Archive du 25 décembre 2012

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Once in a lifetime - chapitre 09

   Ecrit par : admin   in Once in a life time

Chapitre 09 par Lybertys

 

Nous quittâmes le village sans un regard en arrière, reprenant notre route, le coeur lourd. Je ne parviendrais pas à oublier Linda et je me fis la promesse de revenir sur sa tombe, lui apporter un cadeau d’anniversaire chaque année…
Nous marchâmes pendant plusieurs heures en silence et ce ne fut que lorsque le soleil fut à son zénith et que la température se fit trop chaude que je déclarais qu’il était temps de faire une pause. Nous nous installâmes au bord d’une rivière, appréciant la fraîcheur qu’elle nous accordait. C’était étrange d’avoir continuellement quelqu’un à côté de soit. Et finalement, je commençais à m’y habituer. La présence de Gwendal était loin de me déranger. Brisant finalement le silence, il me demanda doucement :

- Hayden ? Où allons-nous aller maintenant ?

- Où le vent nous mène, répondis-je en souriant. Qu’en dis-tu ?
Je n’aimais pas vraiment planifier mon chemin. J’étais toujours allé là où me portaient mes pas. Gwen opina de la tête, me rendant mon sourire. Après une seconde de silence, je poursuivis :

- Même si, je me doute que tu as déjà du visiter tous ces endroits…

- Moi ? Demanda-t-il surpris.

- Qui d’autre ? Répondis-je en riant.

- Et bien… Commença-t-il, hésitant. Pas vraiment…

- Comment ça ? Lui demandais-je plus que surpris. Tu n’as jamais voyagé ?

Avaler cette information était pour moi inconcevable. Pourtant, pour toute réponse, Gwen secoua négativement la tête avant de m’expliquer :

- Mon père n’a jamais jugé utile de voyager… Pour lui, ce n’était qu’une perte de temps et d’argent…

- Mais, qu’as-tu fait durant toutes tes vacances scolaires ? M’exclamais-je, effaré, incapable de réaliser ce qu’il me disait.

Ce n’était que maintenant que je saisissais combien ce voyage et la vie que je menais pouvait être déroutante.

- Je n’avais pas de vacance, répondit-il, esquissant un petit sourire sans joie. Je n’allais pas à l’école. Père n’a jamais voulu…

- Mais tu as bien appris à lire et à écrire… Commençais-je, perdu.

- J’avais un précepteur…

- Oh… Alors tu n’as jamais rien fait dans ta vie ? Lui demandais-je, choqué.

- Si, souffla-t-il en m’adressant un petit sourire. J’ai étudié…

- Quelle joie ! Grimaçais-je face à sa réponse.

Si j’avais été surpris jusqu’à maintenant, ce fut au tour de Gwen qui me demanda :

- Tu n’aimes pas étudier ?

- Disons que… Je n’ai jamais été un grand fan de l’enseignement public… Je suis allé à l’école, mais dès qu’il m’a été possible de ne plus y aller, je n’y suis pas retourné…

L’école avait toujours était pour moi me confronter à la normalité des autres face à ma vie que personne ne pouvait envier…

- J’aime étudier, répondit-il. C’est ma manière à moi de voyager…

Je mis un temps avant de répondre, plongé dans mes souvenirs et dans l’incapacité d’envisager une vie sans avoir mis le nez dehors, une vie normale…

- Je n’arrive pas à y croire, soufflais-je après un temps. S’il y a bien une chose pour laquelle j’appréciais ma mère, c’est qu’elle se souciait tellement peu de moi que même si je partais pendant quinze jours, c’est à peine si elle s’en rendait compte… La drogue avait toujours occupé son esprit. Si elle en avait suffisamment en réserve et était en état de se préparer sa propre dose, je n’existais plus à ses yeux.

- C’est de là que tu tiens ta liberté ? Demanda-t-il.

- Oui, répondis-je, laissant mon regard se poser sur la rivière. Elle m’a au moins offert ça…

Mais combien cela m’avait-il couté. Avait-il seulement conscience de ce que cette liberté avait provoqué dans ma vie. J’aurais aimé, qu’au moins une fois, ma mère pose ses yeux sur moi comme l’aurait fait Linda et m’offre un semblant d’existence et d’importance à ses côtés. Chassant ces pensées trop sombres pour être envahies par celle-ci, je me levais et déclarais avec enthousiasme, investi d’une nouvelle mission :

- Et bien, je te propose qu’à partir d’aujourd’hui nous fassions tout ce qu’une personne normalement constituée se doit de vivre au moins une fois dans sa vie et que tu n’as jamais eu l’occasion de découvrir !

- Hein ? S’exclama-t-il, surpris.

- A commencer par se baigner  tout nu dans une rivière ! M’exclamais-je, enchanté par cette idée d’un peu plus de fraîcheur sous cette fournaise.

Sur ces mots, sans lui laisser le temps de réaliser vraiment ce que je venais de dire, je me dévêtis et une fois entièrement nu, je plongeais dans la rivière. L’eau était glacée et vivifiante. Je me sentais vivre alors que je remontais à la surface :

- Allez viens ! M’exclamais-je. Qu’est ce que tu attends ?

- Je ne suis pas sûr que…

M’attendant à une telle réaction, je ne lui laissais pas le temps de finir. Il se tut subitement en me voyant sortir de l’eau. Terriblement gêné par ma nudité, il détourna le regard. Sans prêter attention à sa gêne, je lui attrapais le poignet et en souriant je déclarais :

- Il est grand temps que tu apprennes à t’amuser ! Allez viens !

Sans attendre de réponse, je le mis debout en entrepris de l’entraîner à ma suite, malgré ses protestations.

- Quoi ? M’exclamais-je. Tu ne sais pas nager.

- Bien sur que si ! S’offusqua-t-il.

- Bon alors, où est le problème ?

Et sans lui laisser le temps de répliquer quoi que ce soit, je le poussais vivement. Il ne put retenir un cri de surprise avant d’atterrir dans l’eau tout habillé. Après s’être débattu un moment, Gwendal retrouva son équilibre et se redressa. Repoussant les cheveux de son visage, il me lança un regard stupéfié alors que je ne pouvais m’empêcher d’éclater de rire face à sa mine déconfite.

- Mais tu es fou ! Elle est… Elle est glacée ! S’exclama-t-il comme frigorifié.

- Petite nature ! Souris-je en le rejoignant. Alors, que penses-tu d’être enfin un garçon presque comme les autres ?

- Je ne me sens pas différent, répondit-il, ne comprenant apparemment pas ma question.

- Ah ! Et maintenant ? Lui demandais-je en commençant à l’éclabousser.

- Tu veux jouer ? Demanda-t-il en se protégeant au mieux. Alors jouons !

Sur ces mots, il me sauta dessus. Pris au dépourvu, je coulais comme une pierre. A son tour, il éclata de rire ravissant mes oreilles. Il n’en fallut pas plus pour que s’engage une bataille d’eau des plus animées. Lancé dans la bataille, Gwendal sembla presque oublier ma nudité et la gêne occasionnée. Après une longue bataille qui ne fit aucun vainqueur, je m’approchais de lui, remarquant seulement maintenant son état. Soucieux, je déclarais :

- Tu as les lèvres violettes Gwen. Tu ferais mieux de sortir de l’eau avant d’attraper froid…

Sans lui laisser le temps de répondre, je l’attrapais par le poignet et le guidais hors de l’eau. Là, je fouillais mon sac à la recherche d’une serviette que je posais sur sa tête avant de lui frotter vigoureusement les cheveux, ignorant ses protestations. Il finit cependant par attraper mes poignets, m’obligeant à arrêter ce que j’étais en train de faire.

Surpris, j’ancrais alors mon regard au sien. Ce ne fut qu’à cet instant précis que je le regardais véritablement. Pour la première fois, je réalisais combien Gwendal était un bel homme. Dans son regard, je ne voyais plus quelqu’un d’enfantin, mais bien un jeune homme en train de s’ouvrir au monde. Cet instant dans l’eau… Jamais je n’aurais cru qu’il se lâche ainsi et prenne plaisir à s’amuser. Son rire franc raisonnait encore dans mes oreilles… Je n’aurais sur dire combien de temps nous restâmes ainsi à nous fixer. J’avais l’impression d’entrapercevoir qui il était vraiment pour la première fois.
Au bout d’un moment, Gwen finit par détourner les yeux, me ramenant brusquement à la réalité. Me libérant de sa prise, je repris ma serviette avant de déclarer simplement :

- Tu ferais bien de ne pas garder tes vêtements trempés, tu claques des dents ! Change-toi avant de tomber à nouveau malade !

Puis, sans un mot de plus, réalisant que je venais de ressentir du désir pour lui, je me détournais brusquement de lui et m’éloignais rapidement. Il fallait que je me calme et il ne fallait surtout pas qu’il se rende compte de mon état physique. Lorsque je reportais mon attention sur lui, je vis qu’il s’éloignait, certainement à la recherche d’un coin à l’abri des regards pour se changer.

- Ne t’éloigne pas trop ! Déclarais-je simplement.

Gwendal finit par aller se cacher dernière un arbre. Me séchant à mon tour en réprimant un frisson, je fus bientôt vêtu à nouveau. Je m’assis simplement dans l’herbe, attendant son retour et profitant de la chaleur du soleil. Je ne pus m’empêcher de repenser à ce que je venais juste de ressentir. Jamais je n’aurais pensé ressentir ce genre de chose pour Gwendal.

Mais il était pourtant un homme… Et loin d’être désagréable à regarder. Chassant ces idées de ma tête, je vis Gwen me dépasser avant d’aller s’asseoir au bord de la rivière. Je laissais mon regard naviguer sur sa silhouette. Il semblait si fragile… Je ne voyais en lui qu’un être brimé à qui l’on avait tout interdit. Son passé était-il plus enviable que le mien. Je saisissais mieux sa profondeur…

Je ne tardais pas à aller le rejoindre, m’asseyant à ses côtés. Apaisé par le calme de l’endroit, il ne semblait pas remarquer ma présence et il ne sursauta même pas lorsque je pris la parole. Il n’était pas habituel qu’il reste ainsi silencieux et renfermé.

- Ca va ?

- Mmhmm, répondit-il distraitement.

- A quoi tu pense ? Demandais-je d’une voix qui ne pouvait cacher mon amusement de le voir aussi détendu.

- Oh… Pardon, je rêvais… Je ne pensais à rien de particulier, répondit-il en se tournant vers moi, m’adressant un petit sourire.

Pour toute réponse, je lui rendis simplement son sourire. De nouveau, le silence apaisant nous enveloppe durant de longue minute avant qu’il ne reprenne la parole.

- Hayden ? Souffla-t-il.

- Oui ?

- Merci, murmura-t-il en se tournant vers moi, plongeant son regard dans le mien.

Comme précédemment, je me retrouvais envouté, incapable de répondre quoi que ce soit, lui rendant simplement son sourire, mon regard ancré au sien.

Les même sensations et émotions que j’avais ressentis précédemment revinrent aussitôt. Comme la première fois, Gwendal finit par détourner les yeux, mal à l’aise, les joues rougissantes. J’esquissais un petit rire amusé avant que le silence ne revienne nous envelopper. Nous restâmes encore de longues minutes, immobiles, contemplant l’eau qui scintillait sous les rayons de soleil.

- Et si nous repartions ? Déclarais-je après un temps.

- D’accord, répondit-il en se levant.

Après avoir rangé nos affaires nous nous remîmes en marche.

Durant les 15 jours qui suivirent, nous marchâmes sans nous arrêter, dormant à l’extérieur. Et chaque soir, lorsque nous nous arrêtions, Gwendal semblait plus qu’épuisé. Nous avancions à bon pas et si Gwen faisait de gros progrès il avait toujours du mal à tenir le rythme. Je lui avais acheté une paire de basket, mais cela ne semblait pas encore être tout à fait ça. Alors qu’il traînait la patte, je me tournais vers lui, et m’arrêtait pour l’attendre. 

- Est-ce que tu te sens de marcher encore une petite demi-heure ? Il y a une petite ville pas loin où nous pourrons trouver un hôtel. Tu l’as bien mérité ! Ajoutais-je, en lui adressant un petit sourire.

Sourire auquel il répondit avant de dire :

- Au point où j’en suis, je ne suis plus à ça près…

- Demain tu pourras dormir si tu veux, déclarais-je en reprenant la route alors qu’il arrivait à mon niveau. Je pensais que nous pourrions nous poser un moment pour trouver un travail, qu’en dis-tu ? Cela permettrait que tu te reposes un peu…

- C’est vrai ? Demanda-t-il, plein d’espoir.

- Oui, c’est vrai, souris-je. Tu as été très courageux ces deux dernières semaines… Je ne t’ai presque pas entendu te plaindre…

- Hey ! Pourquoi on dirait que ça t’étonne ? S’offusqua-t-il.

- Disons que tu es quelqu’un d’assez caractériel et que tu m’avais habitué à une autre facette de ta personnalité, répondis-je simplement de plus en plus amusé.

- Mais je peux être tout à fait charmant quand je veux, marmonna-t-il.

- Je vois ça, répondis-je en lui adressant un sourire énigmatique.

Le reste du trajet se déroula dans la bonne humeur. Comme à chaque fois, j’allais réserver une chambre d’hôtel mais je n’avais pas une très bonne nouvelle à lui annoncer alors que je revenais vers lui, affichant une mine contrite.

- Qu’est ce qui se passe ? Me demanda Gwendal, anxieux.

- Ils n’ont plus de chambre double disponible, j’ai du prendre une chambre avec un lit simple…

- Oh, tu sais, soupira-t-il, je suis tellement épuisé que rien de ce que tu diras ne pourra affecter mon enthousiasme de dormir dans un vrai lit… Dit-il en me surprenant. Et c’est pas comme si c’était la première fois que nous partagions le même lit, ajouta-t-il en attrapant son sac.

Je ne pus m’empêcher de lui adresser un regard soulagé et je partis à sa suite, lui indiquant l’étage et le numéro de la chambre. La chambre était modeste mais l’atmosphère qui s’en dégageait était très agréable. Réservant son côté du lit sans me demander mon avis, il retira ses chaussures et s’assis sur le lit. Il soupira de bien être sous mon regard amusé. Alors que je m’occupais de mon propre sac, je vis Gwendal en faire de même. Puis, ayant trouvé ce qu’il cherchait, il partit s’enfermer sous la douche.

Profitant du confort et du calme, je laissais mes vêtements propres sur le lit et m’allongeais. Gwendal faisait nettement changer mes habitudes. Il était rare que j’utilise une chambre d’hôtel aussi souvent. Fermant les yeux, je soupirais de bien être. Gwendal sortit qu’une demi-heure plus tard. Tournant la tête vers lui, je déclarais en souriant :

- Tu n’as pas utilisé toute l’eau chaude j’espère !

- J’aurais du ? Demanda-t-il innocemment en se séchant les cheveux avec sa serviette.

- Essaye, et la prochaine fois, je me douche avec toi !

- Je te garderais de l’eau chaude ! S’empressa-t-il de répondre, les joues rouges.

Il me savait donc capable de le faire… Cela ne me dérangerait surement pas.

Durant la semaine qui suivit, je nous trouvais un petit boulot dans le village voisin, qui consistait à vendre des légumes dans un petit marché. Il n’avait pas été évident de trouver quelque chose qui permette à Gwendal d’avoir la force physique pour le faire. Cependant, je me retenais de lui en faire part, ne voulant pas le vexer.

A ma plus grande surprise, après seulement quelques erreurs, Gwend s’adapta à son travail et s’en sortit plutôt bien. Je le sortis plus d’une fois de quelques ennuis avec de vieilles dames caractérielles mais il se débrouilla la plupart du temps sans moi.

Cela faisait maintenant quinze jours que l’on travaillait sur ce petit marché. Nous avions abandonné l’hôtel au bout de deux jours, car je craignais qu’au bout d’un temps son visage ne soit finalement reconnu. Nous l’avions échappé belle une fois, lorsqu’un matin, une femme d’une trentaine d’années avait failli reconnaître mon compagnon, prétextant avoir vu son visage dans un avis de recherche télévisé.

Après cet incident, j’avais insisté pour qu’il se coupe et teigne les cheveux, chose qu’il avait à mon plus grand désespoir catégoriquement refusée. Par contre, il n’avait pas pu échapper aux lentilles de contact marron pour dissimuler ses yeux vairons trop particuliers. Je ne le lui disais pas mais j’aimais ce regard qu’il avait si particulier lorsqu’il me fixait. Ce petit quelque chose lui donnait toute sa profondeur…

Nous nous étions installés dans une vieille grande. Grace à ma chance, l’homme qui nous employait, un sexagénaire aussi sec que grand, nous avait permis de nous installer là le temps que l’on travaillerait pour lui. Cela nous permis ainsi d’avoir un minimum de confort qui plu à Gwendal. Le soir, nous dormions en général à l’extérieur lorsque le temps nous le permettait. Gwen découvrit le plaisir de contempler les étoiles, ne se lassant jamais de les observer. Le voyant aussi intéressé par la voute céleste, j’en profitais pour lui donner le nom de certains constellations. Ravi, chaque soir, allongés côtes à côtes, Gwendal me demandait de lui apprendre une nouvelle constellation, lui apprenant par la même occasion comment se repérer et trouver son chemin grâce aux étoiles.

J’attendais patiemment Gwen à l’extérieur de la grange, tandis qu’il achevait de se préparer. Ce soir, il y avait une fête au village et nous y avions été conviés. Du coup, après le travail, nous étions revenus à la grange histoire de faire un brin de toilette et nous changer avant de nous y rendre.

Quelle ne fut pas ma surprise de le voir arriver, les cheveux attaché en demi-queue et de beaux vêtements simples mais que je ne l’avais jamais vu porter. Ils semblaient taillés spécialement pour lui, le mettant en valeur. Je ne pus m’empêcher de le dévisager, chaque jour Gwendal m’apparaissait encore plus beau. Il semblait être inaténiable, beauté fragile qui ne faisait pas partit du même monde que moi.

- Quoi ? Me demanda-t-il, mal à l’aise sous mon regard inquisiteur.

- Tu es beau ! Répondis-je simplement en lui souriant tendrement.

Gwendal rougit presque aussitôt, face à la sincérité de ces simples mots.

- Nous y allons ? Demandais-je, lui tendant le bras, ignorant volontairement sa gêne.

Se prenant au jeu, il attrapa mon bras, marchant tout contre moi. S’il ne le faisait pas exprès, Gwendal était sérieusement en train de me charmer. Le trajet se fit en silence, les échos de la fête et les cris des enfants nous parvenant de loin dans la nuit qui tombait. Il nous fallut moins de cinq minutes pour arriver sur la petite place centrale du village. Un immense feu brûlait déjà, les enfants dansant autour en riant, au son d’une musique bruyante.

Le début de la soirée se passa tranquillement, cependant, Gwendal resta un peu dans son coin. Alors que je riais et discutais avec des personnes dont j’avais fait la connaissance un peu après notre arrivée, je pouvais voir Gwendal avoir du mal à lier des relations avec les autres. Me laissant emporter par l’ambiance, je gardais tout de même un regard sur lui. C’est pourquoi je ne tardais pas à remarquer un homme saoul s’asseyant à côté de Gwendal. Sentant mon compagnon mal à l’aise, je finis par écouter la conversation et allais à sa rescousse.

- Moi c’est Thomas ! Mais tu peux m’appeler Tom… Et tu es ? Demanda l’homme à Gwendal sans vouloir le lâcher.

- Pas intéressé ! Répliqua Gwendal, cinglant alors que j’arrivais dans son dos.

- Allez mon mignon ! Minauda le pervers. Sois pas si farouche… Je suis certain que tu es beaucoup plus docile avec ton ami… Susurra-t-il, sa main se posant sur sa cuisse.

Il ne m’en fallut pas plus. Apparaissant brusquement entre Gwendal et son prétendant indésiré, j’attrapais celui-ci par le col et l’éloignais prestement de Gwen, déclarant d’une voix sourde et menaçante :

- Il t’a dit “non”, il me semble ! Alors tu n’insistes pas et tu dégages !

Voyant qu’il allait répliquer quelque chose, je le devançais, perdant patience :

- Dégage je t’ai dis ! A moins que tu ne tiennes vraiment à m’énerver…

Avisant mon regard hostile, il me toisa une dernière fois comme pour me jauger avant de finalement partir sans demander son reste. En venir aux mains ne m’aurait pas dérangé. J’avais l’habitude des gars comme lui et ils ne me faisaient pas peur. Me tournant aussitôt vers Gwendal, je lui demandais, inquiet malgré moi :

- Est ce que ça va ? Il ne t’a pas touché ?

- Ca va ! Merci ! Me rassura-t-il. Dis, Hayden… Reprit-t-il, un instant plus tard, hésitant.

- Tu veux danser avec moi ? Le coupais-je vivement, comme pour ne pas changer d’avis entre temps.

Ne semblant pas s’attendre à une telle demande, il resta muet de surprise l’espace d’un instant. Puis, se reprenant, il m’adressa un sourire radieux, et me tendit la main. Trop heureux de sa réponse positive, je ne pus m’empêcher de l’exprimer par un sourire. Attrapant sa main, je l’aidais à descendre de la table sur laquelle il était assis et avec une courbette élégante, je déposais mes lèvres sur la paume de sa main.

Fier de l’effet produit, je lui souris avant de le guider sur la piste de danse. Mais alors que nous arrivions, la musique changea subitement, et un slow s’éleva dans les airs. Un meilleur timing n’aurait pas pu être plus parfait. Avec une certaine timidité qui me faisait craquer malgré moi, il plaça sa main dans la mienne, tandis que je passais mon autre main au creux de ses hanches. Gêné, Gwendal détourna les yeux, avant de se laisser entraîner par la danse. Jamais nous n’avions partager un moment aussi intime…

- Tu es bien ? Murmurais-je, après un temps indéterminé.

- Oui, souffla-t-il en me regardant dans les yeux. Je suis bien…

Il reporta aussitôt son attention autour de lui. Pour ma part, je ne pouvais détacher mon regard de son visage. Là, éclairé par les flammes, innocent, il était un simple appel à la luxure. Sans trop m’en rendre compte, guidé par l’instant, j’approchais mon visage du sien, comme envouté. Ce fut à ce moment là que Gwendal tourna la tête dans ma direction.

Mes lèvres se posèrent sur les siennes. Surpris, il esquissa un geste pour se reculer. Ouvrant légèrement la bouche, il me donna l’occasion d’aller plus loin. Laissant ma langue se faufiler entre ses lèvres entrouvertes, j’allais à la rechercher de sa jumelle. Ses lèvres étaient si fraîches, si douces, si pures…

Avec toute la tendresse dont j’étais capable, je laissais ma langue rencontrer la sienne, sentant Gwendal se détendre dans mes bras peu à peu. Je laissais ma main se poser au creux de ses reins, et fus pris d’un violent frisson alors que sa langue se mit à répondre à mes caresses délicates et sensuelles.

Grisé par l’instant, j’oubliais qui était entre mes bras, me laissant simplement porter par l’émotion et par ce qu’il provoquait chez moi. La timidité de Gwendal faisait tout son charme. C’était comme emporter un être perdu dans une danse vieille comme le monde. Jamais je n’aurais pensé qu’un baiser échangé avec lui serait si intense et particulier… Ce n’était normalement pas le type d’homme qui finissait dans mon lit…

Ce ne fut que lorsque l’air vint à nous manquer que je consentis à rompre notre échange. M’éloignant de lui, je vis Gwendal ouvrir les yeux. Plongeant son regard dans le mien, je lui souris tendrement, heureux de ce qu’il m’avait offert. Mon vis à vis s’empourpra violemment. A cette vision, mon sourire s’élargit tandis qu’il détournait le regard.

Amusé par son comportement, je ne fis cependant aucun commentaire. Encore envouté par l’instant, j’effleurais doucement, du bout des doigts sa joue avant de remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. Gwendal me fit alors de nouveau face et demanda dans un souffle :

- Je… Je voudrais rentrer…

Pour toute réponse, je le pris par la main et en silence, nous quittâmes la place où se déroulait la fête. Alors que le bruit de la musique s’éloignait, aucun de nous ne prononça le moindre mot. Je ne pouvais m’enlever de la tête ce baiser qui venait indéniablement d’éveiller un désir que j’avais jusque là renfloué. Je ne savais même pas vraiment pourquoi je l’avais embrassé, ou ce qui nous avait véritablement amené jusque là. Semblant plonger dans les mêmes questionnements que moi, Gwendal me demanda, brisant le silence apaisant de la nuit :

- Pourquoi est-ce que tu m’as embrassé.

- Je… Commençais-je, pris au dépourvu par cette question. J’en avais envie… Pourquoi ? Repris-je après un court instant. Tu n’as pas aimé ?

A ces mots, Gwendal s’empourpra une fois de plus, ne s’attendant certainement pas à cette question :

- Je… Si, je… Euh…

- Tu veux réessayer ? Proposais-je, amusé et enchanté à l’idée d’une réponse positive, laissant couler regard désireux sur lui. 

- Non ! Répondit-il précipitamment.

Je ne pus m’empêcher de rire.

- Ne t’inquiète pas ! M’exclamais-je entre deux éclats de rire. Je ne le referais pas si tu n’en a pas envie. Je suis désolée de t’avoir volé ce baiser, repris-je en retrouvant enfin mon sérieux. Je sais que je n’aurais peut être pas du, mais…

- Mais ? Répéta-t-il, m’encourageant à poursuivre.

- Je me suis laissé emporter, je crois… Je ne te cacherais pas que je te trouve beau, Gwendal ! Je n’ai pas résisté à l’envie de goûter tes lèvres… Ajoutais-je sincère.

Troublé, Gwendal s’empourpra violement. Sans oser me regarder, les yeux rivés au sol, il finit par déclarer dans un souffle :

- C’était… C’était agréable…

- C’est le but rechercher lorsque tu embrasse quelqu’un, souris-je.

Posant mon regard sur lui, j’ajoutais alors :

- C’était ton premier baiser, n’est-ce pas ? Déclarais-je en une phrase qui sonnait plus comme une affirmation que comme une interrogation.

- Oui, murmura-t-il écarlate. C’était le premier…

Touché d’avoir été son premier baiser, je déclarais tout simplement :

- Alors tu m’en vois ravis ! Et si tu as aimé, alors c’est encore mieux…

Au clin d’oeil entendu que je lui lançais, Gwendal rougit d’avantage. Puis, devinant son malaise, je mis un terme à la conversation et ce fut silence que nous arrivâmes à la grange. Une fois à l’intérieur, j’allumais la petite lampe à huile que notre employeur nous avait prêtée, illuminant la couchette de fortune que nous nous étions fait dans la paille d’une faible lueur.

Alors que je mettais rapidement de l’ordre dans mes affaires et installait mieux le lit, Gwendal alla se changer derrière le paravent improviser. Notre lit de fortune consistait en un duvet qui faisait office de matelas sur la paille, et un autre servait de couverture. Alors que Gwendal allait se coucher, je ne pris pas la peine d’aller me cacher.

Loin d’être pudique, je me changeais devant lui. Je ne tardais pas à aller le rejoindre. Alors qu’il me tournait le dos, je ne résistais pas et tentais le diable. Je vins me coller tout contre lui, le prenant dans mes bras, mon corps épousant parfaitement ses formes. A ma plus grande surprise, Gwendal ne chercha pas à se défaire allant même jusqu’à pousser un soupir de contentement. Ne pouvant me contrôler, je raffermis mon étreinte autour de lui, collant d’avantage nos deux corps. Peut-être n’aurais-je pas du…

Le souvenir du baiser me revint en mémoire, et mon corps ne tarda pas à donner une réponse physique face à cette proximité. Restant ainsi enlacés, je priais pour qu’il ne le remarque pas. Mais ce ne fut malheureusement pas le cas. Bientôt, se tortillant, Gwendal souffla :

- Hayden, tu as quelque chose dans la poche qui me gêne…

- Arrête de bouger ! Grondais-je d’une voix rauque et incontrôlable, alors qu’il m’excitait encore plus.

- Mais… Protesta-t-il.

- Ce n’est pas ma poche ! M’exclamais-je d’une voix sourde. Maintenant, arrête de bouger.

Heureusement, il ne tarda pas à comprendre et cessa de se déhancher. Pourquoi cette réaction arrivait maintenant ? J’avais pourtant dormi plus d’une fois collé contre lui. Etait-ce à cause du baiser ? Etais-ce car depuis peu, je commençais à le voir différemment ? Il m’était maintenant impossible de nier que je le désirais. Mon corps parlait pour moi.

- Hayden… Appela-t-il doucement.

- Dors, Gwen, soupirais-je en me collant plus fermement contre lui. Ca va passer…

Heureusement, il n’insista pas, et alors que je le sentais s’endormir, je parvins peu à peu à me calmer et à penser à autre chose. Fermant les yeux, je ne tardais pas à m’endormir à mon tour, soucieux de la nouvelle direction que prenait notre relation.

Comme à notre habitude, je me réveillais toujours à l’aube, bien avant Gwendal. Mais quelle ne fut pas ma surprise de voir William, notre employeur devant la porte de la grange.

- Hayden, s’exclama-t-il. Il faut que vous partiez. Magaret vient d’appeler la police, elle a reconnu Gwendal.

- Je… Merci William. Dis-je abasourdi. Tu savais qui il était ? Ajoutais-je, encore plus surpris.

- Il suffit de regarder un tant soit peu la télévision Hayden.

- Alors pourquoi n’as tu pas…

- Pourquoi je n’ai pas prévenu la police, me coupa-t-il. Parce que tout cela ne me regarde pas. Je dois y aller, Hayden.

Il me tendis une enveloppe avant d’ajouter :

- J’ai été heureux de faire ta connaissance. N’hésite pas à revenir quand tu veux, il y aura toujours du travail pour vous.

- Je… Merci William, dis-je sincèrement.

Sans un mot de plus, William me tourna le dos et partit. Sans perdre un instant, je rangeais et rassemblais toute nos affaires. Heureusement, j’avais toujours tenu le tout bien ordonné. Une fois fait, je courus jusqu’à Gwendal et le secouais violemment pour le réveiller.

- Gwen ! Réveille-toi ! Dépêche-toi, nous devons partir !

Ouvrant les yeux avec difficulté alors que j’étais penché au dessus de lui, il marmonna en étouffant un bâillement :

- Hmm…

- Allez, lève-toi, Gwen, nous devons partir…

- Partir ? Répéta-t-il, surpris, la voix enrouée par le sommeil.

- William vient de repartir… Selon lui, Margaret t’aurai reconnu… Elle a appelé la police…

- Oh non, souffla-t-il, soudain effrayé. Je… Je ne veux pas y retourner Hayden…

- Je sais, déclarais-je en lui souriant. Allez, habille-toi, on s’en va ! J’ai déjà rassemblé toutes nos affaires.

D’un bond, il se redressa et attrapant, les affaires que je lui tendais, il courut se changer. Pour ma part, j’allais plierais les duvets. Cinq minutes plus tard, il était prêt. Vérifiant que nous n’avions rien oublié et que nous avions effacé toutes traces de notre passage, nous finîmes par partir. L’instant d’après, nous étions en route, coupant à travers la forêt. Au bout de cinq minutes de silence, Gwendal se tourna vers moi et comme gêné, il me dit :

- Je… Je suis désolé, Hayden…

- Désolé ? Répétais-je, surpris. Mais de quoi ?

- Je… C’est à cause de moi que nous sommes obligés de partir précipitamment… Et je… Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à William.

- Ne t’en fais pas pour ça, Gwen, tentais-je de le rassurer en posant une main sur son épaule. Si ça peut te rassurer, je commençais à me languir de reprendre la route… Quant à William, ne t’inquiète pas, tu le reverras…

- Je l’espère… Murmura-t-il, avant de s’enfermer à nouveau dans le silence.

C’est ainsi que nous reprîmes la route, le coeur étrangement lourd, et pourtant j’étais plus qu’heureux d’enfin reprendre mon chemin. Je n’étais pas fait pour une vie de sédentaire. Un sourire qui rendait Gwendal étonnamment beau à mes yeux étira ses lèvres avant qu’il ne m’emboite le pas. Nous prenions des risques à rester dans cette région. Je craignais même que nous soyons en danger dans tout le pays… Nous serions certains plus tranquille en France, mais l’idée de retourner dans ce pays me glaça à l’intérieur. Je préférais mille fois une vie de fuite que de retourner là bas. Non, jamais je ne remettrais les pieds en France.

Durant la semaine qui suivit, nous nous éloignâmes comme si nous fuyons la peste. Si Gwendal avait jusqu’à maintenant des difficultés à suivre mon rythme, il semblait dès à présent habité par la crainte et l’envie d’aller toujours plus loin. Voilà plusieurs jours qu’il restait souvent songeur, et étonnamment silencieux. Ne tenant plus face à la pesanteur qu’il faisait régnait, j’allais le rejoindre alors qu’il était assis contre un arbre avec l’un de mes livres. Quand il avait réalisé que j’en transportais dans mon sac, il m’avait aussitôt demandé l’autorisation de m’en emprunter un. Il m’adressa un petit sourire lorsque j’allais le rejoindre avant de se replonger dans sa lecture. Je m’assis à côté de lui, l’arbre étant assez large pour nous servir de dossier à tous les deux. Poussant un soupir de bien être, je réfléchissais à comment aborder le sujet avec lui.

Posant mon regard sur lui, je vis qu’il ne lisait pas vraiment. Ses yeux étaient posés sur les mots mais il semblait perdu dans le vide. Finalement, je décidais d’être franc avec lui et je lui demandais alors :

- Qu’est ce qui ne va pas Gwen ?

- Hein ? Sursauta-t-il presque comme si je le sortais de ses pensées.

- Qu’est ce qui ne va pas ? Insistais-je, en répétant la même question.

- Rien, je vais très bien, répondit-il en détournant le regard.

- Arrête, on ne me la fait pas… Pas à moi. Qu’est ce qui te tracasse ? Tu peux peut-être m’en parler…

Se tournant vers moi, il me regarda droit dans les yeux un bref instant, comme s’il cherchait à discerner si je me moquais de lui ou non. Il me regarda d’une manière si étrange que j’en fus mal à l’aise. Fermant son livre, il soupira et posa sa tête sur le tronc avant d’enfin se décider à répondre.

- Je suis en train de prendre goût à cette vie… Murmura-t-il.

- Alors pourquoi ça ne va pas ? M’inquiétais-je.

- Parce que j’ai peur que ça ne dure pas…

- Pourquoi cela s’arrêterais ? Demandais-je en tentant de lui sourire.

- Mon père ne baissera pas les bras Hayden… Nous serons toujours en fuite jusqu’à ce qu’il réussisse à me rattraper.

Ne supportant de le voir vivre dans la peur, je l’attrapais délicatement par le menton pour l’obliger à me regarder. Ce ne fut qu’une fois que j’eus toute son attention que je déclarais le plus sérieux et le plus sincère du monde :

- Ton père ne te possède pas Gwen. Tu es libre de choisir ta vie. Quoi qu’il arrive, quelque soit le choix que tu fais je serais là pour t’aider et te protéger. Ajoutais-je alors que ce dernier mot sonnait étrangement à mes oreilles. Je te le promets !

Aussitôt Gwendal se mit à rougir. Le regard fuyant, il murmura un “merci”. Mais je ne lâchais pas pour autant la prise que j’avais sur lui. Comme envouté par son visage, je ne pouvais le quitter des yeux. Jamais je ne m’étais senti aussi protecteur envers quelqu’un. Jamais je n’aurais pensé m’investir autant dans une relation humaine. Sans trop savoir ce qui me prenait, je m’approchais lentement de lui, jusqu’à être à quelques millimètre de ses lèvres. J’avais encore en mémoire leur goût sucré et la timidité de notre échange. Ce fut à cet instant que Gwendal sembla reprendre ses esprits et se dégagea de mon emprise en détournant la tête, gêné.

- Pardon, soupirais-je. Je n’aurais pas du.

Gwen se tourna vers moi et me sourit timidement comme pour m’excuser. La seconde d’après, il se leva, comme pour cacher un trouble qu’il ne désirait pas me montrer.

- Où va-t-on ce soir ? A l’hôtel ? Me demanda-t-il plein d’espoir, changeant volontairement de sujet de discussion.

- Non, dis-je avec un sourire. J’ai une connaissance à quelques heures de marches d’ici. On devrait y être ce soir. Il nous hébergera contre quelques jours de travail pour lui.

- Ah… Répondit Gwendal, peu enchanté à cette idée.

- Et si ça devait arriver, ajoutais-je malicieux, je serais discret promis… Finis-je en riant.

Cela ne fit pas rire Gwendal. Il s’éloigna de moi sans un regard, et retourna prendre son sac. Après avoir rassemblé ses affaires, ce fut en silence que nous reprîmes la route.

Comme je l’avais prédit, nous arrivâmes en fin de journée dans une immense ferme. Thomas y vivait depuis tout petit. Il avait repris l’affaire familiale et vivait comme un vieux loup solitaire. Nous n’avions pas beaucoup en commun mais il était une personne agréable à vivre. Je n’y restais jamais plus de quelques jours. Traversant sa grande propriété, je pouvais voir que Gwendal était à la traîne, ne semblant pas avoir la moindre envie d’y aller. Ignorant sa démotivation, je poursuivis mon chemin et l’attendis à la porte de Thomas. Une fois qu’il fut à côté de moi, il poussa un soupir alors que je frappais à la porte. Celle-ci ne mit pas beaucoup de temps à s’ouvrir et un gros chien en bondit et pris comme cible Gwen qui se colla aussitôt à moi.

- Hayden ! S’exclama Thomas. Quelle bonne surprise ! Tu tombes à pic. Mes moutons se sont échappés et si tu pouvais me donner un coup de main, ça me simplifierait les choses.

Brusquement, il s’arrêta et remarqua la présence de Gwendal, toujours accroché à moi craignant le chien. Il le regarda un instant en se taisant les sourcils froncés.

- Tiens, c’est bien la première fois que tu viens accompagné. A qui ai-je l’honneur demanda-t-il en attrapant son chien par le collier.

- Je m’appelle Gwendal, dit-il en s’écartant de moi.

- Moi c’est Thomas, dit-il avec un sourire. Bon, on ne serra pas trop de trois, allons-y.

Puis, sans plus de manières, il sortit et nous partîmes à sa suite.

Après une longue course pour ramener tous les moutons dans leur enclos, Thomas nous proposa d’aller boire une limonade pendant qu’il nous préparerait quelque chose à manger. Transpirant et fatigués, nous acceptâmes avec plaisir. Assis sur sa terrasse, nous sirotâmes avec plaisir cette boisson. Thomas ne tarda pas à nous rejoindre. Il s’assit à côté de moi en tirant sa chaise.

- Combien de temps comptez-vous rester ? Me demanda Thomas en posant un regard étrange sur Gwen.

- Quelques jours, si ça ne te dérange pas.

- Bien sur que non ! Vous tombez à pique, j’ai une montage de chose à faire et un employé qui m’a fait faux bond.

- Marché conclut ! Répondis-je alors avec un sourire.

Le reste de la soirée se déroula tranquillement. Après une bonne douche, nous mangeâmes un repas copieux avant de finir avec le dessert dans le salon. Gwendal ne décrocha presque pas un mot, et lorsqu’il eut terminé de manger, il s’excuse et partit se coucher. Ce ne fut que lorsqu’il fut partit que Thomas vint s’asseoir sur le canapé, particulièrement près de moi.

- Tu m’as manqué, souffla-t-il, d’une voix rauque, laissant glisser sa main sur ma cuisse.

Malheureusement, je n’étais pas d’humeur ce soir et surtout bien trop fatigué. Et surtout, Gwendal m’inquiétait. J’aurais finalement préféré le suivre et discuter un peu avec lui. Même si je savais maintenant ce qui le rongeait depuis plusieurs jours, je savais que ses craintes n’avaient toujours pas disparues.

Repoussant gentiment sa main, je lui dis avec un sourire qui se voulait détendu :

- Pas ce soir Thomas, je suis fatigué.

- Et moi, j’ai envie de toi, insista-t-il en reposant sa main sur ma cuisse de manière plus franche et plus osée.

Le repoussant plus fermement, je répondis froidement :

- Pas ce soir !

Souriant, Thomas se redressa et me dit d’un air malsain :

- Voyons Hayden, tu ne souhaiterais pas que j’appelle les flics pour qu’il passe chercher ton petit copain.

Je restais interdit d’effroi. Que venait-il de dire ?

- Qu’est ce qui t’arrive ? Lui demandais-je, choqué.

- Tu m’as très bien compris, répliqua-t-il.

- Je ne te reconnais plus Thomas ! M’exclamais-je en le levant.

Nous ne pouvions rester une seconde de plus ici. Il fallait que nous partions. Alors que je réfléchissais à comment aller chercher Gwen, rassembler nos affaires et s’enfuir, Thomas se leva, me  faisant face et répliqua, son petit sourire pervers toujours accroché au visage :

- Je peux aller voir Gwendal si tu veux, il sera sans doute plus docile que toi…

Il ne m’en fallut pas plus. Mon poing partit tout seul. Mais Thomas fut plus rapide que moi et saisit mon poignet au vol. Face à sa poigne, je réalisais que je n’avais aucune chance contre lui. Il était bien plus musclé que moi et me dépassais d’une tête. Comment diable avais-je pu me mettre dans un tel guêpier.

- Laisse Gwendal en dehors de ça ! Criais-je en tentant de libérer ma main.

- Ce n’est pas moi qui ait changé, répliqua-t-il en me serrant d’avantage et en se collant à moi. C’est toi qui a changé Hayden… Depuis quand ouvrir tes cuisses est un problème, je ne te demande pas grand chose pourtant…

Profitant d’un court instant d’inattention de sa part, je parvins à me défaire de sa prise. Tentant de fuir, je fus brusquement arrêté par Thomas, se dressant devant moi avec un couteau. Ce fameux couteau offert par son père qu’il ne quittait jamais. Ce n’était qu’à cet instant que je réalisais combien Thomas était dangereux. Le regard qu’il posait sur moi me rendait malade.

- Tu pourrais rendre tout beaucoup plus simple, me dit-il. Je n’appelle pas les flics et on prend du bon temps… Ajouta-t-il menaçant.

Comprenant qu’il était capable de tout, je choisis la docilité, loin de moi l’envie de vivre une telle expérience sous la violence. Résigné, je m’agenouillais devant lui. Je n’avais pas le choix.

Si cet acte ne m’avait jamais répugné, ce fut la première fois de ma vie qu’offrir une fellation me noua les entrailles. Je ne pleurais pas, je n’arrivais pas à définir ce que je ressentais en particulier. J’aurais voulu être sourd pour ne pas entendre ses gémissements graves, j’aurais voulu l’espace d’un instant être privé de chacun de mes sens. Je faisais ce que je m’étais toujours refusé, je me vendais.

Je ne pris aucun plaisir à sentir ses mains me rapprocher plus près de son sexe lorsque la jouissance vint bien trop lentement. Un haut le coeur me saisit alors qu’il se libérait dans ma bouche en poussant un râle. Pourtant, lorsqu’il me demanda de me déshabiller et de m’installer sur le canapé, je sentis mon coeur se mettre à battre dangereusement vite, comme un sursaut de vitalité. C’était ma liberté qu’il était en train de bafouer, c’était la seule chose que je possédais qu’il était en train de me voler. Je me mis à penser très vite. Sans trop réalisé ce que j’étais en train de faire, je déboutonnais mon jean alors que j’avançais vers le canapé.

Là, posée sur la table, une statuette en pierre. Me ruant brusquement dessus, je me retournais vers Thomas. N’ayant rien vu venir, le pantalon toujours baissé à mi-cheville, il n’eut pas le temps de réagir alors que la statuette frappait lourdement son crâne. Il tomba aussitôt, inconscient à mes pieds. Je ne voulais pas perdre de temps, je n’en avais pas le luxe et pourtant, à peine eus-je fais trois pas, que je me retrouvais plié en deux par terre rendant le contenu de mon estomac.

Tentant de calmer les crampes qui me saisissait, ne me fis violence pour me relever. D’un pas hagard, je marchais jusqu’à la salle de bain, tentant d’effacer toute trace et tout souvenir de cet instant. Ayant retrouvé assez de forces, je me ruais dans la chambre où devait être Gwendal. Je le trouvais endormis, recroquevillé dans le lit. Sans perdre un instant, je le secouais peut être un peu trop brusquement.

- Gwen, réveille-toi, nous devons partir !

Gwen sursauta avant de se redresser.

- Qu’est ce qui se passe, demanda-t-il d’une voix ensommeillée.

- Il faut qu’on parte, maintenant.

- Pourquoi ? Quelle heure est-il ? Demanda-t-il.

- Ne pose pas de question, habille-toi, et dépêche-toi. Nous ne sommes plus en sécurité ici.

Face à mon air grave et empressé, Gwendal fronça les sourcils et finit par me prendre au sérieux. En un temps record, alors que je surveillais à la porte, il fut prêt. Attrapant nos deux sac, je l’entraînais dans une course folle jusqu’à l’extérieur de la ferme. Là encore, je continuais à courir, le tenant toujours fermement par la main.

Ce fut à peine si j’entendis Gwendal protester, le forçant toujours à continuer notre course. A bout de souffle, je finis par nous autoriser une marche rapide, sans pour autant lâcher Gwen. Brusquement, je quittais la route et m’enfonçais dans la forêt. Ce ne fut qu’après un temps indéterminé, que je consentis enfin à ce que nous nous arrêtions. Lâchant nos sacs qui tombèrent sur le sol, je me précipitais vers Gwendal et le serrait dans mes bras, comme pour m’assurer qu’il allait bien.

Il en avait fallut de peu pour que tout vire à la catastrophe. Et pourtant, j’avais commis l’irréparable. La phrase que Gwendal m’avait lancé des semaines plus tôt me revint en mémoire. Non, je ne valais pas mieux que ma mère. Je repoussais Gwendal, comme si son contact me brûlait. J’étais perdu. Ce fut à cet instant que Gwendal éclata :

- Non mais je peux savoir ce qui te prend ? Pourquoi est-ce que l’on s’enfuit comme des voleurs au milieu de la nuit ? Qu’est ce qui s’est passé ? S’exclama-t-il, criant presque. Tu m’as fait une peur bleue !!
M’adossant contre un arbre, je me laissais tomber, me retrouvant assis sur le sol. Mon coeur ne parvenait pas à se calmer. Je ne réalisais pas encore tout ce qui venait de se passer. Face à mon silence, je sentis poindre de l’inquiétude dans la voix de Gwendal qui s’agenouilla près de moi et me demanda :

- Qu’est ce qui s’est passé Hayden ?

Une boule vint nouer ma gorge, aucun son ne sortait, aucune larme ne venait.

-  Hayden… M’appela Gwendal en posant sa main sur mon bras. Qu’est ce qui s’est passé chez Thomas. Tu es pâle, est-ce que ça va ?

- Je l’ai tellement haïs Gwen… Lâchais-je alors que je sentais les larmes proches, mais je les ravalais presque aussitôt.

- Qui ? Me demanda-t-il de plus en plus perdu.

- Je lui en ai toujours voulu de m’avoir mis au monde… Continuais-je sans répondre directement à question.

Me prenant la tête entre les mains, j’ajoutais :

- J’ai l’impression de ne pas avoir ma place ici… Je ne suis qu’un accident indésiré avec l’un de ses clients… Et finalement, je lui ressemble… Je suis même pire…  Dis-je perdu dans un mélange de pensées diverses et décousues.

- De quoi est- ce que tu parles, finit par me demander Gwendal. Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? Quel est le rapport avec le fait que l’on parte de chez Thomas au milieu de la nuit ?

Me refusant à lui avouer ce qui c’était passé, n’arrivant pas encore à mettre un mot dessus, je gémis, comme une plainte à peine audible :

- J’ai fait pire que ma mère, j’ai fait prire que de la prostitution…

Redressant la tête, je croisais le regard plus qu’inquiet de Gwendal. J’avais besoin d’être seul. Je devais me ressaisir. Echappant à sa main posée sur mon bras, je lui dis, la voix dénuée de toute émotion :

- Je vais marcher un peu, je te laisse t’installer ici… Je… Je reviens… J’ai besoin d’être seul.

Alors que je me détournais de lui, j’entamais ma marche, les jambes tremblantes. Avais-je seulement la force de faire un pas de plus… Je sentis alors une main se poser sur mon épaule, me forçant à me retourner. Ce ne fut qu’une fois que je lui fis face que Gwendal me demanda :

- Je te le demande une dernière fois Hayden, qu’est ce qui s’est passé chez Thomas, c’est quelque chose qu’il t’a dit sur ta mère ?

-  N’insiste pas Gwen, soufflais-je.

- J’ai le droit de savoir ! Déclara-t-il déterminé. Je veux t’aider…

- Je…  Commençais-je.

Je ne su jamais ce qui me fit céder, ce qui me fit me confier alors à lui. Peut-être était-ce face à la sincérité de son regard, à quelque chose qui s’en dégageait. Ou alors, était-ce du à la chaleur bienfaisante de sa main posée sur mon épaule que je ne vivais pas comme une agression.

- Thomas savait qui tu es Gwendal. Il a voulu te dénoncer. Dis-je avant de me taire à nouveau.

- Ce n’est pas ça qui te met dans cet état. Qu’est ce qui s’est passé ?

- Il a menacé de s’en prendre à toi et…

Ma voix s’arrêta un instant. Je ne pouvais pas le lui dire. Même si mon silence me trahissait, je finis par dire simplement :

- Je l’ai assommé, et nous nous sommes enfuis.

Gwen me fixa avec un regard peiné, comme s’il avait compris ce que je n’avais pu dire par des mots. Par égard pour moi, cependant, il n’insista plus. Sans que je ne comprenne son geste, il m’attira à lui avec douceur. La tête posée sur son épaule, je pouvais sentir sa main passer lentement dans mon dos. Face à tant de tendresse de sa part, ce fut trop pour moi. Je m’effondrais en larmes comme je m’étais refusé de le faire depuis mes 16 ans.

Thomas ne fut pas l’unique raison. Je repensais à Linda, à ce que j’étais devenu et ce que j’avais été. A aucun moment, Gwendal ne me repoussa. Au contraire, il raffermit son étreinte autour de moi et me consola sans un seul mot, comme s’il n’était pas possible d’en prononcer un seul. Je ne sus combien de temps je restais à pleurer silencieusement dans ses bras, là, au milieu de nulle part, dans une forêt, éclairé par les rayons de la pleine lune.

Pour la première fois depuis que nous voyagions ensemble, ce fut Gwendal qui prépara notre lit. Aucun mot ne fut échangé et ce fut réfugié au creux de ses bras que le sommeil finit par me délivrer.

Lorsque je me réveillais le lendemain matin, j’espérais que tout avait été un simple cauchemar. Pourtant l’étreinte de Gwendal me prouvait le contraire. Comme s’il avait sentit mon éveil, il me serra encore plus prêt de lui. Répondant à son étreinte, je le serais à mon tour dans mes bras. Sans lui, sans sa présence à mes côtés, j’aurais certainement perdu l’esprit cette nuit là.

- Je suis désolé, l’entendis-je alors, murmurer. Tout est de ma faute.

Ne pouvant le laisser penser cela, je m’écartais à contre-coeur de sa chaleur et le regardais droit dans les yeux :

- Jamais, tu m’entends ! Ne pense jamais que ce qui est arrivé hier était de ta faute.

- Bien sur que si rétorqua-t-il, les larmes aux yeux. Si je n’avais pas choisis de venir avec toi, jamais rien de tout cela ne serait arrivé. C’est moi qui t’ai mis dans cette situation. Je te mets en danger… Je pense qu’il vaut mieux que je rentre chez moi Hayden… Ajouta-t-il en détournant le regard.

Ne supportant pas ses larmes, je le serrais aussitôt contre moi, comme par peur qu’il ne m’échappe.

- Tu restes avec moi Gwendal, tu ne repartiras pas là-bas. Je t’en es fait la promesse.

- Ta promesse te coûte trop cher, répliqua Gwendal, sans pour autant tenter de s’échapper de mon étreinte. Tu en a déjà assez fait pour moi. Je ne peux pas t’en demander plus.

M’écartant de lui, je me redressais et le regardais droit dans les yeux, mon visage à quelques centimètres du sien.

- Ce qui est arrivé n’est pas de ta faute, mais uniquement de la mienne. Je ne me méfie pas assez des gens Gwen. Et puis c’est trop tard. Nous avons fait notre choix en connaissance de cause. On savait que nous serions en fuite et que ton père ne te laisserait pas en paix. Ce qui vient de se passé est un accident. Ne rend pas cet accident comme étant la cause de ton départ où alors, tout ce que nous avons fait jusqu’à maintenant n’aura servi à rien. Je veux que tu restes à mes côtés, que tu t’épanouisses. Que tu découvres tous les bons côtés de la vie que je mène. Je veux que tu découvres la liberté Gwen… Tu as encore tellement à découvrir… Et lorsque ce sera fait… A ce moment seulement, alors, tu pourras envisager à nouveau la question de rentrer chez toi.

- Mais je ne veux pas rentrer chez moi, gémit-il. Hayden, je me sens tellement coupable de…

Il n’eut pas le temps d’en dire davantage. Pour lui faire cesser de dire une imbécilité de plus, je recouvris ses lèvres d’un baiser.

Ses lèvres étaient d’une fraicheur que j’avais rarement connue. Délicatement, pour ne surtout pas le brusquer, je laissais glisser ma langue sur celles-ci, y goûtant avec délectation.  Une de mes mains passa derrière sa nuque pour l’approcher d’avantage, tandis que l’autre passait lentement dans son dos, sans jamais se faire insistante.

Timidement, Gwendal finit par entrouvrir les lèvres, m’autorisant à approfondir notre échange. Sans me précipiter, j’allais avec un désir non fin, rejoindre sa jumelle. Le contact de nos langues fut électrique. Un violent frisson irradia ma colonne vertébrale alors qu’il répondait timidement à l’échange dont j’étais au commande.

Jamais je n’avais connu un baiser aussi pur et innocent. Sa langue finit par caresser la mienne avec douceur. Je fis preuve d’une patience d’or, sans jamais chercher à le forcer. Son odeur m’enivrait, je ne désirais jamais plus, juste un baiser de sa part… Je sentis ses mains se serrer dans mon dos, comme s’il y prenait lui aussi du plaisir.

Nous nous séparâmes à contre coeur, lorsque l’air vint à manquer. Pantelant, le souffle court, l’image que me renvoya Gwen, les lèvres rougies par le baiser et les joues rouges avait tout d’une invitation à la luxure. Mais je n’allais pas plus loin. Passant lentement une main sur son visage, je remis une de ses mèches en place. Allongé côte à côtes, nous restâmes silencieux un moment… J’effaçais volontairement de ma mémoire, les souvenirs de la veille, les remplaçant par cet échange et la nuit passée dans ses bras.

D’un commun accord, nous décidâmes qu’il était temps de se lever. Après un petit déjeuner frugal partagé dans le silence, nous fîmes nos sacs et reprîmes la route. Nous allions définitivement quitter la région. Plus nous serrions loin et plus facilement nous trouverions la paix. J’envisageais même de prendre un bus ou un train pour nous éloigner plus vite.

Alors que nous marchions depuis une petite heure, Gwendal restant à ma hauteur, je l’entendis me dire d’une petite voix hésitante :

- Hayden…

- Hn ? Dis-je en tournant la tête vers lui.

- Même si je t’ai promis de ne plus te questionner sur ton passé… Je… Je voulais que tu saches que je suis toujours là pour t’écouter. Et… Si tu veux un jour me raconter, je ne te jugerais jamais.

Je ne pus m’empêcher de sourire, touché plus que je ne l’aurais cru. L’attirant brusquement à moi en passant mon bras autour de son cou, je répondis :

- Je suis content de t’avoir comme compagnon de voyage Gwen !

Puis dans un rire qui contrastait avec mes paroles, j’ajoutais :

- Si tu me connaissais vraiment Gwen, tu serais déjà en train de courir chez ton père.

- Je suis sur que tu n’es pas aussi horrible que tu penses l’être. Tu es quelqu’un de bien !

Je ne pus m’empêcher de lui sourire, plus touché que je ne l’aurais pensé par ses paroles. Le libérant de mon étreinte, je le laissais libre et nous reprîmes la route sur un ton plus léger. Je me rendis rapidement compte de l’état de fatigue dans lequel était Gwen. Il avait beau tenté de tenir mon rythme, ses pauses incessantes et ses cernes parlaient pour lui. Ne pouvant lui imposer ce rythme plus longtemps je lui proposais de s’arrêter dans un refuge abandonné pour passer les prochaines nuits et se reposer. L’idée de me couper un peu du monde après ce que nous avions vécu m’enchantait plus que je ne voulais le laisser paraître. Gwendal fut enchanté par l’idée et accéléra le pas.

Il faisait nuit lorsque nous arrivâmes au refuge. Comment je l’avais pensé, il était tellement isolé que tout le monde avait oublié jusqu’à son existence. Installé près d’une rivière en sous bois, nous serions tranquille ici.

Je proposais à Gwendal de faire un feu au vu de la fraîcheur de la nuit et de dormir dehors pour regarder les étoiles. Il accepta avec plaisir. Il installa le lit et je ne fis aucun commentaire en le voyant en préparer un seul pour nous accueillir tous les deux et non deux séparés. Pour ma part, j’allais ramasser assez de bois pour nous tenir chaud une partie de la nuit et préparais à manger après avoir allumé le feu. Après s’être rempli le ventre d’un bon repas chaud, nous nous installâmes tout près du feu le plus confortablement possible.

Si Gwendal avait préparé un lit unique, il ne vint cependant pas de lui même contre moi, gardant une distance respectable. Ce fut moi-même qui me surpris. A la recherche d’un contact, je passais mon bras autour de son corps frêle et l’attirais tout contre moi. Gwendal resta tendu mais ne me repoussa pas. Et lorsqu’il fut enfin détendu, il s’installa confortablement, la tête posée sur mon bras pour admirer la voûte céleste.

Après avoir repéré celles qu’ils connaissaient déjà, il me demanda de lui en apprendre une nouvelle, chose que je fis avec plaisir. Peu à peu, le silence vient s’installer entre nous. Me redressant, m’attirant un gémissement de mécontentement, j’alimentais le feu qui commençait à mourir avant de reprendre ma place près de lui.

- Gwen, finis-je par demander en brisant le silence.

- Hn ? Répondit-il faiblement.

- Qu’est ce que tu aimerais faire ?

- Comment ça ? Me demanda-t-il, sans cacher son incompréhension.

- C’est toujours moi qui choisi ou l’on va et ce qu’on fait, mais j’aimerais savoir ce que toi tu veux faire ou bien où tu veux aller.

- Je… J’aurais bien aimé aller en France, se risqua-t-il, hésitant.

Me tendant presque aussitôt, ma réaction ne passa pas inaperçue. Gwendal ajouta alors :

- Mais je sais que c’est loin d’être une destination rêvée pour toi alors, pourquoi pas l’Ecosse ?

- Va pour l’Ecosse, répondis-je soulagé, éludant le sujet que nous avions failli aborder.

Le silence revint à nouveau jusqu’à ce que Gwendal, à nouveau titillé par les questions à mon sujet, me demanda :

- Est ce que j’ai le droit de te poser une question ?  Une seule…

- Vas-y soupirais-je. Mais je ne te promets pas de te répondre.

- Tu n’as jamais cherché à savoir qui était ton père ?

Je ne pus m’empêcher de rire face à sa question, avant de répondre :

- Gwen, ma mère était une prostituée. Elle couchait avec des tas de mecs chaque soir alors partir à la recherche de mon père, c’est une mission impossible. Et puis, même si j’en avais la possibilité, je ne voudrais pas savoir.

- Pourquoi ? Répliqua-t-il aussitôt. Tu n’es pas curieux ? Ca ne te manque pas de ne pas avoir de père ?

- Je ne sais pas ce que c’est, alors comment ça pourrait me manquer. Gwen, je crois qu’il vaut mieux que tu considères que je n’ai pas eu de parents. Ma mère ne s’est jamais occupée de moi et la plupart du temps les rôles étaient inversés…

- Comment ça ? Demanda-t-il aussitôt.

- J’étais d’accord pour répondre à une question Gwen, pas dix. Pourquoi tu es aussi intéressé par le fait de connaître mon passé ? Dis-je en m’étonnant de la patience dont je faisais preuve avec lui.

Plus d’une personne s’était attiré mes foudres pour m’avoir demandé moins que ça. D’ailleurs, Gwendal semblait être la seule personne qui en savait autant sur moi.

- Chercher à se connaître, c’est ce que font les gens normaux, répliqua-t-il.

- Nous ne sommes pas normaux, dis-je en riant.

- Qu’est ce que tu sous-entends par là ? Demanda-t-il perdu.

- Un fils de prostituée et un garçon de noble famille qui parcourent les routes ensemble, Gwen, c’est pas vraiment commun. Lui expliquais-je.

Gwendal ne répondit pas tout de suite et alors que je pensais que c’était la fin de la discussion. Mais j’eus tort. La petite voix de mon compagnon résonna à nouveau :

- Je suis sur que ta mère était plus qu’une prostituée, tu as l’air de tout le temps la dénigrée. Elle n’a juste jamais su te montrer qu’elle t’aimait.

- Elle ne m’aimait pas Gwendal ! Une droguée n’aime personne… Juste la drogue.

Sentant ma gorge se nouer et de sombres souvenirs me revenir en tête, je me tendis sans pouvoir me contrôler alors que je rajoutais :

- Maintenant j’aimerais vraiment qu’on change de sujet, d’accord ?

- Désolé, murmura-t-il, gêné et il me sembla, presque peiné.

Sans que je ne comprenne pourquoi, étonné de sa réaction; Gwendal se tourna vers moi, et passa son bras fin sur mon torse avant de poser sa tête sur mon épaule. Touché par son geste, je l’entourais de mon bras, passant lentement ma main sur son dos.

- Bonne nuit, murmurais-je.

- Bonne nuit, Hayden, souffla-t-il.

S’il trouva le sommeil peu de temps après, ce ne fut pas mon cas. Je fus saisi de l’angoisse des rêves que je pouvais faire. Mal à l’aise, j’aurais voulu me lever et aller marcher seul dans la forêt, pour me changer les idées, mais la silhouette de Gwen accroché à la mienne m’en empêchait. Je restais une bonne partie de la nuit plongé dans mes souvenirs, le regard fixé sur le feu qui s’éteignait peu à peu. Puis, sans prévenir, le sommeil vint me faucher, m’emportant dans un monde étrange, sans le moindre songe.

Lorsque je me réveillais le lendemain, j’eus la surprise de ne pas retrouver Gwendal près de moi. C’était étrange, il était normalement celui qu’il fallait tirer du sommeil chaque matin. Cependant, m’avisant de la position du soleil je compris qu’il n’était pas loin de midi. Intrigué de ne pas le voir dans les parages, je rangeais les duvets et décidais d’allait me laver à la rivière. Attrapant des vêtements propres et mon nécessaire de toilette, je me dirigeais vers la rivière.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir Gwendal de dos, complètement nu en train de se nettoyer. Ses vêtements ne le dissimulant plus, je pouvais voir à quel point il était fin, mais je n’aurais pas pensé que cela soit à ce point. Laissant mes yeux glisser sur sa peau blanche qui semblait si douce au toucher, je ne réalisais pas que je m’étais arrêté.

Hypnotisé je n’arrivais pas à décrocher mon regard. Si j’avais déjà éprouvé du désir pour lui, ce sentiment fut décuplé. J’avais envie de m’approcher de lui, d’embrasser délicatement sa nuque après avoir effleuré sa peau frêle encore et encore… Je ne sus ce qui l’avertit de ma présence. Surement mon regard insistant. Il était vrai que je le dévorais du regard. Se tournant, remarquant ma présence, il s’abaissa aussitôt, plongeant dans le peu d’eau glacé de la rivière qui ne cacha presque rien.

- Tu aurais pu me dire que tu étais là ! Pervers ! Cria-t-il. Dégage !

Amusé par sa réaction, je me déshabillais lentement, alors que Gwendal restait immobile et interdit. Une fois dévêtu, non sans un dernier regard vers lui, j’allais à mon tour dans la rivière. Puis, sans me préoccuper plus de lui, j’entrepris de me laver. L’eau était gelée, mais il n’y avait rien de mieux et de plus vivifiant.

Voyant qu’il n’avait pas bouger d’un poil, je me tournais vers lui et déclarais amusé :

- Tu sais Gwen, tu n’as vraiment rien à cacher… Tu ne devrais pas avoir honte de ton corps. Tu es beau.

Rougissant d’avantage, il se recroquevilla plus qu’il n’était possible dans l’eau, sans décrocher un mot.

- Et en plus, nous sommes fait pareil alors…

Puis sans plus de cérémonie, je continuais de me laver tandis que Gwen ne bougeait pas d’un pouce. Une fois les cheveux propres, je retournais à mes affaires et me séchais vigoureusement. Tournant brusquement la tête, je vis Gwen détourner aussitôt le regard comme pris en faute, devenant plus écarlate qu’il n’était possible.

- Et après tu dis que c’est moi le pervers, dis-je en riant. Tu devrais sortir de l’eau Gwendal. Tu vas attraper la mort à rester sans bouger, l’eau est glacée.

Niant mes paroles, Gwendal se recroquevilla encore plus sur lui même. Comment pouvait-on être aussi têtu. Une fois habillé, je lui dis :

- Je vais préparer le déjeuner, je t’attends pour manger.

Gwendal ne répondit rien et ne bougea pas jusqu’à ce que je sois parti. Arrivant près de nos sacs, j’étendais ma serviette et allais voir le refuge. Attrapant un vieux balai, j’entrepris de faire un brun de ménage. L’endroit était clairement abandonné et quelque peu délabré, mais je savais que ce n’était qu’une façade. Son constructeur était doué et avait rendu les murs résistants.

Après avoir tout débarrassé, je repoussais le nettoyage aux grandes eaux à plus tard et préparais le déjeuner, Gwendal ne tarderait pas.

Il arriva, la mine renfrognée, me lançant un regard noir. Il ne décrocha pas un mot durant tout le repas et partit avec le livre que je lui avais prêté pour aller lire dans un coin. Ignorant son mauvais caractère, j’allais prendre un vieux saut en bois que j’avais vu dans la cabane, et allais le remplir à la rivière. Une fois fait, j’entrepris de récurer la cabane.

La mettre en ordre me pris plus de temps que je ne l’aurais voulu et lorsque j’eus enfin terminé, l’heure du dîner était déjà entamée. J’allais vers Gwendal qui n’avait pas bougé d’un pouce. Plongé dans sa lecture, c’est à peine s’il leva la tête vers moi. Cependant, ne voyant pas les pages tourner, je compris qu’il m’ignorait simplement. Agacé, je lui demandais alors :

- Qu’est ce qui passe ? Pourquoi est ce que tu boudes Gwen…

Face à l’absence de réponse de sa part, je soupirais.

- Je vais préparer à manger…

Me dirigeant vers nos sacs, j’entrepris de ranger ce qui était possible dans la cabane. Autant s’installer confortablement. Je fus surpris de la différence de la cabane. J’avais fait du bon boulot, elle était tout simplement méconnaissable. Utilisant le bois ramassé la veille, je réussis à allumer le vieux poêle et bientôt de la fumée s’échappait de la cheminée en métal noir. Attrapant des assiettes propres, j’allais dehors à la recherche d’herbes comestibles. Avec les quelques légumes que nous possédions, je fis une petite soupe.

Avec le pain sec, je tentais de faire des croutons. J’agrémentais le tout de viande séchée et du peu de fromage qu’il nous restait, vidant le restant de pâte à cuire dans la soupe. Jamais je ne m’étais préparé un plat aussi consistant et élaboré lorsque j’étais tout seul, mais le physique de Gwendal me rappelait qu’il avait besoin de se nourrir. Je ne m’inquiétais pas plus que cela. Il avait juste besoin d’habituer son corps à un tel rythme de vie.

Une fois le repas près j’appelais Gwendal qui vint en traînant les pieds. Son regard changeant lorsqu’il vit la table mise et maugréât un rapide merci avant d’attaquer son repas avec appétit, sans décrocher un mot de plus.

- Que dirais-tu de rester ici quelques temps ?

- Pourquoi pas. Dit-il comme si décrochait ces deux mots lui demandait un effort considérable.

- J’irais faire quelques cours demain pour que l’on soit tranquille pour quelques temps. Nos provisions sont à sec. Tu resteras ici pour garder nos sacs et surtout te reposer. Ca te convient.

- Oui. Souffla-t-il.

Me redressant brusquement je craquais. Il avait réussit à me couper l’appétit.

- Qu’est ce que tu peux être pénible quand tu t’y mets Gwen.

Et sans plus de cérémonie, j’allais vers le foyer du feu et entrepris de l’allumer. La nuit était en train de tomber et la fraîcheur aussi. Sans m’adresser un seul mot, Gwendal ne tarda pas à me rejoindre, s’installant dans le lit que je venais de préparer. Il avait rangé le repas et mis la vaisselle à tremper dans le saut en bois. Fatigué par la journée, je décidais d’aller le rejoindre. Espérant qu’il abandonne enfin, je tentais de m’approcher de lui, et de le prendre dans mes bras. Gwen se tourna aussitôt de l’autre côté et m’ignora. Soupirant, je ne fis aucun commentaire, me promettant de crever l’abcès le lendemain, lorsque je reviendrais de la ville. Elle était à une bonne demi-journée de marche.

Le lendemain, je me réveillais à l’aube. Sortant silencieusement du lit, j’allais prendre une douche matinale. Avalant un rapide petit déjeuner, j’enfournais dans mon sac vide de quoi manger à midi. Attrapant un papier je laissais une petite note à Gwendal lui expliquant que je rentrerais tard ce soir. Je pris soin de la poser à côté de son petit déjeuner et pris le chemin de la ville.

Pour la première fois durant toute mon existence, je me sentis étrangement solitaire durant mon trajet. Je réalisais que j’étais en train de prendre gout à l’idée d’avoir un compagnon de voyage et l’idée me déplaisait malgré moi. Je ne voulais surtout pas être dépendant de quelqu’un où éprouver une attache pour qui que ce soit.

Et pourtant, Gwen ne quitta pas mes pensées de toute la journée. Est-ce qu’il allait bien ? Il m’était impossible de cacher mon inquiétude pour lui. Arrivé en ville plus tard que je ne l’aurais cru, j’achetais le nécessaire pour manger et pris le luxe d’acheter quelques vêtements de voyage plus confortables pour Gwen et de nouveaux pour moi. Ayant une mémoire visuelle, je ne pensais pas m’être trompé dans les tailles de vêtements. Je passais aussi chez un bouquiniste revendant mes livres pour en avoir de nouveaux. Une fois toutes mes courses finies je m’offris même le luxe de boire une bière au soleil dans un bar avant de prendre le chemin du retour.

Je n’arrivais que tard le soir, le soleil s’était déjà couché. Gwen était en train d’essayer pitoyablement d’allumer le feu et au vu de sa posture et de son énervement, je devinais qu’il était en train d’essayer depuis un moment. Posant mon sac, j’allais vers lui, décidé à lui apprendre quelque chose qui pourrait lui être utile.

- Est-ce que tu aurais besoin d’aide ? Lui demandais-je en m’approchant de lui.

Se tournant vers moi, il jeta rageusement son bâton dans le foyer du feu.

- Je n’y arriverais jamais ! Ca fait deux heures que je m’acharne sur ce maudit feu et je n’y arrive pas ! Et toi ! Cria-t-il. Qu’est-ce que tu faisais ! J’étais mort d’inquiétude de ne pas te voir revenir.

- Calme-toi Gwen… Ca a juste pris plus de temps que prévu… Tu sais bien que je ne t’aurais jamais abandonné, dis-je d’une voix posée.

- Mais il aurait pu t’arriver quelque chose. Peut-être que Thomas aurait pu te retrouver ou, je ne sais pas…

- Je vis seul depuis des années Gwendal et même si il y a des risques, il ne m’est jamais rien arrivé. Tentais-je de le rassurer.

- Menteur ! Quand on s’est rencontré, on venait de te poignarder…

- Et je suis toujours vivant Gwen… Je suis là…

Il n’en fallut pas plus à Gwendal pour s’effondrer brusquement en sanglots. Son petit corps fut secoué de spasmes et mon coeur se serra. Espérant qu’il ne me repousserait pas, je m’approchais lentement de lui et l’attirais dans mes bras.

 - Il ne m’arrivera rien Gwendal… Soufflais-je en passant mes bras autour de son corps.

Gwendal ne me repoussa pas et pleura encore plus fort avant d’ajouter entre deux sanglots.

- Tu ne peux pas dire ça… Tu ne sais pas…

Le serrant plus fort, je le consolais du mieux que je pouvais passant ma main dans son dos en une caresse réconfortante. Gwendal mit un temps fou avant de se calmer enfin. Cependant, il ne s’écarta pas lorsqu’il eut terminé de pleurer. Il resta là blotti tout contre moi. Ce fut son ventre qui gargouilla qui me fit le repousser gentiment avec un sourire :

- Et si je t’apprenais à allumer un feu et que l’on préparait à manger ?

Gwen acquiesça silencieusement. Patiemment, je lui appris à faire un feu et il s’avéra une fois de plus très bon élève. Cependant, il semblait toujours distant et rancunier. Alors que je sortais les provisions de mon sac et lui laissais choisir ce qu’il voulait manger, je finis par lui demander une fois de plus :

- Et si tu me disais maintenant, ce qui ne va pas ?

- Je voulais te punir, marmonna-t-il.

- Me punir ? Demandais-je, sans cacher ma surprise. Mais de quoi ?

- Parce que je t’en veux de t’être moqué de moi.

Je ne pus m’empêcher de dire en répondant :

- A cause de la rivière ?

Gwendal acquiesça et je ne pus m’empêcher de continuer à rire en repensant à ce moment là et à la tête qu’il faisait.

- Tu vois ! S’exclama-t-il. Tu le fais encore ! Tu te moques de moi. Ajouta-t-il boudeur.

Parvenant à arrêter mon fou rire, je le regardais alors avec tendresse avant de tenter de reprendre mon sérieux.

- Tu sais, Gwen, il faut que tu apprennes à avoir de l’humour sur toi-même et ne pas être susceptible comme ça. Je ne l’ai vraiment pas fait méchamment. Mais je m’excuse si ça t’a blessé… S’il te plait à l’avenir, dis-moi quand tu trouves que je vais trop loin. D’accord ?

Gwendal me sourit, enfin détendu, oubliant sa rancune. Nous finîmes de préparer à manger et je le laissais un instant pour aller me laver rapidement dans la rivière. Après cette journée de marche et la chaleur qu’il avait fait, je voulais me débarrasser de la crasse et de la sueur. Je fis pourtant très vite au vue de la fraicheur du soir et de l’eau glacée. Je reviens en courant jusqu’au feu, pour tenter de me réchauffer, m’asseyant tout près de celui-ci. Gwen me tendis mon assiette et nous mangeâmes en parlant de tout et de rien.

Lorsque nous en étions au dessert, je demandais à Gwen de me passer mon sac. Il s’exécuta et je me mis à fouiller dedans. Trouvant ce que je voulais, je tendis un sachet plastique à Gwendal. Il contenait un pull en laine qui lui tiendrait chaud lorsque l’été prendrait fin et que les nuits deviendrait de plus en plus fraiche, deux jeans, et quelques tee-shirts. Gwendal déballa le tout sous mon oeil attendri.

- Je… Merci Hayden… Mais il ne fallait pas, j’ai pleins de vêtements…

- Ceux-ci seront plus adaptés pour la vie que nous menons, dis-je avec un petit sourire.

- Merci, souffla-t-il à nouveau.

- Tu n’as pas à me dire merci, soufflais-je.

Nous entreprîmes ensuite de tout ranger et je ne rechignais pas à aller me coucher une fois que tout fut terminé. A ma plus grande surprise, j’eus à peine le temps de me mettre dans le duvet que Gwendal vint se coller à moi. Loin de le repousser, je le pris tout contre moi, soupirant de bien-être. Nous n’admirâmes pas les étoiles cette nuit là, fermant les yeux aussitôt, fatigués de notre journée. Ce fut blotti l’un contre l’autre que nous partîmes rejoindre le royaume des cieux.

A suivre… 

 

 

 

 

 

25
déc

Beyond the invisible - Chapitre 07

   Ecrit par : admin   in Beyond the invisible

 Chapitre 7 par Lybertys

Alors que j’avais perdu tout espoir de m’en sortir, alors que je m’étais abandonné à ses coups recroquevillé sur moi-même, je sentis une deuxième présence proche de nous. Il me semblait la connaître, mais dans mon état, je ne cherchais pas à faire d’effort particulier. J’étais bien trop abattu par les coups et la colère que cet homme versait sur moi. J’avais mal, bien plus intérieurement qu’extérieurement. J’avais fermé les yeux, ne voulant plus voir le visage de cet homme qui ressemblait tant à l’être aimé que j’avais maintenant perdu à jamais par ma faute. Soudain, je reçus un coup plus violent, et je ne pus réprimer un gémissement de douleur.

Peu de temps après, j’entendis un autre coup, mais ce n’était pas sur moi qu’il tombait. J’ouvris instantanément les yeux. Cette présence que j’avais ressenti n’était autre que Gabriel qui venait de me défendre, envoyant un terrible coup à mon bourreau, ne contenant lui non plus pas sa fureur. Celui-ci était étendu parterre, se remettant de la surprise et du coup qu’il venait de se prendre dans la mâchoire. Il lui jeta un air dédaigneux en se redressant, le haïssant de me protéger. Jamais je n’aurais imaginé être sauvé par Gabriel. Alors que je tentais de me redresser avec beaucoup de difficulté, affaibli par tout cet afflux de sentiments, l’homme reporta son agressivité sur moi, et me cracha au visage :

- A peine sorti et tu as déjà trouvé une nouvelle victime… Tu me dégoûtes Juha ! Où est donc passé l’amour incommensurable que tu disais vouer à Killian ? Tu n’es qu’une enflure, sale petite pédale…

Entendre son nom me fit aussitôt rechuter dix ans auparavant… Je n’aurais su quoi répliquer. Si j’avais entrouvert les lèvres, je n’aurais fait que hurler la douleur qui m’envahissait à l’instant présent. Une seconde fois, Gabriel vint à mon secours, car il s’écria :

- Hey ! C’est finit oui ? Tu n’es pas le bienvenue ici ! Alors tu vas être bien sage et tu vas repartir de là où tu es arrivé ! Et que je ne te reprenne pas dans les parages ou cette fois-ci tu ne t’en sortiras pas aussi bien !

Alors que l’homme allait pour protester, n’appréciant pas du tout d’être traité de la sorte, il le devança et déclara :

- Tu comprends le français ou il faut te faire un dessin ?

Il lui lança un regard meurtrier, avant de me dire avec la même haine.

- Fais bien attention à toi Juha, tu ne seras pas accompagné indéfiniment !

Je savais très bien qu’il n’allait pas me laisser en paix. Plus que tout il souhaitait ma mort. Voulant venger la vie de son frère qui n’était plus par ma faute. Il quitta enfin l’appartement en claquant violemment la porte d’entrée. J’étais maintenant vidé de toutes mes forces, et une proie facile à la souffrance qui continuait à émaner de Gabriel. Il resta un moment immobile à me fixer d’un regard impénétrable. Je sentais qu’il était en train de se poser un tas de questions à mon sujet, chose tout à fait normale après ce qu’il venait de voir.

Il finit par s’approcher de moi, et me tendit la main pour m’aider à me relever. J’hésitais un instant, ne sachant pas vraiment ce que ce contact allait provoquer chez moi. Mais vu l’état dans lequel je me trouvais, je ne voyais pas vraiment ce que cela allait pouvoir me faire de plus. Je finis par saisir sa main timidement. Il m’aida donc à me relever, avant d’aller prendre place dans le canapé qui meublait la petite pièce principale. Je n’aurais pas pu tenir debout très longtemps. Je tremblais encore légèrement de la confrontation que je venais de vivre. Je n’aurais pu lui dire combien je lui étais reconnaissant. Vidé de toutes mes forces, je m’étais fermé à tout ressentis, si bien que je ne sentis que très faiblement sa souffrance.

-  Je ne savais pas que tu étais adepte du masochisme ! Déclara-t-il, un sourire ironique étirant le coin de ses lèvres.

Cette remarque me détendit et me fit sourire légèrement. Sans vraiment le savoir, il venait de me tirer légèrement vers le haut. Dix ans que j’essayais d’oublier, et cet homme venait de me replonger dedans en quelques minutes de la manière la plus douloureuse qui soit. Ne tenant plus sur mes jambes, je vins m’asseoir dans le canapé à une distance tout de même raisonnable de lui. Je devinais qu’il n’allait pas se taire, et j’allais devoir lui rendre des comptes, ou du moins une réponse à la multitude de questions qui devait trotter dans sa tête. C’est très peu de temps après qu’il déclara :

- Je suppose que tu n’as pas l’intention de me dire qui était cet homme, je me trompe ?

Je n’avais aucune envie d’en parler, surtout avec quelqu’un d’étranger à toute cette histoire. Je ne voulais pas que ceux qui ignorent soit au courant. Pour moi c’était comme empreindre mon présent de ce passé qui me collait déjà assez à la peau. Seul mon silence lui répondit, et malheureusement il poursuivit :

- Si j’ai bien compris, tu étais l’amant de ce Killian ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi a-t-il  parlé de victime ?

Comment lui dire que j’étais un assassin ? Comment lui dire que j’avais tué l’homme que j’aimais le plus au monde il y a dix ans ? Jamais je n’avais pu le dire à voix haute ; cette simple phrase : « J’ai tué Killian »… A chaque fois que j’entendais son prénom, je me sentais doublement sombrer dans encore plus de douleur.

Il m’était impossible de lui répondre… C’était bien trop dur… Cela faisait bien trop mal ! Je ne voulais pas qu’il sache. Je ne voulais pas que les nouvelles personnes dont je venais à peine de faire connaissance, apprennent mon passé.

Face à temps d’éloquence de ma part, il se leva et déclara :

- Bon, ben puisque tu ne veux rien me dire, je n’ai plus rien à faire ici…

Je ne voulais pas qu’il parte. Sa présence était vraiment importante pour moi. A ses côtés, en cet instant, je me sentais vraiment rassuré. J’avais besoin d’être avec quelqu’un. Après ce que je venais de vivre je ne pouvais pas rester seul. Du moins, pas maintenant. Sans vraiment réfléchir, poussé par ma peur, je m’exclamais dans son dos :

- Attend !

Surpris, il se retourna pour me voir, debout, une main tendue vers dans sa direction. Tout mon être m’avait poussé à le retenir. Il me lança un regard interloqué, et gêné tout de même de cette situation, je bredouillais timidement :

 - Je… Tu peux… Tu peux rester ici… Cette nuit… S’il te plait ?

Il ne cacha pas sa surprise face à ma requête, et resta un moment silencieux, face à cette demande. A vrai dire, je trouvais maintenant ma demande ridicule. Qu’est ce qui le pousserait à rester là avec moi ? Il ne m’avait jamais apprécié. Mais il était celui qui venait de me sauver. Je priais pour qu’il ne soit pas indifférent à ma détresse. J’avais peur et je ne le cachais pas. Etonnement il me demanda :

- Tu répondras à mes questions ?

Je n’avais pas d’autre que choix que d’accepter.

- Ou… Oui lui murmurai-je en baissant les yeux. 

- Bien, répondit-il en refermant la porte. Tu as un téléphone s’il te plait ?

Je lui jetais un regard interrogateur, me demandant ce que cela venait faire dans la conversation. Il se justifia aussitôt :

- J’ai dis à Philippe que je ne rentrerais pas tard, je ne veux pas qu’il s’inquiète inutilement.

- Oh, je… Le téléphone est là, déclarais-je en le lui montrant du doigt.

- Merci, déclara-t-il simplement.

N’étant pas vraiment habitué à avoir quelqu’un chez moi, faisant appel à mon expérience datant de dix ans auparavant, je décidais de lui préparer quelque chose à boire. J’allais dans la cuisine, le laissant passer son coup de fil. Je lui étais vraiment reconnaissant de rester et me sentais déjà un peu mieux. Les coups que j’avais reçu étaient douloureux, mais la prison m’avait appris à les encaisser et à mieux les supporter. Alors que je m’activais à faire chauffer l’eau, je perçus Gabriel s’accouder à l’encadrement de la porte, ayant passé son coup de fil.

- Tu devrais soigner ça, déclara-t-il alors en s’approchant et en touchant délicatement du doigt la plaie que j’avais sur la tempe et de laquelle s’échappait du sang qui maculait ma joue.

- Oh… Oui, j’y vais, répondis-je d’une petite voix hagarde.

A vrai dire je ne me sentais pas très bien. Je m’étais vraiment forcé à aller lui préparer ce thé. La seule chose à laquelle j’aspirais, c’était m’asseoir et me remettre doucement. Il sembla s’en apercevoir, car il me prit la main et me guida jusqu’au canapé où il me força à m’asseoir, m’arrachant un hoquet de surprise.

- Reste là, m’ordonna t-il d’une voix ferme avant d’aller chercher la trousse à pharmacie dans la salle de bain.

Je me sentais encore plus gêné de lui imposer tout cela. Jamais je n’aurais pu me soigner seul dans mon état, et l’hôpital n’était pas une solution possible pour moi. Il revint quelques secondes plus tard, et s’assit en face de moi. Avec une délicatesse qui me surprit de sa part, il entreprit de nettoyer ma plaie. Puis brisant le silence, il me demanda d’une voix étrangement douce :

- Alors, qui était-ce ? Apparemment, il avait l’air de bien te connaître !

Je pris sur moi, je lui avais dit que je parlerais. C’est avec beaucoup de difficulté, me contenant déjà de pleurer que je disais :

- C’était le… le frère de Killian…

Prononcer son nom me faisait toujours le même effet. Les larmes coulèrent de mes yeux sans que je sache les retenir.

- C’était ? demanda-t-il intrigué.

Je ne pouvais me résigner à dire mort et Killian dans une même phrase. Après toutes ses années je n’avais toujours pas accepté sa mort, alors que c’était moi qui avait mis fin à ses jours. Peut-être que c’était ce qui rendait la chose plus difficile à accepter.

S’il y avait bien une chose que je voulais changer dans ma vie, une action sur laquelle revenir et la modifier intégralement, c’était bien celle-ci. Chaque jour je me sentais un peu plus coupable. Le frère de Killian n’avait fait que rendre apparente ma véritable peine. Si je pouvais sentir la souffrance des autres, la mienne était tout aussi pénible. Face aux larmes qui inondaient à présent mes joues, Gabriel ajouta :

- Il est mort ?

Je ne pus que hocher silencieusement ma tête, sentant mon âme hurlée à l’intérieur de mon corps à l’entente de ses mots. J’étais loin d’avoir fait mon deuil et rien ne m’avait aidé à le faire. Je traînais lamentablement mon passé avec moi. Gabriel n’avait rien ajouté après ça, et le silence devenait de plus en plus insupportable. Je me sentais plonger et si je ne voulais pas craquer devant lui, je devais à tous prix changer de sujet. Je pris la parole, après plusieurs minutes de silence gêné, changeant radicalement de sujet :

- Pourquoi es-tu ici ?

C’était vrai après tout, qu’est ce qui l’avait amené ici ? Ses joues s’empourprèrent violemment face à la question que je lui avais posé, et perdant toute consistance il murmura en bredouillant :

- Je… J’étais venu m’excuser pour mon comportement… L’autre jour, à l’hôpital… Donc voilà, je… Je m’excuse…

- J’apprécie ton geste, répondis-je, extrêmement touché par son geste. Et puisque le moment en est aux remerciements et au pardon, je voudrais te remercier pour ce que tu as fait tout à l’heure. Tu n’y étais pas obligé et pourtant, malgré nos différents, tu l’as fait quand même. De plus, tu as accepté de passer la nuit ici… alors merci, merci pour tout…

Le silence retomba. Je n’aurais pas été capable de tenir la conversation plus longtemps. Mes forces s’amenuisaient de seconde en seconde. Je le sentis alors porter son attention sur moi, me détaillant comme s’il me voyait pour la première fois. C’était peut être vraiment le cas, après tout, l’attention qu’il m’avait porté jusque là n’était pas extraordinaire. Ses yeux bleus foncés posés sur moi étaient finalement très agréables. Ce n’est pas en prison que j’avais connu ce genre d’attentions toutes simples. Je le sentais m’observer et pourtant il semblait être gêné de le faire, comme si la chose lui était interdite.

Cela commençait à me faire sérieusement douté de son orientation sexuelle, et me demandais si sa souffrance n’y était pas liée. J’avais encore le temps de trouver ce qui le rongeait, et ce n’était surtout pas le moment, j’étais loin d’être en état pour commencer à l’aider ou le faire parler.

A vrai dire, je n’étais pas dans un meilleur état que lui. Je ressentais maintenant un manque de Killian comme je n’en avais pas ressenti depuis longtemps. Dire que j’étais le seul responsable de sa disparition de cette absence mêlée de solitude que je ressentais chaque jour depuis qu’il nous avait quitté.

Alors qu’il continuait à me regarder, je le vis soudain s’écarter vivement comme s’il s’apercevait uniquement maintenant de ce qu’il venait de faire. Je lui adressais tout de même un regard interrogateur, me demandant pourquoi il réagissait de la sorte à sa propre attitude. Que cachait-il pour craindre de regarder les hommes ? Troublé par mon regard, il se leva et déclara d’une voix mal assurée :

- Je vais faire à manger, tu devrais te reposer pendant ce temps…

Sans attendre une réponse de ma part, il prit la direction de la cuisine. Je n’aurais jamais pensé qu’en si peu de temps il fasse autant de choses pour moi. Après tout, il ne me devait rien. Je profitais de son absence pour me laisser aller dans le fauteuil et fermer les yeux, profitant de ce temps pour me remettre les idées en place et éviter d’être totalement déstabilisé devant lui. Je n’arrivais cependant pas à ôter Killian de mon esprit. Se mourir d’amour pour quelqu’un plus de dix ans après sa mort, je m’en trouvais pathétique. Mais pouvais-je faire autrement ?

La prison m’avait laissé seul avec moi-même à ressasser l’événement le plus dur de toute ma vie. Jugé coupable de sa mort, je n’ai jamais cherché à le nier, car c’était réellement le cas. Je pris plusieurs fois de profondes inspirations, tentant de ramener en moi le calme. Peu à peu, j’arrivais à reprendre vraiment le contrôle de moi-même, me sentant un peu mieux. Mon corps meurtri allait être bien plus douloureux demain, mais ce n’était vraiment pas ce qui me gênait.

Ce qui m’inquiétais, c’était de savoir que maintenant le frère de Killian savait où je logeais, et reviendrait à l’attaque dans peu de temps. Vivre dans la crainte du lendemain n’était vraiment pas souhaitable. J’avais pourtant tout fait pour disparaître.

Lorsque j’entendis Gabriel revenir de la cuisine pour me chercher, je me redressais et le fixais, amusé de voir que mon regard le mettait mal à l’aise. S’il ne savait pas que je pouvais lire en lui, il sentait que quelque chose clochait et finissait par en être assez mal à l’aise.

- Tu viens manger ? Le repas est prêt, déclara-t-il simplement tentant de me masquer son trouble que je perçus bien évidemment sans aucun problème.

Il avait dressé la table, et préparé un petit repas simple. J’avais vraiment perdu l’habitude de cette vie à deux. Même si nous n’avions vécu que quelques années ensemble avec Killian, il me restait ce souvenir, cette impression…

Vu de l’extérieur en cet instant, nous semblions avoir l’air d’un jeune couple, et cela troubla tant Gabriel que le rouge lui monta aux joues. Je ne pus que sourire lorsque je le vis détourner le regard, il était en train de perdre toute crédibilité. Je découvrais une autre facette de lui, qui était très attendrissante, changeant de son air fier et arrogant. Seul avec moi, il ne semblait pas parvenir à garder son masque.

Inconsciemment il devait percevoir que j’en savais plus sur lui qu’il ne l’imaginait. Sa nourriture était très agréable, cela changeait de ce que j’avais pu manger en prison pendant toutes ses années. Seulement je devais avouer que je me sentais un peu mal à l’aise, n’ayant plus l’habitude de ce genre de repas assez intime.

Nous mangeâmes dans un silence religieux, seulement brisé par le bruit des couverts. Gabriel était plongé dans ses pensés, et ce silence me convenait parfaitement. A la fin du repas, il m’aida à débarrasser la table, et pendant que je faisais la vaisselle, il alla dans le canapé et regarda la télévision. Je le rejoignis peu de temps après, le trouvant absorbé devant une émission sur les peuples nomades. Sans bruit, je pris place à ses côtés. Il remarqua à peine ma présence, trop plongé dans son émission.

Je laissais aller à mon tour mon regard sur ces images de paysages qui semblaient faire rêver Gabriel. Peu à peu, sentant toute ma fatigue, mes paupières commencèrent à se fermer, et sans trop m’en rendre compte, je m’endormi, laissant tomber ma tête sur l’épaule de Gabriel. Le repos serait la seule chose qui pourrait m’aider dans le cas présent. Mon sommeil fut sans rêve particulier, mais ne fut pas d’un réel repos.

Couché ainsi en contact avec Gabriel, je ressentais même endormi, des émotions qui n’étaient pas les miennes, si bien que je restais finalement lié à la réalité, ne parvenant pas à atteindre le sommeil. Je ne connaissais pas vraiment le fond de sa pensée, mais je ressentais le profond trouble qui émanait de lui.

Peu à peu j’avais l’impression de me sentir tirer vers le fond de sa tristesse qui m’envahissait sans que je ne puisse rien faire pour l’arrêter. La tristesse était tellement forte que j’avais comme une envie de pleurer. Ce fut finalement par les sanglots bruyants de Gabriel que je fus tiré de mes songes. Je me réveillais donc en sursautant, faisant maintenant la nette séparation entre mes sentiments et les siens. D’une voix ensommeillée qui trahissait mon inquiétude je lui demandai :

- Gabriel ? Que se passe-t-il ?

Sans trop réfléchir, encore dans un demi-sommeil je posais ma main d’un geste hésitant sur son épaule, pour le retirer vivement. J’avais ressenti une douleur si vive qu’elle s’irradiait encore dans tout mon corps.

Je jurais intérieurement contre mon manque de prévoyance, et surtout contre l’hypersensibilité que je connaissais avec lui. J’étais une véritable éponge avec Gabriel. Un seul cas avait été similaire, et il était maintenant six pieds sous terre par ma faute. Prenant sur moi et instaurant cette fois-ci des barrières mentales plus solides, je posais ma main sur son épaule, résistant contre l’attaque de sa souffrance aux portes de ma conscience.

Nous restâmes très longtemps ainsi. Il pleura comme il devait rarement le faire et pourtant il en avait tellement besoin. Lentement ma main allait et venait dans son dos, dans une optique de réconfort, sentant que cela lui faisait le plus grand bien. Peu à peu il se laissa aller, jusqu’à s’endormir dans mes bras, les yeux rougis par les larmes et la fatigue bien plus tard dans la nuit. Même si la position était inconfortable au vu des coups que je m’étais pris, pour rien au monde je n’aurais mis fin à ce contact. Il m’était finalement tout aussi bénéfique que cela l’était pour lui. Tout contre lui, je devais avouer que je me sentais protégé.

Je ne dormis que très peu, passant une bonne partie de la nuit à aspirer sa douleur en moi et à la rejeter. Je savais que cela ne ferait que le soulager un temps, mais il aurait moins de poids sur les épaules et pourrait demain matin parvenir à se lever sans sombrer. Je savais que je le payerai demain mais quelque part, je préférais m’occuper de sa souffrance, cela me détournait de la mienne, m’offrant un peu de répit.

C’était quelque part une réaction assez lâche, aider l’autre pour avant tout s’aider soit même, mais le résultat nous arrangerait tous les deux. Je me rendais compte, plongeant au plus profond de lui même, que sa douleur était bien plus vielle que je n’aurais pu l’imaginer, et je me demandais comme il avait pu tenir jusqu’ici. Mon envie de l’aider bien plus fut augmentée en cette simple nuit passée l’un contre l’autre. Ce n’est que très tôt le matin que je finis par m’assoupir à mon tour.

Un peu plus tard je ressentis une pression sur mon torse, et un poids qui en fut enlevé. J’ouvris les yeux, émergeant assez vite de mon sommeil, vestige de la prison qui me resterait encore longtemps. Lorsqu’il était temps de se réveiller là-bas, il était fortement conseillé de ne pas s’amuser à traîner au lit. Je l’avais compris très vite, et cette habitude me resterait encore bien longtemps, tout comme le réveil assez tôt certain matin, m’attendant à entendre la sonnerie commune ou le bruit de la porte dans la nuit.

Tous les souvenirs de la veille me revinrent en mémoire, et c’est avec un amusement non-caché que je vis Gabriel horrifié de nos positions respectives. Etendu sur moi, mon torse lui avait servi d’oreiller. Devant son air hébété, un sourire amusé vint prendre naissance sur mes lèvres. Pris de panique, il tenta de se lever, mais sa tentative échoua lamentable. Nos jambes entrelacées l’en avaient empêché. Je faillis éclater de rire lorsqu’il se mit à rougir de plus belle.

Je tentais de reprendre mon sérieux, ne voulant pas le blesser dans sa fierté, trouvant en plus cela inutile vu son état de la veille. Nos rapports s’étaient largement améliorés et je ne voulais pas retourner en arrière. D’une voix douce et calme, je lui demandais :

- Ca va mieux ?

Il me lança un regard intrigué, ne semblant savoir où je voulais en venir. Voulant l’aider à se souvenir, je déclarais :

- Tu ne te souviens pas ? Cette nuit, tu t’es endormi dans mes bras après avoir pleuré…

Je n’avais pas besoin de mes aptitudes pour voir qu’il était en train de mourir de honte. Loin de moi cependant, l’idée de me moquer de lui, au contraire, mine de rien, je m’inquiétais pour lui. Un sourire amusé étirant mes lèvres je m’exclamais :

- Tu comptes te lever un jour ?

Réalisant alors notre position, il s’empourpra pour la seconde fois consécutive, et se hâta de se lever. J’en fis de même, en m’étirant longuement, dans un bâillement prononcé que je lui transmis. Amusé, je lui souris avant de prendre la parole :

- Tu veux manger quelque chose ?

Il hocha silencieusement la tête en signe d’acquiescement et il m’emboîta le pas à la cuisine. Comme je l’avais prédit la veille, mon corps était assez douloureux, mais l’habitude me permit de ne montrer aucun signe extérieur. Je survivrais très bien de toute façon.

Ce qui m’inquiétait c’était plutôt l’idée d’avoir à faire de nouveau au frère de Killian, et maintenant cette crainte serait à mes côtés chaque jour. Je fis chauffer l’eau dans la bouilloire, et posais sur la table le reste de pain et trois pots de confiture à moitié vides.

Sur mon invitation, il se sortit un bol et fouilla dans le placard. Bien que Dorian m’est un peu rempli le placard, il fallait à tout prix que j’aille faire les courses. Il revint à table avec un pot de Nutella à moitié vide et entreprit de se préparer sa tartine. Je ne mangeais pas beaucoup, n’ayant pas vraiment faim. Mine de rien, l’angoisse me coupait l’appétit. Je regardais Gabriel avec un sourire amusé s’appliquer à ne laisser aucun bout de brioche vierge de chocolat. Le voir tant appliqué dans sa tache, lui donnait un air enfantin qui changeait une fois de plus son image.

Une fois que cela fut fait, il lécha consciencieusement la petite cuillère avant de la reposer toute propre à côté de son bol. Nous mangeâmes silencieusement, jusqu’à ce que je lui demande :

- Alors cela fait combien de temps que tu travailles avec les chevaux ?

Apparemment surprit de ma question, il releva la tête de son bol et me fit face, affichant un regard assez sceptique. Pourquoi cherchait-il à ce point à ce que je moque de lui. Il mit un temps à comprendre qu’il n’y avait que de la simple curiosité dans ma question et il se décida enfin à me répondre :

- Je monte depuis que j’ai fait la connaissance de Philippe, soit un peu moins de sept ans. C’est grâce à lui que j’en suis là aujourd’hui, répondit-il.

- En tout cas, je suis impressionné par ton savoir-faire. Tu as l’air tellement à l’aise en leur compagnie…

Ma réflexion le fit sourire. Il semblait que j’avais visé juste. Je me remémorais Gabriel sur sa monture et la complicité qu’il avait avec ces animaux. Il sembla apprécier ma remarque, car cela le poussa à se prendre à la conversation. Il me demanda :

- Et toi ? Tu n’as pas l’air de t’y connaître beaucoup avec les chevaux. Tu faisais quoi avant ? Pourquoi avoir décidé de te lancer dans quelque chose dont tu ignores tout ?

Pris au piège par sa question, j’hésitais avant de répondre le premier mensonge qui me passa par la tête :

- Je… Je travaillais dans une entreprise d’informatique. Quant à savoir pourquoi je me suis lancé dans le domaine du cheval, je… C’est un peu une sorte de défis que je me suis lancé, de… De repartir à zéro et recommencer une nouvelle vie…

Je ne racontais pas que des histoires, il y avait du vrai dans ce que je disais. Repartir à zéro… Recommencer une nouvelle vie…C’était mon rêve le plus fou, et pourtant il me semblait depuis hier soir irréalisable. Je commençais à perdre l’étincelle d’espoir qui était né en moi depuis le premier jour où j’étais sorti de prison. Il ne sembla pas trop s’attarder sur mon hésitation et me sourit tout en déclarant :

- Si toi tu n’y connais rien en matière de cheval, moi c’est bien l’informatique et la technologie qui me font défaut ! C’est à peine si je sais comment fonctionne mon téléphone portable !!

Sa remarque me fit sourire, j’espérais tout de même qu’il ne vienne pas un jour me demander un conseil à ce sujet. Nous terminâmes notre petit déjeuner en silence. Puis, sur mon invitation, il alla prendre une douche rapide. J’allais lui chercher parmi les quelques vêtements que je possédais quelques uns et les lui posait au pied du lit.

Il me rejoignit peu de temps après, prenant place à mes côtés sur le canapé, et il déclara :

- Merci pour les vêtements.

- Je t’en prie, lui répondis-je en lui adressant un sourire qui se voulait le plus vrai possible. Bon, je vais me doucher, ajoutai-je.

Il ne répondit rien et alluma la télévision le temps que j’aille me laver. Je ne perdis pas mon temps, fermant les yeux sur les quelques bleus qui parcouraient mon corps. Certains endroits étaient plus douloureux que d’autres, mais pas au point de ne pouvoir bouger. Pour une fois j’étais redevable de mes années en prison, qui m’avait permis d’acquérir une certaine résistance.

Lorsque je fus prêt, nous quittâmes l’appartement et partîmes en voiture jusqu’au centre. Le trajet s’effectua dans le silence le plus total et pourtant, cela était loin d’être désagréable. Arrivé au centre, Gabriel gara sa voiture dans la cours, et alors qu’il allait descendre, je l’interpellais :

- Gabriel !

Il se retourna me lançant un regard interrogateur, me laissant le temps de poursuivre :

- Merci !

Il ne me répondit rien, ne m’adressant qu’un hochement de tête, et quitta la voiture. Après avoir fermé la porte de la voiture, il alla rejoindre Philipe qui lui avait sourit de la fenêtre de son bureau, me laissant seul. J’allais directement accomplir mon travail, saluant aux passages les autres employés. Je commençais donc, sachant que cela me permettrait de penser à autre chose et me ferait peut être oublier cette peur qui me prenait au ventre. Plongé dans mon travail, je n’entendis qu’après le deuxième appel, un autre employé :

- C’est bien toi Juha ?

Redressant la tête vers l’homme qui m’adressait la parole, je répondis simplement :

- Oui pourquoi ?

- Philipe veut te voir dans son bureau…

- Hn, merci de m’avoir prévenu.

- De rien, je n’ai fait que répondre aux ordres du patron.

Il repartit aussi vite qu’il était venu, sans un signe amical à mon égard. Il dégageait même quelque chose de plutôt négatif. Un frisson me parcourut le dos. Je lâchais donc ce que j’étais en train de faire, et me rendit directement jusqu’à son bureau. Je ne pus m’empêcher de m’inquiéter légèrement, ne sachant pas trop à quoi m’attendre. Arrivé à la porte, je frappais plusieurs petits coups secs. Ce fut lui qui m’ouvrit la porte, avec une voix chaleureuse qui fit baisser un peu mon stress :

- Et bien, rentre mon garçon…

Je pris place sur son invitation en face de son bureau. Il sortit un papier, qu’il posa sur son bureau, puis reporta toute son attention sur moi en me disant :

- Alors tu te plais ici ?

- Je… Oui… répondis-je surpris par la question.

- Tu as rencontré quelques soucis hier ?

Mon cœur s’emballa aussitôt, désirait-il me renvoyer ? Gabriel lui avait-il tout dévoilé ? Ma place ici était maintenant fortement compromise. Je dus devenir blanc comme un linge car il reprit la parole et me demanda :

- Ne t’inquiète pas, je veux juste savoir si tout va bien…

Je ne répondis qu’un petit oui, n’ayant pas le cœur de vraiment mentir. Je n’avais pas vraiment envie d’aborder ce sujet un fois de plus.

- Cette coupure sur la tempe… C’est lié à ton passé ?

Je hochais affirmativement la tête.

- Très bien Juha, je ne vais pas te dire ce que je pense de tout cela, ni émettre mon avis là-dessus. Je ne t’ai d’ailleurs pas convoqué pour cela. Je suis d’accord pour t’embaucher à plein temps, car je suis très satisfait de ton travail. Bien que tu n’y connaisses pas grand chose, tu apprends vite et tu es efficace. Du moment que tout ce qui est lié à ta vie personnelle n’interfère pas sur ton travail, alors je ne vois pas en quoi cela me gênerait. Es-tu d’accord pour signer ce contrat avec moi aujourd’hui ?

Je fus envahi d’un profond sentiment de reconnaissance vis à vis de ce que venait de faire Philipe pour moi. Rares étaient les hommes aussi bon, et j’étais content d’en avoir croisé un sur ma route. Grâce à lui, je pouvais tenter d’emprunter le chemin pour me reconstruire. Il m’offrait vraiment une seconde chance, et j’étais prêt à la saisir. Un sourire illumina mon visage et je lui répondis le seul mot qui me vint à l’esprit :

- Merci !

Il me tendit le papier à signer. Après une rapide lecture du contrat, faisait confiance à Philippe, je le signais. Je reposais le stylo et le papier sur le bureau. Le silence retomba entre nous deux jusqu’à ce que Philippe ne dise :

- Gabriel a dormi chez toi ? Vos rapports s’améliorent nettement. Je suis content. Je ne sais pas pourquoi, mais ta présence ne peut que lui être bénéfique.

Sa dernière remarque me laissa songeur et il le remarqua immédiatement, me demandant :

- Quelque chose ne va pas Juha ?

- Non c’est juste que…

- S’il y a un problème, n’hésite pas à m’en parler, qu’est ce qui te tracasse ?

Je décidais de ma lancer, après tout, je n’avais rien à perdre :

- C’est au sujet de Gabriel … Hier soir… Ou plutôt dans la nuit.

Je marquais une pause, hésitant un peu tout de même. Philipe m’invita du regard à poursuivre, chose que je fis après un légèrement inspiration :

- Il s’est mit à pleurer sans raison, pendant un bon moment… soufflais-je.

Je vis aussitôt Philipe pâlir devant moi. L’inquiétude qui émanait de lui était si forte que je ne pouvais la sentir sans même le toucher. Cela ne fit que me communiquer son inquiétude. Cela ne faisait que confirmer mes craintes. Je n’osais pas lui demander cette fois-ci l’origine de tout cela, bien que Philipe semblait connaître parfaitement Gabriel. Philippe se redressa et me dit assez rapidement :

- Merci de m’avoir prévenu Juha. Ne t’inquiète pas pour lui. Je vais aller le voir.

C’est ainsi que nous sortîmes du bureau côte à côte. Je m’arrêtais avant lui dans le box voisin, gardant avec moi une part de son angoisse à propos de Gabriel. Gabriel était dans le box voisin, si bien que je pus suivre la conversation discrètement. J’entendis Philippe lui demander :

- Tout va bien mon garçon ?

Gabriel se contenta de répondre un simple oui, qui ne convint pas à Philippe qui insista :

- Tu es certain ? Tu me parais fatigué en ce moment, tu te surmenages trop, peut être devrais-tu prendre quelques jours de repos…

- Non ! répondit-il assez sèchement. Ca va je t’assure ! C’est inutile de t’inquiéter, je vais bien le coupa-t-il précipitamment.

Je doutais clairement de ses paroles, tout comme Philippe devait le faire.

- Justement, je… Je pense que tu devrais annuler ta participation à ce concours…

Maintenant lié à Gabriel, je pus ressentir sa colère l’envahir. Il s’écria alors :

- C’est hors de question ! Je ne m’arrêterais pas aussi prêt du but ! J’ai bossé comme un dingue pour en arriver là, ne me demande pas de faire demi-tour maintenant.

Je savais à présent que rien ne l’arrêterait tant sa détermination était forte. Avec calme et patience, Philipe lui répondit :

- Je ne te demande pas de tout arrêter Gabriel, ne déforme pas mes paroles. Je te conseil juste d’annuler ce concours ! Tu auras d’autres occasions, de faire tes preuves.

- N’insiste pas Philippe, tu sais très bien que c’est inutile avec moi. J’ai pris ma décision et je ne reviendrais pas dessus, répondit-il intransigeant.

Il était maintenant très en colère, et ne faisait rien pour le cacher. Il quitta alors l’écurie, sans un regard pour moi lorsqu’il passa devant moi, pestant intérieurement. Philippe m’interpella alors, plus qu’agacé par l’entêtement de Gabriel :

- Juha ?

- Oui ?

- Je sais que ça va pouvoir te sembler bizarre que je demande cela mais peux-tu me rendre un grand service ?

- Bien sûr répondis-je aussitôt, comprenant qu’il s’agissait d’une chose liée à Gabriel.

- Est ce que tu peux faire attention à lui. Maintenant que vous vous êtes un peu rapproché, est ce que tu peux faire attention à ce qu’il n’aille pas au delà de ses limites et me prévenir s’il a vraiment un problème.

Je souris à sa demande. On aurait vraiment dit qu’il était en train de me confier son fils. Je répondis d’un hochement de tête, et il me rendit mon sourire avant de me remercier et de me souhaiter une bonne journée et de reprendre ses activités. N’ayant rien à faire de particulier, je décidais d’aller voir Gabriel monter son cheval dès que j’aurais fini ce box.

C’est ce que je fis, un quart d’heure plus tard, m’installant silencieusement sur le banc au bord de la carrière. Il ne s’aperçut pas vraiment de ma présence, trop concentré sur ce qu’il faisait. J’aurais pu le regarder monter pendant des heures. Je n’y connaissais rien et pourtant j’étais envoûté par ce spectacle. Ainsi, Gabriel était plus beau que jamais. Une heure plus tard, il mit fin à reprise, et descendit de cheval. Ce n’est que lorsqu’il sortit de la carrière qu’il s’aperçut de ma présence. Sans caché sa surprise, me voyant l’observer en souriant, il me demanda avec son tact habituel :

- Quoi ?

- Rien, je regarde juste ce que tu fais, répondis-je sans me départir de mon petit sourire qui, je le savais maintenant, avait le don de le mettre mal à l’aise.

Il me répondit rien, et prit la direction de l’écurie. Je lui emboîtais le pas, et c’est côte à côte que nous arrivâmes au box d’Orphée. Je pouvais ressentir, en plus de le regard, la surprise et l’étonnement des palefreniers et des moniteurs. Nous voir ainsi tous les deux, après avoir assisté à nos récurrentes prises de bec était effectivement surprenant. Je ne prêtais guère plus d’attention à eux.

 Alors que Gabriel était en train de s’occupé d’Orphée, j’étais accoudé contre le porte du box. Sa colère était encore là, mais elle était maintenant mêlée à pleins d’autres sentiments. Je finis par briser le silence qui s’était installé entre nous :

- Alors comme ça, tu prépares un concours ? Je… Je t’ai entendu en parler avec Philippe tout à l’heure, avouais-je, face au regard qu’il me lançait, omettant volontairement quelques détails.

- Hn… Oui, se força-t-il à répondre. Il est dans quinze jours.

J’étais moi-même étonné des progrès de notre relation. Il y avait à peine vingt-quatre heures nous nous ignorions encore. Prenant vraiment part à la conversation, je lui demandais :

- C’est un concours de quoi ? C’est ce que tu faisais toute à l’heure avec Orphée ?

- Oui, je lui faisais revoir les figures qui sont évaluées lors du concours…

- Tu as peur ? demandais-je sachant pertinemment que c’était le cas.

- Un peu m’avoua-t-il. Je m’entraîne depuis longtemps et ce concours c’est vraiment la chance de ma vie. Le remporter c’est un peu prouver à tous que je suis capable autant qu’eux de faire quelque chose et de parvenir au bout de mes ambitions. Je ne suis pas particulièrement intéressé par le prix du concours pour l’argent à proprement dit, mais il est vrai que la somme promise me permettrait de me lancer dans mon projet. C’est pour cela qu’il me tient tant à cœur… Tu vas peut être trouvé ça bête mais…

- Non, m’exclamais-je alors, je ne trouve pas ça bête, au contraire. Tu as de l’ambition c’est bien, cela prouve que tu sais ce que tu veux faire de ta vie, tu es acteur et non spectateur de ta vie comme beaucoup le sont.

Il représentait ce que je n’avais jamais eu le courage de faire depuis dix ans. Je ne faisais maintenant que me laisser porter. J’avais eu foi dans la vie avec Killian et maintenant je n’arrivais plus à retrouver ce qui pouvait me pousser à avancer par moi-même. Je ne pouvais donc qu’être admiratif de Gabriel.

- Hn, répondit-il simplement, méditant apparemment sur ce que je venais de lui dire.

- Quel est ton projet ? Demandais-je alors.

- Hein ? me demanda-t-il, semblant ne pas avoir écouté ma question.

- Tu parlais d’un projet toute à l’heure. C’est quoi ce projet ?

- Je voudrais faire un élevage de chevaux américains comme Orphée et les entraîner pour devenir des champions… J’aimerais avoir mon propre ranch, être mon propre patron et ne pas avoir à travailler pour les autres. Je ne dis pas que Philippe est un mauvais patron, au contraire, mais ce n’est pas pareil. Travailler pour soi c’est en quelque sorte un défi que l’on se lance… Et puis, c’est aussi une preuve que les rêves peuvent parfois devenir réalité… Et toi, me demanda t-il, après un instant de silence, tu as un rêve que tu aimerais réaliser ? Un projet d’avenir ?

L’avenir… Ce mot me semblait bien fermé. Le frère de Killian venait en plus de l’obscurcir encore plus. Et puis, au plus profond de moi-même, je m’interdisais de penser à quelque chose de joyeux pour le futur. J’avais ôté la vie de la personne que j’aimais plus que tout, plus que moi-même, et la culpabilité était bien trop forte pour relever la tête. De plus, je venais tout juste de sortir de prison, alors quel projet d’avenir envisager… Je répondis hésitant, en même temps que je pensais :

- Moi ? Euh… Si tu as un but précis, moi contrairement à toi, à défaut bien sur, je me laisse porter par la vie pour le moment. Il me faut un peu de temps pour m’en re… pour aller de l’avant. 

Nous aurions pu arrêter cette conversation ici, et tout serais allé, mais il fallut que Gabriel me demande, non sans une certaine hésitation :

- C’est… C’est à cause de Killian ?

Entendre son prénom me faisait l’effet d’un poignard planté en plein cœur. J’avais mal et je ne pouvais cacher cette douleur à Gabriel. Je ne pus répondre à sa question que par le silence. Je me trouvais ridicule d’être déjà en train de retenir mes larmes. Gabriel reprit alors la parole, semblant embêté de m’avoir posé cette question :

- Désolé, je ne voulais pas te blesser. Cela ne me regarde pas…

- Ce n’est rien, répondis-je d’une petite voix tremblante que je ne parvenais pas à contrôler. Oui… C’est lié à… à Killian…

- Cela va sûrement te paraître indiscret comme question, tu n’es pas obligé de répondre, mais il est mort depuis combien de temps Killian ?

- Cela va faire onze ans le mois prochain, répondis-je après quelques secondes de silence.

- Il serait peut être temps de passer à autre chose, tu ne crois pas ?

- Je… Je sais, mais c’est toujours plus facile à dire qu’à faire… Il y a parfois des circonstances qui font que même si je souhaitais oublier, je ne peux pas…

Je n’allais certainement pas lui donner la raison, mais comment oublier la mort de son amour alors même que c’était vous l’assassin. Je m’en voulais finalement de lui en cacher autant et de ne pouvoir être pleinement moi-même. La conversation commençait à glisser sur un terrain dangereux, et heureusement que nous entendîmes Dorian appeler Gabriel de l’autre côté de l’écurie :

- Gabriel ?

- Je suis là, répondit-il sans pour autant sortir du box.

- Dis, tu as du temps libre devant toi ? lui demanda Dorian.

- Je peux arranger ça pourquoi ?

- Il faudrait que tu pares les pieds de Kadaj ! On part en promenade cet après midi et il manque un cheval…

Je me sentais totalement étranger à la conversation, ne comprenant pas tout le vocabulaire que tous deux employaient. Gabriel répondit :

- Hn… Je m’occupe de ça après avoir fini avec Orphée…

- Merci c’est super sympa ! S’exclama-t-il. Hey, mais vous vous êtes toujours pas entretués ? Ajouta-t-il avec un air cynique qui je le sentis ne plut pas du tout à Gabriel. J’aurais dû me douter qu’avec sa gueule d’ange et son cul de dieu, je ne le garderais pas longtemps…

Je me sentais horriblement gêné qu’il dise cela devant Gabriel. A dire cela, Dorian venait de baisser dans mon estime. Heureusement Gabriel lui répliqua sèchement, prenant indirectement ma défense et la sienne.

- Ce n’est pas parce que tu collectionnes les conquêtes d’un soir et les culs des mecs qu’on est tous comme toi ! Heureusement qu’il reste encore quelques mecs bien qui ont encore une morale et savent l’utiliser et l’appliquer à bon escient.

J’aurais espéré me tromper et pourtant ce n’était pas le cas : la jalousie qui émanait de Dorian était assez forte pour que je la ressente de là où je me tenais. Ainsi, il était jaloux de la nouvelle relation que je débutais avec Gabriel. Il n’avait rien à craindre, je ne faisais que l’aider, je ne voulais pas m’investir sentimentalement, sachant les risques que cela entraînerait. Killian l’avait payé de sa vie.
Dorian ne répondit rien à Gabriel mais se tourna vers moi et demanda :

- Tu veux que je te ramène ce soir ?

- Oui, je veux bien, merci.

A vrai dire, avec ce qu’il s’était passé hier, je n’avais aucune envie de rentrer seul.

- Tu es bien arrivé ce matin ? Pas trop longue la route ?

- Non, c’est… Gabriel m’a amené… dis-je hésitant.

C’est alors qu’il sembla remarquer un détail car il s’approcha de moi et l’observa longuement, réussissant à me mettre mal à l’aise :

- Mais, vous vous êtes battus ? Demanda-t-il surpris.

Mon cœur s’emballa, je ne voulais surtout pas qu’il sache. Que Gabriel soit au courant, cela suffisait largement. Aussitôt, je cherchais une excuse, mais je ne parvenais pas à en trouver une plausible. C’est bredouillant que je finis par répondre :

- Non, ce… C’est rien, je… Je me suis prit l’angle d’un placard…

C’était l’excuse la plus nulle et ridicule que l’on pouvait trouver. Je vis Dorian lancer un regard sceptique et accusateur à Gabriel qui le soutint sans sourciller. Je lui étais grandement reconnaissant de ne pas dévoiler ce qui s’était passé hier et de garder le secret.

C’est avec soulagement que je vis que Dorian n’insista pas. Après un dernier regard à mon égard qui me mit encore plus mal à l’aise, il tourna les talons et quitta les lieux.

Je restais encore avec Gabriel, le regardant aller chercher un morceau de pain pour sa monture. Puis il attrapa un licol et alla chercher Kadaj au pré. Je le suivis, voulant profiter encore un peu de sa compagnie qui était depuis hier soir très agréable. Gabriel ne fit aucun commentaire. Il était toujours impressionnant de le voir évoluer avec les chevaux.

Dix minutes plus tard, Kadaj était attaché et mangeais tranquillement dans son filet à foin, tandis que Gabriel se préparait à le ferrer. Je pris place à quelques pas de là, pouvant ainsi l’observer sans le gêner. Assis sur une balle de paille, je restais attentif au moindre de ses gestes. Si Gabriel était d’abord mal à l’aise, il finit par ne plus faire attention à ma présence et commença à limier le pied de l’animal. Etonné, et voyant cela pour la première fois je craquais au bout de quelques minutes et lui demandai :

- Qu’est ce que tu fais ?

- Je lui pare les pieds, afin de pouvoir le ferrer.

- Tu peux pas poser le fer tout de suite ? Demandais-je.

- Non, il faut vérifier les aplombs avant…

Mes questions trahissaient mon manque de connaissance et je lui étais reconnaissant de me répondre. Profitant de sa bonne volonté je continuais :

- Et ça lui fait pas mal ?

- Non, pourquoi veux-tu que cela lui fasse mal ? Cela te fait mal toi quand tu te coupes les ongles ?

- Euh… non…

- Et bien pour lui c’est la même chose, répondit-il patiemment.

Le silence s’installa une nouvelle fois. Je savais que je posais beaucoup de questions, mettant les nerfs de Gabriel à rude épreuve. Mais pendant dix ans je n’avais rien vu du monde extérieur et ma curiosité était maintenant accrue. C’est pourquoi je ne résistais pas à demander encore :

- Cela fait longtemps que tu sais faire ça ?

- Plus ou moins… Trois ou quatre ans pas plus…

- Oh… Tu as besoin d’aide ?

Fatigué par mes questions incessantes Gabriel arrêta ce qu’il était en train de faire pour se redresser et me faire face :

- Tu as pas du boulot à terminer ?

Blessé, je répondis simplement :

- Euh…excuse moi de t’avoir dérangé…

Alors que je commençais à m’éloigner, j’entendis Gabriel pousser un soupir d’exaspération et de la lassitude avant de déclarer :

- Tu peux rester… mais tais-toi !

- Promis ! Répondis-je en retournant m’asseoir sur la balle de paille.

Une heure et demi plus tard, ou pas une seule fois je ne posais une question, il eut enfin fini de ferrer Kajad. Après de longues caresses pour le remercier de sa patience et de sa gentille, Gabriel le ramena au pré. Je le suivis, tout aussi sagement que je l’avais observé. Nous nous rendîmes ensuite côté à côté au réfectoire. J’avais de plus en plus de facilité à me faire à sa souffrance. Maintenant identifié à lui, j’arrivais à faire la très nette séparation entre mes sentiments et les siens.

Certes cela me demandait de l’énergie, mais cela valait le coup. Sa présence était en réalité très agréable. Assez solitaire, tout comme moi, nous passions de long moment sans échanger quoi que ce soit, se supportant l’un l’autre sans trop de difficulté. Dans le réfectoire, nous croisâmes Marion, mais Gabriel ne lui adressa qu’un regard désintéressé. Il continua son chemin et alla s’asseoir à table. Je pris place en face de lui. Nous mangeâmes silencieusement, échangeant de temps en temps quelques mots.
Dans l’après-midi, je retournais à mon travail, laissant Gabriel travailler seul.

La douleur était bien présente et était gênante au vu de mon travail physique, mais étant résistant, je parvins à la cacher aux yeux des autres palefreniers. Je ne vis à aucun moment Dorian, mais ne m’en formalisait pas davantage. 

Ce ne fut qu’en fin d’après-midi que je rejoignis Gabriel, le trouvant en train de graisser sa selle et son filet. Concentré sur sa tâche, il ne me vit pas arriver et sursauta lorsqu’il se rendit compte de ma présence. Il leva brusquement les yeux et vit le petit sourire moqueur que j’affichais. Il me lança un regard meurtrier pour la forme, qui ne me fit ni chaud ni froid, avant de reprendre son travail.

- Il faut le faire souvent, demandais-je par curiosité ?

Le voyant reposer son pinceau sur la table en soupirant de lassitude, je regrettais de lui avoir posé cette question. Il me demanda alors dans répondre à la mienne :

- T’en as pas marre avec tes questions ?

Puis, après un nouveau soupir, il répondit :

- Environ une fois par moi.

Satisfait de sa répondre, je n’ajoutais rien, sachant qu’il n’en supporterait pas plus et qu’il avait déjà fait beaucoup. Une chose était sur, je n’avais pas fini d’en baver avec son fort caractère. Je restais avec lui, jusqu’à ce que Dorian vienne me chercher :

- J’y vais, si tu veux que je te ramène c’est tout de suite ! déclara-t-il.

- J’arrive, répondis-je.

J’adressai un sourire à Gabriel et après un rapide « à demain », je partis en compagnie de Dorian. Nous montâmes dans la voiture, et partîmes en direction de nos appartements. Il y avait quelque chose qui clochait chez Dorian, et je n’aurais su dire quoi. Il me cachait quelque chose parmi sa foule de sentiments, et je n’arrivais pas à le desceller. Peut être était-ce aussi dû à ma fatigue…

J’inspirais profondément, tentant de faire le vide en moi pour recevoir ses émotions et les démêler les unes des autres. Il y avait d’abord la jalousie qu’il ressentait toujours envers Gabriel et notre relation naissance, et puis, cette attirance qu’il avait encore pour moi. Alors que j’étais concentré sur ses sentiments, Dorian me demanda :

- Alors, tu t’entends mieux avec Gabriel ?

- Oui, nos rapports se sont améliorés, me contentais-je de répondre.

Le silence retomba, laissant Dorian songeur, jusqu’à ce qu’il me demande :

- Ca te dit de passer boire un coup chez moi avant de rentrer chez toi ?

- Oui pourquoi pas, répondis-je sans trop réfléchir.

En réalité, j’avais surtout peur de rentrer chez moi. Je savais que son invitation n’était pas dénuée d’un certain intérêt caché, mais je pouvais très bien refuser. J’allais entrer dans son jeu, il voulait se jouer de moi, mais j’allais me servir de lui. Je savais que ce n’était pas bien, mais je ne voulais pas rentrer seul maintenant. La journée finie, Gabriel n’étant plus à mes côtés, je réalisais que ma peur de la veille ne m’avait pas quitté. J’avais l’impression d’être un condamné en sursis. J’en venais même à regretter d’être sorti de prison… Nous nous garâmes devant chez lui. Il me dit alors :

- J’ai quelques courses à faire, ça te dérange ?

- Non ça tombe bien, moi aussi, je n’ai toujours pas fait les miennes.

C’est ainsi que nous nous retrouvâmes dans le supermarché du coin une petite heure avant la fermeture à faire nos courses. Nous ne perdîmes pas de temps, tout aussi fatigué l’un que l’autre.

Rapidement nous nous retrouvâmes chez lui, en train de boire un verre, parlant de choses et d’autres, assis côte à côte dans son canapé. Je le sentais s’approcher au fur et à mesure de moi, mine de rien. Je faisais semblant de ne rien avoir remarqué. Une chose était sure, je ne lui céderai pas. J’avais passé une fois du bon temps avec lui, cela ne se reproduirait pas. De plus je n’étais vraiment pas en état, et n’avais aucune envie qu’il voit les hématomes qui parsemaient mon corps. 

Soudain, il me posa une question qui semblait lui trotter dans la tête depuis un moment :

- Comment ça se fait que Gabriel t’ai amené ce matin ? Que s’est-il passé en une nuit ? Tu lui as montré tes charmes.

Je répondis assez froidement :

- Ce qui s’est passé entre nous la dernière fois ne m’arrive pas tout le temps. Je ne couche pas avec n’importe qui, n’importe quand.

- Hum… C’est pas ce que j’aurais cru la dernière fois… D’ailleurs, je ne pense pas que je suis n’importe qui maintenant…

Il se rapprocha alors dangereusement de moi. Je n’aimais pas du tout sa manière de faire. J’en venais à me demander comment j’avais pu coucher avec cet homme. Je devais vraiment être en manque. Il glissa dans mon coup. Sentir son souffle chaud n’avait cette fois rien d’agréable, au contraire, je trouvais cela écœurant. Il me murmura, tentant de me chauffer, mais réussissant parfaitement à faire l’inverse :

- Ca ne te tenterait pas de…

Je m’écartais aussitôt, allant le plus loin possible de lui à l’autre bout du canapé.

- Non ça ne me tente pas ! Répliquais-je. Je suis venu boire amicalement un verre avec toi. Je ne suis pas uniquement là pour écarter les jambes quand tu en as envie !

Vexé, Dorian démarra au quart de tour et déclara :

- Que je sache, c’est toi qui t’es mis à poil devant moi la dernière fois !

Je ne répondis rien, sentant qu’il allait rajouter quelque chose dans peu de temps. Et c’est ce qu’il fit, laissant libre court à de la jalousie pure :

- Ca y est ?! Je ne te satisfais plus ? Tu as trouvé mieux ? Tu crois que tu va pouvoir baiser Gabriel ? Tu crois que ce petit con prétentieux vaut mieux que moi ?

- Tu délires complètement, dis-je très calme, ne répondant pas à son agressivité. Arrête de voir Gabriel partout, arrête de psychoter sur le sujet et surtout de juger Gabriel sans le connaître.

- Ah ça y est ! Parce que tu as passé un peu de temps avec lui, tu te prends pour son ami, son plus fidèle défenseur. Je vous souhaite tout le bonheur du monde tous les deux.

- Je te remercie Dorian. Jamais je ne t’aurais imaginé comme ça. Tu viens de me dévoiler ton vrai visage. Si je comprends bien, tout ce que tu as fait pour moi, c’était pour me baiser ? Tu croyais que j’allais continuer à coucher avec toi en échange de ton aide. Et bien je te souhaite une bonne nuit, tu peux cesser de faire tous ces efforts, maintenant que tu sais qu’ils sont inutiles.

Je me levais, attrapais mes courses dans la cuisine et sortit de chez lui sans un mot, le laissant méditer dans son salon à mes derniers mots. Je pensais rentrer chez moi, prendre une douche et aller me coucher après manger. J’avais beaucoup de sommeil en retard et je ne voulais surtout pas perdre bêtement mon travail pour de la fatigue. Je sortis donc dehors, saisi par le froid qui était arrivé en même temps que la nuit tombante.

Alors que je fis mes premiers pas à l’extérieur, je sentis comme une présence. Je ne mis pas longtemps à trouver qu’elle ressemblait étrangement à celle de la nuit derrière. Elle se trahit d’ailleurs d’elle même par la haine qui passait au delà de lui et que je ressentais. Pris d’un violent frison, je tournais vivement la tête pour ne voir que la rue vide dans la pénombre de la nuit. Les battements de mon cœur s’amplifièrent aussitôt. Sans réfléchir je me mis à courir aussi vite que je le pouvais, comme si ma vie en dépendait… C’était le cas…

J’entendis des pas derrière, je me risquais tourner la tête et vis le frère de Killian me courir après. Mon cœur battait tellement vite que j’avais l’impression qu’il allait sortir de ma poitrine. Terrifié, je rassemblais toutes mes forces et je courus encore plus vite comme jamais je ne l’avais fait. J’étais littéralement mort de peur, je tenais fermement mon sac de course, sans trop savoir pourquoi je m’acharnais à le garder. J’étais maintenant sur : je ne voulais pas mourir.

Si j’avais tenté une fois d’attenter à ma vie en prison au cours de la première année, ce n’était plus le cas. J’en gardais encore une très légère marque sur le poignet gauche. Et si on le regardait avec attention, on pouvait voir une très fine cicatrice que j’étais toujours parvenu à cacher aux yeux de tous. Après cette épreuve, j’avais compris que la seule manière de payer sa mort était de continuer à vivre avec cette culpabilité. Mourir serait fuir la réalité, fuir la mort de Killian et mes actes affreux.

Arrivé dans mon immeuble, je rentrais sans cesser mon allure, me ruant dans les escaliers. Je n’allais pas prendre le temps d’attendre l’ascenseur. J’entendais ses pas derrière moi, et surtout sa voix qui me hurlait des insultes. Arrivé à mon étage, essoufflé, je cherchais ma clef totalement paniqué. J’avais l’impression de mettre des heures. Lorsqu’enfin, je trouvais la clef, je me remerciais mentalement de ne pas avoir fermé le verrou le matin. J’eus du mal à ouvrir, saisis de tremblements plus violents les uns que les autres. Lorsque, enfin, la porte s’ouvrit, j’entendis qu’il était tout près. J’eus juste le temps de me faufiler chez moi et de refermer la porte, m’attaquant directement au verrou, que je l’entendais déjà frapper et hurler derrière la porte.

- Assassin !! Ouvre cette porte Juha ! Tu ne fais que fuir ce qui arrivera inévitablement.

Le sac me tomba des mains et je me ruais à l’opposé de la pièce. Je me collais contre le mur, m’asseyant par terre, rabattant mes jambes contre moi retrouvant une position fœtale qui était la plus rassurante. Mon cœur battait à tout rompre, comme s’il se battait pour sa vie. J’étais effrayé comme jamais, mes tremblements étaient incontrôlables.

A chaque coup frappé à la porte, j’enfonçais un peu plus la tête dans mes épaules. Je pleurais de terreur. Je sursautais violemment lorsque le téléphone à côté de moi sonna. Espérant que ce soit Gabriel, je le saisis et décrochait aussitôt pour entendre des insultes et des menaces. Chaque mot sorti de la bouche du frère de l’homme que j’avais tué m’enfonçait un peu plus dans ma panique et ma douleur. Je raccrochais, gardant dans mes mains le combiné qui se remit à sonner à peine deux secondes plus tard. J’appelais plusieurs fois vainement à l’aide. Il fallait que tout cela cesse, ou mes nerfs ne tiendraient pas.

Je ne sus combien d’heure dura cela, des heures bien plus terribles que mes dix années de prison, plongé dans la terreur la pire au monde. Je n’eus pas conscience de l’heure où il cessa enfin. Je n’avais pas bougé d’un pouce, totalement replié sur moi-même. Il fallait que quelqu’un vienne. Je ne pouvais pas rester comme ça. J’avais besoin d’aide et je me tournais vers l’unique personne qui allait pouvoir me l’offrir. Je composais son numéro, sans trop savoir comment, et attendit que Gabriel décroche, trouvant chaque tonalité plus longue à chaque fois. Lorsqu’il décrocha enfin, il me sembla l’entendre dire :

- Qui que vous soyez, savez-vous qu’il est plus de trois heures du matin ?

Je n’avais même pas conscience de l’heure. J’essayer de parler, mais les mots restèrent bloqués dans ma gorges, ne laissant échapper que des sanglots. D’une voix tremblante, Gabriel demanda alors :

- Juha ?

Ma langue se délia enfin et je pus seulement dire paralysé par l’angoisse :

- Gabriel… Ne… Ne me laisse pas seul…

- Juha !? Répéta-t-il, apparemment abasourdi. Qu’est-ce qui t’arrive ?

Noyé dans mes sanglots, j’étais incapable d’aligner trois mots cohérents. Comment lui expliquer ce qui venait de se passer. J’étais mort de peur, je souffrais et j’avais besoin de lui. Je n’avais personne sur qui comptait, et Gabriel était le seul à pouvoir m’aider. Je continuais malgré tout à tenter de lui faire comprendre quelque chose, mais il finit par s’exclamer :

- J’arrive ne bouge pas !!

Je tenais toujours fermement le combiné contre moi, ne bougeant pas et continuant de pleurer bruyamment. Je ne cessais de me répéter qu’il allait arriver dans peu de temps et pourtant chaque minute ne me semblait jamais trouver de fin. Heureusement, je lui avais donné le double de chez moi dans la matinée, au cas où. Je ne serais jamais parvenu à me lever pour aller lui ouvrir. Cloué au sol j’avais l’impression que tout cela ne prendrait jamais fin.

Lorsque je le vis arrivé enfin, il eut un temps d’arrêt lorsqu’il m’aperçut : là, recroquevillé à même le sol dans un coin de la pièce, serrant le combiné de téléphone qui sonnait toujours. Je relevais vers lui un visage trempé de larmes, l’implorant mentalement de m’aider. Gabriel se précipita vers moi et me pris dans ses bras. Trop inquiet et préoccupé par moi, sa souffrance était cachée et ne m’atteins pas directement. Je n’étais de toute manière pas en état d’être réceptif. Il me prit dans ses bras, et me sera contre lui en me murmurant à l’oreille des paroles rassurantes et réconfortantes, la voix tremblante d’émotions :

- Chut… Je suis là… Tout va bien…

Je n’aurais su décrire le bien que Gabriel me prodigua. Au creux de ses bras, je sentais la protection que j’avais désirée pendant ces heures de terreur. Mais plus encore, j’avais l’impression pour la première fois depuis dix ans d’être protégé. Voilà maintenant bientôt onze ans que je ne n’avais pas eu ce genre de contact tendre, alors que j’en avais eu plus que besoin durant toute cette période.

Ses bras m’enveloppaient et faisaient régner une atmosphère de douce chaleur. Je commençais à me laisser aller peu à peu. Ses pensées à mon sujet étaient tout aussi rassurantes que son étreinte. Je lui étais tellement reconnaissant de ce qu’il m’apportait. Il était en train de m’offrir bien plus que tout ce que j’avais pu avoir en plus de dix ans. 

Je me jurais alors intérieurement que j’apporterais toute mon aide à Gabriel et me promettais qu’un jour, sa douleur n’existerait plus dans son cœur. Epuisé, vidé de la moindre de mes forces, je me laissais tant aller dans ses bras que je finis par m’y endormir, fuyant un instant cette réalité, allant trouver le repos dans des cauchemars…

Lorsque j’ouvris les yeux, je me trouvais dans mon lit. Mes yeux papillonnèrent pour s’habiter à la lumière, jusqu’à ce que je réfléchisse aux événements de la veille, ne me rappelant pas m’être couché. Il ne me fallut pas longtemps pour me remémorer le tout : Dorian, le frère de Killian, l’appel au secours désespéré à Gabriel, son aide…

Je compris alors la boule que j’avais dans le ventre depuis ce matin. Je m’étirais, ménageant mes muscles encore meurtris pas les coups de l’avant veille, et me redressait avant de me lever vraiment. Je vis Gabriel allongé sur le canapé, dormant profondément. Je choisis de le laisse dormir, aujourd’hui était un jour de repos.

 En réalité, je n’étais vraiment pas envie de me retrouver tout de suite face à lui. J’avais terriblement honte qu’il m’ait vu dans l’état de la veille et aussi terriblement gêné de l’avoir fait venir en plein milieu de la nuit. Je me rendais donc discrètement à la cuisine, attrapant au passage, mon sac de course posé à l’entrée la vielle dans la panique. Heureusement, il n’y avait presque aucun produit frais. Je déballais rapidement les courses, et décidais de préparer un café. J’en avais tout autant besoin.

Mon programme de la journée allait être simple, j’allais surtout me reposer. Je regardais un moment par la fenêtre, le temps que le café chauffe. Il faisait un temps aussi maussade que ne l’était mon esprit. Les gros flocons de neiges virevoltaient dans le vent et le ciel était nuageux. Je frissonnais, de nature assez frileuse, rien qu’à l’idée de me retrouver dehors par ce temps.

Une fois le café prêt, je m’en servis une tasse généreuse et me rendais dans le salon. C’est au moment où je me mis devant lui qu’il ouvrit les yeux. Je tentais de lui sourire cachant ma gêne, plus que nerveux d’être face à lui. Maladroitement je lui demandais :

- Tu… Tu as bien dormi ?

- Hn… Répondit-il, agacé par ma question.

Je pouvais tout à fait le comprendre.

- Je… Je m’excuse…

- Hn… me répondit-il simplement, apparemment agacé.

- Je comprends que tu m’en veuilles, mais je… Merci d’être venu…

- Hn… Ouais…

Ne voulant pas m’appesantir plus longtemps sur le sujet, je lui demandais très mal à l’aise :

- Tu… Tu veux manger quelque chose ?

- Hn… Oui, s’il te plait.

Je lui adressais alors un petit sourire d’excuse et repartit dans la cuisine. Je revins quelques minutes plus tard avec une tasse de thé fumante que je posais sur la petite table à côté de lui.

- Merci, déclara-t-il simplement en se redressant.

Il déjeuna en silence, chose qui me convins tout à fait, je n’étais pas d’humeur à parler et était surtout trop fatigué. Il resta encore un moment avant de rentrer au centre et de me laisser seul. A peine eut-il fermé la porte que je partis m’étendre sur mon lit. Je fermais les yeux sans même m’en rendre compte et sombrais dans un profond sommeil. 

Les semaines qui suivirent passèrent à une allure folle. Je n’eus aucune nouvelle du frère de Killian à mon plus grand soulagement, sachant que ce n’était cependant qu’une question de temps. Je profitais au mieux de ce répit. Gabriel revint dormir plusieurs fois chez moi. Notre relation allait en s’améliorant. La dispute que j’avais eu avec Dorian nous avait éloignés et nous ne conservions plus qu’un simple rapport de collège de travail.

Nous étions maintenant la veille du concourt de Gabriel et il me communiquait son stress à chaque instant. Cependant, cela lui permettait d’oublier un peu sa douleur, m’offrant un répit de ce côté là. A son insu, je continuais lorsque j’en avais l’occasion à travailler en profondeur sur lui, tentant de rechercher l’origine de son mal, sachant maintenant qu’il ne se confesserait pas comme cela.

Je venais de finir une réunion avec Philipe et tous les employés pour l’organisation du centre demain, comme tous deux serait partit pour le concourt de Gabriel. Je faisais partit des personnes qui restaient là, à s’occuper du centre. Satisfait de mon travail, j’avais le droit à de plus en plus de responsabilités et aussi plus de liberté.

Mon travail étant lui aussi terminé, j’allais directement rejoindre Gabriel. Je le trouvais en train de finir de s’occuper d’Orphée, lui glissant consciencieusement une couverture sur le dos. Lorsqu’il me vit, accoudé à la porte du box en train de l’observé, il répondit à mon sourire. Je lui demandais alors d’une voix qui se voulait calme pour tenter d’éviter d’attiser son stress :

- Tu veux venir boire un verre à la maison, histoire de te changer les idées avant demain ?

Le laisser tout seul n’était pas vraiment une bonne idée, et j’étais sur qu’il passerait une meilleure soirée avec moi, qu’à se stresser tout seul dans son coin et à se torturer l’esprit. Heureusement il accepta ma proposition en répondant :

- Hn… Ouais, pourquoi pas.

Même s’il ne me le dit pas explicitement, je sentis qu’il était heureux de ma proposition et semblait me remercier mentalement. Il quitta le box d’Orphée après une dernière caresse et me suivit, faisant une halte dans la sellerie afin de préparer son matériel pour demain. Puis il prit la direction du bureau de Philippe et revint avec les clefs de la voiture.

Nous montâmes dans la voiture et nous prîmes la direction de mon studio. Le trajet se fit dans un silence monastique, seulement interrompu par les chants brutaux qui s’échappaient de ses enceintes. Plusieurs fois, je me surpris à jeter un coup d’œil vers lui. Je n’aurais su dire quoi, mais je lui trouvais quelque chose de très beau ce soir là. Peut être étais-ce dû à la tension qui tendait ses traits. Je me sentais étrangement envahie d’un sentiment que je n’avais pas connu depuis longtemps.

Un petit quart d’heure plus tard, nous étions installés dans le canapé, une tasse de chocolat chaud à la main.

Aucun de nous ne semblait vouloir prononcer la première phrase. Depuis deux semaines, Gabriel et moi étions en meilleurs termes et notre relation s’était renforcée. Certes nous n’étions pas encore les meilleurs amis du monde, mais c’était déjà cela. Nous arrivions à avoir des conversations sérieuses, bien que je restais totalement muet sur mes peurs qui me poussaient à l’appeler plusieurs fois la nuit. Il en savait déjà suffisamment. Pour rien au monde maintenant, je ne voulais briser l’amitié naissante entre nous. Car c’était ce que je pensais, une fois que Gabriel saurait, il ne serait plus jamais le même avec moi.

Comment réagir face à un homme qui vous révèle qu’il est allé en prison et pire encore pour un meurtre ? J’en avais mal rien qu’à l’idée de sa réaction si jamais il l’apprenait. Je préférais me taire sur ce sujet, qu’il ne découvre jamais ma vrai nature, qu’il ne voit que le Juha de surface, le Juha que je m’étais construit. Je savais ne faire que repousser l’échéance, et que la chute serait bien plus difficile à affronter, mais je n’avais pas le cœur à me priver encore de quelque chose. Malgré moi, je le sentais, je m’attachais de plus en plus à Gabriel, bien plus que je ne le voulais.

Heureusement, ce sujet n’avait pas pour projet d’être abordé ce soir, c’était plutôt l’épreuve de demain qui était au centre de ses préoccupations. Je finis par briser le silence, sentant que le stress était trop fort en lui demandant :

- Tu veux manger quelque chose ?

- Non, cela ira merci. Là tu vois, j’ai plus envie de me vider l’estomac que de le remplir.

J’émis un petit rire amusé et ajoutai :

- Je m’en doute bien, mais il faut que tu manges si tu ne veux pas t’écrouler demain… Un plat de pâtes ça te dit ?

- Hn… répondit-il à contrecœur, mais résigné.

Il se leva avec moi et me suivit dans la cuisine, mettant la table pendant que je mettais de l’eau à chauffer. Dix minutes plus tard, nous étions assis à table l’un en face de l’autre, à parler du concours et de l’organisation de demain. Un moment, hésitant, Gabriel déclara :

- Je… J’aimerais te demander un petit service.

- Je t’écoute, répondis-je, curieux de voir ce qu’il allait me demander.

- Je mettrais Niladhëvan dans un box avant de partir demain et j’aimerais que tu t’occupes d’elle pendant mon absence… Enfin, seulement si tu es d’accord… Si tu veux pas je te force pas hein ! Tu fais comme tu veux…

- C’est d’accord… Je m’occuperais d’elle, répondis-je, trop heureux de la confiance qu’il mettait en moi.
Mieux encore, il m’adressait un sourire soulagé chargé de remerciements qu’il me murmura tout bas :

- Merci…

Je ne pus que lui répondre par un sourire, sentant mon corps s’emballer étrangement. Il me sembla voir ses joues prendre une légère teinte rosée, et je le vis détourner les yeux et reporter son attention sur son assiette. Plus le temps passait et plus je constatais la beauté de Gabriel.

Le repas se termina en silence et à la fin de celui-ci, nous retournâmes au salon, une tasse de thé dans la main. Assis côte à côte, aucun de nous n’osait briser le silence qui régnait dans la pièce. Tout proche de moi, je pouvais sentir le flot d’émotions en lui. Amusé, je finis par lui poser une question dont la réponse était évidente :

- Alors ? Stressé ?

- Plus que tu ne l’imagines, répondit-il.

- Pourquoi ? Il n’y a pas de raisons…

- Et si je me plantais demain ? M’interrompit-il.

- Et si tu arrêtais de dire des conneries… Je ne m’y connais pas beaucoup dans ce milieu, mais j’ai vu depuis que je suis arrivé combien tu as travaillé, et il n’y a aucune raison que tu te plantes, dis-je, tentant de le raisonner.

Et c’était vrai, je le pensais vraiment. A l’avoir vu évolué, pour moi Gabriel avait toutes ses chances de gagner. Pourtant, il répliqua :

- Mais tu comprends pas ! Il y aura vraiment des cracks demain ! J’aurais l’air de quoi moi, pauvre petit clampin tout droit sortit d’ma campagne…La seule chance que j’ai c’est d’assurer un max demain, et vu comme s’est partit, je suis plutôt mal barré…

Plus il parlait, plus j’avais du mal à détacher mes yeux de son visage. Ses cheveux châtain clair encadraient les traits fins de son visage, animés par sa détresse pour le concours de demain.

- C’est bon, déstresse ! Et puis, même si tu te plantais, tu auras d’autres occasions… Franchement, pourquoi tiens-tu absolument à ce que tu te plantes demain ? Prend confiance en toi, Gabriel… Tu as les capacités pour y arriver et je sais que tu y arriveras… Si toi tu n’as pas confiance en toi, moi si…

Je n’aurais jamais pensé en dire autant. J’avais dis plus que ce que je ne l’aurais voulu. Il ne répondit rien, mais ancra son regard au mien. Il était en train de se passer quelque chose, et j’étais incapable de l’arrêter. J’allais toujours plus profondément dans ses yeux bleu foncé qui avaient quelque chose de troublant. Je me laissais porter par l’action, ne prenant pas le temps de réfléchir sur l’acte que j’allais accomplir.

Et plus je le sentais, il semblait en avoir autant envie que moi. Lorsque mes deux lèvres se posèrent sur les siennes, un afflux d’émotions y transparut, avant que sa peur ne vienne prendre sa suprématie. Toujours porté par cet instant, je vins quémander l’entrée de ses lèvres, voulant malgré moi soudain bien plus. Soudain, Gabriel qui jusqu’alors n’avait pas bougé me repoussa brusquement.

- Quelque chose ne va pas ? Demandai-je alors, surpris et frustré malgré moi.

- Ah parce qu’en plus t’as pas compris ! Tu viens de m’embrasser, bien sûr que ça va pas ! S’exclama-il hors de lui.

- Tu avais l’air d’en avoir tout autant envie que moi, répondis-je, blessé.

Pire encore, je réalisais uniquement maintenant ce que je venais de faire. L’embrasser, c’était aller bien trop loin, surtout au vu de mes erreurs passées.

- Est ce que j’ai l’air d’aimer embrasser les hommes ! Tu pourrais au moins t’excuser ! Répliqua-t-il sur un ton qui ne me plu pas du tout.

- M’excuser ? Je ne vois pas pourquoi… C’était à ce point désagréable ? Est ce que ça t’a dégoûté ? Est ce que je te dégoûte ?

- Je…

- Tu ?

Comment pouvait-il se mettre dans un état pareil juste pour un baiser ?

- Rah ! Laisse tomber, s’exclama-t-il avant d’aller s’enfermer dans la salle de bain en claquant violemment la porte.

J’étais presque effrayé par cette réaction tellement démesurée par rapport à l’acte lui-même. J’en venais même à oublier tout ce qui était mes propres problèmes liés à ce qui venait d’être fait. Je venais de commencer à faire ce que je m’étais interdit depuis le début. Et pourtant, ce que je ressentais n’était pas que de la simple attirance purement sexuelle. Malgré toute ma volonté, je n’avais pu empêcher ces sentiments et les repoussaient maintenant de toutes mes forces.

J’accourais devant la porte de la salle de bain maintenant close. Je pouvais sentir cette même souffrance que j’avais connue depuis notre premier contact, décuplé par mille. Quel était ce mal qui le rongeait et quel lien pouvait-il avoir avec ce simple baiser ? Pourquoi cet acte le mettait dans un état pareil ? Que lui avait-on fait ?

Je l’avais ressenti pourtant cette envie lorsque nos lèvres s’étaient touchées. Il n’avait même pas retiré ses lèvres tout de suite, il était resté jusqu’à ce que je tente d’aller plus loin dans le baiser. Ce n’était qu’une esquisse de baiser et elle nous avait tous les deux bouleversé. Il semblait se dérouler un combat intérieur violent en Gabriel, et je ne pouvais rien faire pour l’aider.

De l’autre côté de la porte, je ne savais même pas quoi lui dire. Il semblait maintenant tellement apeuré, plongé dans cet état où il souffrait tant. J’avais de plus en plus de mal à faire la séparation de nos sentiments et pourtant je savais que c’était un terrain dangereux. Il fallait que cela cesse, il ne fallait pas qu’il tombe encore plus bas. Je lui demandais à travers la porte d’une voix très inquiète :

- Gabriel… Sors de la salle de bain… S’il te plait…

- Laisse-moi ! Je ne veux pas te voir ! me répondit-il d’une voix tremblante.

J’en avais maintenant la certitude, il pleurait. Je m’en voulais tellement de l’avoir mis dans cet état. J’étais totalement désemparé.

- Je m’excuse Gabriel, je ne savais pas que cela te mettrait dans un tel état, repris-je d’une voix qui cachait de moins en moins mon inquiétude. Je m’excuse, répétais-je, mais je t’en supplie, sort de cette pièce…

Après un moment de réflexion qui me parut durer des heures, il finit par consentir à m’obéir. Il ouvrit la porte lentement, et sortit sans même m’adresser ne serait-ce qu’un coup d’œil. Voir ses larmes me serra violemment le cœur. Il alla dans le coin qui faisait office de chambre et ouvrit le placard afin d’en sortir une couverture. Je n’osais pas bouger, ni esquisser un geste ver lui. Puis il retourna sur le canapé pour s’y allonger, remontant la couverture sur sa tête, ignorant mes tentatives d’excuses. J’étais tellement mal d’être fautif d’un tel état :

- Je suis sincèrement désolé Gabriel… Je… Je ne pensais pas que tu le prendrais aussi mal… Je te promets que c’était la seule et unique fois… Je ne tenterais plus rien, je t’en donne ma parole… Je suis désolé… Gabriel… Dis quelque chose…

Je n’en pouvais plus de ce silence. De plus il m’était impossible de sentir sa souffrance et de ne pouvoir rien y faire. Heureusement il se retourna enfin, plongeant son regard dans le mien.

- Pourquoi ? Me demanda-t-il.

- Pourquoi quoi ?

- Pourquoi tu m’as embrassé ?

Je ne m’attendais pas à cette question, et je ne savais pas quel pouvait être la meilleur réponse, hésitant je commençais :

- Je sais pas, je…

- Tu ?

- Ca m’est venu comme ça… Je sais pas pourquoi… Peut être que j’en avais envie…

Je ne voulais pas lui dire la vérité, tout était bien trop complexe, trop de choses à cacher…

- Et ça te prend comme ça ? Tu embrasses beaucoup de monde sans leur demander leur avis ? Répondit-il avec une pointe de cynisme qu’il ne cherchait pas à dissimuler.

Et avant que je n’ai le temps de répondre, il se retourna de nouveau, me tournant le dos.

- Je…

- Bonne nuit, me coupa-t-il, n’ayant plus aucun envie de parler avec moi.

Je restais totalement immobile. Je ne savais plus vraiment quoi faire. Le regard posé sur sa nuque, je tentais de voir plus clair en lui, de découvrir l’origine de son mal. Il en souffrait tellement, que j’en venais à douter qu’il se confesse un jour. Pourtant il devait parler, que ce soit à moi ou à une autre personne ; c’était la seule chose qui pourrait le tirer de là. Je n’arrivais à rien ainsi.

J’avais beau repousser au maximum les limites de son esprit, il était trop enfermé et protégé par la souffrance qui déferlait sur moi dès que je parvenais un peu trop loin. Je finis par m’éloigner, n’arrivant à rien. Je rangeais un peu avant d’aller me coucher à mon tour, pour ne trouver le sommeil que bien plus tard…

Le lendemain matin, je ne fus pas le premier à me réveiller. J’entendais du bruit dans la cuisine. Il ne me fallut que peu de temps pour me remémorer ce qui s’était passé la veille. Mon cœur se serra alors à ce souvenir.

Ce fut particulièrement gêné que je me levais et allais rejoindre Gabriel dans la cuisine. Un afflux de stress me saisit lorsque je pénétrais dans la pièce. Encore à moitié endormi, je n’avais pas fait attention à me protéger. Gabriel était assis en train de finir son thé et sa tartine de Nutella. Je lui adressais un « bonjour » timide auquel il ne prit pas la peine de répondre, annonçant ainsi tout de suite la couleur. A peine j’eus le temps de me préparer un café que Gabriel s’était déjà levé et déclarait le plus impersonnellement possible :

- Je vais me laver.

Je ne répondis rien et de toute manière, je n’aurais pas eu le temps de le faire. Je ne bus que ma tasse de café, n’ayant pas très faim. Une fois que Gabriel fut sortit de la douche, j’allais prendre la mienne. L’atmosphère qui régnait entre nous était insoutenable et j’étais finalement heureux qu’il ne soit pas là aujourd’hui étant le jour de sa compétition. Après une douche rapide, j’eus à peine le temps de m’habiller que déjà Gabriel m’attendait tout prêt, assis sur le canapé à regarder la télévision. Il l’éteignit lorsqu’il me vit arriver, et alla mettre son manteau. Je fis de même.

Une fois dans la voiture, le silence régna de plus belle. Il n’avait même pas mis sa musique habituelle pour le masquer. C’est ainsi que nous arrivâmes sur le parking et que Gabriel était en train de se garer. Je savais que c’était la dernière fois que j’allais le voir de la journée, et sachant l’épreuve qu’il allait bientôt passer, je ne voulais pas que l’on se quitte comme ça. C’est pourquoi je déclarai avant qu’il n’ait le temps d’ouvrir la portière afin de sortir :

- Gabriel attends.

- Quoi ?! dit-il très sèchement tournant alors sa tête vers moi.

- Ce que je vais te dire n’a rien à voir avec ce qui s’est passé hier soir. Je tiens juste à te souhaiter bonne chance pour ce concours. Je croiserais les doigts pour toi, et je suis sûr que tu gagneras la première place.

- Hn… déclara-t-il simplement, avant d’ouvrir cette fois-ci réellement la portière et de sortir de la voiture.

Je fis de même, blessé qu’il réagisse de cette manière pour une simple erreur de notre part. Car je n’étais pas le seul fautif. Notre relation qui s’était tellement améliorée était maintenant retombé en chute libre.
A contre cœur, je pris une autre direction que la sienne, allant accomplir mon travail. J’espérais vraiment de tout cœur qu’il réussisse ce concours, et mon propre stress était maintenant venu se mêler au sien. Je me rendais aux écuries lorsque j’entendis la voix de Philippe au loin m’appeler :

- Juha, viens par ici s’il te plait.

Intrigué, je m’exécutai, parcourant les quelques mètres qui nous séparait. 

- Qu’y-a-t-il ? Demandais-je, en remarquant aussitôt l’état semblable à celui de Gabriel dans lequel il se trouvait.

- L’employé qui devait faire le lad de Gabriel vient de m’appeler, il est malade et ne pourra pas venir. Tous les autres sont occupés, alors je n’ai que toi… Tu viens donc avec nous deux pour le concours. Je pense que tu en es tout à fait capable.

- Je… dis-je hésitant, ayant honte de mon ignorance. Je veux bien, mais en quoi cela consiste-t-il ?

- A l’aider à s’occuper de son cheval, le préparer… Et apporter toute l’aide nécessaire à Gabriel. Et puis comme tu es en de bons termes avec lui, je me suis dis que ce serait mieux pour Gabriel.

- C’est que…

Devais-je lui parler d’hier. Au fond de moi j’étais content de pouvoir l’aider, mais la situation était loin d’être propice à cela. Comment aller réagir Gabriel lorsqu’il serait au courant ? Allait-il redevenir le même qu’au début de notre rencontre ? Est ce que le début d’amitié qui s’était lié entre nous était définitivement terminé. Je m’en voulais tellement d’avoir cédé à ma pulsion… J’avais tout gâché. Mais Philipe me coupa dans mes réflexions et déclara :

- Bon si tu n’as rien me dire, on y va, tu vas nous aider à rassembler les affaires, nous on va mettre la monture de Gabriel dans le van.

Nous allâmes donc rejoindre Gabriel qui n’était apparemment pas au courant de la décision de Philipe car il me dévisagea lorsqu’il me vit arriver avec Philipe. J’étais très mal à l’aise, et je sentais parfaitement une sorte de haine vis à vis de moi. Gabriel était en train de finir de rassembler ses affaires pour le concours, si bien qu’après un regard meurtrier à mon égard, il reporta toute son attention sur ce qu’il était en train de faire. Ce fut Philipe qui prit la parole :

- J’ai trouvé le remplaçant de Tom.

- Ah ? Qui c’est ? demanda Gabriel sans prendre la peine de relever les yeux vers nous.

- Tu pourrais au moins me regarder quand je m’adresse à toi, ce n’est pas parce que tu stresses que tu dois en oublier la politesse.

Etonnamment Gabriel céda, lâchant un léger soupir. Il se tourna vers nous et déclara lorsqu’il s’aperçut que j’étais toujours là :

- Qu’est ce qu’il fout là lui ?

- Gabriel ! Dit Philippe en haussant le ton. Juha va venir avec nous, c’est ton lad, le remplaçant de Tom.

- Quoi ??! cria presque Gabriel.

- Gabriel, je ne le répèterai pas deux fois. Arrête tout de suite ce comportement. Juha va t’aider aider, c’est le seul qui est disponible pour le faire et je pense que cela sera bénéfique pour vous deux.

Gabriel marmonna quelque chose pour la forme, exprimant ainsi son mécontentement, mais ne vint pas contredire la décision de Philippe.

- Juha, apporte tout le matériel que vient de rassembler Gabriel à l’avant du van, nous devons partir ou alors nous serons en retard.

Je m’exécutais aussitôt pendant que Gabriel et Philippe allait chercher son cheval. Durant tous les préparatifs, Gabriel m’ignora superbement, plus que je ne pouvais le supporter. Cela ne pouvait pas durer, c’est pourquoi alors que Philippe nous attendait dans le van avec Orphée, je coinçais Gabriel un peu à part :

- Tu vas continuer longtemps comme ça ?

- De quoi tu parles ? demanda-t-il agacé, feignant l’ignorance.

- Gabriel, oublions ce qu’il s’est passé hier soir, nous allons travailler ensemble et je ne voudrais pas que tu rates ton concours pour un simple bais…

- C’est bon ! Me coupa Gabriel, comme s’il ne voulait pas entendre le dernier mot. Aller, viens, on est déjà en retard.

Je ne répondis rien, agacé par cette attitude tout de même capricieuse et enfantine de sa part. Nous nous retrouvâmes donc tous trois dans le van. Je ne savais pas combien de temps durerait le trajet. J’étais assis à côté de la fenêtre, Philipe conduisait et Gabriel prenait son mal en patience entre nous deux, fixant Orphée par le biais de la caméra de surveillance.

Je tentais au mieux de reporter toute mon attention sur le paysage qui défilait pour ne pas me synchroniser avec le stresse de Gabriel. Seuls quelques paroles furent échangées entre lui et Philippe, puis quelques ordres et conseils me furent donnés pour l’arrivée. Après deux bonnes heures de routes, je devinais à leur excitation que nous allions bientôt arriver. Jamais je n’avais connu ce genre d’ambiance.

Ce fut le cœur battant que nous arrivâmes enfin. Tout se déroula très vite. On amena Orphée dans un box préparé à son attention, portant toutes les affaires nécessaires. Il y avait beaucoup de monde, et la tension qui régnait entre chaque personne était épuisante. J’aidais Gabriel au mieux, tandis que Philippe allait régler les papiers avec les organisateurs du concours. Orphée aussi était passablement excité, mais en le comparant avec la plupart des autres montures il avait un tempérament assez calme et posé. Gabriel était silencieux, tentant de se concentrer au mieux pour l’événement qui allait suivre.

Philippe revint un moment après avec de quoi boire et manger un peu. Il força Gabriel à avaler un petit quelque chose, et je dus faire de même n’ayant finalement pas très faim non plus. Après un repas succin, nous finîmes de préparer Orphée et nous nous rendîmes dans une carrière qui était faite pour détendre les chevaux et les échauffer avant de passer devant tout le monde pour le concours. Je l’accompagnais en silence, Philippe était allé rejoindre les gradins après lui avoir donné les dernières recommandations.

Nous étions donc tous les deux et je savais que c’était la dernière occasion pour lui dire ce que j’avais sur le cœur. Jamais ne n’avais ressenti une personne stresser autant. Lentement, je posais ma main sur son bras, en un geste si doux qu’il ne se sentit pas le moins du moindre agressé. Il tourna alors la tête vers moi. Mentalement je tentais de le rassurer et d’absorber une partie de son agitation, puis je déclarais plantant mes yeux dans les siens :

- Au plus profond de moi, je sens que tu en es capable, plus que tous ceux présents ici, je crois en toi Gabriel, je n’ai qu’une seule chose à te dire : Fais toi confiance…

Si Gabriel ne me répondit rien, à travers mon contact avec lui et son regard, je sentais qu’il avait envers moi une profonde reconnaissance. Mes simples mots l’avaient-ils touché à ce point ? Aucun son ne sortait pourtant de sa bouche et je commençais à me sentir sérieusement mal à l’aise. C’est alors qu’il mit une fin étonnante à mon supplice, après un léger sourire il me dit tout simplement « merci », avant de déposer à ma plus grande surprise me désarçonnant totalement, un simple baiser sur la joue.

Totalement déstabilisé, je cessais de marcher, le laissant pénétrer seul dans la carrière. Que venait-il de faire ? Qu’est ce que voulait dire ce geste ? Malgré moi, le rouge me monta légèrement aux joues, me signifiant que je rougissais. Je ne m’attendais vraiment pas à ce geste venant de sa part, surtout après le scandale qu’il m’avait fait pour un simple baiser. Gabriel était déjà en train de monter lestement sur sa monture, et tentant de retrouver mes esprits, je vins me mettre sur la barrière et le regardait évoluer avec les autres.

Orphée semblait être parfaitement à l’écoute de Gabriel qui semblait maintenant avoir fait le vide en lui. La concentration que l’on pouvait lire sur son visage, lui donnait un air encore plus charmant et attirant. Je repensais au baiser, à la chaleur de ses lèvres sur les miennes et au bien que cela m’avait procuré. Puis ce baiser sur la joue m’avait finalement troublé, je ne savais pas vraiment ou cela allait nous menait.

Car, même si je me refusais à ressentir quoi que ce soit pour lui, quelque chose était bien là et présent, et je ne pouvais aller à l’encontre. Je tentais de me persuader que jamais je ne répèterais la même erreur, qu’il y avait des circonstances différentes avec Killian. La question qui venait alors, c’est où allait mener ce genre de relation avec Gabriel ?

Soudain, le son des haut-parleurs annonça le début du concours, donnant l’ordre de passage. Gabriel passait le dernier. Je ne savais pas si cela était bien ou non pour lui, et c’est à ce moment là qu’il vint me voir en me tendant son pull. Il semblait avoir trop chaud.

- Prêt ? Lui demandais-je en levant la tête afin de pouvoir le regarder droit dans les yeux.

Gabriel me sourit et me répondit très fermement :

- Plus que jamais !

Il fit virevolter son cheval, et repartit au petit galop, dans le but de l’échauffer et le détendre encore un peu. Il semblait enfin déterminé et avait trouvé toute son assurance et sa confiance. Ce ne fut qu’une heure après, une fois que je lui avais apporté un peu d’eau qu’on hurla son nom et celui de Orphée afin qu’il passe. Mon cœur semblait battre aussi fort que le sien. Je l’accompagnais jusqu’à la grande carrière de concours, voulant être présent jusqu’au bout. Au regard qu’il me lança avant d’y aller vraiment, je sentis qu’il m’en était reconnaissant.

Je me reculais un peu mais restais à peu près à la même place. Je n’avais pas vu les autres, mais il était impressionnant comme Gabriel et Orphée semblait être à l’écoute de l’un de l’autre. Orphée était tout aussi concentré que Gabriel. Il se plaça au milieu de la carrière, attendant qu’on lui dise de commencer.

J’avais tellement envie qu’il gagne. Tous ces sentiments, ces ambiances qui circulaient étaient totalement nouvelles pour moi, et pour une fois je me laissais porter par cette agitation. Cependant, je restais toujours en lien avec Gabriel. Mon regard posé sur lui ne le quittait pas un seul instant. Le signal du départ fut donné et Gabriel entama ce qu’il avait répété depuis des mois.

Mes doigts se croisèrent et j’espérais de toutes mes forces qu’il fasse le meilleur score. Je n’arrivais même pas vraiment à écouter les commentaires qui semblaient complimenter Gabriel. L’épreuve ne durait que quelques minutes et pourtant elle me semblait durer des heures. La grâce avec laquelle Orphée exécutait les demandes de Gabriel était d’une beauté à couper le souffle. Lorsque ce moment pris fin, je ressentais presque un regret que cela ne dure pas plus longtemps.

Je tournais alors ma tête vers tous les spectateurs et en particulier les jurys, ils semblaient tous être tombés sous le charme. Je ne savais pas encore les résultats il était en train de décompté ses points, mais je savais qu’il allait gagner, j’en avais même la certitude. Gabriel qui s’était arrêté au milieu de la carrière revint alors vers moi, un grand sourire sur ses lèvres qui cachaient un peu la tension qui l’habitait.

Lorsqu’il arriva à ma hauteur, il descendit de son cheval, les mains légèrement tremblantes. Je ne pus me retenir de m’exclamer :

- Tu étais superbe ! C’était …

La grosse voix coupa mes paroles, annonçant qu’il y avait une erreur dans le décompte des points et que les résultats seraient donnés d’ici une dizaine de minutes. Gabriel marmonna quelques mots, puis nous allâmes au box d’Orphée avant de le faire boire et de lui mettre une couverture. C’était tout de même l’hiver, et l’effort qu’il venait de fournir l’avait rendu légèrement transpirant, il ne fallait surtout pas qu’il attrape froid. Arrivé au box, nous lui laissâmes tout de même sa scelle et sa bride car Gabriel devrait repasser devant tout le monde avec tout les autres lors de l’annonce des résultats. Cette attente était vraiment insoutenable…

Gabriel me laissa m’approcher de sa monture et l’aider à lui prodiguer des soins, signifiant qu’il me portait de plus en plus de confiance. Au souvenir de notre première rencontre dans le box d’Orphée, je souris.
Soudain, l’homme reprit la parole dans le haut parleur, mon cœur se serra lorsqu’il prononça le premier mot annonçant le gagnant. Lorsque j’entendis le nom de Gabriel, je criais presque de joie et sans réfléchir le moindre instant, je lui sautai au cou en le serrant très fort.

- Je te l’avais dis Gabriel, je… félicitations !!!

Etrangement, il répondit à mon étreinte. La joie qui émanait de lui m’envahissait tout en me réjouissant totalement. Il avait gagnait… La première place… Je resserrais encore un peu plus mon étreinte, me lançant aller à profiter de ce contact. Voilà maintenant tellement longtemps que je n’avais pas senti deux bras puissants et masculins autour de ma taille. J’avais oublié le bien que cela prodiguait. C’est alors qu’une voix qui ne nous était pas étrangère retentie à l’entrée du box :

- Félicitation Gabriel ! déclara Philipe.

Gabriel s’écarta alors vivement de moi, comme s’il avait honte de ce contact. Philipe ne sembla pas y prêter d’importance, et déclara :

- Allez, vient recevoir ton prix.

Un sourire étirait ses lèvres. Il avait une sorte d’attitude paternelle vis à vis de Gabriel, car c’était bien là le sourire de quelqu’un de profondément fière de son fils qui était présent. Nous repartîmes en direction de la carrière, heureux comme jamais.

A quelques pas de la carrière, il remonta sur Orphée et se rendit seul récupérer son prix. Jamais je ne l’avais vu aussi débordant de joie. Ce concours était tellement important pour lui… Il avait tenu à aller jusqu’au bout malgré les difficultés et il y était parvenu.

Nous restâmes côte à côte avec Philipe qui avait déjà attrapé son téléphone et qui prévenait le centre de la victoire de Gabriel. La cérémonie de la remise des prix dura un moment, et jamais le sourire ne quitta les lèvres de Gabriel qui était plus que fier. Après bien des acclamations, Philipe alla régler les derniers papiers, pendant que j’allais m’occuper d’Orphée avec Gabriel. Pendant qu’il lui offrait un bon pansage plus que mérité, je m’occupais de ranger les affaires. Nous fîmes tous deux monter Orphée dans le van, il était déjà une heure avancée de l’après-midi, et il fallait partir si nous voulions arriver avant la nuit.

Gabriel tenait fermement son prix durant tout le trajet en voiture qui se fit dans la bonne humeur générale. Cette tension insoutenable qui avait été présente sur le chemin de l’allée, était remplacée par l’euphorie de la victoire. Lorsque nous arrivâmes enfin au centre, la tombée de la nuit était proche. Nous nous occupâmes en priorité avec Gabriel de son cheval, puis je finis de ranger le matériel pendant qu’il allait voir si sa jument allait bien.

Philippe était partit dans son bureau, et nous le rejoignîmes une vingtaine de minute plus tard. Lorsque nous frappâmes à la porte, personne ne répondit. La lumière était éteinte et constatant qu’il y avait de l’agitation dans le réfectoire, nous nous y rendîmes tous les deux. Les tables avaient été déplacées pour être disposées d’une toute autre manière. Des boissons y avaient été déposées ainsi que quelques petites choses à grignoter.

Presque tous était présent, et acclamèrent Gabriel lorsqu’il arriva. Beaucoup se ruèrent sur lui pour le saluer, et je préférais me mettre un peu à l’écart, ne supportant pas lorsqu’il y avait trop de monde. Trop de sentiments étrangers à repousser…. Gabriel s’aperçut de mon soudain éloignement, et me jeta un regard intrigué. Mais son attention fut vite accaparée par les autres. Je restais ainsi en retrait, spectateur du bonheur de Gabriel. Je savais que cela ne guérirait pas totalement sa douleur bien plus profonde, mais cela l’apaisait au moins un peu. Dorian vint alors me voir, je ne lui avais pas spécialement reparlé depuis ce fameux soir, et j’appréhendais un peu.

- Alors qu’as tu pensé de ce concours, c’est la première fois que tu en voyais un, non ?

- Oui, c’était très intéressant, dis-je avec le sourire, tentant de cacher mon léger malaise.

- Tu veux boire quelque chose ? me demanda-t-il.

- Oui pourquoi pas.

C’est ainsi que nous nous dirigeâmes jusqu’à la table des boissons. Je sentis posé sur moi un instant le regard de Gabriel. Amusé, je pris le verre que me tendis Dorian et allais discuter un peu plus loin avec lui. Il fallait de toute manière que je m’écarte un peu de toute cette agitation qui pompait mon énergie.

Nous parlâmes de tout et de rien, jusqu’à ce qu’il aille voir d’autres amis, me laissant seul. Je profitais donc de cet instant de calme, pour me retrouver un peu. Plusieurs fois je sentis le regard de Gabriel se poser sur moi. Je ne savais pas vraiment ce qu’il se passait, mais depuis que nous nous étions enlacé dans le box lorsque nous avions appris sa victoire, je ne pouvais m’empêcher de ressentir quelque chose d’étrange.

Je me remémorais la chaleur de son corps tout contre le mien… Et ce baiser qu’il avait déposé sur ma joue… Jamais je n’aurais pensé que Gabriel puisse être quelqu’un d’aussi doux et sensible. Jamais je ne l’avais détaillé avec ce regard. Il m’aurait été impossible de dire qu’il ne m’attirait pas. Gabriel était un homme très beau. Ce soir là, ces yeux bleus océans brillaient de joie, éblouissant quiconque s’y plongeait un peu trop longtemps.

C’est alors qu’une personne qui n’aurait pas due venir fit son entrée dans la pièce. Marion dédaigna tout le monde et alla directement jusqu’à Gabriel. Elle s’interposa devant tout le monde et lui offrit un grand sourire avant de déclarer d’une voix qui trahissait son hypocrisie :

- Félicitation Gabriel ! A croire que je me suis trompée ! Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un type comme toi puisse arriver à gagner quoi que ce soit un jour. Ca doit cacher quelque chose, dit-elle en prenant une moue dubitative.

Voyant l’expression de Gabriel changer, je m’approchais un peu. Etonnamment il n’était pas en train de se mettre en colère ou du moins ne semblait pas y parvenir. Elle était en train d’appuyer là où cela faisait mal, et quelque chose me disait qu’elle avait connaissance d’une partie du passé de Gabriel et de la raison de sa douleur quotidienne. Comme pour l’enfoncer un peu plus elle ajouta :

- Ah je sais, tu as triché pour pouvoir gagner, il n’y a que cela. Quand on sait d’où tu viens on comprend qu’il est impossible que tu puisses faire quoi que ce soit de ta vie.

Le bonheur et la joie de Gabriel s’effilochaient à vue d’œil. Je le sentais, il était à deux doigts de pleurer. Comment cette femme pouvait-elle être aussi mauvaise ? Cette situation ne pouvait pas durer, Gabriel semblait tellement blessé qu’il ne répondait rien, ne cherchant même pas à se défendre. Jamais je ne l’avais vu aussi abattu. Malheureusement, Marion repassa à l’attaque :

- Dis moi Gabriel, c’est quoi ton secret ? T’es passé sous la table pour pouvoir gagner ? C’était des bons coups les jurys ?

S’en était trop, je ne pouvais pas supporter que Gabriel se fasse ainsi détruire. Cette femme était en train de ruiner tous les effets de sa victoire. Maintenant à côté de Gabriel, ma main partie toute seule avant d’atterrir sur sa joue.

Tout le monde se retourna suite au bruit de la gifle, me regardant ébahi. J’y étais peut être allé un peu fort, mais la colère avait été trop grande. Gabriel me regardait comme sous le choc, ne semblant pas s’attendre du tout à une réaction si imprévisible de ma part. Sans me départir de ma hargne je criais presque, défendant de toutes mes forces l’être qui m’était devenu très cher malgré moi :

- Tu n’as pas d’autres endroits pour aller cracher ton venin ! Espèce de petite garce, tu ne vaux vraiment pas la peine qu’on reste en ta compagnie, viens Gabriel, on s’en va ! Bonne soirée à tous et à demain.

J’attrapais Gabriel par le bras, l’attirant avec moi. Il était légèrement tremblant, et je dus faire appelle à toutes mes forces pour ne pas me faire envahir de sa peine ravivée comme jamais.

Une fois à l’extérieur, je tournais la tête vers Gabriel. Les larmes qu’il avait jusqu’à maintenant retenues commençaient à poindre au coin de ses yeux. Sans perdre un seul instant, je l’attirais jusqu’à moi, lui prêtant mon épaule pour qu’il se lâche enfin.

C’est un sanglot déchirant qui parvint à mon oreille, scindant douloureusement mon cœur en deux. Je sentais ses larmes couler dans mon cou, et ses deux bras venir me serrer très fort, comme pour me remercier d’être là. Lentement, je fis glisser ma main sur son dos dans un mouvement d’aller retour, dans le but de le consoler au mieux.

Sa tête était enfouie dans mon cou, légèrement reposée sur mon épaule et il pleurait évacuant sa peine du mieux qu’il pouvait. Mon autre main passa dans ses cheveux dans un geste très tendre qui l’apaisa un peu tout autant que cela sembla l’intriguer.

Nous restâmes un moment ainsi, tout deux enlacés. Plusieurs fois je lui murmurais quelques mots de réconfort, attendant patiemment qu’il se calme. Ce fut le froid qui nous força à nous écarter un peu lorsque ses larmes se tarirent enfin. Son regard était maintenant fuyant, gêné d’avoir craqué ainsi devant moi. Nos visages étaient tellement proche l’un de l’autre, et nos corps encore collés. Il me suffisait de parcourir quelques centimètres pour effleurer de nouveau ses lèvres, mais par force de volonté je fis, après un temps, le mouvement inverse.

A contre cœur, je me détachais de cette étreinte, quittant l’emprise qu’il venait d’avoir sur moi. Décidant de mettre totalement fin à cet instant si tentateur, je lui demandais alors, espérant une réponse positive de sa part.

- Tu viens chez moi ce soir ?

- Pourquoi pas, me répondit-il d’une petite voix faible et honteuse.

Il m’aurait dit non, je l’aurais forcé. Il était impossible qu’il reste seul dans cet état. Il alla chercher les clefs de la voiture dans le bureau, prenant soin de ne pas aller dans le réfectoire, pendant que j’allais prévenir Philipe de notre départ. Même si j’étais gêné de l’affronté alors que je venais de frapper et d’hausser le ton sur sa fille, je ne voulais surtout pas que Gabriel ait à affronter de nouveau tout le monde. Il était justement avec Marion et je priais pour qu’il me voit avant que je n’arrive à leur hauteur. Heureusement, il redressa la tête, et vint directement me voir :

- Comment va-t-il ?

Extrêmement gêné, je ne répondis pas tout de suite à sa question :

- Je suis désolé pour Marion, j’ai… Je…

- J’ai assisté à la scène Juha, tu n’as pas besoin de te justifier. N’abordons pas ce qu’elle a fait, je m’en chargerais avec elle. Comment va Gabriel ?

- Il… Il vient chez moi ce soir.
Philippe m’offrit alors un sourire, l’inquiétude quittant peu à peu son visage et il souffla en quelques mot :

- Merci Juha… Merci pour tout ce que tu fais pour lui.

Je répondis alors par un sourire gêné et nous nous séparâmes en nous souhaitant une bonne soirée. Je rejoignis Gabriel qui m’attendait dans la voiture. Il abhorrait une expression assez froide qui trahissait sa peine. Lorsque je fus dans la voiture, Gabriel démarra. Il ne mit même pas sa musique, laissant le silence s’installer entre nous. Ou était passé la joie qu’il avait encore il y avait à peine une heure ? Rapidement, nous nous retrouvâmes chez moi. Gabriel alla directement s’asseoir dans le canapé.

- Tu veux boire quelque chose ? Demandai-je alors.

- Non, je n’ai pas soif, merci…me dit-il la voix lasse.

- Je vais préparer à manger dans ce cas.

- Je n’ai pas très faim non plus…

Ne supportant plus cette attitude, je vins m’asseoir à côté de lui.

- Je sais que je suis assez mal placé pour te poser des questions sur ton passé, mais… Enfin voilà… Est ce que je peux t’en poser quelques unes ?

Gabriel tourna la tête vers moi surpris. Il ne semblait vraiment pas s’attendre à cela.

- Tu n’es pas obligé de me répondre, si c’est trop personnel, tu peux ne rien me dire. Mais je souhaiterais juste comprendre certaines choses, comme la réaction de Marion par exemple et l’effet qu’elle a eut sur toi.

Je choisissais mes mots avec difficulté, ayant très peur de le braquer totalement. Mais Gabriel me répondit simplement :

- Je t’écoute.

Je n’aimais pas le ton que prenait sa voix, elle était bien trop triste et trop grave. Rassemblant mon courage, je posais ma main sur la sienne et lui demandais :

- Marion a fait allusion à ton passé, en dénigrant d’où tu venais…

J’avais fait exprès de poser ma main sur la sienne. Grâce à cela, je pouvais en savoir plus que ce qu’il ne me transmettrait pas ses propres mots. Certes cette méthode n’était pas très loyale mais il n’y avait que comme cela que je pouvais l’aider.

- Je… C’est trop personnel désolé, je n’ai pas envie d’en parler.

Presque immédiatement, je décelais de la honte dans sa voix et dans son attitude, et toujours cette peur, la même qui l’avait glacé la dernière fois lors de notre baiser. Qu’avait-il vécu pour qu’il soit à ce point traumatisé et si profondément blessé. Sans trop réaliser que je parlais en même temps que je pensais, je déclarais :

- De quoi as-tu si peur et si honte ?

Ma question mourût dans un silence, les larmes commençaient de nouveau à perler sur le coin de ses yeux. J’avais envie de le prendre dans mes bras, et de sécher de mes doigts ses larmes, mais je sentais qu’il n’accepterait pas ce geste maintenant. C’est pourquoi je ne fis que resserrer l’étreinte de ma main sur la sienne.

Je finis par reprendre la parole, cessant ce silence qui était en train de l’oppresser :

- Ca fait combien de temps que tu étais avec Marion ?

Gabriel tenta de se ressaisir et me répondit :

- Six ans environ…

- Ah oui ? Tant que ça ? Comment en êtes vous venu à ce genre de rapport ?

Gabriel prit une profonde inspiration, bien décidé à me répondre et commença :

- A dix-huit ans je suis venu travailler dans ce centre. Marion comme tu le sais est la fille de Philippe. Personne ne faisait vraiment attention à moi, je n’étais qu’un petit nouveau qui avait à peine atteint sa majorité. Marion a été la seule à venir me parler, alors naturellement nous nous sommes rapprochés. Je.. Je pensais vraiment que je l’aimais, mais je peux t’avouer que je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas. Et pourtant notre relation à continuer se détériorant jusqu’à maintenant.

- Est ce que c’est une question d’orientation sexuelle ? Me risquais-je à demander.

Gabriel tiqua et répliqua aussitôt :

- Pourquoi cette question ?

- Je… C’est que… Vis à vis des sous entendus qu’elle a fait… Désolé, je n’aurais pas du te demander cela.

J’allais même jusqu’à ôter ma main de la sienne, très mal à l’aise. Il me fallut un temps pour me reprendre. Cette fois-ci ma main se posa sur son épaule et je lui déclarais très sérieusement :

- Quoi que ce soit Gabriel, je suis mal placé pour te juger. Tu ne devrais pas avoir honte de toi, tu es quelqu’un de très bien au fond de toi, et tu l’as prouvé aujourd’hui lors du concours. Quoi que t’ai dis Marion, tu as mérité cette place à sa juste valeur plus que tout autre, alors ne gâche pas ta joie pour elle.

Gabriel tourna alors la tête vers moi, quelques larmes coulaient silencieusement de ses yeux. Il me demanda profondément intrigué :

- Pourquoi est ce que tu t’acharnes à vouloir m’aider comme ça ?

Surpris par sa question, je fus pris de court. Que répondre à cela ? Jamais je ne pourrais lui dévoiler la vérité.

- Je… Parce que… J’en ai envie tout simplement…

Je restais très elliptique. A cette question je ne savais finalement pas quoi répondre moi-même.

- Je ne te comprends pas… A quoi cela te sert-il ? Je n’en vaux vraiment pas la peine tu sais.

- Non ça c’est sur, si tu continue à te rabaisser ainsi ! Si j’ai envie de t’aider et bien je le ferais. Laisse les autres juger de ta valeur car s’il y a une chose dans laquelle tu n’excelles pas, c’est l’estime de toi.

Je parlais durement et je le savais, mais je ne supportais pas de le voir se rabaisser ainsi. Après un long silence ou Gabriel médita sur mes paroles, il finit par se lever et déclarer :

- Je vais me laver, j’en ai pas pour longtemps.

-  Très bien je vais faire à manger pendant ce temps.

Gabriel se leva, tentant au mieux de cacher son trouble. Ayant déjà passé plusieurs nuits chez moi, il avait laissé un bas de pyjama et un t-shirt tout simple chez moi. Il les attrapa au passage avant de se rendre directement jusqu’à la salle de bain.

Je me rendis donc dans la cuisine, préparant un repas simple, mais copieux au vu des efforts et des émotions intenses qu’il avait eu aujourd’hui. Il vint assez rapidement me rejoindre, et je lui demandais de mettre la table, pendant que j’allais à mon tour prendre une douche. Je profitais des bienfaits de l’eau et réfléchissais à notre conversation. Plus j’en apprenais sur lui, plus j’étais intrigué par cet homme.

Lorsque je sortis de la douche, je m’aperçus que j’avais oublié mon t-shirt dans le salon. Après m’être séché et avoir enfilé un simple pantalon, je me rendais dans le salon torse nu, où se trouvait Gabriel en train de regarder la télévision. Je passais devant lui, sentant très vite son regard posé sur moi. Il me fallut un temps pour comprendre qu’il regardait en réalité le tatouage que j’avais sur l’épaule.

- C’est un phénix, c’est ça ? me demanda-t-il.

- Oui, répondis-je simplement.

- Ce n’est pas un tatouage habituel. Ca fait longtemps que tu l’as ? Il a une signification particulière pour toi ?

- Je… oui… C’est lié à mon passé. Désolé… je…

- Tu n’as pas envie d’en parler, pas de soucis, me dit-il en souriant.

- Disons simplement, que je le prends pour modèle. Renaître de ses cendres… Enfin, je ne vois pas si tu saisis ce que je veux dire.

- Oui, je vois…

- Bon, je commence à avoir faim, on passe à table.

Nous nous rendîmes tous les deux à la cuisine, et mangeâmes sur un ton bien plus léger que lorsque nous étions arrivés. Gabriel me raconta son ressenti sur le concours, expliquant avec passion comment Orphée avait été à son écoute.

Nous finîmes la soirée côte à côte sur le fauteuil étonnement près, bien plus que d’habitude. Fatigué, je finis par laisser aller ma tête sur son épaule, enhardi par l’ambiance intime qu’il y avait soudain entre nous deux. Un point de vue extérieur aurait pu voir un jeune couple en nous voyant ainsi. Gabriel était parfaitement détendu, il tourna alors la tête vers moi, et au vu d’une mèche qui tombait sur mes yeux, il approcha sa main pour la remettre derrière mon oreille. Ce geste était effectué avec tellement de douceur.

 Nos regards se croisèrent alors pour ne plus se quitter. A ce moment là, je sus que toutes mes convictions de ne jamais aller plus loin dans notre relation étaient en train de partir en poussière. J’avais envie de bien plus avec lui, et ce genre de chose, je ne pouvais les contrôler.

Je me redressais légèrement, laissant mon visage tout aussi proche du sien. Nous ne nous lâchâmes pas du regard. Les battements de mon cœur s’accélérèrent comme s’il s’agissait de mon premier baiser.

J’avais tellement envie de parcourir les quelques centimètres qui séparaient nos lèvres. Je pouvais sentir sa respiration sur mon visage. Pourtant je me retenais, me souvenant de sa réaction de la veille. Pourtant je me souvenais aussi de son baiser sur ma joue et de la manière dont nous nous étions enlacés, et je pouvais ressentir son envie faire écho à la mienne.

C’est alors que Gabriel commença à avancer légèrement vers moi, comme une invitation. Cependant, son hésitation pris le dessus, car il s’arrêta à quelques millimètres seulement de mes lèvres. Il ne m’en fallut pas plus. Ce fut moi qui parcourus cette dernière distance qui nous séparait.

 Le contact de ses lèvres m’inonda de mille sensations que cela faisait naître en lui et en moi. La chaleur de ce simple contact désiré qui allait bien au delà d’une satisfaction sexuelle, me faisait perdre la tête. J’avais oublié combien cela était agréable. Gabriel ne se raidit pas comme la dernière fois.

Même s’il était hésitant et presque apeuré, il resta contre moi. Je passais mes bras autour de lui délicatement, dans le but de l’attirer un plus près. J’attendais patiemment que je le sente près pour venir quémander l’ouverture de ses lèvres.

Tout dans ce baiser se voulait rassurant. Un frisson me parcourut lorsque je fis glisser ma langue sur ses lèvres, en une caresse la plus douce et la plus délicate possible. Il semblait soudain si fragile et si sensible entre mes bras.

Après une hésitation, à mon plus grand bonheur, ses lèvres s’entrouvrirent me laissant aller plus avant dans la découverte de l’autre. Cependant, ce fut avec une lenteur exagéré que j’allais à la rencontre de sa langue, passant ma main sur sa nuque dans une caresse. Une douce chaleur m’envahie, une chaleur différente de celle que j’avais pu connaître avec Dorian, il y avait tellement plus dans ce baiser. Lorsque nos langues se rencontrèrent enfin, je sentis Gabriel défaillir, mais ce n’est pas pour autant qu’il s’écarta, non il lui fallait juste du temps pour s’habituer à mon contact.

Progressivement, un doux ballet commença, et pourtant, Gabriel était maintenant légèrement tremblant. Etait-ce une telle épreuve pour lui ? Je mis alors toute la délicatesse et la tendresse que je possédais en moi dans ce baiser, le rassurant et l’encourageant dès qu’il se laissait aller un peu plus… Ses bras finirent par venir timidement m’enlacer.

Jamais je ne me serais lassé de ce baiser. Il m’apportait tellement. En rien je ne regrettais ce que nous étions en train de faire. J’étais tout comme Gabriel à l’écoute de chacune de ses réactions, et je l’entraînais toujours un peu plus loin. Le baiser du tout de même prendre fin, lorsque l’air vint à manquer.

A nouveau à quelques centimètres de son visage, je rouvris les yeux pour les plonger dans les siens. Contre toute attente, il vint poser sa tête contre mon épaule, m’attirant à lui, dans une simple étreinte. Je laissais aller à mon tour à enfouir ma tête contre son cou, inspirant à plein poumons une odeur que je ne me lasserais de sentir, qui m’emplissait de bien-être.

Nous restâmes ainsi longtemps, simplement enlacés l’un à l’autre, sans un mot, profitant de cet instant de paix. Je sentais le poids de Gabriel s’alourdir sur mon épaule, signe que l’endormissement n’était plus très loin. Mais au vu de nos positions, s’endormir là n’était pas terrible. Pourtant, je n’avais aucune envie de mettre fin à ce contact. Une idée me vint alors, et je lui murmurais alors d’une voix clairement vide de tout sous-entendu :

- Viens…

Je me levais, le prenant par le bras et le tirant avec moi. Ensommeillé et encore sous le charme du premier moment intime que nous venions de partager, il se leva et me suivit jusqu’au lit. Sans lui laisser le temps de réfléchir, je l’aidais à s’allonger, tirant les couvertures. Il céda, mais commençait à se tendre lorsqu’il vit que je m’allongeais à côté de lui. Je m’approchais alors lentement, finissant pas me coller tout contre lui, venant poser ma tête contre son épaule.

Gabriel ne bougea pas d’un pouce, semblait craindre que je fasse plus. La seule chose que je fis, fut de poser ma main sur sa poitrine. Déjà sa chaleur venait inonder tout mon corps, me faisait frissonner de contentement. Je me laissais aller à fermer les yeux, sentant qu’il commençait à se détendre.

Sa respiration qui me berçait, commençait à se calmer. Lui aussi était en train de se laisser aller dans les bras de Morphée. La dernière chose que j’entendis sortir de ses lèvres fut un soupir de bien-être, avant de me laisser aller, tout contre lui, profitant de chaque instant, à sombrer dans un profond sommeil…

Ce fut dans la même position que je me réveillais le lendemain matin. Je me redressais légèrement, souriant en voyant qu’il dormait profondément. Jamais je ne l’avais vu avoir le sommeil aussi paisible. Sans pouvoir me retenir, mon regard dériva très vite sur les lèvres que j’avais pu toucher hier. A ce souvenir un sourire vint étirer mes lèvres, et sans réfléchir je posais mes lèvres de nouveau sur les siennes délicatement. Je ressentais leur goût avant même de les avoir effleuré. Jamais je ne me lasserais d’un tel contact et de cette douceur qui émanait de lui.

Seulement, ce fut de sombres pensées qui me poussèrent à ne pas aller plus loin et à me redresser. J’allais même jusqu’à m’écarter un peu de lui. Comment allait-il réagir ce matin ? Allait-il dire que c’était un instant de faiblesse qui avait causé sa réaction ? Pire encore, allait-il m’accuser d’en avoir profité ?

Mon cœur se serra et je préférais me lever, ne voulant pas connaître sa réaction au réveil s’il nous trouvait tous les deux enlacés. J’avais eu tellement peu d’instants de bonheur durant toutes ses années, qu’il m’était impossible de croire y avoir droit ne serait-ce que plus de quelques heures. Sans un bruit je me levais et me rendit directement dans la cuisine. Machinalement je commençais à préparer le café.

J’entendis quelques minutes après, alors que j’attendais que l’eau boue, Gabriel arriver derrière moi. Je tournais la tête alors même que je ressentais sa présence, et il déposa alors un léger baiser sur ma joue. Ce simple geste me rendit si heureux, que je l’enlaçais immédiatement, lui offrant un bonjour comme je les aimais.

Je pris possession de ses lèvres un peu plus fermement que la dernière fois, mais il n’en fut pas gêné. Nous nous enlaçâmes au moment où nos deux langues se rencontrèrent. Mon baiser trahissait ma joie profonde de sa réaction. Je m’étais imaginé le pire et finalement, c’était le mieux qui m’arrivait. Gabriel répondit tout aussi vite à mon baiser après une légère hésitation.

C’était fou comme ce genre d’attention m’avait manqué, moi qui en avais été tant dépendant à l’époque. Je me rendais compte de l’effet que ces dix années avaient eu sur moi. La vie avant la mort de Killian… J’avais tout enfoui en moi et je ne voulais pas m’en rappeler. Sa mort n’en était que plus dure. Peu à peu je me laissais aller dans ce baiser à la fois si tendre et passionné. Gabriel se laissait porter par mes envies, ne prenant pas encore l’initiative. Lorsque le baiser prit fin, je m’écartais légèrement de lui et déclarais avec un grand sourire :

- Bonjour Gabriel, bien dormi ?

Aussitôt il vira au rouge, semblant réaliser seulement maintenant tout ce qui venait de se passer, jusqu’au baiser que je venais de lui donner.

- Je… Oui, dit-il de plus en puis plus gêné.

Je ne pus retenir un petit rire, et lui dit :

- Assieds-toi, je t’apporte ce dont tu as besoin.

Rapidement nous nous mîmes à déjeuner dans une ambiance à la fois agréable et à la fois assez gênée. Je finis par me lever et j’allais m’habiller puis pendant que Gabriel était allé faire un tour dans la salle de bain, je rangeais un peu l’appartement.

Puis nous prîmes la voiture pour nous rendre au centre. Je sentais son cœur bien plus léger que la veille. Nous passâmes une bonne partie de la journée ensemble. Il me faisait de plus en plus confiance et me confiait des tâches plus importantes en plus de celles que j’avais à accomplir chaque jour.

Au repas de midi, nous mangeâmes ensemble, en ignorant superbement Marion qui chuchotait quelques mots à notre égard à son voisin de table. Au vu du lieu où nous nous trouvions et à la gêne toujours présente de Gabriel, je ne tentais à aucun moment de l’embrasser. En quelques jours je venais de découvrir une autre facette de sa personnalité bien plus fragile que ce qu’il laissait paraître. En aucun cas cependant je ne lui faisais remarquer ou le taquinait avec cela.

Le soir arriva très vite, et n’ayant aucune envie de me séparer de lui ce soir, j’allais le rejoindre alors qu’il était en train de réparer un filet. Marion et Dorian n’étaient pas très loin mais je ne leur prêtais pas la moindre attention.

- Je sais que tu es déjà venu hier, mais est-ce que ça te dis de dormir chez moi ce soir ?

J’appréhendais un peu sa réponse, et pourtant c’est avec un grand sourire qu’il me répondit avec tout le naturel du monde :

- Je finis ça et on y va.

Ayant soudain envie de le taquiner, je répliquais alors amusé de sa réaction :

- Je me trompe où tu as l’air de te sentir comme chez toi dans mon studio, mieux que dans ta petite chambre en tout cas.

Gabriel leva alors les yeux vers moi les planta dans les miens et dit avec tout le sérieux du monde quelque chose qui me toucha beaucoup malgré la maladresse de l’expression :

- J’en ai marre de la solitude, quand je peux être avec une personne que j’apprécie.

Je ne répondis que par un sourire et allait récupérer mes affaires avant de l’attendre à la voiture. Je passais devant Marion et Dorian qui avaient assisté à la scène les ignorants avec superbe.

Gabriel ne mit pas très longtemps à me rejoindre et nous partîmes jusqu’à mon studio. Nous fîmes quelques courses avant, n’ayant plus grand chose dans mon frigo. Je réalisais au moment de passer à la caisse que pleins de choses que j’avais prise étaient mangées uniquement par Gabriel.

Nous nous retrouvâmes finalement en train de manger un petit plat tout simple sur le canapé devant la télévision, tous deux fatigués par la journée. Nous parlions de tout et de rien. Je me levais un moment, demanda à Gabriel ce qu’il voulait comme dessert et débarrassais afin que nous soyons plus à l’aise. Je revins quelques minutes plus tard me mettre à ses côtés lui tendant la pomme qu’il m’avait demandée.

L’ambiance était détendue comme jamais, me permettant de me reposer comme rarement il m’en avait été possible. Je ne sus pas vraiment comment, quelques temps après que nous ayons fini notre dessert, nous nous retrouvâmes l’un tout contre l’autre, profitant de la présence et de la chaleur du corps de l’autre. Puis, à un instant, nous tournâmes lentement la tête l’un vers l’autre, nous fixant l’un l’autre d’un regard intense.

Progressivement et sans heurt aucun, nos lèvres se rapprochèrent avant de s’unir pour la deuxième fois de la journée. J’y avais à peine goûté, et j’étais déjà en manque. Toute la journée, je n’avais cessé de regarder ses lèvres et de me retenir. Gabriel avait déjà entrouvert ses lèvres, se tournant un peu plus vers moi afin de me prendre dans ses bras.

Nous nous enlaçâmes, laissant nos langues entamer une nouvelle danse très tendre apprenant encore à se connaître. Sans trop m’en rendre compte au fur à mesure dans le baiser, je laissais mes mains un peu plus libre de vagabonder sur le corps de Gabriel. Les siens étaient bien moins mobiles que les miennes, bien qu’au fur et à mesure dans le baiser, je tentais de lui communiquer un peu plus de passion et de désirs.

Mes mains finirent après beaucoup de patience à glisser sous son t-shirt, ayant plus que tout envie de sentir sa peau sous ma main. Je remontais tout le long de son dos, lui laissant un frisson. Mes mains partirent ensuite plus lentement et sensuellement à la découverte de cette peau nue qui leur était offerte.

Plusieurs fois je sentis Gabriel frémir. Il semblait se retenir constamment de se laisser aller lui aussi, comme s’il avait peur de quelque chose. Je commençais à supporter avec bien plus de difficultés le fait de ne rien savoir. Alors que je caressais son dos, mon doigt sembla passer sur un aspect différent de son dos.

Aussitôt, je fus comme envahi de cette douleur que j’avais ressentie la première fois où je l’avais touché. Elle était tellement violente, qu’elle dévastait tout en moi sur son passage. Il semblait soudain gêné que je pose ma main sur cet endroit précis de son dos, car il s’écarta soudain, quittant mes lèvres.

- Je vais me laver… commença-t-il par me dire gêné.

Puis s’apercevant de la pâleur soudaine de mon visage, tentant de me remettre de ce qui venait de s’écouler en moi, il déclara :

- Ca va Juha ?!

- Oui, juste un petit coup de fatigue…

- Hn… dit-il dubitatif, avant de se lever et de se rendre dans la salle de bain.

Je me laissais aller dans le fauteuil, laissant doucement l’énergie revenir en moi, tentant de me remettre. Je fermais les yeux un instant, ramenant la paix après la bataille qu’avait déclenché en moi la souffrance de Gabriel. Je les rouvris lorsque je sentis une présence à côté de moi. C’était Gabriel simplement en serviette qui, gêné, venait chercher ses vêtements qu’il avait oubliés dans sa précipitation.

Mon regard se posa alors directement sur son dos qui se trouvait face à moi. Une longue et fine cicatrice lui zébrait le dos. C’était bien cela que j’avais touché tout à l’heure. Une foule de questions vinrent dans ma tête. Pourquoi Gabriel avait-il cette cicatrice qui était indéniablement liée à son passé ? Qui et pourquoi lui avait-on fait cela ?

N’y tenant plus, je me redressais légèrement alors qu’il se retournait et lui demandais :

- Gabriel ? Qu’est que tu t’es fait au dos ?

Je vis aussitôt ses traits s’effondrer, comme s’il redoutait cette question tout autant que mes questions sur son passé. Alors qu’il allait ouvrir la bouche, la sonnerie de ma porte retentie.

- Je, je vais ouvrir. Je reviens.

Gabriel acquiesça et se dirigea directement jusqu’à ma salle de bain. Je me demandais qui cela pouvait être, mais je n’y prêtais pas grande importance, encore plongé dans les questions au sujet de Gabriel. A peine eu-je ouvert la porte qu’un frisson de terreur me pris. Le frère de Killian plus haineux que jamais se tenait à une mètre de moi. J’eus à peine le temps de crier le début du nom de Gabriel qu’il me sauta à la gorge, m’étranglant de ses deux mains.

Il me plaqua contre le mur. Pris de panique, ne pouvant même plus respirer, je tentais au mieux de me débattre, tentant en vain de repousser ses mains avec les miennes. Je priais pour que Gabriel arrive et c’est heureusement ce qui arriva. Il se rua derrière le frère de Killian avant de le tirer en arrière avec une force décuplée par la rage. Il lui envoya son poing dans la figure sans que le frère de Killian n’ait le temps de faire quoi que ce soit. Je portais mes mains à ma gorge, la massant un peu, après avoir repris une profonde inspiration. Après un regard inquiet pour moi, Gabriel déclara :

- Je crois que tu n’as pas très bien compris la dernière fois !!!

Le frère de Killian se redressa, en se massant la mâchoire après une grimace de douleur. Une fois debout, il se mit en face de Gabriel qui s’était placé devant moi dans une attitude protectrice. Toutefois, ce fut à moi que le frère de Killian s’adressa :

- Comment ça se fait qu’il te protège autant lui ? Tu l’as encore embobiné comme Killian ? Ca ne m’étonnerait pas de toi petite enflure ! Dis moi tu lui réserves la même fin ?

- Arrêtez ça tout de suite ! dit Gabriel, menaçant.

J’étais totalement tétanisé. Je ne savais pas pourquoi, mais je m’attendais au pire. Qu’allait-il se passer et surtout qu’allait répondre le frère de Killian à Gabriel qui ouvrait déjà la bouche.

- Je me méfierais si j’étais toi, je ne ferais pas confiance à un mec qui sort tout juste de prison.

Je vis Gabriel se raidir tout de suite, et il se tourna vers moi. 

- De prison ??? Juha tu sors de prison ?

Je ne pus que détourner le regard à sa question, les larmes venant déjà mouiller mes yeux.

- J’m’en doutais que cette petite merde t’ai rien dit.

Gabriel se retourna aussitôt, voulant se ruer sur lui pour maintenant déverser la colère qu’il ressentait aussi pour moi. Mais le frère de Killian esquiva et s’enfuit par la porte d’entrée encore ouverte. Gabriel ne bougea pas, il me tournait le dos et ses mains tremblaient de rage. A cet instant, je sus que le bonheur que j’avais effleuré venait d’être briser à jamais, détruit par mon passé qui me collerait toujours à la peau. Ne voulant pas que sa colère éclate et qu’il abatte sa haine trop violemment sur moi, je tentais en vain de l’apaiser :

- Je suis désolé Gabriel, j’aurais du te le…

- Tais-toi !! Me hurla-t-il en se retournant. Comment as-tu pu me faire ça ? Comment as-tu pu me cacher cela ? A ce stade de notre relation !

Je me laissais glisser le long du mur, n’ayant plus la force de rester sur mes deux jambes. Je tremblais de terreur et de souffrance, supportant avec extrêmement de difficulté les mots blessants et haineux de l’homme avec qui je m’étais attaché plus que je ne l’aurais du.

- Tu… Tu m’as trahis Juha, j’aurais mieux fait de te laisser seul avec le frère de Killian ! Tu… Je te déteste ! Ne m’approche plus jamais.

Gabriel pris un instant sa respiration avant de recommencer de plus belle :

- Tout ce qu’on a fait… Pendant tout ce temps… Ne m’adresse plus jamais la parole ! Ne viens plus jamais me voir et surtout ne pose plus jamais la main sur moi. Toutes ces belles paroles sur la confiance…
Assis, les genoux repliés sur moi, je tentais vainement de dire, voulant me défendre une dernière fois, la voix enrouée :

- Gabriel, je suis désolé… J’aurais du te le dire… Pardonne-moi… J’avais peur de ta réaction… Je ne voulais pas que tu me rejettes en sachant… Je…

- Est ce que tu avais au moins l’intention de me le dire un jour ?! Tu me dégoûtes ! Me cracha-t-il au visage d’une voix froide trahissant sa haine.

Plus une seule fois il ne reposa ses yeux sur moi. Il alla récupérer toutes ses affaires et sortit de mon studio en claquant la porte, me laissant seul avec ma peine.

Sans résister, j’éclatais littéralement en sanglots, posant ma tête entre mes bras contre mes genoux. Je pleurais de douleur face à ce rejet. Pourquoi avait-il du l’apprendre ? Face à sa réaction je savais que tout entre nous deux était fini à jamais, après même que cela est tout juste commencé.

Je me rappelais du goût de ses lèvres et de sa sensibilité qu’il m’avait plusieurs fois laissé entrapercevoir. Ma poitrine se serra si douloureusement que j’eus du mal à respirer, me repliant encore un peu plus sur moi-même. Avait-il parlé sous le coup de la colère ? J’en doutais… Je repensais à ses derniers moi « Tu me dégoûtes », et de la haine qui avait déferlé sur moi.

Des spasmes commencèrent à me saisir, il fallait que je me lève, que je fasse quelque chose, il ne fallait pas que je reste ainsi. J’étais littéralement épuisé, ma gorge me brulait. J’avais encore l’impression d’y sentir les mains du frère de Kilian. Les tremblements étaient de plus en plus violents et je ne cessais de pleurer. J’avais tellement mal au cœur…

Je ne sus comment je parvins à me lever et à marcher jusqu’au canapé où Gabriel avait si souvent dormi. Je n’arrivais pas à aller jusqu’à mon lit. Cela me rappelait encore la dernière nuit que nous avions passé tout contre l’autre. Recroquevillé, je tentais tant bien que mal de me calmer. Je restais ainsi à pleurer un temps interminablement long, jusqu’à fermer les yeux pour me couper du monde. Peut être n’aurais-je pas dus souhaiter dormir…

Flash back

J’eus à peine le temps d’ouvrir de nouveau les yeux, qu’un deuxième poing vint atterrir dans mon ventre, juste en dessous de mes côtes. J’étais totalement perdu.

- Alors comme ça on se prend pour un tueur ? Tu vas voir ce qu’on leur réserve nous aux mecs dans ton genre.

- Arrête Jack, c’est quand même qu’un gamin.

- Il a été émancipé, et puis à dix-sept ans on est plus un gamin ! Il ne mérite que ça.

A peine eut-il terminé sa phrase qu’il me cracha au visage. J’étais totalement paralysé et je n’osais esquisser un seul (il manque un mot « mouvement » « geste »). Je venais à peine d’entrer en prison que c’était déjà l’enfer. Mais le pire était que je n’avais pas encore rencontré les prisonniers… Pour le moment, j’étais seul face à la haine de ces deux gardiens, heureux d’avoir trouvé quelqu’un de plus faible.

Seulement, jamais je n’eus une quelconque réaction. J’étais trop emprisonné dans ma propre douleur. Un seul nom me venait à chaque fois à l’esprit… Killian. Depuis l’instant même où il avait fermé les yeux, mon cœur saignait de cette douleur vive et amère sans cesser un seul instant.

L’un d’eux attrapa alors un dossier posé sur le bureau. Un homme s’y tenait assis depuis le début et prenait un malin plaisir à voir ses deux acolytes faire ce qu’ils voulaient de moi. Je n’aimais pas son regard et la façon qu’il avait de poser ses yeux sur moi me donnait froid dans le dos.

J’avais l’impression qu’il me réservait bien pire que ce que ces deux hommes étaient en train de me faire. Je sentais la douleur de mon corps mais elle n’était en rien comparable avec celle de mon âme blessée et brisée à jamais. J’étais assis sur une chaise, les mains derrière le dos attachées par des menottes. J’étais totalement offert à eux. Après les claques, ils en étaient venus au poing souhaitant ne pas trop m’abîmer le visage. L’homme qui était maintenant en train de lire le dossier, leva un instant les yeux de ses feuilles et me regarda en me demandant :

- Alors quelle était ta victime salaud ?!

Il regarda un instant son cahier avant de reposer son regard sur moi :

- Killian… Pas la peine de te dire son nom, je pense que tu le connaissais… Alors comme ça, tu as assassiné Killian ! Il est mort par ta faute ! Et comment tu as fait ça ? Avec une balle dans la tête… Et bien on ne fait pas les choses à moitié.

Rien qu’entendre son nom me soulevait le cœur.  Alors en entendre autant était impensable. Je savais ce dont j’étais fautif, et ma culpabilité était bien assez grande.

- Maintenant, je t’en fais la promesse, à partir de ce jour tu regretteras à jamais ce que tu as fait…

Je culpabilisais depuis l’instant même où le coup était parti… Ce n’était même plus de la culpabilité. Ce que je ressentais n’avait pas de nom. Peur, peine, regrets, souffrance, douleur, rancœur contre mon être, terreur du futur, terreur du présent, angoisse de la vie que j’allais maintenant devoir affronter sans Killian dans un milieu des plus hostiles.

Ils continuèrent à mêler coups et remarques blessantes, allant jusqu’à me faire tomber lourdement sur le sol. J’avais envie de leur hurler ma douleur, j’avais envie d’extérioriser ce qui me rongeait pourtant aucun mot ne sortait de ma bouche, aucun son… Je ne savais même plus quoi faire, ni comment réagir. J’étais tombé dans un gouffre qui se refermait peu à peu sur moi…

Et cette image atroce de Killian, inerte sur le sol, baignant dans le sang qui ne cessait de couler. Le tapis s’en était imbibé peu à peu, me laissant une image terrifiante de l’homme que j’aimais, ma moitié que j’avais à jamais perdu. Pourquoi ? Pourquoi y avait-il eu une seule balle ?

Pourquoi m’avait-on interdit la mort ? N’étais-je pas ce que je méritais, ces quinze ans de prison. Mais même un an, un jour ou une seule seconde dans cet endroit étaient impensable dans ce lieu. Les coups de poing avaient laissé place au coup de pied, finissant leur course dans mon ventre et moins lourdement parfois dans mes côtes. J’avais l’impression que jamais cela n’allait prendre fin.

Les insultes, elles aussi pleuvaient de plus en plus durement. J’entendis des choses si rabaissantes, humiliantes et blessantes que cela faisait presque aussi mal que les coups. Tout pour m’enfoncer un peu plus la culpabilité gigantesque du meurtre que j’avais commis.

Soudain, les coups cessèrent et les deux hommes s’éloignèrent légèrement de moi ? J’avais de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts, ma tête tournait si fort qu’il m’était de plus en plus difficiles de me situer dans la pièce. Ma respiration était elle aussi plus dure, à cause des coups. J’avais l’impression que la fin était proche, encore quelques coups et je me laisserais totalement détruit par cette haine.

u’importe ce que j’allais subir, le goût de la vie m’avait définitivement quitté. Seulement rien ne m’arrivait depuis plus d’une minute. Je finis résigné, comprenant que c’était ce qu’ils attendaient de moi, grâce à ce don qui m’avait amené à ma perte, à tourner la tête vers eux. Ils s’étaient installés à côté de l’homme appuyé sur le bureau, silencieux depuis le début, tels des gardes du corps. Dès que je croisais son regard, je frissonnais face au mal qu’il dégageait. Il déclara soudain après un rictus haineux :

- Tu as voulu jouer au plus malin et au plus fort. Tu vas payer pour le crime que tu as commis dans cette prison et de la plus horrible des façons qui soit. Nous allons juste t’offrir un petit aperçu…

Il fit signe à ces deux hommes et s’approcha de moi. J’avais le corps tellement meurtri que je ne cherchais même pas à fuir ou à me défendre. Allonger sur le côté, je continuais de fixer l’homme qui m’approchait lentement. Les deux autres étaient à ma hauteur et attendaient l’ordre de leur supérieur. Alors qu’il était maintenant à peine à quelques mètres de moi, il s’arrêta et déclara sans quitter mon regard :

- Relevez-le ! Mettez-le face au mur, collé contre !

Les hommes s’exécutèrent et je me laissais faire, totalement soumis. Quoi qu’allait me faire subir ces hommes, quoi que j’allais devoir supporter, rien n’égalerait la douleur que je ressentais depuis l’instant même où j’avais pressé sur la détente. J’aurais pu tout endurer, peut être que je voyais cela comme une punition…

Tout ce que l’on était en train de faire, plus que tout je trouvais que je le méritais, la culpabilité était trop forte pour que je ne subisse rien. Quelque part, je pensais que j’avais besoin de tout cela.
On me plaqua contre le mur, me soutenant par les épaules. Je ne pouvais rien faire, j’avais toujours les mains dans les menottes. Il m’était impossible d’espérer ne pas vivre ce que j’allais vivre. Je sentais l’haleine brûlante des hommes de chaque côté de mon visage, qui une fois de plus me rabaissait avec les mots.

Je sentis soudain le troisième homme passer ses mains sur mes fesses, me communiquant involontairement son envie. Je compris aussitôt, bien avant qu’il commence à ouvrir mon pantalon et à le baisser. Face au mur, je ne pouvais pas voir son visage, je ne pouvais pas voir ce qu’il faisait. Je ne pouvais nier que j’avais peur, mais je savais que je pouvais subir autant de viol qu’il le souhaitait, jamais cela ne réduirait ma douleur. Il le baissa jusqu’à mi jambe, entraînant mon boxer avec. Je fermais les yeux, souhaitant me concentrer pour que sa folie ne vienne pas se mêler à mon désespoir.

Après quelques instants, l’homme se colla tout contre moi, faisant exprès de coller son intimité déjà dévoilé sur mes fesses, m’offrant un frisson de dégoût. Il colla alors sa bouche tout près de mon oreille pour me murmurer :

- Tu sortais avec celui que tu as buté si j’ai bien lu ton dossier ? Ca doit te manquer de te faire défoncer depuis qu’il est mort. Ne t’inquiète pas, je vais t’aider.

A peine eut-il fini sa phrase qu’il s’écarta de moi et sans prévenir, me pénétra d’un coup sec. Jamais il ne sera possible de décrire une telle douleur, un tel rabaissement. Un hoquet de douleur me saisit, mais le son de ma voix mourut dans ma gorge. Je ne voulais pas crier. Je n’avais de cesse de me répéter que je le méritais.

Mon corps tremblait sous la douleur de cette présence imposée en moi. Il avait déjà entamé ses vas et viens, me laissant à chaque fois cette impression de déchirure un peu plus forte et bien plus douloureuse. Les deux hommes me maintenaient encore les bras ; sans cela de toute façon je n’aurais pas pu tenir debout. Mon corps était douloureux des coups que j’avais reçu, mais le plus douloureux était en moi pour le moment. Ses gémissements de plaisir prit à me violer heurtait violemment mes oreilles. Et le rire des deux autres hommes étaient insupportable. Il s’enfonçait à chaque fois un peu plus en moi, à chaque fois plus brusquement.

Aucun son ne sortait de ma bouche, je me refusais maintenant à crier ma souffrance qui ne demandait qu’à être extériorisée. J’avais de plus en plus de mal à bloquer ce qu’il ressentait à être ainsi en moi, au plaisir qu’il prenait. Cet instant qui était finalement très court, me parut durer des heures. Lorsque je sentis cet homme jouir en moi, la répulsion fut si forte que j’eus envie d’en finir tout de suite. Jamais je ne m’étais senti aussi sale et éloigné de Killian.

Les deux hommes me lâchèrent au même moment où l’homme se retira de moi. Fragilisé comme jamais, je m’effondrais sur le sol. Les larmes commencèrent à couler sans que je ne puisse rien faire pour les retenir. J’avais vécu une chose effrayante, mais je le méritais.

Le choc avec le sol dur avait été bien moins douloureux que tout ce que j’avais subit jusqu’à maintenant. Mon violeur sortit de la pièce après avoir donné un ordre aux deux autres hommes que je ne compris pas. L’un des deux hommes s’approcha de moi, et vint m’enlever les menottes, m’ordonnant de ne surtout pas bouger. J’en aurais été incapable. C’était l’homme qui m’avait fait le moins de choses, le seul qui semblait au vu de ce qu’il ressentait maintenant, être peiné de ce que j’avais subit.

 Ils finirent par sortir tous les deux, me laissant seul me remettre de ce que je venais de vivre. Je restais là, étendu, immobile sur le sol. J’aurais voulu enfouir ma tête dans mes bras, me cacher un instant, mais je ne le pouvais pas. Je n’arrivais même pas à bouger un seul doigt. J’étais totalement paralysé. Je ne sus combien de temps je restais ainsi à simplement sentir les larmes couler sur mes joues.

Je ne fus pas vraiment conscient de ce qui se passa ensuite, jusqu’au moment ou un autre homme vint me chercher. Mon pantalon encore au niveau des genoux, l’état de mon corps et ma posture criaient ce que j’avais vécu, et pourtant l’homme se contenta de fermer les yeux sur ce que j’avais subit et de déclarer simplement :

- Lève-toi… Il est trop tard pour espérer manger quoi que ce soit. Je t’amène à la douche et tu iras dans ta cellule.

Je tendis difficilement mes bras vers mon pantalon, tentant de le remonter, exécutant son ordre. Rien que le fait de bouger les bras, était douloureux. Je surmontais cependant celle-ci, et tentais de me redresser une fois mon pantalon remis. Je ne voulais surtout pas qu’il me touche. Je ne supporterais pas un contact de plus. C’est pourquoi je me hissais sur mes deux jambes, puisant dans des forces qui m’étaient inconnues, avant même qu’il n’ait l’idée de venir m’aider.

Une fois debout, je m’appuyais un instant contre le mur. La douleur du viol était aussi dur mentalement que physiquement. Je me sentais salis à jamais. Je finis par me décider à marcher vers lui, sentant son impatience. Chaque pas était un supplice, faisant renaître la souffrance que j’avais vécu pendant l’abus de l’homme sur mon corps.

C’est ainsi que je suivis cet homme, découvrant le lieu où j’allais passer une des parties les plus importantes de ma vie… Mais peu m’importait, ma vie sans Killian, il m’était impossible de la concevoir, et la vivre ici était ce que je méritais. Cela apaiserait peut être un peu ma culpabilité. Je ne cessais de me répéter ce genre de phrase.

Nous ne tardâmes pas à arriver à la douche. L’homme me tendit des vêtements et une serviette après s’être éclipsé un instant. Chaque prisonnier avait regagné sa cellule et j’étais le seul à l’extérieur. J’allais pouvoir prendre ma douche en paix, tenté de laver les souillures qui maculaient mon corps.
Je me dévêtis avec difficulté à cause de ce corps meurtri. J’ouvris le robinet d’eau brûlante, ajoutant un peu d’eau froide afin que cela reste dans le domaine du supportable. Sans hésiter un seul instant, je me glissais sous ce torrent d’eau, frissonnant au contact de l’eau sur mes muscles endolori
s. Soudain la vois du gardien retentie :

- On n’est pas à l’hôtel ici, tu as encore trois minutes.

J’attrapais alors le savon, me nettoyant le plus rapidement possible. Pour que l’eau soit réellement bénéfique pour mon corps, j’aurais du y rester bien plus longtemps. Mais comprenant que cela n’était pas de l’ordre du possible, je revins à sa fonction première : laver mon corps. Je finis à temps, me frictionnant ensuite avec la serviette avant d’enfiler mes nouveaux vêtements. L’homme qui m’attendait à l’entrée déclara lorsqu’il me vit arriver :

- Et bien, ce n’est pas trop tôt !

Je ne répondis rien, me contentant de baisser les yeux, sans prêter attention à lui et aux autres remarques qu’il ajouta. Je le suivis, ne souhaitant plus qu’une chose, m’étendre dans le lit qui allait m’être attribué et ne plus bouger. Nous marchâmes devant plusieurs cellules, les remarques fusèrent mais je n’y prêtais en aucun cas attention, plutôt concentré à réussir à mettre un pied devant l’autre. Nous nous arrêtâmes enfin devant une cellule.

Le gardien attrapa ses clefs et m’ouvrit la porte, m’invitant à entrer. L’homme couché en haut sur le lit superposé leva la tête afin de voir qui était l’intrus qui osait pénétrer dans sa cellule. J’avais l’impression d’avoir déjà sentit ce regard posé sur moi. Un frisson me parcourut lorsque la porte se referma derrière moi.

Les lumières de la prison s’éteignirent peu de temps après, laissant régner une ambiance qui ne me plaisait pas du tout. Je sentais l’autre prisonnier continuer à me regarder. N’aimant pas cela du tout, j’allais m’asseoir sur mon lit, me cachant ainsi de lui. Seulement, il ne semblait pas avoir décidé que cela se déroule de cette manière.

J’étais à ce moment là, assis sur mon lit, adossé au mur, les genoux remontés afin de trouver une position la plus rassurante possible, totalement replié sur moi-même. Le prisonnier descendit de son lit, et me fit face, restant debout pour le moment.

- La moindre des choses serait de te présenter non !

Je n’aimais pas du tout la façon dont il avait de m’adresser la parole.

- Comment tu t’appelles ?

- … Juha… articulais-je difficilement.

L’homme pris soudain une moue appréciatrice et déclara :

- Et bien ça change du vieux chnoque que j’avais avant. On peut dire que tu es sacrément bandant !
Il vint alors s’asseoir sur le lit, bien trop prêt de moi à mon goût. Mon rythme cardiaque doubla en quelques secondes.

- J’ai vraiment de la chance d’avoir une gueule d’ange comme toi dans ma cellule. Tu vas voir on ne va pas s’ennuyer…

Il commença alors à s’approcher de moi. Je sentis directement ses intentions. Seulement je savais que je ne supporterais pas deux fois. C’était impossible. Plus il s’approchait plus la peur me nouait les boyaux. L’idée même qu’une main se repose sur mon corps me soulevait le cœur et me serrait la poitrine à en crevée.

Il posa alors une main sur mon bras, m’attirant légèrement vers lui. Je retirais vivement ma main, me terrant alors le plus loin possible, bloqué par l’angle du mur. S’il pu lire la terreur dans mes yeux, il n’y prêta aucune attention. Il n’aimait d’ailleurs pas du tout ma réaction. Je savais que je n’allais faire que repousser le moment, mais n’avais-je pas droit à quelques secondes de répit ?

Il était bien plus fort que moi, et mon corps d’à peine dix sept ans ne me permettrait pas de me défendre contre cet homme qui devait en avoir facilement le double. Tout dans cet homme m’écœurait, jusqu’à ses pensées les plus profondes. Il me saisit cette fois-ci bien plus durement le bras, et j’eus beau tenter de me débattre, il ne lâcha pas prise.

Sans que je n’ais eu vraiment le temps de réaliser ce qui m’arrivait, je me retrouvais très vite plaqué contre le lit sur le ventre, avec cet homme au dessus de moi. Il s’abaissa alors et me murmura à l’oreille :

- Laisse-toi faire ! Tu verras ça va être sympas, on va prendre notre pied tous les deux.

Je tentais vainement de me débattre une fois de plus, bougeant le plus possible afin de me dégager de l’étreinte toujours plus puissante et écrasante de cet homme. Les larmes revinrent bientôt dans mes yeux. Je ne pouvais plus, je n’en pouvais plus. Je voulais quitter ce corps à jamais, mettre fin à l’enfer dans lequel j’étais plongé depuis la mort de Killian. Je l’implorais silencieusement de venir me chercher. L’homme devint bien plus brusque, m’empêchant cette fois-ci réellement de me débattre. Cette fois-ci c’était la fin… Agacé de ma rébellion minime, il déclara :

- Arrête de te débattre ! Plus tu fais cela, plus ça sera douloureux pour toi !

Il me révélait maintenant sa nature, ne cherchant plus à faire semblant de me séduire. Il voulait répondre à son besoin pire que bestial, se vider les couilles et j’étais malheureusement sa proie. Est ce que cela aussi je le méritais ? D’une voix extrêmement faible, je me surpris à le supplier alors qu’il commençait à baiser mon pantalon d’une main, tandis que l’autre tenait mes mains au dessus de ma tête :

-  S’il vous plait arrêtez… Pitié… Non… Ne me faites pas ça…

Les sanglots se mêlaient à mes paroles, les entrecoupant. J’avais de plus en plus de mal à respirer. Tout comme l’autre, il se plaça au dessus de moi, s’installant au mieux pour prendre son pied à mon détriment. Je ne pus réprimer les tremblements qui me saisirent. Ne voulant surtout pas qu’on entende mes cris, résigner à la suite, j’enfouis ma tête dans l’oreiller.

De la même façon que le gardien, il ne prévint pas lorsqu’il décida d’entrer en moi. J’hurlais toute la douleur que je ressentais, dont le son était arrêté par l’oreiller. J’avais le souffle coupé tellement cette fois-ci était bien plus douloureuse que la première fois. Mon cri fut suivit de sanglots qui furent loin d’arrêter mon bourreau. Mon corps était pris de spasmes de plus en plus douloureux. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse ressentir quelque chose d’aussi douloureux. Le prisonnier poussait des gémissements de plaisir qui écorchait mes oreilles à vif.

De tout mon être je priais pour que cela prenne fin. Je tentais lamentablement de bouger mes bras, mais il tenait trop fermement mes poignets. Je ne pouvais plus rien faire… Je ne voulais plus rien sauf une chose : en finir une bonne fois pour toute. Je ne supportais plus de sentir sa peau déjà ruisselante par l’effort se frotter contre la mienne, me donnant l’impression d’un papier de verre.

Le pire était de ressentir le plaisir qu’il prenait à être en moi. Trop affaibli, il m’était maintenant impossible de bloquer mon esprit. Tout pris fin après un temps que je jugeais infiniment trop long. Il se déversa en moi tout comme le gardien, me souillant à son tour. Il ne resta pas une minute de plus à mes côtés. Il se retira de moi, et remonta dans son lit, me laissant étendu dans la même position.

 Ma tête était toujours enfouie dans l’oreiller, mes pleurs toujours plus douloureux. Je me sentais détruit, anéanti à jamais. Mes mains se serrèrent sur draps qui s’étaient légèrement défaits par ce qu’il venait de se passer. Seulement, rester dans cette position était finalement pire que tout. Je finis par me redresser et me mettre assis en boule contre le coin du mur. Je fixais l’entrée de la cellule, laissant les larmes s’écouler. Mes yeux parcouraient la pièce à la recherche d’une issue, je n’étais pas très loin de la folie. Il fallait que je trouve une échappatoire, une solution pour que tout finisse maintenant.

Mes yeux furent alors attirer par quelque chose de brillant au dessus de ma tête. Je levais la tête afin de mieux voir, et m’aperçut qu’il s’agissait d’une larme de cutter coincé et cacher aux yeux des gardiens. Il ne fallut pas longtemps pour préparer ce que je voulais faire. Fébrilement je tendis mon bras vers cette lame, ne pensant plus qu’à une seule chose : en finir une fois pour toute et fuir cet endroit à l’aide de la seule méthode qui était en mon pouvoir.

J’avais assez payé, je pouvais partir. Mourir, c’était tout ce que je méritais. Je portais cette lame à mon poignet, et sans perdre un seul instant, j’incisais cette peau qui ne demandait qu’à l’être. La lame entra comme dans du beurre, laissant échapper aussitôt des flots couleur vermeille, la même couleur qui avait entouré Killian avant sa mort.

J’étais comme hypnotisé par ce sang qui s’échappait en même temps que ma vie. Plus rien ne me retenait dans ce monde. Je pouvais partir, cela ne ferait de peine à personne. Je ne ressentais même pas la douleur, seulement une légère gêne, l’impression qu’on m’enlevait quelque chose d’important. La vie me quittait, ma tête tournait. Mes yeux commençaient à se fermer… Je perdis conscience sans même m’en rendre vraiment compte…

Fin du flash back

J’ouvris soudain les yeux, tout tremblant et transpirant. Mon bras me lançait et il me fallut un temps pour réaliser que tout cela n’avait été qu’un rêve, ou du moins un souvenir revécu en rêve du passé. J’étais tout tremblant, recroquevillé dans le canapé. J’avais l’impression de venir de vivre ce traumatisme de mon passé. Ma cicatrice me brûlait comme si c’était une plaie ouverte. Je ne pouvais pas rester ainsi allongé, il fallait que je me lève. Je me redressais vacillant, faible comme jamais.

En plus de ce cauchemar, je me rappelais de ce qui s’était passé juste avant. Mon cœur se sera douloureusement. Je sentis soudain un haut le cœur, et j’eus à peine le temps de courir jusqu’au toilettes. Un second hoquet me prit, et il m’en fallut pas plus pour vomir. Les larmes vinrent en même temps.

Chaque spasme était de plus en plus violent, me prenant dans le ventre et provoquant des crampes. Rare était les fois où je me sentais aussi faible et aussi minable. J’avais vécu dix ans en prison, pourquoi fallait-il que je rêve du pire… Après ma tentative de suicide, on m’avait placé dans la même cellule pendant dix ans, et l’occupant m’avait pris sous son aile sans jamais rien me demander en échange.

Le temps m’avait aidé à oublier, à dépasser ce traumatisme que je voyais toujours comme une punition. Je ne sus pas vraiment combien de temps je restais là, à finir par vomir toute la bile que contenait mon estomac maintenant désespérément vide. Je finis par me relever et marcher à l’aide de mes jambes tremblantes jusqu’à la salle de bain.

Je me passais un peu d’eau sur le visage, faisant tout pour ne pas regarder mon teint livide dans la glace. Je retournais m’allonger en boule dans le canapé, attrapant une couverture car je frissonnais de froid, affaibli par mon état pitoyable. J’étais en train de craquer comme rarement cela m’était arrivé. L’idée même de n’avoir plus aucun lien avec Gabriel s’était revenir en arrière, me retrouver de nouveau terriblement seul.

Cette solitude me terrifiait de par ce que j’étais capable de faire. Pourquoi ce jour de prison… Je pensais l’avoir dépassé. J’avais pu coucher avec Dorian sans aucun problème, l’acte sexuel en lui même ne me faisait pas peur et j’aurais été tout à fait capable d’aller plus loin avec Gabriel. Non, c’était une toute autre forme de traumatisme que ces deux hommes avaient laissés en moi. Avoir réveillé cette souffrance en moi avait fait revenir à la surface des vieux démons autodestructeurs… Je souhaitais tout autant dormir que rester éveillé.

Ces deux états étaient tous deux maintenant similaires et douloureux. Le soleil s’était maintenant bien levé dans le ciel et je réalisais que la journée était maintenant bien avancée. Je n’étais pas allé travailler et jamais je n’en aurais été capable. Rester allongé là, dans un état de crise, c’était tout ce qui m’était permis de faire. Mon téléphone sonna plusieurs fois dans la journée, mais il m’était impossible de me lever pour répondre. Et puis je n’avais personne à qui j’avais envie de parler. Ce ne pouvait être que le frère de Kilian ou le centre et c’était hors de question.

Je finis par allumer la télévision, m’emmitouflant dans la couverture. Je n’avais pas faim, et l’idée même d’ingurgiter quelque chose me soulevait le cœur. Je tentais plusieurs fois désespérément de suivre le film, puis le suivant, mais rien n’y faisait. Je repensais à toutes ses années que j’avais passé depuis la mort de Killian jusqu’à la récente perte de Gabriel. Est-ce qu’en tuant Killian, j’avais anéanti tout bonheur possible ? Est ce qu’un jour ma culpabilité prendrait fin ? Je n’arrivais plus à y croire…

Je passais la nuit ainsi, dans un semi sommeil, pas assez profond pour rêver de nouveau de mon passé, m’enfonçant plus loin dans les cauchemars. Tout m’inspirait le dégoût de moi même et de mon corps. L’idée d’être souillé à jamais était ressorti de plus belle. Est ce que je ressentirais toujours cela ? La réponse qui me venait à l’instant était positive.

Plongé dans le pessimisme le plus sombre, je passais une seconde nuit des plus difficiles. La journée qui suivit fut encore pire. Les seules fois où je me levais était pour aller vomir. Une volonté sourde et autodestructrice s’était emparait de moi. Je ne savais ce qui me retenait. Plus je pensais au centre et plus je me disais que jamais je ne pourrais y retrouver et affronter Gabriel chaque jour.

Ce qui venait de m’être enlevé était bien trop rare et précieux pour constaté son manque chaque jour. Je dormis très peu la nuit qui suivit, mais elle m’aida à prendre ma décision. Je ne pouvais pas rester comme cela. Très tôt demain matin, j’irais donner ma démission. Je partirais d’ici. Je vivrais le plus seul et plus éloigner des autres. Je m’isolerais à jamais, et pour cela je trouverais la solution la plus radicale.

Ainsi, lorsque l’aube se leva, je me redressais, puisant dans mes dernières forces. J’avais l’impression que l’on m’avait roué de coups, tellement mon corps était courbaturé. J’allais directement dans la salle de bain, ne prenant pas la peine de voir mon visage tout de suite. Je fis couler l’eau sur mon corps, tentant de redresser un peu la tête, ne voulant pas montrer à tous lorsque je sortirais mon abattement. Lorsque je sortis, je me séchais les cheveux, défaisant les quelques nœud.

Une fois sec, j’allais m’habillé. Ce soir, je ferais mes valises et quitterais cet endroit pour aller errer dans un ailleurs où je ne me lierais avec personne. J’attrapais aussi quelque chose à manger pour la route, ayant besoin d’un peu de force, même si la vue de la nourriture ne me donnait pas du tout envie. Je sortis de chez moi, après avoir enfilé ma veste, comme un zombie. Il neigeait dehors, donnant à l’ambiance un ton tout à fait approprié. Dehors, le froid était saisissant et pourtant je continuais de marcher sans y prêter vraiment attention. Plus j’approchais du centre, et plus mon cœur se serrait. Plus j’avançais et plus je ralentissais.

Lorsque j’atteignis enfin le centre, je fus soulagé de constater que personne n’était encore arrivé ou n’avait véritablement commencé à travailler. J’allais directement jusqu’au bureau de Philippe et frappais à sa porte, inspirant un bon coup. Heureusement il était là, et dit simplement :

- Entrez…

Je m’exécutais, ne sachant pas trop comment celui-ci allait réagir à ma venue.

- Tiens, s’exclama Philippe sans cacher sa colère, je pensais ne plus jamais te revoir, qu’est ce que tu fiches ici ?

- Je… euh… Commençais-je à bredouiller. 

Je m’avançais un peu plus en même temps, voulant arriver à sa hauteur.

- Je t’avais prévenu Juha ! Tes problèmes ne devaient pas affecter ton travail ! Deux jours d’absences sans prévenir !! Non mais tu te prends pour qui ? J’espère que tu as une excuse en béton.

Je n’arrivais rien à répondre, j’étais comme paralysé face à sa colère qui m’envahissait et que je ne savais même plus repousser. Jamais je ne me serais imaginé aussi faible.

- Alors Juha j’écoute. Tu es en train de me faire perdre mon temps, déclara-t-il, s’impatientant de plus en plus.

Je ne trouvais qu’une chose à lui dire, prenant mon courage à deux mains, sachant que je ne pourrais pas tenir la tête haute très longtemps :

- Je m’excuse. Ce que j’ai fait un intolérable, c’est pourquoi je donne ma démission. Merci pour tout ce que vous avez fait.

Philippe semblait abasourdit parce que je venais de dire. C’était vraiment la dernière des choses à laquelle il s’attendait. Ce fut à son tour de bégayer quelques mots, mais je ne lui laissais pas le temps de reprendre ses esprits, et déclarait simplement « au revoir » avant de lui tourner le dos et de quitter la pièce. J’avais pris ma décision et c’était l’unique solution que je voyais. A l’instant même où je priais pour ne pas revoir Gabriel, je tombais face à lui en ouvrant la porte, et à voir l’expression qu’il affichait je compris qu’il avait assisté à une bonne partie de la scène. Maintenant qu’il était en face de moi, je ne pouvais plus faire marche arrière.

- Au revoir Gabriel…

A l’instant même où je prononçais ces mots, je les trouvais à la fois si ridicules et déplacés. Il me dévisageait, semblant peu à peu réalisé ce que je venais de dire. Ne pouvant supporter sa vue d’avantage et mon cœur saignait, je poursuivis ma route en le dépassant. Sa voix retendit soudain dans mon dos, mêlant froideur et colère :

- Tu ne fait que fuir !

Je me retournais aussitôt vers lui, presque choqué par ce qu’il venait de dire. Blessé de ces quelques mots, retenant tant bien que mal mes larmes, je déclarais d’une voix assez faible :

- Ne juge pas Gabriel… Tu ne sais rien.

- Non, je ne te juge pas, je ne que fait que constater ce que je vois !

Je détournais le regard, ne supportant plus de le voir. C’était bien trop douloureux. Malgré moi, je constatais que je m’étais attaché à lui bien plus que je ne le pensais.

- Pourquoi est ce que tu ne me regardes pas quand je te parle, reprit-il. De quoi as-tu peur ? De la vérité que je dis ? Tu n’es qu’un lâche Juha ! Tu fuis la queue entre les jambes à chaque problème que tu rencontres !

S’en était trop. Je ne pouvais pas en entendre plus. Une colère sourde m’envahie, faisant échos à la sienne. Je plantais mes yeux dans les siens et déclarais :

- Comment peux-tu dire que tu ne juges pas en me disant cela. Peut être que je fuis, mais que ferais-tu si tu étais dans ma situation. Tu as raison, je sors de prison et cela doit grandement te choquer. Je me doutais de la réaction que tu aurais. Mais as-tu imaginais un seul instant tout ce que j’ai vécu avant la prison et pendant les dix années qui ont suivi ? Je n’ai plus rien à faire ici. Je préfère partir parce que peut être qu’il m’est impossible de rester ! Fuir, n’est ce pas finalement ma seule solution ? J’ai assez souffert pour que tu viennes me juger aussi facilement.

Je pleurais et je tremblais, mais j’extériorisais un peu ma douleur.

- On a tous un passé certes plus ou moins douloureux Juha, mais ce qui compte maintenant c’est ce que l’on ait, et pas le passé ! me répondit-il.

- C’est tellement facile de dire cela ! S’il te plait épargne-moi ces grandes paroles ! J’en ai assez de ces discours moralisateurs.

- Peut être que c’est facile Juha, mais contrairement à toi j’ai plus ou moins réussis à surmonter mes démons.

J’inspirais alors profondément, ne voulant pas laisser échapper des paroles blessantes. Mais je finis par lâcher : 

- Le pire, c’est que tu crois ce que tu dis… Arrête de mentir.

Je réalisais trop tard que j’en disais peut être un peu trop. Sans me départir de ma volonté, je lui tournais subitement le dos, commençant à partir. Mais la main de Gabriel agrippa fermement mon poignet et j’eus à peine le temps de me retourner que je reçus une gifle puissante. Les coups, s’étaient bien la dernière chose que je pouvais encaisser maintenant. Je repris ma fuite, courant vers la porte. J’entendis plusieurs fois Gabriel m’appeler, mais je ne me retournais à aucun moment.

Je courus tout le long du trajet, trop blessé et trop meurtri pour avoir la résistance à quoi que ce soit. Je me retrouvais devant chez moi, montant les marches avec la même cadence. Arrivé devant ma porte, j’avais déjà saisi les clefs. Ma tête tournait à cause de l’effort fourni.

Fuir et cette fois-ci fuir pour de bon était ma seule solution. Je jetais un rapide coup d’œil une fois rentré chez moi dans la pièce, ne prenant même pas la peine de fermer la porte. N’avais-je pas déjà assez souffert et payé pour la mort de Killian ?

N’avais-je pas droit maintenant à cette libération. Je n’avais aucune raison de rester, rien qui me retenait. La seule personne qui me prêtait maintenant réellement attention était le frère de Killian qui souhaitait ma mort. Je saisis le couteau à l’instant même où je le vis. Il était suffisamment aiguisé pour abréger mes souffrances.

Mes jambes cédèrent sous mon poids. Mon poignet fut découvert et offert. Il suffisait d’un seul geste et tout cela était fini. J’avais assez donné, assez souffert, assez payé. J’allais pouvoir fuir pour de vrai et donné raison à Gabriel. Soudain, sa voix retentie, me faisant sursauter :

- Juha ! Putain qu’est ce que tu fous ! Cria-t-il

Il courut vers moi, totalement paniqué et essoufflé, m’arrachant le couteau des mains. Il attrapa alors le poignet que je m’apprêtais à tailladé une ultime fois, souhaitant regarder si je n’avais rien. Je n’eus même pas la force de lui résister et réalisais seulement maintenant ce qu’il allait voir. Il fixa mon ancienne cicatrice, la découvrant pour la première fois. Peut être était-il en train de prendre conscience de ma souffrance… Il plongea ses yeux dans les miens embués de larmes et me demanda au bord des larmes :

- Pourquoi Juha ?

- J’en peux plus Gabriel… répondis-je la voix vide de toute force…

Ce fut la phrase de trop qui le fit pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi il se mettait dans cet état. Pourquoi pleurait-il ? Je détournais les yeux, ne supportant pas d’être la raison de ses larmes. Sa voix retentie de nouveau :

- Est ce que tu es toujours comme cela Juha ? Aussi égoïste ? Est ce que tu agis toujours en ne pensant qu’à toi sans te douter du mal que tes actes peuvent causer aux autres ?

Je relevais mes yeux, les plantant dans les siens, et déclarais, dans une plainte déchirante :

- A qui est ce que je causerais du mal si je partais ?

Une seconde gifle vint atterrir sur ma joue déjà endolorie par le précédent coup.

- As-tu vraiment conscience de ce que tu dis ?!

Je ne résistais plus. Toutes mes forces, toute ma volonté s’effondra comme un château de cartes. Je me jetais presque dans ses bras, me laissant aller à enfouir ma tête contre son épaule. Il ne me repoussa pas et au contraire, m’enlaça avant de me serrer très fort. Au milieu d’un sanglot, je lui soufflais alors simplement un mot :

- Pardon…

Gabriel m’écarta alors un peu de lui, ne mettant cependant pas fin à l’étreinte.

- Comment te faire confiance Juha ? Qu’est ce qui me prouve que tu as été clair et honnête avec moi ?

Tentant un instant de cesser de pleurer, je déclarais la vois enrouée :

- Laisse-moi du temps… Je te promets qu’un jour tu sauras tout… Mais je n’ai pas la force de te le dire maintenant…

Gabriel m’attira alors soudain à lui, me serrant si fort qu’il m’étouffait presque. J’aimais plus que tout être ainsi dans ses bras, sentir ce contact rassurant. Il murmura alors à mon oreille :

- Je t’en supplie, ne recommence jamais ça… Ne me refais jamais aussi peur…

Sa voix mourut dans nos sanglots. Je me laissais aller dans ses bras, m’apercevant de mon état de faiblesse physique dut à ces derniers jours. Me reposer un peu sur ses épaules, j’en avais plus que besoin. Mais j’avais surtout besoin de lui dire une autre chose, transmettant ainsi ma peur, au milieu d’un sanglot, la tête toujours enfouie tout contre lui :

- Ne me laisse pas seul Gabriel, s’il te plait… Je t’en supplie ne me laisse pas seul.

Inconsciemment, je resserrais l’étreinte de mes bras sur son corps. Je tremblais comme une feuille… Tout ce que j’avais emmagasiné jusque là était en train d’éclater sous ses yeux. Semblant percevoir la gravité de ma détresse, il raffermit lui aussi son étreinte et me dit :

- Je n’en ai pas l’intention Juha… Je suis là… Chut…. Calme-toi…

Il s’écarta de nouveau légèrement de moi, et déposa alors un baiser sur mon front. Il y avait tellement de douceur et de réconfort dans ce geste que je fus envahie d’une vague chaude et rassurante. Mes yeux rougis et embués se posèrent sur son visage, avant de croiser son regard pour ne plus le quitter.

Je m’apercevais que j’avais besoin de bien plus qu’un simple baiser sur le front. J’étais presque pris d’un vertige en constatant à quel point, en si peu de temps, j’étais devenu dépendant de lui. Sans penser aux conséquences ou même appréhender sa réaction, j’approchais mon visage du sien, et déposer délicatement mes lèvres sur les siennes.

J’avais besoin de ce baiser, comme pour me sentir vivre, comme pour ressentir quelque chose d’agréable qui me permette de croire que quelque chose me retient dans ce monde. C’était finalement par ce baiser désespéré que je tentais de me raccrocher à la vie. Je n’avais que cela, c’était ma dernière chose et heureusement Gabriel le compris. Je pouvais ressentir sa peine et son affection pour moi, lorsqu’il me céda l’entrée de sa bouche.

Je mis tout mon être dans ce baiser, me mettant comme rarement totalement à nu, lui dévoilant bien plus que mon âme. En cet instant, s’il y prêtait attention, il pouvait tout lire en moi, je m’abandonnais totalement à lui. Si je restais en vie, si je m’agrippais de nouveau à celle-ci, c’était uniquement grâce à lui. Perdu dans l’étreinte de ses bras et dans le baiser dont il était en train de prendre les rênes, je me laisser transporter, le laissant à sa guise me découvrir, me dévoiler…

Mon cœur était maintenant gonflé de ce sentiment précieux de réconfort et d’affection qui m’avait cruellement manqué pendant toutes ses années. Mon cœur battait extrêmement vite, je tremblais encore, mais au creux de ses bras, et en plein milieu de ce baiser, je me sentais protégé…

A suivre…