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Beyond the invisible - chapitre 08

   Ecrit par : admin   in Non classé

Chapitre 8 par Shinigami

 

Allongé dans le canapé, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Je ne parvenais pas à effacer de mes lèvres le goût de Juha, que je trouvais agréable malgré moi. Cependant, si j’avais réagi aussi violemment, c’était parce que ce geste avait réveillé en moi de vieux démons que j’avais tenté d’exorciser depuis des années.
Les fantômes de mon passé revenaient me hanter, s’immisçant dans chacune de mes pensées comme un poison. Pourtant je devais me forcer à reconnaître que j’avais aimé ce baiser, ce contact furtif de ses lèvres délicates. Mais les souvenirs du passé et la culpabilité que j’éprouvais étaient bien trop présent malgré mes efforts pour passer outre.  J’avais été conditionné dès mon plus jeune âge à être tel que l’on voulait que je sois et j’en gardais des stigmates indélébiles…

Automatiquement, je portais mes doigts à mes lèvres sur lesquelles était toujours imprimé le goût de Juha. Ce qui m’avait étonné le plus, ce n’était pas le fait d’être embrasser par un homme, mais c’était la douceur et la tendresse dont il avait fait preuve lorsque ses lèvres s’étaient posées sur les miennes. Une seule fois dans ma vie, j’avais eut l’occasion de ressentir autant de tendresse émaner d’une seule et même personne… Même avec Marion, je n’avais jamais ressenti autant de choses semblables. Certes, il y avait eut de la tendresse, mais pas autant de sentiments. Nous embrasser était devenu un geste totalement banal et ordinaire qui avait perdu tout son sens premier, la preuve physique et matérielle d’un amour réciproque. Si bien que sur  la fin de notre relation, c’est à peine si nous nous touchions encore. Et derrière l’image de solitaire et l’air impassible et froid que je renvoyais, j’éprouvais un manque affectif certain. Cette même affection qui m’avait fait défaut tout mon enfance…
J’étais partagé entre deux, en moi se menait un combat entre l’éducation que j’avais reçue pendant dix-huit ans et l’envie de me libérer de ces chaînes, l’envie d’être enfin moi-même, de vivre avec mes propres idéaux et non ceux que l’on m’a imposé. Le baiser que m’avait donné Juha me confortait dans cette idée, cette volonté d’être enfin moi-même, mais cela signifiait aller vers l’inconnu, au delà des limites et cela, je ne m’en sentais pas encore capable. Je traînais toujours ce boulet qu’était mon passé au bout de mes chaînes et bien que celles-ci étaient en train de se fissurer, elles n’étaient pas encore brisées. Lorsqu’elles le seraient, je pourrais peu être envisagé un nouveau départ, mais pour le moment, ce n’était pas encore le cas. Je commençais à peine à me faire à cette idée, il me faudra du temps afin de la concrétiser. Et si Juha voulait réellement voler mon coeur, il devra faire preuve de patience, mais aussi et surtout d’énormément de tendresse. Car s’il y a bien une chose que je n’acceptais pas, c’était de bafouer les sentiments d’autrui.

Mais un doute persistait en moi… Pourquoi Juha m’avait-il embrassé ? Certes, il m’a dit que lui-même n’en savait rien, mais était-ce la vérité ? Avait-il réellement agit sous le coup d’une impulsion subite et incontrôlée ? Je me refusais à croire à cette hypothèse qui, sans que je ne sache pourquoi, me comprimait le coeur en une étreinte douloureuse. Ou alors, était-il parfaitement conscient de son geste mais l’avait-il nié par crainte ? Je n’en savais que trop rien mais je me surprenais à espérer que cela soit le cas…
C’est dingue comme un simple geste de sa part à eut le don de me déstabiliser et de me faire perdre mes convictions et mon assurance. Tout ce que j’avais mi tant d’années à bâtir venait de s’effondrer d’une simple pression de sa bouche sur la mienne. J’avais tout l’air d’un enfant à qui l’on venait de briser les repères, un enfant perdu. J’avais l’impression de revenir en arrière, bien des années auparavant, d’être de nouveau ce petit garçon introverti que j’avais été… Ce même petit garçon que chaque jour, j’essayais d’oublier et de faire disparaître de ma mémoire… Secouant vivement la tête comme pour y chasser toutes ces mauvaises pensées, j’étouffais un bâillement et finalement, épuisé, je fini par sombrer dans un sommeil léger et propice aux cauchemars…

 

Epuisé et le souffle court, je me laissais tomber en riant dans l’herbe haute du pré situé derrière la vieille église du village. Quelques secondes plus tard, Kay s’écroulait à son tour à mes côtés et nous riâmes à gorges déployée. Nous venions d’échapper de justesse au chien du paysan qui nous avait surprit à piquer quelques cerises de sa plantation. Retrouvant difficilement ma respiration après cette course effrénée, je m’assis dans l’herbe et me tournant vers Kay, je lui demandais :
- Tu l’as ?
Il me lança un sourire victorieux et avec une mimique princière qui avait le don de me faire rire, il me montra le petit sac de toile dans lequel se trouvait le gain de notre petit méfait.
- Si votre honneur veut bien me dire ce qu’il en est ! S’exclama-t-il en me tendant le sac afin que je puisse me servir.
Timidement, je plongeais la main dan le sac et en ressortit une poignée de cerises tout en adressant à mon vis à vis un petit sourire timide tandis que le rouge me montait aux joues. Sans pour autant détourner les yeux,  je portais le fruit à ma bouche et fermais les yeux de contentement. Là où nous vivions, nous n’avions pas le droit de manger des fruits, ceux-ci étant réservés aux adultes. Alors nous les volions dans les cultures lorsque nous avions l’autorisation de sortir.
Avec hésitation, je portais une cerise à la bouche de Kay qui me remercia d’un sourire radieux dont lui seul avait le secret et qui, je m’en étais rendu compte il y a peu de temps, n’étaient adressés qu’à moi.
Depuis quelques mois déjà, je m’étais rendu compte que je n’appréciais pas Kay comme on apprécie son meilleur et unique ami. Non, ce sentiment que je ressentais, était différent de cela, bien plus profond, plus… viscéral. De deux ans mon aîné, Kay venait de fêter ses seize ans. Il avait les cheveux châtain foncés qui contrastaient étrangement avec le blond platine de mes cheveux aussi longs que les siens étaient courts.
Parfois, je me surprenais à admirer la douceur des traits de son visage et plus d’une fois, je m’étais noyé dans la profondeur de ses yeux bleus. Il avait quelque chose qui attirait mon regard, en plus de cette gentillesse dont il était le seul à faire preuve à mon égard… Depuis mon plus jeune âge, je l’admirais pour son courage et sa loyauté, ce garçon qui avait toujours été là pour me protéger et prendre ma défense, et à présent, je ressentais cet étrange picotement au niveau de l’estomac quand je sentais son regard posé sur moi.
A son tour, Kay porta une cerise à mes lèvres et timidement, j’ouvris la bouche pour la saisir. Ses doigts s’attardèrent sur ma lèvre inférieure en une douce caresse qui fit s’accélérer mes battements cardiaques. Puis, ses doigts dévièrent sur ma joue avant de replacer derrière mon oreille, une mèche rebelle échappée de ma demi queue lors de notre course effrénée.
Je sentis mes joues s’empourprer sous ce geste effectué avec une douceur que je ne lui connaissais pas et intimidé, je baissais les yeux. Du bout des doigts, il me fit relever la tête et lorsque mon regard accrocha le sien, je sentis mon coeur s’emballer. Son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du mien… Au dernier moment, il détourna la tête et ses lèvres chaudes se posèrent sur ma joue rougie. Affreusement gêné mais à la fois soulagé, je détournais de nouveau le regard, de peur qu’il ne lise en moi le trouble qu’il avait causé. Il finit par se reculer et s’assit en tailleur dans l’herbe en face de moi avant de sortir les cerises du sac et de les étaler dans l’herbe entre nous.
Encore troublé par son précédent geste, je restais immobile et muet, osant à peine tendre la main pour attraper une cerise. Alors que j’avançais la main pour attraper le dernier fruit, Kay me devança. Alors que j’ouvrais la bouche pour exprimer mon mécontentement, il avança la main vers mon visage et accrocha les cerises à mon oreille.
De nouveau, je m’empourprais violemment mais j’eu à peine le temps de m’appesantir sur mes sentiments et mes émotions que les cris furieux du paysan résonnaient à nos oreilles. Kay se leva prestement et m’aida à en faire de même avant de me pousser vivement devant lui, dans la direction opposée de par où nous étions arrivé :
- Cours ! S’exclama-t-il.
Aussitôt, je me mis à courir, obéissant instinctivement à l’ordre que me donnait Kay. Je courrais à en perdre haleine et à bout de souffle, je commençais à ralentir lorsqu’une poigne ferme me saisit le poignet et me traîna à sa suite. L’air commençait vraiment à me manquer et ma gorge et mes poumons me brûlaient atrocement mais je continuais de courir. Cependant, Kay sembla s’apercevoir de mes difficultés à le suivre car subitement, il s’arrêta et me faisant face, il déclara :
- On se sépare ! Tu prends par là, ajouta-t-il en me montrant la direction du doigt, et on se retrouve tu sais où !
Sans me laisser le temps de m’exprimer, il s’enfuit en courant dans la direction opposée à la mienne. Je restais figé un instant, le regardant s’éloigner jusqu’à ce que les cris du paysan me ramènent à la réalité. Retrouvant ma mobilité, je repris ma course à travers le petit bois jusqu’à arriver à notre lieu de rendez-vous, près de la grange derrière le dortoir.

Essoufflé, je m’assis contre le mur et attendis que Kay revienne. Je dus bien attendre une bonne heure à me ronger les sangs avant qu’il ne daigne réapparaître. Lorsque je le vit revenir vers moi de cette démarche fière et arrogante qui ne le quittait pas, je sautais sur les pieds et me plantais devant lui, les bras croisés sur la poitrine, en l’attente d’explications qui, je le savais, n’allaient pas tarder à arriver.  Comme je l’avais deviné, il déclara avec l’air penaud d’un enfant prit en faute :
- Ce n’est pas ma faute… J’ai failli me faire attraper par le vieux ! C’est qu’il est encore vif pour son âge le papy ! S’exclama-t-il en riant. Rooh allez, fait pas cette tête, ajouta-t-il en avisant la mine renfrognée que j’affichais, signe de mon mécontentement.

- Je boude si j’veux, râlais-je. Plus sérieusement, repris-je, j’étais vraiment inquiet… Ima…
Je ne pus jamais terminer ma phrase. Celle-ci mourut dans ma gorge lorsque l’index de Kay s’était posé délicatement sur mes lèvres.
- Je m’excuse d’accord, murmura-t-il d’une voix douce. Tu n’as rien au moins ?

- Non je… Je n’ai rien, répondis-je calmé. Mais j’ai eu peur que tu te sois fait attrapé… Tu sais ce que tu risques si tu ve…
- Ne t’inquiètes pas, d’accord, me coupa-t-il une nouvelle fois. Je suis là maintenant. Je m’excuse de t’avoir fait peur…
Sur ses mots, il posa sa main sur ma joue et dans une lenteur infinie, ses lèvres se posèrent en douceur sur les mienne en un geste empli de délicatesse et de tendresse. Je restais un moment tétanisé de le sentir si près de moi, de sentir ses lèvres caresser les miennes en un doux effleurement. Puis, finalement, je finis par me détendre et m’abandonnais totalement à l’étreinte de Kay. Bien trop tôt à mon goût, il s’éloigna de moi, abandonnant mes lèvres qui, pour rien au monde ne voulaient mettre un terme à ce baiser. C’est alors que je pris pleinement conscience de ce qui venait de se passer. Je venais de vivre mon premier baiser, et je n’avais qu’une envie, recommencer…
Je voulais une nouvelle fois sentir ses lèvres pleines et chaudes se poser sur les miennes en une délicate pression. Jamais je n’avais cru que Kay me volerait mon premier baiser, mais d’un autre côté, je sais que je n’aurais pas accepté que ce soit quelqu’un d’autre…. Mon coeur battait à une vitesse qu’il n’avait encore jamais atteinte et je sentais mes jambes vaciller, prêtes à me lâcher à tout moment.

Lorsque Kay se pencha de nouveau vers moi avec un petit sourire amusé, c’est pleinement conscient de mes actes que j’acceptais cette domination qu’il avait sur moi. Instinctivement, j’entrouvris timidement la bouche lorsque sa langue caressa mes lèvres en une demande explicite et terriblement sensuelle. Je devais l’avouer, j’étais à la fois excité et effrayé par ce que j’étais entrain de vivre. Excité par les sensations nouvelles que Kay faisait naître en moi, ce goût de l’interdit qu’avait notre baiser, mais de l’autre côté, j’étais paralysé par la peur, par crainte que Kay ne voit cela que comme une erreur, un dérapage incontrôlé qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Peur de ce que cela pourrait amener, d’un quelconque changement fans notre amitié dont l’ambiguïté allait en grandissant.

Puis, sa langue pénétra ma bouche pour aller rejoindre sa jumelle. Si je devais mourir, je souhaitais que cela soit à cet instant précis. La douceur de sa langue me fit tout oublier, plus rien n’existait autour de nous, hormis Kay qui me faisait découvrir un monde nouveau. Totalement sous son emprise, je finis par répondre timidement à son baiser. Sa langue caressait la mienne en un ballet sensuel dont les pas, jusqu’alors inconnus, me venaient avec un naturel déconcertant. A cet instant, j’étais à deux doigts de vivre un cauchemar qui, je le découvrais à mes dépends, n’était pas prêt de s’estomper…
Alors que nos langues se retrouvaient pour une énième étreinte, la voix du directeur s’éleva dans notre dos :
- Alors c’est là que vous vous ca…

Nous sursautâmes de concert avant de nous séparer, brusquement ramenés à la réalité. Je me tournais vivement pour voir le père Colman nous regarder avec un air horrifié et scandalisé, comme s’il venait de voir un revenant. Aussitôt, je compris… Il savait, il nous avait vu… Et au regard furieux qu’il nous adressa, je su que les ennuis ne faisaient que commencer…

Je ne saurais dire avec certitude ce qui se passa par la suite. Dans un état semi comateux, je pris à peine conscience qu’on m’arrachait violemment à l’étreinte de Kay. L’homme crachait une suite de mots que je n’entendis pas, mêlé à la voix de Kay qui se rebellait vivement. A vrai dire, je n’avais pas conscience de ce qui se passait autour de moi. J’entendais à peine les cris désespérés de Kay qui m’appelait tandis qu’on m’entraînait je ne sais où… Sa voix résonnait dans ma tête comme un écho de plus en plus lointain.

Quelques minutes plus tard, je me retrouvais dans le bureau du père Colman, et une gifle s’abattis sur ma joue si violemment que je chancelais :

- Je savais que le mal coulait dans tes veines, je l’ai su dès la première fois où je t’ai vu, cracha-t-il. Il ne pouvait en être autrement… Tu as le physique du Malin, tu blasphèmes à tout va et je ne peux tolérer cela dans ma paroisse ! Il est de mon devoir de purifier ce sang impur qui coule dans tes veines, d’exterminer le démon qui t’habite.

Sur ses mots, sa main s’abattis une seconde fois sur ma joue avec la même violence et cette fois-ci, je ne pu retenir mes larmes.  Elles coulaient silencieusement le long de mes joues, pour aller se perdre dans mon cou, terminant leur vie éphémère sur mon t-shirt.

La main de l’adulte se referma sur mon bras, le serrant tellement fort que je cru que mes os allaient se briser. Il m’entraîna vivement à sa suite, sans desserrer la pression de ses doigts cagneux sur ma chair meurtrie. Aveuglé par mes larmes, je trébuchais et manquais de m’écrouler sur le sol. Je sentais mes forces m’abandonner et me sentais atteint d’asthénie. De plus, je voulais voir Kay… Avec tout cela, je ne savais même pas ce qui allait lui arriver, ni même s’il allait bien. Je n’avais aucune idée du sort que l’on me réservait et je m’en fichais totalement. Je n’avais qu’une seule obsession en tête, avoir des nouvelles de Kay…
Je compris où m’emmenait le père Colman lorsque je fus saisi par une humidité ambiante et un froid poignant.  La cave… Il m’emmenait à la cave. Malgré la peur que je ressentais, je ne disais rien. Aucun son ne s’échappait de ma gorge, comme si ma voix s’était subitement éteinte.
Le grincement horripilant et sordide de la porte résonna à mes oreilles et je fus violemment projeté au sol. Tétanisé, je restais prostré sur moi-même, n’esquissant aucun mouvement alors que la porte se refermait sur moi, me plongeant dans une obscurité humide presque totale. J’étais effrayé, je devais l’admettre, et quand le crissement du verrou de fit entendre, résonnant longuement sur les murs vides et froids de ma prison, je ne cherchais plus à retenir mes sanglots et me laissait aller à ma douleur.
Je savais qu’il se passait des choses pas toujours très correctes sur le plan légal dans cette cave, j’avais entendu les plus grands en parler un jour, mais je n’avais alors aucune idée de ce que cela signifiait. A présent, je commençais à comprendre… Finalement, épuisé par mes sanglots, je finis par m’assoupir, d’un sommeil léger et rempli de cauchemars, vaincu par la fatigue. Lorsque je me réveillais  j’avais perdu toute notion du temps et je n’aurais su dire l’heure qu’il était, ni combien de temps j’avais dormi.

Un silence angoissant régnait dans cette pièce lugubre et la peur que j’avais ressentie en arrivant ne m’avait pas quittée, me nouant douloureusement les entrailles. Soudain, des gargouillements de mon estomac se firent entendre et malgré cela, je n’aurais rien pu avaler. Mon corps avait faim, j’avais froid, je me sentais sale et par dessus tout, je voulais voir Kay. Je voulais qu’il me prenne dans ses bras comme lorsque je faisais des cauchemars, qu’il me berce de sa voix douce que ce n’était qu’un mauvais rêve et que demain tout ceci serait oublié. Je voulais sentir sa chaleur réconfortante près de moi… Mais au fond de moi, je savais que cette fois-ci c’était différent, qu’il ne viendrait pas à mon secours comme il l’avait toujours fait… J’étais livré à moi-même dans cet environnement hostile. Recroquevillé sur moi-même sur le sol humide, et vêtu simplement d’un jean délavé et d’un t-shirt déchiré, je tentais désespérément de calmer les tremblements qui parcouraient mon corps.
Je ne sus combien de temps j’attendis encore, mais cela me parut durer une éternité. Dans un état de semi conscience, j’entendis vaguement la porte s’ouvrir, puis une lumière m’éblouie, si bien que je fermais les yeux. J’entendis simplement la voix austère et caverneuse du directeur résonner lugubrement sur les murs de la cave. Les bribes de mots incompréhensibles se firent soudain plus audibles, formant des phrases dont la méchanceté et la dureté m’humilièrent au plus haut point :

- …. Correction. Un fils de Satan tel que toi ne peut rester impuni entre les murs de cet établissement. Il est de mon devoir d’effacer ce blasphème, de faire sortir de ton corps ce démon hérétique qui t’habite. Malgré cela, je suis déjà convaincu que la vie qui t’attend à présent ne sera faite que de péchés et de luxure. Tu es un monstre, une erreur de la nature ! Et estimes toi heureux de vivre à notre époque… Au moyen âge, tu serais passé sur le bûcher, bien que ce ne soit pas l’envie qui m’en manque… Que Dieu puisse avoir pitié de ton âme…
Et avant que je ne comprenne entièrement le sens de sa phrase, je sentis une violente douleur se propager dans tout mon corps alors qu’une lanière de cuir s’abattait sur mon dos avec une violence phénoménale. La douleur fut si grande que je ne pus retenir un cri qui se répercuta longuement sur les murs.

Ce fut le commencement d’une longue série de coups tous plus violents et douloureux les uns que les autres. Roulé en boule, je tentais de me protéger au mieux des coups de ceinture qui pleuvaient sur moi, lacérant mon dos et mes bras. Après un énième coup, je sentis un liquide chaud et visqueux couler dans mon dos, maculant mon t-shirt le faisant coller à ma peau meurtrie. Un hurlement de douleur franchit la barrière de mes lèvres, brisant le silence morbide de la cave avant que je ne sombre dans l’inconscience, l’écho de mon cri résonnant encore à mes oreilles.

Lorsque je me réveillais, j’étais allongé dans un lit à l’infirmerie. Surpris, je papillonnais des yeux et alors que j’essayais de me lever, une main douce mais ferme se posa sur mon torse. Cette douceur emprunte de fermeté, j’aurai pu la reconnaître entre mille…
- Kay ? Appelais-je d’une voix encore éraillée par le sommeil.
- Je suis là me rassura-t-il. Ne bouge pas, reste tranquille.

- Qu’est-ce… qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? M’inquiétais-je.

- Rien, ne t’en fais pas.

Au son de sa voix et au ton employé, je devinais qu’il me mentait mais qu’il n’avait aucune intention de me révéler la vérité. Alors que j’ouvrais une nouvelle fois la bouche pour parler, il me devança, posant son index sur les lèvres gercées pour m’intimer le silence :
- Chut… Ne dis rien… Je n’ai normalement pas le droit d’être ici… Mon petit prince, ajouta-t-il d’une voix brisée par l’émotion. Mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait…

- Je.. Je sais pas, je… Je me souviens pas, murmurais-je en un gémissement. J’ai mal, Kay…

- Je sais, petit prince, murmura-t-il, je sais… Je suis tellement désolé…

Des pas se firent entendre dans le couloir et Kay se redressa précipitamment :

- Je dois y aller, si jamais on me trouve ici, tu auras encore des ennuis… Promet moi de te reposer, d’accord ?

Il m’embrassa furtivement sur la joue avant de s’enfuir à pas de loups. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrait de nouveau sur une autre personne qui me toisa de toute sa hauteur, me lançant un regard froid et impersonnel. Sans un mot, elle changea mes bandages avant de partir comme elle était venue.

Durant les trois jours qui suivirent, je ne vis pas Kay, passant la plupart de mon temps à dormir. Lorsque je pus enfin quitter l’infirmerie, je me précipitais dans le dortoir et entrais en trombes dans la chambre que Kay et moi partagions. Cependant, je me figeais face au spectacle qui m’attendait. Le coin qu’occupait habituellement Kay était vide de ses maigres affaires qui le meublaient. M’imaginant le pire, je quittais la chambre en courant et me précipitais à l’étage inférieur, parcourant tout l’établissement en courant, faisant fi des lacérations de mon dos qui me faisaient souffrir.

Ne le trouvant nulle part, j’allais voir à l’extérieur et à peine arrivé, je compris que je n’aurais jamais dû être présent à ce moment là. Se qui se déroulait sous mes yeux me brisa le cœur. Je compris à cet instant que ma vie ne serait plus jamais la même et que le semblant de bonheur que j’avais pu vivre jusqu’à maintenant venait de s’effondrer. Recouvrant ma mobilité, je courais vers Kay et me jetais dans ses bras, dans un ultime effort pour le retenir, pour le garder près de moi, en une étreinte désespérée :

- Kay, sanglotais-je. Ne me laisse pas… Je t’en prie… Ne m’abandonne pas…

- Je suis désolé petit prince, répondit-il en me serrant dans ses bras. Je n’ai pas le choix… Mais avant de partir, je veux que tu me promettes quelque chose…

- Tout ce que tu voudras, répondis-je entre deux sanglots.

- Promet moi de ne jamais te laisser dominer et dévaloriser par qui que ce soit… Promet moi de toujours te battre pour atteindre tes rêves et tes ambitions… Ne te laisse jamais détruire…

- Je te promets, Kay, répondis-je en sanglotant.

Une poigne ferme me saisit alors par le bras dans le but de m’arracher à son étreinte :

- Naan, criais-je. Kay… Kaayy, appelais-je alors que l’on me séparait de lui. Lâchez-moi ! Kay, ne part pas… Kayyyy… Bat les pattes connard, crachais-je à l’intention de l’homme qui me retenait. Kaaaayyyyyyyy…

 

Je me réveillais alors en sursaut, les joues maculées de larmes et le corps luisant de transpiration. Retenant mes sanglots, je me levais et me dirigeais vers la salle de bain. Là, je me passais la tête sous l’eau dans le but de me calmer. Ce ne fut que lorsque je parvins à maîtriser mes larmes que je sortis de la salle de bain pour aller à la cuisine où je me préparais une infusion. Assis à la table de la cuisine, je sirotais ma boisson chaude en repensant à mon souvenir.

Cela faisait plusieurs années que je n’avais pas fait ce cauchemar et je savais parfaitement que le baiser de Juha l’avait fait ressurgir des tréfonds de ma mémoire. Et d’une certaine façon, je lui en voulais pour cela. Je lui en voulais d’avoir réveillé mes fantômes sans même qu’il ne s’en rende compte.

Il avait ravivé en moi la flamme de la douleur de la perte de Kay qui, malgré les années passées, me faisait toujours autant souffrir. Certes, l’amour que j’éprouvais pour lui à l’époque s’était atténué, au fil des années, même s’il était toujours un peu présent en moi, et son souvenir était toujours aussi vivace. En plus de la douleur de l’avoir perdu, s’ajoutais un doute qui persistait en moi. Ce même doute, ces mêmes questions que me hantaient depuis maintenant onze ans. Je n’ai jamais su la raison qui avait poussé Kay à m’embrasser… Tout comme je ne savais pas ce qui avait poussé Juha m’embrasser aussi…

J’avais l’impression d’être un jouet entre leurs mains, une poupée dont ils pouvaient disposer comme bon leur semblait. Comme pour Juha toute à l’heure, je craignais que Kay ait agit sous le coup d’une impulsion subite plus que par amour. J’avais le sentiment de n’être rien de plus qu’un passe-temps pour eux, un jeu dont ils pouvaient user et jeter à volonté. Et si j’en avais voulu à Juha de se jouer de moi, j’en avais également voulu à Kay… Après la tristesse de son départ, l’amertume avait été le sentiment le plus présent en moi, en plus de la colère et de l’indignation. J’avais l’impression qu’il s’était joué de moi et qu’il avait bafoué mes sentiments, qu’il m’avait utilisé pour assouvir ses propres pulsions et ses désirs, sans prendre en considération mes propres ressentis. L’impression d’avoir été une marionnette entre leurs mains habiles, alimentait ma colère et ma rancœur.

Sans le savoir, Juha avait le même comportement que Kay. J’avais parfaitement conscience qu’il n’était pas censé le savoir, mais en attendant, ce n’était pas lui qui était victime des répercutions de ses agissements.

Je reportais alors mon attention sur la petite fenêtre qui donnait sur les champs et constatais avec étonnement que les premières lueurs de l’aube teintaient le ciel de ses couleurs chaudes, faisant scintiller le givre qui recouvrait le paysage d’un manteau blanc immaculé. Je n’avais pas beaucoup dormis cette nuit et je me giflais mentalement tout en me traitant d’idiot

 Le concours se déroulait dans quelques heures et je me devais d’être en forme.
Lassé de rester immobile, je me levais et préparais le petit déjeuner. Il était inutile de rester là à rien faire. De plus, nous devions être de bonne heure au ranch afin de finir de préparer le matériel, et je voulais aussi passer un peu de temps avec Orphée. Je commençais à déjeuner et peu de temps après, Juha me rejoignait, d’une démarche titubante, encore ensommeillée. Malgré moi, amusé, je souris intérieurement à cette vision avant de me reprendre. J’avais décidé de jouer la carte de l’indifférence, pour mon bien et celui de Juha, mais étrangement, mon coeur se compressait douloureusement. Le souvenir de la veille et de la nuit de cauchemar que je venais de vivre était encore trop présent. Je ne me sentais pas encore prêt à lui pardonner, j’avais encore du travail sur moi à faire avant cela. Je devais avant tout me pardonner à moi-même.

Je décidais d’oublier momentanément l’incident d’hier et de me concentrer plus profondément sur mes émotions. Trop occupé à prendre sur moi pour gérer le stress qui m’assaillit de tous les côtés, c’est à peine si j’entendis Juha me murmurer un vague “bonjour”. Je finis en vitesse mon thé et ma tartine de Nutella tandis que Juha préparait son café et me levais en déclarant simplement, tentant de prendre un ton le plus neutre possible :

- Je vais me laver.
Sans attendre de réponse, je quittais la petite cuisine et me rendis à la salle de bain. Là, je jetais un coup d’œil dans le miroir et faillis prendre peur en voyant mon reflet. J’avais les yeux rouges et mes traits tirés trahissaient mon manque flagrant de sommeil. Le stress que je ressentais depuis hier soir n’arrangeait pas non plus la situation. Me détournant de cette vision d’horreur, je me déshabillais et entrais dans la cabine de douche. Réglant l’eau au maximum de sa chaleur, je soupirais de bien être au contact bienfaisant de l’eau brûlante sur les muscles tendus.
Quinze minutes plus tard, je quittais la salle de bain après avoir enfilé les vêtements de Juha qui étaient maintenant les miens lorsque je venais dormir chez lui. Je m’attachais négligemment les cheveux en queue de cheval haute. Juha alla à son tour prendre sa douche et en l’attendant, j’allais me poser sur le canapé et allumais la télévision. Avachi devant les dessins animés, je tentais de me libérer l’esprit de l’angoisse oppressante que je ressentais. Mais l’atmosphère tendue qui réglait entre nous s’ajoutait à mon stress. Je sentais mon coeur se compresser de façon insoutenable.

Lorsque Juha sortit de la salle de bain, j’éteignis la télévision et alla enfiler mon manteau. Je me sentais de plus en plus mal et il fallait que je sorte avant de réellement péter un câble. Sans attendre Juha, je me précipitais à l’extérieur et inspirais une profonde bouffée d’air frais.

Dans la voiture, le silence régna de plus belle, seulement troublé par le ronronnement régulier du moteur, mais je ne me sentais pas d’humeur à écouter la musique. C’est ainsi que nous arrivâmes sur le parking, dans la cour du ranch. A ce moment, je sentis mon stress augmenter considérablement et me sentais subitement fébrile. Mon coeur s’emballait et battait frénétiquement dans ma poitrine tandis que des nœuds me nouaient l’estomac. Alors que j’allais ouvrir ma portière, j’entendis la voix timide et hésitante de Juha s’élever dans mon dos :
- Gabriel attend.
A ce moment, mon coeur s’emballa de plus belle, attendant avec appréhension ce qu’allait dire Juha. Je craignais qu’il fasse de nouveau allusion à ce qui s’était passé hier soir. Contrôlant mal cet afflux de stress, je me tournais vers lui et déclarais un peu trop sèchement :
- Quoi ?

A mon grand étonnement, il me répondit calmement :

- Ce que je vais te dire n’a rien à voir avec ce qui s’est passé hier soir. Je tiens juste à te souhaiter bonne chance pour ce concours. Je croiserais les doigts pour toi et je suis sûr que tu gagneras la première place.
Bien que réellement touché par ses paroles et la sincérité avec laquelle il les avait prononcées, je lançais simplement, bien trop troublé pour répondre autre chose :

- Hn…
Honteux de mon propre comportement et de mon manque d’éloquence, je quittais la voiture, abandonnant Juha derrière moi sans le moindre regard.  Je n’avais pas osé le regarder durant tout le temps de cet échange, par peur qu’il ne puisse lire en moi, qu’il ne se rende compte du trouble qu’il avait provoqué. J’allais reposer les clefs de la voiture dans le bureau de Philippe avant de regagner ma chambre pour me changer. Une fois seul et à l’abri des regards indiscrets, je me laissais tomber sur mon lit en soupirant de lassitude.
Etrangement, je sentais tout mon assurance et ma confiance s’effilocher pour ne laisser que mes incertitudes et mes peurs. Tout le travail que j’avais fait pour prendre confiance en moi durant ces sept années était en train de partir en poussière. J’avais de nouveau l’impression d’être totalement perdu et démuni face à des évènements sur lesquels je n’avais aucun pouvoir.
Je me giflais mentalement et reprenant mon courage à deux mains, je me levais et allais ouvrir ma penderie à la recherche de vêtements convenables. J’optais finalement pour une chemise blanche toute simple et un jean bleu. Pour mes cheveux, je les attachais comme à mon habitude, en une queue de cheval haute. Lorsque je fus prêt, je quittais ma chambre et me rendis à l’écurie.
Sur le chemin, je surpris Juha et Philippe en grande conversation, mais je n’y prêtais aucune attention, bien trop préoccupé par l’heure qui tournait, me rapprochant irrémédiablement de l’heure du départ. Alors que j’entrais dans l’écurie, je fus aussitôt accosté par Dorian qui s’exclama, complètement paniqué :
- Alors tu l’as trouvé ?

- Trouvé quoi ? Demandais-je mi intrigué mi énervé de me faire agresser de bon matin.
- Tu n’es pas au courant ? S’exclama alors Dorian d’un air à la fois surprit et horrifié.
Fatigué de jouer aux devinettes, je m’exclamais sèchement :

- Ecoutes, j’ai mal dormi cette nuit, je suis à deux doigts de faire un arrêt cardiaque tellement je balise et je suis d’extrêmement mauvaise humeur, alors arrête avec les devinettes et viens en directement aux faits sans passer par la case départ, d’accord ?

Abasourdit, Dorian resta bouche bée avant de se reprendre et de répondre :

- Tom a appelé ce matin. Il est malade comme un chien et est cloué au lit. Philippe se démène pour trouver quelqu’un qui sera à la hauteur pour le remplacer…

Je soupirais de lassitude. A croire que tous s’étaient ligués contre moi pour comploter derrière mon dos, comme si quelqu’un ou quelques chose craignait que je puisse gagner le concours et cherchait à me saper le moral avant le début des épreuves. Passablement énervé, je lâchais un “putain de merde” retentissant souligné par une flopée d’injures toutes plus grossières les unes que les autres, qui en fit sursauter plus d’un, dont Dorian qui s’éclipsa rapidement.
Furieux, je me rendis à la sellerie afin de vérifier le matériel. Je fus rejoins un instant après par Philippe accompagné de Juha. Je me contentais de lui adresser un regard furieux, comme à tous ceux qui me dérangeaient dans mon inspection, puis Philippe prit la parole :

- J’ai trouvé le remplaçant de Tom.

- Ah ? C’est qui ? Demandais-je plus pour la forme que par réel intérêt, plaçant toute ma confiance en Philippe pour choisir une personne de confiance.

- Tu pourrais au moins me regarder quand je m’adresse à toi, ce n’est pas parce que tu stresses que tu dois en oublier la politesse.

Cédant à cet ordre, je soupirais légèrement avant de reporter mon attention sur lui. Lorsque je me rendis compte que Juha était toujours là, je demandais, passablement agacé par sa présence qui me mettait mal à l’aise :

- Qu’est-ce qu’il fout là lui ?

- Gabriel ! S’exclama Philippe sur un ton de reproches, adoptant avec moi l’attitude qu’aurait un père avec son enfant. Juha va venir avec nous, c’est ton lad, le remplaçant de Tom.

- Quoi ? M’exclamais-je à deux doigts de m’étouffer.
J’avais l’impression d’être en plein cauchemar. Alors que je m’efforçais à l’éviter au maximum, voilà qu’il allait passer la journée avec nous sans que j’ai de possibilité d’y échapper. Je n’eu pas le loisir de m’apitoyer d’avantage sur mon sort car la voix de Philippe s’éleva de nouveau, brisant le silence oppressant :

- Gabriel, je ne le répéterais pas deux fois. Arrête tout de suite ce comportement. Juha va t’aider c’est le seul qui est disponible pour le faire et je pense que cela sera bénéfique pour vous deux.

Je marmonnais un “bénéfique mon cul” que personne n’entendit, pour la forme mais ne contredit pas la décision de Philippe. Une fois qu’il avait une idée en tête, il était inutile d’essayer de lui faire changer d’avis, je le savais pour m’y être cassé les dents plus d’une fois. Sans un regard supplémentaire pour Juha, je quittais la sellerie, abandonnant mon matériel pour aller retrouver Orphée. Alors que je m’éloignais, j’entendis Philippe lui dire :

- Juha, apporte tout le matériel que vient de rassembler Gabriel à l’avant du van, nous devons partir ou alors nous seront en retard.

Quelques instants plus tard, Philippe me rejoignait dans le box d’Orphée. en silence, nous commençâmes à le préparer, et face à mon mutisme, il finit par prendre la parole, d’une voix qui cachait mal son inquiétude :

- Que se passe-t-il avec Juha ? Vous aviez pourtant l’air de bien vous entendre…

- Je… Je préfère ne pas en parler… Répondis-je mal à l’aise. Tu peux me passer la couverture s’il te plait ? Demandais-je en une amorce pour changer de sujet, sentant que l’on se dirigeait vers un terrain dangereux.

- Gabriel, insista-t-il, je m’inquiète pour toi. Ton brusque changement de comportement m’invite à penser que tout ne va pas aussi bien que tu le prétends…

- Je t’assure que ça va, je coupais-je sèchement, avant d’ajouter plus doucement sur un ton presque suppliant, s’il te plait, n’insiste pas…

- Très bien, céda Philippe en soupirant, me faisant ainsi clairement comprendre qu’il n’approuvait pas mon choix. Je n’insiste pas, mais promet moi de venir me voir si quelque chose ne va pas d’accord ?

- Hn, d’accord, finis-je par céder à mon tour, sachant pertinemment qu’il ne me lâcherait pas avant d’avoir reçu la réponse qu’il attendait.

J’appréciais réellement Philippe, dire le contraire aurait été mentir, mais parfois son côté surprotecteur devenait fatiguant. J’avais le sentiment d’être traité comme un petit garçon à qui il fallait toujours rabâcher la même chose.

Sur ces entrefaites, je sortais Orphée du box tandis que Philippe allait donner les dernières instructions pour la journée. Je menais ma monture jusqu’au van et montait tranquillement à l’intérieur, suivit quelques secondes plus tard par Orphée qui semblait totalement serein. Avec un petit sourire, je songeais à la première fois que j’avais eut besoin de le transporter et à la manière dont j’avais galéré pendant plus d’une heure trente pour le faire embarquer. En attendant, depuis ce jour là, il montait dans le van en trois secondes neuf chrono.

Je nouais la longe à la barre d’attache, suffisamment longue pour qu’il puisse manger, mais pas trop non plus et après avoir vérifié ses protections, je sortais, donnant ainsi le feu vert à Philippe pour refermer le pont.
Alors que je sortais, je fus immédiatement assailli par Juha qui me coinça un peu à part :

- Tu vas continuer encore longtemps comme ça ? Me demanda-t-il visiblement agacé d’être ignoré.

- De quoi tu parles ? Demandais-je sur le même ton, souhaitant mettre un terme au plus vite à cette conversation.

- Gabriel, reprit-il plus posément, oublions ce qui s’est passé hier soir, nous allons travailler ensemble et je ne voudrais pas que tu rates ton concours pour un simple bais…

- C’est bon, le coupais-je, ne souhaitant pas entendre ce mot qui m’effrayait. Allez, vient, ajoutais-je en apercevant Philippe qui nous faisait signe de nous dépêcher, on est déjà en retard.

Un instant après, je me retrouvais assis entre Juha et Philippe qui avait prit le volant, n’aimant pas ma façon de conduire, trop brusque d’après ses propres dires. Un silence gêné s’était installé entre nous depuis le départ, rendant l’ambiance tendue et pesante. Cet instant, je n’avais qu’une envie, c’était de rejoindre Orphée à l’arrière pour me soustraire à cette atmosphère oppressante et angoissante. Philippe était concentré sur sa conduite, Juha fixait sans le voir le paysage qui défilait tandis que je gardais obstinément les yeux rivés sur le petit écran de la caméra de surveillance, regardant Orphée qui ne semblait pas dérangé le moins du monde par les mouvements inlassables du van, mangeant son foin comme si de rien n’était. Ce fut finalement Philippe qui brisa le silence, me faisant sursauter et oublier momentanément mon stress :

- Tu as bien pensé à tout ? Tu as pris tes papiers ?

- Oui, ils sont dans la sacoche accrochée à ma selle, répondis-je.

- Bien… Hey, ça va ? Nerveux ?
- Non, si peut, répondis-je faussement réjoui. Je suis littéralement mort de peur, ajoutais-je sincèrement.

- Il n’y a aucune raison à cela, me dit Philippe d’une voix un peu trop confiante à mon goût.

Je ne répondis rien, pas convaincu le moins du monde par sa précédente affirmation.

Puis, Philippe s’adressa à Juha, lui donnant des indications sur la marche à suivre à l’arrivée et le déroulement du concours, tandis que je fermais les yeux, dans le but de dormir un peu, tentant de récupérer un minimum de ma nuit blanche. Mais c’était sans compter sur mon état d’énervement. Les yeux toujours fermés,  je me laissais bercer par le ronronnement du moteur, me concentrant sur ce son régulier afin de ne penser à rien d’autre et de faire le vide de tout ce stress que je ressentais constamment depuis ce matin et qui me nouait les entrailles. Si d’apparence je semblais posé et serein, intérieurement, c’était tout autre. Je sentais mon sang bouillonner d’impatience et d’excitation, encore et toujours mêlé à cette peur insensée de ne pas être à la hauteur de leurs espérances et des miennes.

La fin du trajet se déroula dans l’excitation de l’arrivée. Seul Juha semblait ne pas prendre réellement conscience des enjeux que cela représentait, et malgré le débriefing de Philippe, je ne pouvais m’empêcher d’appréhender un quelconque dérapage.

Une fois arrivés, nous nous séparâmes en deux groupes. Philippe parti régler les derniers papiers avec les organisateurs du concours tandis que je menais Orphée au box qui lui avait été attribué, suivit par Juha qui portait le matériel. Même si je ne le montrais pas, j’étais impressionné par le monde qui gravitait autour de nous, me donnant l’impression d’être au beau milieu d’une fourmilière. De plus, l’agitation, les cris et la musique qui hurlait me donnait mal à la tête. Je devais avouer que, peut habitué à avoir autant de monde autour de moi, je n’étais guère très à l’aise et rassuré.

Depuis notre arrivée, Orphée aussi était passablement excité et agacé par toute cette agitation. Mais je n’avais pas à me plaindre, car en regardant autour de moi, je voyais des chevaux bien plus énervés qui semblaient donner du fil à retordre à leur groom.

Me préparant mentalement à affronter quelques uns des grands noms de la compétition en reining, je restais silencieux et ceux, même lorsque Philippe revint avec de quoi boire et manger. Malgré mon envie de vomir, il me força à grignoter un peu, pour prendre des forces, disait-il. Pour lui faire plaisir, j’avalais trois bouchées d’un sandwich au poulet et descendais une bouteille d’eau avant de retourner auprès d’Orphée. Après lui avoir démêlé la queue, je la nattais négligemment afin qu’elle ne s’emmêle pas de nouveau, tout en évitant de casser les crins.  Une fois fais, je lui retirais sa couverture, lui présentais le mors qu’il accepta immédiatement puis, posant les rênes sur l’encolure, j’enfilais mes chaps. J’avais prit soin de les graisser hier et le résultat était satisfaisant, elles n’avaient ni l’air neuves et achetée exprès pour l’occasion, ni en trop mauvaise état, ressortit la veille du placard.
Ma monture et moi parés, nous nous rendîmes tous ensemble à la carrière d’échauffement. Juha marchait silencieusement à mes côtés, tandis que Philippe partait rejoindre les gradins après un dernier mot d’encouragement et des recommandations de dernière minute. Je savais qu’une fois que je serais entré dans la carrière tout se déroulerait très vite. Je n’avais pas droit au moindre faux pas et Orphée non plus.  Je me devais d’être autant concentré que possible afin de mettre Orphée en confiance et être en parfaite osmose avec lui.

A présent seul avec Juha, je me sentais de nouveau mal à l’aise. Etrangement, je ne savais pas comment me comporter vis à vis de lui. Ma colère et ma rancoeur à son égard s’étaient dissipées depuis un moment déjà et je lui étais grandement reconnaissant de son travail de et l’aide précieuse qu’il m’avait apporté jusqu’à maintenant. Non sans surprise, je vis poser sa main sur mon bras en un geste si doux, que même peu friand du contact humain, je n’essayais pas d’esquiver son geste. Quelque peu intrigué par ce geste soudain, je tournais la tête vers lui. Plantant son regard qui avait le dont de me troubler au plus profond de moi, dans le mien, il déclara :

- Au plus profond de moi, je sens que tu en es capable, plus que tous ceux qui sont présent ici, je crois en toi Gabriel. Je n’ai qu’une seule chose  à te dire, fais toit confiance…

Je ne répondis rien à cette déclaration, mais gardais obstinément mon regard planté dans le sien, afin qu’il puisse y lire la reconnaissance que j’avais pour lui mais que j’étais incapable de transcrire par des mots. Je sentais mes joues se colorer d’une belle teinte rosée tandis que des larmes de gratitude me piquaient les yeux. Nous restâmes quelques secondes ainsi, l’âme à découvert, jusqu’à ce qu’un certain malaise s’installe entre nous. Je réalisais qu’au fond de moi, je souhaitais que Juha soit fier de moi. Je ne savais pas d’où me venait ce désir d’être reconnu, mais cela me redonna la confiance qui me faisait défaut. Je me sentais subitement un regain d’orgueil s’emparer de moi, et cela, je le devais à Juha.

Je lui adressais un petit sourire de remerciement et lui dit un “merci” à peine audible mais sincère, avant de déposer un simple baiser sur sa joue, et ce à mon plus grand étonnement. Un peu honteux de mon audace, je rentrais dans la carrière, abandonnant Juha derrière moi. Le rouge aux joues, je me dirigeais vers le centre de la carrière, cherchant toujours la raison qui m’avait poussé à agir ainsi. Je ne comprenais pas mon comportement, comme si mon corps avait agit de sa propre initiative, échappant à ma volonté.

Arrivant au centre de la carrière, je montais lestement Orphée qui, complètement détendu, attendait patiemment mes indications. Une fois en selle, je rattachais rapidement mes cheveux afin de ne pas être gêné avant de reprendre mes rênes et entrer en piste. D’un simple mouvement quasi inexistant sur le mors, je demandais à ma monture de rejoindre au pas, le bord de la piste.
C’est avec soulagement et une joie non dissimulée que je constatais qu’Orphée était totalement à l’écoute de mes moindres faits et gestes. J’étais parvenu à faire le vide en moi, parfaitement concentré sur ma monture, plus rien n’existait autour de nous. Les discussions des spectateurs résonnaient à mes oreilles en un brouhaha inaudible. Toujours au pas, je fis exécuter à ma monture quelques figures de manège classiques, après lui avoir fait céder chacun de ses espaces les uns après les autres. A la vue calme et de la bonne volonté qu’il mettait à exécuter chacune de mes demandes, je ressentis un élan de fierté m’envahir comme jamais cela ne m’était arrivé auparavant. En parfaite harmonie avec lui, j’avais l’impression que nous ne faisions plus qu’un. Callé dans ma selle, je me mouvais au rythme de ses foulées amples, énergiques et fluides. Je sentais le regard intense de Juha posé sur moi mais loin de me décourager ou me troubler, celui-ci m’apportait la force mentale et l’assurance dont j’avais besoin.

Soudain, les hauts parleurs annoncèrent le début du concours, donnant l’ordre de passage. Je passais le dernier. A la fois soulagé et angoissé, je retournais auprès de Juha et lui tendis mon pull. Je ne savais pas si c’était dû au stress ou non, mais je mourais de chaud.

- Prêt ? Me demanda-t-il en levant la tête afin de pouvoir me regarder droit dans les yeux.

Je lui rendis son regard et en souriant, je répondis d’une voix ferme, témoin de ma détermination :

- Plus que jamais !

Sur ces mots, je fis virevolter Orphée et le lançais au petit galop vers le centre de la carrière avec l’intention de poursuivre son échauffement. Je sentais qu’Orphée prenait plaisir à travailler et j’avais bien l’intention d’en profiter. Totalement disposé et à l’écoute, il réagissait au moindre mouvement de mon corps si bien que je n’avais aucune utilité de mes mains.

Je m’entraînais ainsi durant une petite heure, veillant cependant à ne pas fatigué ma monture inutilement et à ne pas l’assommer de demandes, allant même jusqu’à faire quelques pauses prolongées de temps à autre.

Alors que Juha me tendait une énième bouteille d’eau, mon prénom et celui d’Orphée furent annoncés dans les hauts parleurs. Mon coeur s’emballa subitement, battant à une allure frénétique. Je restais un instant paralysé d’effroi avant de me reprendre et de prendre la direction de la carrière de compétition, accompagné par Juha. Je ne le disais pas, mais je lui en étais grandement reconnaissant. En fait, heureusement que j’étais en selle, car je pensais que mes jambes ne m’auraient pas soutenues, tant j’avais le trac.

De plus, je n’avais pas l’habitude d’être le centre d’intérêt et le point de mire de qui que ce soit, et sentir des centaines de regards curieux et critiques posés sur moi me mettait atrocement mal à l’aise. Je savais que parmi tout ceux-ci, au moins deux étaient de mon côté et me soutenaient, mais j’avais l’impression d’être cerné, assailli de regards hostiles qui n’attendaient qu’une chose, que je me plante. Certes, je les comprenais, comment moi, un bleu, un gamin sortit d’on ne sait où, je pouvais faire face et tenir tête à des habitués des terrains de concours ?
Bien trop tôt à mon goût, nous arrivâmes au rectangle de compétition. Avant d’entrer en piste pour de bon, j’adressais un sourire empli de reconnaissance à Juha, le remerciant implicitement d’être présent à mes côtés en ce moment décisif.

Comme précédemment, une fois en piste, j’oubliais tut ce qui n’avait aucun rapport avec Orphée. Toute mon attention et ma concentration étaient reportées sur lui et uniquement lui, analysant et interprétant le moindre de ses tressaillements. Même Juha avait été momentanément occulté de mon esprit. Malgré moi, j’étais impressionné par le comportement d’Orphée. Si d’habitude il cherchait toujours à me tester d’une façon ou d’une autre, en cet instant, il semblait avoir placé toute sa confiance en moi et répondait positivement à chacune de mes demandes, s’arrêtant instantanément lorsque ma voix s’éleva, calme, posée et confiante.

Immobile, les quatre membres sous lui, Orphée ne bougeait plus, tel un statut de marbre, attendant patiemment mes indications à venir. Je sentais dans mon dos, le regard de Juha posé sur moi, ne me quittant pas des yeux, comme s’il cherchait à le communiquer le sang froid nécessaire.

Lorsque le signal du départ fut donné, j’entamais alors l’enchaînement que je répétais depuis des mois avec Orphée. Concentré sur ce que je devais faire, je n’entendais pas les commentaires qui semblaient fuser sur moi. L’épreuve durait seulement quelques minutes et je n’avais pas le temps à perdre à essayer d’analyser l’état d’esprit des jurys. Orphée enchaînait les figures avec une grâce et une célérité que je ne lui connaissais pas. Callé dans ma selle, je sentais ses muscles se mettre en marche, déployant une force phénoménale, à la fois puissante et tranquille, si bien que cela me donnait l’impression de voler au dessus de la piste. Je devais cependant avouer que j’appréhendais quelque peu l’exécution du spin, Orphée ayant toujours eut quelques difficultés d’appui et de propulsion sur cette figure. Cependant, contre toute attente et à mon plus grand soulagement, il l’exécuta avec une dextérité exemplaire.
Lorsque l’épreuve ce termina enfin après un temps qui me sembla durer à la fois des heures et à la fois une infime fraction de seconde, je stoppais Orphée au milieu de la piste avant de quitter la carrière sans un regard pour qui que ce soit. Le sourire aux lèvres, je rejoignais Juha, amplement satisfait de l’implication d’Orphée dans son travail et de sa prestation. Cela ne m’empêchait pourtant pas de stresser en l’attente des résultats. Je savais que le plus important avait été de participer, mais j’angoissais malgré moi et c’est tremblant d’émotions que je descendais de cheval. A peine avais-je mis pieds à terre que Juha s’exclamais, aussi excité que mi, si ce n’est plus :

- Tu étais superbe ! C’était…

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que la voix grésillant du haut parleur retentissait, annonçant une erreur dans le décompte des points. Ils nous demandaient donc de patienter une dizaine de minutes supplémentaires avant de connaître les résultats. Je marmonnais, pestant contre leur inattention et le stress supplémentaire que cela impliquait.

Nous nous rendîmes au box d’Orphée où je le fis boire et déposais une couverture sur son dos. Après tout, nous étions tout de même en hiver et je ne souhaitais pas qu’il attrape froid. Cependant, je ne lui enlevais pas son harnachement, devant repasser devant le publique et le jury pour la remise des prix. Impatient, je devenais de plus en plus intenable au fil des secondes qui, à mon grand désarroi, semblaient durer des heures entières. Mon coeur battait à tout rompre et c’est avec beaucoup de difficultés que je me retenais de crier ma frustration, tentant au mieux de garder mon air impassible. Inconsciemment, perdu dans mes pensées, je caressais distraitement le chanfrein de ma monture qui mangeait paisiblement son foin amplement mérité, pendant que Juha s’occupait de lui.

Quiconque aurait assisté à la scène aurait pu difficilement en croire ses yeux. Même moi, si l’on m’avait dit un jour, que je laisserais Juha s’approcher d’Orphée, j’aurais demandé à être remboursé pour prédictions mensongères. Mais les faits étaient bels et bien là… J’avais fini par accorder une grande part de ma confiance à Juha qui, avec Philippe, étaient les deux seules personnes à avoir le privilège d’approcher mon cheval. Il fallait dire que depuis l’incident qui avait failli lui coûter la vie, j’étais devenu plus que méfiant à l’égard des personnes qui l’approchaient. Même Marion n’avait jamais eut ce droit. La seule fois où elle s’y était risquée, elle s’était pris ma colère diluvienne en pleine figure.

Soudain, un homme prit la parole dans le haut parleur, annonçant les résultats. Lorsque j’entendis mon nom arriver en première place, je me figeais de stupéfaction. Je n’arrivais pas à croire ce que je venais d’entendre. Je fus tiré de mes pensées lorsque Juha me sauta dans les bras en retenant à grand peine un cri de joie. Il me serrait tellement for dans ses bras que je cru mourir étouffé.

- Je te l’avais dis Gabriel, je… Félicitations !!! S’exclama-t-il.

Sans vraiment réfléchir à mon geste, je lui rendis son étreinte. Le rouge me monta aux joues lorsque je réalisais mon geste, mais pour rien au monde je ne me serrais arraché à cette étreinte. J’étais au comble du bonheur et je devais user de toute ma volonté pour retenir les larmes de joues qui me brûlaient les yeux. De plus, bien que je ne le montrais pas, la proximité de Juha me troublais énormément. Depuis Kay, aucun homme ne m’avais serré dans ses bras, tout du moins, pas de cette façon. Les étreintes de Philippe étaient en tout point semblable à celles d’un père à son fils, mais celles de Juha étaient toutes autres. Elles dégageaient quelque chose de plus intime, de plus sensuel dans sa manière de m’enlacer, de presser son corps contre le mien, un étrange goût d’interdit qui me ramenait à l’un des moments le plus sombre de mon existence.

Mais aujourd’hui, son étreinte avait une toute autre connotation. A travers elle, il me semblait ressentir toute sa joie, sa satisfaction et étrangement, de la fierté… Enivré par la sensation de bien être que provoquaient en moi les bras de Juha autour de ma taille, je lâchais un soupir de satisfaction inaudible et me laissais aller, profitant au maximum de cette étreinte qui s’achèverait bien trop tôt à mon goût. Dans les bras de Juha, je retrouvais des sensations que je pensais avoir oubliées depuis longtemps et j’en oubliais tout ce qui n’était pas lui, sa chaleur, son odeur… C’est alors que la voix grave et imposante de Philippe s’éleva à l’entrée du box :

- Félicitations Gabriel ! S’exclama-t-il.

Surpris et honteux de me faire surprendre en position de faiblesse, je m’écartais vivement de Juha, ne sachant pas la réaction qu’aurait Philippe en nous découvrant ainsi enlacés. Cependant, à mon grand étonnement, il ne sembla pas y prêter d’attention et ajouta d’une voix enjouée :

- Allez, viens recevoir ton prix.

Un sourire radieux étirait ses lèvres alors qu’il prononçait ces quelques mots, tandis que ses yeux brillaient d’une lueur que je ne parvenais pas à déterminer. Lui emboîtant le pas, nous retournâmes à la carrière. Arrivé à quelques pas de l’entrée, je remontais à cheval et me rendis seul au centre du rectangle de sable. Je n’arrivais toujours pas à réaliser ce qui m’arrivait. J’avais la conviction que tout ceci n’était qu’un rêve et que j’allais me réveiller d’une minute à l’autre. Mais lorsque j’arrivais face au jury et qu’un par un, ils s’approchèrent de moi pour me serrer la main, je dus me rendre à l’évidence et un sourire un peu niais étira mes lèvres. On me félicitait et me complimentait sur ma performance et la beauté d’Orphée ainsi que sur ma façon d’évoluer sur la piste, toute en grâce en légèreté et en douceur et bien que cela me gênait énormément, n’ayant pas l’habitude d’autant de reconnaissance et d’appréciation positive sur mon travail, je leur en étais grandement reconnaissant. Ce fut non sans une certaine fierté que je reçus mon prix et celui d’Orphée que l’on attacha au montant de son filet.
Puis, je pris congé et retournais auprès de Juha qui m’aida à m’occuper d’Orphée pendant que Philippe s’occupait des documents administratifs. Juha rangeait et rassemblait le matériel pendant que j’offrais un pansage bien mérité à ma monture. Je le remerciais et le félicitais comme je n’avais pas encore eu l’occasion de le faire, poussant même le vice à lui offrir une pomme et un morceau de pain. Puis, je lui mettais les protections de transport afin qu’il ne se blesse pas pendant le trajet dans le van. Lorsque nous fîmes monter Orphée dans le van, il était déjà tard et il était tant pour nous de prendre la route si nous ne souhaitions pas arriver trop tard au ranch.

Le trajet se déroula dans une ambiance toute autre que celle de l’allé. Les rire et la bonne humeur étaient au rendez-vous, contrastant avec la tension insoutenable qui s’était installée entre nous il y avait à peine quelques heures de cela. L’euphorie de la victoire était toujours là, aussi présente chez moi que chez Philippe et Juha. Ils étaient tout aussi excités que moi, comme si c’était eux qui avaient gagné le concours. Je souris, amusé par leur comportement. Ils plaisantaient ensemble comme deux gamins, et je les observais, amusé et heureux. Je sentais quelque chose de différent en moi, quelque chose que je ne saurais expliquer…

Lorsque nous arrivâmes au centre, la nuit commençait à tomber, et avec elle, la température. Aussitôt arrivé, je m’occupais d’Orphée, lui enlevant ses protections avant de lui donner sa ration d’orge et de foin pour la nuit, l’eau ayant été changée dans la journée. Une fois Orphée paré pour passer la nuit, je prévenais Juha afin qu’il ne me cherche pas inutilement en cas de besoin et allais voir Niladhëvan afin de m’assurer que tout allait bien pour elle. Rassuré, je choppais Juha au passage et nous nous rendîmes au bureau de Philippe. Intrigué de ne voir aucune lumière, je frappais à la porte. Cependant, lorsque je n’entendis pas la grosse voix caractéristique de Philippe nous inviter à entrer, mon étonnement augmenta d’un cran. Juha me fis signe qu’il semblait y avoir de l’agitation au réfectoire et d’un commun accord, nous nous y rendîmes, espérant y trouver Philippe.

Lorsque nous entrâmes, je constatais avec stupeur que les tables avaient été déplacées en “u” tout autour de la pièce et que des boissons et des friandises sucrées et salées y avaient été déposées. Au centre de la pièce, étaient rassemblé toute l’équipe et Philippe se tenait devant eux, un immense sourire étirant ses lèvres. Pas habitué à montrer mes émotions, je ressentis néanmoins un petit pincement au coeur lorsque tous acclamèrent ma victoire. Beaucoup se ruèrent vers moi pour me saluer et me féliciter, si bien qu’en quelques secondes, je me retrouvais assailli de tous les côtés avec l’horrible impression de n’être rien d’autre qu’une bête de foire.

Je restais muet de stupeur lorsque j’entendis Michel et Aaron me féliciter pour cette victoire, eux qui n’avaient cessé de dénigrer mon travail depuis que j’étais arrivé ici, eux qui étaient les premiers qui ne perdaient jamais une occasion de me rabaisser et de critiquer ma façon de monter et d’éduquer Orphée, eux qui n’avaient jamais cru en moi. Ecœuré par leur comportement hypocrite, je me détournais d’eux sans leur prêter la moindre attention. Fallait arrêter de prendre les gens pour des cons ! Bien sûr, les remarques désobligeantes ne tardèrent pas à fuser dans mon dos, mais je tentais d’y faire abstraction, ne voulant pas me gâcher la soirée pour des gens qui n’en valaient pas la peine. Cherchant Juha du regard, je m’aperçus avec surprise qu’il s’était éloigné, regardant la foule de loin. Je lui lançais un regard intrigué et interrogatif, ne comprenant pas cette soudaine distance, comme s’il m’évitait… Avais-je fais quelque chose qui ne lui a pas plu ?

Alors que je m’apprêtais à le rejoindre avec l’intention de lui demander ce qui n’allait pas et ce que j’avais bien pu faire pour qu’il m’évite de la sorte, j’entendis une voix m’appeler dans mon  dos. Je me retournais et reconnu Valentin, un des moniteurs qui devait avoir une petite dizaine d’années de plus que moi. Il m’adressa un sourire que je ne parvins pas à décrypter,  et pour la énième fois de la journée, je l’entendis me dire :

- Félicitation pour ta victoire, Gabriel, déclara-t-il en insistant lourdement sur mon prénom, sur un ton qui ne me rassurait pas.

- Merci, répondis-je par politesse avant de me détourner de lui, cherchant un moyen de mettre un terme à cette catastrophique tentative de dialogue.

Mais il ne sembla pas comprendre le message implicite que le tentais de faire passer par mon attitude et mon désintéressement total de lui, car il poursuivit :

- A ce que j’ai cru comprendre, tu as vraiment impressionné les jurys lors de ta prestation. Philippe disait toute à l’heure qu’il t’avait rarement vu aussi impliqué et déterminé…

- Hn…, soupirais-je blasé.

- Toi et Orphée formez vraiment un duo parfait, comme si vous étiez fait l’un pour l’autre. J’ai toujours été impressionné par ton aisance et ton savoir faire avec les chevaux…

je tentais de ne pas le montrer, mais il commençait à m’énerver et à me saouler avec ces paroles qu’il m’avait maintes fois répétées. Plusieurs fois, je cherchais désespérément de croiser le regard de Juha, le suppliant mentalement de venir me sauver de cet enfer. C’est dingue comme ce mec, quand il s’y mettait vraiment, pouvait avoir un effet soporifique sur mes sens et mon système nerveux.

- … J’ai toujours admiré ta prestance et ton dynamisme… Comme cette fois où tu avais couché Bengal lorsqu’il est arrivé au centre et qu’il avait failli te blesser… Mine de rien, j’avais eu drôlement peur qu’il t’arrive quel…

Et voilà, c’était reparti pour un tour… Comme à chaque fois que j’avais le malheur de croiser son chemin, il me ressortait toute ma biographie… Parfois, j’avais la nette impression qu’il connaissait ma vie mieux que moi, et ce n’était pas pour me rassurer… Finalement, je finis par décrocher totalement. Sa voix n’était plus qu’un bourdonnement parmi tant d’autres dans le brouhaha environnant. Je venais de croiser le regard de Juha qui discutait un peu plus loin avec Dorian. Je repensais alors à l’étreinte qu’il m’avait donné tout à l’heur et je sentis le rouge me monter aux joues. Je me remémorais la chaleur agréable de son corps pressé tout contre le mien et ce baiser que j’avais déposé sur sa joue… Je n’arrivais pas à comprendre la raison d’un tel geste, et pourtant, ce n’était pas faute d’y avoir réfléchi.

Lorsque je croisais une nouvelle fois le regard de Juha, de m’empourprais violemment et lui adressais un petit sourire intimidé. Le sourire qu’il me rendit fit s’emballer mon rythme cardiaque à une allure incroyable. Je ne comprenais pas la raison d’un tel engouement, mais une chose était sûre, ou du moins, me semblait être sûre, c’était que Juha était loin de me laisser aussi indifférent que je m’efforçais à laisser paraître… J’avais mis longtemps à accepter cette idée, mais les faits étaient là, je ne pouvais le nier… Un simple de ses regards posé sur moi faisait naître des sensations que j’avais très vite appris à refouler et qui, à présent, s’imposaient à moi de façon rude et brutale.

C’est alors, au comble de la malchance, je vis débarquer Marion. Sans un mot ni un regard pour personne, elle se dirigea vers moi d’un pas rapide et décidé. Elle m’offrit un de ses éternels sourires hypocrites dont elle avait le secret et prit la parole :

- Félicitation Gabriel ! A croire que je me suis trompée ! Jamais je n’avais pu imaginer qu’un type comme toi puisse arriver à quoi que ce soit un jour. Ca doit cacher quelque chose, ajouta-t-elle avec une moue dubitative qui laissait présager le pire.
Cependant, je ne répondis pas à son attaque, trop choqué pour prononcer le moindre mot. J’avais la nette impression que cela ne faisait que commencer, et je ne me trompais pas, car face à mon manque de réaction, elle poursuivit, m’enfonçant un peu plus, détruisant la faible estime de moi que j’étais parvenu à me faire de moi-même :
- Ah je sais, tu as triché pour pouvoir gagner, il n’y a que cela. Quand on sait d’où tu viens on comprend qu’il est impossible que tu puisses faire quoi que ce soit de ta vie.

Chaque mot qu’elle prononçait était un poignard enfoncé toujours plus profondément dans mon coeur. Comment pouvait-elle être aussi cruelle, profiter de ma faiblesse pour m’attaquer… Mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même car après tout, c’était moi qui lui avait dévoilé une partie de mon passé. En faisant cela, jamais je ne l’aurai cru capable de s’en servir contre moi à des fins aussi viles et mesquines.  Je sentais mon coeur taper dans ma poitrine, se contractant douloureusement tandis que des larmes me montaient taux yeux, menaçant à tout instant de franchir la barrière de mes paupières. J’étais littéralement tétanisé, je sentais le regard de Juha posé sur moi et je ne parvenais pas à prononcer le moindre mot pour ma défense. Et de son côté, Marion profitait de mon état léthargique pour m’attaquer encore plus violemment. Face à mon mutisme, elle ajouta :

- Dis moi Gabriel, c’est quoi ton secret ? Tu es passé sous la table pour pouvoir gagner ? C’étaient des bons coups les jurys ?
Je me sentais profondément humilié, comme une seule fois dans ma vie je l’avais été, et ne trouvais rien à redire à cela, totalement paralysé. J’eu à peine le temps de réaliser ce qui se passait que la main de Juha atterrie violemment sur la joue de Marion, faisant se retourner plusieurs personnes qui nous regardaient, ébahies.  Aussi étonné que les autres, je posais sur Juha un regard empli d’incompréhension, ne comprenant pas pourquoi il venait de prendre le risque de lever la main sur Marion. Semblant réellement en colère, il s’exclama furieusement :

- Tu n’as pas d’autres endroits pour aller cracher ton venin ! Espèce de petite garce, tu ne vaux vraiment pas la peine que l’on reste en ta compagnie ! Viens Gabriel, on s’en va ! Bonne soirée à tous et à demain.
Sur ces mots, il m’attrapa par le bras et m’entraina à sa suite. Docile, je le suivis sans protester, trop anéanti pour ne serait-ce que penser à me rebeller. Je ne m’en sentais ni la force ni le courage.

Je commençais à croire que je m’illusionnais à croire en mes rêves d’avenir. Tous semblaient se liguer contre moi pour me faire redescendre de mon petit nuage. Certes, j’avais gagné ce concours, mais Marion avait raison… Cela ne signifiait rien… Toute mon enfance, on m’a répété les mêmes paroles, mais lorsque j’ai rencontré Philippe, il s’est mis dans la tête de me faire changer d’opinion sur moi-même, et je dois avouer qu’il avait presque réussit… Mais j’avais tors, et lui aussi… Jamais je ne parviendrais à faire quelque chose de bien dans ma vie, à devenir quelqu’un. A presque vingt-cinq ans, je ne valais guère mieux que ce petit garçon délaissé que j’avais été, un garçon qui avait passé la moitié de sa vie à courir les rues…

D’ailleurs, je ne comprenais toujours pas ce qui avait poussé Philippe à me prendre sous son aile… Il m’a donné l’espoir qu’un jour je parviendrais à faire quelque chose de ma vie, à devenir une personne à part entière et pas seulement un nom donné comme ça par hasard… Je lui en voulais pour cela, je lui en voulais d’avoir fait naître cet espoir en moi, de m’avoir fait miroiter un avenir auquel je ne pourrais avoir droit. J’étais condamné à rester celui que j’étais, un homme aigri par la vie, rongé par l’amertume et la rancœur…

Et Marion… Je savais qu’elle pouvait être une véritable garce pour avoir eut plusieurs fois droit à ses caprices de fille unique, mais jamais je n’aurais imaginé qu’elle puisse aller jusque là ! Ces propos m’avaient vraiment blessé… Comment ? Comment avait-elle su ? Jamais je n’avais parlé de Kay à personne. Comment pouvait-elle connaître ce secret que j’avais enfoui au plus profond de moi-même ? Je n’avais jamais été lavé des humiliations que j’avais connu ce jour-là et bien après, jusqu’à mes dix-huit ans… Je gardais toujours au fond de moi, cette partie de ma vie que je m’efforçais d’oublier… Pourquoi ne pouvais-je être comme tout le monde ? Pourquoi ne pouvais-je être normal ? Dans ma tête, les mots de Marion résonnaient inlassablement tel des accusations à mon encontre qui allaient me rendre fou.

C’est alors que les larmes que j’avais retenue jusqu’à maintenant s’échappèrent de mes yeux pour rouler silencieusement sur mes joues et se perdre dans mon cou et à la commissure de mes lèvres, me laissant un arrière gout légèrement salé. A mon grand étonnement, je sentis Juha m’attirer à lui dans un geste vif mais non dépourvu de douceur, en une invitation muette à partager avec lui, la douleur qui me lancinait le cœur. Sans que je ne puisse les retenir, des sanglots déchirant s’échappèrent de ma gorge, libérateur du poids de la douleur et de l’humiliation qui pesait sur mon âme.

Passant mes bras autour de son cou, je le serrais contre moi en une étreinte possessive, le remerciant implicitement d’être là pour moi, mais aussi pour l’empêcher de partir, pour le retenir à moi, qu’il ne m’abandonne pas à ton tour. Car à présent, la peur de me retrouver de nouveau seul avait refait surface, plus violente et angoissante que jamais.

Le visage enfoui dans son cou, je respirais son odeur qui avait le don de me calmer. Il possédait un je ne sais quoi qui avait le pouvoir de m’apaiser lorsque je me sentais mal. Dans un geste de réconfort, sa main glissa dans mon dos en de lentes caresses, comme un adulte le ferait avec un enfant. Puis, non sans un certain étonnement, malgré mes larmes, je sentis ses doigts glisser dans mes cheveux pour les caresser tendrement. Je me surpris à aimer cette sensation que ses mains firent naître en moi, à la fois source de réconfort et faisant naître en moi un étrange sentiment de bien être.

Je ne sais combien de temps nous restâmes ainsi enlacés. Le silence autour de nous ne fut brisé que de rares fois par des murmures de Juha qui me souffla des mots que je ne compris pas mais qui m’apaisèrent par leur douceur et la chaleur que le son de sa voix provoquait en moi.

Finalement, ce fus le froid qui nous força à nous séparer lorsque mes larmes se tarirent enfin. A contrecœur, je m’écartais très légèrement de lui et de la chaleur bienfaisante de son corps pressé contre le mien. Réalisant soudainement le genre de pensées malsaines qui s’étaient imposées à moi, et s’ajoutant à cela la gêne de m’être ainsi laissé aller devant lui, je détournais les yeux, n’osant soutenir son regard intense, alors que mes joues prenaient une belle teinte colorés.

Ma gêne augmenta d’un cran lorsque je me rendis compte que nos corps étaient encore collés l’un à l’autre et que mon visage était à peine à quelques centimètres du sien.

Je pouvais sentir son souffle chaud tout contre mon visage, effleurant ma peau en une caresse aérienne que je ne pus m’empêcher de trouver agréable, mais qui néanmoins, me perturba. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette proximité, à la fois ambigüe de par le baiser qu’il m’avait donné, mais aussi par la douceur exempte de toute tentative quelconque de me ravir un nouveau baiser.

Ce fut bien bientôt l’inverse qui se produisit. Bien trop tôt à mon goût, il s’écarta de moi, et rompant le charme de l’instant que nous venions de partager, il demanda :

- Tu viens chez moi ce soir ?

D’une petite voix qui cachait mal ma honte, je répondis :

- Pourquoi pas !

Cependant, j’étais heureux qu’il me fasse la proposition, ne me sentant pas apte à rester seul cette nuit, à ressasser mes sombres pensées.

Ma réponse sembla le soulager, comme s’il craignait ou appréhendait un refus de ma part. De toute façon, je commençais à le connaître un peu et me doute qu’il m’aurait forcé la main si ma réponse avait été négative.

Après un petit sourire d’excuses, je l’abandonnais un instant, le temps  d’aller chercher les clés du 4×4 dans le bureau de Philippe. Du coin de l’œil, je vis Juha se rendre au réfectoire, ayant eut la gentillesse de ne pas me demander de m’y rendre avec lui. Une fois dans le bureau, j’attrapais les clés avant de refermer la porte derrière moi une fois que je fus à l’extérieur.  Patiemment, j’attendis que Juha revienne, assis dans la voiture, appréciant le calme de la nuit, bien que, je devais l’admettre, je me pelais le cul.

Assis dans le noir, je n’arrêtais pas de songer à la scène qui venait de se dérouler… Juha avait prit la défense, allant même jusqu’à gifler Marion sous les yeux de Philippe. Je ne comprenais pas ce qui l’avait poussé à agir ainsi, à en arriver à cette extrémité, mais je lui en étais sincèrement reconnaissant. Il risquait gros en ayant agit de cette manière et j’ignorais tout de ses motivations, mais cela m’avait touché en plein coeur. La façon dont il m’avait protégé me rappelait Kay. Il aurait eut exactement la même réaction, même si je pense, qu’il aurait moins prêté attention à ces propres paroles, comme l’avait fait Juha qui, me sembla-t-il, avait cherché ses mots pour ne pas aggraver son cas. Kay lui, y serait allé cash, agissant avant de réfléchir, même si cela devait le mener droit dans le mur. Je souris, amusé à cette idée. Cependant, celui-ci ne s’attarda guère sur mes lèvres, lorsque je repensais aux paroles de Marion.

C’est à ce moment que Juha fut de retour.  Ouvrant la portière, il prit place côté passager et ne perdant pas de temps, ne souhaitant pas rester une minute de plus en ce lieu, je démarrais et prenais la route du studio de Juha. Dégoûté, je ne pris même pas la peine de mettre la musique, n’ayant pas le coeur à cela.

Rapidement, nous nous retrouvâmes chez lui. A peine rentré, j’allais me poser dans le canapé après avoir négligemment posé mes clés sur le petit meuble dans l’entrée. Pour être honnête, je n’avais pas envie de faire quoi que ce soit, je n’avais envie de rien, juste ce désir d’oublier cette vie minable et misérable qui était la mienne.

- Tu veux boire quelque chose ? Me demanda Juha, me sortant de mes obscures pensées.

- Non, je n’ai pas soif, merci, répondis-je d’une voix qui cachait mal l’extrême lassitude qui s’emparait de moi.

- Je vais préparer à manger dans ce cas, reprit-il.

- Je n’ai pas très faim non plus, répondis-je plus par automatisme que par réel intérêt, le regard perdu dans le vague.

Sans un mot, abandonnant toute idée de préparer le repas, il vint prendre place à mes côtés :

- Je sais que je suis assez mal placé pour te poser des questions sur ton passé, mais… Enfin voilà,… Est-ce que je peux  t’en poser quelques unes ?

Ne m’attendant pas à une telle question, je tournais vivement la tête vers lui, sans chercher à masquer mon étonnement :

- Tu n’es pas obligé de me répondre, s’empressa-t-il d’ajoute, semblant avoir mal interprété ma réaction. Si c’est trop personnel, tu peux ne rien me dire. Mais je souhaiterais juste comprendre certains choses, comme la réaction de Marion et l’effet qu’elle à eut sur toi.

J’observais attentivement Juha, qui semblait choisir ses mots avec beaucoup d’attention, comme s’il craignait une quelconque réaction excessive de ma part. Certes j’étais parfois imprévisible, mais à ma connaissance, je n’avais encore jamais mangé personne. Reportant toute mon attention sur lui, je répondis simplement :

- Je t’écoute.

Malgré l’air distant et impénétrable que je m’efforçais à adopter face à lui, m’étant déjà suffisamment humilié en sa présence, je ne parvins pas à maitriser l’intonation de ma voix qui raisonna bien trop grave à mes oreilles. D’un autre côté, j’appréhendais les questions de Juha, mais je tenais à ne pas le montrer. Cela attiserait sans aucun doute sa curiosité que je ne pourrais satisfaire, ne me sentant pas prêt à lui révéler mon passer.

Contre toute attente, il posa sa main sur la mienne. Je réprimais un frisson à ce contact, n’ayant pas encore l’habitude de ce genre de contacts intimes, bien que je devais l’admettre, celui-ci était très agréable. Après ce petit geste, il finit par se lancer :

- Marion a fait allusion à ton passé en dénigrant d’où tu venais…

Je sursautais à ces mots. Certes, je m’attendais à quelque chose du genre, mais les entendre de vive voix n’était certainement pas la même chose. Brusquement, je me retrouvais projeté sept ans en arrière, dans ce lieu que je haïssais par dessus tout.

Toujours cette honte qui s’emparait de moi lorsque j’y repensais, cette humiliation qui me hantais depuis dix ans et qui me poursuivrait tout au long de ma vie, malgré mes vaines tentatives pour passer à autre chose et tirer un trait sur ce passé à présent révolu, enfin tourner la page de cette période dégradante de ma vie. Honteux, je détournais la tête, ne voulant pas qu’il se rende compte de mon malaise et déclarais d’une petite voix :

- C’est… C’est trop personnel, désolé. Je n’ai pas envie d’en parler.

Je sentais mon coeur se compresser douloureusement dans ma poitrine. Pourquoi fallait-il que le passé ressurgisse subitement ? Pourquoi alors que j’étais parvenu à me faire une raison, Kay revenait hanter mes pensées ? Moi qui avais espéré tirer un trait définitif sur lui, sachant pertinemment que jamais plus je ne le reverrais… Pourquoi Juha ravivait-il ainsi mon passé, faisant renaître mes vieux démons… Sans même s’en rendre compte, il avait bouleversé ma petite vie monotone, me balançant mon passé en pleine figure… Semblant trouver ma réaction quelque peu excessive, Juha me demanda :

- De quoi as tu si peur et si honte ?

De par ces mots, il venait de me percer à jour. Je ne répondis rien à sa question, laissant le silence de la nuit nous envahir. Je devais me faire violence pour ne pas me laisser aller à mes larmes qui inondaient mes yeux, me brouillant la vue, tandis que le film de mon passé se déroulait fans mon esprit, me faisant revivre cet enfer une énième fois. Que devais-je faire pour que cela cesse ? Pourquoi n’avais-je pas droit, moi aussi, à un instant de paix ?

Je sentis alors l’étreinte de la main de Juha se resserrer sur la mienne, en un geste qui se voulait apaisant. Puis, sa voix brisa de nouveau le silence entre nous qui commençait à devenir vraiment oppressant :

- Ca fait combien de temps que tu étais avec Marion ?

Bien que ce sujet n’était pas non plus le bienvenue, je le préférais à l’autre car au lieu de me raccrocher à mon passé, il attisait ma haine envers Marion et me faisait oublier, l’espace d’un instant, la tristesse qui me rongeait. Reprenant le dessus sur mes émotions, je répondis simplement :

- Six ans environ…

- Ah oui ? Tant que ça ? Demanda-t-il visiblement surpris. Comment en êtes vous venu à ce genre de rapport ?

Bien décidé à lui répondre, je pris une profonde inspiration et commençais :

 - A dix huit ans, je suis venu travailler dans ce centre. Marion, comme tu le sais, est la fille de Philippe. Personne ne faisait vraiment attention à moi, je n’étais qu’un p’tit nouveau qui avait à peine atteint sa majorité. Marion a été la seule à venir me parler, alors naturellement, nous nous sommes rapprochés.

Je fis une pause, avant de poursuivre, légèrement hésitant quant à dévoiler mes sentiments :

- Je… Je pensais vraiment que je l’aimais, mais je peux t’avouer que je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Et pourtant, notre relation à continué en se détériorant jusqu’à maintenant.

- Est-ce que c’est une question d’orientation sexuelle ? Me demanda-t-il d’une voix peu rassurée, comme s’il craignait de me vexer.

- Pourquoi cette question ? Demandais-je en tentant de masquer ma surprise et le malaise qui grandissait en moi à l’idée qu’il puisse avoir le moindre soupçon.

Gêné, il bégaya :

- Je… C’est que… Vis à vis des sous entendus qu’elle a fait… Désolé, je n’aurais pas dû te demander cela.

Il alla même jusqu’à ôter sa main de la mienne et sans que je ne sache pourquoi, ce geste me blessa. Pourquoi avait-il retiré sa main ? Est-ce que je le dégoûtais ? Cependant, presque aussitôt, il posa sa main sur mon épaule et cela me rassura un peu, bien que je ne sache toujours rien de ses sentiments envers moi.

- Quoi que ce soit, Gabriel, déclara-t-il sérieusement avec un air grave que je ne lui avais encore jamais vu, je suis mal placé pour te juger. Tu ne devrais pas avoir honte de toi, tu es quelqu’un de très bien au fond de toi, et tu te l’ais prouvé aujourd’hui lors du concours. Quoi que t’ait dit Marion, tu as mérité cette place à sa juste valeur plus que tout autre, alors ne gâche pas ta joie pour elle.

Je ne le montrais pas, mais j’étais réellement troublé par les paroles de Juha, ému aussi. Jamais personne n’avait réussit à me cerner aussi bien que lui, hormis une seule… J’avais l’étrange impression d’être totalement transparent face à lui, qu’il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. Malgré cette dérangeante impression qui me taraudais, je tentais de la laisser momentanément de côté et tournais la tête vers lui, ne cherchant même pas à essuyer les larmes qui coulaient silencieusement sur mes joues. De toute façon, au point où j’en étais… Mais le plus étrange, c’était que je ne m’étais même pas rendu compte que je pleurais… Les mots de Juha m’avaient-ils attient plus profondément que je ne l’avais imaginé ? D’une voix rauque tremblante d’émotion et d’incompréhension, je lui demandais, d’un ton pitoyable :

- Pourquoi est-ce que tu t’acharnes à vouloir m’aider comme ça ?

- Je… Parce que… J’en ai envie, tout simplement… Répondit-il avec hésitation, comme s’il ne savait lui-même pas la raison et cherchais rapidement une réponse qui pourrait me convenir.

J’eu subitement peur qu’il fasse tout cela simplement par acquis de conscience. Cette pensée me serra douloureusement le coeur… Faisait-il réellement tout cela parce que je lui faisais pitié ? Cette idée était plus insupportable pour moi que n’importe quelle autre et toutes les insultes de Marion. Cependant, je ne lui fis pas part de mes craintes, les gardant pour moi et répondis :

- Je ne comprends pas… A quoi cela te sert-il ? Je n’en vaux vraiment pas la peine, tu sais.

- Non, ça c’est sûr si tu continues de te rabaisser ainsi, s’exclama-t-il calmement, mais su un ton sévère et sec. Si j’ai envie de t’aider et bien je le ferais. Laisse les autres juger de ta valeur car s’il y a bien une chose dans laquelle tu n’excelles pas, c’est l’estime de toi.

Je restais silencieux, n’ayant rien à redire à cela. Je savais parfaitement que je n’aurais jamais le dernier mot avec Juha. Malgré son petit air fragile, il avait un caractère fort et un tempérament de feu. Au bout d’un moment, je finis par me lasser de tout cela et me levant, je déclarais :

- Je vais me laver, j’en ais pas pour longtemps.

- Très bien, je vais faire à manger pendant ce temps.

Prenant la direction de la salle de bain, je tentais de masquer mon trouble. Juha avait le don de faire naître en moi des sensations étranges et inconnues. Je sentais mon coeur s’accélérer brusquement lorsque ses yeux se posaient un peu trop longtemps sur moi, comme s’il essayait de lire en moi. Le contact de ses mains sur moi me donnait des frissons que je ne parvenais pas à réprimer et qui faisait naître au creux de mes reins une douce chaleur que je n’avais que trop rarement ressentie… Cette même chaleur que j’avais ressentie quand…

Aussitôt, je me giflais mentalement dans l’espoir de chasser cette pensée indécente et inconcevable qui s’était imposée à moi l’espace d’un instant. Non, c’était tout simplement impossible… Je n’en avais pas le droit… Je n’étais pas comme ils le disaient… Je n’étais pas un monstre, je ne possédais pas le diable en moi…

Attrapant mes affaires au passage, j’allais directement m’enfermer dans la salle de bain, et quelques secondes plus tard, une cascade d’eau froide pleuvait sur moi, me lavant des souillures de mes pensées impures, ou du moins, cela m’en donnait l’impression…

Dix minutes plus tard, j’étais dans la cuisine avec Juha et sur sa demande, je mettais la table pendant qu’il allait à son tour, prendre sa douche. Durant tout ce laps de temps, j’avais évité de le regarder, ne sachant quel genre de comportement adopter vis à vis du souvenir des pensées que j’avais eu envers lui. Une fois cette tache effectuée, j’allais me poser dans le canapé. Me laissant tomber lourdement et sans grâce aucune dans celui-ci, j’attrapais la télécommande et allumais la télévision en attendant que Juha finisse de se doucher pour passer à table. Distraitement, je zappais de chaîne en chaîne, ne trouvant rien d’intéressant, pour finalement jeter mon dévolu sur un manga animé d’adolescent en armures. Je souriais face à la traduction française qui laissait à désirer, et ne détournais mon attention de l’écran que lorsque Juha passa devant moi torse nu. A cette vision, je sentis mes joues s’empourprer violemment mais je ne pus m’empêcher de détailler avec attention son corps finement sculpté. Bien vite, toute gêne disparue lorsque mon regard se posa sur le dessin qui ornait son omoplate droite. N’étant pas certain de ce que j’avançais, je demandais :

- C’est un phénix, c’est ça ?

- Oui, répondit-il simplement.

- Ce n’est pas un tatouage habituel, fis-je remarquer non sans une certaine curiosité. Cela fait longtemps que tu l’as ? Il a une signification particulière pour toi ? Ajoutais-je ma curiosité piquée à vif, désireux subitement d’en apprendre plus sur lui.

J’eu la surprise de le voir prendre tous ses moyens face à ma question pourtant tout à fait innocente, me semblait-il. Bégayant, il tenta de me faire une phrase correcte en guise de réponse :

- Je… Oui… C’est lié à mon passé. Désolé, je…

Comprenant parfaitement son malaise pour avoir vécu le même quelques instants auparavant, je répondis en lui adressant un sourire rassurant, néanmoins déçu de ne pas en découvrir plus sur lui :

- Tu n’as pas envie d’en parler, pas de soucis.

- Disons simplement, se justifia-t-il malgré tout, que je le prend pour modèle. Renaître de ses cendres… enfin, je ne sais pas si tu saisis ce que je veux dire.

- Oui, je vois…

Ne semblant pas vouloir s’attarder sur le sujet, Juha changea subtilement le cours de la conversation et déclara :

- Bon, je commence à avoir faim, on passe à table.

Je le suivis en silence, pensant au fait que malgré nos différences existantes et non négligeables, nous nous ressemblions plus que nous voulions le croire ou l’admettre. Nous nous ressemblions de par nos réactions et notre difficulté à évoquer notre vie passée.

Passant à table, j’abandonnais mes sombres et funèbres pensées pour me concentrer sur un sujet plus joyeux. Avec entrain et passion, je racontais à Juha mon ressentis et mes impressions sur le concours et lui expliquait comment Orphée avait été à mon écoute dès le départ, la manière dont nous étions en parfaite symbiose.

Le reste de la soirée, nous la passions côte à côte dans le canapé, étonnement proche l’un de l’autre. Jamais encore je n’avais accepté quelqu’un aussi proche de moi, aussi bien physiquement que mentalement, hormis Kay. Même avec Marion je n’avais jamais été aussi réceptif et aussi en confiance et détendu. Mais une chose était certaine, là, dans les bras de Juha, collé tout contre lui, je me sentais en sécurité comme rarement je l’avais été ces dernières années. Entre les bras de Juha, j’avais l’impression que rien ne pourrait m’arriver ni même m’atteindre. Peut être était-ce dû aux évènements de la soirée, mais une certaine intimité proche de la tendresse s’était installée entre nous.

Se laissant gagner par la sérénité de l’instant présent, Juha posa sa tête sur mon épaule et le moment de surprise passée, je me détendis à mon tour. Si une personne extérieure avait été parmi nous, je pense sincèrement que l’on nous aurait prit pour un jeune couple en nous voyant ainsi. Une drôle de sensation me noua l’estomac à cette hypothèse. Comme un picotement qui traversa mes entrailles pour aller se perdre au plus profond de moi, se transformant en une étrange chaleur doublée d’un étrange sentiment de bien être. A cette constatation, je sentis mes joues rougir sous l’indécence de mes pensées, mais mettant mon éducation de côté, je tentais de passer outre, ainsi que toutes ces sensations et ces émotions contradictoires qui duellaient en moi. D’un côté, mon éducation et le souvenir des horreurs passées et de l’autre, mon désir de me libérer de mes chaînes pour, à présent, voler de mes propres ailes et vivre mes propres expériences, découvrir par moi-même ce qui me convenait le mieux, de répondre à ces questionnement qui, depuis tant d’années, restaient sans réponse.

Mais ce soir, je n’avais pas envie de me prendre la tête pour des conneries, je voulais juste profiter de cet instant de tendresse comme il m’avait rarement été donné de recevoir et prendre les évènements comme ils se présenteraient. Ce soir là, je voulais simplement être moi-même…

Je tournais alors la tête vers lui et avisant une mèche de cheveux qui lui tombait devant les yeux, j’approchais la main et la replaçais derrière son oreille en un geste qui m’était venu de la manière la plus naturelle qui soit. C’était un geste que j’avais déjà effectué avec Kay et que j’aimais beaucoup car il dégageait le visage de Juha pour mieux me laisser apprécier la beauté de ses traits.

C’est alors que nos regards s’accrochèrent pour ne plus se quitter. Je n’aurais pu décrire ni expliquer ce qui se passa à cet instant, mais je sentis s’envoler toutes mes convictions de ne jamais plus me laisser aller à ressentir ce genre d’attirance. Cela n’avait pourtant rien de sexuel, non, c’était bien plus que cela… C’était quelque chose de plus profond, de plus intense. Je cru même percevoir dans son regard un éclair fugace de désir, mais je n’en étais pas certain. Son regard avait quelques chose de troublant et j’étais comme hypnotisé, je ne parvenais pas à détourner les yeux. En y réfléchissant bien, je me rendis compte qu’en fait, je n’en avais pas l’envie…

C’est alors que sans briser le contact de nos yeux, il se redressa légèrement pour être à ma hauteur. Je ne pouvais nier que je sais parfaitement ce qui allait suivre et à cette idée, mon coeur s’emballa en une course endiablée. Je me faisais l’impression d’être une collégienne qui vivait son premier rendez-vous. Je pouvais sentir sur mon visage, la douce chaleur de son souffle erratique. Mon coeur battait à une allure qu’il n’avait encore jamais atteint et l’angoisse et l’appréhension de ce qui allait suivre était bien présent et me nouaient l’estomac. Contre toute attente, contrairement à ce que je m’étais imaginé, Juha ne franchit pas l’infime distance qui séparait nos lèvres, restant parfaitement immobile. Attendait-il que je franchisse de moi-même les derniers centimètres ? Etrangement j’en avais autant envie que lui, mais je n’osais me lancer. Car d’une certaine façon, cela signifiait renier mon passé, mon éducation et toutes les conventions que l’on s’était efforcé à me mettre dans la tête. Et si justement, c’était cela que je recherchais inconsciemment ?

Bravant tous les interdits, je me penchais légèrement, esquissant un geste pour rapprocher d’avantage nos visages et mêler nos souffles rendus irréguliers par l’appréhension. De par ce geste, je lui donnais mon accord pour parcourir la distance infime qui séparait nos lèvres, car malgré mon désir de le faire, certaines barrières restaient à franchir et je ne m’en sentais encore pas prêt. Face à mon hésitation, il n’en fallut pas plus à Juha qui franchit ces quelques millimètres.

Le contact de ses lèvres m’électrisa, m’inondant d’un millier de sensations que je n’avais jamais imaginé ressentir un jour. La douceur de ses lèvres faisait naître en moi une chaleur inconnue mais apaisante. Malgré les apparences, ce baiser était plus qu’agréable et commençait à me faire perdre la tête. Une certaine satisfaction s’emparait de moi et bien que je reste tout de même hésitant et légèrement apeuré, je ne m’éloignais pas de lui et ne le repoussais pas, contrairement à la première fois qu’il m’avait embrassé.  Je tolérais son baiser et accepta même son étreinte lorsque, passant ses bras autour de moi, il m’attira à lui.

S’il y avait bien une chose dont je lui étais particulièrement reconnaissant, c’était la façon avec laquelle il acceptait mon malaise et le respectait, ne tentant et ne demandant rien de plus que ce qu’il recevait déjà et que je voulais bien lui donner. Tout dans son baiser se voulait rassurant. Puis, du bout de la langue, il caressa mes lèvres en un effleurement aérien. La douceur et la délicatesse dont il faisait preuve m’impressionnait réellement. Cela n’avait rien à voir avec la fougue avec laquelle il avait échangé ce baiser avec Dorian, ce jour où je les avais surpris dans l’écurie. Non, cela semblait dégager tout autre chose, mais l’intensité n’en était pas moins élevée.

Après un instant d’hésitation, je finis par répondre à son baiser et entrouvris les lèvres. Je n’aurais pu décrire avec exactitude ce que je ressentis lorsque sa langue s’insinua entre mes lèvres entrouvertes avec une lenteur exagérée. Parallèlement, sa main caressait ma nuque en un doux contact qui me fit frissonner de bien être. Lorsqu’il mit fin à ma torture et que sa langue rencontra enfin la mienne, je cru défaillir sous l’afflux de sensations toutes plus douces et agréables les unes que les autres et la chaleur que je sentais naître au creux de mes reins et qui se propagea dans mes veines à une allure incroyable. Bientôt, je fus submergé par cette douce chaleur et, me laissant envahir par cette sérénité et le plaisir que je ressentais à sentir sa langue jouer avec la mienne en un ballet des plus sensuels, je me raccrochais comme je pus à cette réalité que je voyais s’éloigner lentement. Timidement, je poussais le vice jusqu’à enlacer Juha, passant mes bras derrière sa nuque. Ce baiser et cette étreinte au goût d’interdit était finalement quelque chose de terriblement excitant.

Mon corps réagissait, presque malgré moi, aux sensations que notre échange faisait grandir en moi.  Cependant, nous dûmes mettre un terme à notre baiser lorsque l’air vint à nous manquer. Lentement, nos visages se séparèrent et nous reculâmes  chacun de quelques centimètres. C’est avec une légère appréhension que je rouvris les yeux et les plongea dans ceux de Juha, craignant d’y déceler quelconque jugement sur mon comportement paradoxale entre hier et aujourd’hui.  Cependant, je n’y vis rien de tel et avec soulagement, je posais ma tête sur son épaule, l’attirant à moi dans une simple étreinte de gratitude. A son tour, il fit de même, enfouissant son visage dans mon cou. C’est non sans gêne que je l’entendis respirer bruyamment mon odeur et ce constat me fit monter le roue aux joues, tout en gonflant mon coeur de joie et de satisfaction.

Nous restâmes un long moment ainsi enlacés, sans qu’aucun mot ne soit prononcé, appréciant cet instant de paix. Puis gagné par la sérénité de l’instant et de sa douceur, je sentis mes paupières s’alourdir subitement. Je luttais un moment contre le sommeil, mais celui-ci était trop fort pour moi. Alors que je me sentais plonger pour de bon, emporté par le sommeil, j’entendis à peine Juha murmurer :

- Viens…

Déconnecté de la réalité, à demi-conscience, je me réveillais lorsque je le sentis bouger contre moi, esquissant un mouvement pour se lever. Usant de toute ma volonté et des dernières forces qui me restaient, je me levais avec difficultés et me laissa guider jusqu’au lit par Juha. Si quelques jours auparavant j’aurais vivement refusé de partager son lit même sans aucun sous entendu, à présent, cela ne me dérangeait plus. J’avais confiance en Juha et je savais que jamais il ne me forcerait à faire quelque chose contre mon accord. De plus, je n’avais pas envie de mettre fin à cette intimité que nous partagions et la tendresse qui nous enveloppait depuis tout à l’heure.

Juha m’aida à tirer les couvertures alors que je m’allongeais, ou plutôt, me laissais presque tomber sur le matelas. Cependant, et malgré la confiance que je lui vouais, je ne pus m’empêcher de me tendre lorsque je sentis le lit s’affaisser à côté de moi, signe que lui aussi venait d’y prendre place. A présent totalement éveillé, je ne bougeais plus, j’étais comme paralysé attendant avec crainte la suite des évènements. Dans mon esprit, je voyais se dérouler des dizaines de scénarios possibles. Je jurais mentalement contre mon état de paranoïa avancée mais ne me détendis pas pour autant et lorsque je sentis Juha s’approcher lentement de moi, collant son corps tout contre le mien, je retiens momentanément ma respiration. Comme je sentis sa main venir se poser sur ma poitrine, je failli faire un bon hors du lit, mais prenant sur moi, je ne bougeais pas, ce qui me demanda un immense self-control. Puis, sa tête sa calla tout contre mon épaule. Je restais immobile, craignant plus de sa part, mais il ne sembla pas vouloir aller plus loin car il ne bougea plus, parfaitement callé contre moi.

C’est alors que je me traitais d’idiot et me giflais mentalement. Malgré moi et la confiance que j’avais pour Juha, ma peur réelle était toujours présente et je ne pouvais m’empêcher de toujours craindre un geste qui serait de trop. Je prenais déjà énormément sur moi pour lui offrir ce baiser et cette étreinte, n’ayant jamais réussi à surmonter ma honte et mon dégoût de moi-même jusqu’à maintenant. Il avait fallu que Juha entre dans ma vie pour que j’accepte de regarder la réalité en face et me rendre compte que la vie que je menais n’était en réalité qu’une échappatoire à moi-même. Elle me permettait dénigrer et de renier celui que j’étais réellement pour m’inventer un personnage qui conviendrait aux normes de la société, qui serait celui que l’on veut que je sois. Et c’était Juha qui avait trouvé cette faille et l’avait exploité pour faire tomber ce mur que jamais devant les yeux et me forcer à m’accepter tel que j’étais vraiment, et pour être honnête, je lui en était reconnaissant, car au fond de moi, même si je ne l’avouerais pour rien au monde et encore moins à lui, je me sentais lentement libéré d’un poids qui irait en grandissant au fur et à mesure que je m’accepterais tel que je suis.

Allongé comme nous l’étions, je sentais sa chaleur m’envahir et étais légèrement troublé par sa proximité, mais le plus étonnant était la sensation de calme et de sérénité qui s’emparait de moi à son contact. Je me sentais apaisé de tous mes doutes. Complètement détendu et apaisé, je me laissais aller à fermer les yeux, me laissant de nouveau gagner par le sommeil. Tout contre moi, je sentais que Juha commençait à s’endormir lui aussi, sa tête s’alourdissant sur mon épaule, et calquant ma respiration sur la sienne, je me sentis de nouveau partir en un rien de temps. Je poussais un soupir de bien être et de contentement puis finit par m’endormir pour de bon, confortablement installé et callé contre le corps chaud de Juha qui m’apportait le calme intérieur que j’étais moi-même incapable de gérer.

Le lendemain, je me réveillais lorsque je sentis le lit s’affaisser puis se redresser soudainement. Dans un état de semi conscience, je mis du temps à me resituer et ce ne fus que lorsque j’entendis Juha s’affairer dans la cuisine que tout me revient en mémoire, de notre baiser au lit que nous avons partagé en toute sagesse… Je sentis alors mon coeur s’emballer frénétiquement à ce souvenir. Pourquoi Juha était-il parti ? Venait-il de réaliser lui aussi, la position délicate dans laquelle nous nous trouvions ? Apeuré à l’idée de devoir lui faire face, je restais un moment dans le lit, souhaitant profiter encore de sa chaleur et m’enivrée de l’odeur de Juha avant de devoir l’affronter.

Je me tournais alors du côté où il avait dormi et j’attrapais son oreiller avant de le porter à mon visage et de m’enivrer de son odeur typiquement masculine. Plus les minutes passaient et plus je redoutais un jour me lever et lui faire face. Sans trop savoir d’où elle me venait, je sentais une peur incontrôlable s’emparer de moi et me nouer l’estomac à l’idée qu’il considère le baiser que nous avons échangé hier soir comme une erreur de parcours qu’il faudra oublier.

D’un autre côté, je pouvais parfaitement comprendre qu’il ne veuille pas de moi. Après tout, qui voudrait un jour d’une personne comme moi, d’un homme qui ne possède en tout et pour tout que des fantômes d’un passé trop lourd à porter et aucun avenir. Chassant de mon esprit ces sombres pensées,  je me giflais mentalement et décidais de me lever. Après tout à quoi bon se morfondre sur son propre sort et repousser l’échéance d’une rencontre qui sera, de toute manière, inévitable.

Je bâillais longuement et m’étirais avant de finalement me lever. La forte odeur de café qui se répandait dans l’appartement m’indiquait que Juha était à la cuisine. Sortant de la chambre, me décidais de jouer franc jeu avec lui. Plus de faux semblants à partir de maintenant, j’agirais comme bon me semblerait, obéissant à mes propres envies et non à des valeurs que l’on m’avait inculquées.  Entrant dans la cuisine, je souris en voyant Juha fixer la cafetière sans la voir, ne se rendant même pas compte de ma présence. il avait l’air si concentré qu’il ne m’entendit pas approcher de lui et alors qu’il sembla s’apercevoir de ma présence, je déposais timidement mes lèvres sur sa joue, tentant désespérément de maîtriser le rouge qui me montait aux joues mais en vain.

Je n’aurais su dire quelle était la source de sa joie qui me valut d’être instantanément enlacé par ses bras, mais je m’en sentis bêtement heureux. avec Juha, j’avais pour la première fois depuis une décennie, l’impression d’être apprécié, à défaut d’être aimé, pour la personne que j’était vraiment et non pour celle que je faisais semblant d’être.  Comme la veille, il prit possession de me lèvres, un peu plus fermement pourtant, mais sans pour autant se départir de sa douceur qui le caractérisait. Et c’est cette douceur qui me faisait accepter ce baiser et cet échange de tendresse, avec, à chaque fois, de moins en moins d’appréhension. L’angoisse qui me tiraillait l’estomac au départ, se réduisait à une simple accélération cardiaque.

Alors que nos langues se frôlaient, nous nous enlaçâmes tendrement en une étreinte timide et encore quelque peu hésitante. Je répondis presque instantanément à son baiser, comme si c’était la chose la plus naturelle qui soit et surtout, ce qui me perturba le plus, comme si nous avions toujours agit de la sorte. Entre ses bras, je me désinhibais et je prenais de plus en plus d’assurance. D’un certain côté, j’en étais heureux car cela signifiait que je parvenais à prendre du recul quant à mon passé et des années d’humiliation, mais d’une autre côté, je ne pouvais m’empêcher de craindre le pire. Progressivement, j’avançais vers un futur inconnu et un avenir incertain et cela me faisait peur. Au fond de moi, j’avais l’intime conviction que nous foncions droit dans le mur, que notre semblant de relation était voué à l’échec.

Pour la seconde fois de la journée, je me giflais mentalement et chassais ces sombres pensées pour me consacrer entièrement à notre baiser et au plaisir que je ressentais à être dans les bras de Juha. Si à présent embrasser Juha devenait de plus en plus naturel, prendre des initiatives relevait encore du défi. Pour le moment, je me contentais de répondre à ses demandes et ses invitations, me laissant porter par ses envies. Lorsque le baiser prit fin, il s’écarta légèrement de moi et plantant son regard dans le mien, il déclara, un sourire radieux étirant ses lèvres :

- Bonjour Gabriel, bien dormis ?

Aussitôt, je m’empourprais violemment à sa question et au sous entendu qu’elle laissait à supposer. Atrocement gêné, jebégayais :

- Je… Oui.

A vrai dire, j’étais plutôt décontenancé par la légèreté avec laquelle il prenait la chose. Certes, ce n’était pas sa première expérience, mais je le trouvais inconscient. Il rayonnait la joie de vivre et ne semblait se soucier de rien, et je devais admettre que je l’enviais. J’enviais cette facilité déconcertante avec laquelle il prenait et acceptait les faits, sans jamais se soucier du regard des autres et e leurs jugements, ni même se demander si ce qu’il faisait était bien ou mal. Face à ma gêne évidente, il ne pus s’empêcher de rire et déclara :

- Assied-toi, je t’apporte ce dont tu as besoin.

Très vite, nous nous retrouvâmes assis à table, installés devant un petit déjeuné copieux, dans une ambiance plutôt étrange. Sans savoir comment l’expliquer, celle-ci était à la fois légère et détendue, tout en gardant une certaine retenue. Je n’osais pas parler, ne sachant pas vraiment quel sujet aborder, si bien que je restais silencieux. Nous mangeâmes rapidement puis lorsque j’eu terminé, j’allais prendre d’assaut la salle de bain.

Lorsque nous fûmes tous les deux prêts, nous prîmes la voiture jusqu’au centre. Certes, j’angoissais un peu à l’idée de recevoir quelques réflexions de la part du personnel ou de croiser Marion, mais outre cela, j’étais serein. Je pense même qu’avec le recul que j’avais pris depuis la veille, j’aurai pu lui tenir tête aisément, si la nécessité l’exigeait.

La plupart du temps, je le passais avec Juha, si bien que la journée se déroula à une allure impressionnante. Après avoir observé le comportement et le travail de Juha, j’étais de plus en plus satisfait de lui et allais même jusqu’à lui confier des tâches de plus en plus importantes, lui déléguant certaines responsabilités.

Le déjeuner, je le pris avec lui au réfectoire, assis à ma table habituelle, ignorant parfaitement Marion que j’entendais glousser à quelques tables de la notre. Je n’entendais pas ce qu’elle disait, mais il ne fallait pas être né de la dernière pluie pour deviner que j’étais le centre d’intérêt de sa conversation. De plus, les regards furtifs et les sourires en coins qu’elle me lançait étaient plus qu’équivoques et ne laissaient pas la place au doute.

Une chose cependant que je remarquais vis à vis de Juha, et bien que je ne le lui dise pas, j’en étais pas moins reconnaissant, c’était la discrétion dont il faisait preuve, gardant ses distances, ne laissant rien soupçonner de l’évolution, si je puis dire, de notre relation. Certes, je n’ignorais rien de son envie de m’embrasser, la flamme qui brillait dans ses yeux lorsqu’il me regardait était plus explicite que des mots, me faisant rougir à chaque fois, mais jamais il ne tenta quoi que ce soit, même lorsque nous étions seuls.

Le soir arriva très vite, le temps passant à une vitesse affolante. Alors que je m’affairais à réparer un filet, je vis Juha arriver près de moi. Levant les yeux vers lui, je lui adressais un petit sourire avant de me replonger à mon occupation, souhaitant le terminer avant de partir. Arrivant auprès de moi, Juha déclara :

- Je sais que tu es déjà venu hier, mais est-ce que ça te dis de dormir chez moi ce soir ?

Sans trop savoir pourquoi, j’étais tout simplement heureux de sa proposition. Je le lui fis comprendre en lui adressant un grand sourire comme rarement il m’arrivait d’en faire et je lui répondis :

- Je finis ça et on y va.

D’une voix gentiment moqueuse, il s’exclama alors :

- Je me trompe ou tu as l’air de te sentir comme chez toi dans mon studio, mieux que dans ta petite chambre en tout cas.

J’avais parfaitement comprit qu’il avait dit cela sur le ton de la plaisanterie, son sourire ne trompait pas, mais il venait d’aborder un point délicat, peut être sans même le savoir, et c’est pourquoi avec tout le sérieux dont j’étais capable, je répondis :

- J’en ai marre de la solitude quand je peux être avec une personne que j’apprécie.

Juha ne répondit rien à cela, ne s’attendant visiblement pas à une telle réponse de ma part. Pourtant, je n’avais rien fait d’autre que d’exprimer clairement mon état d’esprit et mes sentiments. Cela l’aurait-il bouleversé à ce point ? Avais-je dis, malgré moi, quelque chose qui l’aurait blessé ou perturbé ? Alors que je commençais à m’inquiéter, je le vis m’adresser un que je ne parviens pas à interpréter, avant de s’éloigner. Je restais un instant perplexe face à sa réaction, ne comprenant pas ce soudain repli sur lui-même. Finalement, je me reconcentrais sur mon travail, ne souhaitant pas terminer trop tard, et une petite dizaine de minutes plus tard, je passais prendre les clés de la voiture et rejoignais Juha.

Avant de rentrer chez lui, lui fîmes quelques courses, le frigo était désespérément vide, puis nous rentrâmes à son petit appartement. Un petit quart d’heure plus tard, nous étions tous les deux avachis dans le canapé devant une émission télévisée quelconque, mangeant un petit plat rapidement préparé par Juha. La journée avait été éreintante et j’appréciais ce petit moment de calme que nous passion en discutant tranquillement de tout et de rien, préparant la journée de demain et les priorités dans le travail à effectuer. Comme à son habitude, Juha ferait ce qu’il avait à faire, quant à moi, j’avais plusieurs chevaux à ferrer en plus de quelques leçons à donner et j’aimerais également m’occuper de ma jument, n’ayant pas eu l’occasion de la prendre en main sérieusement.

Trouvant le courage de se lever, Juha débarrassa la table et tandis qu’il se rendait à la cuisine, il me demanda ce que je souhaitais comme dessert. Quelques secondes plus tard, il me ramenait la pomme que je lui avais demandée.

Entre nous, l’ambiance était particulièrement détendue et j’appréciais cette quiétude qui me reposait, contrastant avec l’agitation constante qui régnait au ranch à longueur de journée. Je n’aurais su déterminer lequel d’entre nous bougea le premier, mais très vite, nous nous retrouvâmes blottis l’un contre l’autre, gagnés par la tranquillité du moment. Cependant, contrairement à la veille, je ne craignais pas la suite des évènements. Certes, l’appréhension était toujours un peu présente ainsi que ma culpabilité, mais je passais outre. Cela me faisait toujours un drôle d’effet d’enfreindre les règles. A tout instant, je m’apprêtais à voir surgir de nulle par, un des fantômes de mon passé…

Cependant, rien ne se passait. Tout ce que je pouvais ressentir, c’était le regard de Juha posé intensément sur moi. Je sentais son regard me brûler les lèvres tant il les fixait et les contempler avec une admiration et une convoitise non dissimulée. Je ne parvenais pas à comprendre comment il pouvait montrer autant ses envies et ses désirs sans en ressentir la moindre honte ou once de culpabilité. Pour lui, était-ce si naturel qu’il le prétendait d’avoir envie d’embrasser un homme ? Ou alors n’était-ce qu’une conviction qu’il se donnait pour se donner bonne conscience ? Je l’ignorais. Lorsque Juha me regardais ainsi, j’oubliais tout ce qui n’était pas lui. Son regard avait le don insupportable de m’hypnotiser et même avec toute ma volonté, je ne parvenais pas à détourner mon regard de lui. J’étais comme ensorcelé.

Avec une lenteur infinie, nos lèvres finirent par se rapprocher les unes des autres avant de finalement  s’unir avec une douceur extrême.  Etrangement, je me rappelais le goût de ses lèvres, l’ayant senti sur les miennes tout au long de la journée. Leur texture chaude et délicate m’enivrait au point que je perde le contrôle de moi-même.  Avant que je ne réalise totalement mon geste, mes lèvres s’entrouvrirent avec audace, invitant la langue de Juha à venir retrouver la mienne, tandis que je me tournais un peu plus vers lui et passait mes bras autour de son cou, approfondissant notre échange. Lorsque nos langues se joignirent enfin, je sentis comme une décharge électrique ma parcourir le corps. Je devais admettre que j’étais à la fois admiratif et reconnaissant envers Juha pour la douceur dont il faisait preuve, ne tentant à aucun moment de me forcer la main ou d’approfondir avec fougue le baiser tendre que nous partagions. Avec ce baiser, nos langues apprenaient progressivement à ce connaître, enregistrant et apprenant tous les moindres détails qui les caractérisaient et les rendaient si agréable à mêler.

C’est alors que je sentis les mains de Juha vagabonder librement sur mon corps. A ce contact, je me crispais imperceptiblement, ne sachant pas comment réagir. Alors que ses mains partaient à la découverte de mon corps, je restais parfaitement immobile, appréciant malgré moi, les sensations nouvelles et inconnues que ses caresses faisaient naître en moi.

Au bout d’un long moment, je finis tout de même par me détendre et me laissais aller à ces sensations et Juha en profita pour les faire glisser sous mon t-shirt.  La sensation de ses doigts caressant ma peau en un effleurement fugace et aérien était particulièrement plaisante et je sentais cette même douce chaleur grandir au creux de mes reins.  Je frémis plusieurs fois à son touché, galvanisé par cet afflux de bien être toujours plus intense. Ces gestes étaient emplis de douceur et semblaient être guidés par la volonté de me voir me détendre et me laisser aller aux sensations de bien être qui m’envahissaient.

Cependant, une part de moi-même refusait de se laisser aller et de céder à ces ressentis. Quelque chose en moi me retenait et m’empêchait cet abandon de moi-même à cette tentation. Avant que je n’aie le temps de réaliser et de mettre un terme à tout cela, je sentis ses doigts glisser le long de mon dos. Je sursautais vivement et priant pour qu’il ne se soit rendu compte de rien, je m’écartais de lui, rompant notre baiser.  Affreusement honteux, je tentais de masquer mon trouble et déclara :

- Je vais me laver.

Face à son silence et la pâleur de son visage, je lui demandais :

- Ca va Juha ?

- Oui, me répondit-il, juste un petit coup de fatigue…

- Hn, répondis-je suspicieux avant de me lever et de me rendre à la salle de bain.

Je me déshabillais et une fois nu, j’entrais dans la cabine de douche et réglais l’eau de façon à ce qu’elle soit à température idéale. C’est avec un soupir de plaisir non feint que je sentis les gouttes d’eau couler sur la peau et mon visage. Les yeux fermés, je me laissais aller à cette sensation de bien être tandis que j’avais encore l’impression de sentir les mains de Juha caresser ma peau et ses lèvres sur les miennes. Passant ma langue sur mes lèvres, je pouvais encore sentir le goût légèrement sucré de Juha. Ce baiser que nous avions échangé m’avait réellement troublé. Tant de douceur et de tendresse… Deux hommes pouvaient-ils vraiment s’aimer ainsi ? Rien qu’au souvenir de cet échange passionné, je sentais naître en moi cette même douce chaleur que je ressentais au niveau des reins lorsque Juha m’embrassait et qui progressivement, se propageait dans tout mon être. Qu’était-ce donc cette chaleur qui me faisait me sentir tellement bien mais à la fois si fiévreux. Etait-ce cela ce brasier ardent que l’on nommait désir ? Cela signifiait-il que je désirais Juha ? J’avais pourtant désiré Marion au début de notre relation, mais jamais je n’avais ressentis cette étrange chaleur couler dans mes veines. Ne pas parvenir à mettre un nom sur cette fascinante suavité, me frustrais profondément. Mon corps semblait ressentir une certaine attirance pour Juha mais j’étais totalement incapable de la définir.

Lassé de toutes ces réflexions, je chassais ces pensées de mon esprit et me lavais rapidement. Cinq minutes plus tard, je me séchais lorsque je me rendis compte que, dans ma précipitation, j’avais oublié mes vêtements. Une serviette nouée autour des hanches, honteux de m’exposer ainsi devant Juha, j’allais chercher mes affaires. Alors que je retournais à la salle de bain, Juha prit la parole :

- Gabriel ? Qu’est-ce que tu t’es fait au dos ?

Merde ! Ma cicatrice ! Comment avais-je pu l’oublier et m’exhiber ainsi, le dos à découvert ? Je redoutais cette questions autant que celles sur mon passé car elles étaient indéniablement liées. Dans ma poitrine, mon coeur battait à une vitesse affolante tandis que paralysé d’effrois, je ne pouvais rien faire. Alors que j’allais ouvrir la bouche pour me justifier une absence de réponse, la sonnerie de l’appartement retentie.

- Je vais ouvrir. Je reviens, déclara Juha.

Sautant sur l’occasion, j’acquiesçais et pris directement la direction de la salle de bain. Ne prêtant aucune attention à qui cela pouvait être, j’enfilais mon pantalon, tout en pestant contre moi-même. Je savais que tôt ou tard Juha s’en apercevrait et qu’il me poserait des questions sur mon passé et l’origine de cette hideuse balafre, mais je n’aurais pas pensé que cela arrive aussi tôt. Je ne m’y étais pas préparé. Je n’étais pas encore prêt à me livrer à coeur ouvert, même à Juha… Bien que je l’apprécie énormément et le considère à présent comme un ami, notre relation était encore trop récente…

Alors que je me coiffais, j’entendis la voix de Juha s’élever en un cri vite interrompu de façon que je trouvais plus que suspicieuse. Intrigué et inquiet à l’idée qu’il ait pu se blesser, je me précipitais dans le salon et face au spectacle qui se déroulait sous mes yeux, je restais quelques secondes pétrifié d’horreur. Juha était aux prise avec l’inconnu de la dernière fois qui, une lueur de folie assombrissant son regard et déformant ses traits, les deux mains serrées autour du cou de Juha, tentait de l’étrangler. Réalisant soudainement que Juha était réellement en danger, je me précipitais furieusement sur l’inconnu. L’attrapant par les cheveux, je le tirais en arrière avant de lui envoyer mon poing dans la machoire. L’homme attérit au sol et après m’être assuré de l’état de santé de Juha, je m’exclamais :

- Je crois que tu as pas bien compris la dernière fois !!!

L’inconnu se redressa et se massa la machoire en réprimant une grimace de douleur tout en se plantant face à moi qui entre temps, m’étais interposé entre lui et Juha. Cependant, au lieu de répliquer, il s’adressa à Juha sans prendre la peine de dissimuler la haine qui faisait trember sa voix :

- Comment ça se fait qu’il te protège autant ? Tu l’as encore enbobiner comme Kilian ? Ca ne m’étonnerait pas de toi, petite enflure, cracha-t-il. Dis moi, tu lui réserves la même fin ?

Je devais admettre que j’était totalement perdu. Je ne comrpenais pas ce qui se passait mais il ne fallait pas être idiot pour comprendre qu’il parlait de moi. Quelle était-donc cette histoire ? Dans quelle embrouille Juha s’était-il encore fourré pour que cet homme persiste autant à vouloir sa peau ? Cependant, malgré toutes mes interrogations, je ne voulais pas savoir… Pas comme ça… Sans réel motif, je redoutais ce que je pouvais apprendre. C’est pourquoi je m’exclamais, menacant :

- Arretez ça tout de suite !

Cependant, ignorant mon injonction, il poursuivit, plus haineux que jamais, en s’adressant à moi :

- Je me méfierais si j’étais toi, je ne ferais pas confiance à un mec qui sort tout juste de prison.

Cette révélation tomba sur moi comme l’annonce de la peine capitale. Je me tendis immédiatement, encaissant le coup avec difficultés et me retournais précipitamment vers Juha :

- De prison ??? Juha tu sors de prison ?

Par ces questions, j’avais l’espoir que Juha réfute cette accusation, qu’il s’exclame que tout ceci n’était que diffamation, mais lorsque je le vis détourner honteusement le regard, je compris… Un sentiment de trahison s’abattit alors lourdement sur mes épaules.

- J’m'en doutais que cette petite merde t’ait rien dit !

Ce fut la phrase de trop. De l’abattement, je passais à une colère sans borne envers cet homme qui venait de tout détruire, envers Juha ui m’avait mentit depuis le début, qui m’avait trahit… Aveuglé par la haine qui se déchaînait en moi, je me ruais sur l’inconnu dans le but de lui fair eravaler sa langue de vipère, mais ayant deviné mes intentions, il esquiva et s’enfuit de l’appartement. Je restais un instant immobile, les poings serrés, tremblants de rage. J’essayais vainement de calmer la fureur qui brûlait en moi.

 Je n’arrivais pas à croire ce qui se passait… J’avais l’horrible sensation que Juha s’était joué de moi, qu’il avait fait tout cela dans le but de me détruire d’avantage. Je n’arrivais plus à voir ces actes envers moi  comme quelque chose qui me prouvait sa bonne foi et sa gentillesse. non, à présent, j’avais l’impresion que tout ses gestes, toutes ces gentilles paroles qu’il avait prononcé sur l’estime de moi-même étaient régis pas sa volonté de me briser un peu plus. Perdu dans mes sentiments, je sursautais lorsque j’entendis la voix de Juha s’élever dans mon dos :

- Je suis désolé Gabriel, j’aurais du te le…

- Tait-toi ! Hurlais-je en me retournant, ne voulant plus entendre un traitre mot de sa part. Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu me cacher cela ?  A ce stade de notre relation !

Je vis Juha s’effondrer sur le sol, adossé au mur, mais noyé dans ma fureur qui en réalité, cachait ma profonde tristesse et ma déception, je n’y prêtais pas attention. La voix tremblante d’émotion et de mépris, je déclarais :

- Tu… Tu m’as trahit Juha, j’aurais mieux fait de te laisser seul avec le frère de Kilian ! Tu… Je te déteste ! Ne m’approche plus jamais…

Je me tu un instant, reprenant ma respiration. tous ces mots que je venais de prononcer, je n’en pensais pas un seul, mais égoïstement, je voulais qu’il souffre comme il me faisait souffrir. Je voulais le blesser comme il m’avait blessé en me mentant et en se servant de moi pour assouvir ses envies. Après un court silence, je poursuivis :

- Tout ce qu’on a fait… Pendant tout ce temps… Ne m’adresse plus jamais la parole ! Ne viens plus jamais me voir et surtout, ne pose plus jamais la main sur moi. Toutes ces belles paroles sur la confiance…

Je m’arrêtais de nouveau, la voix trop tremblante pour pouvoir ocntinuer. Mes yeux me piquaient mais je me faisais violence pour retenir mes larmes, ne voulant surtout pas paraître faible devant lui. Je ne voulais pas qu’il voit qu’il m’avait blessé au plus profond de moi-même. J’avais mal… Affreusement mal… Chaque mot que je prononcais me brûlait un peu plus la gorge, mais je m’efforçais de continuer, de ne pas fléchir. Je voulais que Juha comprenne qu’il m’avait réellement blessé, qu’à jouer avec le feu, on finit tôt ou tard par se brûler.

Je me retournais, ne supportant plus de regarder Juha replié sur lui-même. Le voir ainsi me compressaut douloureusement le coeur mais je ne fléchis pas. Je ne devais pas craquer… D’une voix enrouée par les larmes, il déclara :

- Gabriel, je suis désolé… J’aurais dû te le dire… Pardonne moi… J’avais peur de ta réaction… Je ne voulais pas que tu me rejettes en sachant… Je…

- Est-ce que tu avais au moins l’intention de me le dire un jour ? Le coupais-je sans écouter ses misérables tentatives de justification. Tu me dégoûtes !

Sur ces mots, je me détournais de lui, les larmes inondant à pésent silencieusement mon visage. En vitesse, sentant que j’étais sur le point de craquer, je récuperais toutes mes affaires et quittais l’appartement en claquant la porte derrière moi.  A peine eu-je parcourut quelques pas que les premiers sanglots s’échappaient de mes lèvres entrouvertes.

A l’aveuglette, je me rendis à la voiture, et une fois à l’intérieur, je laissais libre court à mes larmes, criant ma peine et ma douleur. Si Juha me dégoûtait par son comportement, je me dégoûtais aussi moi-même pour toutes ces horreures que je lui avais balancé au visage.

Le corps secoué de spasmes de sanglots de plus en plus violents, je ne parvenais pas à me calmer. Je commençais à regretter de m’être montrer si intransigeant envers Juha. Après tout ce que je venais de lui dire, il devait certainement me haïr. Mes remords  me rongeaient et comme pour me faire culpabiliser d’avantage, je repenssais sans cesse aux baisers que nous avions échangés. Ces images s’imposaient intempestivement à moi alorsque je tentais de fermer mon esprit. Je ressentais encore sa chaleur sur mes lèvres, la douceur dont il avait fait preuve à chaque fois…

Intarrissables, mes larmes coulaient en cascades sur mes joues. Comme je regrettais amèrement ce que he lui avais dit… En réalité, j’avais laissé la colère me guider et certains mots étaient sortis tout seuls, avant que je n’ai le temps de les retenir… J’avais mentis quand j’avais dit à Juha que je ne voulais plus qu’il me touche de nouveau. J’avais mentis car au fond de moi, je voulais encore ressentir sa chaleur, je voulais qu’il éveille de nouveau en moi cette douce chaleur bienfaisante. Déjà le contact de ses lèvres sur les miennes me manquant atrocement. Il était le seul à avoir le pouvoir d’apaiser les tourments de mon âme…

Recroquevillé sur moi-même, adossé contre la portière, je ne parvenais pas à calmer les frissons qui parcouraient mon corps. J’étais gelé… J’avais froid et même ma veste et le chauffage ne parvenaient pas à me réchauffer. J’avais froid dans mon âme et, fermant les yeux, je me sentis inexorablement attiré par les ténèbres…

Je me réveillais brusquement lorsqu’une crampe me vrilla le mollet. Retenant un cri de douleur, je tendis la jambe et mon pied cogna la portière côté passager. C’est alors que les évènements de la veille me revinrent en mémoire, j’avais dormis dans la voiture après avoir apprit que Juha sortait de prison… Aussitôt, mon coeur se contracta douloureusement alors que les larmes affluaient de nouveau à mes yeux.

Refoulant mes larmes, je mis le contact et pris la direction du centre au vue de l’heure tardive. A heures heures trentes, j’arrivais dans la cours et plantant la voiture au milieu, je me précipitais rageusement dans le bureau de Philippe. Je le trouvais assis derrière son bureau, étidiant un quelconque dossier. Lorsqu’il me vit, il m’adressa un sourire qui disparut bien vite lorsqu’il me rendit compte l’état de fureur dans lequel j’étais. Sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, je m’exclamais :

- Pourquoi me l’as-tu caché ? Je sais que tu étais au courant de toute cette histoire… Alors pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Ca vous amuse tant que ça, de me voir souffrir ?!

Furieux, Philippe se leva d’un bond et s’exclama à son tour :

- D’abord tu me parles sur un autre ton s’il te plait ! N’oublie pas que je suis avant tout ton employeur.

Il souffla bruyamment et se rassit à son bureau. Fermant le dossier, il croisa les mains dessus et me reprit calmement :

- Bien, assieds-toi et explique moi calmement ce qui se passe pour que tu te mettes dans des était pareils.

Inspirant profondément, je tentais de me calmer et d’une voix tremblante de sanglots contenus, je demandais :

- Tu savais que Juha sortait de prison n’est-ce pas ?

Je vis Philippe se tendre à cette question, ne s’y attentant visiblement pas du tout. Cependant, maître de lui-même, il resta calme et répondit simplement :

- Oui, je le savais.

Furieux de sa réponse, je m’exclamais :

- Et tu n’as pas jugé bon de me faire par de ce petit détail !

S’emportant à son tour, Philippe s’exclama :

- Car cela ne te regard en rien !

- Ah ouais ? Vraiment ? Voir un fou furieux débarquer chez lui en pleine nuit et tenter de le tuer ça ne me regarde pas non plus ! Criais-je hors de moi. C’est pas toi qui passais tes journées avec lui et qui pensais être son ami !

Après un court silence, j’ajoutais :

- En tout cas, vous vous êtes bien foutu de ma gueule, tous !

Sur ses mots, je tournais les talons et quittais le bureau sans répondre aux appels de Philippe.

Remontant dans la voiture, je démarrais au quart de tour et quittais la cours en trombes. J’avais besoin de réfléchir, il fallait que je mette le plus de distance possible entre moi et cet endroit où j’avais l’impression d’étouffer. Je roulais droit devant moi pendant plusieurs heures d’affilée, ne m’arrêtant qu’une seule fois pour faire le plein. Conduire me maintenant l’esprit vide et c’est tout ce dont j’avais besoin en ce moment. Je ne voulais penser à rien, je voulais oublier tout ce qui s’était passé depuis la veille. Je voulais me réveiller et me rendre compte que tout ceci n’était qu’un horrible cauchemar.

Finalement, au bout de plus de quatre heures de routes, j’arrivais au bord d’une falaise. Je coupais le contact et fermais la voiture, puis marchais pendant indéterminé le long du précipice. Plusieurs dois, je me demandais ce que l’on pouvait ressentir en tombant d’une telle hauteur. Voyait-on réellement sa vie défiler devant ses yeux ?

Sur cette interrrogation qui resterait pour le moment sans réponse, je m’asseyais sur le bord du précipice, les jambes dans le vide. Sous moi, à quelques dizaines de mètres en dessous, le ressac des vagues contre la paroi de pierre se propageait en un echo interminable, retentissant à mes oreilles en une harmonieuse mélodie. La sérénité de ce lieu seulement troublé par le cri des mouettes et les vagues venant mourir sous mes pieds, me remplissait d’un étrange sentiment de mal être ponctué d’une pointe d’angoisse et de tristesse. La boule au ventre, je repensais à ce que j’avais dit à Juha… J’avais à présent, tellement honte de moi.

Je n’arrivais pas à cerner le comportement de Juha… Certes, je comprenais parfaitement qu’il puisse avoir peur de ma réaction, mais ce que je sais c’est que même si cela m’avait choqué, j’aurais beaucoup mieux réagit en apprenant cette nouvelle de sa bouche qu’aussi brusquement et de la part d’un parfait inconnu. Je concevais très bien que l’on ait tous un passé différent et plus ou moins difficile, alors pourquoi m’avoir mentit ainsi pendant tout ce temps. Cela ne faisas que démontrer le manque de confiance qu’il avait envers moi et je m’en sentais profondément blessé. J’avais réellement commencé à croire que Juha m’appréciait pour celui que j’étais, j’avais finalement finit par essayer de croire tout ce qu’il ne cessait de me répéter sur la confiance, et pour en arriver où ?

 Je ne savais plus que penser à son propos… Etait-il réellement celui qu’il paraissait ? Lequel était le vrai ? Toute cette gentillesse envers moi n’était-elle que feinte ? Tant de questions qui se bousculaient dans mon esprit à la recherche d’une réponse que je ne possédais pas.

En plus du malaise constant que je ressentais depuis hier et qui me nouait l’estomac, me coupant toute faim, j’étais assailli par une peur indicible et indescriptible. Une peur viscérale qui faisait s’accélérer mon rythme cardiaque. Pourtant, il fut un temps ou j’aurai accueilli cette idée avec joie. Mais depuis que je m’entendais bien avec Juha, que j’avais trouvé l’ami que je n’avais jamais eu, pas depuis Kay en tout cas, elle était devenue une crainte irrationnelle. Cette peur, c’était la solitude. Depuis que je fréquentais Juha, je m’étais ouvert au monde extérieur,  abandonnant mon cocon de solitude et rien qu’à l’idée de le retrouver, de redevenir celui que j’avais été, je sentais l’angoisse me paralyser et une violente envie de pleurer et de crier mon désespoir, s’emparer de moi. J’avais découvert un aspect de ma personnalité que je pensais disparut depuis longtemps, trop longtemps, et s’il m’avait perturbé il y a quelques semaines, il m’était à présent indispensable.

Je ne sais combien de temps je restais ainsi, mais lorsque je retrouvais mes esprits, le soleil était couché depuis un moment déjà et l’obscurité gagnait du terrain. Avec difficultés, les jambes ankylosées par le manque d’activité, je me levais et pris la direction du retour, le coeur allégé de ses tourments et le corps asséché de toutes ses larmes. Je mis quasiment une demi-heure pour regagner la voiture, et lorsque j’arrivais là où je l’avais garée, la nuit était tombée. Alors que j’arrivais à une centaine de mètres, un bruit dans les buissons attira mon attention. Je m’arrêtais et regardais autour de moi et alors que j’allais reprendre mon chemin, le bruit s’éleva de nouveau. On aurait dit que quelque chose remuait dans les buissons. Intrigué, je décidais d’aller voir. J’allais chercher la lampe de poche dans la boite à gant du véhicule et retournais auprès du buisson.

Lentement, je m’approchais et délicatement, sans brusquerie aucune, j’écartais les branchages. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvris un jeune rapace. Celui-ci était dans un piteux état et était visiblement très affaibli, car lorsque je tendis la main pour le toucher, il tenta de s’échapper, donnant quelques battements d’ailes sans grande conviction, puis cessa aussitôt de se débattre. Il me lança un regard apeuré et d’une voix infiniment douce, je lui parlais dans l’espoir de le rassurer. Alors que je m’apprêtais à le toucher, il me donna un coup de bec dans la main. Sous la douleur, je retirais vivement ma main en retenant un hoquet de surprise. Comprenant sa peur, je détournais la lampe de poche, la posant sur le sol à portée de main, nan sans cesser de lui parler. Pendant de longues minutes, je n’esquissais aucun mouvement, ni ne tentais de l’approcher, me contentant de le rassurer et de l’habituer progressivement à ma présence. Cela eut l’effet escompté car lorsque j’approchais une nouvelle fois ma main, l’animal ne bougea pas, se contentant de me fixer de son regard perçant.

Avec une délicatesse extrême, je le pris dans mes mains. L’animal tenta de s’échapper, mais trop faible, il cessa bien vite toute tentative de fuite. Usant de toute ma patience et faisant appel à toute la douceur dont j’étais capable, je le transportais à l’arrière du véhicule. Là, je l’enveloppais dans la serviette éponge qui traînait toujours sur la plage arrière et le déposais délicatement sur le siège arrière.

Le chemin du retour se déroula dans une toute autre angoisse que celle qui m’habitait à l’allée. Régulièrement, je m’arrêtais pour me rassurer de l’état de santé de mon petit protéger. Immobile, seul son regard attentif à tout changement, scrutait anxieusement son environnement et quelques fois, il poussa un cri aigu, mais à aucun moment il ne tenta quoi que ce soit.

C’est avec un soulagement non feint que j’arrivais enfin au centre. Rapidement, mais tout en douceur, je saisis le rapace et le tenant fermement contre moi, j’allais voir la seule personne suceptible de m’aider. Avec empressement, je frappais à la porte et réitérais mon geste jusqu’à ce  que j’entende le bruit caractéristique d’un verrou qui s’ouvre. ALors que la porte s’ouvrait, je me précipitais à l’intérieur sous le regard ahuri et empli d’incompréhension de Philippe :

- Gabriel ? Mais… Tu as vu l’heure ?

- J’ai besoin de ton aide, répondis-je d’une voix qui masquait mal mon anxiété.

Face à l’étonnement de mon vis à vis, j’ouvris la serviette et lui présentais l’animal :

- Mon Dieu, murmura Philippe en palissant à vu d’oeil. Où l’as-tu trouvé ? Il est blessé ?

- Je ne pense pas qu’il soit blessé, répondis-je peu cetain de ce que j’avançais. Mais il voudrait mieux l’avis d’un vétérinaire…

- Tu as raison, j’ai un ami qui l’est ! Je vais l’appeler, déclara-t-il en se précipitant sur le téléphone situé dans la pièce voisine.

Il revient quelques minutes plus tard en déclarant, visiblement soulagé :

- Voilà, il ne devrait pas tarder…

- Je m’excuse, l’interrompais-je en détournant le regard, honteux, fixant l’animal qui étudiait son nouvel environnement.

- Pourquoi ? Me demanda-t-il surpris.

- Pour t’avoir crié dessus toute à l’heure et aussi… Pour être parti aussi longtemps…

- Tu es pardonné, me répondit Philippe en souriant et en posant une main chaleureuse sur mon épaule. Mais ne me refait plus jamais une peur pareille !  Tu as vu l’heure qu’il est ? Il est presque trois heures du matin ! J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose… Tu ne répondais pas à ton téléphone…

De nouveau, sans que je ne sache pourquoi, les larmes inondèrent mes joues, coulant silencieusement. D’une voix qui cachait mal son inquiétude, Philippe me demanda d’une voix étrangement douce :

- Que se passe-t-il Gabriel ? Qu’est-ce qui s’est passé avec Juha pour que tu te mettes dans des états pareils ? Parce que cela a un rapport avec ce que tu m’as dit ce matin, n’est-ce pas ?

Alors que je m’apprêtais à répondre, la sonnette de la porte d’entrée retentie dans le salon, surprennent le rapace qui émit un sifflement strident. D’un geste nonchalant, j’essuyais mes larmes alors qu’après un dernier regard pour moi, Philippe allait ouvrir.

J’entendis la voix de Philippe s’élever dans le hall, suivie d’une autre que je ne connaissais pas :

- Salut Adrien ! Comment vas-tu ? Je m’excuse encore de te déranger au milieu de la nuit ! Ta femme va finir par me haïr !

Un rire suivit cette exclamation puis le dénommé Adrien répondit :

- T’en fais pas va ! Tu sais bien que ta soeur serait incapable d’une telle chose ! Alors, que me vaut un tel coup de fil ?

Peu de temps après, un homme d’une quarantaine d’années entra dans le salon, précédé par Philippe. Poliment, je saisis la main qu’il me tendit :

- Bonjour, je suis Adrien, le beau frère de Philippe, se présenta-t-il.

- Gabriel, répondis-je simplement.

- Puis-je vois la bête ? Demanda-t-il, soudain impatient.

Je me décalais sur le côté, dévoilant le rapace toujours emmitouflé dans sa serviette, posé sur la table qui trônait au centre de la pièce. Visiblement étonné, le vétérinaire murmura d’une voix chargée en émotions :

- Il est magnifique… Où… Où l’avez vous trouvé ? Demanda-t-il à haute voix.

- Dans le Sud, répondis-je. Au bord d’une falaise dans la région des Bouches du Rhône.

Si Philippe parut surpris par ma réponse, il n’en laissa rien paraître. Le silence se fit, seulement brisé par les cris perçant du rapace, alors qu’Adrien le manipulait avec délicatesse. Après un temps qui me parut interminablement long, il reposa ses instruments et se tourna vers nous. Inquiet pour le sort de mon petit protéger pas si petit que ça, je demandais :

- Alors ? Verdict ?

- Pour ce qui est de la santé, il n’y a rien d’anormal. Il est juste affaibli par le manque de nourriture. Je pense qu’il serait préférable que vous le gardiez ici le temps qu’il retrouve ses forces.

- Quel espèce est-ce ? Demandais-je réellement intrigué, n’ayant pas le souvenir d’avoir déjà vu un tel animal ici.

- Justement, déclara gravement le vétérinaire. C’est cela que je ne comprends pas. Vous dites l’avoir trouvé dans le sud, mais c’est un pygargue vocifère, une espèce que l’on trouve seulement en Afrique…

- En Afrique ? M’exclamais-je en même temps que Philippe qui manqua de s’étouffer. Et vous avez un idée de comment il a pu se retrouver ici ? Ajoutais-je.

Le vétérinaire réfléchi un instant avant de déclarer :

- Humm… Vu son état de faiblesse général et sa jeunesse, une femelle qui ne doit pas avoir plus d’un an ans je pense, je dirais qu’il à parcourut cette distance en volant. Quant à la raison d’un tel voyage, cela reste une énigme. Pourtant, l’absence de bague prouve qu’il ne s’est pas échappé d’un zoo ou d’une volière.

- Et sinon, niveau nourriture, il mange quoi ? Demandais-je.

- Du poisson généralement, entre un kilo et un kilo cinq par jour. En temps normal, ils vivent dans les arbres près des points d’eau. Par contre, si vous décidez de le garder, il faut savoir que c’est un rapace qui cri beaucoup. De plus, il vous faudra tout de même prévenir les autorités, qu’ils se renseignent auprès des parcs animaliers s’il n’y a pas eut de vol ou de disparition de rapace. Un tel animal doit être signalé.

- Oui, je comprends.

- Je repasserais dans la semaine afin de vous laisser le temps de mettre tout cela en règle et je lui ferais les vaccins obligatoires. En attendant, gardez le au chaud et nourrissez le régulièrement sans oublier l’eau.

- Très bien, je vous remercie infiniment pour ce que vous avez fait.

- Je vous en prie, si vous avez un problème ou simplement besoin de conseils, n’hésitez pas a m’appeler.

- Merci, répondis-je reconnaissant. Je n’hésiterais pas. A bientôt !

- A bientôt, répondit-il en saisissant la main que je lui tendais.

Philippe le raccompagna jusqu’à la porte d’entrée alors que je reportais mon attention sur l’aigle qui me fixait de ses yeux jaunes.

- Que t’est-il arrivé pour que tu atterrisses aussi loin de chez toi ? Lui demandais-je en le caressant sur le sommet du crâne.

Seul un cri strident me répondit et un sourire étira mes lèvres. Philippe arriva quelques secondes plus tard et subitement, je sentis de nouveau la honte s’emparer de moi. Semblant s’en rendre compte, il me demanda dans le but de détendre l’atmosphère :

- Tu veux boire quelque chose ?

- Un coca si tu as, s’il te plait.

- Je vais te  chercher ça ! Je vais aussi regarder dans le frigo, je dois avoir un bout de poisson que je me réservais pour demain, pour donner à ton bestiaux.

- Merci, Philippe, répondis-je.

Lorsque Philippe revient, il me tendit le plateau sur lequel il avait disposé le tout et alla s’installer dans un fauteuil un peu à l’écart. Méticuleusement,  je découpais le poisson en petit bout et le tendis à l’animal. C’est avec soulagement qu’il s’en empara et l’avala goulûment. Je réitérais plusieurs fois mon geste jusqu’à ce que je juge qu’il ait assez mangé

 Là, je lui présentais un bol d’eau dans lequel il plongea son bec plusieurs fois. Satisfait, je pris l’animal dans mes bras et le déposa sur le tapis avant de m’asseoir dans le fauteuil qui faisait face à Philippe, mon coca à la main :

- On dirait un véritable papa poule ! Fit-il gentiment remarquer.

Je souris, amusé  par sa réflexion puis, retrouvant mon air grave, je finis par déclarer :

- Merci pour tout ce que tu as fait…

- Je t’en prie.

Un long silence s’installa entre nous et comprenant que je n’avais aucunement l’intention de le briser, Philippe finit par prendre la parole :

- Que s’est-il passé avec Juha ? Je te connais Gabriel, je sais parfaitement que tu n’as pas réagis aussi vivement que tu l’as fait juste parce que tu as appris que Juha sortait de prison ! Et c’est quoi cette histoire d’homme qui vient chez Juha ?

A cette question, je me tendis imperceptiblement, cependant cela ne sembla pas échapper à l’attention de Philippe. Finalement, après un court silence, je répondis :

- Je ne sais pas trop… Je sais juste que c’est le frère d’un… Homme qu’il à… connu par le passé, répondis-je hésitant quant à dévoiler le passé de Juha. Je ne sais pas pourquoi, mais il semble acharné à vouloir le voir mort… C’est… C’est de lui que j’ai appris pour Juha… La prison…

Ma voix se brisa et je portais ma main à mes lèvres dans un geste futile pour retenir mes sanglots. En face de moi, Philippe commençait réellement à s’inquiéter :

- En sept ans que je te connais Gabriel, je ne t’ai jamais vu pleurer hormis ce jour où tu as failli perdre Orphée il y a quatre ans. Tu sais que tu peux tout me dire, ajouta-t-il en insistant particulièrement sur le “tout”.

Ce fut la phrase de trop, sans parvenir à me contrôler, je craquais, libérant mon coeur de ce fardeau trop lourd :

- Il m’a trahit ! M’exclamais-je sans chercher à retenir mes larmes. Ces paroles sur la confiance que je devais prendre en moi, sa gentillesse et même… Même ces baisers qu’il me donnait… Tout… Tout n’était que mensonges ! Hurlais-je, le corps tendu au possible alors que la respiration courte, l’air commençait à me manquer.

 Je restais ainsi, la respiration bloquée, les larmes brouillant ma vue. L’air bloqué dans mes poumons, je commençais à étouffer et lança un regard apeuré à Philippe, qui s’apercevant de cela, s’était levé et me donna une grande claque dans le dos. Les poumons alors vidés, j’inspirais profondément une grande bouffée d’air alors que mes sanglots se faisaient de plus en plus violents. Semblant alors prendre entièrement conscience de l’ampleur de mes révélations, Philippe me demanda :

- Vous vous êtes embrassés ? Gabriel ?

Honteux, je me contentais d’hocher la tête, comme le ferait un enfant prit en faute, puis face au silence de Philippe, j’ajoutais, terrorisé, les fantômes de mon passé refaisant brusquement surface dans mon esprit :

- Je… Je ne le ferais plus… Je te promets… S’il te plait, ne… Ne me frappe pas…

Plongé dans mes souvenirs, je ne vis pas l’air choqué et scandalisé de Philippe. Agenouillé sur le sol, je sursautais lorsque je sentis les bras puissants de Philippe se refermer autour de mes épaules. Je me tendis l’espace d’une seconde avant de finalement me laisser aller à la douceur de cette étreinte. Jamais encore je n’avais été enlacé de la sorte. Cela n’avait absolument rien à voir avec les étreintes que nous partagions avec Juha. C’était chaud, agréable et terriblement réconfortant. Mon coeur se gonflait d’une sensation de bien être que je n’avais encore jamais ressentie auparavant, et pour la première fois de ma vie, je m’imaginais ce que l’on devait ressentir à se retrouver blotti entre les bras d’un père…  Cependant, si l’initiative de Philippe me bouleversa profondément, les paroles qu’il prononça me touchèrent en plein coeur :

- Je n’ai pas l’intention de te frapper, Gabriel, murmura-t-il. Je n’ai aucune raison de le faire. Je me fiche de savoir que tu as embrassé Juha, cela ne me dérange en rien. Je suis juste un peu surpris d’apprendre ton homosexualité…

A ce mot, je me raidis entre ses bras, et entre deux sanglots, je protestais :

- Je… Je ne suis pas homo… Je suis normal… Je ne suis pas un monstre… Je suis normal… Je suis normal, répétais-je en une litanie incessante.

- Oui Gabriel, tu es tout à fait normal, répondit patiemment Philippe sans cesser de me bercer. L’un n’empêche pas l’autre, tu sais… Etre homosexuel ne fait pas de toi un monstre… Tu as bien le droit d’aimer qui tu veux, que ce soit un homme ou une femme, qu’importe, tant que tu es heureux… Ne laisse jamais personne te dire le contraire… Tu n’es pas un monstre, Gabriel, répéta-t-il.

C’est dans cette position, confortablement blotti dans les bras de Philippe que je finis par m’endormir, épuisé par mes larmes et par le manque de nourriture, n’ayant rien mangé depuis que j’avais quitté le studio de Juha.

Lorsque je me réveillais le lendemain matin, le soleil était haut dans le ciel. C’est alors que les évènements de la veille me revinrent en mémoire, du moment ou j’avais trouvé l’aigle jusqu’à ma crise de larmes dans les bras de Philippe. A ce souvenir, je sentis mes joues s’empourprer violemment et un profond sentiment de honte s’empara de moi.

Je repensais à la réaction qu’avait eu Philippe lorsqu’il avait appris que Juha et moi nous étions embrassés.  Il n’avait pas parut particulièrement choqué ou dégoûté. Ce pouvait-il que Juha ait raison ? L’amour et les relations charnelles entre hommes était-elles réellement possibles ? Ce pouvait-il que cette histoire de châtiment divin ne  soit que pures inventions pour effrayer les hommes ? Dieu condamnait-il vraiment les personnes qui s’aimaient, fussent-elles du même sexe ou non ?
Pour la première fois de ma vie, le doute s’insinuait en moi. Pour la première fois, j’avais envie de croire que les sentiments que j’avais ressenti pour Kay et l’affection que je vouais à Juha n’étaient pas un crime. Car oui, je devais l’avouer, j’appréciais énormément Juha…

Sur cet aveu, je décidais de me lever et me dirigeant vers la cuisine, j’établissais dans mon esprit mon programme de la journée. J’espérais fortement voir Juha aujourd’hui. Je voulais m’excuser pour toutes les choses horribles que je lui avais dites l’autre soir. A cette pensée, mon coeur se contracta douloureusement et je tentais aussitôt de penser à autre chose. Je ne voulais pas me sentir aussi faible que je l’avais été hier soir. Retrouvant ma motivation, je nourrissais mon rapace et commençais à lui chercher un nom. Après quoi, je m’occupais de moi-même avant de vaquer à mes occupations.

La journée passa à une allure affolante. Toute la journée, j’avais passé mon temps à guetter l’arrivée de Juha, mais il n’était pas venu. Je sentais une rancoeur envers lui croître en moi. Pourquoi n’était-il pas venu ? Pourquoi n’avait-il pas téléphoné ? Je le pensais plus combatif et pas du genre à baisser les bras à la première difficulté.

A la nuit tombée, je regagnais ma petite chambre accompagné de mon aigle qui lentement, commençait à se faire à ma présence. Comme l’avais recommandé le vétérinaire, je m’étais occupé de tous les papiers administratifs dans la journée avant de consacrer le reste de mon temps libre à lui construire un petit abri et un perchoir en bois que j’avais garni de branche et de feuilles mortes qu’il pourrait disposer à sa guise. Je l’avais installé dans un angle de la pièce, près du chauffage, n’étant pas habitué au climat froid de l’hiver.

Cette nuit là, je dormis très mal. Je passais mon temps à me réveiller, le corps couvert de transpiration et la respiration haletante après un cauchemar incessant. La moitié de la nuit, je la passais à faire des allers retours entre mon lit et la douche, ne supportant pas la moiteur de mon corps.

Lorsque enfin le jour se leva, je constatais sans grand étonnement qu’un épais manteau blanc recouvrait le paysage extérieur. Je nourris mon petit protéger avant d’aller prendre une douche et chercher de quoi grignoter dans le réfectoire.

 Alors que je m’apprêtais à entrer dans le bureau de Philippe pour lui demander de garder une yeux sur le rapace pendant que j’allais effectuer quelques courses, j’entendis sa voix suivit de cette de Juha s’élever à l’intérieur. Intrigué je restais immobile, écoutant ce qu’ils se disaient et lorsque je compris les intentions de Juha, je sentis un élan de rage déferler sur moi tel un ouragan. Ainsi il avait décidé de partir ? Comment pouvait-il être aussi égoïste ?

Avant que je ne réalise ce qui se passait, je me retrouvais face à Juha. A l’expression de son visage, je devinais qu’il savait que j’avais été témoin de leur conversation. D’une voix plate et sans vie, à la limite de l’effrayant, il se contenta de dire :

- Au revoir Gabriel…

Au revoir ?! S’il pensait vraiment que j’allais me contenter de ces deux mots, il se trompait lourdement. Sans un regard de plus, il passa devant moi, m’ignorant complètement, et alors qu’il s’éloignait, je déclarais d’une voix froide qui contentait toute la colère et les ressentiments que je nourrissais pour lui en cet instant et qui reflétait tout à fait ce que je pensais de lui :

- Tu ne fais que fuir !

Mes mots semblèrent l’atteindre car aussitôt, il se retourna vers moi, l’air choqué. La douleur que je pouvais lire dans son regard me compressa douloureusement le coeur, mais je trouvais la force de m’opposer à lui. D’une voix qui contentant mal ses larmes, il déclara :

- Ne juge pas Gabriel… Tu ne sais rien.

- Je ne juge pas, répliquais-je. Je ne fais que constater ce que je vois.

Je le vis alors détourner le regard, comme s’il avait honte, comme s’il savait que je disais la vérité mais refusait de se l’avouer. Je savais que notre avenir à tous les deux se jouait ici et maintenant…

- Pourquoi ne me regardes-tu pas quand je parle ? L’attaquais-je de nouveau. De quoi as-tu peur ? De la vérité que je dis ? Tu n’es qu’un lâche Juha ! Tu duis la queue entre les jambes à chaque problème que tu rencontres !

J’avais conscience de parler durement avec lui, mais je voulais à tout prix qu’il réagisse, qu’il ouvre les yeux sur ce qu’il s’apprêtait à faire. Cela sembla réussir plus que je ne l’aurais cru car, plantant son regard dans lequel brûlait une flamme de colère dans le mien, il s’exclama :

- Comment peux-tu dire que tu ne juges pas en me disant cela. Peut être que je fuis, mais que ferais-tu si tu étais dans ma situation. Tu as raison, je sors de prison et cela doit grandement te choquer. Je me doutais de la réaction que tu aurais. Mais as-tu imaginais un seul instant tout ce que j’ai vécu avant la prison et pendant les dix années qui ont suivi ? Je n’ai plus rien à faire ici. Je préfère partir parce que peut être qu’il m’est impossible de rester ! Fuir, n’est ce pas finalement ma seule solution ? J’ai assez souffert pour que tu viennes me juger aussi facilement.
A présent, c’était mon tour d’être choqué par les paroles de Juha. En une minute, je venais d’en apprendre plus sur lui qu’en presque un mois passé en sa compagnie. Cependant, bien que marqué par son plaidoyer, je tentais de rester de marbre et répondis :
- On a tous un passé certes plus ou moins douloureux Juha, mais ce qui compte maintenant, c’est ce que l’on est et pas le passé !
- C’est tellement facile de dire cela ! Répondit-il sarcastique. S’il te plait, épargne moi ces grandes paroles ! J’en ai assez de ces discours moralisateurs.
- Peu être que c’est facile Juha, mais contrairement à toi j’ai plus ou moins réussi à surmonter mes démons.
Je le vis inspirer profondément, avant de déclarer :
- Le pire, c’est que tu crois ce que tu dis… Arrête de mentir.
Sous le choc de cette accusation, je restais un instant pétrifié et me tournant le dos, Juha en profita pour partir. Avisant cela, je retrouvais mes esprits, ne voulant surtout pas le laisser fuir, et me lançant à sa poursuite, je lui attrapais vivement le poignet et le forçant à se retourner, je lui administrais une gifle monumentale.
S’arrachant vivement de ma poigne de fer, Juha reprit sa fuite. Plusieurs fois je l’appelais, mais en vain, il ne se retourna pas. Je m’en voulais atrocement d’avoir giflé Juha. J’avais regretté mon geste avant même que ma main n’atterrisse sur sa joue.
Abattu, je me tournais vers Philippe qui avait assisté à la scène, en retenant tant bien que ml un sanglot qui me brûlait la gorge :

- Qu’ais-je fais ? Demandais-je d’une voix qui ressemblait plus à un gémissement désespéré qu’à un murmure.

- Va le retrouver Gabriel, déclara alors Philippe d’une voix anxieuse. Dans l’état qu’il est, je crains qu’il ne fasse une bêtise.

A ces mots, mon coeur loupa un battement. Non, je ne pouvais croire ce que venait de dire Philippe. Juha pouvait-il réellement tenter de mettre fin à ses jours ? Effrayé par cette idée, je m’emparais des clés de la voiture et démarrais au quart de tour. Pendant tout le trajet qui me semblait être interminable bien que je roulais à pratiquement cinquante kilomètres heures au dessus de la vitesse autorisée, je craignais d’arriver trop tard. Dans mon esprit se déroulaient des dizaines de scénarios catastrophes différents, tous plus horribles les uns que les autres. Si jamais il était arrivé quelque chose à Juha par ma faute, je ne me le pardonnerais jamais…

C’est le coeur battant à tout rompre que je me précipitais dans l’appartement de Juha. La porte était ouverte, donc Juha devait être là… Alors que j’entrais dans la cuisine, je cru littéralement mourir de peur. Juha était là, devant moi, me tournant le dos, un couteau de cuisine dans la main. Alors qu’il l’approchait de son poignet dans le but d’accomplir cet ultime geste funèbre, je me précipitais vers lui en criant :

- Juha ! Putain qu’est-ce que tu fous ?

J’arrivais vers lui et sans douceur aucune, je lui arrachais le couteau des main, le jetant le plus loin possible de nous. Puis, je saisis son poignet qu’il s’apprêtait à taillader, souhaitant vérifier par moi-même qu’il ne s’était pas blesser. C’est alors qu’un détail que je n’avais jamais vu auparavant attira mon attention. Une fine cicatrice déjà ancienne zébrait son poignet, signe incontestable, qu’une fois déjà, il  avait attenté à sa vie. Mon coeur se serra à cette constatation et les larmes aux yeux, je réalisais soudainement l’ampleur de la souffrance de Juha… Jamais je n’aurais pu imaginer qu’il refoulait une telle douleur en lui… Qu’avait-il vécu de si horrible pour en arriver à cette extrémité, a vouloir avoir envie de quitter prématurément ce monde ? Plongeant mon regard dans le sien, je lui demandais, au bord des larmes :

- Pourquoi Juha ?

Un mot, un seul mot mais qui pourtant signifiait tellement… Il montrait la grandeur de mon désarrois, de mon désespoir et de ma souffrance presque autant que la sienne. La réponse qu’il me donna me choqua au plus haut point :

- J’en peux plus Gabriel…, répondit-il d’une voix dénuée de toute expression.

Cette réponse m’acheva… Sans que je ne puisse rien faire pour les retenir, mes larmes se mirent à inonder mes joues en une cascade vertigineuse. Je ne comprenais pas… Comment ne pouvait-il penser qu’à lui dans une telle situation ? Ne voyait-il pas la douleur et les blessures qu’il me causait par ses mots, par son attitude. D’une voix brisée par les sanglots, je demandais :

- Est-ce que tu es toujours comme cela Juha ? Aussi égoïste ? Est-ce que tu agis toujours en ne pensant qu’à toi sans te douter du mal que tu fais aux autres ?

Relevant la tête, il planta ses yeux rougis par les larmes dans les miens et demanda en une plainte déchirante :

- A qui est-ce que je causerais du mal si je partais ?

A peine eut-il terminé sa phrase que pour la secondes fois, ma main s’abattie violemment sur sa joue, en une geste parfaitement conscient cette fois-ci.  Comment pouvait-il ne serait-ce qu’oser poser une telle question. Etais-je vraiment transparent et invisible à ce point ? Pourquoi s’évertuait-il à ne pas comprendre, à ne pas voir que j’étais là pour lui, qu’il le veuille ou non. D’une voix pleine de colère à peine maîtrisée, je m’exclamais plus que je ne demandais :

- As-tu conscience de ce que tu dis ?!

A cette phrase, il sembla retrouver ses esprits, comme s’il se rendait enfin compte de ce qu’il s’apprêtait à faire et ce qu’il venait de dire.

En pleurs, il se jeta dans mes bras et enfouis sa tête contre mon épaule. Comprenant son mal être, je ne le repoussais pas. Il ne m’en serait jamais venu l’idée. Au contraire, je refermais mes bas autour de lui et le serra fortement contre moi en une étreinte désespérée. J’avais eu tellement peur de le perdre… Je ne pouvais pas me permettre de le perdre lui aussi, pas après Kay… Je n’aurais pas supporté la douleur de me retrouver de nouveau seul, abandonné… Au milieu es sanglots, Juha murmura alors un mot :

- Pardon…

Cependant, à contrecoeur, je l’écartais un peu de moi, sans pour autant mettre un terme à l’étreinte. Tout n’était pas encore terminé.

- Comment te faire confiance Juha ? Qu’est-ce qui me prouve que tu as été clair et honnête avec moi ?

D’une voix enrouée, il répondit :

- Laisse moi du temps… Je te promets qu’un jour tu sauras tout… Mais je n’ai pas la force de te le dire maintenant…

Je décidais de lui faire confiance. Au fond de moi, je savais qu’il était sincère… Je l’attirais  alors soudainement contre moi, le serrant si fort que je l’étouffais presque, mais pour rien au monde je n’aurais relâcher mon étreinte. J’avais bien trop peur de le voir partir… A l’oreille, je lui murmurais :

- Je t’en supplie, ne recommence jamais ça… Ne me refait jamais aussi peur…

Ma voix mourut dans nos sanglots. Je le sentis alors se laisser aller un peu plus à notre étreinte. Sa tête reposait contre mon épaule et le rendit seulement compte à quel point j’aimais le sentir tout contre moi. Au milieu d’un sanglot, le visage toujours enfouis dans ma chemise, il gémit lamentablement :

- Ne me laisse pas seul Gabriel, s’il te plait… Je t’en supplie, ne me laisse pas seul…

Alors qu’il me suppliait il raffermit inconsciemment son étreinte autour de moi, tremblant de tout son être. Jamais encore je ne l’avais vu aussi faible et désarmé. A mon tour, je raffermis mon étreinte, et d’une voix calme malgré mes pleurs, je tentais de le rassurer :

- Je n’en ai pas l’intention Juha… Je suis là… Chut… Calme-toi…

De nouveau, je m’écartais légèrement de lui et dans un geste empli de douceur, je déposais un baiser sur son front. Longuement, il détailla mon visage, comme s’il le voyait pour la première fois et ses yeux pétillant plongèrent dans les miens, captivant mon regard. Fermement accrochés l’un à l’autre, nous ne nous quittions pas des yeux. Tout semblait si irréel… autour de nous, plus rien n’existait… Nous étions seuls aux yeux du monde… Au regard qu’il m’adressa, je compris bien vite qu’il avait besoin de plus qu’un simple baiser sur le front. Lorsque je le vis s’approcher de moi, amenuisant la distance qui séparait nos lèvres avec la ferme intention de ravir mes lèvres, je n’esquissais aucun mouvement pour me soustraire à son étreinte.

Alors qu’il déposait ses lèvres sur les miennes, avec une telle douceur dont lui seul était capable, je faillis défaillir. Je me rendis seulement compte à quel point ce contact, cette sensation m’avait manquée… Galvanisé par la chaleur de ses lèvres sur les miennes, son goût légèrement salé par les larmes, j’entrouvris les lèvres, lui donnant l’autorisation de les goûter autant qu’il lui plairait. Alors que sa langue pénétrait ma bouche, je me sentis de nouveau envahit par cette douce chaleur qui caractérisait les étreintes de Juha. Le baiser que nous échangions n’avait rien à voir avec ceux qu’il m’avait donné précédemment. C’était un baiser empli de désespoir, de peine et de douleur, mais au bout duquel, une faible lueur d’espoir était en train de naître…. Un baiser dans lequel nous faisions passer mutuellement la souffrance de notre âme et l’étau de douleur qui étreignait notre coeur au point de le faire saigner… Juha m’embrassait comme jamais encore il ne l’avait fait, s’abandonnant totalement à cette étreinte, mettant son âme à nue…

Alors que nos langues s’entremêlaient en une étreinte à la fois passionnée et désespérée, je me sentis submergé par la douleur de Juha. Je pouvais ressentir ses sentiments et ses émotions aussi clairement que s’ils m’appartenaient. Cela en était presque effrayant… A mon tour, je fini par m’abandonner à lui, plaçant tout mon être entre ses mains. Je me sentais envahi par un profond sentiment d’affection. Je n’aurais su  dire lequel de nous deux en était à l’origine, mais cela gonfla mon coeur d’un sentiment inconnu, mais grisant. Mon coeur battait extrêmement vite, je tremblais encore, mais au creux de ses bras, et en plein milieu de ce baiser, je me sentais protégé… Nos souffles se mêlaient et nos langues se caressaient avec ferveur, comme pour réparer les blessures causées. Aucun son ne s’échappait de nos lèvres entrouvertes et soudées les unes aux autres, hormis des gémissements de volupté.

Alors que notre baiser gagnait toujours un peu plus en intensité, je sentis Juha se désinhiber complètement. Avec empressement, sans douceur aucune, ses mains glissèrent sous mon t-shirt et commencèrent à caresser ma peau avec des gestes dénués de tendresse.  Aussitôt, je me raidis, ne prenant absolument aucun plaisir à ces attouchements purement sexuels.  Cela n’avait absolument rien à voir avec les quelques caresses innocentes de la dernière fois et le bien être que j’avais alors ressentis.  A cet instant, j’avais l’impression de n’être qu’un objet qu’il pouvait utiliser à sa guise pour assouvir ses pulsions sexuelles animales. Sans plus de cérémonies, il commença à s’attaquer au bouton de mon jean et je devais admettre que je commençais vraiment à avoir peur. D’un geste vif, je lui attrapais les poignets et mis fin au baiser, puis je me reculais de quelques pas. Il me lança un regard rempli d’incompréhension mais très vite, il sembla réaliser ce qu’il s’apprêtait à faire car il baissa les yeux honteux, et murmura :

- Je suis désolé Gabriel… Je ne sais pas ce qui m’a pris…

Je comprenais qu’il puisse être quelque peu déstabilisé par la fatigue que je pouvais aisément lire sur son visage et les récents événements  des deux derniers jours. Le prenant dans mes bras, je tentais de le rassurer :

- C’est rien, ne t’en fait pas… Tu as besoin de repos Juha, vient, on retourne au centre. Tu te reposeras dans ma chambre. Je ne suis pas rassuré à l’idée que tu restes seul ici, l’autre psychopathe pourrait encore débarquer…

Le petit sourire empli de reconnaissance que m’adressa Juha gonfla mon coeur d’une joie indescriptible :

- Merci… Merci infiniment Gabriel, murmura-t-il d’une voix chargée d’émotions.

Après quelques instant, nous mîmes fin à notre étreinte et je laissais à Juha le temps de rassembler quelques affaires puis nous descendîmes à la voiture. Moins de dix minutes plus tard, nous étions arrivés au ranch. Après un rapide détour par le réfectoire pour Juha, je le menais à ma chambre. Je souriais à le voir ainsi, regarder autour de lui comme un enfant qui découvrait une pièce inconnue. Pourtant, ma chambre était ce qu’il y avait de plus simple. Aux murs, seules quelques photos d’Orphée étaient disposées un peu partout, mais celles-ci semblèrent le passionner. Il s’arrêta particulièrement longtemps sur la seule et unique photo de moi me montrant le jour de mes vingt et un ans, le jour ou j’avais eu Orphée. Je n’avais pas changé depuis cette époque, seuls mes cheveux étaient un peu plus longs…

C’est alors qu’un cri perçant retentit dans son dos et surpris, il sursauta et se retourna vivement. Lorsqu’il aperçut l’aigle, son regard se rempli d’étonnement et d’interrogation et une question sur le bord des lèvres, il se tourna vers moi :

- Gabriel ? Qu’est-ce que… ?

- C’est un aigle pêcheur, répondis-je devinant sa question. Je l’ai trouvé hier et l’ai ramené en attendant qu’il retrouve des forces.

- Il est magnifique, murmura-t-il en s’approchant du rapace, le fixant avec fascination. Où l’as-tu trouvé ?

- Dans le sud, répondis-je sans trop m’attarder sur le sujet.

S’il parut surpris par ma réponse, il n’en laissa rien paraître. Après cela un silence gêné s’installa entre nous et ne sachant pas trop comment l’interpréter, je déclarais maladroitement :

- Je, euh… La salle de bain est à côté si tu veux… Et euh… Repose-toi…. Je vais changer les draps…

Alors que j’allais mettre ma parole à exécution, il posa sa main sur mon bras  et me souriant tendrement, il déclara :

- Laisse… Ca va aller… Je vais me débrouiller…. Fait ce que tu as à faire…

Je répondis timidement à son sourire et alors que j’esquissais un geste pour partir, il me retient de nouveau par le bras et avant que je n’ai le temps de comprendre ce qui se passait, je sentis ses lèvres se poser délicatement sur mes miennes en une légère pression aussitôt disparue. Instantanément, le rouge me monta aux joues et face à son petit sourire victorieux qui étirait ses lèvres, ma gêne s’accentua et je décidais de partir. Alors que je refermais la porte derrière moi,  je tombais nez à nez avec Philippe. Je sursautais de surprise et déclarais :

- Philippe ? Tu m’as fait peur ! Je euh… Juha est là…

Il m’adressa alors un sourire que je ne parvins pas à analyser et semblant particulièrement satisfait, il déclara :

- Je te remercie. Je vais m’entretenir avec lui.

- Très bien, déclarais-je. Philippe ! Appelais-je alors qu’il s’apprêtait à entrer. Ne soit pas trop dur avec lui…

- Ca ira, me rassura-t-il en m’adressant un clin d’œil, me regardant comme s’il savait quelque chose que j’ignorais.

- Ok… Si tu me cherche, je vais acheter du poisson pour l’aigle puis je serais dans la carrière pour un cours avant de monter Orphée.

- D’accord, répondit-il simplement. Essaye d’être là pas trop tard, s’il te plait, j’ai besoin de la voiture à treize heures, me demanda-t-il.

- Je serais là avant, assurais-je. Je n’en ai vraiment pas pour longtemps.

- Très bien, je ne te retiens pas plus. A toute à l’heure, s’exclama-t-il avec un sourire.

- A t’a l’heure, répondis-je.

Sur ses mots, je prenais congé de lui et partais en direction du bureau afin d’aller chercher les clés.  Cependant, bien que Philippe m’ait rassuré de ses intentions envers Juha, je ne pouvais m’empêcher de redouter cet entretien. Je craignais qu’il dévoile à Juha ce qu’il savait au sujet de notre relation plus qu’ambiguë et j’appréhendais la réaction de Juha. M’en voudrait-il d’avoir craqué et d’avoir tout raconté à Philipe ?

Sur ses interrogations, je finis par prendre la direction du centre ville. Une heure plus tard, j’étais de retour. Sans bruit, j’entrais dans la chambre et allais mettre  le poisson dans le frigo que j’avais installé exprès. Juha lui, semblait dormir profondément si bien que je ne m’attardais pas plus que nécessaire. Par chance, le rapace ne cria pas et j’en fus soulagé.  Je m’en serais voulu s’il avait réveillé Juha car il avait vraiment besoin de dormir.  Rapidement, j’allais faire un saut au réfectoire, n’ayant envie de voir le moins de monde possible. Par chance, Marion était partie hier et ne revenait que dans une semaine. Seul dans le réfectoire, assis devant mon plateau, je mangeais distraitement  mon maigre repas en pensant à Orphée. Je ne l’avais pas monté depuis le concours et je commençais à me languir. Après mon cours, la carrière serait libre et l’en profiterais pour monter mon cheval. Remotivé, je me pressais de terminer mon repas et quittais le réfectoire alors que tous commençaient à arriver. Pendant ce temps, j’allais voir ma monture. A peine me retrouvais-je dans l’écurie que déjà ses hennissements parvenaient à mes oreilles, gonflant mon cœur de joie. J’entrais dans son box et y restais jusqu’à ce que les aboiements de Cobalt m’indiquent que les premiers élèves arrivaient. A contrecœur, je laissais Orphée et sur une ultime caresse, j’allais retrouver mes élèves.

Durant la demie heure qui suivie, j’aidais les jeunes cavaliers à préparer leur monture puis lorsqu’ils furent prêts, tous menèrent leur cheval dans la carrière. Pendant une heure, je m’efforçais de corriger leurs erreurs en prenant sur moi pour ne pas m’énerver et c’est avec soulagement que j’annonçais la fin de la reprise. Finalement, monter Orphée me ferais le plus grand bien. Je remontais à l’écurie avec eux et alors qu’ils s’occupaient de desseller et panser leur monture, j’allais m’exiler dans le box d’Orphée, armé des brosses et d’un cure-pied.

Un bon moment plus tard, je retournais à la sellerie et attrapais mon matériel avant de retourner auprès de mon cheval. Là, me libérant d’une mai, j’ouvris la porte du box et sur ma demande,  Orphée me suivit, marchant tranquillement derrière moi sans chercher à me passer devant ou à aller voir ailleurs. Arrivé près de la carrière, je posais tout mon matériel au sol, gardant seulement un licol et une longe en main que je passais à ma monture avant de l’emmener dans le rectangle de sable.

Pendant près d’une demi-heure, je lui fis faire quelques exercices à pieds afin qu’il soit totalement à mon écoute. Après cela et seulement à cette condition, je lui enlevais le licol, le laissant libre. Une fois le licol et la longe posés au sol sur le côté de la piste, j’entraînais Orphée au centre et lestement, je sautais sur son dos à la manière des indiens d’Amérique. J’aimais monter Orphée à cru. Les sensations étaient totalement différentes et l’impression de ne faire réellement plus qu’un avec lui était vraiment amplifiée. Une fois à cheval, je recommençais les mêmes exercices que précédemment. J’étais tellement pris dans ce que je faisais que plus rien n’existait autour de moi.

Il s’écoula bien une heure avant que je ne me rende compte de la présence de Juha assis sur un banc près de l’endroit où j’avais déposé ma selle, la couverture et le tapis. Je lui adressais un petit sourire auquel il répondit et d’une légère inclinaison de mon buste vers l’arrière, je fis avancer Orphée jusqu’à Juha. Une fois face à lui, je le fis stopper et demandais à mon spectateur opportun :

- Ca va ? Bien reposé ?

- Oui, je te remercie, répondit-il. Je vais vraiment mieux…

- Et avec Philippe ? Commençais-je hésitant. Comment ça c’est passé ?

- Mieux que ce que je ne pensais… Nous nous sommes expliqués et je reprends le travail demain. Il me laisse ma journée de libre, répondit-il en souriant, visiblement soulagé.

Je lui rendis son sourire et restais un moment silencieux avant de murmurer pour moi-même :

- Philippe est vraiment un homme bien…

- Oui, répondit Juha. Heureusement qu’il existe des personnes comme lui…

Reportant mon attention sur lui, je lui souris timidement et après un instant d’hésitation, je finis par lui demander :

- Tu veux monter ?

Je vis son visage refléter son étonnement alors que, l’air pas vraiment rassuré, il répondit :

- Je euh… Je sais pas trop…

Me moquant gentiment de lui, je demandais :

- Ben alors ? On a le flippomètre à zéro ?

Aussitôt, je le vis réagir comme blessé dans son orgueil :

- Pas du tout ! s’exclama-t-il au quart de tour, réagissant vivement à ma provocation.

- Alors ? tu veux ou pas ?

- Je… Tu veux… Tu veux me faire monter Orphée ?

- Tu en vois un autre ? Demandais-je sans me départir de mon petit air moqueur.

- Non mais… Enfin c’est que d’habitude…

- C’est bon, tu ne vas pas le tuer non plus ! Je te fais confiance…

Et c’était vrai. Je plaçais toute ma confiance en Juha que ce soit vis-à-vis d’Orphée que de moi ou de notre relation. J’espérais sincèrement qu’il comprendrait le message, et au regard qu’il me lança, je sus qu’il avait compris. Le sourire qu’il m’adressa alors me fit monter le rouge aux joues et atrocement gêné, je me détournais de son regard, je sortis de la carrière et amenais ma monture près de l’arbre ou j’avais laissé ma selle. Là, je le laissais brouter tranquillement pendant que je le préparais. J’envoyais Juha chercher le licol et la longe posés un peu plus loin et lorsqu’il me le tendit, je le passais à Orphée.

Une fois prêt, je retournais dans la carrière suivit de Juha qui, malgré l’air serein qu’il voulait se donner, ne paraissait pas si rassuré qu’il voulait le faire croire. Je m’arrêtais un peu plus loin et fis signe à Juha d’approcher. Timidement, il tendit sa main vers le nasaux de l’animal et commença à le caresser. Je souriais en le regardant faire, me revoyant à mes débuts. Sur ce, je l’invitais à monter.

Avec patience, je lui expliquais comment faire, ne cachant cependant pas mon amusement, allant parfois jusqu’à me foutre ouvertement de sa gueule. Lorsqu’il fut en selle, je réglais ses étriers et lui expliquais brièvement les bases. Puis, j’attrapais la longe et lui fit faire quelques tours de piste afin d’habituer Juha aux sensations ressenties et aux mouvements du cheval. Après une courte période d’adaptation, je lâchais la longe et la nouais au licol en corde de façon à en faire deux rênes.

La tête que fis Juha en me regardant faire était tout simplement à mourir de rire. Les lèvres pincées, il devait se retenir de poser mille et une questions, comme il savait si bien faire. Je tentais de le rassurer comme je pouvais, lui expliquant les bases de l’équitation qui se résumait à tourner à droite et à gauche, à avancer, s’arrêter et faire reculer le cheval.

Après une légère anxiété, il finit par se détendre, décrispant ses épaules et prenant de plus en plus d’assurance, il commença à lui faire faire les figures de manège qu’il avait du voir et retenir lors des reprises. Cela dura un temps mais lorsqu’Orphée commença à n’en faire qu’à sa tête, se rendant compte qu’il avait un cavalier débutant sur le dos, Juha perdit toute son assurance et d’une voix mal assurée et légèrement tremblante, il demanda :

- Gabriel… Je… Je fais quoi ? Il… Il veut pas aller à droite…

Tentant tant bien que mal de dissimuler mon amusement, je répondis :

- Raccourci tes rênes elles sont trop longues et déplace tes deux mains vers la droite, il ne comprend pas ce que tu attends de lui.

Il corrigea son erreur et Orphée, calme et étonnement attentif aux demandes de son nouveau cavalier, s’exécuta sans broncher. On aurait dit qu’il avait fait cela toute sa vie alors qu’avant maintenant, jamais personne d’autre que moi et Philippe n’avait le droit de le monter. Il le fit tourner ainsi un moment, jusqu’à ce que, m’apercevant qu’Orphée commençait à se lasser et n’en faire qu’à sa tête, je le fasse s’arrêter, jugeant qu’il était plus que temps. Alors qu’il s’arrêtait, suivant mes instructions, Juha garda les mains levées une fraction de seconde en trop et très sensible à cela, Orphée se mit à reculer. Surpris, Juha écarquilla les yeux et par réflexe, il tira d’avantage sur les rênes. Comprenant cela comme une demande de reculer plus vite, Orphée fit ce qu’on lui demandait tandis que je ne parvenais pas à retenir un fou rire tant l’expression faciale de Juha était comique.

- Tu ne crois pas que tu pourrais m’aider au lieu de rire ? Demanda-t-il, vexé.

- Attend… Je reprends mon souffle, soufflais-je entre deux éclats de rire. Pose… Pose tes mains…

Juha s’exécuta, et à peine eut-il fais ce que je lui disais qu’Orphée stoppait net, en un arrêt précis et volontaire.  Je m’approchais de lui et saisis les rênes, défaisant le nœud que j’avais fait précédemment et c’est ainsi que je les ramenais jusqu’aux écuries, marchant paisiblement devant lui, sans précipitation aucune. Puis, ma curiosité mise à rude épreuve, je finis par demander, n’y tenant plus :

-  Alors ? Comment tu as trouvé ?

- J’adore ! S’exclama Juha d’une voix enjouée avec enthousiasme. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse ressentir autant de chose à cheval…

- C’est vrai, fis-je remarquer. Et plus l’on progresse, plus on ressent des choses différentes. Ce n’est pas évident à expliquer…

- Oui, j’imagine, renchérit Juha. D’autant plus qu’Orphée est très bien dressé. Je suppose que cela y est pour beaucoup aussi.- Disons que ce n’est pas pareil. On ressent aussi beaucoup de choses à monter un cheval moins bien dressé. C’est pas toujours facile, mais c’est aussi très intéressant de leur apprendre quelque chose de nouveau et les aider à se perfectionner dans un domaine ou une discipline dans laquelle ils possèdent déjà un potentiel par nature. On ne peut pas comparer. L’un comme l’autre apporte beaucoup de plaisir que ce soit dans la finesse du cheval et sa sensibilité autant que dans le but de lui apprendre et le mener dans cet état d’acceptation ou, lorsque cette phase est atteinte, comme aujourd’hui avec Orphée, on peut arriver à leur faire faire des choses incroyables.

- Comme aujourd’hui ? Tu veux dire qu’il n’est pas toujours aussi acceptant ?

- Tu sais, commençais-je. Le cheval n’est pas une machine. Il demande un travail quotidien et parfois, il arrive qu’en effet, il se refuse à se laisser céder à mon autorité. Rien n’est jamais acquis avec un cheval. Ce que tu lui apprends, il s’en souvient mais que ce tu fais mal aussi. C’est pour cela qu’il faut toujours être vigilant et attentif à ce que l’on fait, pour ne pas l’induire en erreur et lui apprendre n’importe quoi. Car même si l’on peut « formater » la mémoire du cheval et lui apprendre à chaque fois de nouvelles choses, cela représente un travail long et fastidieux. 

Contre toute attente, Juha déclara, d’une voix qui sonnait un peu rêveuse :

- J’aime t’entendre parler d’équitation ou de tout ce qui a un rapport avec les chevaux. Tu y mets vraiment une telle passion, tes yeux pétillent de fierté et de bonheur, ça en est fascinant. Tu es animé par la passion et cela se ressent lorsque tu parles. Cela donne vraiment envie d’aller dans ta direction et d’en connaître toujours plus sur cet univers attrayant.

Ces mots me firent monter le rouge aux joues et ne supportant pas l’intensité que mettait Juha dans son regard, je détournais les yeux, atrocement gêné, répondant simplement :

- Euh… Merci.

Jamais encore on ne m’avait dit une telle chose. Je n’avais pas conscience d’être aussi passionné qu’il le prétendait et le compliment qu’il venait de me faire me touchait énormément. Je n’aurais su l’expliquer, mais parfois, j’avais l’impression qu’il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. Il parvenait toujours à trouver les mots qui avaient le pouvoir de m’atteindre au plus profond de moi.

Alors qu’on arrivait aux écuries, je sentais les regards se poser sur nous et les messes basses parvenir à mes oreilles. Je vis Philippe nous observer depuis la fenêtre de son bureau, un immense sourire étirant ses lèvres. Je m’arrêtais avant d’entrer dans les bâtiments et invitais Juha à descendre de cheval, avant de ramener ma monture dans son box. Avec l’aide de Juha, je dessellais Orphée et lui offrit un pansage bien mérité et un morceau de pain pour le récompenser de son travail et de sa gentillesse. Ma monture propre et nourrie, j’allais déposer mon matériel dans la sellerie et Juha me rejoignis quelques minutes plus tard. Ensemble, nous prîmes la direction du réfectoire, mon ventre commençant sérieusement à crier famine.

Alors que nous entrions dans la salle de cantine, j’entendis Dorian s’exclamer dans notre dos :

- Alors ça y est ? Si Gabriel te laisse monter Orphée c’est qu’il a du se passer quelque chose non ? Tu as enfin réussit à le mettre dans ton lit ?

Sans laisser à Juha le temps de répondre, je m’exclamais :

- Quoi, t’es jaloux ? C’est ça hein ? T’as besoin de rabaisser les autres pour te sentir supérieur car au fond de toi, tu sais bien que tu n’arriveras jamais à t’élever aussi haut que je l’ai fais. Toute ta vie tu ne resteras qu’un minable petit palefrenier, à médire sur les autres et leur réussite.

- Jaloux de quoi ? Cracha Dorian. De ton cheval ou de Juha ?

- Des deux, répondis-je sans me départir de mon calme et de mon assurance, employant ce même ton froid et impersonnel qui me qualifiait si bien. Avec de l’audace et égocentrisme, j’irais même jusqu’à dire que tu es jaloux de moi. Tu pus la jalousie à des kilomètres à la ronde. Tu crèves d’envie d’avoir Juha et de monter un cheval comme Orphée mais au fond de toi, tu sais parfaitement que jamais tu n’atteindras mon niveau. Cesses de te bercer d’illusions et redescend sur terre avant qu’il ne soit trop tard et que tu ne chutes de trop haut. L’atterrissage risque sinon d’être très douloureux pour toi et tu risques de ne pas t’en relever.

- Pff n’importe quoi ! S’exclama Dorian, hors de lui, ne parvenant pas à maîtriser l’élan de haine qui l’habitait, mais néanmoins bouillant de honte face à cette introspection intempestive de ma part. Je ne connais personne de plus arrogant et prétentieux que toi ! S’exclama-t-il furieux. Et puis Juha, je l’ai déjà eu…

- Oui et c’était une erreur ! s’exclama vivement le principal intéressé avec vivacité. C’est inutile de t’acharner Dorian, plus jamais je ne te cèderais.

Sur ces mots, il m’attrapa par le bras et m’entraîna à sa suite. Puis, les bras chargés de notre plateau, nous prîmes place à notre table dans un silence monastique. Je sentais tous les regards se poser sur nous, nous dévisageant avec indiscrétion et j’avais de plus en plus de mal à contenir mon énervement.

Nous mangeâmes dans le silence le plus complet, jusqu’à ce qu’à mon plus grand désespoir, je vis Valentin s’approcher de nous. Feignant l’ignorance, je replongeais la tête dans mon assiette, mais c’était peine perdue. Arrivé à notre table, il s’exclama de sa voix mielleuse qui avait le don de m’horripiler :

- Bonjour Gabriel.

Je détestais la façon qu’il avait d’insister lourdement sur mon prénom. Je ne répondis rien, n’en ayant pas envie et souhaitant lui faire comprendre que je n’avais aucune envie de lui parler. Il sembla ne pas y prêter attention et se tournant vers Juha, il déclara :

- Tiens, tu es de retour ? on commençait vraiment à se faire du souci à ne pas avoir de tes nouvelles depuis deux jours. Cela aurait-il un rapport avec la disparition de Gabriel, il y a deux jours aussi ? C’est étrange. Mais en tout cas, quel retour en force que voila ! Gabriel doit bien tenir à toi s’il te fait confiance au point de te faire monter Orphée… Personne n’a jamais eut droit à ce privilège tu sais… Pas même Marion…

- Mais vous avez fini de me les briser avec ça, bordel ! C’est encore mon cheval jusqu’à preuve du contraire ! M’exclamais-je à présent hors de moi. J’ai le droit de faire monter qui je veux dessus merde, alors arrêtez de tous vous offusquer parce que Juha a monté Orphée ! Vous êtes jaloux ou quoi ? Vous ne vous êtes jamais dis que peut être vous étiez trop nul pour pouvoir espérer le monter un jour ? Vraiment cette façon de toujours tout commenter et observer mes moindres faits et gestes avec mon cheval c’est n’importe quoi ! on n’est pas dans une série télévisée à ce que je sache, alors occupez-vous de votre cul !!

A présent, je ne dissimulais plus ma colère et tous les regards convergèrent vers moi. Cependant, je n’y prêtais aucune attention et poursuivis :

- De toute façon, avec la mentalité que vous avez, vous ne ferez rien de votre vie.

Sur ses mots je me levais et quittais vivement la salle à manger, n’ayant plus faim du tout. Je me rendis directement dans ma petite chambre et allais voir mon petit protéger. J’étais content de moi, en quelques jours, il avait bien repris du poids et avait retrouvé ses forces en même temps qu’il acceptait de plus en plus ma présence.

J’ouvrais le frigo et sortis un morceau de poisson que je lui tendis. Il le prit dans son bec et déployait ses immenses ailes, il s’éloigna pour aller manger dans son coin.

Le laissant faire, j’attrapais des affaires propres au vol et allais prendre une douche qui me changerait les idées. Quelques minutes après, je quittais la salle de bain, simplement vêtu d’un jean propre, ma serviette sur les épaules et sursautais de surprise en voyant Juha assis sur mon lit. Il avait une petite mine et ne semblait pas aller bien. Inquiet, je demandais :

- Juha ? Quelque chose ne va pas ? Tu es tout pâle.

- Ca va, me répondit-il avec un sourire qui se voulait rassurant. Tu es sur que tu veuilles que je dorme ici ce soir ? Les autres pourraient parler…

- Je m’en fiche, m’exclamais-je. Ils ne savent rien, je n’ai rien à cacher et puis, ce n’est pas comme si nous étions en couple, ajoutais-je avec hésitation, ne sachant que trop penser de la relation ambiguë que nous entretenions.

Juha ne répondit rien à cela, il s’approcha de moi d’une manière qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. Avec la même douceur dont il ne se départissait jamais, il déposa ses lèvres sur les miennes tout en m’enlaçant tendrement. A mon tour, je posais mes mains sur ses hanches, me laissant guider par Juha qui demandait déjà l’accès à mes lèvres pour permettre à sa langue de rejoindre sa jumelle. Plus le temps passait, et plus nos baisers gagnaient en intensité, parvenant de moins en moins à combler ce manque qui grandissait en moi à chaque fois que Juha s’éloignait. Après un baiser fiévreux des plus ardents, il se recula lentement avant de happer mes lèvres une dernière fois et de demander :

- Je peux emprunter ta douche s’il te plait ?

- Hm ? Oui, fais comme chez toi, répondis-je distraitement.

Avec mon accord, il alla prendre une douche tandis qu’épuisé, j’allais me coucher, me blottissant dans mes couvertures, après avoir enfilé un bas de pyjama et un t-shirt. Moins de dix minutes plus tard, Juha était de retour avec sur lui, seulement une serviette nouée autour des reins.

- Gabriel ? Tu n’aurais pas des vêtements à me prêter ?

- Cherche dans mon armoire, sur la gauche, répondis-je à moitié endormis.

Quelques secondes plus tard, je sentis le lit s’affaisser et Juha soulever les couvertures pour pouvoir y prendre place. Une fois installé, il éteignit les lumières et ne bougea plus. Un long silence s’en suivit et alors que je sombrais de plus en plus profondément dans le sommeil, il demanda :

- Gabriel… Tu vas aller retrouver ta famille pour les fêtes de Noël ?

A cette question, je me tendis brusquement, et parfaitement réveillé, je répondis simplement après un court silence ;

- Non… Je ne fêterais pas Noël cette année… De toute façon, ajoutais-je avec mélancolie, cette fête n’a aucune signification pour moi… Et toi ? Tu vas le passer avec ta famille ?

- Non, je… Je n’ai plus de contact avec eux depuis la prison… Tu veux bien le passer avec moi ?

Je me tournais vers lui, surpris, puis un sourire étirant mes lèvres, je me penchais vers lui et l’embrassais sur la joue avant de répondre :

- Avec plaisir…

De nouveau, le silence nous engloba jusqu’à ce que ma curiosité piquée au vif, je demandais, abordant le sujet avec hésitation :

- Juha ?

- Oui ? Répondit-il d’une petite voix.

- Combien de temps tu y es resté ? En prison de je veux dire…

Je l’entendis prendre une profonde respiration, puis finalement, il finit par me répondre d’une voix enrouée :

- J’ai passé dix ans de ma vie là bas… J’y suis rentré à dix-sept ans et j’en ai vingt-sept aujourd’hui…

- Juha ? Demandais-je de nouveau. Pourquoi tu as fais de la prison ? Ajoutais-je non sans hésitation et crainte de le voir s’énerver à ma question.

Puis face à son silence gêné, je poursuivis, m’attentant cependant à me prendre une jette à tout moment :

- C’est… C’est à cause de Kilian, n’est-ce pas ?

- Oui… Enfin, ce n’est pas à cause de lui, mais cela à un rapport avec lui… Répondit-il en restant évasif.

Je restais silencieux, songeant à toutes ces révélations que j’avais apprises sur lui en quelque temps, puis un détail me revint. De moins en moins rassuré, je demandais :

- Il était ton… Ton amant ?

- Oui, répondit-il simplement.

- Alors c’est vrai ce qu’il disait ? Tu… Tu l’as vraiment tu… Tué ? Pardon, ajoutais-je précipitamment en voyant que Juha se crispait sous les draps. Je vais trop loin, excuses moi. Je n’aurais pas du te demander cela…

Détournant complètement la conversation, Juha demanda, visiblement surpris :

- Tu as dis que tu ne fêterais pas Noël cette année, pourquoi ? Tu le fêtais avant ? Avec qui ?

- Ben… Comme j’étais avec Marion les autres années, je le fêtais avec Philippe, mais à présent, je me vois mal débarquer là bas… Répondis-je mi amusé, mi mélancolique.

- Et avant que tu sois avec Marion, tu le fêtais avec quelqu’un non ?

Aussitôt, je me retrouvais plongé dans mes souvenirs, revivant mentalement les seuls Noël que j’avais vécu avec Kay durant mon enfance. Je me rappelais de la petite bougie que nous allumions et que nous posions entre nous à côté du petit sapin que nous coupions dans la forêt et dont nous décorions les branches avec quelques objets que nous parvenions parfois à voler sans que personne ne s’en rende compte. Pendant des heures, nous restions en silence assis dans le froid du grenier, à regarder brûler cette flamme qui nous apportait l’espoir qu’un jour tout irait mieux. Puis, lorsque les douze coups de minuit sonnaient, nous échangions nos cadeaux, un pour Kay et deux pour moi, car, malgré mes protestations, Kay voulait absolument fêter mon anniversaire en même temps. Une fois les cadeaux ouverts, nous soufflions ensemble sur la petite flamme, prononçant un souhait muet puis nous nous endormions sous une couette, blottis l’un contre l’autre. Je fus sorti de mes souvenirs par la voix inquiète de Juha :

- Gabriel ?

- Hm ?

Puis, me souvenant de sa question, je répondis d’une voix tremblante d’émotions :

- Oui, je… Je le fêtais avec mon… mon meilleur ami…

- Et tu ne le vois plus ?

- Je n’ai plus eut de nouvelles de lui depuis mes quatorze ans, soit bientôt onze ans.

- Bientôt ? C’est bientôt ton anniversaire ?

Je me tournais vers lui, un sourire dépeint sur le visage et répondis :

- Le vingt-cinq…

- Décembre ? s’exclama-t-il surpris.

- Oui, répondis-je simplement.

- Tu es la première personne que je rencontre qui soit née à cette date. Et tu vas avoir vingt-cinq ans ?

- Oui, répétais-je.

- Tu te rends compte ? Un quart de siècle ! Fit-il remarquer en éclatant de rire.

- Hey ! Je ne permettrais pas une telle réflexion d’un homme qui aura trente ans d’ici peu ! M’exclamais-je à mon tour, prenant un air faussement indigné.

Après un court silence durant lequel je bâillais à m’en décrocher la mâchoire,  je me tournais sur le côté et d’une voix éraillée, je murmurais :

- Bonne nuit, Juha.

Dans un état semi comateux, je le sentis se pencher vers moi et avant que je ne réalise ce qui se passait, ses lèvres s’emparèrent des miennes en un doux effleurement aérien avant de murmurer tout contre ma bouche :

- Bonne nuit Gabriel.

C’est blotti toute contre lui que je finis par m’endormir, épuisé par ma journée. Cependant, parler du passé avait ravivé mes souvenirs, revenant hanter mon sommeil. C’est ainsi que je restais éveillé toute la seconde partie de la nuit, repensant inlassablement à Kay. Je ne pouvais m’empêcher de songer à lui, de me demander ce qu’il était devenu et s’il avait refait sa vie avec quelqu’un d’autre. Alors que je me posais multiples questions que je savais pourtant sans réponse, je sursautais en sentant Juha se mettre à crier dans son sommeil, en proie à un cauchemar. Subitement, il ouvrit les yeux et dans un sanglot, il s’exclama en une litanie incessante :

- Je l’ai tué… Je l’ai tué…

Mon coeur se serra de douleur. Je pouvais ressentir la peine et la souffrance de Juha comme si c’était la mienne. Aussitôt, je le pris tout contre moi et commençais à le rassurer comme je pus, d’une voix qui se voulait calme et rassurante, mais pourtant chargée d’incompréhension. Lorsqu’il fut à peu près calmé, je lui demandais :

- Et si tu me racontais ? Tu ne crois pas que cela pourrait te soulager ?

- Je ne suis qu’un monstre, gémit-il. J’ai tué Kilian… Je l’ai tué… J’aurais du passer ma vie à croupir en prison…

- Calme toi… Je ne comprends rien à ce que tu dis… Explique moi calmement, d’accord ? Demandais-je en raffermissant mon étreinte autour de lui.

- J’ai connu Kilian à l’âge de treize ans. Très vite, nous nous sommes rendu compte que nos sentiments respectifs allaient bien au delà qu’une profonde amitié. Nous vivions une relation que l’on aurait pu qualifier de passionnelle. Tout allait pour le mieux, c’était vraiment merveilleux, jusqu’à ce qu’un jour, quatre ans plus tard, je…

Il fis une pause, soupirant longuement comme pour se donner du courage puis repris avec hésitation et la voix tremblante de sanglots contenus :

- J’ai appris qu’il était atteint d’une maladie incurable qui le tuait à petit feu dans une douleur insupportable.  Plus la maladie évoluait, plus son corps et son mental étaient atteint de dégénérescence. Il n’en avait plus pour longtemps à vivre et Kilian le savait lui aussi. Je ne sais combien de fois il m’a supplié de le délivrer de cette souffrance, n’ayant pas le courage de le faire lui-même. Je passais tout mon temps à son chevet,  me refusant à cette idée de li donner la mort. Mais toujours il me suppliait, me demandant de le faire avant qu’il ne m’oublie définitivement et que je ne garde de lui que des souvenirs d’un corps inerte et d’un esprit défaillant. Puis un jour j’ai cédé… Je l’ai tué… Je m’en veut tellement d’avoir été aussi lâche… C’est le frère de Kilian qui m’a dénoncé. Il n’a jamais accepté ce qui me liait à lui et ne comprenait pas l’envie que Kilian avait de vouloir mourir. Il aurait préféré le voir se battre contre la maladie et n’acceptait pas le fait qu’elle puisse être plus forte que lui… Si seulement j’avais su… Jamais je n’aurais appuyé sur la gâchette…

Je ne savais que dire pour le réconforter, je n’avais jamais été très doué pour ce genre de chose, ni pour trouver les mots qui sauraient apaiser sa souffrance. Je décidais alors de le faire au feeling, espérant mentalement qu’il saurait excuser ma maladresse :

- Tu sais, je ne sais pas ce que tu as pu ressentir, mais je peux l’imaginer et je pense qu’au contraire, même si tu as perdu dix ans de ta vie en prison, tu peux être fier de toi. Peu de personnes auraient été capables d’offrir cette ultime preuve d’amour à la personne qu’elles aiment.

Après un court instant, j’ajoutais :

- Tu sais, à la place de Kilian, j’aurais fait la même chose…

- Non ! S’exclama alors vivement Juha en se redressant et en me faisant face. Plus jamais je ne veux revivre cela… Plus jamais je ne veux ressentir la douleur de perdre un être qui m’est cher… Comment peux-tu dire cela ? Comment peux-tu ignorer ma douleur ? T’es tu seulement demandé ce que j’ai pu ressentir ? Tu ignores tout de cette culpabilité qui me ronge depuis dix ans…

Je restais silencieux, maudissant ma maladresse et mon manque de subtilité, ne sachant que dire pour rattraper mon erreur. Alors que je réfléchissais à ce que je pouvais dire, Juha déclara doucement :

- Je suis désolé Gabriel, je n’aurais pas du m’emporter contre toi. Mais je… Je tiens à toi tu sais… Je ne veux pas qu’il t’arrives quelque chose…

Je n’aurais jamais imaginé être aussi touché par les paroles de Juha. Jamais encore je n’avais entendu ses mots prononcés par quelqu’un d’autre que Kay et je désespérais l’entendre de nouveau un jour. Plus le temps passait et plus je commençais à me dire que je n’étais pas une personne à aimer, que personne ne pourrait un jour ressentir le moindre sentiment affectif pour moi, et voilà que Juha me disait ses mots tellement attendu avec une aisance déconcertante… Je lâchais un soupir de contentement tout en me laissant aller contre Juha, appréciant la douceur et la chaleur qui émanait de lui :

- Moi aussi je tiens à toi Juha… Ne m’abandonne pas s’il te plait…

S’il parut surpris par ma supplication, il n’en laissa rien paraître et bientôt nous plongions de nouveau dans le sommeil, tendrement enlacés.

Je me réveillais le lendemain le lendemain matin avec la désagréable impression d’être observé. De mauvaise humeur, je me tournais de l’autre côté mais quelqu’un semblait en avoir décidé autrement. Une main s’aventura sans pudeur aucune sous mon t-shirt remonté sur mon ventre et aussitôt, je sursautais, à présent totalement réveillé. J’ouvris les yeux pour me noyer directement dans les pupilles verts d’eau de Juha. Un sourire étirait ses lèvres et d’une voix qui ne cherchait pas à dissimuler son amusement, il chuchota :

- Je ne te savais pas aussi fainéant le matin ! Serais-je en train de découvrir une autre facette de ta personnalité ?

- Mmf… Fatigué, grognais-je en me laissant lourdement retomber sur le matelas.

Accoudé au dessus de moi, Juha me regardais avec un désir évident qui malgré tout, me mettait mal à l’aise. Puis, anéantissant la distance qui séparait encore nos lèvres, il se pencha au dessus de moi et s’empara de mes lèvres avec une passion non feinte. Très vite, sa langue vint quémander avec gourmandise l’accès à mes lèvres, investissant ma bouche avec sensualité. Nos langues se mêlaient en un ballet farouche et emprunt de sensualité, se faisant de plus en plus gourmand et possessifs. Complètement abandonné à lui, je me laissais guider par Juha qui m’entraînait toujours plus loin dans notre baiser, me guidant avec savoir faire. Je sentais bien qu’il avait de l’expérience et docile, je me laissais entraîner dans cette danse à la limite de l’érotisme. Je prenais de plus en plus de plaisir à ses baisers, y répondant sans me faire prier, mais j’avais encore beaucoup de mal à en être l’auteur.

Après un baiser des plus ardents, nous nous séparâmes à contrecoeur, le souffle court et je me levais pour aller prendre ma douche. Soudain, je repensais à quelque chose et me tournant vers Juha, je déclarais :

- Je vais à un concert ce soir… Tu… Enfin… Tu veux venir avec moi ?

- Je… Oui, pourquoi pas… Mais je n’ai pas de billet…

- J’en ai… J’avais l’intention d’y emmener Marion car on était encore ensemble quand j’ai acheté les places, mais à vrai dire, je n’ai aucune envie d’y aller avec elle… En fait, mois je la vois, mieux je me porte…

- Oh… Bien, tu me diras combien je te dois, alors…

- Non… C’est cadeau, ajoutais-je en le voyant ouvrir la bouche pour protester.

- Mais… D’accord… Merci, Gabriel…

Satisfait, j’allais prendre ma douche et pendant que Juha prenait la sienne, je nourrissais le rapace dont je n’avais toujours aucune idée de prénom. La journée passa à une allure affolante et vers dix-sept heures, j’allais voir Philippe pour le prévenir de notre départ et lui demander de s’occuper de l’aigle. De nouveau, nous allâmes nous laver, histoire de ne pas arriver là bas et sentir le cheval et la sueur, puis je me changeais et prêtais des affaires propres à Juha. Une demi-heure plus tard, nous prenions la route. La circulation était plutôt bonne, nous arrivâmes en avance et du coup, Juha nous paya à chacun une pizza. Une fois celle-ci terminée, nous prîmes le chemin de la salle de concert et marchant côte à côte. Cependant, la tranquillité ne dura pas, car au détour de la rue, je tombais nez à nez avec un des fantômes de mon passé. En onze ans, il n’avait pas changé… Seuls ses cheveux étaient un peu plus grisonnant et des rides creusaient son visage amaigri, mais hormis cela, il restait le même que dans mes souvenirs. Dans ses yeux brûlaient toujours cette même lueur de folie que trop de monde pardonnait ou ignorait à la vue de sa soutane. Je le vis venir vers moi et avec haine, il s’exclama :

- Je savais bien que c’était toi… C’est difficile d’oublier un visage comme le tien, morveux !

Je le vis me détailler de la tête aux pieds, me scrutant avec dégoût et répugnance avant de reprendre :

- A ce que je vois, tu sembles avoir réussit dans ta vie… Me serais-je trompé ? Ou voles-tu toujours ce dont tu as besoin pour subvenir à ta misérable existence ?

Plus il déblatérait ses paroles, plus je sentais la honte me gagner, tandis que Juha me dévisageait avec incompréhension. C’est alors que mon interlocuteur sembla se rendre compte de sa présence à mes côtés car il poursuivit avec toujours se mépris dans sa voix, comme s’il parlait à un chien :

- Je l’avais prédit… Tu es le fils du Malin, le mal et la perversion ont eut raison de toi… Le péché de la luxure coule dans tes veines…

C’est alors que Juha prit subitement la parole, le coupant dans son réquisitoire :

- Excusez-moi, mais vous vous trompez de personnes. Nous n’avons pas le temps de vous écouter déblatérer vos conneries, vieux fou…

Puis, me prenant par la main, il m’entraîna à sa suite. Docilement, je me laissais faire, tétanisé par cette apparition qui m’avait immédiatement renvoyé onze ans en arrière, dans une vieille cave sombre et humide sur les murs de laquelle résonnaient encore à mes oreilles, mes hurlements de douleur. Voyant cela, le vieil homme s’exclama :

- De toute façon, vous êtes de la même espèce ! Un jour les animaux dans votre genre finiront sur le bûcher…

- Ouais, si tu veux, répondit Juha en s’éloignant rapidement.

Quant à moi, je ne prenais pas garde à ce qui se passait autour de moi. L’estomac noué, j’avais une horrible envie de vomir. Pourquoi devais-je tomber sur lui maintenant alors que pendant tout ce temps, je n’avais eu aucune nouvelle et aucun lien avec mon passé. Pourquoi devait-il ressurgir ainsi ? Je m’arrêtais dans une petite ruelle et rendis le contenu de mon estomac, ne faisant même pas attention aux larmes qui inondaient mais joues et aux sanglots qui secouaient mes épaules. A côté, Juha me massait le dos, cherchant à m’apaiser, tout en cherchant les mots qui pourraient me remonter le moral :

- Ne fais pas attention à lui Gabriel. Ne laisse pas ses mots t’atteindre. Tu vaux beaucoup mieux que ce qu’il veut faire croire. Pauvre fou ! Cet homme est un dément, il ne sait pas ce qu’il dit… Et puis, il ne t’a pas appelé par ton prénom, il ne savait même pas à qui il parlait…

Je marmonnais entre deux sanglots qu’il savait parfaitement qui j’étais, mais Juha ne sembla pas entendre si bien que je déclarais :

- Si je… Je connais cet homme…

- Ah bon ? Demanda-t-il visiblement surpris. Qui était-ce ?

- Un cauchemar, répondis-je sans m’appesantir sur la question.

Il continua à passer sa main dans mon dos pendant encore quelques minutes jusqu’à ce qu’il finisse par dire :

- Allez viens, ne gâche pas ta soirée pour un type comme lui.

Obéissant, je me levais et le suivit en silence jusqu’à la salle de concert. L’entrée était blindée et il nous fallut attendre bien une quinzaine de minutes avant de finalement pouvoir entrer. Une fois dans la salle je guidais Juha dans la fosse, juste devant la scène et ignorant les autres, nous patientâmes échangeant parfois quelques mots, Juha me demandant quelques précisions sur le groupe que nous allions voir. Près d’une demi-heure plus tard, le groupe monta sur scène et la salle fut envahie par le son des guitares électriques et de la batterie. Aussitôt, la foule entra en mouvement, nous entraînant dans un mouvement de masse déferlant sur nous au rythme de la musique. Si Juha parut s’amuser la première minute, cela ne fut plus le cas par la suite. Il semblait avoir beaucoup de mal à gérer toute cette subite agitation autour de lui. Avisant cela, je posais ma main sur son épaule et me penchant vers lui, je lui criais à l’oreille, dans le but de me faire entendre :

- Ca va ?

- Oui… T’en fait pas, répondit-il.

J’avais conscience qu’il disait cela pour me rassurer et je décidais d’attendre un peu voir comment les choses tourneraient pour prendre une décision. Je reportais mon attention sur la scène, jetant parfois quelques coups d’oeil à Juha. Cependant, lorsque finalement, il vint s’aggriper à moi, semblant sur le point de défaillir,, je lui pris la main et l’entraînais sans ménagement à ma suite. Je l’emmenais dans les toilettes et une fois à l’écart de la foule, je lui demandais :

- Que se passe-t-il ? Et ne me ment pas en disant que tout va bien, je vois à ta mine que ce n’est pas vrai…

- Je… Excuse-moi… Je… Je ne suis plus habitué à avoir autant  de monde autour de moi…

- Oh… Oui, je comprends… Pardonne moi, j’aurai dû y penser avant de t’entraîner là dedans… Je suis désolé.

- Ce n’est rien, ne t’en fait pas. Ca va déjà beaucoup mieux, mais je ne peux pas y retourner… Vas y sans moi…

- Tu plaisantes j’espère ! M’exclamais-je indigné. Si on rentre, c’est ensemble. Allez viens, partons d’ici…

- Merci… Je suis désolé de gâcher ta soirée…

- Ne t’excuse pas. De toute façon, je n’avais pas vraiment la tête à m’amuser… Je crois plutôt qu’une bonne nuit de sommeil sera le mieux…

Le chemin du retour s’effectua dans un silence monastique et c’est près d’une heure plus tard que je garais la voiture sur le petit parking en bas de chez Juha. Nous entrâmes dans le studio et le jetais les clés sur la petite table dans l’entrée avant d’aller me chercher un verre d’eau et une pomme. Je demandais à Juha s’il désirait quelque chose de spécial et recevant une réponse négative, j’allais le rejoindre au salon. Je restais à ses côtés le temps de manger ma pomme puis après m’être excusé auprès de Juha, j’allais m’allonger dans le lit pris d’un soudain coup de fatigue.

J’entendis Juha s’affairer quelques temps dans le petit appartement et lorsqu’il vint me rejoindre un peu plus tard,se glissant discrètement entre les couvertures, j’allais me lover tout contre lui, ayant le besoin et l’envie de sentir sa chaleur rassurante et protectrice. Semblant comprendre mon désir de protection, il m’enlaça tendrement et soupirant de bien être, je me laissais aller à poser ma tête sur son torse. Alors que je me sentais partir, emporté par le sommeil, j’entendis Juha m’appeler :

- Gabriel ?

- Hn ? Répondis-je à moitié endormi.

- Je peux te poser quelques questions ?

- Je… Hésitais-je avant de finir par céder. D’accord… Je t’écoute.

- Cet homme, toute à l’heure, tu disais le connaître… Où l’as-tu connu ? Dans quelle circonstance ?

Je restais un moment silencieux, pesant le pour et le contre de tout lui avouer, puis je finis par céder. Juha m’avait parlé de lui, il était normal que j’en fasse de même et que je lui confie mon passé, mais d’un autre côté, j’avais peur qu’il ne se moque de moi en apprenant d’où je venais et la misère qui avait été mon quotidien. Finalement, la voix tremblante d’émotion, de peur et de honte, je commençais à parler :

- Je… Je n’ai jamais connu la douceur et la chaleur d’une mère et j’ai compris le rôle que pouvait avoir un père lorsque j’ai rencontré Philippe. C’est lui qui m’a offert mon premier foyer…

Face à l’expression horrifiée de son visage, je sus qu’il avait compris et je confirmais ses pensées :

- Oui, j’ai passé toute ma vie à l’orphelinat. Je suis ce que l’on appel un pupille de la nation. J’ai été trouvé à l’âge de quelques jours sur le perron de l’église du père Colman, l’homme que nous avons croisé toute à l’heure… Je ne connais rien de mes origines et lorsque j’ai voulu faire des recherches, pour comprendre qui j’étais et d’où je venais, on m’a informé que c’était tout simplement impossible… Ma mère avait accouché sous X et n’a jamais dévoilé qui était mon père…

Je me tu un instant, la voix brisée par la multitude de sentiments qui s’imposaient à moi et profitant de mon silence, Juha déclara, tout en raffermissant sa prise autour de moi :

- Je suis désolé, Gabriel…

- Tu n’as pas à l’être… Cela ne changerait rien de toute façon… C’est… poursuivis-je. C’est à l’âge de trois ans que j’ai fait la connaissance de Kay. Il est arrivé là suite à la mort de ses parents lors d’un accident d’avion. Je me suis  immédiatement attaché à lui et de son côté, il m’a prit sous son aile. Il avait alors cinq ans et il prenait toujours ma défense contre les autres… Nous avons grandis ensemble, il était comme un frère pour moi, mon meilleur ami, le seul que j’ai jamais eu… Cependant, plus je grandissais et plus… Plus je me rendais compte que l’amour que j’avais pour Kay allait au delà de l’amour fraternel… C’était… C’était bien plus profond… L’année de mes quatorze ans, je… Kay et moi avions vo… Volé quelques cerises au paysan du coin et pour ne pas nous faire prendre, nous nous sommes séparés… Je me souviens de la peur que j’ai ressentie à ne pas le voir arriver… Finalement quand il est revenu, c’est là… C’est là qu’il m’a donné mon premier baiser… Le… Le père Colman nous a surprit… Je… Je ne me souviens pas vraiment de ce qui s’est passé ensuite… Je me rappelle juste des insultes et de l’humidité et des ténèbres d’une vieille cave… Je ne sais pas combien de temps j’y suis resté, seul, affamé et tremblant de froid et de peur, mais je…J’en garde à présent une trace indélébile…

Comprenant le sous entendu, il glissa sa main dans mon dos et alors que je me tendais, il me demanda :

- Je peux la voir ?

Je lui lançais un regard apeuré, mais ne décelant aucune trace de moquerie ou autre, je me redressais et retirant mon t-shirt, je lui présentais mon dos. Je frissonnais lorsque je sentis ses doigts glisser le long de la cicatrice immonde qui zébrait mon dos dans toute sa longueur, de mon omoplate gauche jusqu’à ma fesse droite. Il passa et repassa dessus, inlassablement, comme s’il tentait de l’effacer. Je finis par me détendre totalement, me laissant aller sous la douceur de ses caresses et de son doigté habile et agréable. Nous restâmes un moment ainsi, Juha me caressant le dos et moi, soupirant de bien être sous ses attouchements. Puis, dans un soupir à peine murmuré, il demanda :

- Que s’est-il passé ? Après je veux dire… Pour toi et Kay…

- Je… Je me suis réveillé à l’infirmerie. Kay était là, à mon chevet. Il est resté un moment puis est parti avant qu’on ne le trouve. Quand je suis sortis quelques jours plus tard, je… Kay était sur le point de partir… Depuis ce jour là, je… Je ne l’ai plus jamais revu…

Je me tu un instant, la voix brisée par les sanglots que je ne parvenais plus à contenir et qui me brûlaient la gorge.

- Le plus dur dans tout cela, repris-je malgré mes pleurs, c’est que… Je… Je n’ai jamais rien su de ses sentiments pour moi. Je ne sais pas pourquoi il m’a embrassé ce jour là…  Ressentait-il réellement quelque chose pour moi ? Je… Je n’en sais rien et cela me tue… Je suis hanté par ce souvenir… Je n’en peux plus Juha, je voudrais tellement que cela s’arrête… Sanglotais-je. Il me manque… Il me manque tellement…

Inconsciemment, je me laissais aller dans les bras de Juha qui, d’une voix douce, prit la parole :

- Je sais, Gabriel… Je sais. Mais tu n’es plus seul… Je suis là et je tien à toi… Plus que tu ne l’imagines… Songe maintenant que tu m’as moi… C’est difficile à le dire et encore plus à le faire, mais à présent, il faut que tu penses à Kay comme à une personne qui à fait partie de ta vie, que tu as aimée et que tu aimeras sûrement toujours et pour laquelle tu garderas toujours une place privilégiée dans ton coeur, mais il ne doit plus t’empêcher d’avancer et de refaire ta vie…

- J’ai besoin de toi, Juha, sanglotais-je  en enfouissant mon visage dans son cou et en le serrant de toutes mes forces contre moi. Ne m’abandonne pas toi non plus… J’ai besoin de toi…

- Je suis là Gabriel, murmura-t-il. Je ne part pas, je ne t’abandonnerais jamais… Pleure… Pleure autant que tu veux, cela te soulagera…

Epuisé par mes larmes, aussi bien physiquement que mentalement, je finis par m’endormir entre les bras de Juha qui distraitement, effleurait mon dos du bout des doigts en une caresse apaisante. Cette nuit là, je dormis comme une masse, sans qu’aucun fantôme ne vienne me troubler. Je devais avouer que parler à Juha m’avait vraiment fait le plus grand bien. Jamais encore je ne m’étais senti aussi apaisé et en paix avec moi-même.

La semaine qui suivie se déroula à une allure affolante. Noël approchait à grand pas  et je n’avais toujours pas trouvé le cadeau que je tenais absolument à offrir à Juha. Alors que je sortais du magasin d’équitation dans la grande ville la plus proche, une photo collée sur la vitre attira mon attention. Je venais de trouver le cadeau parfait pour Juha, j’espérais seulement que cela lui ferait plaisir.

Le soir de Noël, je me rendis chez Juha, comme convenu, et alors que je frappais à la porte, plus par politesse que pas nécessité, je commençais à angoisser. J’étais subitement assailli par le doute, mais lorsque Juha m’attira à lui pour un baiser passionné, j’oubliais tout ce qui n’était pas lui. Après quoi, nous prîmes un verre et parlâmes un moment de tout et de rien, Juha me demandant des nouvelles du rapace. Je lui expliquais que j’avais vu le vétérinaire quelques jours plus tôt et qu’il lui avait fait les vaccins. Je lui avais demandé s’il correspondait au profil des dernières disparitions d’oiseaux, mais apparemment, aucun rapace de cette espèce ne manquait à l’appel. J’avais donc deux possibilités, soit je le donnais à un parc animalier, soit je le gardais ici. Et égoïstement, j’avais choisis la deuxième solution, car je devais admettre que je m’étais énormément attaché à lui en l’espace de deux semaines et que cela semblait, à ma plus grande joie, être un sentiment réciproque.

Vers vingt-deux heures, nous passâmes à table et je fus surpris d’apprendre que Juha avait tout préparé lui-même. Le repas terminé, nous avons pris place dans le canapé, Juha me posant des questions sur mes projets pour cette année à venir. A mon tour, je lui demandais avec hésitation, sentant que je m’aventurais sur un terrain glissant et ne souhaitant pas me mettre Juha à dos :

- Et toi ? Tu… Tu as quelque chose qui te tien particulièrement à coeur ?

Après un court silence, il répondit avec hésitation :

- Non… Rien de spécial…

- Et… Ta famille… Tu… Tu ne veux pas tenter de renouer avec eux ? Ils ne te manquent pas ?

- Je… Tu sais, je n’ai jamais eu de grosses affinités avec mes parents et nos relations se sont détériorées lorsque j’ai rencontré Kilian. Ils n’ont jamais accepté mon homosexualité et j’ai préféré couper les ponts avec eux. Kilian était tout pour moi… A l’époque, je me fichais totalement de ne plus avoir de parents, au contraire, j’étais libre d’être avec Kilian, nous pouvions nous aimer librement…

Même si j’entendais ce que disais Juha, je ne comprenais pas qu’il puisse ainsi vivre sans ses parents. L’esprit pas tranquille, je lui fis par de mon point de vue, souhaitant par dessus tout qu’il accepte de m’écouter, même s’il n’adhérait pas à mon état d’esprit et ma façon de voir les choses. Je ne voulais pas gâcher cette soirée, mais en même temps, j’avais envie d’en connaître un peu plus sur lui et je voulais qu’on soit capable de tenir une discussion avec des points de vue divergeant sans pour autant nous engueuler. Non sans appréhension, je répondis touché malgré moi par le sujet abordé :

- Tu sais, j’ai toujours eut du mal à comprendre comment des personnes peuvent être en froid avec des membres de leurs familles ou leurs propres parents. C’n’est pas contre toi hein, m’empressais-je d’ajouter en le voyant se tendre. C’est juste que vous avez de la chance d’avoir des parents, des personnes qui vous aimes autour de vous et c’est vous qui les rejetez. Mais en fait, personne ne sait réellement ce que c’est que de passer toute sa vie sans recevoir la moindre preuve d’affection et de se sentir protéger par des personnes que l’on aime et qui nous aiment en retour. Tu sais, je me suis toujours demandé ce que l’on pouvait ressentir à s’entendre fièrement appelé “mon fils” par son père ou simplement prononcer le mot “maman”.

Après ça, je restais silencieux, plus touché que je ne l’aurais voulu.

- Je comprend que ce soit dur pour toi Gabriel, mais tu sais, ce n’est pas parce que ce sont mes parents ou autre qu’il y a forcément une affinité et des liens affectifs qui se créés. Mes parents sont des gens très exigeants et ils n’ont pas acceptés que je sois différent de ce qu’ils attendaient de moi.

Je méditais un instant sur ses paroles avant de répondre :

- Oui, je vois ce que tu veux dire. Kilian,, ajoutais-je un moment plus tard. Il était comment ?

Du coin de l’oeil, je vis Juha fermer les yeux, comme s’il cherchait à se faire une image mentale, puis, prenant une grande inspiration, il répondit, un doux sourire étirant ses lèvres :

- Il était grand pour son âge et avait une carrure d’athlète. Il avait un visage sévère et était très mature, même si parfois il pouvait partir dans des délires débiles dont lui seul avait le secret. Il avait les cheveux aussi courts que tu les as longs et d’un noir d’ében, comme son regard… Niveau caractère, il était posé et supportait très mal les autres. Il était calme, gentil, doux, drôle, sérieux, possessif, très jaloux et parfois, il savait être fier et particulièrement arrogant et prétentieux.

A mon tour, mentalement, suivant les descriptions de Juha, j’essayais de me faire un portrait robot de l’homme qui avait ravi le coeur de Juha et qui, au fond de lui, continuait encore et toujours de le faire battre. Etrangement, je sentais une boule se former au fond de ma gorge, sans que je ne comprenne pourquoi. Tentant de repousser cette désagréable impression de mal être, je demandais :

- Quel âge avait-il ?

- Vingt ans… Il avait vingt ans… Il en aurait eu trente au mois d’avril. En parlant d’anniversaire, c’est le tien dans… Dix minutes, ajouta-t-il après un rapide coup d’oeil à l’horloge de la télévision, un immense sourire étirant ses lèvres.

Comprenant qu’il souhaitait changer de sujet, j’entrais dans son jeu et demandais :

- Pourquoi tu souris bêtement comme ça ? Lui demandais-je sceptique, le soupçonnant d’avoir une idée derrière la tête.

- Moi ? Mais pour rien ! S’exclama-t-il prenant un air faussement indigné. Vingt-cinq ans… Ca y est… Tu es grand maintenant… Ajouta-t-il un immense sourire étirant ses lèvres, en se retenant de ne pas rire de sa propre connerie.

- Haha ! Fis-je faussement vexé. Va donc me faire un thé au lieu de dire des conneries, déclarais-je en me levant. J’arrive.

Sur ce, je me levais et attrapant les clés de la voiture, je sortis de l’appartement. Alors que j’ouvrais la portière,  de la voiture, je trouvais le chiot que je voulais offrir à Juha roulé en boule sur le vieux pull que je lui avait donné. Délicatement, je le pris dans mes bras et sortais sa caisse et son panier avant de refermer sa voiture.  Certes, cela n’était pas fait dans les normes, avec le ruban et le papier décoré, et j’espérais de tout coeur que Juha ne m’en tiendrait pas rigueur. Alors que je rentrais dans le studio, je trouvais les lumières éteintes et le sapin illuminé. J’avais beau avoir à présent, vingt-cinq ans je ne me lassais pas de voir les lumières clignoter sur le sapin décoré.  Même à mon âge, Noël restait un instant magique même si religieusement, cela n’avait aucune signification pour moi, étant athée. En silence,  je déposais le tout au pied du sapin avant d’aller rejoindre Juha dans la cuisine. Me voyant arriver, il me tendit la tasse de thé que j’attrapais en lui adressant un sourire de remerciement. Nous restâmes silencieux jusqu’à ce qu’au clocher, résonnent les douze coups de minuit. Bondissant sur ses pieds, Juha m’attrapa par le bras et m’entraînait à sa suite en s’exclamant :

- Viens !

Sur ces mots, , il se précipita vers la pièce qui faisait office de salon et alors qu’il s’apprêtait à allumer la lumière, je l’arrêtais :

-Non, n’allume pas !

Il me lança un regard intrigué, me posant une question muette à laquelle je ne pris pas la peine de répondre :

- Assieds-toi par terre et ne bouge pas.

Sur ce, il m’obéit non sans une certaine appréhension tandis que j’allais allumer la petite lampe située près du sapin. Avec une douceur extrême afin de ne pas réveiller le petit animal,, je le posais dans son panier que je déposais ensuite devant Juha.

- C’est bon, tu peux ouvrir les yeux… Désolé de ne pas avoir fait cela dans les formes… Enfin, je… Voilà…

- Gabriel, je… Je ne sais pas quoi dire, commença-t-il visiblement ému. Il… Il est magnifique, ajouta-t-il en le prenant délicatement dans ses bras et en le caressant avec tendresse. Merci… Merci infiniment…

- C’est vrai ? Il te plait ? Demandais-je anxieusement.

- Oui, il est adorable… Merci encore…

Le chiot se pelotonna dans les bras de Juha qui le regardait faire attendri, les joues roses et les yeux pétillant d’émotions.

Assis à côté de Juha, je le regardais jouer avec le jeune chien qui semblait l’avoir déjà adopté. J’étais heureux et soulagé de voir que Juha semblait déjà très attaché à l’animal et je savais parfaitement qu’avec lui, il serait entre de bonnes mains. Je m’étais déjà arrangé avec Philippe qui m’avait donné son accord pour qu’il reste au ranch la journée, où il continuerait de se sociabiliser avec Cobalt et apprendrait à ne pas craindre les chevaux. Les yeux scintillant de joie de Juha gonflèrent mon coeur d’un sentiment de satisfaction et de bonheur. Le voir heureux suffisait à mon bonheur et je me surpris moi-même de cette pensée.  Avant que je n’ai le temps d’approfondir l’analyse du pourquoi de ces sentiments, je sentis Juha m’aggriper vivement par le col de ma chemise  et m’attirer à lui en un geste brusque. Ses lèvres se soudèrent aux miennes en un fougueux baiser auquel je répondis aussitôt avec empressement. J’aimais les baisers que nous échangions, à la fois doux et passionnés. Fiévreusement, sa langue demanda l’accès à ma bouche et c’est sans hésitation aucune que je lui cédais le passage. Entrouvrant les lèvres. Sa langue caressa la mienne avec volupté en un ballet érotique et avec ferveur, en un échange des plus ardents qui fit s’accélérer mon rythme cardiaque et augmenter considérablement ma chaleur corporelle. Jamais encore il ne m’avait embrassé ainsi et tout en lui me criait son désir pour moi. Ses mains s’aventuraient sur ma nuque et dans les cheveux avant de redescendre avec empressement et s’infiltrer fébrilement et sans aucune honte sous ma chemise, ses doigts laissant des traînées de lave en fusion partout où ils effleuraient ma peau.

Ce ne fut que lorsque l’air vint à nous manquer qu’il consentit à me rendre ma liberté. Au sourire qu’il m’adressa par la suite, je ne pus que rougir tandis que ma respiration s’accélérait d’avantage et que mon coeur s’emballait :

- Merci, répéta-t-il en un souffle. Moi aussi j’ai des cadeaux pour toi…

- Il ne fallait pas, répondis-je mal à l’aise, ne sachant  plus où me mettre.

Pour être honnête, je n’avais pas l’habitude de recevoir des cadeaux et cela me gênait particulièrement. J’aimais en offrir, mais j’avais plus de mal à en recevoir.

- Pourquoi il ne fallait pas ? Je te préviens tout de suite, tu vas avoir intérêt à t’habituer car tant que je serais là, tu y auras droit à chaque fois ! S’exclama-t-il vivement. Gamin va !!

Sur ses mots, il éclata de rire, prenant visiblement plaisir à me charrier à propos de mon âge. Entrant dans son jeu, je saisis le pull que j’avais donné  pour le chiot et lui balançais au visage, prenant un air dramatique et outré.

- Non mais dit !! M’exclamais-je. Tu vas voir ce qu’il te dis le gamin !!

Nous chahutâmes un moment, riant aux éclats comme rarement il m’arrivait de le faire puis lorsque nous fûmes calmés, il attrapa deux paquets dont un était plutôt imposant. Je m’en emparait après un moment d’hésitation et commençais par ouvrir le plus gros. C’est avec émotions que je découvrais un tapis comme j’avais pour ma selle de couleur noir avec dessus, le nom d’Orphée  brodé en lettre blanches. Avec ça, un magnifique filet américain de présentation dont les montants et le passage d’oreille étaient décoré en cuir repoussé. De chaque côté, un petit blason d’argent retenait des franges en cuir et quelques plumes. Les yeux brillants de larmes d’émotions, je sortais le tout du papier et le dépliait devant moi. Je jetais un coup d’oeil à Juha qui semblait particulièrement fier de lui.

- Je… Je…

La voix tremblante de sanglots de bonheur mal contenus, je n’arrivais pas à parler et à exprimer ma gratitude. Je ne savais pas comment il s’était débrouillé pour savoir, mais ce cadeau me touchait au plus profond de moi. De plus, je n’osais imaginer le prix que cela avait dû lui revenir, moi-même n’ayant pas assez d’argent de côté pour m’offrir un tel matériel. J’attrapais un bout de carton qui voletait, accroché au filet, sur lequel Juha avait écrit de sa main : “Pour être les plus beaux sur toutes les premières place du podium”. J’esquissais un sourire, amusé par ce petit commentaire avant de déclarer d’une voix rauque :

- Juha je… Je ne sais vraiment pas quoi dire… C’est… C’est vraiment magnifique… Merci… Du fond du coeur, merci…

- Tu n’as pas à dire quoi que ce soit, répondit-il en souriant tendrement. Ton regard me suffit amplement… Allez, ouvre le second !

Fébrilement, je m’emparais du deuxième paquet et avec délicatesse, j’entrepris de le déballer à son tour. Je découvrais un écrin que j’ouvris timidement et pour la seconde fois de la soirée, je restais muet de stupéfaction. Jamais de ma vie je n’avais reçu d’aussi beaux cadeaux… Dans l’écrin, posé sur un carré de velours noir, se trouvait une gourmette en argent sur laquelle était gravé mon prénom en lettres attachées et de chaque côté était gravée la tête d’un cheval qui ressemblait étrangement à Orphée. La plaque d’argent était retenue de chaque côté à la chaîne, dont les maillons formaient une corde, par deux mors.

- Juha, répétais-je, incapable de dire quoi que ce soit d’autre.

Sachant pertinemment qu’un simple “merci” ne suffirait pas pour exprimer ma gratitude, je posais le tout devant moi avec le plus grand soin puis, sous le regard intrigué de Juha, je me levais et allais m’agenouiller face à lui. Jusqu’au dernier moment, je pus déceler de l’incompréhension dans son regard vert. Sans faillir, et avec conviction, je me penchais vers lui et malgré mon hésitation de dernière minute, je m’emparais timidement de ses lèvres. S’il parut étonné de mon initiative, ceci étant le tout premier baiser que je lui donnais de moi-même, il finit par en prendre le contrôle et y répondre avec avidité, comme s’il souhaitait me remercier de cette initiative. Nos langues se mêlaient avec fougue en une danse terriblement sensuelle et la volupté de ses caresses faisait naître au  creux de mes reins un brasier ardent qui se propageait dans mes veines et dans mon corps tout entier.

Comme si je n’étais plus maître de moi-même,  je me collais un peu plus contre Juha, grisé par notre baiser passionné et la chaleur de son corps qui fusionnait avec la mienne. Galvanisé comme jamais, je m’enivrais de son odeur et assis sur ses genoux,  je passais mes bras autour de son cou dans le but de l’attirer toujours plus prêt, voulant le sentir tout contre moi. Je ressentais le besoin impétueux de me fondre en lui, en un désir violent que je n’avais encore jamais éprouvé auparavant. C’était comme viscérale… A contrecoeur, je me séparais de lui lorsque le manque d’air fut trop important et réalisant subitement l’ampleur de mon audace, je détournais le regard, atrocement gêné. Alors que je maudissais mon initiative, je sentis la main de Juha glisser tendrement sur ma joue dans le but de me forcer à le regarder. Puis, un sourire étirant ses lèvres, il déclara :

- J’aime ta façon de me remercier…

Honteux, je sentis le rouge me monter aux joues et afin de me soustraire à son regard inquisiteur et empli de désir que je sentais posé sur moi, j’enfouis mon visage dans son cou, inspirant son odeur à plein poumons. Nous restâmes un moment ainsi enlacés, appréciant simplement la présence de Juha tout contre moi. Du bout des lèvres, je l’embrassais dans le cou avant de murmurer au creux de son oreille :

- Merci… Merci pour tout Juha… Merci pour ce que tu représentes pour moi…

Sans lui laisser le temps de répondre, je m’emparais une nouvelle fois de ses lèvres pour un furtif baiser volé, goûtant aux joies de le surprendre. J’aimais savoir que j’étais source de surprise continuelle pour lui, cela m’apportait une satisfaction sans limite.

Sur ce, je finis par abandonner les genoux de Juha pour aller me servir un verre d’eau avant d’aider Juha à commencer à ranger. Lorsque le studio fut à peu près remis en état et la vaisselle faite, j’allais prendre une douche rapide pendant que Juha s’amusait avec son chiot. Quelques minutes plus tard, tremblant de froid, je me précipitais sous les couvertures, pendant qu’à son tour, Juha allait se laver. Lorsqu’il entra dans la chambre, un instant plus tard, simplement vêtu d’un pantalon pour la nuit, je ne pus m’empêcher de laisser mon regard vagabonder et courir le long de son visage. Je n’avais jamais réellement fait attention à son physique, peut être parce que je ne voulais pas le voir, mais à cet instant précis, je ne pouvais m’empêcher de le trouver diablement beau.

Semblant sentir mon regard posé sur lui, il tourna la tête vers moi et m’adressa un sourire qui illumina son visage. Je lui répondis timidement sans pour autant détacher mon regard du sien. Après un moment à nous fixer, je détournais le regard, mal à l’aise, puis Juha vint me rejoindre sous les draps. Il écarta les bras en une invitation à venir y prendre place et sans me faire prier, je répondis à son invitation. La tête callée au creux de son épaule, je poussais un soupir de bien être tandis que Juha refermait son bras autour de mon épaule. Nous restâmes un moment silencieux, appréciant la sérénité qui nous entourait. Puis relevant la tête vers Juha, sans pour autant m’éloigner de lui, je pris la parole :

- Merci Juha… Merci pour cette soirée…

- Je t’en prie, répondit-il simplement. Merci à toi d’avoir accepté de la passer avec moi… Tu sais, c’est le premier Noël que je passe en dix ans… Je suis heureux d’avoir pu le passer avec toi…

De nouveau le silence se fit, puis curieux de savoir, je demandais :

- Comment tu vas l’appeler ton chien ?

Juha ne répondit pas immédiatement, semblant réfléchir à une idée de prénom, puis finit par répondre :

- Mhh… Que penses-tu de Shanenja ?

- Oui, c’est joli, répondis-je avec enthousiasme, heureux que Juha fasse preuve d’imagination et d’originalité pour nommer son chiot.

Il m’adressa un sourire radieux et se pencha vers moi avec la ferme intention de m’embrasser. Alors qu’il se penchait vers moi, je décelais dans ses yeux, une lueur que je ne connaissais que trop bien. Les yeux pétillants, il me fixait avec envie et désir non feints. Je restais un moment à soutenir son regard, non sans rougir, mais décidé à ne plus fuir. Passant ma main sur sa nuque, je l’attirais vers moi en une invitation explicite et avec avidité, je m’emparais de ses lèvres. Pour la première fois, je me laissais aller à mes envies sans que rien ni personne ne vienne contrôler mes faits et gestes. Malgré la peur qui me nouait les entrailles et que je ne pouvais ignorer, j’avais réellement envie d’approfondir la relation ambiguë que nous entretenions depuis un certain temps. Je voulais savoir jusqu’où nous pourrions aller ainsi. Je l’attirais encore plus à moi, lui faisant clairement comprendre que je savais dans quoi je m’engageais, bien que je n’étais pas vraiment préparé, n’ayant pas songer un seul instant que nous passerions le cap ce soir, et tendrement, il me fit rouler sous lui, prenant de ce fait, la position de dominant. Je n’avais que faire d’être en état d’infériorité face à lui, au contraire, j’aimais cette impression que pour une fois, les rôles étaient inversés. J’aimais cette sensation et ce sentiment de sécurité que je ressentais à être ainsi dans les bras de Juha.  Pour la première fois, j’étais cette personne à qui il fallait faire attention et prendre soin.

Ce que Juha me faisait ressentir, jamais je n’avais connu cela auparavant. Jamais les mains de Marion électrisées de la sorte, ni même ses baisers ne m’avaient parut si doux et savoureux. Je tressaillais à chacun des attouchements de Juha,  comme si ma perception du toucher s’était décuplé indéfiniment. Je me sentais renaître sous la douceur de ses caresses et mourir à petit feu sous la chaleur et l’ardeur de ses baisers.  Déconnecté de la réalité, je n’avais plus conscience de rien hormis de la présence de Juha allongé sur moi et de toutes ses sensations qu’il me faisait découvrir. Ses mains parcouraient mon corps, de mon torse jusqu’à mon ventre avec dextérité et savoir faire. Il avait de l’expérience derrière lui et cela se sentait à la façon qu’il avait d’explorer mon corps, enregistrant dans sa mémoire les moindres tressaillements de ma peau.

A bout de souffle, ses lèvres se séparèrent des miennes et prenant appuis sur ses coudes, il planta son regard brillant de désir dans le mien et avec son genou, il écarta mes cuisses sans pour autant me lâcher des yeux, comme si de cette manière, il pouvait lire en moi ce que je ressentais. Non sans gêne mais sans hésitation pour autant, je cédais à sa demande muette et mes joues s’empourprèrent violemment à la vue du sourire qu’il m’adressa alors. Mon désir augmenta considérablement lorsque Juha ondula langoureusement des hanches, frottant éhonteusement son intimité que je sentais gonflée de désir contre mon bassin. Le plaisir que je ressentis à ce simple contact m’électrisa au plus haut point et je haletais de plaisir sous ses déhanchements. Puis, contre toute attente, il se redressa, s’agenouillant au dessus de moi une jambe de chaque côté de mon bassin, comme pour m’empêcher toute tentative de fuite et, me surplombant de toute sa hauteur, il plongea son regard perçant dans le mien. Avec une lenteur extrême,  il se pencha vers moi et du bout des lèvres, il effleura les miennes en un contact aérien qui me frustra grandement. Il s’amusait à jouer avec mes nerfs, abusant de ma patience, comme s’il souhaitait voir combien de temps je pourrais tenir ainsi.

Sans cesser pour autant son lent déhanchement, il retient mes poignets prisonniers, m’empêchant tout mouvement. De sa main libre, il redessina la sculpture de mon torse tandis que sa langue arpentait mon cou, laissant derrière elle des coulées de lave en fusion. Alors que sa langue venait retracer les contours de mes lèvres, je la happais avec avidité pour un baiser des plus passionnés. J’appréciais plus que je ne l’aurais cru le traitement que me prodiguait Juha, mais je voulais plus. Moi aussi je voulais toucher la texture de sa peau, goûter à sa saveur. Avec difficultés, je parvenais tout de même à libérer mes mains de leurs entraves et après une fraction de seconde d’hésitation, je posais mes mains sur les épaules de Juha, m’aggripant à lui comme à une bouée de sauvetage qui me maintiendrait à la réalité. Je le sentis tressaillir au contact de mes mains sur sa peau et subitement, il cessa son déhanchement, m’arrachant à cette occasion, un petit cri plaintif de mécontentement. Apparemment fier de son petit effet, Juha se redressa et m’adressa un sourire ravi et satisfait auquel je ne répondis pas, noyé sous les vagues de plaisir qui affluaient sur moi. Les yeux dans le vague, la respiration haletante, j’avais de plus en plus de mal à me retenir. Je voulais plus, même si cela m’effrayait.

Semblant s’en rendre compte, Juha reprit son activité précédente avec plus d’ardeur encore. Galvanisé par la douce torture qu’il me faisait vivre en redessinant du bout de la langue un à un les sillons de mes abdominaux, je me laissais aller à émettre mon premier gémissement de plaisir. De nouveau, visiblement satisfait de lui-même, Juha m’adressa un énième sourire, avant de souffler, d’une voix rauque emprunte de désir :

- Gabriel… Tu es tellement beau…

Je ne répondis rien à cela, la voix brisée par l’émotion. Jamais on ne m’avait dit une telle chose et au son de sa voix, je pouvais sentir qu’il était sincère. Je n’étais pas fleur bleue ni même particulièrement regardant au vue de mon physique, mais s’entendre dire une telle chose à un tel moment, m’avait énormément touché. En guise de réponse, je m’emparais avidement de ses lèvres pour un échange qui nous laissa tout deux pantelants. Si j’avais longtemps hésité à être l’auteur de ses baisers, à présent cela ne me dérangeait plus et même, cela me plaisait, car j’aimais lire la surprise dans le regard de Juha à chaque initiative de ma part.

Quittant mon ventre, sa langue alla se perdre sur les boutons de chair durcis par le plaisir qui pointaient sur mon torse tandis que ses doigts glissaient le long de mes côtes. Je retiens momentanément ma respiration, enivré par les sensations que Juha me faisait ressentir seconde après seconde. Jamais cela n’avait été aussi intense et fusionnel entre Marion et moi et je devais avouer que contrairement à Juha, jamais Marion n’avait eu l’autorisation de toucher mon dos…

- Hn… Juha…

Galvanisé par le gémissement que je venais de pousser inconsciemment, Juha accentua ses caresses et reprit lentement son langoureux déhanchement qui réveilla considérablement mon propre désir ainsi que le sien que je sentais pulser tout contre ma cuisse. Il continua ainsi un temps puis avec une extrême lenteur, ses mains quittèrent mon entre pour aller se perdre sous l’élastique de mon jogging qui faisait office de pantalon de pyjama. Instinctivement, je me raidis et le sentant, Juha plongea ses yeux embrumés de désir et de plaisir dans les miens, comme s’il souhaitait me rassurer et sans se départir de sa douceur habituelle, il me susurra :

- Détend-toi… Je ne ferais rien sans ton accord… Je veux juste… Je veux juste te donner du plaisir… M’en donnes-tu l’autorisation ?

Il avait murmuré tout cela sans honte aucune, pas une seule fois il n’avait chercher à détourner les yeux. En faisant de même, j’hochais simplement la tête en guise d’acquiescement. Après un sourire, il reprit sa course le long de mon torse, jusqu’à mes hanches alors que nos langues se liaient à nouveau en un ballet sensuel et érotique. Lorsque je le sentis se débattre avec mon pantalon, je soulevais mon bassin afin de l’aider et il me remercia à sa façon. Avec une lenteur excessive, il fit glisser le pantalon de long de mes jambes et lorsque je fus totalement nu, offert à son regard appréciateur dans lequel la flamme du désir devenait de plus en plus flamboyant, mes joues s’empourprèrent violemment. Je réalisais alors que j’étais toujours puceau à vingt-cinq ans alors que Juha avait des années d’expériences derrière lui. J’eu subitement honte de cette réalité et ne supportant plus le regard inquisiteur de Juha sur moi, je me cachais le visage derrière mes bras.

- Tu rougis ? Demanda Juha d’une voix qui cachait mal son amusement. Pourquoi ?

Sans me découvrir pour autant le visage, je marmonnais rapidement ma honte et visiblement surpris, Juha s’exclama :

- Honte ? Mais de quoi ? Parce que tu es toujours puceau ?

J’opinais de la tête et avec tout le sérieux dont il pouvait faire preuve, Juha répondit :

- Tu n’as pas à avoir honte. Au contraire… Tu sais, je trouve cela mignon. C’est que tu attendais pour être sûr de toi… Tu es certain que tu ne regretteras pas par la suite si tu t’offres à moi ? Demanda-t-il après un instant de réflexion.

A cette question, je me découvrais le visage et plongeais mon regard dans celui brûlant de Juha. D’une voix assurée, je répondis sans aucune hésitation :

- Certain…

Un sourire éblouissant illumina son visage et après un baiser ardent et fiévreux, il ondula le long de mon corps, telle une anguille, et avant que je ne réalise entièrement ce qui se passait, Juha s’empara de ma virilité et d’un geste lent et ample, il entama un langoureux va et vient qui m’arracha un cri de surprise et de plaisir mêlés. Il garda ce même rythme un long moment, puis après m’avoir ravi un autre baiser qui me fit perdre la tête, sans préavis, il pris en bouche mon intimité douloureusement gonflée de désir.

De nouveau, je laissais s’échapper un cri de plaisir à l’état brut tandis qu’il variait la cadence, alternant entre des va et vient amples et lents et rapides et irréguliers. Il garda ce rythme irrégulier pendant un temps qui me parut interminable, réduisant la cadence lorsqu’il sentait que j’approchais du point de non retour. Soudain, il cessa tout mouvement et je poussais un cri de protestation qui fit sourire Juha. Comme pour m’apaiser, il m’embrassa langoureusement avant de retourner à son occupation première. Du bout de la langue, il titillait mon intimité douloureuse et galvanisé par cet attouchement des plus érotiques, je gémissais son prénom tout en plongeant mes mains dans ses cheveux, en une demande implicite d’approfondir ces caresses.

Accédant à ma requête, il accéléra la cadence de ses va et vient et lorsque j’atteignais le point de non retour, il ralentit considérablement son action, m’arrachant un cri de frustration qui l’incita sadiquement à garder ce rythme atrocement lent alors qu’à présent, je ne demandais plus que l’autorisation de me libérer enfin. Puis, contre toute attente, il me reprit entièrement en bouche, m’arrachant cette fois-ci, un sanglot de plaisir à l’état pur. Sous l’afflux toujours plus intense de plaisir, je me cambrais violemment et après un énième allé retour de Juha sur mon intimité, je me libérais dans un sanglot de plaisir brut.

Un sourire satisfait étirant ses lèvres, Juha vint quémander l’ouverture de mes lèvres à laquelle j’accédais sans aucune hésitation, plus par automatisme que par réelle réponse, l’esprit encore embrumé par la vague de jouissance qui venait de déferler sur moi. Le souffle erratique, j’attirais Juha  à moi, le forçant à s’allonger sur moi et j’enfouis sais ma tête dans son cou, m’enivrant de son odeur suave et typiquement masculine. A travers son pantalon, je pouvais sentir son érection pulser contre ma cuisse en une demande d’être assouvie.

Alors que notre baiser se faisait toujours plus ardent, je sentis la main de Juha reprendre l’exploration de mon corps pour aller se perdre entre mes cuisses et s’arrêter longuement et explicitement entre mes fesses. Instinctivement, je me raidis et resserrais les jambes. J’avais subitement peur de ce qui allait suivre, peur de donner raison à ceux qui m’avaient rabaisser plus bas que terre durant toutes ces années. De plus je n’avais absolument aucune expérience de ce qui allait suivre, n’ayant jamais osé me renseigner, trop hanté encore par mon passé.

Après une seconde d’hésitation, la main de Juha poursuivit sa course avec plus de conviction, et de nouveau, je me tendis. Mon coeur battait à une allure inquiétante et malgré que j’essayais de me faire à cette idée de me faire prendre et de tirer définitivement un trait sur mon passé, je ne parvenais pas à me détendre. J’étais comme paralysé d’effrois et je ne parvenais plus à émettre le moindre son. Semblant s’en rendre compte, Juha retira précipitamment sa main et d’une voix inquiète, il demanda :

- Gabriel ? Ca ne va pas ? Tu… Tu veux que j’arrête ?

Je ne répondis rien, à la fois honteux et apeuré et Juha poursuivit, toujours avec cette voix douce et apaisante :

- Tu peux le dire tu sais… Je… Je sais ce que cela fait quand on ne veut pas… Jamais je ne te forcerais… Je… Je reviens, excuse-moi…

Sur ses mots, il se releva et après avoir déposé un rapide baiser à la commissure de mes lèvres, il alla s’enfermer dans la salle de bain. J’étais peu être naïf, mais pour le coup, je n’avais pas besoin que l’on me fasse un dessin. Je savais parfaitement pour quelle raison Juha s’était éclipsé. Honteux, je me roulais en boule sous les draps que je rabattais sur moi, comme pour me cacher aux yeux de Juha, dont les gémissements étouffés par la porte close de la salle de bain, résonnaient à mes oreilles. Silencieusement les larmes se mirent à couler le long de mes joues, des larmes d’humiliation et de culpabilité. En même temps, je repensais aux dernières paroles qu’avait prononcé Juha. Qu’avait-il voulu dire par là ? Plus j’y songeais et plus j’avais peur de comprendre…

Je restais un moment ainsi, immobile, à tenter de refouler mes sanglots. Quelques minutes plus tard, Juha sorti de la salle de bain et s’approcha du lit.

- Gabriel ? Quelque chose ne va pas ? Demanda-t-il d’une voix tremblante d’inquiétude.

Je ne répondis rien, sachant pertinemment qu’il devinerait mes sentiments au son de ma voix. Comme s’il se doutait de quelque chose, il s’approcha du lit et s’assis sur le bord avant de soulever lentement le drap qui me recouvrait. Du mieux que je pus, je tentais de dissimuler les larmes qui inondaient mes yeux et maculaient mes joues, ne souhaitant pas m’attirer quelconque réflexion de la part de Juha. Les yeux obstinément clos,  je ne voyais pas ce qu’il faisait, et ne pu retenir un tressaillement lorsque du bout du pouce, il essuya mes larmes :

- Tu n’es qu’un imbécile, murmura-t-il d’une voix à la fois douce et amusée. T’ai-je déjà reproché quoi que ce soit ? Ajouta-t-il avec plus de sérieux. Je comprends parfaitement ta peur, j’étais comme toi la première fois. Et si tu veux mon avis, je préfère tout arrêter maintenant plutôt que de te voir le regretter par la suite… Je te l’ai dit et je te le redis, jamais je ne ferais quelque chose sans ton accord…

Je ne répondis rien, honteux de mon comportement et de cette peur viscérale qui me nouait l’estomac. Je me redressais et passant mes bras autour de son cou, je l’attirais à moi pour une étreinte désespérée. Entre deux sanglots, je murmurais d’une voix éraillée :

- Je te demande pardon… Je…

- Chut, répondit-il en me massant lentement le dos. Ne dit rien…

Nous restâmes un long moment ainsi enlacés, puis Juha finit par s’allonger à mes côtés. Je posais ma tête au creux de son épaule et lui me caressait tendrement le dos, suivant ma colonne vertébrale de haut en bas en un geste dont je le soupçonnais de ne pas avoir conscience. Après de longues minutes de silence, je me décidais à lui poser la question que me tracassait depuis tout à l’heure :

- Juha ?

- Hmhm… Souffla-t-il.

- Qu’est-ce que tu sous entendais tout à l’heure quand tu as dit que jamais tu ne me forcerais parce que tu savais ce que cela faisait ?

Comme je m’en doutais, il ne répondit pas immédiatement à ma question. Il finit par prendre une profonde inspiration avant de prendre la parole d’une voix étrangement rauque, comme si cela lui faisait mal de replonger dans ses souvenirs :

- Je… Lors de mon arrivée en prison il y avait ce gardien…. Il… Je t’ai dit cela parce que j’ai été violé… Une fois par un des gardiens et une… Une seconde fois par celui qui partageait ma cellule… Heureusement, après cela, ils… Ils m’ont changé de cellule…

Malgré le fait que je m’en doutais, cela me fit tout de même un choc de l’apprendre de vive voix. Je comprenais mieux à présent pourquoi il se retenait avec moi et intérieurement, je l’admirais. Je l’admirais pour avoir surmonté cette épreuve et d’avoir eut le courage de me faire partager ce souvenir douloureux.  Au fond de moi, je savais pertinemment que si cela devait m’arriver un jour, je n’y survivrais pas.

- Je suis désolé, Juha…

- Désolé de quoi ? Demanda-t-il avec un petit rire qui sonnait si faux à mes oreilles. Tu n’as pas à être désolé, tu n’y es pour rien… Et puis, je l’ai mérité…

Je sursautais à l’entente de ses dernières paroles et je me redressais vivement sur les coudes afin de pouvoir lui faire face et tenter de déceler dans son regard une lueur de plaisanterie douteuse.

- Personne ne mérite ce genre de traitement Juha, personne ! Répétais-je pour donner plus de poids à mes convictions. Et puis, pourquoi crois-tu que tu le mérites ?

- Parce que je… J’ai tué Kilian, je ne suis qu’un assassin…. Je mérite bien pire qu’un simple viol, déclara-t-il la voix enrouée par une pointe de colère et e dégoût.

- Tu en as encore beaucoup des conneries comme celle là ? Demandais-je avec sarcasme et fermeté, passablement énervé par ce que venait de dire Juha. Non mais sérieusement, tu te rends compte ce que tu viens de dire ? Plus jamais je ne veux t’entendre dire des choses aussi horribles. Tu me le promets ?

-Je… Commença-t-il avec hésitation.

- Dis-le, Juha ! M’exclamais-je, voulant l’entendre dire.

- Je… Je te promets, murmura-t-il finalement.

Rassuré, je me recalais tout contre lui, une main posée sur son torse tandis que du bout des doigts, il effleurait inconsciemment mon épaule, à la base de ma cicatrice. Nous restâmes un long moment silencieux, appréciant simplement le fait d’être l’un prêt de l’autre. Lentement, mes paupières s’alourdirent et ma respiration se fit de plus en plus lente et régulière. Alors que je m’apprêtais à rejoindre le pays des songes, la voix de Juha, résonna à mes oreilles :

- Gabriel ?

- Mh…

- Tu voudrais venir habiter ici avec moi ? Demanda-t-il avec incertitude.

A présent réveillé, mais n’étant pas certain d’avoir bien saisis le sens de sa phrase, je demandais, incrédule :

- Pardon ?

- Tu serais d’accord pour venir vivre ici, avec moi ? Répéta-t-il.

Je restais un moment interdit face à cette demande inattendue, pesant le pour et le contre de cette proposition qui un sourire radieux étirant mes lèvres, je déclarais simplement :

- D’accord…

Comme s’il semblait surpris de ma réponse, ne s’attendant visiblement à recevoir une réponse si tôt de ma part, il se redressa et plongeant son regard vert hypnotique dans le mien, il répondit avec la voix de quelqu’un qui ne croyait pas ce qu’il entendait :

- C’est vrai ?

- Oui…

Les yeux pétillants et un large sourire étirant ses lèvres, il fondit sur moi et ravi mes lèvres avec empressement. Ardemment, sa langue vint quémander l’ouverture de mes lèvres et j’y répondis avec la même fougue. Aussitôt que nos langues se rencontrèrent, elles se mêlèrent en un ballet érotique qui nous laissa tout les deux pantelants. Plus nous nous embrassions et plus je prenais plaisir à goûter à la saveur et la texture douce et délicate de ses lèvres. Lorsque l’air vint à nous manquer, nous nous séparâmes à contrecoeur et je me blottis contre lui. C’est tendrement enlacé que nous finîmes par nous endormir pour de bon.

A suivre…

Cet article a été publié le Lundi 14 janvier 2013 à 9:09 et est classé dans Non classé. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Vous pouvez faire un commentaire, ou un trackback depuis votre propre site.

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