3
déc

Once in a lifetime - chapitre 07

   Ecrit par : admin   in Once in a life time

Chapitre 07 par Lybertys

 

Nous marchâmes pendant près d’une heure dans un silence monastique. Je n’étais finalement pas habitué à discuter pendant que je marchais, faisant normalement ce genre de trajet seul. J’appréciais le silence, plongé dans mes pensées. Je me demandais où nous allions pouvoir nous rendre tout en restant caché. Tant que nous ne nous serions pas éloignés de cette région, nous avions malheureusement toutes les chances de nous faire rattraper par son père. J’étais sûr qu’il avait les bras longs et qu’il avait engagé des détectives à sa botte. Nous évitions les routes et je préférais de toute façon la nature au béton. Ce fut à cet instant que Gwendal choisit de briser le silence, me demandant alors que nous traversions une forêt :
- Est-ce qu’il va te manquer ?
- Hein ? M’exclamais-je, ne voyant pas de qui il parlait. Qui donc ? Ajoutais-je perdu.
- Ben Julien ! A ton avis, qui d’autre ? Soupira-t-il.
- Excuse-moi, je pensais à autre chose. S’il va me manquer ? Un peu oui, avouais-je. C’est un très bon ami, je tiens beaucoup à lui…
- Oh… souffla-t-il.
Chaque personne que je quittais me manquait, mais jamais ce manque n’avait vaincu mon envie de voyager et de mettre fin à mon mode de vie. Même si Julien était un peu plus spécial que les autres, il n’avait jamais réussi à me retenir… Je doutais que Gwendal parvienne à comprendre un jour mon mode de penser et de vivre, même s’il voulait me suivre.
- C’est vrai qu’il est gentil, souffla-t-il avant de se murer à nouveau dans le silence.
Celui-ci ne me dérangea pas, et je me laissais emporter par mes pensées, profitant de ce sentiment si particulier de perte de toute attache et d’inconnu perpétuel vers lequel je me dirigeais. Pour rien au monde je ne voulais perdre cette liberté…
Nous continuâmes à marcher silencieusement, Gwendal derrière moi tandis que j’ouvrais la marche. Je finis par reconnaître l’endroit, j’étais déjà passé par là. Ma blessure commençait à me tirer légèrement, mais cela restait supportable. Tentant de localiser ma route au mieux pour éviter à Gwendal des détours inutiles, je m’arrêtais brusquement. Gwendal le remarqua trop tard et il me fonça dedans. Alors que je me retournais, je ne pus m’empêcher de sourire intérieurement en le voyant par terre.
- Ca va Gwen ? Demandais-je en lui tendant la main pour l’aider à se relever.
- Oui ça va ! Tu peux pas prévenir quand tu t’arrêtes ? S’exclama-t-il en attrapant la main que je lui tendais.
- C’est toi qui était dans la lune ! M’exclamais-je avant de me taire.
Jamais je n’aurais pensé qu’il soit aussi léger. Gwendal me semblait soudain si frêle et si fragile. J’avais du mal à croire qu’il ait pu marcher jusqu’ici sans être épuisé. Je marchais cependant plus doucement depuis qu’il partageait ma route. Il y avait une chose que je ne pouvais cependant pas nier, Gwendal était un bel homme. Les trais fins et de haute naissance, il ne faisait pas parti de ceux que je côtoyais habituellement.
- Quoi ? Grogna-t-il lorsqu’il remarqua que je l’observais avec attention. Est-ce que tu as été un vautour dans une autre vie ?
- Non, excuse-moi ! Répondis-je, un sourire malicieux étirant mes lèvres. Mais vu ton poids plume, c’est pas étonnant que tu t’envoles au premier coup de vent !
- Mon poids plume ? Répété-t-il, incrédule. Dis, si tu n’as rien trouvé de mieux à faire que de m’insulter, la prochaine fois abstiens-toi ! Je n’ai que faire de tes remarques sarcastiques !
J’avais presque oublié son mauvais caractère et le peu d’humour qu’il pouvait avoir sur lui.
- Ca va, excuse-moi ! Je n’ai pas dit ça pour te blesser, déclarais-je en perdant mon sourire.
Puis, retrouvant mon sourire, ne voulant pas m’appesantir là dessus, je lui demandais :
- Tu n’as pas faim ?
- Si, répondis-je, en me rendant mon sourire. Un peu.
- Dans ce cas, trouvons un coin sympas pour manger !
L’instant suivant, comme je l’avais pensé, nous arrivâmes dans une clairière très agréable. Je jetais mon sac, imité par Gwendal. Alors que je commençais à chercher le repas, j’entendis Gwendal pousser un cri inhumain. Sursautant, je me retournais vers et le vis en train de se tenir le genou.
- Gwen ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Ca va pas de crier comme ça ?
- Je… Commença-t-il en s’asseyant afin d’observer son genou. C’est cette pierre ! Je me suis fait mal !
Rassuré, je ne pus m’empêcher de dire :
- Et tu cries comme ça pour ça ? M’exclamais-je, incrédule.
Pour toute réponse, il me lança un regard assassin, ne prenant pas la peine de me répondre. Soupirant de lassitude face à son attitude enfantine, m’efforçant au calme, je tentais :
- Allez, montre-moi…
- Je n’ai pas besoin de ton aide ! Déclara-t-il, catégorique, en se détournant de moi.
- Très bien, comme tu veux ! Soufflais-je en allant m’asseoir en face de lui, n’ayant pas envie d’insister.
Là, je commençais à sortir la nourriture de mon sac et lui tendis un bout de viande séchée avec du pain fraîchement préparé par Julien. Il les prit et commença à manger en silence. Constatant son état de fatigue et voulant le ménager, je me rappelais qu’un ancien amant ne vivait pas très loin d’ici.
- Avec un peu de chance, demain soir nous pourrons dormir dans un lit ! Dis-je alors, comme pour lui donner un peu de courage.
- Ah bon ? Demanda-t-il.
- Oui, j’ai un ami qui n’habite pas très loin d’ici, dis-je sans rentrer dans les détails. A une journée de marche, peut-être moins, je sais plus trop.
- Oh…
- Ca ne te fait pas plaisir ? Demandais-je surpris.
- Si, répondit-il en esquissant un sourire. Mais faudrait-il que j’arrive jusqu’à là-bas… Si je ne sens plus mes pieds, je te parle pas de l’état de mon dos… Soupira-t-il en fermant les yeux, collant son front contre ses mains. Comment tu fais pour ne pas être dans le même état que moi ?
- L’habitude, répondis-je, amusé par sa question. Je suis sur la route depuis quelques années de plus que toi, ne l’oublie pas.
Les yeux toujours fermés, il ne répondit rien. Prenant conscience de sa réelle souffrance, je me levais et allais vers lui. Alors que je posais les mains sur ses épaules, Gwendal sursauta et se redressa violemment.
- Calme-toi, soufflais-je amusé de le voir ainsi sur le qui-vive. Ce n’est que moi !
Lentement, je commençais à dénouer lentement chacun des nœuds douloureux qui contractait ses muscles. J’avais appris à le faire grâce à un amant masseur. J’étais resté pendant quelques temps chez lui et il avait commencé à me former. Mais l’appelle de la route avait encore une fois était le plus fort. Gwendal finit par se laisser aller, et ce ne fut que lorsque je sentis chacun de ses muscles détendus que je mis fin au massage improvisé, surpris de la finesse de ses épaules, même à travers les vêtements.
Gwendal ne réagit pas immédiatement, comme plongé dans un état d’euphorie. Je n’avais pas trop perdu la main.
- Ca va mieux ? Lui demandais-je après quelques instants.
- Merci, oui ! C’est très agréable, et je n’ai presque plus mal ! Comment tu fais ? Demanda-t-il.
- Si je te le disais ça ne marcherai plus ! Répondis-je en lui adressant un clin d’œil qui le fit sourire. Une pomme ? Lui proposais-je en retournant à ma place.
- Avec plaisir ! Merci ! Répondit-il en attrapant celle que je lui lançais.
Nous mangeâmes notre pomme en silence et ce ne fut qu’après une petite sieste que nous reprîmes la route. Cependant, alors que nous marchions depuis une vingtaine de minutes, la pluie se mit à tomber en une violente averse.
Sentant que cela allait tourner à l’orage très rapidement et étant en quelques minutes trempés jusqu’aux os, je l’attrapais par le bras et m’écriais afin de me faire entendre malgré le vacarme :
- Viens ! Il y a une grotte où nous pourrons nous abriter pas très loin d’ici !
Sans un mot, il m’emboîta le pas. Me fiant à ma mémoire et à mon sens de l’orientation, nous ne tardâmes pas à trouver la grotte. Sans la moindre hésitation, je m’y engouffrais, trop heureux d’avoir retrouvé cet abris. Alors je pouvais entendre Gwendal me suivre à tâtons il me rentra dedans pour la seconde fois de la journée.
Là, j’allumais une lampe de poche que je venais enfin de trouver dans mon sac et commençais à observer la grotte. Elle était comme dans mes souvenirs, profonde et suffisamment grande pour que nous ayons la place de bouger. Gwendal, appeuré, n’osait pas s’éloigner de moi. Il ne me fallut pas longtemps pour m’apercevoir qu’il grelottait de froid, les bras crispés autour de lui pour tenter de se réchauffer.
- Change-toi, Gwen ! Ne reste pas comme ça, tu vas attraper la mort !
Docilement, il alla chercher son sac et enleva ses affaire de dessus qui avait pris l’eau. Il chercha des affaires sèches, pendant que je faisais de même. C’est alors que je l’entendis me dire dans un claquement de dents :
- Tu peux partir, s’il te plait ?
- Partir ? Pour quoi faire ? Lui demandais-je, une fois de plus surpris.
- Pour que je puisse me changer, évidemment ! A ton avis, pour quoi d’autre ?
- Parce ce que tu crois vraiment que je vais sortir, juste pour te permettre de te changer ? M’exclamais-je, incrédule.
- Et bien… Oui ! Affirma-t-il.
- Tu sais, commençais-je, je t’apprécie beaucoup, Gwen, mais pas au point d’aller faire un tour dehors par ce temps. Allez, change-toi ! Lui ordonnais-je, agacé qu’il fasse passer sa santé après sa pudeur.
Ignorant mon ordre, il resta là, immobile, serrant ses vêtement contre lui. Réalisant qu’il ne bougerait pas, je soupirais, las :
- Promis, je ne regarde pas ! J’ai passé l’âge de ce genre d’enfantillages tu sais ! Ajoutais-je en lui adressant un sourire sardonique. Et puis tu n’est certainement pas le premier homme nu que je vois !
A ces mots, je devinais que Gwendal s’empourprait violemment. Il finit par céder alors que j’attrapais mes propres affaires. En un rien de temps, j’étais vêtu de vêtements secs, appréciant la chaleur qui revenait peu à peu dans mon corps. Étendant au mieux mes affaires, j’allais rejoindre Gwendal, assis près de la paroie de la grotte, les jambes contre lui.
- Je crois que nous allons attendre là jusqu’à ce que l’averse se calme, déclarais-je, en venant m’asseoir à ses côtés. Ca va toi ? Ajoutais-je en reportant mon attention sur lui.
- Je… J’ai froid…
- Attends, soufflais-je, en me relevant. Ne bouge pas.
M’éloinant de quelques pas, je cherchais mon duvet, soigneusement rangé au fond de mon sac. Le remplisant à nouveau de toutes mes affaires, craignant d’oublier ou de perdre quelque chose dans cette obscurité, j’allais rejoindre Gwendal. Sans perdre de temps, je nous recouvris du duvet en prenant place à ses côtés. Mon compagnon de route était pris de tremblements et le claquement de ses dents me serra le cœur. Peu à peu, ceux-ci s’espacèrent.
- Ca va mieux ? Lui demandais-je en caressant doucement ses cheveux.
- Un peu… Oui… Je… Euh… Merci…
Gwendal eut à peine le temps de terminer sa phrase je passais un bras autour de ses épaules, attirant son corps peu épais contre le mien.
- Viens contre moi, soufflais-je. Il n’y a rien de mieux que la chaleur humaine pour réchauffer. Et si vraiment ça marche pas, repris-je, un court instant plus tard, je connais une autre méthode, autrement plus agréable.
- Hein ? S’exclama-t-il en se redressant légèrement, ayant exactement la réaction que j’avais prévue.
- Ca va ! Pouffais-je. Je plaisantais ! Allez, viens-là !
Docilement, il se laissa aller contre moi, allant même à ma plus grande surprise, jusqu’à poser sa tête contre mon épaule. Le silence s’installa entre nous, écoutant simplement la pluie tomber en un grondement assourdissant. Distraitement, ma main passait encore et encore dans ses cheveux si doux, en une tendre caresse. Il semblait si fragile contre moi, que je me sentais investi de la mission de tout mettre en œuvre pour le protéger. Ce fut après un temps indéterminé que je l’entendis me demander doucement :
- Hayden ?
- Mmh… Oui ? Répondis-je dans un état second, bercé plus que je ne l’aurais cru par la pluie.
- Tu es né où ?
- A Lyon, répondis-je distraitement.
- A Lyon ? Répéta-t-il, hésitant. Je ne connais pas cette ville… C’est où ?
- En France.
- En France ? Tu es né en France ? J’aurais jamais deviné… Tu n’as aucun accent !
S’il savait à quel point j’avais tout fait pour perdre ce qui me rattachait à ma langue maternelle… Pour toute réponse, j’esquissais un sourire amusé, avant de répondre, après un instant de silence :
- Quand on passe beaucoup de temps dans un pays, on finit par apprendre la langue….
- Beaucoup de temps ? Répondit-il surpris. Tu es en Angleterre depuis longtemps ?
- Quelques années oui, répondis-je, commençant à être embêté qu’il me questionne ainsi sur un passé que je voulais oublier.
- Et tu as beaucoup voyager avant ça ? Tu as vu quels pays ?
- Non ? Je suis venu directement en Angleterre après avoir quitté la France. J’avais besoin de m’éloigner pour oublier… Enfin, voilà, je suis venu ici…
- C’est quand ta mère est morte… C’est ça ? Demanda-t-il, hésitant.
Mon cœur loupa un battement. Pourquoi me parlait-il de cela ? En quoi ma vie l’intérressait-il ?
- Oui… Mais s’il te plait… Je ne veux pas en parler… Répondis-je, poliment.
- Oh… Je comprends… Pardonne-moi, souffla-t-il en se réinstallant plus confortablement.
Je ne répondis rien. Il suffisait d’un simple évocation pour faire remonter en moi cette rancœur et cette honte par rapport à mes origines. Ce que j’avais commis, les seringues de ma mère, la solitude de mon enfance et l’entrave du à la dépendance : plus jamais je ne voulais connaître cela. Je voulais l’effacer de ma mémoire définitivement. Alors pourquoi chaque personne que je rencontrais finissait indéniablement par me questionner sur mon passé. Cela m’avait valu plusieurs disputes et il était vrai que je n’étais pas vraiment agréable lorsque l’on touchait à ce sujet. Je pouvais même devenir agressif, mais cela était le seul moyen que j’avais trouvé pour leur faire comprendre de ne pas chercher à aller plus loin.
Gwendal finit par s’endormir dans mes bras, tandis que perdu dans mes pensées, je continuais à le caresser distraitement. Son corps avait enfin retrouvé une chaleur normale. Malgré moi, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Avait-il la forme physique pour la vie que je menais ? N’allait-il pas se lasser ? Et que se passerait-il lorsque nos chemins se sépareraient. J’étais habitué à rencontrer des gens sur ma route mais jamais à la partager avec eux. Comment vivrais-je cette séparation ? La pluie ne cessait pas, et je finis par m’assoupir à mon tour, perdu dans mes pensées, pas complètement remis de ma blessure.
Ce fut un coup de tonnerre résonnant violemment dans la grotte qui me réveilla. Je sentis instantanément Gwendal se coller plus contre moi. Raffermissant ma prise autour de ses épaules dans un geste qui se voulait réconfortant, je soufflais :
- Hey ! Calme-toi… Ce n’est que le tonnerre.
- Je… Je déteste les orages… Et là, dehors, c’est… C’est encore pire… Gémit-t-il, en enfouissant son visage dans ma chemise.
- Ca va aller, murmurais-je doucement, peu surpris de sa phobie. T’inquiètes pas, c’est rien… Tu ne crains absolument rien… Je suis là…
- J’ai dormi longtemps ? Demanda-t-il en étouffant un bâillement. Il est tard ?
- La nuit est déjà tombée… Constatais-je. Nous dormirons ici cette nuit. Déclarais-je. Tu as faim ?
- Oui, un peu, répondit-il en m’adressant un petit sourire que je devinais.
- Bien, par contre, je suis désolé, mais pas de repas chaud pour ce soir ! A moins que tu ne souhaites sortir dehors et que tu pries très fort pour trouver du bois sec ! Pour ma part je n’y crois pas trop, mais après tout, qui ne tente rien n’a rien, comme on dit ! Ajoutais-je en lui adressant un clin d’œil.
- Sans façon, répondit-il en me rendant mon sourire. Froid, ça ira très bien ! Je suis pas difficile tu sais !
- Ah bon ? J’aurai pourtant parié le contraire !
- Oui bon ! Tout est relatif ! Déclara-t-il en esquissant un mouvement pour se lever.
- C’est bon, reste assis ! J’y vais ! L’assurais-je en me levant.
Attrapant ma lampe de poche, je relachais mon étreinte autour de lui et allais jusqu’au sac duquel je sortis un bout de jambon avec une tranche de pain et une pomme. Les mains pleines de nourriture, je revins m’asseoir tout contre lui et lui tendis sa part. Nous mangeâmes dans un silence presque monastique. Une fois son repas terminé, il repoussa le duvet et se leva, sous mon regard intrigué :
- Où vas-tu ? Lui demandais-je surpris.
- Il faut que je marche un peu, répondit-il, en m’adressant un petit sourire. J’ai mal aux jambes et aux fesses !
- C’est d’être resté trop longtemps assis ! Moi aussi ça me le fait ! Ajoutais-je en l’imitant, ne rechignant jamais pour une petite marche même si cela impliquer tourner en rond dans la grotte.
Pour toute réponse, Gwendal commença à tourner en rond. C’est alors qu’après un moment, il me demanda en se tournant vers moi :
- Dis ! Tu pourrais m’apprendre à parler français ?
- T’apprendre à… Répétais-je surpris. Tu sais, repris-je après un instant d’hésitation. J’essaye d’oublier tout ce qui a attrait avec mon pays d’origine, dis-je le plus calmement et le plus honnêtement possible.
- Je comprends, souffla-t-il, déçu.
Je n’avais pas utilisé une seule fois cette langue depuis que j’avais quitté la France. Celle-ci me rappelait trop les cris de ma mère et la façon brusque qu’elle avait de s’adresser à moi. Je fus heureux de ne pas le voir insister, reprenant ses allers-retours dans le noir.
- Hayden ? M’appela-t-il à nouveau après un moment.
- Quoi ? Demandais-je, commençant à être agacé par ce genre de question.
N’avait-il pas compris ! Allait-il encore insister ?!
- Tu ne t’es jamais attaché à quelqu’un au point de vouloir rester avec ?
- Tu as fini avec tes questions débiles ? M’exclamais-je agressivement, ne pouvant plus me contenir.
Sursautant, Gwendal me tourna le dos et alla vers son sac. Je devinais plus que je ne le vis s’installer contre le mur opposé de la grotte avec son duvet. Il s’allongea, recouvrant sa tête à l’aide de son duvet. Soupirant intérieurement, je me décidais à aller le rejoindre. Je n’aimais pas être agressif avec lui, mais je voulais qu’il comprenne que je ne voulais pas de ce genre de questions trop personnelles. Alors que je m’asseyais à côté de lui, Gwendal me tourna obstinément le dos, restant sous son duvet.
- Ecoute, Gwen… Commençais-je. Je suis désolé, je n’aurais pas du te parler sur ce ton… Mais, je n’aime pas parler de moi…
- Parce que cela justifie peut-être la façon dont tu m’as parlé ? Demanda-t-il vexé.
Je me redressais, ne sachant que faire. Je n’avais jamais été doué pour la vie à deux. Faisant quelques pas, je finis par me résigner à lui dire, comme un aveu trop personnel :
- Tu sais, la raison pour laquelle j’essaye d’oublier mon passé, c’est parce que je n’en suis pas fier…
- Ton passé à fait de toi ce que tu es… Pourquoi le fuir ? Demanda-t-il, un peu calmé.
- Ah oui ? Parce que tu ne fuis pas toi, peut être ? Demandais-je avec hargne, toute patience m’ayant quitté.
- Mais ça n’a rien à voir avec moi ! S’exclama-t-il brusquement, en se redressant.
- Tiens donc ! C’est pourtant pas l’impression que j’ai !
Je l’avais pourtant mis en garde indirectement. Il s’était approché de trop près du seul sujet sensible qu’il ne fallait jamais aborder avec moi. Mon passé était derrière moi, et cela ne servait à rien de revenir dessus.
- Je ne fuis pas mon passé ! S’écria-t-il. Je ne fuis pas la personne que je suis ! Je suis comme je suis, c’est tout ! Je fais avec ! Je fuis un avenir dont je ne veux pas ! Je fuis une vie insignifiante pour moi !
- Une vie à ton image ! Crachais-je, sans réfléchir.
J’étais tel un animal blessé que l’on avait attaqué, et la seule réponse que je connaissais était l’attaque.
- Comment peux-tu être aussi méchant ? Me demanda-t-il d’une voix étranglée.
Je n’aurais pas du aller jusque là. Je ne voulais pas le faire pleurer, et il n’y avait pas la moindre once de vérité dans ce que je venais de lui dire. Se détournant de moi, il attrapa son duvet et alla s’installer à l’entrée de la grotte. S’installant sans son duvet, callant sa tête contre la paroi humide, il regarda la pluie tomber. Voulant rattraper mon erreur, je m’approchais de lui.
- Gwendal… Commençais-je, en posant une main sur son épaule.
- Laisse-moi ! Cracha-t-il avec hargne en se dégageant. Dégage !
N’insistant pas, ne sachant pas vraiment comment me comporter avec lui et énervé qu’il s’adresse à moi de cette façon, je retournais vers mon sac et en sorti la trousse à pharmacie. Avec un soin qui contrastait avec l’agacement qui bouillait dans mes veines, je refis mon pansement. La plaie était plutôt belle à voir, j’étais rassuré par sa cicatrisation. Je ne ressentais plus qu’une légère douleur et un tiraillement. Le début de démangeaison n’était qu’un bon signe supplémentaire.
Puis, trouvant un endroit le plus confortable possible, je m’installais dans mon duvet, tentant d’ignorer au mieux les reniflements de mon vis-à-vis qui continuait de pleurer. Ce ne fut que lorsqu’il s’endormit que je me laissais aller à mon tour en pensant que la route avec lui ne serait vraiment pas de tout repos…
Un grondement fracassant me tira de mon sommeil, résonnant contre les parois de la grotte. Me redressant légèrement, je tentais de m’assurer que Gwendal allait bien après le cri qu’il m’avait semblé percevoir de sa part. Au deuxième éclair, j’entraperçus sa silhouette se terrer un peu plus contre le mur. Il ne lui en fallut pas plus. Attrapant son duvet, je l’entendis plus que je ne le vis se ruer vers moi en trébuchant. Un éclair illumina la grotte à nouveau, me permettant de le voir. J’écartais mes bras, l’invitant à venir s’y réfugier. Oubliant sa rancœur, il céda et il se précipita entre mes bras, tremblant de peur et de froid. Son corps entier était tendu et congelé. Comment avait-il pu tenir si longtemps à l’entrée de cette grotte ! Je ne pouvais décemment pas le laisser ainsi.
- Tu es glacé, soufflais-je, après un nouveau coup de tonnerre. Tiens moi ça ! Demandais-je en lui tendant la lampe de poche. En zippant les deux duvets ensembles, on pourra se tenir plus chaud, qu’en dis-tu ?
- Je… D’accord ! S’empressa-t-il de répondre alors qu’un éclair illuminait la grotte.
Sans attendre, je m’affairais à attacher ensemble nos deux duvets. Lorsque cela fut fait, je me rallongeais et l’invitais à prendre place à mes côtés, chose qu’il accepta sans tarder. Il prit cependant soin de me tourner le dos, se tentant plus qu’il n’était possible éloigné de moi.
Mais il continuait de tremblait comme une feuille, son corps parcourut de spasmes.
- Arrête de trembler, soufflais-je, agacé par son comportement.
- Je tremble si je veux ! Me donne pas d’ordre, j’en ai pas à recevoir de toi ! Répondit-il sur le même ton avant de se réfugier sous le duvet alors que le tonnerre grondait inlassablement.
Poussant un profond soupir intérieur, je laissais mes mains s’activer dans son dos, le frottant pour tenter de le réchauffer au mieux. Il allait attraper la mort… Gwendal finit par se laisser alors, poussant même un soupir de bien être. Mais ce n’était pas assez.
- Cela ne suffira pas à te réchauffer. Tu est complètement glacé… Allez, viens pas là ! Ajoutais-je en l’attirant vers moi, passant outre ses résistances.
Je le sentis se tendre à mon contact, mais il ne mit finalement pas beaucoup de temps avant de se relâcher, et ne tarda pas, enfin réchauffé à s’endormir.
Le sommeil ne vint pas pour moi. Cela commençait à faire longtemps que je n’avais pas tenu quelqu’un aussi intimement entre mes bras et je n’étais pas quelqu’un qui avait été élevé dans la tendresse. J’avais du mal à l’être et encore plus à en recevoir. Mon accès de colère et l’impossibilité d’avoir fait autrement était ce qui avait était une des causes de mon impossibilité d’avoir une véritable relation. Julien en était la preuve. Même si nous nous étions aimé, je n’avais jamais pu lui apporter ce qu’il voulait, trop indépendant, loup solitaire et avare en gestes de tendresse. J’avais du mal à faire confiance à l’autre au point de baisser toute mes gardes et de rester près de lui aussi simplement. Il y avait toujours ce petit quelque chose qui m’en empêchait. J’avais toujours dû me débrouiller seul ou m’occuper des autres. Je ne pouvais compter que sur moi-même. J’aimais le contact physique avec les autres et leur compagnie, mais taisant ma véritable nature, ce que j’étais réellement et ce passé qui me constituait, je construisais un mur impénétrable entre moi les autres. Personne ne savait qui j’étais vraiment : ce petit enfant tremblant devant sa mère, tapi dans un coin de cuisine, effrayé par la main qu’elle levait sur moi…
Ce fut sur cette dernière pensée que je fermais les yeux, frissonnant un froid que personne n’était jamais parvenu à calmer.
Je me réveillais tôt le lendemain matin. Le soleil était de retour, baignant l’entrée de la grotte de ses premiers rayons. Une buée se dégageait de la pierre chaude, offrant une agréable vue. Sortant du duvet, j’allais m’étirer un peu, engourdis par la nuit et m’offrit une toilette matinale avec les moyens du bord. Rassemblant toutes les affaires, je laissais le petit-déjeuner sorti. Puis je reportais mon attention sur Gwendal qui était toujours en train de dormir profondément. J’entrepris alors de le réveiller et je n’aurais jamais cru qu’il faille en faire autant. Ce ne fut que lorsque j’en vins à le secouer qu’il ouvrit enfin légèrement les yeux :
- Et ben, pour te faire ouvrir les yeux c’es quelque chose ! Fis-je remarquer. Allez, lève-toi !
Il ne répondit rien, m’annonçant le ton de la journée. Il m’adressa un regard assassin avant de se tourner de l’autre côté. Soupirant, je n’insistais pas et m’éloignais. J’allais m’installais et commencais le partage du petit déjeuner. Gwendal mit un certain temps avant de me rejoindre et il ne m’adressa même pas un seul mot, se contentant de m’ignorer. Rentrant dans son petit jeu, je ne cherchais pas à échanger avec lui. Il ne nous fallut pas plus d’un vingtaine de minutes pour finir de nous préparer et plier le reste de nos affaires. Ce fut toujours dans un silence monastique que nous reprîmes la route. Le soleil haut dans le ciel offrait une humidité ambiante du à l’orage de la veille, rendant l’air lourd et désagréable.
Comme je l’avais prédis, il nous fallut presque la journée pour arriver chez mon Max, un amant de passage. J’avais travaillé quelques mois dans son bar et étais revenu le voir plusieurs fois et notre attirance mutuelle avait engendré une relation étrange. Il n’y avait rien de plus qu’une relation physique entre nous et une certaine forme d’amitié peu approfondie. Nos corps s’entendaient bien, il me rappelait le patron du bar que ma mère fréquentait beaucoup quand j’étais petit et qui avait toujours un chocolat chaud pour moi qui m’attendait. Max était un homme bien qui faisait tourner son bar du mieux qu’il pouvait. Il était partit de rien et j’admirais le travail qu’il avait accompli.
Gwendal me suivit silencieusement dans le fameux bar qui donnait sur la place publique. Nous n’avions pas échangé plus de trois phrases, Gwendal était rancunier et moi n’ayant pas la moindre envie de faire le premier par pour qu’il m’assomme de questions et ne me juge sur mon passé et mes choix. M’approchant du comptoir, je demandais à un barman :
- Salut ! Dis-moi, est ce que Max travaille toujours ici ?
- Ca s’pourrait bien ! Ca dépend qui le demande ! Répondit le barman en posant sur moi un regard sceptique.
- Dis-lui simplement qu’Hayden demande à le voir ! Répliquais-je peu impressionné.
Le barman me jaugea un instant du regard avant de disparaître par une porte située derrière le comptoir. L’instant suivant, il réapparaissait accompagné de Max, homme âgé d’une trentaine d’année, les cheveux bruns habituellement long coupés très courts. Un sourire se détacha aussitôt de son air renfrogné lorsqu’il me vit. Il s’approcha aussitôt de moi et nous nous étreignîmes avec force :
- Hayden ! S’exclama Max. Ma parole, ça fait une paye que je ne t’avais pas vu ! Je n’y croyais plus !
- Que veux-tu ! La vie nous réserve des surprises ! Répondis-je en me libérant de sa puissante étreinte. Alors qu’est ce que tu deviens ? Toujours à pourrir dans ton trou à rats ?
- Comme tu vois ! On ne se refait pas ! S’exclama-t-il en riant.
Même si je n’étais pas émotionnellement attaché à Max, cela me faisait plaisir de le revoir. Nous avions passé de bons moments ensemble et s’il n’en avait pas l’apparence extérieure, c’était un homme profondément gentil et prêt à beaucoup pour aider son prochain. Malgré les deux années où je ne l’avais pas vu, il n’avait pas changé. Il faisait beaucoup de sport pour entretenir son corps lorsqu’il ne travaillait pas à faire marcher son bar et contrastait avec l’image bedonnante de l’homme derrière le comptoir, patron de son bar.
Max remarqua la présence de Gwendal qui se tenait à côté de moi, les bras croisé sur sa poitrine :
- Et qui est cette charmante personne ? Demanda-t-il avec un sourire qui en disait long sur ce qu’il était en train de s’imaginer.
- Laisse tomber, Max ! M’exclamais-je. Il est trop bien pour toi ! Max, je te présente Gwen ! Un ami de voyage ! Gwen, voici Max !
- Enchanté Gwen ! Souffla Max. C’est un plaisir de faire ta connaissance !
- Et bien, sachez que je ne vous retourne pas la politesse ! Déclara-t-il en évitant soigneusement de serrer la main qu’il lui tendait.
N’appréciant pas du tout son attitude, je me promis de lui en toucher un mot plus tard.
- Fait pas attention ! Déclarais-je en me tournant vers Max. Il est assez spécial !
Se tournant vers moi, Gwen m’adressa un regard furibond. N’étant pas le genre d’homme à s’attarder sur ce manque de politesse de la part de Gwendal, Max se tourna vers moi et déclara :
- Je t’offre un verre ?
- Avec plaisir ! Répondis-je en m’asseyant au comptoir, laissant mon sac à mes pieds.
Gwendal m’imita et lorsque Max lui proposa la même chose, il refusa simplement.
- Alors, s’exclama Max en reportant son attention sur moi. Quel bon vent t’amène ?
- Nous passions par là, alors je me suis dis que je ne pouvais pas ne pas passer te voir.
- Rassure-moi, dit-il avec un regard lourd de sous entendu qui me fit frémir en imaginant la suite, tu restes ici cette nuit.
- Si nous sommes invités, avec plaisir…
- Il prendra la chambre d’ami, dit-il en me montrant brièvement du regard Gwen qui semblait absent, plongé dans ses pensées, ne prenant part à notre discussion. Quant à toi… À moins que vous ne soyez ensem…
- Comme je te l’ai dit, nous ne sommes que de simples compagnons de voyage. Je suis donc tout à toi. Dis-je en riant.
- Où est ce que tu l’as trouvé celui-là, ce n’est pas ton genre de voyager avec quelqu’un ? 
- Nos routes se sont croisées, rien de bien intéressant, dis-je, voulant rester le plus évasif possible. Et toi après ces deux ans, il a du s’en passer des choses ! Si tu me racontais !
Il n’en fallut pas plus à Max pour me parler de son bar, un petit bijou à ses yeux, battis avec la sueur de son front. Mais Max ne tarda pas à interrompre son histoire pour me montrer Gwendal.
- Tu devrais le monter dans la chambre, ton ami à l’air épuisé au point de s’endormir au comptoir. Je n’avais jamais vu ça ! A part pour ceux qui boivent trop, mais ça n’a pas l’air d’être son cas !
- Oui, bonne idée. Encore merci pour ton hospitalité Max.
- Tu seras toujours le bienvenu ici Hayden, tu le sais.
Je lui adressais un sourire avant de reporter mon attention sur Gwendal. Il semblait dormir profondément. Aussi je le secouais légèrement, tentant de le faire revenir à lui.
- Gwen ! Réveille-toi ! Soufflais-je.
Pour toute réponse, il m’adressa un grognement qui se voulait dissuasif, ne semblant avoir aucune envie de se réveiller. J’avais du mal à imaginer qu’on puisse être aussi épuisé après une journée de marche où le rythme avait été moindre qu’à ce dont j’avais l’habitude.
- Ne reste pas là ! Insistais-je. Viens, je vais te montrer ta chambre ! Allez, lève toi !
Cédant, Gwendal entrepris de se lever, mais il manqua de s’écrouler et ne du son salut qu’à mes reflexes. Je le retins comme je peux par le bras.
- Ca va ? Lui demandais-je, légèrement inquiet.
Il ne me répondit rien et partit à ma suite. Nous montâmes au premier étage, je connaissais bien les lieux. Arrivé devant la chambre dont Max m’avait parlé, j’ouvris la porte et lui dit :
- Voilà, c’est ta chambre pour cette nuit. Repose-toi, tu as l’air d’en avoir besoin.
- Hn… Merci souffla-t-il simplement.
Il se dirigea hagard vers son lit alors que je refermais la porte derrière lui. Retournant voir Max, je lui demandais si je pouvais emprunter sa douche, en rêvant depuis hier soir. Après avoir eu son accord, j’attrapais nos deux sacs et remontait à l’étage. Je déposais silencieusement le sac de Gwen dans sa chambre qui était déjà en train de dormir à moitié affalé sur son lit. Souriant face à cette image, j’allais prendre une douche bien méritée.
Une fois lavé, mon pansement refait et vêtu de propre, j’allais rejoindre Max dans le bar. Un autre verre m’attendait déjà, et je passais une soirée agréable, apprenant à connaître un des nouveau barman engagé. Il m’offrit un plat consistant, et les verres s’enchaînèrent. Alors que je me sentais légèrement engourdi et que l’heure de la soirée était déjà bien avancée, Max me fit sous entendre qu’il était l’heure d’aller se coucher. Je le suivis avec plaisir. J’avais l’impression que je n’avais pas touché intimement un corps depuis des lustres.
Nous n’attendîmes même pas d’arriver jusqu’à la porte de sa chambre pour qu’il se jette sur moi, m’embrassant avec ardeur, me laissant présager la suite.
Cette nuit, j’allais m’offrir à lui comme je l’avais déjà si souvent fait, sans la moindre honte, sans la moindre pudeur ni retenue. Je voulais qu’il me possède pour me sentir vivre, comme pour m’éloigner un peu plus du gouffre de mon passé qui m’attirait inlassablement…
Le lendemain, je me réveillais le corps courbaturé par les ébats de la veille, mais serein comme je l’étais rarement. M’étirant, je vis que Max dormait encore profondément. Amusé, je récupérais mes affaires éparpillées dans la chambre et filais sous la douche. Une fois propre, j’allais voir Gwendal. Celui dormait, enfoui sous sa couette. Je l’appelais doucement, tentais de le secouer légèrement, mais ce fut sans le moindre succès. Ces yeux restaient désespérément clos et seule sa respiration pouvait qu’il était encore en vie. Il me fallut près d’une demi heure avant qu’il se réveille enfin. Je l’appelais d’une voix tremblante d’inquiétude, craignant le pire :
- Gwen ! Gwen, réveille-toi ! Allez ouvre les yeux !
Obéissant, Gwendal finit enfin par ouvrir les yeux avant de les refermer aussitôt. Ne désirant pas le voir sombrer à nouveau, j’insistais appelant son nom et ce ne fut que lorsque je vis sa main se redresser légèrement avant de retomber mollement sur le lit que je m’exclamais :
- Non de Dieu, Gwen ! M’exclamais-je. Ne me refais jamais une peur pareille ! Ca fait une demi-heure que j’essaye de te réveiller et que tu restes aussi immobile qu’un cadavre ! Est-ce que tout va bien ?
- Ca va ! Déclara-t-il, d’une voix rauque.
- Tu es sûr ? Demandais-je en le voyant aussi pâle que la mort. Tu as vraiment mauvaise mine !
- Ca va ! Répéta-t-il avec conviction.
Ne voulant pas insister d’avantage, puisqu’il ne semblait pas vouloir de mon aide, je répondis :
- Très bien ! Je te laisse te préparer ! Rejoins moi en bas, lorsque tu seras prêt, nous partons d’ici une heure !
Sans attendre de réponse, je quittais la pièce, lui laissant le temps de se préparer. Je croisais Max qui sortait de la douche en serviette.
- Sers-toi dans la cuisine de ce dont tu as besoin, je te rejoins.
Je m’installais dans la cuisine et préparait un café brûlant pour m’aider à me réveiller.
Comme je l’avais prévu, après une heure, nous étions de nouveau en route. J’avais remerciais chaleureusement Max, lui promettant de revenir le voir. Gwendal quant à lui, lui décrocha à peine un seul mot. Ce fut après une bonne heure de silence à marcher en sa présence que je finis par craquer. Me retournant brusquement, je croisais les bras sur ma poitrine et déclarais, clairement agacé par son comportement :
- Bon ! Tu m’expliques ce que tu as depuis hier soi ? Tu as été excécrable envers Max qui a eut la gentillesse de t’héberger !
- Et bien, la prochaine fois, qu’il s’abstienne ! Répliqua-t-il avec une colère que je ne lui connaissais pas. Je préfère encore mille fois dormir dehors sous un orage que de revivre la nuit comme celle que je viens de passer !
- Ah oui ! M’exclamais-je. Et son altesse pourrait-elle m’expliquer ce qui lui arrive cette fois-ci ? Tu as tes règles ou quoi ?
- Ce qui m’arrive ? Cria-t-il comme à bout de nerf. Il m’arrive que tu es quelqu’un d’exécrable ! Tu n’est qu’un égoïste ! Tu agis toujours sans la moindre considération pour moi !
- Pardon ? M’étranglais-je, m’attendant à tout sauf à cela.
- Tu m’as très bien compris ! Poursuivit-il. Tu crois que je ne vous ai pas entendu cette nuit ? C’est… C’est simplement répugnant !
- Oh ! Et je peux savoir ce qui te dérange ? Répliquais-je avec sarcasme. Tu es jaloux ?
- Moi jaloux !? Cracha-t-il avec mépris. Plutôt mourir ! C’est malsain et… Immonde ! Pourquoi tu as fait ça ? Je t’ai dit que j’avais de l’argent pour payer des chambres d’hôtel ! Mais non, toi tu préfères te vendre.
Je pris sa remarque comme un coup de poing en pleine figure. Comment pouvait-il me dire une telle chose ? Comment pouvait-il me comparer à ma mère ! Comment pouvait-il concevoir la chose de cette manière ? Et pourquoi fallait-il toujours qu’il se débrouille à me rappeler du lieu où je venais… Emporté par la colère, je lui attrapais le bras et le forçais à se retourner alors qu’il tentait de fuir. D’un geste brutal et avec une force que je ne lui soupçonnais pas capable d’avoir, il se dégagea de ma poigne :
- Ne me touche pas ! S’exclama-t-il. Je ne sais pas où tes mains ont traînées !
Alors que j’allais répondre par une réplique acerbe, je vis Gwendal pâlir à vue d’œil. Reculant de quelques pas, il posa sur moi un regard emplie de tristesse que je ne parvins pas à interpréter. Puis il se retourna et esquissa un mouvement pour s’éloigner. Cependant, il fit à peine quelques pas avant de tomber lourdement sur le sol, inconscient.
Accourant vers lui, je le pris dans mes bras en m’agenouillant. Son front perlant de sueur était brûlant. Quel imbécile ! Pourquoi ne m’avait-il pas avoué qu’il se sentait si mal ! Laissant son sac et le sien, je le pris dans mes bras, le soulevant comme s’il ne pesait rien. Là, je le posais à l’ombre d’un arbre avant d’aller récupérer les sacs. Je pris une serviette dans mon sac et courus jusqu’à une rivière que je savais proche d’ici. En un rien de temps je fus de retour et retrouvais Gwendal se tenant la tête comme si celle-ci était affreusement douloureuse.
M’agenouillant près de lui, ce ne fut que lorsque je parlais qu’il sursauta, remarquant ma présence.
- Gwendal, est ce que ça ?
Il tenta de s’écarter aussitôt, posant sur moi un regard de dégout.
- Ne t’approche pas ! Souffla-t-il comme si cette simple phrase lui coûtait beaucoup.
- Arrête de faire l’enfant Gwen…
Puis sans lui laisser le choix, je posais la serviette humide sur son front qu’il accepta avec un soupir.
- Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu te sentais aussi mal.
- Parce que… Parce que tu n’en as rien à faire de moi.  Murmura-t-il.
Soupirant, je ne répliquais rien, comprenant que ce n’était pas le moment pour une telle discussion.
- Ne bouge pas d’ici, je reviens, dis-je en me redressant.
Gwendal devait voir un médecin. Son corps n’étant pas habitué à un telle vie, ce n’était pas étonnant qu’il tombe malade. Attrapant les deux sacs, je décidais d’aller les cacher. C’est à cet instant que je me souvins de la grange abandonnée pas loin. Ignorant la chaleur étouffante, je partis au pas de course pour y cacher les sacs. Nous resterions sûrement ici ce soir. Il suffisait que je l’aide à marcher jusqu’à chez le médecin, puis nous achèterions ses médicaments et reviendrons ici. Après avoir cacher les sacs, je partis rejoindre Gwendal qui était heureusement toujours conscient.
- Je me suis permis de prendre l’argent dans ton sac pour payer le médecin, expliquais-je. Tu te sens de te lever, je vais t’aider.
Alors que je tentais une main vers lui, il la repoussa mollement en déclarant :
- Ne me touche pas, tu es répugnant, tu me dégoûtes… Tenta-t-il.
Il eut beaucoup de chance d’être malade. Sans cela je lui aurais tourné le dos sans même réfléchir. Ignorant ses paroles blessantes, je l’attrapais et le hissais sans la moindre difficulté sur ses deux jambes. Sans lui laisser le choix, je passais son bras sur mon cou et le soutenant fermement, je commençais à marcher. Dans un état de semi-conscience, Gwendal mit péniblement un pied devant l’autre sans un mot. Le village n’était qu’à une petite heure à pied, mais nous n’avions même pas parcouru le quart au bout d’une demi-heure. Gwendal semblait être incapable de mettre un pied devant l’autre. Il trébuchait et manqua de`s’effondrer plus d’une fois.
Ne supportant plus, je le pris sur mon dos. Il passa mollement ses bras autour de mon cou, appuyant sa tête brûlante contre ma nuque. Son poids plume n’ayant rien d’encombrant, j’entamais la marche d’un pas rapide, désirant y arriver au plus vite. Ce fut avec un soulagement non fein que nous arrivâmes au village. Après avoir demandé mon chemin à un passant qui me regarda avec deux gros yeux ronds, je me rendis au lieu indiqué. Heureusement, il ne fallait pas prendre de rendez-vous et la chance tournant de notre côté, il n’y avait personne dans la salle d’attente. Le médecin nous pris rapidement et il me laissa attendre dans la salle d’à côté pendant qu’il l’auscultait.
Après une vingtaine de minutes qui me parurent durer une éternité, le médecin m’invita à les rejoindre. Gwendal était assis sur la chaise devant le bureau et semblait légèrement plus lucide. Je pris place en face du médecin qui déclara :
- Votre ami a une angine. Ce n’est rien de grave si cela est traité à temps. Je lui ai donné une ordonnance précise et lui ait déjà donné un anti-fièvre et quelques médicaments.
- Merci beaucoup, répondis-je.
- Il dit s’appeler Julien. Je veux bien garder cette version et ne rien ébruiter. Mais cela nécessite une petite contrepartie, en plus du prix de la consultation.
Comprenant très bien ou il voulait en venir, je fouillais dans l’enveloppe garnie qui Gwendal avait emporté. Tirant plusieurs billets, je lui tendis, achetant son silence. Gwen me jetta un bref regard, les yeux embrumés.
- Très bien, dit-il en rangeant l’argent dans son tiroir. Je ne vous ai jamais vu, vous pouvez sortir. Un repas chaud ce soir, les médicaments suivant les prescriptions et Julien sera sur pied dans deux jours comme si rien ne lui été arrivé !
Nous quittâmes son cabinet aussi rapidement que nous y étions entré. Gwendal s’appuyait sur moi. Ne voulant pas attirer davantage l’attention sur nous, je laissais Gwendal à l’entrée du village, près de la forêt et repartie chercher ses médicaments.
Lorsque je reviens, je le trouvais à moitié endormis, assis sur le sol à moitié appuyé contre un arbre. Le médecin lui ayant déjà donné des médicaments, il prendrait les prochains dans quelques heures. J’aurais préféré le laisser se reposer, mais je n’aimais pas l’idée de traîner ici. Même si nous avions graissé la patte du médecin, rien ne nous prouvait qu’il n’appellerait pas la police pour prévenir de la présence de Gwendal ici.
- Lève-toi, lui dis-je en lui tendant une main qu’il refusa de saisir.
- On ne retourne pas chez Max, s’empressa-t-il de me demander alors qu’il me voyait reprendre le même chemin, s’appuyant contre l’arbre n’ayant que très peu d’équilibre.
- Non, je n’abuserais pas de son hospitalité. Il y a une grange abandonnée pas loin. J’y ai laissé nos affaires. Nous passerons quelques jours là bas, tu pourras te rétablir.
Le voyant faire un pas peu assuré, j’ajoutais :
- Laisse-moi te porter, il vaut mieux que tu économises tes forces pour guérir.
Contre toute attente, Gwendal acquiesça, me cédant très facilement. En un rien de temps, il fut sur mon dos en murmurant :
- C’est horrible… Je n’ai jamais été malade…
- Il faut une première à tout, déclarais-je, peu surpris d’apprendre une telle nouvelle.
Il devait être surprotégé dans sa tour d’ivoire…
Nous fûmes rapidement arrivés à la grange. Récupérant nos sacs, je préparais un nid douillet à Gwen avec son duvet. Pliant un de mes pulls, je lui fit un oreiller avant de l’inviter à s’installer. Celui-ci ne rechigna pas. A peine fut-il allongé qu’il sombra dans un sommeil profond. Soupirant de soulagement face à la tournure des évènements, je décidais de ne pas rester inactif. Attrapant mon linge sale dans mon sac et le sien, je pris du savon et retournais près de la rivière. Là, j’entrepris de laver nos vêtements avec énergie. Après les avoirs étendus au soleil près de la grange, j’allais chercher du bois que je rassemblais pour le soir. N’ayant rien dans mon sac qui puisse constituer de la nourriture pour un malade, je me permis de prendre un nouveau billet dans l’enveloppe de Gwen et repris la direction du village pour acheter quelques légumes.
Gwendal ne revint à lui qu’en début de soirée alors que j’étais en train de cuisiner une soupe avec les moyens du bord. Je l’entendis s’approcher de moi avant de s’asseoir comme si ce simple parcours l’avait épuisé.
- Qu’est ce que tu prépares ? Me demanda-t-il.
- Une soupe, pour que tu prennes tes médicaments sans avoir l’estomac vide.
- Je n’aime pas la soupe, dit-il boudeur.
- Et bien, tu te forceras ! Déclarais-je. Je n’ai pas fait deux heures de marche et une bonne heure de cuisine pour que monsieur le malade fasse la fine bouche.
Gwendal ne répondit rien, ayant perdu de son répondant.
- Tu es presque agréable quand tu es malade, dis-je en riant.
- Ah ah ! Dit-il vexé.
Attrapant une gamelle propre, je la remplie de soupe fumante avant de le lui tendre.
- Voilà, c’est prêt.
Gwendal l’attrapa en faisant la moue. Lui tentant une cuillère, j’allais ensuite chercher ses médicaments, lui donnant la dose prescrite sur l’ordonnance. Gwendal mangea silencieusement, ne faisant aucun commentaire, tandis que je prenais ma part. Aucun mot ne fut échangé et ce ne fut que lorsqu’il posa son assiette ayant consommé l’entièreté de sa soupe chaude et prit ses cachet qu’il se leva difficilement. Une fois debout il déclara :
- Je… Je retourne me coucher. Bonne nuit.
- Bonne nuit Gwen. Dit-je sur le même ton. Si tu as besoin de quelque chose n’hésite pas.
- Merci… Murmura-t-il faiblement.
Je pris mon temps pour tout ranger, rassemblait le linge et le pliait. Une fois que tout fut fini, je profitais de la dernière heure de soleil pour poursuivre la lecture de mon livre que j’avais délaissé depuis quelques temps. Lorsque la lumière vint à manquer, j’admirais le coucher de soleil. Puis, n’ayant rien d’autre à faire, j’allais chercher mon duvet et vins me mettre près de Gwendal. Il ne faisait pas particulièrement froid, mais je voulais être là au cas où il ait besoin de moi. Ce fut en espérant qu’il aille mieux le lendemain que je partis le rejoindre dans les bras de Morphée.
Le lendemain fut semblable à la veille, si ce n’est que Gwendal commençait à aller déjà beaucoup mieux. Nous étions en fin d’après-midi lorsqu’il vint me rejoindre s’asseyant à quelques mètres de moi tandis que je continuais ma lecture. Fermant mon livre, je m’approchais de lui.
- Comment te sens-tu ? Lui demandais-je.
Face à son absence de réponse, je tentais de poser ma main sur son front pour m’assurer moi-même que la fièvre était tombée. Mais Gwendal repoussa vivement ma main, et déclara :
- Combien de fois est-ce que je t’ai dis de ne pas me toucher.
- J’ai la réponse à ma question, déclarais-je agaçé. Oh et puis merde à la fin. Je me demande pourquoi je m’entête avec toi. Tu as une attitude d’enfant gâté. Tu es vraiment insuportable quand tu es comme ça.
- Si je suis si insupportable, tu n’as qu’à partir, je me débrouillerais tout seul.
- J’aimerais bien voir ça ! Dis-je en lui éclatant de rire au nez.
Je ne l’imaginais pas une seconde vivre la vie que je menais seul.
- Je me débrouillerais mieux que toi en tout cas ! Claqua-t-il faisant stopper net mon rire.
- Qu’est ce que tu sous-entends par là ? Lui demandais-je.
- Jamais je ne m’abaisserais à coucher avec quelqu’un pour avoir un toit ! Cria-t-il, rageur.
- Ca n’a strictement rien à voir ! Je n’ai pas couché avec lui pour avoir un toit mais parce que je voulais me faire plaisir, chose que tu sembles toujours t’interdir ! Répliquais-je, sentant monter une colère sourde en moi.
- Le fait reste le fait ! Clama-t-il hors de lui. Tu as couché avec celui qui t’héberge, ce n’est pas mieux que ce que faisait ta mère pour de l’argent.
Une colère sans nom me prit. Comment le savait-il ? Comment osait-il me comparer à elle. Alors que je me levais, je vis dans le regard de Gwendal qu’il regrettait ce qu’il venait de dire. Mais le mal était fait. Ne voulant pas retourner ma haine contre lui, je tapais de toute mes forces contre les vieilles planches en bois de la grange qui cédèrent sous le choc. Ignorant la douleur vive sur mon poing encore serré, je retournais mon attention sur Gwendal qui eut un mouvement de recul, me craignant véritablement.
- Tu as enquêté à ce point sur moi ! Je ne sais pas comment tu as su ! Et toutes ces questions que tu me posais innocemment ! Je ne te croyais pas comme ça Gwendal.
Sans un mot de plus, furieux, je lui tournais le dos et partit en marchant d’un pas vif. Il fallait que j’évacue ma colère et je ne pourais le faire que loin de celui qui l’avait déclenché. Je marchais d’un pas vif, haineux comme rarement cela m’arrivait d’être, les poings serrés. Le simple fait qu’il sache ce qu’était ma mère me révulsait, et me comparer à celle que j’avais toujours haie secrètement était la pire des choses. Comment pouvait-il me juger ainsi ? Pourquoi me sortait-il les mêmes termes que ma mère employait à mon égard ? Combien de fois ma mère m’avait-elle traité avec dégoût…
Je ne sus combien de temps je marchais ainsi, faisant un cercle immense autour de la grange, tentant de calmer en moi les tremblements de hargne. Avais-je bien fait de l’accepter avec moi ? Accepter Gwendal à mes côtés c’était lui ouvrir la porte à une intimité que je n’avais jamais offerte à personne. Personne ne connaissait le véritable Hayden… Hayden… Ce n’était même pas mon véritable nom… Ma mère m’avait appelé Mathis… Mais j’avais renié ce nom à l’instant même où elle avait quitté ma vie. Cependant c’était une chose de le renier, mais il était impossible de le faire totalement disparaître. Mathis était toujours là, près à refaire surface si je ne me protégeais pas assez. Soupirant, après plusieurs heures de marches, une légère averse commença à tomber. Ignorant la pluie, je me décidais tout de même à rentrer. L’averse fut finit au moment même où j’arrivais.
Gwendal était toujours là, à l’entrée de la grange. Lorsqu’il me vit arriver, il me lança un regard que je ne sus interpréter. N’ayant aucune envie de partager le même espace que lui pour le moment, je m’installais à l’extérieur, m’appuyant contre le mur de la grange, là où l’herbe avait été protégée de la pluie.

Gwendal hésita, puis finit par s’approcher de moi. Je ne lui adressais pas même un regard.
- J’ai cru que tu ne reviendrais pas, dit-il d’une voix basse.
Je n’eus pas la moindre réaction, encore trop en colère contre lui.
- Ta main… Souffla-t-il. Il faudrait que tu la soignes…
Je posais les yeux sur la main avec laquelle j’avais violemment frappé les planches en bois de la grange et vis qu’elle était ensanglantée. Je n’en avais même pas eu conscience. L’approchant devant moi, je fis bouger les doigts. C’était douloureux, pensais-je en grimaçant, mais rien n’était cassé. C’était simplement de nombreuses coupures. Sans lui porter le moindre intérêt supplémentaire, je la posais sur mon ventre. Je m’en occuperais plus tard. La douleur me permettait de penser à autre chose.
Gwendal disparut dans la grange et je me laissais aller à fermer les yeux appréciant les rayons de soleil qui venait sécher mes vêtements trempés. Il faisait suffisamment chaud pour ne pas avoir à me changer tout de suite. Je sursautais lorsque j’entendis Gwendal me parler. Je n’avais même pas eu conscience qu’il était à côté de moi.
- Laisse-moi voir ta main s’il te plait.
Je tournais la tête vers lui, posant véritablement mon regard pour la première fois sur lui depuis notre altercation. Il tenait la trousse à pharmacie qu’il avait sûrement pris dans mon sac.
- Je croyais que mes mains te dégoûtaient, dis-je, acerbe.
- Je peux le supporter le temps de soigner ta main, répliqua-t-il.
Le silence s’imposa un instant avant qu’il ne murmure :
- Je m’excuse pour ce que je t’ai dit. Je n’aurais pas dû. Je suis désolé.
Je ne répondis rien. Qu’aurais-je pu répondre. Mais Gwendal insista :
- Hayden, laisse-moi voir ta main s’il te plait.
Soupirant, je finis par la lui tendre, posant mon regard sur lui. Il grimaça en voyant le sang qui commençait à sécher. Ouvrant la trousse à pharmacie, il entreprit soigneusement de panser mes plaies plus ou moins superficielles avec les moyens du bord.
- Comment as-tu su pour ma mère ? Soufflais-je après un moment.
Gwendal me leva les yeux vers moi, arrêtant un instant ses soins.
- Mon père… Il a enquêté sur toi. Il… Il me l’a dit quand je suis revenu chez moi de force… Je n’aurais pas du te dire ça ! Je ne le pensais pas !
- C’est bon, soupirais-je. Je m’excuse pour ce que je t’ai dis dans la grotte l’autre soir. On est quitte comme ça. Dis-je en tentant de lui sourire.
Gwendal tenta de me rendre mon sourire, mais je sentais que le cœur n’y était pas. Le silence s’imposa à nouveau, laissant le temps à Gwendal de terminer ses soins. Ma main fut entièrement bandée, laissant chacun de mes doigts libres. Je le remerciais alors qu’il rangeait la trousse à pharmacie. Ce ne fut que lorsqu’il revint avec une pomme en s’asseillant à côté de moi, que j’entamais une véritable discussion avec lui, nous devions parler :
- Pourquoi est-ce que tu as été aussi désagréable avec Max ? Lui demandais-je.
- Je ne sais pas, déclara-il. Je ne l’aime pas, il ne m’inspire pas confiance.
- Pourquoi ça ? Lui demandais-je étonné. Il n’y a pas plus gentil et honnête que Max.
- Non mais tu n’as pas vu le regard qu’il posait sur toi ! C’était… Abject ! Pervers ! Répugnant !
Je ne pus m’empêcher de dire avant de répondre :
- C’est bon, je crois que j’ai compris Gwen. C’était simplement du désir, rien de plus…
Je pris une pause avant d’ajouter, face à sa moue dubitative et légèrement écoeurée :
- Max est parti de rien. Son bar était un bâtiment délabré qu’il a acheté pour une bouchée de pain. En réalité, il y a mis toutes ses économies. Il l’a retapé seul, et il venait tout juste d’ouvrir lorsque je suis arrivé. Il adore raconter son histoire maintenant. Il m’a embauché et j’ai travaillé deux mois pour lui le temps qu’il trouve un remplaçant. Pour ce qui est de ce qui semble t’écoeurer au plus haut point, nous éprouvions une attirance mutuelle et nous avons simplement pris du bon temps ensemble…
- Et bien, tu aurais pu le faire plus discrètement. J’ai passé une nuit atroce ! S’exclama-t-il.
- Je tenterais d’être plus discret la prochaine fois, dis-je amusé.
- La prochaine fois ? Tu t’envoies vraiment en l’air avec n’importe qui ? Me demandant-il avec des yeux écarquillés.
- Ca ne te regarde pas ! Déclarais-je d’un ton un peu sec. Quoi ? Tu es jaloux, ajoutais-je en riant.
- Je ne suis certainement pas jaloux de ça ! S’exclama-il offusqué.
Puis il repris après un temps :
- Je pensais que… Je pensais que tu le faisais avec ceux que tu aimais… Comme avec Julien.
Sentant la discussion dévier vers un sujet sérieux, je lui répondis avec franchise :
- Tu sais Gwen, je n’ai jamais aimé quelqu’un au point de tout abandonner pour lui. Je ne sais même pas vraiment ce qu’on ressent. Je te l’ai pourtant dis. Je vis libre et je profite de tous les plaisirs qu’offre cette liberté.
- Mais… Dit-il alors que je sentais que cette conversation le gênait au vue de la couleur rosie de ses joues. C’est pourtant un acte extrêmement intime. Comment peux-tu le faire avec quelqu’un que tu connais à peine. Ce doit être affreux !
- Si c’était affreux, crois-moi, j’aurais cessé depuis longtemps !
Je comprenais ce qu’il sous entendait. Cela n’était d’ailleurs pas difficile à comprendre. Il devait être toujours puceau, attendant de trouver celui ou celle qui serait le bon, la personne qu’il aimerait et serait aimé en retour… Je ne croyais pas à cet idylle et je lui fis savoir.
- Tu sais Gwendal, ce que tu sembles idéaliser, je ne l’ai jamais connu. Cela est peut-être du à ma mère, mais… J’ai vraiment du mal à croire à l’existence d’une telle chose.
- Tu ne l’as peut-être jamais cherché, commenta Gwendal avec un petit sourire.
- Peut-être, murmurais-je.
Le silence s’installa à nouveau, chacun méditant sur les paroles de l’autre. J’attaquais alors la pomme qu’il m’avait apporté et ce fut à cet instant que Gwen me demanda :
- Tu es resté en contact avec ta mère ? Tu sais ce qu’elle devient.
Je faillis m’étouffer avec le morceau de pomme que je venais d’avaler. Je revis instantanément son corps sans vie, baignant dans son vomi et sa sueur. Mon cœur se serra durement. Ancrant mon regard dans le sien, je restais un instant sans voix, comme totalement perdu. Je finis par me ressaisir. Il fallait définitivement mettre un terme à ce genre de question.
- Je n’ai pas la moindre envie de parler de ça Gwendal ! S’il te plait, arrête de me questionner sur mon passé.
Alors que je voyais Gwendal près à s’excuser au vue de ma réaction, je lui proposais alors aussitôt, sans trop réfléchir à ce que cela allait impliquer :
- Je te propose la chose suivante : tu arrêtes de m’interroger et en échange, je veux bien tenter de t’apprendre le français. Mais je ne te promets rien. Cela fait très longtemps que je ne l’ai pas parlé.
- Je… Tu n’es pas obligé. Souffla-il, embarassé.
Je lui tendis ma main, comme pour conclure le marché.
- Je ne te le proposerais pas deux fois Gwen. Alors ?
Hésitant, Gwendal finit par saisir ma main valide.
- C’est d’accord ! Conclu-t-il.
Ce fut la faible pression de sa main qui m’alerta. Posant une main sur son front, je remarquais que celui-ci était brûlant.
- Gwendal, tu devrais te reposer et dormir un peu. Nous sommes là pour ça. Tu es brûlant de fièvre.
Me redressant, je lui tendis la main pour l’aider à se lever et je le retins alors qu’il semblait prit d’un vertige. Avec précaution et douceur je l’accompagnais jusqu’à son lit. Il s’y étendit sans le moindre refus. Je reviens lui apporter une serviette humide et de nouveaux cachets.
- Dors, soufflais-je après avoir passé ma main dans ses cheveux dans un geste tendre qui m’étonna moi-même.
Cette nuit là, Gwen fit une rechute. Il eut une impressionnante poussée de fièvre et ce fut son claquement de dents qui me réveilla, suivit de mon prénom murmuré.
- Gwendal ? Ca va ? Lui demandais-je.
- Non, j’ai soif et je suis gelé.
- Tu es pourtant brûlant dis-je en posant ma main sur son front. Bouge pas je t’apporte à boire.
En un rien de temps, je fus de nouveau à ces côtés, remplissant un gobelet d’eau fraîche provenant d’une de nos gourdes. Je lui donnais à nouveau un médicament contre la fièvre.
- J’ai mal à la gorge, gémit-il en tentant comme il pouvait de boire.
- La… Souffla-je en lui caressant la joue, ça va passer… Sa main se serra sur ma chemise et il m’attira brusquement contre lui.
Surpris par une telle force, je manquais de tomber sur lui. Comprenant ce qu’il voulait, je m’allongeais près de lui, et en un rien de temps, il fut tout contre moi, tremblant de froid et brûlant de fièvre. Passant lentement ma main dans ses cheveux collés par la sueur, je lui murmurais de se calmer.
- Tu restes là, murmura-t-il, comme sous le délire de la fièvre. Ne m’abandonne pas. Ne pars pas. Reste ici… S’il te plait.
- Je ne bouge pas Gwendal, je suis là…
Fébrile, ses poings restaient serrés sur ma chemise comme s’il avait réellement peur que je ne m’échappe. Attendris, je tins ma promesse. Même lorsqu’il s’endormit à nouveau, je restais près de lui jusqu’au petit matin…

Nous restâmes une journée et une nuit de plus avant de reprendre la route, attendant que Gwendal soit parfaitement rétabli. Nos rapports s’était grandement améliorés lorsque nous reprîmes la route. Gwendal s’en tint à notre marché et ne me posa plus aucune question sur mon passé. Il m’interrogea en revanche sur mon mode de vie, ayant toujours beaucoup de mal avec mon côté libertin. Pour ma part, je commençais à lui apprendre le français, mais j’éprouvais toujours un certain dégoût pour cette langue à laquelle je tentais de passer outre. Gwendal était cependant un très bon élève et apprenait vite. Nous progressâmes rapidement, sans se presser bien que nous devions nous éloigner le plus possible de son père.
Après plusieurs jours de marches, nous finîmes par arriver dans un lieu que je connaissais bien. J’y étais arrivé assez rapidement après ma fuite de la France. Linda, une femme âgée vivait dans une maison trop grande pour elle et m’avait accueilli à bras ouverts. Je l’avais beaucoup aidé à remettre en état son jardin et sa maison qui était arrivée à un état de délabrement dangereux. Elle n’avait pas les moyens pour embaucher quelqu’un. Si elle s’était au départ méfiée de moi, elle avait fini par baisser ses gardes. Elle était veuve et n’avait jamais eu d’enfant. Sa solitude aurait pu la rendre aigrie, mais c’était tout le contraire. Lorsqu’elle a eu confiance en moi, elle s’est avérée être une femme drôle, sensible et presque maternelle.

- Où est ce qu’on va ? Me demanda Gwendal, tu sembles bien pressé tout d’un coup.
- Ce soir, nous dormons dans un lit bien confortable, déclarais-je avec un sourire.
Mais Gwendal ne répondit pas à mon sourire, bien au contraire.
- Ne t’inquiète pas, dis-je en éclatant de rire. C’est une femme et âgée qui plus est !
Gwendal s’empourpra, gêné d’être découvert aussi facilement.
 - Comment s’appelle-t-elle ? Comment tu l’as connu ? Finit-il par demander.
- Elle s’appelle Linda. C’est une femme très gentille, tu verras, tu l’aimeras beaucoup et je pense qu’elle t’apprécieras. Elle a fait beaucoup pour moi. Chaque année, à cet époque, je viens la voir et on célèbre son anniversaire. Son mari est mort et elle n’a pas eu d’enfants. Elle a rarement du monde qui vient la voir… Alors ça te convient ?
- Je… Oui ! Déclara-t-il en me rendant enfin mon sourire. On y est bientôt ?
- Encore une petite demi-heure, ajoutais-je avant de me remettre en route, Gwendal m’emboîtant le pas.
- Tu as rencontré beaucoup de monde, continua-t-il. Il est rare que l’on passe plus de quelques jours sans que tu ne connaisses quelqu’un.
- C’est vrai, répondis-je. Cela dépend des régions. Je suis resté pas mal de temps dans celle-ci. L’hiver est rude, mais l’été est une saison très agréable ici.

- Tu as de la chance… Je n’ai jamais rencontré personne hormis les amis de mon père.
- Mais maintenant, tu t’offres aussi cette chance ! Qui sait, peut être que tu rencontreras une jolie fille et que me laissera continuer seul. Ajoutais-je en riant.
- Je… je… Je veux pas rencontrer de fille, bafouilla-t-il, embarassé.
- Ou un beau mec comme moi ! Déclarais-je, me moquant de lui.
Gwendal vira aussitôt au cramoisi. Jamais je n’aurais pensé que l’on puisse devenir aussi rouge en si peu de temps.
- Je ne veux pas renconter quelqu’un comme ça ! Déclara-t-il, vexé que je me moque ainsi de lui.
- C’est ce que tu crois, dis-je amusé.
Gwendal ne répondit rien et je décidais d’arrêter d’insister. Le silence guida nos pas, jusqu’à ce que mon compagnon change de sujet.
 - Vivement qu’on arrive, je ne sens plus mes pieds.
- Il faudra qu’on t’achète de nouvelles chaussures, dis-je, en posant mes yeux sur les siennes qui étaient loin d’être appropriées.
Il fallut même moins d’une demi-heure pour arriver devant sa maison. Elle était à l’écart de la ville. Nous passâmes le petit portail en fer forgé que j’avais repeint l’an dernier. Mon cœur battait, trop heureux d’enfin la revoir. Je frappais plusieurs coups à la porte, sachant qu’elle mettait toujours du temps avant de m’entendre et de marcher jusqu’à celle-ci. Elle commençait à sentir les années passer. A ma grande surprise, la porte s’ouvrit presque ausstôt, manque de me faire sursauter. Une jeune femme, les lèvres pincées, nous demanda aussitôt :
- Je peux savoir ce que vous voulez ? Demanda-t-elle très désagréablement.
- Heu… Bonjour, est ce que Linda est ici.
- Cette vielle bique ? Elle nous a quitté depuis 6 mois.
- Pardon ? Demandais-je, le cœur battant, ayant peur de mal interprété. Où est-elle ?
La femme me regarda comme si j’était le plus grand de tout les imbéciles.
- Au cimetière, comme toutes les personnes qui décèdent ! Autre chose ? Vous êtes sur une propriété privée ici, alors si vous ne voulez rien de plus, je vous prie de partir.
Sans que je n’ai le temps de répondre quoi que ce soit, la femme claqua la porte. Je restais là, face à cette porte qui resterait maintenant à jamais fermée. Nous ne nous étions même pas dit au revoir, je n’avais pas été là pour elle. Je restais immobile, sans vraiment savoir ce que je ressentais. J’étais perdu, je n’arrivais pas à digérer l’information. C’est alors que je sentis une main attraper les miennes alors que Gwendal me disait :
- Viens Hayden, suis-moi.
Hagard, je le laissais mener le chemin. Une fois à l’extérieur de sa propriété, il me fit asseoir sur le vieux banc en bois.
- Je suis désolé que tu l’ai appris de cette manière, souffla-t-il, en s’asseyant à côté de moi, pour la première fois étonnamment près.
Sans un mot, je laissais mon sac tomber à mes pieds. Je n’avais pas envie de parler. À vrai dire, j’avais envie d’être seul, mais je ne repoussais pas sa main qui passait timidement dans mon dos. C’était si soudain. Et pourtant, elle avait tenté de me le faire comprendre à son dernier anniversaire. Je n’avais pas été là et elle avait sûrement du s’éteindre seul. J’aurais du être présent et lui tenir la main. J’aurais dû accepter de rester plus longtemps alors qu’elle me l’avait si expressément demandé. Je n’aurais pas dû ignorer ses larmes alors que je m’éloignais de chez elle…
Après un long silence durant lequel je restais silencieux, enfermé dans mon mutisme, Gwendal finit par proposer :
- Et si nous prenions une chambre d’hôtel ce soir. Je pense que nous en avons besoin… Surtout après ce que tu…
- Je n’en ai pas besoin, répondis-je en le coupant.
- Moi si ! Une vraie douche, un vrai lit, cela nous fera le plus grand bien.
- Si c’est pour toi alors d’accord… Dis-je, las.
- Bon et bien, dit-il en se redressant, allons-y, il commence à se faire tard.
Je le suivis sans un mot. Je ne savais pas quoi dire. Pour la première fois, ce fut Gwendal qui passa devant. Nous fîmes le chemin inverse pour revenir dans une petite ville. Arrivé devant un hôtel modeste, le seul dans cet endroit, dont le rez-de-chaussée était un bar, Gwendal me donna l’argent et m’attendit dans un coin. Il valait mieux qu’on voit son visage le moins possible. Je payais pour une chambre à partager, ayant même le luxe d’avoir deux lits séparés. Cela plairait sûrement à Gwendal. Nous allâmes y déposer nos affaires et nous nous offrîmes à chacun une douche amplement méritée. Gwendal me proposa d’aller manger un petit quelque chose au bar d’en dessous qui servait des plats simples. L’ambiance y était animée, et il nous choisit une table quelque peu excentrée. Gwendal commanda son plat et lorsque le serveur me demanda ce que je voulais pour ma part, je lui dis :
- Un verre de votre alcool le plus fort, et soyez généreux.
S’il parut surpris par ma demande, il n’en fit rien et ajouta :
- Ce sera tout ?
- Oui, merci. Répondis-je.
- Bien, déclara le serveur en récupérant les cartes.
Ce ne fut que lorsque celui-ci fut parti que Gwendal me dit :
- Tu es sûr que c’est une bonne idée ?
- T’occupe pas Gwen. Dis-je simplement, l’air renfrogné.
- C’est juste que ce n’est vraiment pas la meilleure méthode pour faire son deuil…
- Parce qu’il existe une bonne méthode, répondis-je, acerbe.
- Oh et puis, fait bien comme tu veux. Saoule-toi ! Mais ne me demande pas de te tenir la main quand tu ne te sentiras pas bien.
- Je ne t’ai jamais demandé de t’occuper de moi. Personne ne l’a jamais fait jusque-là ! Pas même ma mère.
Brusquement, ne voulant plus sentir son regard mi peiné, mi juge sur moi, j’ajoutais :
- Désolé Gwendal, je crois que j’ai besoin d’être seul.
Sans un mot de plus, sans lui laisser le temps d’avoir une quelconque réaction, je lui tournais le dos et allais m’installer au comptoir. Je bus mon verre cul sec, et un deuxième ne tarda pas à venir se présenter devant moi. Levant les yeux intrigué vers le barman, celui-ci répondit :
- C’est offert par le client assis à l’autre bout. Il me demande s’il peut vous rejoindre.
Je tournais la tête vers lui, il me fit un petit sourire et un petit signe de la main. Brun ténébreux, un peu plus grand que moi, mais plus fin, il était plutôt pas mal. Pourquoi pas… Cela me changerait les idées et me permettrait d’évacuer ce je ne sais quoi qui m’oppressait.
- Alors ? Insista le serveur.
- Je me ferais un plaisir de partager ce verre avec lui.
Celui-ci ne se fit pas prier. Dès lors que le serveur lui souffla ma réponse, il ne tarda pas à arriver près de moi. Je lui souris, il me répondit… Ainsi commença le jeu de la séduction. Plus rien existait à part lui et moi. J’oubliais tout, mon voyage, la mort de Linda et même Gwendal que je ne vis pas retourner dans la chambre sans m’adresser un mot.
Lorsque j’ouvris les yeux, la nuit était déjà avancée. J’avais simplement dû m’assoupir une petite heure pour me remettre de nos ébats. L’homme allongé à côté de moi dont je ne connaissais pas le nom ronflait. C’était sûrement cela qui m’avait réveillé. N’ayant aucune envie de le voir le lendemain matin, je me levais en ignorant mon mal de crâne. Je rassemblais mes affaires et filais sous la douche pour effacer toutes traces de nos activités de chambre.
Une fois propre, ce fut sans le moindre bruit que je sortis de sa chambre et tentais de me souvenir de la localisation de celle que je partageais avec Gwendal.  Celui-ci devait sûrement dormir. A chaque pas que j’effectuais dans le couloir, je sentais à nouveau un peu plus cette sensations oppressante me revenir à la gorge. Tentant de l’ignorer, n’aspirant qu’à une bonne nuit de sommeil dans un lit confortable, je poussais lentement la porte de notre chambre.
Le plus silencieusement possible, je marchais à pas feutré, mais brusquement, je m’accrochais les pieds sur le sac, mais je m’approchais les pieds sur le sac qui traînait et m’étendais bruyamment de tout mon long. Je venais de me tordre la cheville.
- Merde ! Râlais-je malgré moi. Fait chié.
Gwendal se redressa brusquement et appela, la voix tremblante :
- Hayden… C’est… C’est toi ?
- Oui, répondis-je. 
En me redressant, je boitais lamentablement jusqu’à mon lit. Gwendal alluma la lumière.
- Qu’est ce qui se passe ?
- Rien, je me suis juste tordu la cheville, désolé de t’avoir réveillé.
- Je ne dormais pas, répondit-il. Je n’y arrive pas.
Je me massais la cheville, soulagé de voir que ce n’était vraiment rien de grave. Une petite douleur pendant plusieurs jours et ça serait terminé. Gwendal se leva et vint s’asseoir à côté de moi. Me sentant un peu coupable de la manière dont je l’avais abandonné plus tôt dans la soirée, je soupirais avant de lui dire :
- Je suis désolé de t’avoir lâché comme ça tout à l’heure. C’était pas cool… Mais j’avais besoin de… Enfin…
- Tu sais, je comprends ce que tu ressens répondit-il. J’ai perdu ma grand-mère.
- Linda n’était pas ma grand-mère, répliquais-je alors que me gorge se serrait malgré moi, sans que je puisse le retenir.
- Elle ne l’était peut-être pas, mais il me semble que dans ton cœur, c’était tout comme. Autrement tu ne serais pas aussi affecté.
Je ne répondis rien, cessant de masser ma cheville. Une petite voix dans ma tête sembla me chuchoter sournoisement que plus jamais je n’aurais la chance de revoir Linda. Elle était partie, de manière définitive… Ma gorge ne noua, mon rythme cardiaque s’embala, j’avais envie de pleurer mais étonnamment, ce fut la main de Gwendal se posant sur ma cuisse qui m’en empêcha. Je n’étais pas du genre à pleurer ainsi devant les autres. Mathis l’aurait fait, pas Hayden.
- Elle était âgée, finis-je par souffler. Cela devait arriver à un moment ou à un autre.
Le silence qui suivit cette réplique ne dura pas longtemps, car je finis par lui demander :
- C’était ta grand mère paternelle ? Me risquais-je, n’en connaissant finalement pas beaucoup sur lui.
-  Maternelle, répondit-il. Elle est partie il y a 6 ans…
- Tu étais proche d’elle ?
- Plus qu’avec mes parents. Elle était différente. D’ailleurs ma famille ne l’appréciait pas beaucoup pour son franc parlé.
- J’aurais bien aimé la rencontrer. Je suis sûr que tu as hérité de certains traits de son caractère, dis-je en me moquant légèrement de lui.
Je soupirais en m’étirant.
- Il faudra qu’on trouve un travail, ajoutais-je, en changeant de sujet. On ne peut continuer de vivre sur nos économies. Qu’est ce que tu sais faire ?
- Je… C’est-à-dire que…
- Oh j’ai une idée, tu compteras les billets que je gagnerais, dis-je en me moquant de lui, ça tu es capable de le faire.
- Il est hors de question que je ne participe pas ! Déclara-t-il, n’appréciant pas ma moquerie.
- Nous vivons sur ton argent Gwen, tu participes largement.
- Ce n’est pas mon argent, c’est le nôtre ! Rétorqua-t-il. Il est pour nous deux.
- Alors laisse-moi travailler pour nous deux, répliquais-je avec un sourire. Tu n’as pas la condition physique pour les genres de travaux que l’on trouve dans notre condition de vagabonds…
- Mais je veux aider… Même si je ne sais pas faire grand chose…
- Nous en reparlerons demain, dis-je en baillant. Pour l’instant, que dis-tu d’une bonne nuit de sommeil ? Ce serait bête de ne pas profiter de cet hôtel.
- Ca va aller ? Me demanda-t-il soudain inquiet.
- De quoi ? Ma cheville ? Demandais-je étonné.
- Non… Linda…
Pourquoi mettait-il toujours le doigt où il ne fallait pas.
- Nous irons voir sa tombe demain avant de reprendre la route, dis-je, la voix plus grave et basse.

Gwen acquiesça, avant de retourner dans son lit. Au vu de la chaleur qui régnait dans la pièce, je ne gardais que mon boxer et m’installais sous les draps. Ce n’était certes pas un hôtel de luxe, mais le lit me semblait aussi confortable qu’un cocon. Ce fut épuisé, l’image de Linda gravée dans ma mémoire, que je finis par m’endormir…
Le lendemain, il avait été facile de trouver le cimetière après avoir demandé notre route. Je m’étais levé le cœur serré, ayant encore du mal à réalisé que Linda nous avez quittée. J’avais rêvé d’elle cette nuit et de la douceur maternelle dont elle avait fait preuve avec moi lorsque j’avais un peu plus de 16 ans. Je lui devais tellement… Arrivé devant sa tombe, Gwendal se mit un peu en retrait, sûrement par respect et pour me laisser seul faire mon deuil. La tombe était modeste, mais cela me réchauffa le cœur de voir qu’une personne avait laissé un bouquet de fleur. Ouvrant mon sac, je sortis le cadeau que j’avais prévu pour elle. C’était son anniversaire après tout. J’avais mis du temps à le réaliser. C’était une petite sculpture en bois de sa maison dont elle était si fière. Je l’avais réalisée de mémoire. Lentement, je le déposais sur sa tombe. Comment j’aurais aimé voir son visage lorsqu’elle aurait ouvert ce cadeau… J’aurais aimé qu’elle me raconte encore une de ces histoires. Elle avait été comme moi. Elle avait voyagé et parcourut tellement de pays. Puis elle avait rencontré son mari mais n’avait jamais cessé de voyager dans ses rêves. Elle était un modèle pour moi et plus jamais je n’écouterais ses conseils.  Aimait-elle vraiment cette maison dans laquelle je l’avais rencontrée. Chaque année, le soir de son anniversaire, je lui racontais ce que j’avais découvert durant le temps qui nous séparait. Son rire emplissait la pièce. Mais tout cela était terminé et son nom gravé dans la pierre me le rappelait amèrement.
Sans que je puisse les retenir, quelques larmes silencieuses coulèrent sur mes joues. Je ne cherchais pas à les essuyer. Elle me manquait déjà. Peut-être que Gwendal avait raison après tout. C’était en quelque sorte la grand-mère que je n’avais jamais eu. Je ne sus combien de temps je restais devant sa tombe.
Je finis par me redresser, essuyant les dernières traces de larmes qui maculait mes joues.  Me tournant vers Gwendal, j’esquissais un sourire qui sonnait faux avant de déclarer la voix basse :
- Reprenons la route.
Gwendal acquiesça silencieusement. Alors que j’emboîtais le pas, il me suivit. Pour la première fois de ma vie, je ne pris aucun plaisir à reprendre mon chemin. C’était comme si quelque chose m’accrochait à cet endroit. Quel cruel paradoxe… Il m’avait été plus facile de la quitter vivante et c’était sa mort qui me retenait. Sans un regard en arrière, nous quittâmes le cimetière, en silence, murmurant intérieurement « adieu Linda».

 

A suivre…

Cet article a été publié le Lundi 3 décembre 2012 à 23:23 et est classé dans Once in a life time. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Vous pouvez faire un commentaire, ou un trackback depuis votre propre site.

Laisser une réponse

Vous devez être identifié pour écrire un commentaire.