paroles, annonçant qu’il y avait une erreur dans le décompte des points et que les résultats seraient donnés d’ici une dizaine de minutes. Gabriel marmonna quelques mots, puis nous allâmes au box d’Orphée avant de le faire boire et de lui mettre une couverture. C’était tout de même l’hiver, et l’effort qu’il venait de fournir l’avait rendu légèrement transpirant, il ne fallait surtout pas qu’il attrape froid. Arrivé au box, nous lui laissâmes tout de même sa scelle et sa bride car Gabriel devrait repasser devant tout le monde avec tout les autres lors de l’annonce des résultats. Cette attente était vraiment insoutenable…

Gabriel me laissa m’approcher de sa monture et l’aider à lui prodiguer des soins, signifiant qu’il me portait de plus en plus de confiance. Au souvenir de notre première rencontre dans le box d’Orphée, je souris.
Soudain, l’homme reprit la parole dans le haut parleur, mon cœur se serra lorsqu’il prononça le premier mot annonçant le gagnant. Lorsque j’entendis le nom de Gabriel, je criais presque de joie et sans réfléchir le moindre instant, je lui sautai au cou en le serrant très fort.

- Je te l’avais dis Gabriel, je… félicitations !!!

Etrangement, il répondit à mon étreinte. La joie qui émanait de lui m’envahissait tout en me réjouissant totalement. Il avait gagnait… La première place… Je resserrais encore un peu plus mon étreinte, me lançant aller à profiter de ce contact. Voilà maintenant tellement longtemps que je n’avais pas senti deux bras puissants et masculins autour de ma taille. J’avais oublié le bien que cela prodiguait. C’est alors qu’une voix qui ne nous était pas étrangère retentie à l’entrée du box :

- Félicitation Gabriel ! déclara Philipe.

Gabriel s’écarta alors vivement de moi, comme s’il avait honte de ce contact. Philipe ne sembla pas y prêter d’importance, et déclara :

- Allez, vient recevoir ton prix.

Un sourire étirait ses lèvres. Il avait une sorte d’attitude paternelle vis à vis de Gabriel, car c’était bien là le sourire de quelqu’un de profondément fière de son fils qui était présent. Nous repartîmes en direction de la carrière, heureux comme jamais.

A quelques pas de la carrière, il remonta sur Orphée et se rendit seul récupérer son prix. Jamais je ne l’avais vu aussi débordant de joie. Ce concours était tellement important pour lui… Il avait tenu à aller jusqu’au bout malgré les difficultés et il y était parvenu.

Nous restâmes côte à côte avec Philipe qui avait déjà attrapé son téléphone et qui prévenait le centre de la victoire de Gabriel. La cérémonie de la remise des prix dura un moment, et jamais le sourire ne quitta les lèvres de Gabriel qui était plus que fier. Après bien des acclamations, Philipe alla régler les derniers papiers, pendant que j’allais m’occuper d’Orphée avec Gabriel. Pendant qu’il lui offrait un bon pansage plus que mérité, je m’occupais de ranger les affaires. Nous fîmes tous deux monter Orphée dans le van, il était déjà une heure avancée de l’après-midi, et il fallait partir si nous voulions arriver avant la nuit.

Gabriel tenait fermement son prix durant tout le trajet en voiture qui se fit dans la bonne humeur générale. Cette tension insoutenable qui avait été présente sur le chemin de l’allée, était remplacée par l’euphorie de la victoire. Lorsque nous arrivâmes enfin au centre, la tombée de la nuit était proche. Nous nous occupâmes en priorité avec Gabriel de son cheval, puis je finis de ranger le matériel pendant qu’il allait voir si sa jument allait bien.

Philippe était partit dans son bureau, et nous le rejoignîmes une vingtaine de minute plus tard. Lorsque nous frappâmes à la porte, personne ne répondit. La lumière était éteinte et constatant qu’il y avait de l’agitation dans le réfectoire, nous nous y rendîmes tous les deux. Les tables avaient été déplacées pour être disposées d’une toute autre manière. Des boissons y avaient été déposées ainsi que quelques petites choses à grignoter.

Presque tous était présent, et acclamèrent Gabriel lorsqu’il arriva. Beaucoup se ruèrent sur lui pour le saluer, et je préférais me mettre un peu à l’écart, ne supportant pas lorsqu’il y avait trop de monde. Trop de sentiments étrangers à repousser…. Gabriel s’aperçut de mon soudain éloignement, et me jeta un regard intrigué. Mais son attention fut vite accaparée par les autres. Je restais ainsi en retrait, spectateur du bonheur de Gabriel. Je savais que cela ne guérirait pas totalement sa douleur bien plus profonde, mais cela l’apaisait au moins un peu. Dorian vint alors me voir, je ne lui avais pas spécialement reparlé depuis ce fameux soir, et j’appréhendais un peu.

- Alors qu’as tu pensé de ce concours, c’est la première fois que tu en voyais un, non ?

- Oui, c’était très intéressant, dis-je avec le sourire, tentant de cacher mon léger malaise.

- Tu veux boire quelque chose ? me demanda-t-il.

- Oui pourquoi pas.

C’est ainsi que nous nous dirigeâmes jusqu’à la table des boissons. Je sentis posé sur moi un instant le regard de Gabriel. Amusé, je pris le verre que me tendis Dorian et allais discuter un peu plus loin avec lui. Il fallait de toute manière que je m’écarte un peu de toute cette agitation qui pompait mon énergie.

Nous parlâmes de tout et de rien, jusqu’à ce qu’il aille voir d’autres amis, me laissant seul. Je profitais donc de cet instant de calme, pour me retrouver un peu. Plusieurs fois je sentis le regard de Gabriel se poser sur moi. Je ne savais pas vraiment ce qu’il se passait, mais depuis que nous nous étions enlacé dans le box lorsque nous avions appris sa victoire, je ne pouvais m’empêcher de ressentir quelque chose d’étrange.

Je me remémorais la chaleur de son corps tout contre le mien… Et ce baiser qu’il avait déposé sur ma joue… Jamais je n’aurais pensé que Gabriel puisse être quelqu’un d’aussi doux et sensible. Jamais je ne l’avais détaillé avec ce regard. Il m’aurait été impossible de dire qu’il ne m’attirait pas. Gabriel était un homme très beau. Ce soir là, ces yeux bleus océans brillaient de joie, éblouissant quiconque s’y plongeait un peu trop longtemps.

C’est alors qu’une personne qui n’aurait pas due venir fit son entrée dans la pièce. Marion dédaigna tout le monde et alla directement jusqu’à Gabriel. Elle s’interposa devant tout le monde et lui offrit un grand sourire avant de déclarer d’une voix qui trahissait son hypocrisie :

- Félicitation Gabriel ! A croire que je me suis trompée ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un type comme toi puisse arriver à gagner quoi que ce soit un jour. Ca doit cacher quelque chose, dit-elle en prenant une moue dubitative.

Voyant l’expression de Gabriel changer, je m’approchais un peu. Etonnamment il n’était pas en train de se mettre en colère ou du moins ne semblait pas y parvenir. Elle était en train d’appuyer là où cela faisait mal, et quelque chose me disait qu’elle avait connaissance d’une partie du passé de Gabriel et de la raison de sa douleur quotidienne. Comme pour l’enfoncer un peu plus elle ajouta :

- Ah je sais, tu as triché pour pouvoir gagner, il n’y a que cela. Quand on sait d’où tu viens on comprend qu’il est impossible que tu puisses faire quoi que ce soit de ta vie.

Le bonheur et la joie de Gabriel s’effilochaient à vue d’œil. Je le sentais, il était à deux doigts de pleurer. Comment cette femme pouvait-elle être aussi mauvaise ? Cette situation ne pouvait pas durer, Gabriel semblait tellement blessé qu’il ne répondait rien, ne cherchant même pas à se défendre. Jamais je ne l’avais vu aussi abattu. Malheureusement, Marion repassa à l’attaque :

- Dis moi Gabriel, c’est quoi ton secret ? T’es passé sous la table pour pouvoir gagner ? C’était des bons coups les jurys ?

S’en était trop, je ne pouvais pas supporter que Gabriel se fasse ainsi détruire. Cette femme était en train de ruiner tous les effets de sa victoire. Maintenant à côté de Gabriel, ma main partie toute seule avant d’atterrir sur sa joue.

Tout le monde se retourna suite au bruit de la gifle, me regardant ébahi. J’y étais peut être allé un peu fort, mais la colère avait été trop grande. Gabriel me regardait comme sous le choc, ne semblant pas s’attendre du tout à une réaction si imprévisible de ma part. Sans me départir de ma hargne je criais presque, défendant de toutes mes forces l’être qui m’était devenu très cher malgré moi :

- Tu n’as pas d’autres endroits pour aller cracher ton venin ! Espèce de petite garce, tu ne vaux vraiment pas la peine qu’on reste en ta compagnie, viens Gabriel, on s’en va ! Bonne soirée à tous et à demain.

J’attrapais Gabriel par le bras, l’attirant avec moi. Il était légèrement tremblant, et je dus faire appelle à toutes mes forces pour ne pas me faire envahir de sa peine ravivée comme jamais.

Une fois à l’extérieur, je tournais la tête vers Gabriel. Les larmes qu’il avait jusqu’à maintenant retenues commençaient à poindre au coin de ses yeux. Sans perdre un seul instant, je l’attirais jusqu’à moi, lui prêtant mon épaule pour qu’il se lâche enfin.

C’est un sanglot déchirant qui parvint à mon oreille, scindant douloureusement mon cœur en deux. Je sentais ses larmes couler dans mon cou, et ses deux bras venir me serrer très fort, comme pour me remercier d’être là. Lentement, je fis glisser ma main sur son dos dans un mouvement d’aller retour, dans le but de le consoler au mieux.

Sa tête était enfouie dans mon cou, légèrement reposée sur mon épaule et il pleurait évacuant sa peine du mieux qu’il pouvait. Mon autre main passa dans ses cheveux dans un geste très tendre qui l’apaisa un peu tout autant que cela sembla l’intriguer.

Nous restâmes un moment ainsi, tout deux enlacés. Plusieurs fois je lui murmurais quelques mots de réconfort, attendant patiemment qu’il se calme. Ce fut le froid qui nous força à nous écarter un peu lorsque ses larmes se tarirent enfin. Son regard était maintenant fuyant, gêné d’avoir craqué ainsi devant moi. Nos visages étaient tellement proche l’un de l’autre, et nos corps encore collés. Il me suffisait de parcourir quelques centimètres pour effleurer de nouveau ses lèvres, mais par force de volonté je fis, après un temps, le mouvement inverse.

A contre cœur, je me détachais de cette étreinte, quittant l’emprise qu’il venait d’avoir sur moi. Décidant de mettre totalement fin à cet instant si tentateur, je lui demandais alors, espérant une réponse positive de sa part.

- Tu viens chez moi ce soir ?

- Pourquoi pas, me répondit-il d’une petite voix faible et honteuse.

Il m’aurait dit non, je l’aurais forcé. Il était impossible qu’il reste seul dans cet état. Il alla chercher les clefs de la voiture dans le bureau, prenant soin de ne pas aller dans le réfectoire, pendant que j’allais prévenir Philipe de notre départ. Même si j’étais gêné de l’affronté alors que je venais de frapper et d’hausser le ton sur sa fille, je ne voulais surtout pas que Gabriel ait à affronter de nouveau tout le monde. Il était justement avec Marion et je priais pour qu’il me voit avant que je n’arrive à leur hauteur. Heureusement, il redressa la tête, et vint directement me voir :

- Comment va-t-il ?

Extrêmement gêné, je ne répondis pas tout de suite à sa question :

- Je suis désolé pour Marion, j’ai… Je…

- J’ai assisté à la scène Juha, tu n’as pas besoin de te justifier. N’abordons pas ce qu’elle a fait, je m’en chargerais avec elle. Comment va Gabriel ?

- Il… Il vient chez moi ce soir.
Philippe m’offrit alors un sourire, l’inquiétude quittant peu à peu son visage et il souffla en quelques mot :

- Merci Juha… Merci pour tout ce que tu fais pour lui.

Je répondis alors par un sourire gêné et nous nous séparâmes en nous souhaitant une bonne soirée. Je rejoignis Gabriel qui m’attendait dans la voiture. Il abhorrait une expression assez froide qui trahissait sa peine. Lorsque je fus dans la voiture, Gabriel démarra. Il ne mit même pas sa musique, laissant le silence s’installer entre nous. Ou était passé la joie qu’il avait encore il y avait à peine une heure ? Rapidement, nous nous retrouvâmes chez moi. Gabriel alla directement s’asseoir dans le canapé.

- Tu veux boire quelque chose ? Demandai-je alors.

- Non, je n’ai pas soif, merci…me dit-il la voix lasse.

- Je vais préparer à manger dans ce cas.

- Je n’ai pas très faim non plus…

Ne supportant plus cette attitude, je vins m’asseoir à côté de lui.

- Je sais que je suis assez mal placé pour te poser des questions sur ton passé, mais… Enfin voilà… Est ce que je peux t’en poser quelques unes ?

Gabriel tourna la tête vers moi surpris. Il ne semblait vraiment pas s’attendre à cela.

- Tu n’es pas obligé de me répondre, si c’est trop personnel, tu peux ne rien me dire. Mais je souhaiterais juste comprendre certaines choses, comme la réaction de Marion par exemple et l’effet qu’elle a eut sur toi.

Je choisissais mes mots avec difficulté, ayant très peur de le braquer totalement. Mais Gabriel me répondit simplement :

- Je t’écoute.

Je n’aimais pas le ton que prenait sa voix, elle était bien trop triste et trop grave. Rassemblant mon courage, je posais ma main sur la sienne et lui demandais :

- Marion a fait allusion à ton passé, en dénigrant d’où tu venais…

J’avais fait exprès de poser ma main sur la sienne. Grâce à cela, je pouvais en savoir plus que ce qu’il ne me transmettrait pas ses propres mots. Certes cette méthode n’était pas très loyale mais il n’y avait que comme cela que je pouvais l’aider.

- Je… C’est trop personnel désolé, je n’ai pas envie d’en parler.

Presque immédiatement, je décelais de la honte dans sa voix et dans son attitude, et toujours cette peur, la même qui l’avait glacé la dernière fois lors de notre baiser. Qu’avait-il vécu pour qu’il soit à ce point traumatisé et si profondément blessé. Sans trop réaliser que je parlais en même temps que je pensais, je déclarais :

- De quoi as-tu si peur et si honte ?

Ma question mourût dans un silence, les larmes commençaient de nouveau à perler sur le coin de ses yeux. J’avais envie de le prendre dans mes bras, et de sécher de mes doigts ses larmes, mais je sentais qu’il n’accepterait pas ce geste maintenant. C’est pourquoi je ne fis que resserrer l’étreinte de ma main sur la sienne.

Je finis par reprendre la parole, cessant ce silence qui était en train de l’oppresser :

- Ca fait combien de temps que tu étais avec Marion ?

Gabriel tenta de se ressaisir et me répondit :

- Six ans environ…

- Ah oui ? Tant que ça ? Comment en êtes vous venu à ce genre de rapport ?

Gabriel prit une profonde inspiration, bien décidé à me répondre et commença :

- A dix-huit ans je suis venu travailler dans ce centre. Marion comme tu le sais est la fille de Philippe. Personne ne faisait vraiment attention à moi, je n’étais qu’un petit nouveau qui avait à peine atteint sa majorité. Marion a été la seule à venir me parler, alors naturellement nous nous sommes rapprochés. Je.. Je pensais vraiment que je l’aimais, mais je peux t’avouer que je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Et pourtant notre relation à continuer se détériorant jusqu’à maintenant.

- Est ce que c’est une question d’orientation sexuelle ? Me risquais-je à demander.

Gabriel tiqua et répliqua aussitôt :

- Pourquoi cette question ?

- Je… C’est que… Vis à vis des sous entendus qu’elle a fait… Désolé, je n’aurais pas du te demander cela.

J’allais même jusqu’à ôter ma main de la sienne, très mal à l’aise. Il me fallut un temps pour me reprendre. Cette fois-ci ma main se posa sur son épaule et je lui déclarais très sérieusement :

- Quoi que ce soit Gabriel, je suis mal placé pour te juger. Tu ne devrais pas avoir honte de toi, tu es quelqu’un de très bien au fond de toi, et tu l’as prouvé aujourd’hui lors du concours. Quoi que t’ai dis Marion, tu as mérité cette place à sa juste valeur plus que tout autre, alors ne gâche pas ta joie pour elle.

Gabriel tourna alors la tête vers moi, quelques larmes coulaient silencieusement de ses yeux. Il me demanda profondément intrigué :

- Pourquoi est ce que tu t’acharnes à vouloir m’aider comme ça ?

Surpris par sa question, je fus pris de court. Que répondre à cela ? Jamais je ne pourrais lui dévoiler la vérité.

- Je… Parce que… J’en ai envie tout simplement…

Je restais très elliptique. A cette question je ne savais finalement pas quoi répondre moi-même.

- Je ne te comprends pas… A quoi cela te sert-il ? Je n’en vaux vraiment pas la peine tu sais.

- Non ça c’est sur, si tu continue à te rabaisser ainsi ! Si j’ai envie de t’aider et bien je le ferais. Laisse les autres juger de ta valeur car s’il y a une chose dans laquelle tu n’excelles pas, c’est l’estime de toi.

Je parlais durement et je le savais, mais je ne supportais pas de le voir se rabaisser ainsi. Après un long silence ou Gabriel médita sur mes paroles, il finit par se lever et déclarer :

- Je vais me laver, j’en ai pas pour longtemps.

-  Très bien je vais faire à manger pendant ce temps.

Gabriel se leva, tentant au mieux de cacher son trouble. Ayant déjà passé plusieurs nuits chez moi, il avait laissé un bas de pyjama et un t-shirt tout simple chez moi. Il les attrapa au passage avant de se rendre directement jusqu’à la salle de bain.

Je me rendis donc dans la cuisine, préparant un repas simple, mais copieux au vu des efforts et des émotions intenses qu’il avait eu aujourd’hui. Il vint assez rapidement me rejoindre, et je lui demandais de mettre la table, pendant que j’allais à mon tour prendre une douche. Je profitais des bienfaits de l’eau et réfléchissais à notre conversation. Plus j’en apprenais sur lui, plus j’étais intrigué par cet homme.

Lorsque je sortis de la douche, je m’aperçus que j’avais oublié mon t-shirt dans le salon. Après m’être séché et avoir enfilé un simple pantalon, je me rendais dans le salon torse nu, où se trouvait Gabriel en train de regarder la télévision. Je passais devant lui, sentant très vite son regard posé sur moi. Il me fallut un temps pour comprendre qu’il regardait en réalité le tatouage que j’avais sur l’épaule.

C’était fou comme ce genre d’attention m’avait manqué, moi qui en avais été tant dépendant à l’époque. Je me rendais compte de l’effet que ces dix années avaient eu sur moi. La vie avant la mort de Killian… J’avais tout enfoui en moi et je ne voulais pas m’en rappeler. Sa mort n’en était que plus dure. Peu à peu je me laissais aller dans ce baiser à la fois si tendre et passionné. Gabriel se laissait porter par mes envies, ne prenant pas encore l’initiative. Lorsque le baiser prit fin, je m’écartais légèrement de lui et déclarais avec un grand sourire :

- Bonjour Gabriel, bien dormi ?

Aussitôt il vira au rouge, semblant réaliser seulement maintenant tout ce qui venait de se passer, jusqu’au baiser que je venais de lui donner.

- Je… Oui, dit-il de plus en puis plus gêné.

Je ne pus retenir un petit rire, et lui dit :

- Assieds-toi, je t’apporte ce dont tu as besoin.

Rapidement nous nous mîmes à déjeuner dans une ambiance à la fois agréable et à la fois assez gênée. Je finis par me lever et j’allais m’habiller puis pendant que Gabriel était allé faire un tour dans la salle de bain, je rangeais un peu l’appartement.

Puis nous prîmes la voiture pour nous rendre au centre. Je sentais son cœur bien plus léger que la veille. Nous passâmes une bonne partie de la journée ensemble. Il me faisait de plus en plus confiance et me confiait des tâches plus importantes en plus de celles que j’avais à accomplir chaque jour.

Au repas de midi, nous mangeâmes ensemble, en ignorant superbement Marion qui chuchotait quelques mots à notre égard à son voisin de table. Au vu du lieu où nous nous trouvions et à la gêne toujours présente de Gabriel, je ne tentais à aucun moment de l’embrasser. En quelques jours je venais de découvrir une autre facette de sa personnalité bien plus fragile que ce qu’il laissait paraître. En aucun cas cependant je ne lui faisais remarquer ou le taquinait avec cela.

Le soir arriva très vite, et n’ayant aucune envie de me séparer de lui ce soir, j’allais le rejoindre alors qu’il était en train de réparer un filet. Marion et Dorian n’étaient pas très loin mais je ne leur prêtais pas la moindre attention.

- Je sais que tu es déjà venu hier, mais est-ce que ça te dis de dormir chez moi ce soir ?

J’appréhendais un peu sa réponse, et pourtant c’est avec un grand sourire qu’il me répondit avec tout le naturel du monde :

- Je finis ça et on y va.

Ayant soudain envie de le taquiner, je répliquais alors amusé de sa réaction :

- Je me trompe où tu as l’air de te sentir comme chez toi dans mon studio, mieux que dans ta petite chambre en tout cas.

Gabriel leva alors les yeux vers moi les planta dans les miens et dit avec tout le sérieux du monde quelque chose qui me toucha beaucoup malgré la maladresse de l’expression :

- J’en ai marre de la solitude, quand je peux être avec une personne que j’apprécie.

Je ne répondis que par un sourire et allait récupérer mes affaires avant de l’attendre à la voiture. Je passais devant Marion et Dorian qui avaient assisté à la scène les ignorants avec superbe.

Gabriel ne mit pas très longtemps à me rejoindre et nous partîmes jusqu’à mon studio. Nous fîmes quelques courses avant, n’ayant plus grand chose dans mon frigo. Je réalisais au moment de passer à la caisse que pleins de choses que j’avais prise étaient mangées uniquement par Gabriel.

Nous nous retrouvâmes finalement en train de manger un petit plat tout simple sur le canapé devant la télévision, tous deux fatigués par la journée. Nous parlions de tout et de rien. Je me levais un moment, demanda à Gabriel ce qu’il voulait comme dessert et débarrassais afin que nous soyons plus à l’aise. Je revins quelques minutes plus tard me mettre à ses côtés lui tendant la pomme qu’il m’avait demandée.

L’ambiance était détendue comme jamais, me permettant de me reposer comme rarement il m’en avait été possible. Je ne sus pas vraiment comment, quelques temps après que nous ayons fini notre dessert, nous nous retrouvâmes l’un tout contre l’autre, profitant de la présence et de la chaleur du corps de l’autre. Puis, à un instant, nous tournâmes lentement la tête l’un vers l’autre, nous fixant l’un l’autre d’un regard intense.

Progressivement et sans heurt aucun, nos lèvres se rapprochèrent avant de s’unir pour la deuxième fois de la journée. J’y avais à peine goûté, et j’étais déjà en manque. Toute la journée, je n’avais cessé de regarder ses lèvres et de me retenir. Gabriel avait déjà entrouvert ses lèvres, se tournant un peu plus vers moi afin de me prendre dans ses bras.

Nous nous enlaçâmes, laissant nos langues entamer une nouvelle danse très tendre apprenant encore à se connaître. Sans trop m’en rendre compte au fur à mesure dans le baiser, je laissais mes mains un peu plus libre de vagabonder sur le corps de Gabriel. Les siens étaient bien moins mobiles que les miennes, bien qu’au fur et à mesure dans le baiser, je tentais de lui communiquer un peu plus de passion et de désirs.

Mes mains finirent après beaucoup de patience à glisser sous son t-shirt, ayant plus que tout envie de sentir sa peau sous ma main. Je remontais tout le long de son dos, lui laissant un frisson. Mes mains partirent ensuite plus lentement et sensuellement à la découverte de cette peau nue qui leur était offerte.

Plusieurs fois je sentis Gabriel frémir. Il semblait se retenir constamment de se laisser aller lui aussi, comme s’il avait peur de quelque chose. Je commençais à supporter avec bien plus de difficultés le fait de ne rien savoir. Alors que je caressais son dos, mon doigt sembla passer sur un aspect différent de son dos.

Aussitôt, je fus comme envahi de cette douleur que j’avais ressentie la première fois où je l’avais touché. Elle était tellement violente, qu’elle dévastait tout en moi sur son passage. Il semblait soudain gêné que je pose ma main sur cet endroit précis de son dos, car il s’écarta soudain, quittant mes lèvres.

- Je vais me laver… commença-t-il par me dire gêné.

Puis s’apercevant de la pâleur soudaine de mon visage, tentant de me remettre de ce qui venait de s’écouler en moi, il déclara :

- Ca va Juha ?!

- Oui, juste un petit coup de fatigue…

- Hn… dit-il dubitatif, avant de se lever et de se rendre dans la salle de bain.

Je me laissais aller dans le fauteuil, laissant doucement l’énergie revenir en moi, tentant de me remettre. Je fermais les yeux un instant, ramenant la paix après la bataille qu’avait déclenché en moi la souffrance de Gabriel. Je les rouvris lorsque je sentis une présence à côté de moi. C’était Gabriel simplement en serviette qui, gêné, venait chercher ses vêtements qu’il avait oubliés dans sa précipitation.

Mon regard se posa alors directement sur son dos qui se trouvait face à moi. Une longue et fine cicatrice lui zébrait le dos. C’était bien cela que j’avais touché tout à l’heure. Une foule de questions vinrent dans ma tête. Pourquoi Gabriel avait-il cette cicatrice qui était indéniablement liée à son passé ? Qui et pourquoi lui avait-on fait cela ?

N’y tenant plus, je me redressais légèrement alors qu’il se retournait et lui demandais :

- Gabriel ? Qu’est que tu t’es fait au dos ?

Je vis aussitôt ses traits s’effondrer, comme s’il redoutait cette question tout autant que mes questions sur son passé. Alors qu’il allait ouvrir la bouche, la sonnerie de ma porte retentie.

- Je, je vais ouvrir. Je reviens.

Gabriel acquiesça et se dirigea directement jusqu’à ma salle de bain. Je me demandais qui cela pouvait être, mais je n’y prêtais pas grande importance, encore plongé dans les questions au sujet de Gabriel. A peine eu-je ouvert la porte qu’un frisson de terreur me pris. Le frère de Killian plus haineux que jamais se tenait à une mètre de moi. J’eus à peine le temps de crier le début du nom de Gabriel qu’il me sauta à la gorge, m’étranglant de ses deux mains.

Il me plaqua contre le mur. Pris de panique, ne pouvant même plus respirer, je tentais au mieux de me débattre, tentant en vain de repousser ses mains avec les miennes. Je priais pour que Gabriel arrive et c’est heureusement ce qui arriva. Il se rua derrière le frère de Killian avant de le tirer en arrière avec une force décuplée par la rage. Il lui envoya son poing dans la figure sans que le frère de Killian n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Je portais mes mains à ma gorge, la massant un peu, après avoir repris une profonde inspiration. Après un regard inquiet pour moi, Gabriel déclara :

- Je crois que tu n’as pas très bien compris la dernière fois !!!

Le frère de Killian se redressa, en se massant la mâchoire après une grimace de douleur. Une fois debout, il se mit en face de Gabriel qui s’était placé devant moi dans une attitude protectrice. Toutefois, ce fut à moi que le frère de Killian s’adressa :

- Comment ça se fait qu’il te protège autant lui ? Tu l’as encore embobiné comme Killian ? Ca ne m’étonnerait pas de toi petite enflure ! Dis moi tu lui réserves la même fin ?

- Arrêtez ça tout de suite ! dit Gabriel, menaçant.

J’étais totalement tétanisé. Je ne savais pas pourquoi, mais je m’attendais au pire. Qu’allait-il se passer et surtout qu’allait répondre le frère de Killian à Gabriel qui ouvrait déjà la bouche.

- Je me méfierais si j’étais toi, je ne ferais pas confiance à un mec qui sort tout juste de prison.

Je vis Gabriel se raidir tout de suite, et il se tourna vers moi. 

- De prison ??? Juha tu sors de prison ?

Je ne pus que détourner le regard à sa question, les larmes venant déjà mouiller mes yeux.

- J’m’en doutais que cette petite merde t’ai rien dit.

Gabriel se retourna aussitôt, voulant se ruer sur lui pour maintenant déverser la colère qu’il ressentait aussi pour moi. Mais le frère de Killian esquiva et s’enfuit par la porte d’entrée encore ouverte. Gabriel ne bougea pas, il me tournait le dos et ses mains tremblaient de rage. A cet instant, je sus que le bonheur que j’avais effleuré venait d’être briser à jamais, détruit par mon passé qui me collerait toujours à la peau. Ne voulant pas que sa colère éclate et qu’il abatte sa haine trop violemment sur moi, je tentais en vain de l’apaiser :

- Je suis désolé Gabriel, j’aurais du te le…

- Tais-toi !! Me hurla-t-il en se retournant. Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu me cacher cela ? A ce stade de notre relation !

Je me laissais glisser le long du mur, n’ayant plus la force de rester sur mes deux jambes. Je tremblais de terreur et de souffrance, supportant avec extrêmement de difficulté les mots blessants et haineux de l’homme avec qui je m’étais attaché plus que je ne l’aurais du.

- Tu… Tu m’as trahis Juha, j’aurais mieux fait de te laisser seul avec le frère de Killian ! Tu… Je te déteste ! Ne m’approche plus jamais.

Gabriel pris un instant sa respiration avant de recommencer de plus belle :

- Tout ce qu’on a fait… Pendant tout ce temps… Ne m’adresse plus jamais la parole ! Ne viens plus jamais me voir et surtout ne pose plus jamais la main sur moi. Toutes ces belles paroles sur la confiance…
Assis, les genoux repliés sur moi, je tentais vainement de dire, voulant me défendre une dernière fois, la voix enrouée :

- Gabriel, je suis désolé… J’aurais du te le dire… Pardonne-moi… J’avais peur de ta réaction… Je ne voulais pas que tu me rejettes en sachant… Je…

- Est ce que tu avais au moins l’intention de me le dire un jour ?! Tu me dégoûtes ! Me cracha-t-il au visage d’une voix froide trahissant sa haine.

Plus une seule fois il ne reposa ses yeux sur moi. Il alla récupérer toutes ses affaires et sortit de mon studio en claquant la porte, me laissant seul avec ma peine.

Sans résister, j’éclatais littéralement en sanglots, posant ma tête entre mes bras contre mes genoux. Je pleurais de douleur face à ce rejet. Pourquoi avait-il du l’apprendre ? Face à sa réaction je savais que tout entre nous deux était fini à jamais, après même que cela est tout juste commencé.

Je me rappelais du goût de ses lèvres et de sa sensibilité qu’il m’avait plusieurs fois laissé entrapercevoir. Ma poitrine se serra si douloureusement que j’eus du mal à respirer, me repliant encore un peu plus sur moi-même. Avait-il parlé sous le coup de la colère ? J’en doutais… Je repensais à ses derniers moi « Tu me dégoûtes », et de la haine qui avait déferlé sur moi.

Des spasmes commencèrent à me saisir, il fallait que je me lève, que je fasse quelque chose, il ne fallait pas que je reste ainsi. J’étais littéralement épuisé, ma gorge me brulait. J’avais encore l’impression d’y sentir les mains du frère de Kilian. Les tremblements étaient de plus en plus violents et je ne cessais de pleurer. J’avais tellement mal au cœur…

Je ne sus comment je parvins à me lever et à marcher jusqu’au canapé où Gabriel avait si souvent dormi. Je n’arrivais pas à aller jusqu’à mon lit. Cela me rappelait encore la dernière nuit que nous avions passé tout contre l’autre. Recroquevillé, je tentais tant bien que mal de me calmer. Je restais ainsi à pleurer un temps interminablement long, jusqu’à fermer les yeux pour me couper du monde. Peut être n’aurais-je pas dus souhaiter dormir…

Flash back

J’eus à peine le temps d’ouvrir de nouveau les yeux, qu’un deuxième poing vint atterrir dans mon ventre, juste en dessous de mes côtes. J’étais totalement perdu.

- Alors comme ça on se prend pour un tueur ? Tu vas voir ce qu’on leur réserve nous aux mecs dans ton genre.

- Arrête Jack, c’est quand même qu’un gamin.

- Il a été émancipé, et puis à dix-sept ans on est plus un gamin ! Il ne mérite que ça.

A peine eut-il terminé sa phrase qu’il me cracha au visage. J’étais totalement paralysé et je n’osais esquisser un seul (il manque un mot « mouvement » « geste »). Je venais à peine d’entrer en prison que c’était déjà l’enfer. Mais le pire était que je n’avais pas encore rencontré les prisonniers… Pour le moment, j’étais seul face à la haine de ces deux gardiens, heureux d’avoir trouvé quelqu’un de plus faible.

Seulement, jamais je n’eus une quelconque réaction. J’étais trop emprisonné dans ma propre douleur. Un seul nom me venait à chaque fois à l’esprit… Killian. Depuis l’instant même où il avait fermé les yeux, mon cœur saignait de cette douleur vive et amère sans cesser un seul instant.

L’un d’eux attrapa alors un dossier posé sur le bureau. Un homme s’y tenait assis depuis le début et prenait un malin plaisir à voir ses deux acolytes faire ce qu’ils voulaient de moi. Je n’aimais pas son regard et la façon qu’il avait de poser ses yeux sur moi me donnait froid dans le dos.

J’avais l’impression qu’il me réservait bien pire que ce que ces deux hommes étaient en train de me faire. Je sentais la douleur de mon corps mais elle n’était en rien comparable avec celle de mon âme blessée et brisée à jamais. J’étais assis sur une chaise, les mains derrière le dos attachées par des menottes. J’étais totalement offert à eux. Après les claques, ils en étaient venus au poing souhaitant ne pas trop m’abîmer le visage. L’homme qui était maintenant en train de lire le dossier, leva un instant les yeux de ses feuilles et me regarda en me demandant :

- Alors quelle était ta victime salaud ?!

Il regarda un instant son cahier avant de reposer son regard sur moi :

- Killian… Pas la peine de te dire son nom, je pense que tu le connaissais… Alors comme ça, tu as assassiné Killian ! Il est mort par ta faute ! Et comment tu as fait ça ? Avec une balle dans la tête… Et bien on ne fait pas les choses à moitié.

Rien qu’entendre son nom me soulevait le cœur.  Alors en entendre autant était impensable. Je savais ce dont j’étais fautif, et ma culpabilité était bien assez grande.

- Maintenant, je t’en fais la promesse, à partir de ce jour tu regretteras à jamais ce que tu as fait…

Je culpabilisais depuis l’instant même où le coup était parti… Ce n’était même plus de la culpabilité. Ce que je ressentais n’avait pas de nom. Peur, peine, regrets, souffrance, douleur, rancœur contre mon être, terreur du futur, terreur du présent, angoisse de la vie que j’allais maintenant devoir affronter sans Killian dans un milieu des plus hostiles.

Ils continuèrent à mêler coups et remarques blessantes, allant jusqu’à me faire tomber lourdement sur le sol. J’avais envie de leur hurler ma douleur, j’avais envie d’extérioriser ce qui me rongeait pourtant aucun mot ne sortait de ma bouche, aucun son… Je ne savais même plus quoi faire, ni comment réagir. J’étais tombé dans un gouffre qui se refermait peu à peu sur moi…

Et cette image atroce de Killian, inerte sur le sol, baignant dans le sang qui ne cessait de couler. Le tapis s’en était imbibé peu à peu, me laissant une image terrifiante de l’homme que j’aimais, ma moitié que j’avais à jamais perdu. Pourquoi ? Pourquoi y avait-il eu une seule balle ?

Pourquoi m’avait-on interdit la mort ? N’étais-je pas ce que je méritais, ces quinze ans de prison. Mais même un an, un jour ou une seule seconde dans cet endroit étaient impensable dans ce lieu. Les coups de poing avaient laissé place au coup de pied, finissant leur course dans mon ventre et moins lourdement parfois dans mes côtes. J’avais l’impression que jamais cela n’allait prendre fin.

Les insultes, elles aussi pleuvaient de plus en plus durement. J’entendis des choses si rabaissantes, humiliantes et blessantes que cela faisait presque aussi mal que les coups. Tout pour m’enfoncer un peu plus la culpabilité gigantesque du meurtre que j’avais commis.

Soudain, les coups cessèrent et les deux hommes s’éloignèrent légèrement de moi ? J’avais de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts, ma tête tournait si fort qu’il m’était de plus en plus difficiles de me situer dans la pièce. Ma respiration était elle aussi plus dure, à cause des coups. J’avais l’impression que la fin était proche, encore quelques coups et je me laisserais totalement détruit par cette haine.

u’importe ce que j’allais subir, le goût de la vie m’avait définitivement quitté. Seulement rien ne m’arrivait depuis plus d’une minute. Je finis résigné, comprenant que c’était ce qu’ils attendaient de moi, grâce à ce don qui m’avait amené à ma perte, à tourner la tête vers eux. Ils s’étaient installés à côté de l’homme appuyé sur le bureau, silencieux depuis le début, tels des gardes du corps. Dès que je croisais son regard, je frissonnais face au mal qu’il dégageait. Il déclara soudain après un rictus haineux :

- Tu as voulu jouer au plus malin et au plus fort. Tu vas payer pour le crime que tu as commis dans cette prison et de la plus horrible des façons qui soit. Nous allons juste t’offrir un petit aperçu…

Il fit signe à ces deux hommes et s’approcha de moi. J’avais le corps tellement meurtri que je ne cherchais même pas à fuir ou à me défendre. Allonger sur le côté, je continuais de fixer l’homme qui m’approchait lentement. Les deux autres étaient à ma hauteur et attendaient l’ordre de leur supérieur. Alors qu’il était maintenant à peine à quelques mètres de moi, il s’arrêta et déclara sans quitter mon regard :

- Relevez-le ! Mettez-le face au mur, collé contre !

Les hommes s’exécutèrent et je me laissais faire, totalement soumis. Quoi qu’allait me faire subir ces hommes, quoi que j’allais devoir supporter, rien n’égalerait la douleur que je ressentais depuis l’instant même où j’avais pressé sur la détente. J’aurais pu tout endurer, peut être que je voyais cela comme une punition…

Tout ce que l’on était en train de faire, plus que tout je trouvais que je le méritais, la culpabilité était trop forte pour que je ne subisse rien. Quelque part, je pensais que j’avais besoin de tout cela.
On me plaqua contre le mur, me soutenant par les épaules. Je ne pouvais rien faire, j’avais toujours les mains dans les menottes. Il m’était impossible d’espérer ne pas vivre ce que j’allais vivre. Je sentais l’haleine brûlante des hommes de chaque côté de mon visage, qui une fois de plus me rabaissait avec les mots.

Je sentis soudain le troisième homme passer ses mains sur mes fesses, me communiquant involontairement son envie. Je compris aussitôt, bien avant qu’il commence à ouvrir mon pantalon et à le baisser. Face au mur, je ne pouvais pas voir son visage, je ne pouvais pas voir ce qu’il faisait. Je ne pouvais nier que j’avais peur, mais je savais que je pouvais subir autant de viol qu’il le souhaitait, jamais cela ne réduirait ma douleur. Il le baissa jusqu’à mi jambe, entraînant mon boxer avec. Je fermais les yeux, souhaitant me concentrer pour que sa folie ne vienne pas se mêler à mon désespoir.

Après quelques instants, l’homme se colla tout contre moi, faisant exprès de coller son intimité déjà dévoilé sur mes fesses, m’offrant un frisson de dégoût. Il colla alors sa bouche tout près de mon oreille pour me murmurer :

- Tu sortais avec celui que tu as buté si j’ai bien lu ton dossier ? Ca doit te manquer de te faire défoncer depuis qu’il est mort. Ne t’inquiète pas, je vais t’aider.

A peine eut-il fini sa phrase qu’il s’écarta de moi et sans prévenir, me pénétra d’un coup sec. Jamais il ne sera possible de décrire une telle douleur, un tel rabaissement. Un hoquet de douleur me saisit, mais le son de ma voix mourut dans ma gorge. Je ne voulais pas crier. Je n’avais de cesse de me répéter que je le méritais.

Mon corps tremblait sous la douleur de cette présence imposée en moi. Il avait déjà entamé ses vas et viens, me laissant à chaque fois cette impression de déchirure un peu plus forte et bien plus douloureuse. Les deux hommes me maintenaient encore les bras ; sans cela de toute façon je n’aurais pas pu tenir debout. Mon corps était douloureux des coups que j’avais reçu, mais le plus douloureux était en moi pour le moment. Ses gémissements de plaisir prit à me violer heurtait violemment mes oreilles. Et le rire des deux autres hommes étaient insupportable. Il s’enfonçait à chaque fois un peu plus en moi, à chaque fois plus brusquement.

Aucun son ne sortait de ma bouche, je me refusais maintenant à crier ma souffrance qui ne demandait qu’à être extériorisée. J’avais de plus en plus de mal à bloquer ce qu’il ressentait à être ainsi en moi, au plaisir qu’il prenait. Cet instant qui était finalement très court, me parut durer des heures. Lorsque je sentis cet homme jouir en moi, la répulsion fut si forte que j’eus envie d’en finir tout de suite. Jamais je ne m’étais senti aussi sale et éloigné de Killian.

Les deux hommes me lâchèrent au même moment où l’homme se retira de moi. Fragilisé comme jamais, je m’effondrais sur le sol. Les larmes commencèrent à couler sans que je ne puisse rien faire pour les retenir. J’avais vécu une chose effrayante, mais je le méritais.

Le choc avec le sol dur avait été bien moins douloureux que tout ce que j’avais subit jusqu’à maintenant. Mon violeur sortit de la pièce après avoir donné un ordre aux deux autres hommes que je ne compris pas. L’un des deux hommes s’approcha de moi, et vint m’enlever les menottes, m’ordonnant de ne surtout pas bouger. J’en aurais été incapable. C’était l’homme qui m’avait fait le moins de choses, le seul qui semblait au vu de ce qu’il ressentait maintenant, être peiné de ce que j’avais subit.

 Ils finirent par sortir tous les deux, me laissant seul me remettre de ce que je venais de vivre. Je restais là, étendu, immobile sur le sol. J’aurais voulu enfouir ma tête dans mes bras, me cacher un instant, mais je ne le pouvais pas. Je n’arrivais même pas à bouger un seul doigt. J’étais totalement paralysé. Je ne sus combien de temps je restais ainsi à simplement sentir les larmes couler sur mes joues.

Je ne fus pas vraiment conscient de ce qui se passa ensuite, jusqu’au moment ou un autre homme vint me chercher. Mon pantalon encore au niveau des genoux, l’état de mon corps et ma posture criaient ce que j’avais vécu, et pourtant l’homme se contenta de fermer les yeux sur ce que j’avais subit et de déclarer simplement :

- Lève-toi… Il est trop tard pour espérer manger quoi que ce soit. Je t’amène à la douche et tu iras dans ta cellule.

Je tendis difficilement mes bras vers mon pantalon, tentant de le remonter, exécutant son ordre. Rien que le fait de bouger les bras, était douloureux. Je surmontais cependant celle-ci, et tentais de me redresser une fois mon pantalon remis. Je ne voulais surtout pas qu’il me touche. Je ne supporterais pas un contact de plus. C’est pourquoi je me hissais sur mes deux jambes, puisant dans des forces qui m’étaient inconnues, avant même qu’il n’ait l’idée de venir m’aider.

Une fois debout, je m’appuyais un instant contre le mur. La douleur du viol était aussi dur mentalement que physiquement. Je me sentais salis à jamais. Je finis par me décider à marcher vers lui, sentant son impatience. Chaque pas était un supplice, faisant renaître la souffrance que j’avais vécu pendant l’abus de l’homme sur mon corps.

C’est ainsi que je suivis cet homme, découvrant le lieu où j’allais passer une des parties les plus importantes de ma vie… Mais peu m’importait, ma vie sans Killian, il m’était impossible de la concevoir, et la vivre ici était ce que je méritais. Cela apaiserait peut être un peu ma culpabilité. Je ne cessais de me répéter ce genre de phrase.

Nous ne tardâmes pas à arriver à la douche. L’homme me tendit des vêtements et une serviette après s’être éclipsé un instant. Chaque prisonnier avait regagné sa cellule et j’étais le seul à l’extérieur. J’allais pouvoir prendre ma douche en paix, tenté de laver les souillures qui maculaient mon corps.
Je me dévêtis avec difficulté à cause de ce corps meurtri. J’ouvris le robinet d’eau brûlante, ajoutant un peu d’eau froide afin que cela reste dans le domaine du supportable. Sans hésiter un seul instant, je me glissais sous ce torrent d’eau, frissonnant au contact de l’eau sur mes muscles endolori
s. Soudain la vois du gardien retentie :

- On n’est pas à l’hôtel ici, tu as encore trois minutes.

J’attrapais alors le savon, me nettoyant le plus rapidement possible. Pour que l’eau soit réellement bénéfique pour mon corps, j’aurais du y rester bien plus longtemps. Mais comprenant que cela n’était pas de l’ordre du possible, je revins à sa fonction première : laver mon corps. Je finis à temps, me frictionnant ensuite avec la serviette avant d’enfiler mes nouveaux vêtements. L’homme qui m’attendait à l’entrée déclara lorsqu’il me vit arriver :

- Et bien, ce n’est pas trop tôt !

Je ne répondis rien, me contentant de baisser les yeux, sans prêter attention à lui et aux autres remarques qu’il ajouta. Je le suivis, ne souhaitant plus qu’une chose, m’étendre dans le lit qui allait m’être attribué et ne plus bouger. Nous marchâmes devant plusieurs cellules, les remarques fusèrent mais je n’y prêtais en aucun cas attention, plutôt concentré à réussir à mettre un pied devant l’autre. Nous nous arrêtâmes enfin devant une cellule.

Le gardien attrapa ses clefs et m’ouvrit la porte, m’invitant à entrer. L’homme couché en haut sur le lit superposé leva la tête afin de voir qui était l’intrus qui osait pénétrer dans sa cellule. J’avais l’impression d’avoir déjà sentit ce regard posé sur moi. Un frisson me parcourut lorsque la porte se referma derrière moi.

Les lumières de la prison s’éteignirent peu de temps après, laissant régner une ambiance qui ne me plaisait pas du tout. Je sentais l’autre prisonnier continuer à me regarder. N’aimant pas cela du tout, j’allais m’asseoir sur mon lit, me cachant ainsi de lui. Seulement, il ne semblait pas avoir décidé que cela se déroule de cette manière.

J’étais à ce moment là, assis sur mon lit, adossé au mur, les genoux remontés afin de trouver une position la plus rassurante possible, totalement replié sur moi-même. Le prisonnier descendit de son lit, et me fit face, restant debout pour le moment.

- La moindre des choses serait de te présenter non !

Je n’aimais pas du tout la façon dont il avait de m’adresser la parole.

- Comment tu t’appelles ?

- … Juha… articulais-je difficilement.

L’homme pris soudain une moue appréciatrice et déclara :

- Et bien ça change du vieux chnoque que j’avais avant. On peut dire que tu es sacrément bandant !
Il vint alors s’asseoir sur le lit, bien trop prêt de moi à mon goût. Mon rythme cardiaque doubla en quelques secondes.

- J’ai vraiment de la chance d’avoir une gueule d’ange comme toi dans ma cellule. Tu vas voir on ne va pas s’ennuyer…

Il commença alors à s’approcher de moi. Je sentis directement ses intentions. Seulement je savais que je ne supporterais pas deux fois. C’était impossible. Plus il s’approchait plus la peur me nouait les boyaux. L’idée même qu’une main se repose sur mon corps me soulevait le cœur et me serrait la poitrine à en crevée.

Il posa alors une main sur mon bras, m’attirant légèrement vers lui. Je retirais vivement ma main, me terrant alors le plus loin possible, bloqué par l’angle du mur. S’il pu lire la terreur dans mes yeux, il n’y prêta aucune attention. Il n’aimait d’ailleurs pas du tout ma réaction. Je savais que je n’allais faire que repousser le moment, mais n’avais-je pas droit à quelques secondes de répit ?

Il était bien plus fort que moi, et mon corps d’à peine dix sept ans ne me permettrait pas de me défendre contre cet homme qui devait en avoir facilement le double. Tout dans cet homme m’écœurait, jusqu’à ses pensées les plus profondes. Il me saisit cette fois-ci bien plus durement le bras, et j’eus beau tenter de me débattre, il ne lâcha pas prise.

Sans que je n’ais eu vraiment le temps de réaliser ce qui m’arrivait, je me retrouvais très vite plaqué contre le lit sur le ventre, avec cet homme au dessus de moi. Il s’abaissa alors et me murmura à l’oreille :

- Laisse-toi faire ! Tu verras ça va être sympas, on va prendre notre pied tous les deux.

Je tentais vainement de me débattre une fois de plus, bougeant le plus possible afin de me dégager de l’étreinte toujours plus puissante et écrasante de cet homme. Les larmes revinrent bientôt dans mes yeux. Je ne pouvais plus, je n’en pouvais plus. Je voulais quitter ce corps à jamais, mettre fin à l’enfer dans lequel j’étais plongé depuis la mort de Killian. Je l’implorais silencieusement de venir me chercher. L’homme devint bien plus brusque, m’empêchant cette fois-ci réellement de me débattre. Cette fois-ci c’était la fin… Agacé de ma rébellion minime, il déclara :

- Arrête de te débattre ! Plus tu fais cela, plus ça sera douloureux pour toi !

Il me révélait maintenant sa nature, ne cherchant plus à faire semblant de me séduire. Il voulait répondre à son besoin pire que bestial, se vider les couilles et j’étais malheureusement sa proie. Est ce que cela aussi je le méritais ? D’une voix extrêmement faible, je me surpris à le supplier alors qu’il commençait à baiser mon pantalon d’une main, tandis que l’autre tenait mes mains au dessus de ma tête :

-  S’il vous plait arrêtez… Pitié… Non… Ne me faites pas ça…

Les sanglots se mêlaient à mes paroles, les entrecoupant. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Tout comme l’autre, il se plaça au dessus de moi, s’installant au mieux pour prendre son pied à mon détriment. Je ne pus réprimer les tremblements qui me saisirent. Ne voulant surtout pas qu’on entende mes cris, résigner à la suite, j’enfouis ma tête dans l’oreiller.

De la même façon que le gardien, il ne prévint pas lorsqu’il décida d’entrer en moi. J’hurlais toute la douleur que je ressentais, dont le son était arrêté par l’oreiller. J’avais le souffle coupé tellement cette fois-ci était bien plus douloureuse que la première fois. Mon cri fut suivit de sanglots qui furent loin d’arrêter mon bourreau. Mon corps était pris de spasmes de plus en plus douloureux. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse ressentir quelque chose d’aussi douloureux. Le prisonnier poussait des gémissements de plaisir qui écorchait mes oreilles à vif.

De tout mon être je priais pour que cela prenne fin. Je tentais lamentablement de bouger mes bras, mais il tenait trop fermement mes poignets. Je ne pouvais plus rien faire… Je ne voulais plus rien sauf une chose : en finir une bonne fois pour toute. Je ne supportais plus de sentir sa peau déjà ruisselante par l’effort se frotter contre la mienne, me donnant l’impression d’un papier de verre.

Le pire était de ressentir le plaisir qu’il prenait à être en moi. Trop affaibli, il m’était maintenant impossible de bloquer mon esprit. Tout pris fin après un temps que je jugeais infiniment trop long. Il se déversa en moi tout comme le gardien, me souillant à son tour. Il ne resta pas une minute de plus à mes côtés. Il se retira de moi, et remonta dans son lit, me laissant étendu dans la même position.

 Ma tête était toujours enfouie dans l’oreiller, mes pleurs toujours plus douloureux. Je me sentais détruit, anéanti à jamais. Mes mains se serrèrent sur draps qui s’étaient légèrement défaits par ce qu’il venait de se passer. Seulement, rester dans cette position était finalement pire que tout. Je finis par me redresser et me mettre assis en boule contre le coin du mur. Je fixais l’entrée de la cellule, laissant les larmes s’écouler. Mes yeux parcouraient la pièce à la recherche d’une issue, je n’étais pas très loin de la folie. Il fallait que je trouve une échappatoire, une solution pour que tout finisse maintenant.

Mes yeux furent alors attirer par quelque chose de brillant au dessus de ma tête. Je levais la tête afin de mieux voir, et m’aperçut qu’il s’agissait d’une larme de cutter coincé et cacher aux yeux des gardiens. Il ne fallut pas longtemps pour préparer ce que je voulais faire. Fébrilement je tendis mon bras vers cette lame, ne pensant plus qu’à une seule chose : en finir une fois pour toute et fuir cet endroit à l’aide de la seule méthode qui était en mon pouvoir.

J’avais assez payé, je pouvais partir. Mourir, c’était tout ce que je méritais. Je portais cette lame à mon poignet, et sans perdre un seul instant, j’incisais cette peau qui ne demandait qu’à l’être. La lame entra comme dans du beurre, laissant échapper aussitôt des flots couleur vermeille, la même couleur qui avait entouré Killian avant sa mort.

J’étais comme hypnotisé par ce sang qui s’échappait en même temps que ma vie. Plus rien ne me retenait dans ce monde. Je pouvais partir, cela ne ferait de peine à personne. Je ne ressentais même pas la douleur, seulement une légère gêne, l’impression qu’on m’enlevait quelque chose d’important. La vie me quittait, ma tête tournait. Mes yeux commençaient à se fermer… Je perdis conscience sans même m’en rendre vraiment compte…

Fin du flash back

J’ouvris soudain les yeux, tout tremblant et transpirant. Mon bras me lançait et il me fallut un temps pour réaliser que tout cela n’avait été qu’un rêve, ou du moins un souvenir revécu en rêve du passé. J’étais tout tremblant, recroquevillé dans le canapé. J’avais l’impression de venir de vivre ce traumatisme de mon passé. Ma cicatrice me brûlait comme si c’était une plaie ouverte. Je ne pouvais pas rester ainsi allongé, il fallait que je me lève. Je me redressais vacillant, faible comme jamais.

En plus de ce cauchemar, je me rappelais de ce qui s’était passé juste avant. Mon cœur se sera douloureusement. Je sentis soudain un haut le cœur, et j’eus à peine le temps de courir jusqu’au toilettes. Un second hoquet me prit, et il m’en fallut pas plus pour vomir. Les larmes vinrent en même temps.

Chaque spasme était de plus en plus violent, me prenant dans le ventre et provoquant des crampes. Rare était les fois où je me sentais aussi faible et aussi minable. J’avais vécu dix ans en prison, pourquoi fallait-il que je rêve du pire… Après ma tentative de suicide, on m’avait placé dans la même cellule pendant dix ans, et l’occupant m’avait pris sous son aile sans jamais rien me demander en échange.

Le temps m’avait aidé à oublier, à dépasser ce traumatisme que je voyais toujours comme une punition. Je ne sus pas vraiment combien de temps je restais là, à finir par vomir toute la bile que contenait mon estomac maintenant désespérément vide. Je finis par me relever et marcher à l’aide de mes jambes tremblantes jusqu’à la salle de bain.

Je me passais un peu d’eau sur le visage, faisant tout pour ne pas regarder mon teint livide dans la glace. Je retournais m’allonger en boule dans le canapé, attrapant une couverture car je frissonnais de froid, affaibli par mon état pitoyable. J’étais en train de craquer comme rarement cela m’était arrivé. L’idée même de n’avoir plus aucun lien avec Gabriel s’était revenir en arrière, me retrouver de nouveau terriblement seul.

Cette solitude me terrifiait de par ce que j’étais capable de faire. Pourquoi ce jour de prison… Je pensais l’avoir dépassé. J’avais pu coucher avec Dorian sans aucun problème, l’acte sexuel en lui même ne me faisait pas peur et j’aurais été tout à fait capable d’aller plus loin avec Gabriel. Non, c’était une toute autre forme de traumatisme que ces deux hommes avaient laissés en moi. Avoir réveillé cette souffrance en moi avait fait revenir à la surface des vieux démons autodestructeurs… Je souhaitais tout autant dormir que rester éveillé.

Ces deux états étaient tous deux maintenant similaires et douloureux. Le soleil s’était maintenant bien levé dans le ciel et je réalisais que la journée était maintenant bien avancée. Je n’étais pas allé travailler et jamais je n’en aurais été capable. Rester allongé là, dans un état de crise, c’était tout ce qui m’était permis de faire. Mon téléphone sonna plusieurs fois dans la journée, mais il m’était impossible de me lever pour répondre. Et puis je n’avais personne à qui j’avais envie de parler. Ce ne pouvait être que le frère de Kilian ou le centre et c’était hors de question.

Je finis par allumer la télévision, m’emmitouflant dans la couverture. Je n’avais pas faim, et l’idée même d’ingurgiter quelque chose me soulevait le cœur. Je tentais plusieurs fois désespérément de suivre le film, puis le suivant, mais rien n’y faisait. Je repensais à toutes ses années que j’avais passé depuis la mort de Killian jusqu’à la récente perte de Gabriel. Est-ce qu’en tuant Killian, j’avais anéanti tout bonheur possible ? Est ce qu’un jour ma culpabilité prendrait fin ? Je n’arrivais plus à y croire…

Je passais la nuit ainsi, dans un semi sommeil, pas assez profond pour rêver de nouveau de mon passé, m’enfonçant plus loin dans les cauchemars. Tout m’inspirait le dégoût de moi même et de mon corps. L’idée d’être souillé à jamais était ressorti de plus belle. Est ce que je ressentirais toujours cela ? La réponse qui me venait à l’instant était positive.

Plongé dans le pessimisme le plus sombre, je passais une seconde nuit des plus difficiles. La journée qui suivit fut encore pire. Les seules fois où je me levais était pour aller vomir. Une volonté sourde et autodestructrice s’était emparait de moi. Je ne savais ce qui me retenait. Plus je pensais au centre et plus je me disais que jamais je ne pourrais y retrouver et affronter Gabriel chaque jour.

Ce qui venait de m’être enlevé était bien trop rare et précieux pour constaté son manque chaque jour. Je dormis très peu la nuit qui suivit, mais elle m’aida à prendre ma décision. Je ne pouvais pas rester comme cela. Très tôt demain matin, j’irais donner ma démission. Je partirais d’ici. Je vivrais le plus seul et plus éloigner des autres. Je m’isolerais à jamais, et pour cela je trouverais la solution la plus radicale.

Ainsi, lorsque l’aube se leva, je me redressais, puisant dans mes dernières forces. J’avais l’impression que l’on m’avait roué de coups, tellement mon corps était courbaturé. J’allais directement dans la salle de bain, ne prenant pas la peine de voir mon visage tout de suite. Je fis couler l’eau sur mon corps, tentant de redresser un peu la tête, ne voulant pas montrer à tous lorsque je sortirais mon abattement. Lorsque je sortis, je me séchais les cheveux, défaisant les quelques nœud.

Une fois sec, j’allais m’habillé. Ce soir, je ferais mes valises et quitterais cet endroit pour aller errer dans un ailleurs où je ne me lierais avec personne. J’attrapais aussi quelque chose à manger pour la route, ayant besoin d’un peu de force, même si la vue de la nourriture ne me donnait pas du tout envie. Je sortis de chez moi, après avoir enfilé ma veste, comme un zombie. Il neigeait dehors, donnant à l’ambiance un ton tout à fait approprié. Dehors, le froid était saisissant et pourtant je continuais de marcher sans y prêter vraiment attention. Plus j’approchais du centre, et plus mon cœur se serrait. Plus j’avançais et plus je ralentissais.

Lorsque j’atteignis enfin le centre, je fus soulagé de constater que personne n’était encore arrivé ou n’avait véritablement commencé à travailler. J’allais directement jusqu’au bureau de Philippe et frappais à sa porte, inspirant un bon coup. Heureusement il était là, et dit simplement :

- Entrez…

Je m’exécutais, ne sachant pas trop comment celui-ci allait réagir à ma venue.

- Tiens, s’exclama Philippe sans cacher sa colère, je pensais ne plus jamais te revoir, qu’est ce que tu fiches ici ?

- Je… euh… Commençais-je à bredouiller. 

Je m’avançais un peu plus en même temps, voulant arriver à sa hauteur.

- Je t’avais prévenu Juha ! Tes problèmes ne devaient pas affecter ton travail ! Deux jours d’absences sans prévenir !! Non mais tu te prends pour qui ? J’espère que tu as une excuse en béton.

Je n’arrivais rien à répondre, j’étais comme paralysé face à sa colère qui m’envahissait et que je ne savais même plus repousser. Jamais je ne me serais imaginé aussi faible.

- Alors Juha j’écoute. Tu es en train de me faire perdre mon temps, déclara-t-il, s’impatientant de plus en plus.

Je ne trouvais qu’une chose à lui dire, prenant mon courage à deux mains, sachant que je ne pourrais pas tenir la tête haute très longtemps :

- Je m’excuse. Ce que j’ai fait un intolérable, c’est pourquoi je donne ma démission. Merci pour tout ce que vous avez fait.

Philippe semblait abasourdit parce que je venais de dire. C’était vraiment la dernière des choses à laquelle il s’attendait. Ce fut à son tour de bégayer quelques mots, mais je ne lui laissais pas le temps de reprendre ses esprits, et déclarait simplement « au revoir » avant de lui tourner le dos et de quitter la pièce. J’avais pris ma décision et c’était l’unique solution que je voyais. A l’instant même où je priais pour ne pas revoir Gabriel, je tombais face à lui en ouvrant la porte, et à voir l’expression qu’il affichait je compris qu’il avait assisté à une bonne partie de la scène. Maintenant qu’il était en face de moi, je ne pouvais plus faire marche arrière.

- Au revoir Gabriel…

A l’instant même où je prononçais ces mots, je les trouvais à la fois si ridicules et déplacés. Il me dévisageait, semblant peu à peu réalisé ce que je venais de dire. Ne pouvant supporter sa vue d’avantage et mon cœur saignait, je poursuivis ma route en le dépassant. Sa voix retendit soudain dans mon dos, mêlant froideur et colère :

- Tu ne fait que fuir !

Je me retournais aussitôt vers lui, presque choqué par ce qu’il venait de dire. Blessé de ces quelques mots, retenant tant bien que mal mes larmes, je déclarais d’une voix assez faible :

- Ne juge pas Gabriel… Tu ne sais rien.

- Non, je ne te juge pas, je ne que fait que constater ce que je vois !

Je détournais le regard, ne supportant plus de le voir. C’était bien trop douloureux. Malgré moi, je constatais que je m’étais attaché à lui bien plus que je ne le pensais.

- Pourquoi est ce que tu ne me regardes pas quand je te parle, reprit-il. De quoi as-tu peur ? De la vérité que je dis ? Tu n’es qu’un lâche Juha ! Tu fuis la queue entre les jambes à chaque problème que tu rencontres !

S’en était trop. Je ne pouvais pas en entendre plus. Une colère sourde m’envahie, faisant échos à la sienne. Je plantais mes yeux dans les siens et déclarais :

- Comment peux-tu dire que tu ne juges pas en me disant cela. Peut être que je fuis, mais que ferais-tu si tu étais dans ma situation. Tu as raison, je sors de prison et cela doit grandement te choquer. Je me doutais de la réaction que tu aurais. Mais as-tu imaginais un seul instant tout ce que j’ai vécu avant la prison et pendant les dix années qui ont suivi ? Je n’ai plus rien à faire ici. Je préfère partir parce que peut être qu’il m’est impossible de rester ! Fuir, n’est ce pas finalement ma seule solution ? J’ai assez souffert pour que tu viennes me juger aussi facilement.

Je pleurais et je tremblais, mais j’extériorisais un peu ma douleur.

- On a tous un passé certes plus ou moins douloureux Juha, mais ce qui compte maintenant c’est ce que l’on ait, et pas le passé ! me répondit-il.

- C’est tellement facile de dire cela ! S’il te plait épargne-moi ces grandes paroles ! J’en ai assez de ces discours moralisateurs.

- Peut être que c’est facile Juha, mais contrairement à toi j’ai plus ou moins réussis à surmonter mes démons.

J’inspirais alors profondément, ne voulant pas laisser échapper des paroles blessantes. Mais je finis par lâcher : 

- Le pire, c’est que tu crois ce que tu dis… Arrête de mentir.

Je réalisais trop tard que j’en disais peut être un peu trop. Sans me départir de ma volonté, je lui tournais subitement le dos, commençant à partir. Mais la main de Gabriel agrippa fermement mon poignet et j’eus à peine le temps de me retourner que je reçus une gifle puissante. Les coups, s’étaient bien la dernière chose que je pouvais encaisser maintenant. Je repris ma fuite, courant vers la porte. J’entendis plusieurs fois Gabriel m’appeler, mais je ne me retournais à aucun moment.

Je courus tout le long du trajet, trop blessé et trop meurtri pour avoir la résistance à quoi que ce soit. Je me retrouvais devant chez moi, montant les marches avec la même cadence. Arrivé devant ma porte, j’avais déjà saisi les clefs. Ma tête tournait à cause de l’effort fourni.

Fuir et cette fois-ci fuir pour de bon était ma seule solution. Je jetais un rapide coup d’œil une fois rentré chez moi dans la pièce, ne prenant même pas la peine de fermer la porte. N’avais-je pas déjà assez souffert et payé pour la mort de Killian ?

N’avais-je pas droit maintenant à cette libération. Je n’avais aucune raison de rester, rien qui me retenait. La seule personne qui me prêtait maintenant réellement attention était le frère de Killian qui souhaitait ma mort. Je saisis le couteau à l’instant même où je le vis. Il était suffisamment aiguisé pour abréger mes souffrances.

Mes jambes cédèrent sous mon poids. Mon poignet fut découvert et offert. Il suffisait d’un seul geste et tout cela était fini. J’avais assez donné, assez souffert, assez payé. J’allais pouvoir fuir pour de vrai et donné raison à Gabriel. Soudain, sa voix retentie, me faisant sursauter :

- Juha ! Putain qu’est ce que tu fous ! Cria-t-il

Il courut vers moi, totalement paniqué et essoufflé, m’arrachant le couteau des mains. Il attrapa alors le poignet que je m’apprêtais à tailladé une ultime fois, souhaitant regarder si je n’avais rien. Je n’eus même pas la force de lui résister et réalisais seulement maintenant ce qu’il allait voir. Il fixa mon ancienne cicatrice, la découvrant pour la première fois. Peut être était-il en train de prendre conscience de ma souffrance… Il plongea ses yeux dans les miens embués de larmes et me demanda au bord des larmes :

- Pourquoi Juha ?

- J’en peux plus Gabriel… répondis-je la voix vide de toute force…

Ce fut la phrase de trop qui le fit pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi il se mettait dans cet état. Pourquoi pleurait-il ? Je détournais les yeux, ne supportant pas d’être la raison de ses larmes. Sa voix retentie de nouveau :

- Est ce que tu es toujours comme cela Juha ? Aussi égoïste ? Est ce que tu agis toujours en ne pensant qu’à toi sans te douter du mal que tes actes peuvent causer aux autres ?

Je relevais mes yeux, les plantant dans les siens, et déclarais, dans une plainte déchirante :

- A qui est ce que je causerais du mal si je partais ?

Une seconde gifle vint atterrir sur ma joue déjà endolorie par le précédent coup.

- As-tu vraiment conscience de ce que tu dis ?!

Je ne résistais plus. Toutes mes forces, toute ma volonté s’effondra comme un château de cartes. Je me jetais presque dans ses bras, me laissant aller à enfouir ma tête contre son épaule. Il ne me repoussa pas et au contraire, m’enlaça avant de me serrer très fort. Au milieu d’un sanglot, je lui soufflais alors simplement un mot :

- Pardon…

Gabriel m’écarta alors un peu de lui, ne mettant cependant pas fin à l’étreinte.

- Comment te faire confiance Juha ? Qu’est ce qui me prouve que tu as été clair et honnête avec moi ?

Tentant un instant de cesser de pleurer, je déclarais la vois enrouée :

- Laisse-moi du temps… Je te promets qu’un jour tu sauras tout… Mais je n’ai pas la force de te le dire maintenant…

Gabriel m’attira alors soudain à lui, me serrant si fort qu’il m’étouffait presque. J’aimais plus que tout être ainsi dans ses bras, sentir ce contact rassurant. Il murmura alors à mon oreille :

- Je t’en supplie, ne recommence jamais ça… Ne me refais jamais aussi peur…

Sa voix mourut dans nos sanglots. Je me laissais aller dans ses bras, m’apercevant de mon état de faiblesse physique dut à ces derniers jours. Me reposer un peu sur ses épaules, j’en avais plus que besoin. Mais j’avais surtout besoin de lui dire une autre chose, transmettant ainsi ma peur, au milieu d’un sanglot, la tête toujours enfouie tout contre lui :

- Ne me laisse pas seul Gabriel, s’il te plait… Je t’en supplie ne me laisse pas seul.

Inconsciemment, je resserrais l’étreinte de mes bras sur son corps. Je tremblais comme une feuille… Tout ce que j’avais emmagasiné jusque là était en train d’éclater sous ses yeux. Semblant percevoir la gravité de ma détresse, il raffermit lui aussi son étreinte et me dit :

- Je n’en ai pas l’intention Juha… Je suis là… Chut…. Calme-toi…

Il s’écarta de nouveau légèrement de moi, et déposa alors un baiser sur mon front. Il y avait tellement de douceur et de réconfort dans ce geste que je fus envahie d’une vague chaude et rassurante. Mes yeux rougis et embués se posèrent sur son visage, avant de croiser son regard pour ne plus le quitter.

Je m’apercevais que j’avais besoin de bien plus qu’un simple baiser sur le front. J’étais presque pris d’un vertige en constatant à quel point, en si peu de temps, j’étais devenu dépendant de lui. Sans penser aux conséquences ou même appréhender sa réaction, j’approchais mon visage du sien, et déposer délicatement mes lèvres sur les siennes.

J’avais besoin de ce baiser, comme pour me sentir vivre, comme pour ressentir quelque chose d’agréable qui me permette de croire que quelque chose me retient dans ce monde. C’était finalement par ce baiser désespéré que je tentais de me raccrocher à la vie. Je n’avais que cela, c’était ma dernière chose et heureusement Gabriel le compris. Je pouvais ressentir sa peine et son affection pour moi, lorsqu’il me céda l’entrée de sa bouche.

Je mis tout mon être dans ce baiser, me mettant comme rarement totalement à nu, lui dévoilant bien plus que mon âme. En cet instant, s’il y prêtait attention, il pouvait tout lire en moi, je m’abandonnais totalement à lui. Si je restais en vie, si je m’agrippais de nouveau à celle-ci, c’était uniquement grâce à lui. Perdu dans l’étreinte de ses bras et dans le baiser dont il était en train de prendre les rênes, je me laisser transporter, le laissant à sa guise me découvrir, me dévoiler…

Mon cœur était maintenant gonflé de ce sentiment précieux de réconfort et d’affection qui m’avait cruellement manqué pendant toutes ses années. Mon cœur battait extrêmement vite, je tremblais encore, mais au creux de ses bras, et en plein milieu de ce baiser, je me sentais protégé…

A suivre…

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