Archive du 3 décembre 2012

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Silent scream - chapitre 12

   Ecrit par : admin   in Silent scream

Chapitre 12 par Lybertys

 

Ce fut la première fois que je me nourrissais presque avec envie. Peut-être étais-ce du au fait que je ne devais plus simplement le faire pour moi-même mais pour quelqu’un d’autre, quelqu’un qui en avait vraiment besoin. 
Je me sentais étrange. C’était pourtant l’homme que je détestais. Je venais de lui sauver la vie, alors que j’avais si souvent voulu le tuer. Je n’oubliais pourtant pas la douleur qu’il m’avait causée : traumatisme qui resterait à jamais gravé en moi. Et pourtant, il avait tout risqué pour venir me chercher. Il était allé là où tout le monde voulait sa vie. La douleur de la torture fraîchement vécue irradiait encore mon corps entier et pourtant, j’avais cette cruelle impression de me sentir plus fort. C’était comme si je commençais à peine une nouvelle vie.

Pour la première fois depuis le début de ma vie de vampire, je laissais aller tous mes sens, comme pour la première fois en éveil. Je me laissais enfin à être pleinement. Je courais de plus en plus vite, appréciant la douceur de l’air glissant sur mes joues. J’avais toujours faim, avec l’impression que la satiété ne m’était pas accessible. Je devais manger pour deux cette nuit là, et la culpabilité d’ôter des vies me semblait lointaine.
Elle me m’étreignait plus comme elle l’avait si souvent fait. Ils n’étaient à mes yeux que des sources de nourriture, un moyen de rester en vie au prix de la leur. C’était bien cela, pour la première fois, je ne me sentais plus attaché au genre humain et n’avait donc pas l’impression de trahir les miens. Mais je n’allais cependant pas jusqu’à dire que je prenais du plaisir à ôter une vie. Mais c’était minime par rapport au fait de sentir ce sang délicieusement chaud couler dans ma propre gorge. 
Ce ne fut qu’une fois nourrit bien plus que nécessaire, que je me décidais à rentrer, ayant cet heureux sentiment de savoir que quelqu’un m’y attendait. Certes, je le craignais toujours, et une once de haine habitait toujours mon cœur. Mais pour la première fois, j’avais presque une mince forme d’affection pour lui. 
Lorsque je rentrais, Ezekiel était dans un sommeil profond mais agité. Ses sourcils froncés, trahissaient la douleur qu’il ressentait. Me sentant légèrement coupable, j’allais m’asseoire près de lui, et posait délicatement ma main sur sa joue, l’effleurant à peine, comme pour tenter de l’apaiser. Mais Ezekiel réagit violemment. Il m’attrapa d’un geste brusque, se redressant plus vivement que je n’en l’aurais cru capable, les canines à découvert comme prêt à me sauter à la gorge. Je tentais de ne pas céder à la torpeur dans laquelle il me mettait, et pourtant, j’avais terriblement peur. Me ressaisissant plus vite que je ne l’aurais cru, je pris la parole afin qu’il réalise qui il était en train d’agresser : 
- C’est moi, soufflais-je d’une voix qui se voulait douce et apaisante. Tien, cela t’aidera à reprendre des forces, ajoutais-je en lui tentant mon poignet entaillé d’où perlait déjà quelques gouttes de liquide carmin si précieux.
C’était la première fois que j’occupais cette place. Je prenais soin de lui. Qu’étais-je en train de réellement faire. Avais-je simplement conscience de mon geste ? Pourquoi prendre soin de lui avec autant de précaution ? Jamais je ne m’étais occupé d’une autre personne que moi-même. Jusqu’à maintenant, je n’avais qu’à compter sur moi, et personne d’autre n’était réellement entré dans ma vie. Aujourd’hui, je prenais quelqu’un à charge. Sans moi, il n’aurait sûrement pas tenu longtemps… Mais sans moi, il n’aurait jamais été dans un tel état.
D’une manière fébrile que je n’avais jamais connu chez lui, il s’empara de mon poignet offert avec des tremblements du à sa souffrance et à son manque. Il le porta à ses lèvres d’un geste hésitant. Le contact de ses lèvres sur ma peau me fit frissonner d’une sensation que je ne savais nommer. Trop occupé à se délecter des premières gouttes, il ne perçut pas mon trouble. Mais ce fut bientôt une faim féroce qui s’empara de lui. Comme hypnotisé par l’appétit qu’il découvrait, il entailla plus profondément ma chair et je réprimais une grimace de douleur. Mes sens étaient beaucoup plus en alerte et j’avais l’impression de sentir chaque fibre de ma peau se déchirer sous sa puissante mâchoire. Lorsque mon poignet s’engourdit, je me laissais aller à ce que je ressentais.
Cette sensation était étrange. Sentir comme une vie qui s’échappait de moi sous le fait de ma volonté. Il l’aspirait avec une vigueur qui me faisait presque trembler, me donnant des vertiges.
Il semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Ce trop plein bénéfique que j’avais ressentit jusqu’à présent, se transformait trop rapidement à mon goût en vide à combler. Je n’étais pas au meilleur de ma forme, pas après ce que j’avais subit et il me faudrait plusieurs jours pour m’en remettre. Je ne pouvais pas me permettre de ne pas avoir suffisamment de sang ou alors nous ne serions que deux bons à rien, cible pitoyablement facile. Et pourtant, au fond de moi, la tentation était grande de le laisser me vider entièrement. Peu à peu, je me sentais comme engourdi. J’avais l’impression de me fondre en lui. Je tentais de reprendre la raison, alors qu’un gémissement m’échappa, tinté de douleur et d’un plaisir que je n’aurais pas cru y prendre. Je retirais mon poignet subitement, comme pour revenir pleinement à moi. Il en avait eu assez, plus qu’il ne le fallait pour le moment. Je m’attirais alors un grondement de mécontentement de sa part. Il n’était pas rassasié, mais je ne pouvais lui donner plus.
- Cela suffit, Ezekiel, soufflais-je d’une vois tremblotante qui trahissait ma faiblesse et mon trouble.
Docile, mais à contrecoeur, il relâcha mon poignet, soupirant de soulagement. Alors qu’il se rallongeait, je remarquais qu’il avait repris quelques couleurs. Cependant, la douleur semblait l’épuiser et il fermait déjà les yeux, rejoignant les limbes sur sommeil et me laissant seul.
Je posais alors mon regard sur son visage. La douleur contractait ses traits, mais il était plus détendu. Profitant de son état de relâchement, je me mis à détailler son visage, admirant la beauté froide qu’il dégageait. La fatigue commença à m’atteindre plus durement que je ne l’aurais cru et sans vraiment contrôler mon geste, comme pour tenter de le détendre, je posais ma paume sur son visage, épousant parfaitement la forme de son visage.
Ezekiel ouvrit alors difficilement les yeux, et sursauta légèrement en remarquant ma présence au dessus de lui. Mon visage était seulement à quelques centimètres du sien, et j’avais du mal à me souvenir du moment où je m’étais approché de lui, comme envoûté. Sans m’arrêter, je déposer mes lèvres sur les siennes, avec une douceur et une délicatesse dont je ne me connaissais pas capable. Prenant son visage en coupe, j’accentuai la pression de ma bouche sur la sienne, ayant envie de son contact plus que tout. C’était un baiser assez prude, mais il n’en était pas pour autant désempli de tendresse.
Comme déboussolé, Ezekiel ne répondit pas tout de suite, tout autant surpris que moi d’un tel comportement. Rares étaient les fois ou j’avais esquissé un tel geste vers lui. Progressivement, Ezekiel finit par répondre à mon baiser, entrouvrant ses lèvres en un accord silencieux à ce que j’approfondisse notre échange. Fermant les yeux, je me laissais investir par toutes les sensations nouvelles qu’il éveillait en moi. J’avais failli ne plus jamais connaître cela. J’avais failli mourir, j’avais voulu me donner la mort et maintenant… Et maintenant qu’allais-je devenir ? Qu’allions-nous devenir ? Car je n’étais plus seul maintenant, nous étions deux.
Ce baiser nous laissa tous deux pantelants. Ezekiel relâcha mes lèvres, semblant avoir du mal à rester conscient. Contre toute attente, il murmura alors dans un souffle :
- Merci…
Puis, sans me laisser le temps de réagir ou de répondre quoi que ce soit, il s’endormi profondément, me laissant seul à nouveau. Investi par la fatigue, je m’étendis près de lui, n’osant tout de même pas me coller trop près, je laissais simplement ma main effleurer son corps. C’était comme au début, lorsque j’allais le rejoindre dans son cercueil. Etrangement serein, épuisé, je le rejoins dans le sommeil…
Je me réveillais après plusieurs heures de sommeil, le corps en sueur et la peau de mon torse et de mon ventre cuisante. J’avais mal et j’avais surtout faim. Ma guérison demandait plus de sang que je ne l’aurai cru. Laissant Ezekiel dormir d’un sommeil juste, je me levais discrètement et m’évanouissais dans la nuit sombre qui avait déjà envahi la forêt. J’entamais un pas de course soutenu, car nous étions loin de toute civilisation. Je n’allais cependant pas trop vite, souhaitant économiser mes forces pour une guérison plus rapide. Presque essoufflé, je m’arrêtais à la lisière de la forêt, un rayon de lune berçant la plaine. J’avais l’impression que ma peau était en train de se consumer. Profitant de ce peu de lumière, j’ouvris ma chemise, frémissant face au vent qui lécha instantanément ma peau. Ce n’était pas beau à voir. Loin d’être cicatrisés, les plaies dues à l’eau bénite parsemaient ma peau comme mutilée à jamais. Frissonnant de dégoût, je refermais brutalement ma chemise, ne voulais plus me soumettre à cette vue emplie de souvenir trop frais. J’humais l’air, me concentrant sur ce que j’avais à faire : chasser. Deux hommes enivrés n’étaient qu’à quelques centaines de mètres, comme égarés, loin de leur villes. Deux proies parfaites pour un début de chasse…
Je rentrais plus que rassasié, espérant cette fois en avoir pris assez pour nous nourrir tous les deux. Ezekiel était toujours endormi lorsque je rentrais. La douleur de mon torse me cuisait moins, entamant à nouveau une forme de guérison lente et périlleuse. J’osais à peine imaginer la souffrance que Ezekiel devait ressentir dans son épaule. 
Je m’assis près de lui alors qu’un questionnement revint m’assaillir. Quelle vie allions nous avoir ? Shaolan nous avez clairement menacé… J’avais peur, peur d’être à l’aube de ma naissance de vampire, de découvrir mes capacités et finalement me retrouver l’herbe coupée sous les pieds, la vie ôtée.
C’est à ce moment-là qu’Ezekiel choisit pour ouvrir les yeux. Reprenant mes esprits, je mordis mon poignet et le lui présentais : 
- Tiens, soufflais-je, heureux de me délester un peu de ce trop plein. 
Sans se faire prier, il attrapa délicatement mon poignet qu’il mordit, aspirant mon sang avec moins de précipitation que la première fois. De lui même, il s’arrêta, semblant rassasié. Il cicatrisa la plaie d’un coup de lange et me rendis ma liberté. N’ayant aucune envie de m’écarter de lui, je m’allongeais à ses côtés, et délicatement, ne voulant pas rompre le contact, en un geste tendre, je posais ma main sur son torse dénudé, qui avait repris une certaine chaleur rassurante.
Puis, les questions devenant trop nombreuses, les ayant trop ressassées dans ma solitude, je profitais de son instant d’éveil pour les partager avec lui.
- Qu’allons nous devenir ? Demandai-je dans un murmure.
Ezekiel ne répondit rien, ne semblant pas comprendre mon comportement ou simplement ma question. Sans attendre, maintenant lancé, j’allais jusqu’au bout de mon raisonnement, m’étonnant moi-même de la détermination que j’y mettais :
- Je veux que tu m’apprennes à me battre. Je ne t’abandonnerais plus…
Je ne voulais plus être un poids mort. Je ne voulais pas qu’il lui arrive la même chose par ma faute. Je voulais être capable de me défendre seul et ne plus jamais me retrouver dans une telle situation. Je venais à peine de découvrir mes réelles capacités et je voulais en découvrir beaucoup plus sur elles.
Ezekiel resta interdit l’espace d’un instant et après un long silence, il me demanda avec hésitation, comme choqué par ce que je venais de lui dire :
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ? Répétais-je, perdu par sa réaction.
- Pourquoi ce brusque changement d’avis ? Reprit-il, comme s’il venait de retrouver son sens de la répartie.
Je ne répondis pas à sa question, soudain très mal à l’aise. Comment pouvait-il me prendre au sérieux après le tel passé qu’il me connaissait. Eludant volontaire et maladroitement sa question, je me redressais et m’assis à sa hauteur : 
- Co… Comment va ton épaule ?
A son tour, il ne répondit pas à ma question, n’aimant pas ma façon de faire. Agacé, il se releva brusquement, ne grimaçant que très légèrement face à la douleur qu’il devait s’imposer. Il se tourna vers moi et me demanda avec hargne : 
- Quand cesseras-tu de te voiler la face, Alakhiel.
J’esquissais un sursaut de surprise. J’avais presque oublié ses sautes d’humeur et la véritable peur presque animale qu’il m’avait toujours inspirée. Rassemblant mon courage, ne voulant pas me plier vulgairement face à lui, j’ancrais mon regard embrasé d’une lueur de défis dans le sien, et éludant une nouvelle fois sa question, je murmurai : 
- Pourquoi m’as-tu sauvé, Ezekiel ? S’il te plait, ajoutais-je en le voyant ouvrir la bouche pour me répondre. Ne me sert pas encore une de tes répliques sarcastiques… Je… J’ai besoin de savoir…
Je le suppliais presque, j’avais besoin de savoir, besoin de savoir pourquoi il me gardait ainsi en vie à ses côtés, jusqu’à risquer la sienne… Semblant être touché, sans que je comprenne vraiment pourquoi, Ezekiel soupira longtemps avant de murmurer dans un souflle : 
- Je croyais que tu l’avais compris…
Ne comprenant pas sa réponse, ayant beaucoup de mal à imaginer ce qu’il voulait dire par là, je lui demandais déboussolé :
- Quoi ? Qu’aurais-je du comprendre ? 
Soudain, cela me parut évident. Qu’étais-je aller m’imaginer. Qu’il tenait à moi indépendamment du fait que je lui appartenais. J’ajoutais alors d’une petite voix tremblante, sachant que la réponse serait durement douloureuse : 
- C’est parce que je suis ta chose, n’est ce pas…
A l’entente de mes derniers mots, Ezekiel poussa un soupire d’exaspération. 
- Quand cesseras-tu de prendre au pied de la lettre chaque mot que je prononce, soupira-t-il. Tu crois vraiment tout ce qu’on te dis, c’est pas croyable !
Ezekiel esquissa un léger sourire alors que j’étais encore plus perdu qu’auparavant. Il n’ajouta rien, peu enclin à me donner plus d’explication. Il déposa cependant un délicat et chaste baiser sur mes lèvres, qui me troubla encore plus. Sans attendre de réaction de ma part, il se détourna de moi et s’allongea sur le sol de terre battue, mettant fin à cette discussion. Me sentant soudain violemment seul, je m’allongeais à mon tour, laissant une distance entre nous. Cette distance me donnait l’impression d’être un mur impénétrable.
Ce fut sans la moindre réponse face à notre avenir, que je tentais de fermer les yeux et de trouver le sommeil. Il me fallut un certain temps et finalement, l’épuisement physique eut raison de moi. J’avais mal, terriblement mal. Je ressentais une douleur tellement puissante que la mort me semblait elle même trop douce pour m’en soustraire. J’ai seul, entouré d’ennemis. Leurs regards posés sur ma nudité étaient eux aussi une véritable torture. Je voulais crier, les supplier de mettre fin à tout cela, promettant de faire n’importe quoi, mais aucun son ne sortait de ma bouche. J’en venais presque à souhaiter ne jamais avoir été mis au monde. 

Je ne voyais aucune échappatoire et bouger, ne serait-ce que d’un millimètre, rendait le supplice encore plus insurmontable. Le rire de Shaolan brûlait mes oreilles et cette fiole qui se vidait sur mon corps semblait ne jamais se désemplir. Chaque seconde me semblait durer une vie de mortel entière. Rien ne pouvait me soustraire à cette torture et sombrer dans l’inconscience me semblait interdit. 
Mais soudain, alors que ne serait-ce que le souhaiter m’avait sembler inimaginable, je me sentit envahi par une chaleur réconfortante qui repoussa peu à peu toute sensation de douleur possible. Des larmes de soulagement mélées de terreur m’envahir, alors que je m’enfonçais dans un espace noir et dénuée de toute vie. Je me sentais soudain, comme dans un cocon protecteur, là ou jamais personne ne pourrait m’atteindre, comme protégé par une puissance dont j’ignorais la source. Je me laissais aller, comme bercé par des bras puissant, irradié par une chaleur qui n’était pas la mienne. Je ne pouvais cesser de pleurer, tentant d’évacuer tout ce que je venais de ressentir, ce trop plein qui avait pris possession de mon être et de mon esprit. Suffocant, je repris peu à peu une respiration normale. 
Il me sembla alors entendre quelque chose qui me tira de mon sommeil. Dans un entre deux, je réalisais à peine que j’étais dans les bras d’Ezekiel. Rassuré, je me laissais à nouveau aller, me sentant protégé et prêt à affronter à nouveau le sommeil et ses dangers.
Lorsque je me réveillais, la nuit allait presque tomber. Ezekiel avait sa main posée négligemment sur mon torse, et sa tête était enfouie dans mon cou. La peau de mon torse était toujours aussi douloureuse, bien que la cicatrisation ait enfin été entamée. Avec délicatesse, lui laissant encore quelques minutes de sommeil, je me dégageai de son étreinte et me redressais, étirant mes muscles endoloris. Me rappelant 
de ce qui s’était passé durant mon sommeil, j’étais certain que je ne devais mon salut qu’à cet homme, tout comme je le lui devais dans la réalité. C’était avec douceur et bienveillance que je le fixais, le sentant proche du réveil. Cela ne manqua pas. Quelques minutes plus tard, il ouvrit les yeux, et une fois qu’il fut réellement là, je déclarais posément : 
- La nuit va bientôt tomber. Nous ferions mieux de ne pas traîner ici… Tu te sens de te lever ? 
Ezekiel ne répondit rien, mais lentememt, il se redressa sur ses coudes afin de me faire face.
- Allons-y, déclara-t-il d’une voix rauque, comme s’il avait la gorge asséchée.
Rassemblant le peu de force qu’il avait, il se leva avec difficultés, ses jambes tremblantes le maintenant à grand peine. Jamais je ne l’avais vu dans un tel état de faiblesse, si bien que je ne savais pas comment réagir. Je ne savais même pas si je devais l’aider ou non.
Pour toute réponse, Ezekiel s’appuya sur moi plus lourdement que je ne l’aurais cru. D’un geste maladroit, ne sachant jamais vraiment comment me comporter avec lui, je posais ma main sur sa hanche afin de le soutenir et l’aida à marcher.
Lentement, sans un regard en arrière, nous reprîmes notre route, nous éloignant progressivement du lieu où siégait le conseil. Il était d’ailleurs étrange que celui-ci ne se soit pas mis à nos trousses. Shaolan y était-il pour quelque chose ? Je ne le voyais maintenant plus que comme un abject manipulateur. Ce n’était plus un allié mais une menace pour notre vie. Il me faisait peur, peut être même plus qu’Ezekiel qui au moins était un être entier. Mais je savais ce qu’il voulait : le vampire que je tenais précisément. Sentant malgré moi le trouble d’Ezekiel, étant trop proche de lui, je déclarais d’une voix grave :
- Si je n’avais déjà pas confiance en ce Shaolan, à présent mes doutes se sont confirmés. C’est toi qu’il veut, Ezekiel.
- Je sais. Répondit-il. Du moins, ajouta-t-il face à mon regard interrogateur, c’est ce que j’ai cru comprendre. Ce qui m’échappe cependant, c’est la raison pour laquelle il s’acharne ainsi…
- Tu sais, osais-je timidement, je… Je crois que Shaolan n’est plus celui qu’il était où qu’il a pu être… J’ai l’impression qu’il joue un double jeu…
Ezekiel ne répondit rien. Il semblait m’inciter à continuer, ce que je fis.
- Je me trompe peut être, mais j’ai l’impression que Shaolan à des projets bien plus ambitieux qu’il n’y paraît… Et s’il n’était pas celui qu’il semble être…
- Tu sais quelque chose ? Me demanda-t-il soudain, presque trop brusquement.
Après une seconde d’hésitation, je lui fis véritablement part de ce que je pensais.
- Je… C’est toi qu’il veut. Je veux dire… Il te veut pour lui seul
- Je n’appartiens à personne, grommela-t-il.
Sa réaction me fit sourire légèrement. Ezekiel était toujours fidèle à lui même, et j’avais de nombreux doutes quant à la possibilité que Shaolan exécute véritablement ce qu’il voulait ou du moins y parvienne. S’il arrivait à son but, cela voudrait dire que je ne serais plus là. Je n’étais plus qu’un vulgaire obstacle. Un frisson me parcourut l’échine. Mais parviendrait-il réellement à posséder Ezekiel comme il le désirait ? Je n’avais pas de réponse tranchée à cette question.
- Qu’allons-nous devenir ? Lui demandais-je au bout d’un moment, reposant la question laquelle il n’avait finalement pas répondu la première fois.
- Ce que j’ai toujours été, répondit-il dans une voix sans timbre qui me glaça d’effroi. Des fugitifs…
Je m’arrêtais subitement. Ce n’était pas une telle réponse que j’attendais. Lui adressant un regard furieux, je m’exclamai :
- Alors c’est tout ? C’est tout ce que tu sais faire ? Quand vas-tu cesser de fuir, Ezekiel ? M’exclamais-je la voix tremblante qui reflétait toute la rage qui m’habitait.
- Que veux-tu que je fasse de plus ? S’exclama-t-il à son tour, la colère montant en lui. Quoi que je fasse, qu’importe le nombre de soldat du conseil que je tuerais, il nous poursuivront sans relâche… Ne parle pas de ce que tu ne connais pas, Alakhiel, ajouta-t-il avec un sourire sans joie aucune.
Je ne répondis pas tout de suite. Mais soudain, une lueur de folie vint m’éclairer, le même genre de folie qui aurait pu habiter Ezekiel. Un étrange sourire étira mes lèvres. Guidé par la vengeance de ce qu’ils m’avaient fait, je déclarai avec une voix cruelle que je ne me connaissais pas :
- Alors tu n’as qu’à tuer celui qui est à leur tête…
- T’es complètement cinglé, cracha-t-il d’un ton méprisant, reprenant seul sa marche sans un regard pour moi.
Blessé par une telle réaction, je répondis à mon tour, méprisant :
- Je ne te savais pas si lâche !
Mais à peine eussè-je fini ma phrase et sans avoir le temps de réaliser ce qui se passait, Ezekiel me saisit par la gorge et me plaqua violemment contre l’arbre derrière moi. La douleur irradia ma colonne vertébrale sous le choc et même si je le savais faible, il n’y avais aucun moyen pour moi de me libérer de son étreinte. Le seul fait d’être ainsi piégé me rendait fou de terreur. J’avais l’impression de me retrouver dans ce cachot, totalement impuissant. Alors que la rage bouillonnait dans mes veines par pur réflexe de défense, Ezekiel me souffla d’une voix dangereusement basse tout contre mon visage :
- Dis-moi, qui de nous deux est le plus lâche ? Qui de nous deux suppliait Shaolan de l’achever, il y a encore quelques heures de cela à peine ? Qui de nous deux ressent toujours cette culpabilité à prendre une vie ? Entre toi et moi, ajouta-t-il après un court silence, le lâche, ce n’est certainement pas celui qu’on pense !
Sur ces mots, il me relâcha aussi vivement qu’il m’avais saisi. Désiquilibré, je m’effondrais lamentablement sur le sol alors qu’Ezekiel se détournais de moi, sans un regard de plus. Alors que les larmes me montaient aux yeux sans raison, humilié, je les ravalais et m’exclamais :
- Je me demande vraiment pourquoi je m’obstine à te suivre et à vouloir rester avec toi…
- Ta lâcheté et ta peur du conseil, répondit-il.
Vexé par si peu de considération, je répliquais en m’engageant à sa suite :
- Je crois au contraire qu’il me faut du courage et beaucoup de patience pour rester avec quelqu’un d’aussi lunatique que toi… Et la mort ne me fait pas peur… Je ne l’ai que trop souvent frôlée…
J’avais même passé tant d’année à la désirer… Ezekiel se retourna vivement, manquant de me faire sursauter. Il me demanda d’une voix traînante, comme en colère :
- La mort t’effraie si peu que ça ? Dans ce cas, qu’attends-tu pour mettre fin au plus vite à ta misérable existence ? Cracha-t-il avec dédain.
Blessé par une telle réaction de sa part, mais au combien habituel, je ne rétorquais rien alors qu’il continuait :
- Si tu veux, dans mon infinie clémence, je peux même t’y aider… Je t’assures que tu ne sentiras rien… Ajouta-t-il avec un sourire malsain qui me fit frissonner.
Malgré toutes mes bonnes résolutions de prendre ma vie en main, Ezekiel m’ouvrait une nouvelle fois la porte de ce que j’avais fini par croire être une libération. Ne serait-ce finalement pas plus facile ?
Mais n’aimant pas la façon dont il se jouait de moi, je m’écartais de son chemin en sifflant :
- Je ne veux pas de ta pitié.
- Il ne s’agit pas de pitié Alakhiel, rétorqua-t-il en me bloquant la route, ne confond pas tout. Contrairement à toi, je ne ressens pas l’envie de mourir et si je te propose cela c’est uniquement pour sauver ma peau. J’en ai plus qu’assez d’avoir à supporter et à traîner un suicidaire. Alors dis moi une fois pour toute que tu veux mourir et on en finit à l’instant même !
Il n’y avait plus de trace de colère dans sa voix, seulement une profonde lassitude.
Je ressentis une douleur à l’intérieur de moi. J’avais peur d’en connaître la raison. Je semblais être blessé du fait qu’il porte finalement si peu de considération quant à mon cas. Mais après tout il avait raison. S’il me tuait maintenant, s’il mettait fin à mes jours, il se débarrasserait de tous ses problèmes et aurait sûrement une chance de survivre au conseil. Tout serait tellement plus facile pour nous deux. Il retrouverait sa paix et je tenterais de trouver la mienne dans la mort. Un seul mot, et tout serait finit. Plus de faux semblant, j’aurais enfin ce à quoi il m’avait arraché deux fois déjà. Mais pourtant, je ne m’en sentais plus le droit. Finalement, après tout ce temps à désirer la mort, et à être passif, je goûtais à peine à la force qui dormait en moi. Depuis ma naissance en tant qu’humain et jusqu’à maintenant, j’avais été uniquement acteur de ma vie, sans jamais faire de véritable choix, ayant un destin tout tracé devant moi. Elisabeth ne m’aurait même pas regardé. J’aurais fini ma vie monotone, tout comme elle l’avait commencé. Mais j’avais aujourd’hui une autre possibilité. Celle de prouver de quoi je pouvais être capable. Peut importe si je n’étais qu’une chose pour Ezekiel, je voulais être moi-même. Et tant que je ne serais pas allé au bout de tout cela, je ne pouvais et ne voulais pas mourir. Plus maintenant… Ou alors, tout cela aurait finalement été vain.
Dans un souffle, baissant la tête, ne supportant pas le regard inquisiteur qu’Ezekiel posait sur moi, je murmurais :
- Je… Je ne veux pas mourir…
- Il serait grand temps que tu saches réellement ce que tu veux, Alakhiel, rétorqua-til d’un ton cinglant.
Allant jusqu’au bout de ma décision, ne me laissant pas faire, je repris, plein d’assurance et de défit dans les yeux, lui faisant face :
- Je… Je veux que tu m’apprennes à me défendre.
- Tiens donc, ironisa-t-il. En quel honneur ?
Je décidais d’être franc avec lui.
- Je veux être capable de me défendre par moi-même… Je ne veux plus être un poids pour toi… Je ne veux plus que tu risques ta vie une fois de plus pour me sauver… Avouais-je dans un souffle, n’osant plus lever les yeux vers lui.
Après un long silence qui me parut interminable, il finit par reporter son attention sur moi et déclara à son tour :
- Soit ! Mais ne me déçoit pas…
Je ne pus m’empêcher de sourire, heureux malgré moi. Notre nouvelle vie était scellée et c’était tous les deux que nous allions la partager. Je n’avais aucune idée du futur qui nous attendait et si nos chemins continueraient de suivre le même parcours. Tout ce que je savais c’est que pour le moment, nous continuerions tous les deux, liéspar la même malédiction : celle d’être poursuivi à jamais par des êtres puissants voulant notre mort. Peu de chance de survie dans un futur lointain et pourtant pour la première fois, je pouvais ne serais-ce que songer au futur et me sentir le droit de prononcer ce mot. 
Nous marchâmes toute la nuit, Ezekiel légèrement en avant. J’étais derrière lui, le surveillant au cas où il aurait un coup de faiblesse. S’il voulait donner l’impression que tout allait bien, je savais pertinemment que son équilibre ne tenait qu’à un fil. Nous étions à travers les bois, rendant notre progression plus difficile. 
Si les soldats du conseil avaient voulu nous suivre et nous éliminer, nous étions au moment actuel à leur merci la plus totale, affaibli comme jamais. Soudain, en moins de temps qu’il ne fallut pour le dire, je vis Ezekiel commencer à vaciller. J’eus à peine de le temps de le rattraper alors qu’il s’effondrait sur le sol. Il avait perdu connaissance. 
Si j’avais assez de force pour me déplacer et chasser, la chose était complètement différente lorsqu’il s’agissait de porter Ezekiel. En temps normal, il n’aurait presque rien pesé, mais dans mon état, il me semblait terriblement lourd. Pourtant quelque chose me poussait à continuer notre route. L’aube n’était pas encore là, et je connaissais un lieu sur pour nous deux. Avec un peu de chance, si je me hâtais, j’aurais le temps d’aller chasser, car la faim commençait à me tirailler de manière déraisonnable. 
Je revenais de la chasse. J’avais juste eu le temps d’attraper quelques proies avant que le soleil ne commence à poindre à l’horizon. Je connaissais cet endroit mieux que personne, cette maison maintenant abandonnée avait été celle dans laquelle j’avais grandis. Je ne me sentais pourtant plus attaché comme avant à ce lieu. Je m’y sentais juste en sécurité. Finissant de masquer les fenêtres afin que la lumière ne nous atteigne pas. Il n’y avait plus personne dans l’entourage, et je savais que personne ne viendrait jusqu’à ce coin reculé.  
Attendant que Ezekiel se réveille en proie à la fièvre, j’allais dans la chambre de ma mère. Peut-être s’y trouvait-il toujours, son petit trésor, un luxe pour notre famille. Je savais précisément où elle le cachait à l’époque. Soulevant précautionneusement une latte de bois, c’est avec un sourire triomphant que je le trouvais. C’était un petit morceau de miroir qui n’était pas bien grand, mais qui suffisait pour s’y voir. À la lueur d’une bougie, je le posais sur le petit meuble en bois en face de moi. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu à quoi je ressemblais. Étonnamment, j’avais plutôt bonne mine, les joues légèrement rosie par l’afflux de sang qui coulait en moi suite à mon récent repas. Avec hésitation, j’ouvris un à un les boutons de ma chemise, les mains tremblantes. 
Une vision d’horreur s’offrit à moi. Je n’avais pas pu clairement le voir jusqu’à maintenant, mais une vilaine cicatrice barrait mon torse et mon ventre déjà couvert d’autres, plus minimes. La cicatrisation avait déjà bien été entamée, mais cela restait vilain. D’un mouvement violent de la main, j’envoyais valser le miroir dans la pièce, ne supportant plus de voir mon corps comme à jamais bafoué et sacrifié. Ces cicatrices seraient toujours là pour me rappelait ce que j’avais subi et cela uniquement par ma faute. Qui oserait ne serait ce que poser le regard sur moi maintenant. Je me sentis oppressé rien qu’à l’idée de la réaction d’Ezekiel. Une fois son jouet abîmé, voudrait-il encore de moi à ses côtés ? Refermant nerveusement ma chemise, je quittais cette pièce, laissant éparpillé en mille morceaux derrière moi, le trésor de ma mère à jamais détruit. 
Mes sombres pensées furent interrompues lorsque je vis Ezekiel et la souffrance qui se dégageait de lui. Il était temps de le réveiller pour qu’il se nourrisse. Il avait perdu beaucoup trop de sang. Alors qu’il émergeait peu à peu, semblant complètement déboussolé, je tentais de l’appeler calmement pas son prénom. Inquiet de son temps de réaction, je passais délicatement une main sur son visage et ce ne fut qu’à ce moment-là qu’il ouvrit les yeux. Il était brûlant. Se redressant légèrement, il regarda autour de lui. Avec douceur, je posais délicatement ma main sur son torse pour l’inciter à rester allongée tout en murmurant d’une voix douce aspirant au calme : 
- Reste couché… Tu as perdu beaucoup de sang… Tu dois reprendre des forces…
- Ou… Sommes… Nous… Articula-t-il avec difficulté. 
- En lieu sûr, le rassurais-je, en passant ma main sur son front. 
A ce contact, Ezekiel poussa un soupire de bien être et semblant rassurer, il se laissa complètement aller. Il se rendormit plus vite qu’il ne fallut pour le dire. Inquiet, j’allais m’étendre un peu plus loin, ayant moi aussi besoin d’un peu de sommeil. 
Je me réveillais alors que la nuit était déjà bien avancée. Ne perdant pas de temps, jetant un bref regard à Ezekiel toujours profondément endormis, je partis chasser. Lorsque je revins, je me trouvais nez à nez avec Ezekiel à moitié dévêtu devant la porte. Rassuré de le voir debout, je ne pus m’empêcher de sourire légèrement.
- Tu es réveillé… Je suppose que tu dois avoir faim… Va te recoucher, je t’apporte de quoi te nourrir.
Trop faible pour protester, il obéit docilement et retourna s’asseoir sur le lit. Il se mit alors à observer la petite pièce qui avait autrefois été ma chambre. Un portrait attira son attention et il se leva pour aller voir le dessin qui représentait la femme que je ne verrais plus jamais. Pendant ce temps, j’attrapais un grand verre, et avec rapidité, j’entaillais la veine de mon poignet et remplissais le verre de ce liquide carmin si précieux. Une fois fait, je léchais rapidement les gouttes qui continuaient de perler et j’allais vers Ezekiel, debout face au dessin.
Alors qu’il semblait l’admirer, il demanda d’une voix rauque :
- Qui est-ce ?
- Ma mère, répondis-je simplement, avant d’ajouter, nous sommes dans la maison dans laquelle j’ai grandis… Tu ne devrais pas rester debout Ezekiel, ajoutais-je changeant délibérément de sujet.
Je n’avais aucune envie de parler de ma famille, celle à qui j’avait été arraché contre mon gré et par le vampire qui se tenait à mes côtés.
- Tiens, je t’ai apporté de quoi te nourrir un peu, ajoutai-je en lui tendant le verre.
Ezekiel l’attrapa et le but d’une traite avant de m’en demander un second que je lui offrais sans rechigner. Je sourris face à l’attitude presque enfantine qui avait en ce moment précis. Puis brisant le silence gênant entre nous, je déclarais :
- Nous pourrons rester ici le temps que tu retrouves tes forces. J’ai condamné les fenêtres, donc il n’y a pas de risque de ce côté là…
Ezekiel acquiesça en silence. Épuisé, il retourna s’allonger dans le lit et ne tarda pas à s’endormir. M’installant à mon tour une petite heure après, après m’être assuré que tout allait bien je fis de même.
Ce fut l’impression que quelque chose n’allait pas qui me tira du sommeil. Ezekiel ne semblait pas aller bien, me réveillant, je me tournais vers lui :
- Ezekiel.. Qu’est ce qui se passe ?
Lentement, il tourna la tête vers moi, une lueur étrange dans les yeux qui me fit presque peur. Son regard glissa vers ma gorge alors que je déglutissais. Soudain, sans que j’ai le temps de réagir, il fondit sur moi, et avec une vélocité étonnante. Allongé sur moi de tout son poids, les jambes passées de chaque côté de moi pour m’empêcher de fuir, il planta voracement ses canines dans la peau de mon cou. Il mordit sans ménagement dans ma gorge. La violence que ce geste dégagait fut tellement vive que je me retint de crier. Le sang me quittait à une vitesse inquiétante, aspirant la vie qui m’habitait si vivement qu’on aurait dit qu’elle n’avait aucune valeur à ses yeux. Un gémissement de plaisir s’échappa de ses lèvres, tandis que la peur m’oppressait. Mon séjour dans la salle de torture du conseil m’avait laissé des séquelles. Même s’il s’agissait d’Ezekiel au-dessus de moi qui me retenait prisonnier, je haïssais cette sensation d’impuissance. Mais celle-ci fut tout de même remplacée par une autre dont je n’aurais pas soupçonné la possibilité. Retrouvant ses forces, Ezekiel se mit à onduler lentement et sensuellement contre mon corps, frottant son bas-ventre comme le mien, m’arrachant à ma plus grande surprise un gémissement de bien être.
A chaque gorgée de sang aspiré, je me sentais plus faible et plus fébrile, à chaque fois un peu plus à sa merci. Allait-il seulement s’arrêter ou me laisser mourir si simplement. Mon corps semblait bel et bien s’en moquer car sans pouvoir me contrôler, j’ondulais déjà légèrement à mon tour sous lui. Ezekiel passa une main entre nos deux corps, sous ma chemise de soie blanche. Le reflet que j’avais vu dans le miroir la nuit précédente me frappa violemment. Je ne voulais pas qu’il me voie. Je ne voulais pas qu’il me rejette maintenant. La peur d’une telle chose fut à ma plus grande surprise encore plus forte que celle de mourir. Les deux craintes mélangées, je récupérais de justesse assez de force et le repoussais violemment, m’exclamant d’une voix effrayée :
- Arrête ! Ezekiel ! Mais enfin… Qu’est ce qui te prend ?
Je portais une main à mon cou et essuyai le sang qui perlait de ma plaie encore fraîche avant de regarder ma main sanguinolente, horrifié de l’acte qu’il venait de commettre. Ezekiel ne répondit rien, alors qu’un sourire satisfait étirait ses lèvres. Il semblait avoir retrouvé sa forme, mais ce n’était pas mon cas. Vidé à la limite du supportable, ma tête tournait et devenait presque douloureuse. Constatant l’état de ma chemise tachée de sang, je décidais de me changer avant de sortir. Il était plus facile de chasser sans être couvert de sang. Me retournant pour éviter à tout prix de lui montrer l’état de mon torse et de mon ventre, je changeais soignement et rapidement de chemise.
- Tu n’as guère besoin de te précipiter ainsi, déclara-t-il avec arrogance. La vue plongeante sur ton corps est de toute beauté…
Sentant son regard posé sur moi, je finis de boutonner ma chemise.
- Je sors, dis-je d’une voix hésitante, craignant que cette situation ne dérape. J’ai faim…
Je ne me retournais pas pour le regarder, même si son regard était lourdement posé sur moi. Quittant la chambre, je le sentis tenter de sonder mon âme, mais je lui avais bloqué le passage. Mais cet imbécile tenta de se lever pour aller à ma rencontre. Étourdit par la trop grande quantité de sang qu’il avait consommé, je l’entendit vaciller. Il esquissa un nouveau mouvement pour aller à ma rencontre alors que j’ouvrais la porte, me tenant à l’embrasure.
- Tu ne devrais pas te lever maintenant, tu es encore faible, cédais-je finalement en lui attrapant le bras.
Non sans une certaine force malgré mon état de faiblesse du au manque de sang, je le forçais à se rallongé.
Docile, encore faible, il m’obéit. Son regard se posa alors sur mon cou et je crus voir brièvement dans ses yeux de la culpabilité. Détourant le regard, il murmura alors à ma plus grande surprise :
- Désolé…
D’une voix étonnée et emprunte d’une touche de douceur quant à ce qu’il venait de me dire, je lui demandais :
- Désolé ? Désolé de quoi ?
- De t’avoir sauté dessus, répondit-il en me tournant obstinément le dos comme honteux de son comportement, sans oser affronter mon regard.
- Ce n’est rien, répondis-je touché par ses excuses.
Il ne répondit rien. Ne pouvant pas le laisser ainsi après le pas vers moi qu’il venait de faire, je m’allongeais derrière lui, cédant à la tentation. Ezekiel se retourna et nos regard se croisèrent. Sa simple excuse avait suffit à faire taire cette légère colère et crainte en moi. Mais cela n’enlevait rien au fait qu’il ne devait pas voir ce qu’il y avait en dessous de ma chemise. Cependant, la tentation était trop forte. Malgré moi, j’avais envie d’être contre lui et de sa douceur dans une moindre mesure. Je me sentais si différent et j’aurais aimé qu’il le remarque.
J’avais l’impression d’avoir mûrit, d’être plus fort. Je ne sentais certes pas comme son égal et encore moins supérieur, mais j’arrivais à le regarder droit dans les yeux. Sans esquisser aucun mouvement, j’étais comme hypnotisé par ses deux pupilles. En le regardant ainsi, j’essayais de le comprendre, mais cela me semblait impossible, aussi impossible que de vaincre Shaolan en combat singulier. Progressivement, il s’approcha davantage de moi, collant son corps contre le mien. Une chaleur étrange m’envahie, m’engourdissant de bien être. Sans en avoir conscience, nos lèvres se joignirent l’une l’autre. Ses lèvres étaient tièdes, sûrement du au fait du repas vorace qu’il venait de prendre et de la vie qu’il m’avait volé sans mon consentement. Me laissant bercer, je me déconnectais de la réalité et me laissais tout comme lui aller entre ses bras.
Sans me maîtriser vraiment, ma langue vint demander l’accès de la sienne et il me l’accorda sans la moindre hésitation. Lorsque qu’elles se rencontrèrent, ce fut avec une tendresse jusqu’alors jamais espérée entre nous. Toute force semblait l’avoir déserté et ce fut avec une passion teintée de désespoir qu’il me rendit mon baiser, engourdissant tout autre sensation possible que le bien être qui m’envahissait. 
Je me laissais entrainer peu à peu par son ballet tendre et langoureux, le sentant se presser d’avantage contre moi, rassuré de sentir son corps tout contre le mien. Son ardeur était sans pareille, et sans pouvoir véritablement me contrôler ou réaliser mes gestes, je passais sensuellement mes mains sur ses fesses. L’excitation que je n’avais jamais ressentit jusqu’alors me brûla les reins. La douceur et la tendresse firent place à quelque chose de plus empressé au fur et à mesure que le désir montait entre nous. Fébrilement, il lâcha mes cheveux, relachant un peu la pression, et ses mains allèrent se poser sur ma chemise. Ce fut ce qui me fit brusquement redescendre sur terre. Qu’espérais-je ? Une fois qu’il aurait vu mon corps, il me repousserait comme un mal propre, indigne d’être dans sa couche. Alors qu’il esquissait un mouvement pour me la retirer, je mis brusquement fin à notre baiser et m’éloignais de lui. Je me relevais et m’éloignais de quelques pas, cachant le peu d’envie que j’avais à faire cela. Ezekiel me regarda interloqué face à mon brusque changement de comportement. Sous l’effet de la surprise, il m’appela d’une vois hésitante, ne comprenant naturellement pas ma réaction.
- Al… Alakhiel ?
Le voyant dans la plus totale incompréhension, et partant dans des pensées trop sombres, je finis par prendre la parole et prétextais lamentablement :
- Tu es encore faible… Il faut que tu te reposes…
- Que je me repose ? Répéta-t-il, abasourdi parce qu’il venait d’entendre. Je ne suis pas faible ! Rétorqua-t-il vivement.
- Tu as perdu beaucoup de sang Ezekiel, insistais-je, cachant mon petit jeu au mieux. C’est pas prudent de… Enfin, tu vois… Eludais-je en m’empourprant violemment.
A ces mots, Ezekiel ricana de manière cinglante.
- Pourquoi n’appelles-tu pas un chat un chat, Alakhiel ? Et à ce que j’ai pu sentir contre ma jambe, tu semblais plutôt en forme aussi.
Après une courte pause, il reprit :
- Maintenant, regarde moi dans les yeux et dis-moi que tu n’as pas envie de moi !
- Repose-toi ! Répétais-je avant lui tourner le dos, n’ayant aucune envie d’éterniser cette conversation. 
Je quittais la pièce, bien décidé à l’éviter le plus possible. Je craignais mon envie et la sienne, mais ce que je craignais surtout c’était sa réaction lorsqu’il verrait mon corps à jamais mutilé. Repoussant rageusement cette envie de pleurer, j’allais plus près de la ville. Je n’étais plus ce Alakiel faible. Cette nuit, je fis un massacre en ville qui n’avait rien à envier aux manières d’Ezekiel. Je tuais avec une cruauté qui en aurait fait frémir plus d’un. J’étais complètement froid et désintéressé face à leurs expressions d’horreur. Seul comptait le sang et la manière la plus abjecte de l’avoir. Je me surpris à prendre plaisir de la terreur qui s’affichait sur leur visage. Je ne finissais même pas mes proies, leur laissant juste assez de sang pour qu’il succombe à une mort lente et douloureuse. 
Je me demandais un bref instant comment Ezekiel aurait réagi en me voyant agir ainsi. Comme dans un état second, je n’arrivais pas à m’arrêter. Je n’avais comme seule limite que le matin qui allait se lever. Tuer et encore tuer. Voler la vie que je n’avais jamais véritablement eue à toutes ces proies si pathétiques. Fermant les yeux, la chemise couverte de sang qui coulait de mon menton, je localisais le prochain humain qui passerait sous mes crocs. Je ne revins véritablement à moi, que lorsque l’aube n’allait pas tarder à se lever. Ce fut avec horreur que je remarquais l’état dans lequel je me trouvais. Un envie de vomir me saisi si rapidement, que je rendais plus de la moitié de ce que j’avais avalé dans une ruelle sordide. Essuyant le sang et les larmes qui maculait mon visage, je me débrouillais pour trouver d’autres vêtements avant de rentrer et me laver. Je ne voulais jamais qu’Ezekiel découvre ce qui venait de se passer. Jamais il ne devait savoir, et jamais je ne devais recommencer. Je ne savais pas ce qui m’avait pris et je comprenais encore moins pourquoi j’en été arrivé là.
Durant les jours qui suivirent, pareille crise ne se reproduit pas. Ezekiel prenait un malin plaisir à me titiller sur la tension sexuelle plus que palpable qui régnait entre nous. Si au début il s’en amusait, je savais qu’il commençait à saturer. Cependant, en rien je ne voulais lui céder, même si cela devait me coûter. Chaque nuit, nous nous éloignons de l’endroit où était caché Shaolan, et pendant ce temps, nous chassions chacun de notre côté, nous donnant rendez-vous à un endroit convenu deux heures avant l’aube. Je sentais la folie meurtrière toujours présente, mais elle ne prit plus le dessus et je redevins le vampire raisonnable. 
Cette nuit, nous embarquions à bord d’un navire qui nous conduirait en Inde. Ezekiel tenait à mettre le plus en plus de distance entre nous et le conseil. Nous étions en attendant, coincé dans la calle miteuse d’un navire. Je n’avais de cesse que de l’éviter, ne désirant en aucun cas un quelconque affrontement, bien que je sente Ezekiel près à craquer. Le navire était encore désert, l’équipage profitant de leur dernière nuit au port pour aller écumer les bordels de la ville à la recherche d’une compagnie galante pour la nuit. 
Poussant un énième soupire de lassitude, Ezekiel finit par rompre le silence qui s’était installé entre nous depuis plusieurs jours :
- Bon alors, si tu me disais ce qui ne va pas !
Ne m’attendant pas à une telle demande de sa part, je le regardais un instant hébété avant de répondre en bégéyant, peu enclin à une telle conversation :
- Je… Mais rien du tout… Qu’est ce qui te fait croire ça…
- Ne me prend pas pour un imbécile, Alakhiel ! Répliqua-t-il cinglant, perdant définitivement patience. Je te trouve bizarre depuis quelques jours, et ne me dit pas le contraire ! Tu m’embrasses, puis tu me repousse et finalement, tu m’ignores complètement depuis ce jour. Alors je te le demande, qu’as-tu à me dire ?
- Rien… Rien du tout, soufflais-je, plus que mal à l’aise.
- Menteur ! Répondit-il sur le même ton. Tu me caches quelque chose… Et je veux savoir ce que c’est ! Ajouta-t-il sur un ton qui n’acceptait aucun refus.
Terrifié, je me précipitais vers la porte, tentant de fuir. Mais Ezekiel semblait avoir prévu cette éventualité et il m’en empêcha. M’attrapant par le bras, il me repoussa violemment de l’autre côté de la pièce. Il n’était plus du tout faible. En l’espace d’un clignement de paupière, il se retrouva face à moi, m’emprisonnant entre son corps et le bois du mur humide, ses deux mains posées chacune d’un côté de mon visage. La douleur et la terreur déformaient mes traits, mais il l’ignora. Il attrapa mon menton entre ses doigts et me força à le regarder dans les yeux, me demandant une nouvelle fois, d’une voix menaçante :
- Pour la dernière fois, dis-moi ce que tu me caches !
Mes yeux se mirent à briller alors que je m’empêchais de pleurer. Je détestais plus que tout être piégé ainsi et j’avais plus que peur qu’il découvre mon véritable état physique. J’avais beau tenter de me soustraire à sa poigne de fer qui m’enserrait le menton, rien n’y faisait.
- Je n’ai rien à te dire ! Crachais-je en tentant de le repousser. Lâche-moi ! Tu me fais mal !
Cependant, au lieu d’accéder à ma demande, il se rapprocha de moi, glissant une jambe entre les mienne de façon à rapprocher davantage nos deux corps. C’était pour moi une véritable torture alors qu’un frisson d’excitation me parcourut l’échine lorsque mon bassin entra en contact avec son haine. Ezekiel semblait dans le même état que moi, car il s’empara de mes lèvres avec une avidité non feinte. S’il savait… Il me rejetterait tel un malpropre le plus loin possible de lui. Non sans douceur, il mordit ma lèvre inférieure, m’obligeant à ouvrir la bouche. Lorsqu’il sentit mes lèvres s’entrouvrir, il ne perdit pas de temps et laissa sa langue partir à la conquête de sa jumelle. Lorsque nos deux langues se rencontrèrent, je ne pus m’empêcher de frissonner violemment contre lui, possédé par l’excitation que lui seul savait faire naître en moi. Ezekiel gémit de plaisir alors que je pouvais sentir son désir violent plus que palpable. Mettant fin au baiser, il murmura tout contre mes lèvres :
- Ne me dis pas que tu ne me désires pas, Alakhiel… Je peux le sentir… Tu suintes la concupiscence par tous les pores de ta peau…
Sans me laisser le temps de répondre quoi que ce soit, il s’empara une nouvelle fois de mes lèvres pour un baiser des plus passionnés. Peu à peu, je me laissais aller, incapable de le repousser, me laissant envoûter. J’allais même jusqu’à répondre à son baiser avec ardeur, ayant du mal à discerner ce que je faisais vraiment. Il pressa davantage nos bassins, enhardis par le désir. Puis il entrepris de déboutonner ma chemise. Alors qu’il enlevait le premier bouton, je retombais brusquement sur terre. Il ne devait pas voir… Je le repoussais avec une force insoupçonnée, le faisant reculer de plusieurs pas. Ezekiel resta un instant immobile, surpris par ce soudain retournement de situation. Je ne perdis pas de temps et commençais à reboutonner ma chemise avec soin. Ezekiel poussa alors un cri de rage et se précipita à nouveau vers moi. D’un geste rageur, il arracha ma chemise et la déchira en lambeaux, sans me laisser une seule chance de l’en empêcher. De manière pitoyable, j’essayais de cacher tant mien que mal mon torse et mon ventre de sa vue, mais c’était trop tard. Ezekiel attrapa mes poignets et me força à écarter mes bras, de façon à ce que j’expose mon corps à son regard. Ayant l’impression que le monde tombait sous mes pieds, aveuglé par ma détresse, j’osais à peine regarder sa réaction. Il avait tout loisir de voir ce que le conseil m’avait fait, me ternissant à jamais. Avec hargne, je lui crachais, les larmes aux yeux :
- Regarde bien, Ezekiel, car c’est la dernière fois que tu verras ce spectacle ! Alors profite bien de ta victoire !
Mais alors que je m’attendais à un rire de dégoût, contre toute attente, il me répondit doucement, toute colère s’étant comme évanouie :
- Il n’y a aucune victoire. Pas plus qu’il n’y a de honte à avoir, ajouta-t-il.
Ne le comprenant pas, j’osais poser mon regard sur lui et vit qu’il esquissait un geste pour enlever sa propre chemise. L’instant plus tard, il était torse nu, exposant son corps à mon regard. Je n’avais jamais fait attention, ou du moins cela ne m’avait jamais dérangé : des traces de cicatrices zébraient sa peau. Jamais cela ne m’avait semblé repoussant. Pour moi, cela avait toujours fait partit de lui…
- Nous sommes pareils, reprit-il après un court silence. Et tes cicatrices ne m’empêcheront pas de te désirer, Alakhiel, déclara-t-il. Tu es beau, Alakhiel, poursuivit-il en embrassant délicatement mon visage.
Il évita soigneusement mes lèvres.
- J’ai envie de toi, et ce ne sont pas ces cicatrices qui vont me repousser, murmura-t-il au creux de mon oreille, avant de me mordiller délicatement le lobe, m’arrachant un gémissement de plaisir malgré moi.
Jamais je n’aurais pensé pareille réaction de sa part. Plus rien ne m’entravais dès maintenant. Ezekiel m’acceptait tel que j’étais, je n’avais plus aucune raison de me soustraire à son étreinte. A ma plus grande satisfaction, il s’empara à nouveau de mes lèvres pour un baiser langoureux. La passion se déchaînait entre nos deux langues d’une manière tellement naturelle que cela en était déconcertant. Les gémissements de désir impatient fusaient, alors que nos bassins se frottaient avec plus d’énergie. La frustration sexuelle nous électrisait entièrement, étant à son comble. N’ayant plus aucun frein, aucun obstacle, seul comptait à présent le besoin d’assouvir ce désir qui nous vrillait les reins. Le désir était l’unique chose qui régissait nos gestes, les rendant précipités et maladroits. Déjà, Ezekiel déboutonnait mon pantalon et le faisait tomber au sol, entraînant en même temps mon sous-vêtement et dévoilant mon érection grandissante. Un gémissement de plaisir s’échappa de mes lèvres entrouvertes, tandis qu’Ezekiel se frottait davantage contre moi, ses lèvres quittant ma bouche pour partir à l’aventure dans mon cou, mordillant délicatement ma peau. L’excitation qu’il provoquait en moi était sans pareille.
Mes gémissements ne tardèrent pas à se muer en petits cris de plaisir, ne faisant rien pour les retenir, me moquant de l’endroit où nous nous trouvions. L’érotisme et le savoir-faire d’Ezekiel étaient au-delà du supportable. Abandonnant mon cou pour descendre toujours plus bas, je sentis passer sa langue sur tout mon corps. Au niveau de mes cicatrices, ma peau était mille fois plus sensible. Délicatement, il pinça un de mes boutons de chair durcis par le plaisir entre ses dents, le mordillant délicatement avant de le lécher avec avidité. Je gémissais sous le flot de ce que je ressentais, et me jambes étaient de plus en plus fébriles, ayant de plus en plus de mal à me soutenir.
Ne désirant pas être uniquement passif, je posais mes mains sur ses fesses et l’attirais contre lui, réduisant au maximum la distance qui séparait nos deux corps, celle-ci étant devenu insupportable. Lorsque nos érections se frôlèrent, Ezekiel gémit de désir à son tour avant de se laisser finalement tomber à genoux devant moi. 
Comprenant précisément ce qu’il voulait faire, et n’en ressentant aucune honte, je glissais mes mains dans ses cheveux et le guidais vers mon sexe qui n’attendait que cela. Un éclair de malice illumina son regard. Impatient, je ne fis rien pour freiner son action. Prenant mon intimité entre ses doigts, lentement, il entama un doux va et vient, me masturbant avec délectation. Je ne pus retenir un cri et d’un mouvement incontrôlable de bassin, je lui montrais que je voulais bien plus que cela. Cependant, loin d’accéder à ma requête, il garda le même rythme langoureux un temps encore et je me promis de me venger. Il finit par céder, et pris soudainement mon sexe entre ses lèvres. Le soudain afflux de plaisir m’arracha un cri de plaisir alors que je me cambrais violemment, m’enfonçant plus profondément dans sa bouche. 
A ma plus grande satisfaction, il entama un mouvement de succion cadencé, me faisant voir les étoiles. Pendant un temps dont je ne parvenais pas à déterminer la durée, il me proccura un plaisir poussé au summum, sa langue caressant mon sexe avec un savoir faire inégalable.
Lorsque que je fus proche de la libération, il abandonna mon érection avant de se relever. Je n’eu pas le temps d’exprimer ma frustration. Déjà, Ezekiel fondait sur mes lèvres, s’emparant avec avidité de ma langue, l’entraînant dans un ballet farouche et endiablé.
Sans mettre fin à notre échange, il inversa nos positions, se retrouvant dos au mur. Surpris, je mis fin au baiser et plantais mon regard empli de l’incompréhension qui m’habitait dans le sien. Pour me faire comprendre ce qu’il voulait, il posa ses mains sur mes épaules et me fit m’agenouiller devant lui. Saisissant enfin ou il voulait en venir, je souris. Évidemment, il voulait la même chose. Et je comptais bien me venger pour tout à l’heure, surtout sur le fait qu’il m’avait arrêté quelques secondes juste avant le moment ultime tant attendu, me refusant la libération. Délicatement, je pris son sexe entre mes doigts, imprimant un va et vient atrocement lent, oubliant tant bien que mal ma propre érection douloureuse.
Au comble de la frustration, il poussa un gémissement plaintif et peu viril, me suppliant de mettre fin à cette torture. Mais je ne comptais pas le satisfaire aussi facilement. Prenant un malin plaisir à le regarder se languir et se tordre de désir sous mes caresses, je n’esquissais pas le moindre mouvement, caressant son érection avec ce même mouvement nonchalant. Puis, jugeant l’avoir assez fait patienter, du bout de la langue, je léchais son sexe sur toute la longueur avant de l’engloutir avidement entre mes lèvres. Le feulement qu’il avait déjà poussé se transforma en cri alors que son corps tout entier semblait parcouru de violents frissons.
Ma langue s’enroulait autour de son intimité, tentant de lui procurer un maximum de plaisir, espérant être à la hauteur. Après un certain temps de ce traitement, je libérais son intimité pour la lécher sur toute sa longueur avant de m’attarder longuement sur son extrémité. Ezekiel se cambra violemment. Le sentant proche de la jouissance et moins cruel que lui, je le repris entièrement en bouche. J’imprimais alors un rapide mouvement de succion qui eut raison de ses dernières résistances. Ses doigts crispés sur mes cheveux, il se libéra en criant mon prénom, me faisant vibrer de désir.
Satisfait d’avoir été l’espace d’un instant maître de son plaisir et voulant plus, je me relevais et lui fit face, une lueur de défi dans le regard. Profitant de son état, encore comateux après l’orgasme qu’il venait de ressentir et dont il m’avait privé égoïstement, je pris son menton avec douceur entre mes doigts et l’embrassait avec violence, lui transmettant ma propre impatience. Mes crocs mordillant sa lèvre inférieure suffirent cependant à réveiller à nouveau son désir et répondant au baiser, il inversa de nouveau nos positions, me planquant sans douceur contre la paroi du navire.
À la hâte, il porta deux doigts à ses lèvres et les lécha succinctement avant de les glisser entre nos deux corps jusqu’à mon intimité. Là, délicatement, il insinua un doigt en moi. Le plaisir fut tel que je ne pus me retenir de pousser un gémissement, me cambrant d’avantage contre lui. Les frissons n’avaient de cesse de parcourir mon corps, tandis que mes lèvres mordillaient son cou avec sensualité, élimant définitivement toute once de patience. Semblant plus qu’hâtif, il inséra alors sans prévenir, un deuxième doigt en moi. Si le premier ne fut pas douloureux, ce ne fut pas le cas du second. La douleur irradia brusquement ma colonne, une douleur amère, une douleur que j’avais du mal à supporter. Me tenant contre lui, je ne pus m’empêcher de planter mes crocs dans son cou.
Prenant son mal en patience, Ezekiel me prépara avec soin. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que je finisse par me détendre, et dans un murmure des plus indécents qui m’étonna moi-même et qui me donna le rouge aux joues, je murmurais au creux de son oreille :
- Allez vient… Ne te fait pas prier davantage, Ezekiel.
Mon amant perdit tout contrôle. Habillement, comme si je ne pesais rien, il me souleva par les hanches. Comprenant le message, j’enroulais mes jambes autour de ses hanches, rapprochant nos deux corps plus qu’ils ne l’étaient déjà. Le plaisir fut poussé à son comble alors qu’il pénétrais entre mes chairs et de violents frissons me parcoururent lorsqu’un qu’un grognement gutural s’échappait de sa gorge alors qu’il me prenait entièrement.
Sans attendre, j’entamais un lent déhanchement qui acheva ses dernières résistances. A son tour, il entama un va et vient plus cadencé, me pénétrant au rythme de mes cris de plaisir. Son visage enfoui dans mon cou, son souffle haletant me caressait la peau avec délice. Je me surpris à réaliser que j’avais tellement eut peur de ne plus pouvoir vivre cela… La manière possessive qui l’avait de me prendre me grisait, laissant mon être tout entier se fondre en lui, être sien…
Soudain, Ezekiel tomba à genou, m’emportant dans sa chute. À bout de souffle, il resta immobile, semblant tenter de retrouver sa respiration régulière. Comprenant qu’il n’était pas raisonnable de le laisser fournir un tel effort, n’étant pas tout à fait remit de ses blessures, je retins ma frustration. D’un geste d’une infinie douceur, je glissais ma main sur sa joue et l’embrassais avec une réelle tendresse.
Puis, plongeant mon regard dans le sien, j’esquissais un sourire mi-amusé mi attendrit. Il était ainsi. Par orgueil, il se mettait dans un état lamentable. Je déclarais alors dans un souffle, la respiration haletante :
- Ne gaspille pas tes forces… Laisse-moi faire…
Avant qu’il ne réalise ce que je venais de lui dire, d’un habile coup de rein, je le fis s’allonger sur le sol, le chevauchant. Le toisant de toute ma hauteur, faisant taire la gène, je lui addressais un regard triomphant et partit dans un déhanchement vigoureux qui lui arracha un gémissement de plaisir. Etonnamment, Ezekiel me laissa les commandes de notre plaisir, les mains posées sur mes hanches, se contentant de m’aider à garder le rythme cadencé de mes vas et vient.
Puis, l’orgasme déferla sur nous avec une violence jamais vue. Dans un ultime déhanchement, Ezekiel se libéra en moi, les ongles plantaient dans la chair de mes hanches, me marquant à jamais, alors que que je me libérais sur son ventre.
A bout de souffle, épuisé, je me laissais retomber sur lui, le visage enfoui dans son cou, inspirant à plein poumon son odeur si particulière. Avec surprise, les bras de mon amant se refermèrent autour de ma taille, m’enserrant dans une étreinte possessive, comme s’il ne voulait pas que je m’éloigne. J’eus du mal à comprendre le pourquoi d’un tel geste, mais je ne cherchais pas à m’y soustraire. Ma tête reposait maintenant sur son torse, encore envahi de ce sentiment de plénitude. Je caressais sa poitrine d’un geste distrait. Qu’allions-nous devenir ? Cette question n’avait pas sa place dans un pareil instant…

Inde, 2 décembre 1800

Le trajet fut terriblement long et avait pris du retard. L’ennui avait été entrecoupé de scènes qui me donnaient encore le rouge aux joues, et qui avaient manqué plus d’une fois de nous faire prendre. Ezekiel avait comme promis commencé mon entraînement. C’était un professeur plus qu’exigent et rarement satisfait, malgré tous les efforts que je fournissais, mais cela n’avait rien à voir avec ce qui c’était produit dans le passé, moment où je n’avais eu aucune envie d’apprendre. La nourriture avait été succincte et Ezekiel et moi étions presque en état de famine. Nous étions resté dans la calle du bateau, attendant que la nuit tombe. Nous décidâmes de partir chacun de notre côté chassé et de nous retrouver quelques heures avant l’aube avant. 
Guidée par la fin, cette nuit-là, une deuxième crise se déchaîna. À peine nourrit de ma première proie que le désir incontrôlable d’en vouloir plus l’emporta. Il fallait que je boive encore et encore. Pire ! J’étais possédé par cette cruelle envie de tuer, de sentir leur vie quitter leur corps petit à petit ou plus violemment. Je voulais sentir ce pouvoir que j’avais sur ces humains. Je les haïssais et au plus profond, les enviais de pouvoir être ce que je n’étais pas. Un à un, tous ceux que je rencontrais tombaient sous mes crocs pour une mort affreuse. Mais je ne gaspillais cette fois pas une goutte de sang, les laissant vidé de ce liquide précieux, vidés de toute vie. J’eus du mal à me souvenir du nombre de personne que j’assassinais sauvagement. J’étais réduit à l’état de bête, tel un chien abandonné et sauvage sacrifiant tout un troupeau de moutons. La haine qui m’habitait m’aveuglait et je n’avais aucun contrôle sur celle-ci. Ce fut uniquement lorsque je sentis le soleil prêt à poindre que je revins à moi. Je fus possédé par cette même envie de vomir, mais je me retins. Avec horreur, je réalisais que je n’avais pas le temps de rejoindre Ezekiel au lieu de rendez-vous. J’étais allé bien trop loin, et déjà les premiers rayons commençaient à poindre à l’horizon. J’avais honte, terriblement honte. Mon corps entier était douloureux, trop plein de ce liquide qui m’écoeurait dès à présent. Ce fut inextremis que
je trouvais un lieu où me cacher, me coupant volontairement de tout lien possible avec Ezekiel. Pour le moment, je n’aspirais qu’à dormir et oublier. Demain, j’affronterais la colère de mon créateur…
Replié sur moi-même dans le coin d’une cave miteuse, je tremblais nerveusement, incapable de me calmer. Éveillé, je m’écoeurais au sujet de ce que je venais de faire ; endormi je me retrouvais dans les horribles salles de tortures du conseil. Ce ne fut que peux d’heures avant la tombée de la nuit, vaincu par l’épuisement que je parvins à fermer l’œil. Je me réveillais en sursaut. Il devait faire nuit depuis quelques heures déjà. Ezekiel devait être à ma recherche. Sortant de mon trou, je tentais de défroisser un peu mes vêtements. Je devais avoir l’air minable. M’étirant, les muscles comme courbaturés, je sortais de mon trou à rat. Il fallait que je me rapproche du lieu de rendez vous, et je préférais attendre avant de renouer le contact avec lui. Le connaissant, il devait être hors de lui, et je préférais retarder la confrontation. Courant d’un pas léger, dénouant progressivement mes muscles, je fus surpris de la puissance qui m’habitait. La faim s’était tue, et rien que l’idée de tuer quelqu’un de plus me semblait impensable.
Une fois arrivé au lieu de rendez-vous fixé la veille, ne pouvant plus retarder cet instant, j’ouvrais à nouveau le contact avec Ezekiel. A peine l’eussè-je effleuré mentalement, qu’il était en face de moi. En un rien de temps, après m’avoir rapidement toisé et constatant que j’étais en un seul morceau, il me saisit par la gorge et me plaqua contre le vieux mur de pierre sans la moindre douceur. Ses mains me serraient trop fort, j’avais l’impression d’étouffer, mais je ne pouvais rien faire pour me dégager.
- Dans mon infinie clémence, je te laisse deux minutes pour m’expliquer ce que tu as fais !
Desserant brutalement son étreinte, je tombais pathétiquement sur le sol, ayant beaucoup de mal à me réceptionner sur mes pieds et à tenir droit. Massant ma gorge, je mis surement trop de temps à son goût pour réagir, car sa voix autoritaire claqua, ne cachant pas sa colère :
- Dépèche-toi Alakhiel ! Et ton excuse a intérêt d’être bonne, sinon tu vas regretter de ne pas être mort la nuit dernière.
Je sortis alors, l’excuse la plus minable qui me vint à l’esprit dans la précipitation, baissant le regard :
- Je… Je me suis… Je me suis perdu… Et… Et il était trop tard pour venir jusqu’ici.
Mon excuse n’eut aucun effet direct sur Ezekiel qui ajouta aussitôt :
- Bien essayé, mais ça n’explique pas pourquoi tu as coupé le contact ! Je te laisse une dernière chance !
Ce fut à mon tour de m’emporter. En quoi cela le regardait ! Pris d’un excès de zèle, sans vraiment réfléchir, je le défiais du regard et je déclarais avec insolence :
- Ce ne sont pas tes affaires !
Je sentis plus que je ne la vis venir une gifle si sèche qu’il m’écorcha violemment le visage, m’envoyant par terre sous la violence du choc.
- Ne refait plus jamais cela Alakhiel. Je laisse passer pour cette fois dans mon infinie clémence, mais ce ne sera pas la même chose pour la prochaine fois.
Il me tourna le dos et commença à s’éloigner. Massant ma joue douloureuse et bougeant tant bien que mal la mâchoire, je ne partais pas à sa suite et j’entendis alors sa voix gronder :
- Dépêche toi ! Nous devons quitter cette ville. Dorénavant, tu ne me quittes plus d’une semelle sans mon accord, que ça te plaise ou non !
Je le suivis sans broncher.  Au vu de la crise que je venais d’avoir sans être avec lui, il vallait peut être mieux que je ne sois plus seul pendant un moment. Loin de lui expliquer ma docilité, je partis à sa suite. Ezekiel se retourna brièvement et je cru lire de l’étonnement dans son regard. Et c’est ainsi que nous entamèrent notre voyage en Inde.
Plusieurs semaines se passèrent ainsi, mêlant entraînements et chasse. À aucun moment Ezekiel ne me laissait le quitter. Et dès que je m’écartais un peu trop, je le retrouvais sur mes talons. Nous étions sans cesse en fuite, allant toujours plus loin, et je commençais à en être terriblement lassé.  Mais je prenais mon mal en patience. Je mangeais peu, le strict minimum, ce qui avait parfois le don d’exaspérer mon créateur. Je me cachais bien de lui dire que je voulais plus, et que je le craignais. Je m’aidais de son regard tel un garde-fou. Jamais je ne voulais vivre à nouveau une de ces crises si tentantes qui me mettaient dans un état de semi conscience. Pourtant, je pouvais sentir gronder au fond de moi ce désir animal de prédateur. Je ne faisais que l’étouffer, mais j’avais peur d’être bien incapable de le faire disparaître. 
L’aube n’allait pas tarder et nous étions dans une cave aménagée suffisamment grande et confortable. Ezekiel avait choisi ce moment pour un entraînement. Il ne semblait pas particulièrement satisfait de la manière dont je me battais, et ses petits commentaires cinglants avaient le donc de m’agacer. Pourtant, je donnais tout ce que j’avais, ne lésinant pas sur les efforts. Voilà plus de trois heures que nous nous battions, et si Ezekiel commençait tout juste à transpirer légèrement, j’étais en nage. Mes muscles étaient douloureux et je savais qu’une simple gorgée de sang me redonnerait des forces. Mais pour cela il faudrait que j’attende le lendemain. 
Je venais encore une fois de rencontrer le sol et je me levais avec difficultés.
- Est-ce qu’on peut faire une pause ? Demandais-je haletant.
- Espèce de femmelette ! Tu crois vraiment que tes ennemies vont s’arrêter de vouloir te tuer juste parce que tu veux faire une pause ? Tu es déjà épuisé alors que je retiens mes coups pour ne pas te faire mal ! Tu es d’un pathé…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. La colère l’avait emporté. Jamais un compliment, toujours à me rabaisser. Rassemblant toutes mes forces, même celles dont j’ignorais l’existence, je fondis sur lui le faisant voler jusqu’à l’autre bout de la pièce où il atterrit misérablement sur le sol après avoir rebondit sur le mur. Voyant rouge, j’étais déjà au-dessus de lui, mes mains enserrant sa gorge, l’empêchant tout mouvement. Ezekiel esquissa un mouvement pour se soustraire à ma prise, mais je ne fis que serrer plus fort. Sentant cependant que je ne tiendrais pas indéfiniment ainsi et que cette victoire serait trop courte, je décidais d’utiliser une arme qu’il ne m’avait pas encore apprise : la manipulation.
Un éclair traversa mon regard. Il était ainsi sous moi, à ma merci, depuis notre trajet en bateau, nous n’avions rien fait. J’y avais pris goût bien plus que je ne l’aurais cru. Un petit sourire se dessinait sur son visage, ayant passé le stade de la surprise, comme s’il était satisfait.
Avec toute la sensualité dont je pouvais faire preuve, je m’abaissais au dessus de lui, effleurait à peine ses lèvres, laissant mon souffle encore saccadé effleuré sa peau, et glissais vers son oreille pour susurrer :
- Et si nous passions à quelque chose pour laquelle nous sommes tous les deux doués…
Mes joues s’empourprèrent légèrement, surpris par ma propre audace. Puis, je m’écartais légèrement de lui, laissant mon visage à quelques centimètres à peine du sien. Pour toute réponse, la main d’Ezekiel passa derrière ma nuque et m’attira vers lui. Nous ne perdîmes pas de temps, nos lèvres déjà entrouvertes, nos langues se mêlaient déjà avec passion. Ses mains glissaient déjà sous ma chemise, caressant mon dos, non sans douceur, mais le griffant presque. Enhardi, je cessais plusieurs fois notre échange pour quelques secondes, lui mordillant la lèvre inférieure. Son corps se déhanchait sous le mien, frottant nos deux bassins déjà gorgés de désir. La fatigue qui m’avait paru insurmontable quelques minutes auparavant me semblait déjà lointaine, investie d’une nouvelle force. Quittant ses lèvres un court instant, m’attirant un gémissement de frustration, alors que ses mains se promenant sur ma colonne m’incitaient à revenir, je déboutonnais sa chemise. Comprenant où je voulais en venir, voulant sentir sa peau brûlante contre la mienne, il déboutonna sa propre chemise avec un tel empressement qu’il l’arracha presque. Sa main passa alors sur la cicatrice qui passait du haut de mon torse sur mon ventre et je ne pus réprimer un frisson alors qu’une décharge électrique foudroyait ma colonne. Sans plus attendre, nous bouches se retrouvèrent et le contact de nos deux torses bouillants de désir nous fis tous deux pousser un gémissement de satisfaction. Nos intimités comprimées réclamaient plus. A chaque frottement, celle-ci devenait bien plus douloureuse. Trop empressé pour perdre du temps, je quittais ses lèvres pour glisser dans son cou, entamant ma descente vers le sud.
Léchant son cou tout en résistant à la pulsion d’y planter mes crocs, je le quittais à contrecœur et me retrouvais sur son torse et plus précisément sur sa cicatrice qui n’était maintenant plus qu’un souvenir. Passant sur chacune d’elle avec pour unique volonté : réveiller plus qu’il ne l’était déjà son désir, j’arrivais bientôt à son pantalon. Celui-ci n’offrit que peu de résistance. Avec le savoir faire que j’avais finit par acquérir, je le lui enlevais le jetant loin de nous dans la pièce. Ezekiel était maintenant complètement nu, son sexe fièrement dressé, prouvant son désir pour moi. Flatté, je l’effleurais plusieurs fois avec mes mains, souriant avec provocation à Ezekiel qui grognait de plaisir et de frustration mêlé, attendant bien plus de ma part. Saisissant avec plus de vigueur son érection, je vis son corps entier s’arquer sous moi.
N’arrivant pas à me maîtriser plus longtemps, comme trop pressé, ma bouche vint porter aide à mes caresses manuelle.
Ezekiel cria presque mon nom. Grisé d’être ainsi maître de son désir, je ne lésinais pas sur les efforts, cherchant à chaque fois ce qui lui apporterait encore plus. J’ignorais ma propre intimité douloureusement coincé dans mon pantalon, j’étais uniquement là pour apporter du plaisir à mon amant. Mais quelque chose de plus me vint à l’esprit. Une chose à laquelle je n’avais jamais songé réellement. Et cette petite chose à laquelle je venais de penser se mit à prendre rapidement de l’ampleur. Ma conscience me disait que c’était une mauvaise idée, et pourtant, je ne voyais pas en quoi cela pouvait l’être. J’avais gagné après tout. Je méritais bien cela. Je méritais bien de goûter à ce genre de plaisir moi aussi. Laissant Ezekiel envoûté par mes attentions, il ne protesta pas alors que je commençais à lui masser les fesses de ma main libre. Il n’eut pas non plus conscience du moment où j’humidifiais deux doigts. Il semblait trop perdu dans son plaisir pour s’en rendre compte. Il m’avait au moins initié à une chose à laquelle j’étais doué. Tentant ma chance, j’effleurais doucement son orifice, et presque aussitôt, je m’attirais un grognement sourd, presque animal de protestation. Me retirant vite, je ne cédais pas pour autant. Gardant mon idée en tête, je ralentis mon rythme jusqu’à arrêter presque. Le laissant dans un état de frustration pure, je tentais alors une chose que je n’aurais jamais dû. Je ne réalisais que trop tard que cela serait peut-être vécu pour lui comme une forme de trahison. Alors que ma bouche reprenait entièrement son sexe pour une caresse intense, j’insérais entièrement un doigt en lui. J’aurais sûrement du le prévenir, mais aurait-il seulement accepté la moindre discussion avec moi à ce sujet… J’eus alors la plus terrible leçon de ma vie. Ezekiel était un dominant et je resterais à jamais le dominé. Qu’avais-je cru ? Qu’avais-je espéré ?…
Sans vraiment comprendre ce qui m’arrivait, je me retrouvais projeté à quelques mettre de son corps. Mon torse heurta la pierre froide, et j’eus à peine le temps de retrouver ma respiration que je pouvais déjà le sentir fondre sur mon dos. Mon pantalon fut baissé jusqu’à mes chevilles, à moitié arraché. Je ne le vis pas venir. J’étais juste prisonnier et impuissant, plaqué sur le ventre par une créature qui voulait se venger de ce que j’avais seulement osé faire. Toute excitation était partie, ainsi que ma fierté alors que je tentais de gémir pitoyablement :
- Ezekiel, qu’est ce que…Qu’est ce que tu fais… Non arrête ! S’il te plait !
Mais c’était trop tard ? Au même moment où il mordit dans mon cou avec une violence inouïe, il me prit sans la moindre douceur, comme une bête, comme jamais il n’avait osé le faire. Je voulu hurler, mais aucun son ne sortie de ma bouche ouverte. Jamais je n’avais connu pareille douleur, même dans une salle de torture. C’était parce que ce n’était pas une douleur uniquement physique. Je lui avais donné ma confiance, j’avais fini par accepter de partager sa vie et de continuer la mienne à ses côtés. Je lui avais pardonné silencieusement pour Elisabeth. Rien ne justifiait le fait qu’il me fasse subir une telle chose. Aucune excuse valable pour passer l’éponge.
Ses coups de butoirs n’avaient pas de fin, et rien ne semblait pouvoir m’aider à me débarrasser de cette douleur. Les larmes voulaient monter, mais pour rien au monde, je ne voulais lui faire ce cadeau. Les ravalant, j’endurais en silence. Je me sentais bafoué, rabaissé plus bas que terre. Je n’étais plus rien.
Ses gémissements de plaisir faisaient monter en moi une haine sourde, une colère sans nom et bien trop profonde. Tel un tsunami, cette haine détruisit tous les barrages que je m’étais efforcé de construire après cette fameuse première nuit en Inde. Aller me perdre dans cette violence ferait sûrement taire cette souffrance.
Mais ce qui était le plus difficile à encaisser était la violence du sentiment de trahison que je ressentais en moi. Je réalisais uniquement maintenant, que si j’avais choisis de vivre à ses côtés ainsi, même dans la fuite, c’était qu’au fond de mon cœur, bien caché, vivait quelque chose qui battait pour lui et qui sans avoir le temps d’éclore, venait de se briser en milliers de petits morceaux. Cette force qu’Ezekiel avait réussie à faire naître moi, il venait juste de me la voler, la soufflant en quelques minutes seulement. 
Il se répandit en moi, me déversant son venin. Mais ce qui fut le plus dur à supporter fut de l’entendre crier mon nom. Il finit par se retirer, et s’étendis à côté de moi, essoufflé, les yeux dans le vague, emporté par l’orgasme qu’il venait d’avoir à mes dépends. Je me sentais sale comme jamais je ne l’avais été. Je n’osais pas bouger, et pourtant tout mon corps me criait de fuir. Mais nous étions en plein milieu de la journée et j’étais coincé ici avec lui. Je fus pris d’un tremblement de dégoût lorsqu’il approcha son bras pour m’attirer contre lui. Ce fut uniquement lorsqu’il voulut m’embrasser, comme si rien ne s’était passé que je le repoussais avec la même violence qu’il venait de dégager sur moi. D’un bon, je fus à l’autre bout de la pièce, dans un coin, le fixant avec une haine non dissimulée, surveillant et craignant le moindre de ses gestes. Je respirais rapidement, pris de violent tremblement que je ne parvenais pas à calmer. Nu comme un ver, je me sentais misérable. 
Ce ne fut qu’à ce moment-là qu’Ezekiel sembla quelque peu revenir à lui. Il semblait déboussolé, mais je n’en avais cure. Quelque que soit l’état second dans lequel il s’était trouvé, rien n’y changerait.
Il se redressa et avança lentement vers moi. Mais il s’arrêta aussitôt lorsqu’il me vit me coller plus qu’il n’était possible contre le mur.
- Alakhiel… Murmura-t-il la voix basse dans laquelle je pouvais discerner du remord.
- Ne t’approche pas ! Sifflais-je, d’une voix froide.
Ezekiel resta figé et après un temps, il me répondit alors :
- Je… je suis désolé, Alakhiel.
Je ne répondis pas. Mon regard parlait pour moi. Il pouvait même se jeter à mes pieds, me supplier de son regard, trouver une excuse pitoyable, rien n’enlèverait ce que je ressentais à l’instant même. J’étais piégé dans le coin de cette pièce avec lui jusqu’à la tombée de la nuit. Mais dès que celle-ci arriverait, il n’entendrait plus jamais parler de moi. Il pourrait me poursuivre, m’obliger à le suivre, je préférais trouver la mort que de partager le même espace que lui quelques secondes de plus. La haine illuminait mon regard si violemment, qu’elle contrastait avec le remord très net que je pouvais voir dans le sien.
Mais je me moquais de son regard. Une faim guidée par la folie commençait à m’envahir et je ne faisais rien pour l’arrêter. Je préférais avoir désespérément faim que simplement repenser à ce qu’il venait de me faire.
Comprenant qu’il n’y avait rien à faire, Ezekiel rassembla ses vêtements et s’installa dans le lit de fortune que nous avions préparé quelques heures auparavant. L’aurions-nous partagé si rien de cela ne serait produit ? Aurais-je passé la nuit dans ses bras possessifs et protecteurs ? Un frisson violent de dégout me parcourut. Cette vie là était terminé. Mon créateur s’installa dans le lit de manière à me laisser assez de place. Je ne pu retenir un rire nerveux. Croyait-il vraiment que j’allais le rejoindre ?
Il se tourna vers moi. Nos regards se croisèrent et ne se quittèrent plus. Je le sentis tenter de lire en moi et je le laissais volontairement entrer. Qu’il voit l’étendu de ce que je ressentais pour lui et surtout qu’il voit ce qu’il venait de me faire subir. Puis lorsque je jugeais qu’il allait trop loin, je le rejetais avec une violence guidée par la haine qui le fit sursauter. Je ne le quittais pas du regard, et pour la première fois, ce fut Ezekiel qui détourna le sien. J’avais gagné une bataille contre lui avant ce drame, et cette bataille venait de prendre fin.
Je restais toute la nuit à le fixer. Il avait fini par me tourner le dos. J’étais à l’affût de la tombée de la nuit. Je pourrais enfin me laisser aller à oublier tout cela. Adieu Ezekiel, adieu le conseil : ce n’était plus mon problème. Lorsque je sentis la nuit arriver, je me redressais vivement. Attrapant mes vêtements, sans un dernier regard vers Ezekiel, je partais à la recherche du premier malheureux qui serait en face de moi. 
Durant les jours qui suivirent, je perdis toute notion du temps, oubliant progressivement qui j’avais été. La seule chose qui comptait maintenant à mes yeux était de prendre mon pied et surtout de tuer. Comme si
tuer était la seule manière d’évacuer ma haine. Je me laissais embarquer par cette danse funèbre si envoûtante.
D’Ezekiel, je n’avais aucune nouvelle et ne cherchais pas à en avoir. Je m’étais coupé de lui mentalement et je doutais qu’il veuille ne serait-ce que me retrouver. Je m’en moquais. Son nom n’était plus qu’un mauvais souvenir. J’avais rayé tout cela de ma vie. Je continuais à m’en éloigner le plus possible. Je fréquentais les endroits les plus glauques et les plus sombres. Je gardais même des proies pour m’amuser pendant mes longues journées. Chaque jour, j’attendais la nuit. Je vivais uniquement pour cela. 
Je perdais peu à peu toute conscience du monde extérieur. Je vivais simplement pour ce que je ressentais physiquement. Je devenais comme piégé par ses ressentis oubliant ce que j’avais appelé une émotion. Je ne voulais plus de ceux-ci. Dès que je m’en approchais à nouveau d’un peu trop prêt, je n’avais que de mauvais souvenirs. La douleur physique n’était finalement rien face à la douleur mentale. Plus je buvais de sang, plus j’avais l’impression d’oublier. Je ne valais pas mieux qu’un alcoolique.
Je m’enfermais dans une vie de violence, de sexe, et d’oubli…
Il était une heure avancée de la nuit et je n’avais pas trouvé meilleur lieu qu’une maison de prostitution. Plusieurs cadavres jonchaient le sol, mais les autres ne semblaient même pas les voir, totalement hypnotisés par mon pouvoir. J’étais étendus sur un lit de soie, le corps offert. Un jeune homme m’offrait une fellation qui en aurait fait rougir d’envie plus d’un, tandis qu’une femme caressait lascivement mon corps. Un autre jeune homme, ayant déjà une trace de morsure dans le cou, ne devait ses quelques heures de vie supplémentaire que parce qu’il embrassait divinement bien.
Une autre jeune femme, en face de moi, européenne, qui ressemblait cruellement à Elisabeth, dansait et se déshabillait avec savoir faire sur la musique qu’une autre femme plus vielle jouait dans un coin de la pièce. Ce fut à ce moment précis, en face de ce tableau de luxure, que l’unique vampire que je ne voulais plus jamais voir entra dans la pièce.
Ezekiel resta figé un court instant. Ses poings se serrèrent, et une colère que je ne lui avais jamais vu envahi son regard. Sans que j’ai le temps de réagir, il saisit une à une chacune de mes victimes et les égorgea avec violence, faisant gicler une mer de sang partout. 
Il termina cependant par trancher la gorge de l’Européenne en face de moi en me fixant d’un regard glacial. Elle tomba lourdement sur le sol.
Il ne restait plus que lui et moi dans la pièce, dans une pièce baignée de sang…
- Rhabille-toi, dit-il en me balançant mes vêtements étrangement propres.
Le ton sur lequel il me donna son ordre ne laissait aucune place pour le contrer. Ce fut en écoutant mon instinct de survis que je m’exécutais. 
- Suis-moi ! Claqua-t-il avec une fureur que je ne lui connaissais pas. 
Je l’écoutais sans broncher et ce ne fut qu’au moment où nous fûmes dehors que je réalisais ce que j’étais en train de faire. Croyait-il vraiment que tout allait revenir comme avant ? Que j’allais rester éternellement son jouet avec lequel il s’amusait. Croyait-il que j’allais lui pardonner ce qu’il m’avait fait une fois de plus. Non, ce moi docile n’était plus, il l’avait définitivement brisé. Ezekiel marchait devant, d’un pas désespérément rapide qu’il était difficile à suivre. Il était toujours aussi furieux, même pire que cela ! Certes, il m’inspirait la peur, aujourd’hui plus encore que jamais. Mais, avec défis, je déclarais alors que nous marchions dans une ruelle sombre :
- Qu’est ce qui t’as pris ! Je ne suis pas un gamin ! Je ne t’ai rien demandé ! J’ai le droit de mener ma vie comme je l’entends. Et quoi ! Tu as peur d’être seul ?
Puis, sans attendre sa réaction, je lui tournais le dos et prenait une nouvelle direction.  Qu’avais-je cru ? Qu’il était aussi facile que cela de tourner le dos à Ezekiel et de lui tenir tête. J’allais payer le prix fort pour cette leçon. Je ne le sentis pas arriver et j’étais déjà projeté avec une vitesse incroyable sur le mur à ma gauche. Je m’effondrais sur le sol. Mon créateur me redressa en me tirant par les cheveux contre le mur, et son poing rencontra ma joue. J’encaissais ce deuxième coup plus que douloureux, mais rassemblant mes forces, je me redressais aussitôt, ne lui laissant pas le temps de revenir sur moi, et bondis sans réfléchir sur lui. Je pus à peine griffer sa joue, qu’il m’envoya voler à nouveau contre le mur. Ce fut ma tête qui heurta trop fort le mur. Je m’étalais sur le sol à moitié inconscient. Je vis sa silhouette bondir au-dessus de moi, mais ma vision se troublait. Il me griffa, criant sa rage, me martelant de coups. Puis il fondit sur moi, mordant mon cou en le déchiquetant presque. Il but à une vitesse qui me donnait le vertige, m’ôtant littéralement la vie qui coulait en moi. J’eus beau tenter de me débattre, rien n’y faisait. Plus je tentais de bouger, plus les forces me quittaient. Ma respiration s’arrêta peu à peu.
J’entendais de moins en moins, jusqu’à totalement perdre l’ouie. Ma vision commença à s’obscurcir, jusqu’à ne plus rien voir. La seule sensation qui me restait était de sentir ma vie partir. Je partais peu à peu, et sans pouvoir rien y faire. Ezekiel m’avait pris ma vie d’humain, et il faisait de même avec ma vie de vampire. L’inconscience m’emporta avec la terrible idée que cela serait sûrement définitif…
Lorsque j’ouvris les yeux, il faisais désespérément noir et j’étais incapable de définir le lieu ou je me trouvais. Je repoussais l’hypothèse de la mort, car une faim inhumaine me déchirait les entrailles. Je n’avais que très peu de sang dans mon organisme et les coups que j’avais reçu n’avaient pas guéris. Une migraine me vrillait les tempes et lorsque je voulu lever ma main pour la passer sur mon visage, j’en fus bien incapable. Toute force m’avait quittée. Je ne valais plus rien. J’étais étendu à même le sol humide dont une odeur nauséabonde se dégageait et me donnait envie de vomir. Je sondais la pièce et il me semblait que j’étais seul. Alors que je voulus tourner la tête, j’en fus une douleur aiguë me fit presque crier. Elle provenait de l’endroit où ma tête avait dû heurter le mur. Une chose était sure, je n’étais plus dans cette sinistre ruelle. J’étais dans cette pièce sans lumière, et je n’avais pas la moindre idée de comment j’avais fini ici. Je fermais les yeux, tentant de maîtriser comme je le pouvais cette faim dévorante et ce fut une odeur de sang qui précéda l’arrivée d’un vampire qui n’était autre qu’Ezekiel.
J’ouvris les yeux alors qu’il rentrait dans la pièce et la simple lumière du chandelier qu’il tenait m’aveugla. Je ne sentais que le sang dont il était rempli. J’avais faim et je rêvais de planter mes crocs dans sa gorge. Mais cela, je savais que c’était impossible… j’étais complètement à sa merci et plié à son bon vouloir, rien que cela me donna un frisson de répulsion.
- J’espère que tu as compris la leçon, misérable raclure. Si tu te voyais, tu es comme à ton habitude : pitoyable et pathétique, claqua-t-il avec froideur et supériorité.
Ne voulant pas gaspiller mes forces à me battre verbalement avec lui, je tentais de me redresser lentement tout en lui demandant :
- Qu’est ce que tu m’as fait ? Ou est ce que je suis ?
- Dans un lieu dont tu ne pourras pas t’échapper ! Et ce n’est pas à toi de poser des questions Alakhiel ! Cracha-t-il avec colère.
Je n’arrivais même pas à me mettre en position assise. J’étais trop faible, j’avais besoin de sang, mais jamais je ne m’abaisserais à le lui demander. Je ne contrôlais cependant pas cette petite voix en moi qui criait famine. Pour la première fois, alors que je l’avais si souvent battue et maîtrisée, j’étais à la merci de cette faim infinie.
Ezekiel s’approcha de moi, et contre toute attente, je me redressais vivement, comme les dernières forces d’une survie, me plaquais contre le mur, les jambes tremblantes, et montrais mes crocs dans un geste agressif et visant à me protéger après un grognement sourd :
- Ne t’approche pas de moi ! Criais-je, sentant à défaut du sang, la haine couler dans mes veines.
Ezekiel s’arrêta interdit et me regarda de la tête au pied avant de me demander dans un ton neutre que je n’aurais su définir, beaucoup plus doux que quelques minutes auparavant :
- Qu’est ce qui t’arrive Ezekiel ? Pourquoi est-tu devenu comme ça ?…
Je ne pus pas répondre. Une crampe me saisit brusquement me forçant à m’accroupir et me tenir le ventre. J’avais faim. Tremblant, je redressais la tête vers lui et lui lançait un regard insolent.
Ezekiel soupira, esquissa un geste vers moi, puis s’arrêta au milieu avant de me tourner le dos et de dire :
- Je te laisse le temps de réfléchir à ce que tu es devenu Alakhiel. N’essaye pas de fuir, c’est impossible.
La porte claqua. Les tremblements que j’avais tenté de contrôler revinrent plus fort, plus violent, m’arrachant un sanglot du à la souffrance qu’ils m’infligeaient. J’avais faim, terriblement faim. J’étais arrivé à un état de faiblesse et de famine tel, que je ne l’avais jamais connu. Un rat puant eut la malencontreuse idée de passer à portée de ma main.
Ce fut le peu de sang qu’il m’apporta qui m’aida à trouver un peu de sommeil…
 Les nuits qui suivirent se passèrent ainsi. Ezekiel venait me demander si j’avais une réponse à sa question, me rabaissant un peu par la même occasion et jamais je n’ouvrais la bouche. Il partait comme il était venu, respirant la bonne santé. Je ne savais pas si le plus dur n’était finalement pas de sentir tout ce sang émanant de lui. La faim était de plus en plus terrible à supporter. Je me réveillais en hurlant dans les crampes qui saisissaient tout mon corps étaient insoutenable. Je passais par des moments de folie, ne revenant à moi que plus épuisé encore. Je voulais manger, je voulais tuer, je voulais libérer cette haine qui me consumait. 
Ezekiel revint une nuit. Je n’avais aucune conscience du temps qui passait, ni du nombre de fois où il était revenu me poser cette question à laquelle je ne voyais pas de réponse. Cette fois cependant, une odeur m’attira terriblement. Là, sur sa chemise, il y avait une goutte de sang encore fraîche. L’odeur était insoutenable. Je ne pouvais me focaliser que sur cela, aussi, je n’entendis même pas ce qu’il me disait. Avec le peu de force qui me restait, comme un dernier mouvement, un dernier espoir de satisfaire ma faim, je me jetais sur lui, crocs découverts, guidé par la haine et la folie. 
Ezekiel sembla s’apercevoir ce qui guida ma folie et comme pour le vérifier, il arracha d’un geste sa chemise et la jeta à sa droite. Déviant ma trajectoire, je la saisis en plein vol et cherchais comme un drogué en manque la tache de sang. Pitoyablement, je me mis à lécher la chemise. Mais ne faire que sentir le goût du sang sur ma langue ne fit que faire redoubler mes tremblements d’état de manque. 
Je n’avais presque pas conscience qu’Ezekiel approchait vers moi et je ne le réalisais que lorsqu’il passa sa main dans mes cheveux, ôtant une mèche collée sur mon front. Ayant définitivement gaspillé mes dernières forces je vacillais. Mais au lieu de tomber sur le sol froid et humide, ce fut la chaleur des bras d’Ezekiel qui me réceptionnèrent.
Avec douceur, il m’enleva la chemise des mains. Un air grave s’affichait sur son visage, un air gravement triste que je n’arrivais pas à interpréter. Sa main caressa mon visage, et ce ne fut que lorsqu’il sortit ses crocs, que je compris son attention. Il allait mettre fin à ma souffrance. C’était terminé, il n’y avait plus aucun espoir à ses yeux. Je redressais les yeux et croisais son regard pour ne plus le quitter.
Je me surpris à penser que j’étais au fond de moi, heureux de finir dans ses bras. Cet endroit m’avait ramolli, rongeant ma solitude, ma faim, mon désespoir. Pourquoi étais-je devenu ainsi ? Par faiblesse ? N’y avait-il aucune échappatoire ? Au regard décidé d’Ezekhiel, je compris que non. Son étreinte se raffermit autour de mon corps, comme s’il voulait me serrer dans ses bras une dernière fois. Ma gorge se serra douloureusement. Je me mis alors à me demander : qu’allait-il devenir sans moi ? Poursuivrait-il son chemin d’errance ? Ne serait-ce finalement pas une vie plus facile pour lui avec un poids mort comme moi ? Peut-être aurait-il dut mettre fin à ma vie humaine et ne jamais m’offrir cette vie de vampire. Des milliers de personnes aurait pu mourir de vieillesse au lieu de finir sous mes crocs. 
Plus jamais je ne connaîtrais son étreinte. Plus jamais je n’aurais droit à ces quelques instants de douceur et de tendresse qu’il m’offrait parfois et qui était devenu si cher à mes yeux. Un frisson de crainte me saisit en repensant au moment où il m’avait pris de force. J’espérais qu’il serait doux lorsqu’il planterait une dernière fois ses crocs dans ma gorge. 
Il entama avec une lenteur interminable son ascension vers mon cou. Ca y est ! C’était le moment, c’était fini. Alors qu’il n’était qu’à quelques centimètres, je pouvais sentir son souffle effleurait ma peau. Et c’est à ce moment-là qu’une émotion me saisit plus durement que tout le reste. C’était la dernière fois que j’allais le sentir ainsi contre moi. Ce n’était pas uniquement lui qui allait me perdre. J’allais aussi le perdre. Cette dernière pensée eut raison de mon dernier barrage. Une seule et unique larme coula le long de ma joue alors qu’Ezekiel était à deux millimètres de ma gorge, et cette goutte d’eau salé finit sa chute sur la joue de mon créateur. Je sentis ses crocs sur ma peau, mais rien de plus ne se produisit. Au lieu de les planter dans ma peau, il se redressa comme surpris. Son doigt passa sur ma joue, sur le sillon qu’avait laissé ma larme.
- Alakhiel ?… Murmura-t-il.
D’autres larmes suivirent alors la première à l’entente de mon prénom. Je ne pus alors m’empêcher de repondre, la gorge sèche et la voix rauque :
- Sauve moi Ezekiel…
Le regard d’Ezekiel se tinta de douleur. Doucement, avec précaution comme par peur de me faire mal, il se baissa à nouveau vers moi. La seule façon de m’aider était donc de me tuer…
Contre toute attente, Ezekiel ne dévia pas dans mon cou, mais ce fut mes lèvres qu’il recouvrit d’un baiser d’une tendresse dont il n’avait jamais fait preuve. C’était un simple et chaste baiser, qui ne dura pas longtemps mais qui me fit plus de bien que je ne l’aurais cru. Etait-ce un baiser d’adieu ? La douceur et la chaleur de ses lèvres me quitta trop vite. Et lorsqu’il se redressa, il me dit alors :
- Ne m’abandonne pas Alakhiel…
Puis prenant une respiration profonde, il m’attira contre lui, me redressant, laissant ma tête se poser sur son épaule.
- Je suis désolé Alakhiel… Désolé pour ce que je t’ai fait…
Bercé par son étreinte, attendrit et enrobé d’un sentiment que je n’avais jamais connu, je sombrais dans l’inconscience malgré moi…
Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, nous étions dans un endroit différent. J’étais dans un lit, seul. Je me redressais plus que difficilement, et vit avec surprise Ezekiel assis sur un fauteuil en face de moi en train de dormir. 
Fronçant les sourcils, mon attention se porta ensuite sur mon corps. Mes vêtements étaient différents et j’étais propre. Ezekiel avait du me laver et procéder au reste. Mais s’il avait pu enlever la crasse sur mon corps, il n’avait cependant pas réussi à ôter cette faim sourdre qui prenait à nouveau possession de mon esprit.
- Tu te réveilles enfin ! Déclara soudain Ezekiel en me faisant sursauter.
Reportant mon attention sur lui, je le vis s’entailler le poignet.
- Il faut que tu manges Ezekiel et j’ai trouvé une solution, dit-il avec malice et satisfaction.
- Je… Je ne veux plus de sang… Bafouillais-je la voix rauqua, alors que tout mon être criait le contraire.
- Ne dis pas de bêtise. Trancha-t-il.
Sans me laisser le choix, il fut en un éclair à côté de moi et me colla son poignet sur la bouche. Le goût du sang m’électrisa. Balançant au loin ma protestation, j’avalais presque immédiatement une première gorgée dont l’effet fut tellement bénéfique que je lâchais un gémissement de plaisir. Mes mains s’agrippèrent sur son avant bras, comme par peur qu’il ne s’écarte lorsque j’eu avaler cette deuxième gorgée de sang qui me brûlait presque. La troisième gorgée fut un délice pur, qui me redonna enfin quelques forces. Mais je n’eus pas le droit à plus. Ezekiel m’arracha son poignet et le lécha, cicatrisant ma morsure. Rageusement, je grognais en claquant des dents.
- Cela suffit pour le moment Alakhiel. Dans ton état, il ne t’en faut pas plus.
Puis, se moquant de mes protestations, il s’assit sur le lit à côté de moi, et déclara :
- Voici les nouvelles règles ! Premièrement, tu ne sors pas d’ici sans moi et crois-moi, même si je ne suis pas là, je le saurais. Deuxièmement, tu ne te nourris plus seul. Comme tu ne sais plus te maîtriser, je te donnerais tes repas jusqu’à ce que je te juge capable de te débrouiller sans moi. Des protestations ? Finit-il avec un sourire moqueur et supérieur.
Je baissais le regard, humilié d’être ainsi infantilisé. Je sentais déjà la chaleur du sang s’infiltrer en moi, bénéfique. Certes ce n’était pas assez, mais je n’allais pas me plaindre. Je posais alors une question qui me brûlais les lèvres : 
- Pourquoi tu ne m’as pas tué ? 
Ezekiel me toisa, sourit, mais ne répondit rien. J’aurais sûrement préféré une réplique cinglante de sa part. Ezekiel se leva et quitta alors la pièce, sans un mot, me laissant seul. Je n’aimais plus être seul. Pas maintenant, pas dans mon état. Quand il était là, présent à mes cotés, je me sentais apaisé, parce que je savais qu’il pouvait m’arrêter. Mais seul, je me retrouvais face à mes angoisses. 
Cependant, épuisé comme je l’étais, engourdi par la petite dose de sang qu’Ezekiel m’avait accordée, je m’endormis profondément, dans un sommeil sans rêve…
Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, Ezekiel était assis à côté de moi sur le lit. Me frottant les yeux, je le vis porter son poignet à ses lèvres, m’offrant une nouvelle fois quelques gorgées. Comme la première fois, il me fit cesser bien trop tôt et il du lire dans mon regard le gouffre infini de ma faim insatiable.  Il ne fit aucun commentaire, se leva, et alla s’installer dans un autre lit. Surpris de cet éloignement qui était pourtant naturel au vu de ce qui c’était passé entre nous. 
Et pourtant, ayant plus que besoin d’une présence physique à mes côtés, je me levais dicrètement pour aller le rejoindre. Loin d’avoir récupérer toutes mes forces, je vacillais avant d’atteindre le lit. J’avais l’impression d’être malade, et cette impression était assez proche de la réalité. Sans un mot, sans même lui demander, je me glissais sous les couvertures et allais me coller contre lui. 
Ezekiel parut surpris, mais il fut loin de me rejeter. Au contraire, il se tourna et se mit plus confortablement afin d’avoir son visage en face du mien. Un sourire que je n’aurais su décrire étira ses lèvres alors qu’il m’observait. Puis, sans dire quoi que ce soit, son bras passa autour de mon corps, et il m’attira plus près de lui, déposant ses lèvres sur les miennes. Leur goût était toujours aussi particulier, me grisant au plus profond de moi. Me laissant envahir par sa tendresse, qui avait ce goût unique de rareté.
Mais trop vite, alors que sa main caressait ma nuque, son baiser gagna en passion. Cette passion m’effraya malgré moi, sentant une bosse contre ma hanche alors qu’il collait encore plus à moi. Je ne voulais pas de cela. C’était encore trop frais. Si l’envie de lui était toujours présente, elle était passée en second plan, remplacée par la peur et la crainte qu’il m’inspirait. Il était allé trop loin avec moi. Il avait brisé la confiance mutuelle que ce genre de relation impliquait.
Effrayé en repensant à ce qu’il m’avait fait, je le repoussais et tombais à moitié du lit. Quittant celui-ci, j’allais me réfugier dans le mien, recroquevillé, ne sachant plus quoi faire. Je ne pouvais pas lui demander simplement un peu de chaleur, c’était égoïste de ma part et la tendresse ne faisait pas partit d’une des qualités d’Ezekiel. Je ne pouvais pas non plus trop lui en demander…
Je n’osais pas me tourner vers lui pour simplement voir ce qu’il faisait. Certainement m’avait-il trouvé pitoyable, et s’était endormi aussitôt, oubliant mes états d’âmes. Mais il me donna soudain tort. Je sentis le lit s’affaisser dans mon dos, et soudain hissé dans l’étreinte d’Ezekiel. Il m’attrapa dans ses bras comme si j’étais une chose précieuse et fragile, si bien que je ne savais pas comment l’interpréter. Je me laissais faire, tout en restant tout de même sur mes gardes. Que me voulait-il ? Revenait-il à la charge maintenant que j’avais réveillé malgré moi son appétit ?
Mais rien ne se produisit et peu à peu, je me laissais aller dans cette étreinte. Ce ne fut que lorsque je fus complètement détendu, qu’il m’étendit à nouveau dans mon lit et vint se coller tout contre moi. Ma tête était posée sur sa poitrine, et je me callais ma respiration sur la sienne, me laissant bercer. C’est alors que je l’entendis me dire dans un murmure à peine audible, mais empli d’une sincérité que je lui avais rarement connue :
- Je suis désolé Alakhiel… Je suis désolé que tu sois devenu ainsi à cause de moi…
Je mis beaucoup de temps avant de répondre avec sincérité à mon tour.
- Ce… C’est à cause de moi Ezekiel. Je… j’ai peur… Dis-je la voix tremblante.
Je sentis les deux mains de mon créateur se poser sur mes épaules afin de m’inciter à me reculer et de le regarder en face.
- Tu as peur de moi ? Me demanda-t-il comme s’il était inquiet.
Il devait pourtant le savoir : bien sur qu’il inspirait la crainte. Mais cela n’avait rien à voir avec ce que je voulais dire à l’instant présent. C’est pourquoi déglutissant, je répliquais :
- Non… J’ai peur de moi… De ce que je suis devenu… Dis-je alors que les larmes me montaient aux yeux, comme dans un instant de réelle lucidité.
C’est alors qu’Ezekiel me repris à nouveau tout contre lui, me serrant encore plus fort.
- Alakiel… Murmura-t-il… Je suis là… Tu peux compter sur moi…
Je ne répondis rien. Je n’avais rien à répondre. Quelque part, Ezekiel avait toujours été là pour moi. Il était même allé me chercher dans le repère de ses ennemis au péril de sa vie. Je me laissais aller, en me sentant étrangement en sécurité et c’est alors que j’entendis mon créateur me demander non sans une certaine gêne :
- Qu’est ce qui t’a pris de coucher avec tes victimes ?
J’aurais pu rétorqué qu’il ne valait pas mieux. Mais je me reculais simplement et le regardais dans les yeux. Il ajouta alors :
- Et cette folie meurtrière… Qu’est ce qui t’a pris Alakhiel ?
J’inspirait profondément. Que pouvais-je lui répondre si ce n’est la vérité.
- Je… Je ne sais pas, répondis-je hésitant et mal à l’aise.
Baissant le regard, je finis par ajouter après un long silence :
- Je… J’ai du me laisser séduire par le sang… J’avais déjà eu ce genre de.. Crises… Avant que nous partions en Inde… Et une fois que nous sommes arrivés… Je… Je t’ai caché mon état Ezekiel…
- Pourquoi ? Pourquoi ne pas m’en avoir parlé au lieu d’en arriver à cet état ! S’empressa-t-il de me demander en se redressant, légèrement agacé.
Je déglutis. J’étais épuisé. Le peu de sang qui coulait dans mon organisme ne me suffisait pas et j’avais beaucoup de mal à rester avec les yeux ouverts et avoir une réelle concentration. Rassemblant mes forces et jouant toujours la carte de la sincérité avec lui, je dis dans un souffle :
- Je… j’avais honte… Alors que j’ai toujours excécré à tuer comme cela… J’ai fini par le faire le plus bassement possible.
- Imbécile, claqua Ezekiel. Tu aurais pu m’en parler plus tôt, je t’aurais aidé ! Tu n’en serais pas arrivé là !
Vexé, je me renfrognais. Croyait-il qu’il était aussi évident d’aller se confier à lui.
- Les choses ne sont pas si facile ! Je pensais pouvoir gérer mes propres problèmes, rétorquais en haussant un peu le ton tout comme lui. Je suis déjà assez un fardeau pour toi…
- Tu n’es pas un fardeau !
Ce fut à mon tour de me redresser et je répondis alors en m’esclaffant :
- Rien que maintenant je suis pire cela ! Je suis devenu incontrôlable ! J’en suis à un tel point que j’ai besoin d’être surveillé et enfermé ! Comme si nous n’avions pas assez de problème ! Ezekiel, dis-je en reprenant mon souffle. Si un humain était dans cette pièce, je serais fou…
Ezekiel soupira avant de répondre, las :
- Ce n’est que temporaire Alakhiel. Crois-moi, tu vas guérir… Si tu ne le peux pas, personne n’en est capable…
- J’espère… Dis-je peu convaincu.
Ezekiel m’attira alors contre lui et je me laissais à nouveau aller dans cette étreinte. Il déposa un baiser sur mon front. Depuis quand était-il devenu aussi doux ? Qu’est ce qui motivait une telle attitude ?
- Dors Alakhiel, tu en as grand besoin… Murmura-t-il.
Il ne m’en fallut pas plus. Perdant le fil de mes pensées, je m’endormis en quelques secondes, au creux de ses bras.
Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, Ezekiel n’était plus à mes côtés, et je pouvais sentir en moi cette faim déchirante. Je pris mon mal en patience, sachant que lorsqu’il reviendrait, j’aurais sûrement droit à une gorgée supplémentaire de sang. Je me recroquevillais dans le lit, trouvant mon état de plus en plus misérable. Je n’arrivais toujours pas à comprendre pourquoi Ezekiel s’embêtait tellement avec moi. Je ne voyais aucune raison rationnelle et l’hypothèse du jouet, de la chose qui lui appartenait, commençait à perdre de sa force. Personne ne perdait autant de temps avec un jouet aussi abîmé. Et sa tendresse de la veille me laissait perplexe. Etait-il uniquement ainsi avec moi pour m’aider à aller mieux. Si jamais je devenais normal, qu’en serait-il ? Que deviendraient alors nos rapports ?
Je fus brusquement interrompus dans mes pensées, lorsque je sentis une odeur de sang. Mon premier réflexe fut de m’éjecter loin du lit et aller me coller dans un coin de la pièce le plus éloigné de cette odeur. Malheureusement, je savais que lorsque cette proie se rapprocherait, il me serait impossible de résister, malgré toute ma force de volonté. L’odeur du sang devenait de plus en plus insoutenable, faisant trembler mes muscles que je tentais de contraindre. Mais lorsque que cette proie fut à l’entrée de la porte, tout semblant de raison disparut de mon esprit et je me jetais vers elle à crocs découvert.
Cependant, Ezekiel en avait décidé autrement. Il se tenait là, à quelques mètres de la proie qui s’était immobilisée d’horreur et alors que j’étais à moins de quelques centimètres d’elle, j’eus l’impression d’heurter mentalement quelque chose. Le choc fut si violent, que je m’effondrais sur le sol. Mais l’odeur du sang de cette pauvre malheureuse réussit à me faire me relever, et sans réfléchir, je me jetais une nouvelle fois sur elle, me heurtant à la barrière qu’Ezekiel m’avait imposée. Ce ne fut qu’après de très nombreux essais, épuisé, que je finis pas rendre les armes, me redressant tant bien que mal, les jambes tremblantes, me tentant à peine debout.
Ezekiel sourit, satisfait de lui. Puis, d’un mouvement à peine perceptible, il fut à côté de sa proie et la vida de son sang en un clin d’œil, révélant une odeur vive qui déchaîna en moi une fin sans pareille. Ezekiel reporta son attention vers moi, laissant tomber cette proie vidée de son sang et perdant tout mon intérêt. Il commença à me parler, mais je n’entendais pas ce qu’il me disait. Mes oreilles bourdonnaient. J’étais toujours en sous-alimentation et le combat physique et mental que je venais de mener avec Ezekiel m’avait repris le peu de force que j’avais acquis avec le sang qu’Ezekiel avait consentit à me donner. Alors que mes jambes lâchaient, Ezekiel me rattrapa et s’assit à même le sol en me gardant dans ses bras.
Je ne sentis plutôt que je ne vis son poignet entaillé. Il fut obligé de le porter à mes lèvres, n’ayant même pas la force de le tirer vers moi. Lorsque le sang encore frais effleura ma langue, je n’aurais su dire l’explosion de saveur qui se déchaîna en moi. Je bus cependant doucement, savourant par petite gorgée, ne voulant pas gâcher le peu qu’il m’accorderait. Même s’il ne me permit pas d’étancher ma soif, j’eus l’impression qu’il m’autorisa à beaucoup plus que les fois précédentes. Je ne cherchais pas à retenir son poignet, résigné à me soumettre à sa méthode.
Mes idées revinrent à peu près claires et gênées de ma position, je m’écartais un peu brusquement de lui, lui arrachant un petit rire amusé. C’est à ce moment-là qu’il repris la parole :
- Encore quelques exercices de ce genre et tu seras prêt à sortir Alakhiel. Comme je te l’ai dit hier, tant que tu restes à côté de moi, il ne se passera rien.
- Justement, rétorquais-je, c’est uniquement parce que tu es là. Sans toi, je ne suis qu’un monstre…
- Laisse-toi du temps Alakhiel. La guérison peut être un long processus… Soupira Ezekiel.
Je restais sceptique, mais n’en fit pas part à mon créateur. Celui-ci se redressa puis déclara :
- Je pense que tu t’es assez nourri, si nous passion à ton entraînement.
Cachant ma surprise, je me levais, lui faisant face. Ezekiel avait raison, cela m’aiderait sûrement à penser à autre chose.
Les jours défilèrent ainsi. Je ne sortais pas. Ezekiel ne s’absentait que pour aller chercher des proies. Il en ramenait toujours une et nous répétions encore et encore cet exercice. J’arrivais de mieux en mieux à résister, mais je ne devais cela qu’au fait qu’Ezekiel était présent pour me contraindre. Après cet exercice, il m’offrait un peu de sang et nous commencions l’entraînement. J’avais l’impression de m’en sortir de mieux en mieux, mais je n’avais toujours pas eu un seul compliment de la part d’Ezekiel qui se contentait de m’en demander encore et toujours plus. Nous allions ensuite prendre un bain mérité, avant de nous coucher dans le même lit. Là, je retrouvais l’étreinte de mon créateur qui sagement, et à ma plus grande surprise, ne tentais jamais rien. 
Ezekiel laissa tomber sa proie morte sur le palier de la porte. Pour la première fois, j’avais résisté. Certes, cela ne s’était pas fait sans douleur. Ezekiel affichait un sourire satisfait de son élève, et je lui rendis, à moitié vacillant de part l’effort que je venais de fournir. Se battre contre ses bas instincts était épuisant. Je commençais enfin à reprendre un peu confiance en moi. 
Je savourais ensuite, le sang qu’il m’offrait. Jamais je n’avais pris autant de temps pour boire, jamais je n’avais apprécié le sang à ce point, dégustant méticuleusement chaque goutte. 
Lorsque j’eus fini, je passais de moi-même un coup de langue sur le poignet d’Ezekiel. Les bonnes choses avaient une fin et c’était la première fois que je m’arrêtais de moi-même. Ce fut à ce moment qu’Ezekiel déclara : 
- Sortons ! Tu es prêt Alakhiel et la nuit n’est que brièvement entamée. 
Aussitôt, je paniquais, perdant toute cette belle assurance : 
- Je… Non… Je ne suis pas prêt… Pas si tôt. 
- Cesse de geindre. C’est à moi de décider si tu es prêt ou pas. Si ce choix t’incombait, tu serais encore un train de pourrir dans ce trou dans cent ans. 
Peu convaincu, je ne répliquais rien, vexé. Alors que je restais immobile, Ezekiel me poussa légèrement en disant :
- Passe devant moi, ne t’inquiète pas, je suis là pour te surveiller. 
Ne réalisant pas vraiment ce que je faisais, je me retournais face à lui. Intrigué, Ezekiel fronça les sourcils et alors qu’il voulut me sortir une réplique acerbe, je recouvris aussitôt ses lèvres d’un baiser. Je ne savais pas vraiment ce qui me prenait. Mais j’avais l’impression qu’en l’embrassant, je prendrais un peu de sa force. Passé l’effet de surprise, Ezekiel ne tarda pas à laisser sa langue rejoindre la mienne et nous échangeâmes un baiser passionné qui nous laissa tout les deux pantelants. Forcés de nous séparer lorsque l’air vint à manquer, j’admirais mon créateur, les yeux légèrement dans le vague et murmurais un simple « merci » avant de lui tourner le dos. Déglutissant, je me décidais à faire ce qu’il attendait de moi : sortir pour faire face à mes démons.
La première chose qui me frappa une fois que je fus dehors été la forte odeur de sang. L’endroit ne grouillait pas d’humains, mais je pouvais précisément localiser chacun d’eux. Tentant de me raisonner, remerciant le repas que m’avait offert Ezekiel, je ralentissais de façon à ce qu’il soit tout proche de moi. 
C’est alors qu’un humain arriva au détour d’une ruelle et marcha vers nous. Tout mon être me criait de lui sauter dessus. Je sentis la force mentale d’Ezekiel m’envahir, protégeant cet humain en m’enfermant dans une sorte de prison. L’odeur de son sang paraissait si esquisse. J’avais presque l’impression de voir la totalité de son sang circuler dans ses veines. Des gouttes de sueurs perlaient déjà sur mon front alors que je combattais ma propre folie. C’était trop dur. Plus il se rapprochait et plus c’était un véritable supplice. Mais alors qu’il arrivait à ma hauteur, je sentis une femme arrivée derrière moi.  S’en était trop. Je ne pouvais pas tenir ainsi. 
Il y avait trop de monde, trop de gens qui grouillaient dans tous les sens même très éloignés, même endormis paisiblement. Impossible de tenir plus longtemps, je rassemblais déjà mes forces, cherchant la faille dans la protection d’Ezekiel. J’avais suffisamment mangé pour arriver à le contrer. Je ne pourrais pas le vaincre, mais m’échapper était une possibilité. C’est alors que je sentis la main d’Ezekiel sur mon épaule ce qui me fit un court instant revenir à moi. 
- Rentrons Alakiel, ça suffit pour aujourd’hui. 
Il me traîna presque et je réalisais que nous n’avions à peine fait que quelques mètres dehors. Il n’était donc pas capable de me retenir. Le test d’aujourd’hui était un échec. Ce ne fut qu’une fois à l’intérieur, qu’un élan de défaitisme s’abattit sur moi. Alors qu’il fermait la porte derrière nous, je déclarais tandis qu’il était dos à moi : 
- Je n’y arriverais jamais.
- Ne dis pas de bêtises ! Claqua-t-il soudain, las et énervé. 
Je me retournais vers lui, lui faisant face. 
- Non ! Ca ne marchera jamais ! Tu aurais mieux fait de m’abattre ! 
Je vis la colère monter en Ezekiel, une colère sourde et je me mis à craindre ce qui allait m’arriver. Mais c’était pourtant vrai. Je n’étais plus capable d’aller dehors sans avoir l’envie incontrôlable de sauter à la gorge du premier venu. Ce test en était la preuve et si Ezekiel m’avait fait rentrer c’est que même son pouvoir de contrôle sur moi n’y pouvait rien. 
Ezekiel allait parler, mais il s’arrêta en plein milieu de son élan. Il me tourna brusquement le dos et claqua la porte en sortant, me laissant seul. C’était encore pire qu’une de ses insultes. Cela voulait dire que lui aussi baissait les bras. 
J’en avais assez. Assez d’être confiné dans cette pièce. J’avais besoin de sortir. Ce n’était pas la faim qui me guidait mais la colère face à mon état. Si j’avais été capable de me retenir de tuer avec un sang-froid aussi incroyable pendant mes premières années, comment cela se faisait-il que je ne le pouvais plus aujourd’hui. Qu’est ce qui faisait de moi un tel moins que rien. Je commençais à tourner en rond dans la pièce, me sentant de plus en plus claustrophobe. J’avais besoin de voir la lune, de sentir ses rayons sur ma peau. J’avais besoin des caresses du vent et de l’air libre. Je ne pouvais plus rester ici. Cela faisait trop longtemps. Cet enfermement me donnait l’impression d’être de plus en plus faible.
Sans vraiment réaliser ce que je faisais, comme hypnotisé, je poussais la porte que je n’avais jamais osé toucher depuis l’interdiction de mon créateur et sortais. Ce que je faisais était complètement fou. Mais peu m’importait. Si je restais une seconde de plus dans ce lieu, c’était la fin.
Une fois dehors, je retins ma respiration. Par chance, aucun humain n’était proche. Mais je ne voulais pas jouer plus longtemps avec ma bonne fortune. Je savais qu’il y avait une forêt pas très loin d’ici. Il était rare que les humains s’y promènent la nuit. Sans perdre plus de temps, je courus. Je courus si vite, que les humains que je croisais sur ma route ne sentirent qu’un souffle faire voler leurs cheveux et leurs vêtements. J’ignorais tout ce qui n’était pas ma course et mon but. Je voulais seulement, m’éloigner de cette ville et de toutes les tentations qu’elle représentait. Je voulais me sentir libre, loin de cette cage devenue si étroite. Je courrais sans jamais m’arrêter. La forêt était plus loin que je ne l’aurais crue et ce fut ne fut que lorsque j’arrivais essoufflé par ma course que je réalisais avec horreur que je n’aurais jamais le temps de rentrer. L’aube était presque là. Je n’avais qu’une petite heure pour trouver un abris. Mais cette nécessité vitale fut vite balayée, réalisant ce que je venais de faire. Je n’avais tué personne. J’étais sorti, j’avais croisé beaucoup d’humain, mais jamais je n’avais été possédé par l’envie de sang. Je ne comprenais plus rien. J’étais capable de ne plus tuer. Alors d’où venaient ses crises ? Comment être sur de les maîtriser. Je m’enfonçais dans la forêt épaisse, mais je pouvais déjà sentir l’aube proche. Ma découverte ne servirait sûrement à rien. J’allais pitoyablement mourir dès les premiers rayons du soleil. Mais je n’avais tué personne ! Un sourire se dessina sur mon visage, ayant l’impression d’avoir battu quelque chose en moi. Cette soif de liberté avait été bien plus forte que cette soif de sang bestiale.
- Alakhiel ! Combien de fois je devrais te tirer de la mort ! Je me demande pourquoi je m’acharne ainsi. Je devrais te laisser griller ici. Hurla Ezekiel, semblant être essoufflé.
Je me retournais, ne pouvant détacher ce sourire vainqueur. Je voulais lui dire. Lui expliquer que j’étais capable de ne tuer personne, qu’il fallait encore du temps, mais que maintenant j’y croyais. Mais je n’en eus pas le temps. D’abord tremblante, sa main se leva dans les airs. Ses yeux… Etait-il en train de pleurer ? Je n’eus pas le temps d’en avoir le cœur net. En un instant, le coup arriva et je fus plongé dans l’inconscience.
Lorsque je reviens à moi, la première chose que je ressentis fut une vive douleur au crâne. J’étais donc encore en vie. La seconde chose qui m’inquiéta était de savoir où j’étais. L’air sentait la terre et l’humidité. Il faisait sombre, mais il y avait une lumière aveuglante non loin de là. Je réalisais peu à peu que j’étais dans une sorte de grotte, dont l’ouverture était petite, mais l’intérieur assez haut de plafond. Je me redressais, me massant le dos endolori par les pierres sur lesquelles j’avais été couché. C’est alors que je sursautais violement. Ezekiel était assis là, à quelques mètres de moi. Il me fixait, l’air fatigué, mais la colère que je pouvais lire dans ses yeux ne me disais rien de bon.
Et pourtant, contre toute attente, il s’approcha doucement de moi. Il me tira contre lui, un peu brusquement, mais ce geste n’avait rien de violent. Une fois dans ses bras, il resserra doucement son étreinte. Passé la crainte, je me finis après un long moment par me laisser aller. Je poussais un soupire de soulagement. Et c’est alors qu’il murmura quelque chose, au milieu de cette étreinte de douceur que je ne sus interpréter : 
- Je t’en supplie Alakiel, quoi qu’il se passe, quoi que je fasse, quoi qu’il nous arrive, reste toujours à mes côtés… Ne t’éloigne plus. 
Dans son élan de possessivité, il me serra si fort, qu’un simple humain aurait été mort étouffé. Je ne pu m’empêcher de verser quelques larmes. Jamais quelqu’un n’avait tenu à ce point à moi. Timidement, et pour toute réponse, je laissais mes bras, jusque là restés le long de mon corps, passer autour de lui, l’étreignant à mon tour.  C’était ici qu’était ma place, peut importe la raison qui le poussait à me garder indéfiniment avec lui.

A suivre…

3
déc

Beyond the invisible - chapitre 05

   Ecrit par : admin   in Beyond the invisible

Chapitre 05 par Lybertys

 

Je finis par me laisser totalement aller, nos respirations étaient maintenant devenues plus que calme et nos cœurs avaient retrouvés leur rythme habituel. Je ne sais au bout de combien de temps je finis par me retirer et m’asseoir à côté de lui, posant ma tête contre son épaule. Mes yeux étaient de nouveau en train de se fermer, nous amenant tous deux dans un état de mi-sommeil.

C’est au moment où je me sentais sombrer que j’entendis sa voix me murmurer  :

 - On va se coucher, tu viens dans mon lit… Tu vas pas rester sur le canapé.

J’acquiesçais sans prendre la peine de répondre, trop fatigué pour ne serait-ce que prononcer un mot. Nous nous rendîmes donc jusqu’à sa chambre, tirions les draps et en moins de temps qu’il fallu pour le dire, nous étions déjà allongés côté à côté, tendant les bras à Morphée qui nous saisit au moment même où nous fermions les yeux.

Malgré toute ma fatigue, ma nuit fut extrêmement mouvementée et torturée. Je ne cessais de mêler passé et présent dans des images qui s’approchaient plus du cauchemar que du rêve. Je me réveillais aux mêmes heures des visites des gardiens lorsque j’étais en prison, et toujours cette peur de la nuit et cette ambiance qui y régnait m’imprégnait continuellement. La présence de Dorian à mes côtés avait quelque chose à la fois de très rassurant et de dérangeant.

Le rêve le plus étrange que je fis fut très tard dans la nuit. J’embrassais un homme à pleine bouche, me sentant envahi d’un désir insatiable et d’un plaisir que je n’avais jamais ressenti auparavant. Je pouvais ressentir la même chose provenant de cet être dont je ne connaissais pour l’instant toujours pas l’identité. Je me délectais de ses lèvres, de son cou, le sentant glisser ses mains jusqu’au bas de mes reins. Enivré d’un plaisir inconnu, la curiosité me poussa à ouvrir les yeux qui dans mon rêve étaient clos. A peine découvrais-je l’identité de l’inconnu que mes yeux s’ouvrirent pour de vrai pour cette fois, me plongeant dans la pénombre de la pièce. J’en ressortais avec des sueurs froides. Même si ce n’était qu’un rêve, il ne fallait jamais que ce genre de chose se produise. Non pas parce que c’était Gabriel, mais par l’interaction qu’il y avait en nous. Je l’avais assez payé. Je portais ma main à mon omoplate, touchant inconsciemment le tatouage que je m’étais fait faire en prison. Ne plus jamais recommencer les erreurs du passé, c’était ce que cet oiseau mythique me rappelait sans cesse. Ce phœnix symbolisait aussi ce qui m’était arrivé, ce qui était censé me faire aller de l’avant. Il renaît de ses cendres pour commencer une nouvelle vie, et c’est ce que je tentais de faire depuis dix ans. J’étais comme mort en même temps que lui, et je tentais de renaître.

Assis au bord du lit, je mis longtemps avant de m’en remettre, prenant ma tête entre mes mains pour tenter de calmer en moi l’angoisse grandissante et les souvenirs grouillant, pensant surtout à ce jour qui avait changé ma vie et clos la sienne.

Je finis par m’allonger, n’ayant rien d’autre à faire que dormir et en ayant surtout besoin. Je ne fis que somnoler, ne parvenant pas à trouver la paix en moi. Ce n’est que vers l’aube que je parvins réellement à m’endormir. Et c’est à peine une heure plus tard que je sentais Dorian me secouer légèrement par l’épaule pour me réveiller.

Je sursautais violemment, vieille habitude héritée de prison qui n’était pas prête de me quitter. Il me regarda surpris et me dis assez rapidement :

- On a une demi heure et on décolle.

Je mis un temps à habituer mes yeux à la lumière, il avait ouvert les volets sans que je m’en aperçoive. Il se tenait là à côté de moi en serviette, sortant apparemment de la douche.

- J’vais faire le petit déjeuner, je te laisse te préparer.

Il me laissa sur ces derniers mots. Au pied du lit étaient pliés mes vêtements d’hier, ainsi que ceux qu’il m’avait prêtés la veille. Je me redressais, grimaçant sous les courbatures dues au travail de la journée d’hier ainsi que de la soirée assez mouvementée. Je rougis à ce souvenir, et me dirigeais d’un pas rapide jusqu’à la salle de bain, sachant que seule une bonne douche achèverait de me réveiller.

Une fois prêt, propre et habillé, je me rendis jusqu’à la cuisine où les souvenirs de la veille me revinrent en un instant. Heureusement qu’il fallait se dépêcher, car je sentis presque le rouge me monter aux joues. Un petit sourire complice fut tout de même échangé, lorsque nous mettions nos vestes pour sortir. Les courbatures étaient tout aussi violentes que la veille et je savais que j’allais devoir les supporter toute la journée.

Durant tout le trajet en voiture, nous échangeâmes une petite conversations tranquille, finissant par parler de l’organisation de ce soir. A l’idée que j’allais enfin pouvoir avoir un “chez moi”, je sentais mon cœur s’emballer dans ma poitrine. J’appréhendais assez cependant, le fait de me retrouver à vivre seul. Jamais cela ne m’était arrivé avant la prison et les dix années que j’avais vécues en prison était bien sur à l’encontre d’une telle possibilité.

Lorsque nous arrivâmes au centre, Dorian m’indiqua directement ce que j’avais à faire, et dit rapidement qu’il allait me rejoindre plus tard. Je me dirigeais donc vers le premier box et commençait à accomplir le même travail qu’hier. Le premier box que je nettoyais contenait un animal bien plus agité que tous ceux que j’avais pu voir jusqu’à aujourd’hui. Je le sentais particulièrement agacé et surtout impressionné par la puissance qu’il dégageait. Jamais je n’aurais pu imaginer être impressionné par un tel animal, mais j’étais, je devais l’avouer presque intimidé par la prestance et la force qu’il dégageait. Je continuais malgré tout mon travail, ayant beaucoup de mal à garder mon sang froid et à quitter des yeux ce cheval qui je le pressentais, était en train de préparer quelque chose. Je sursautais lorsque j’entendis la voix de Dorian provenant de l’entrée du box. Je lui souris, tentant tant bien que mal de cacher mon malaise. Je dus très mal m’y prendre car il me conseilla aussitôt :

- Ne t’enferme jamais avec un cheval, laisse toujours ouvert. C’est une sécurité à prendre, surtout avec celui-ci, dit-il en me le pointant d’un bref mouvement de tête.

J’acquiesçais avec un sourire de remerciement et me remis au travail aussitôt. Dorian ouvrit la porte du box et repartit à ses occupations. Seulement, depuis qu’il était parti, l’occupant de ce box, avait tout à fait compris que la porte était maintenant ouverte. Il commença vicieusement à se déplacer vers moi, empiétant au fur et à mesure sur mon territoire, si bien que je me retrouvais presque plaqué contre la porte. Je me mis alors à faire ce que je ne devais précisément pas faire : je paniquais. Il le remarqua immédiatement, et ne m’offrant pas la moindre faveur, il me bourra sans plus de cérémonie afin de sortir. Autant dire que je ne faisais pas le poids face à lui et que je ne savais pas du tout comment réagir dans pareille situation. Sans trop réaliser ce qu’il se passait, l’animal était déjà partit au petit galop dans l’écurie, se dirigeant vers la sortie de celle-ci. Maintenant totalement paniqué, je partis à sa poursuite, n’ayant pas la moindre idée de la manière avec laquelle j’allais m’y prendre pour le faire rentrer de nouveau dans son box et pire encore pour ne serait-ce que je le rattraper. Dorian n’étais même pas là. Alors que je sortais de l’écurie en courant je tombais sur la dernière personne que j’avais envie de voir. Je lui lançais un regard apeuré, ne sachant ni que dire, ni quoi faire dans une telle situation. Gabriel m’aperçu rapidement et sans une attention pour moi, il se précipita à la poursuite du cheval échappé. Heureusement, son estomac eut une plus forte intensité que son envie d’évasion, car le cheval s’arrêta à la réserve à grain. J’observais avec attention, malgré le fait que j’étais extrêmement embêté, la manière dont Gabriel s’y prenait avec cet animal. Lentement, il s’approcha de lui, avant de la contourner pour l’intercepter, se plaçant de manière stratégique. Tout en s’approchant, il l’appela par son nom, bien que le cheval était très occupé à manger. Il saisit le cheval par les crins situés au sommet de sa tête, et le força à relever la tête pour le suivre. L’animal était totalement soumis et n’avait pas du tout le même comportement avec lui qu’avec moi. Anxieusement, je le suivis jusqu’au box, ne sachant pas trop à quoi m’attendre, me mettant cette fois-ci à le craindre vraiment. Il semblait furieux, mais il me demanda d’une voix calme, une fois l’animal dans le box :

- Que s’est-il passé ?

- Je… Commençais-je timidement.

- Tu ?

J’avais l’impression d’être un enfant que l’on était en train de réprimander et d’interroger sur sa bêtise. Rentrant malgré moi dans le jeu, je me lançais et lui racontais tout :

- J’étais en train de faire son box et il… Il m’a bourré pour sortir… Au départ j’avais fermé la porte, mais on m’a dit de ne jamais m’enfermer dans le box, alors j’ai réouvert…
- Hn…
Gabriel se désintéressa alors totalement de moi, pour porter pleinement son attention sur le fameux cheval qui m’avait causé des problèmes. Je décidais de prendre du temps pour le regarder faire, soulagé du fait de ne plus ressentir sa souffrance. Ma colère m’avait vraiment coupé de tout ressentiments le concernant, du moins pour un temps. J’avouais me sentir encore extrêmement honteux de ce qui venait de se passer. Il entra donc de nouveau dans le box, laissant apparemment volontairement la porte grande ouverte. Alors que l’animal faisait un pas en direction de la sortie, je vis Gabriel l’arrêter d’une légère pression du doigt sur le poitrail et lui dire d’une voix douce et ferme de reculer. Il recommença ce manège jusqu’à ce qu’il lui laisse la porte ouverte sans qu’il ne soit tenté de la franchir. Cela dû prendre une bonne vingtaine de minute mais jamais ce spectacle ne me parut ennuyant. C’était fascinant de voir cet homme travailler avec ce cheval. Rien que son comportement était tout autre et l’animal finissait par lui renvoyer une certaine forme de respect. Ce Gabriel là devait être extrêmement agréable à vivre, tout le contraire de ce qu’il m’avait montré jusque là. Je sentais ma colère envers lui s’estomper au fil des secondes. Cet homme avait tout simplement besoin d’aide pour accoucher sa souffrance. Il ne supportait plus les hommes, et trouvait refuge vers d’autres êtres vivants. Mais comment atteindre le bonheur en s’isolant totalement ? Je connaissais parfaitement l’isolement. Ce n’était certes pas les mêmes circonstances, mais la véritable solitude, je la connais parfaitement, je la vis depuis tellement longtemps. Le contact avec autrui est bien trop dangereux pour moi. J’avais payé mon envie de me lier à quelqu’un.
Après une dernière caresse, il se décida à sortir du box et me surpris en train de l’observer accoudé à la porte du box d’en face. A vrai dire, il semblait tout aussi surpris que moi. Je lui adressais un petit sourire, ne voulant pas donner suite aux hostilités. Evidement, il n’y répondit pas et retourna vaquer à ses occupations.
Je me remis au travail, ayant fait une pause suffisamment grande. Un frisson me parcourut, il faisait bien plus froid que la veille.
Dorian revint une petite heure plus tard, apparemment préoccupé par une chose dont j’ignorais la nature.
- Tu t’en sors ?
- Oui, répondis-je simplement, n’ayant pas envie de raconter tout de suite ce qu’il s’était passé avant.
- Je ne pourrais pas te raccompagner ce soir, ma soeur a un problème et je partirais un peu plus tôt. J’ai appelé mon ami, il t’attendra là bas pour signer les papiers, et ce soir tu as ton chez toi. Tu n’as pas trop d’affaires à transporter ? Tu t’en sortiras ?
- Oui, ne t’inquiète pas, merci beaucoup en tout cas…
Nous échangeâmes un regard comprenant tout deux parfaitement ce qu’il signifiait, nous replongeant dans le souvenir de la nuit dernière. Ne voulant cependant pas aller plus loin que de simples pensées, je décidais de changer de sujet :
- Rien de grave pour ta sœur ? demandais-je légèrement inquiet.
- Non, un petit soucis rien de plus.
Dorian m’aida à faire les box, ce qui nous pris toute la matinée. C’était impressionnant comme ce travail était long et pénible. Mais à aucun moment je ne m’en plaignais. Vers onze heure et demi, il m’expliqua comment donner du foin aux chevaux, me montrant la quantité à donner à chacun. Pendant que je m’occupais de cette tache, il alla dans la sellerie réparer une sangle qui s’était cassée la veille. Une heure plus tard, nous nous rendîmes au réfectoire, prenant une pause pour manger bien méritée.
Nous nous installâmes à une table après être allé chercher à manger, avec les autres employés bien plus agréable que Gabriel, ou du moins polis. Dorian m’avait montré discrètement la copine de Gabriel qui se prénommait Marion. Elle était très belle, mais quelque chose gâchait cette beauté. Il y avait quelque chose qui me gênait chez elle. Nous en étions vers la fin du plat principal lorsque je vis Gabriel entrer dans le réfectoire. Il marcha directement jusqu’à sa place habituelle, celle où je l’avais vu hier midi, sans un seul regard pour Marion, assise un peu plus loin. Dorian se pencha et me souffla à l’oreille :
- Il y a de l’eau dans le gaz. Je serais sa copine je l’aurais déjà largué… Peut être qu’il reste avec elle parce que c’est la fille du patron…
Il continua à me parler, mais je ne l’écoutais plus vraiment. Les commérages commençaient à fuser. Tout le monde avait un petit mot pour cette scène. Gabriel semblait totalement étranger à tout cela. Il vivait dans son petit monde, comme enfermé dans sa bulle. Une seule chose émanait simplement de lui et il ne cherchait pas à le cacher. Elle signifiait clairement : foutez moi la paix. Je ne pouvais nier que j’étais de nouveau intrigué par cet homme. Malgré ce qui s’était passé hier, je ne pouvais jouer à l’indifférent. Cela aurait été uniquement se mentir à soi-même. Un par un les employés quittaient le réfectoire, il ne restait plus que Dorian, Marion, Gabriel, quelques autres personnes et moi. Dorian se leva et me dit de prendre mon temps pour finir de manger, il n’avait pas besoin de moi pour le moment. J’allais donc à la cuisine me chercher un café que je décidais de boire là-bas, profitant d’un peu de calme. J’avais beau tenter de me forcer un peu, je n’étais pas habitué à côtoyer autant de personnes et à ne plus avoir mes moments de solitude.
Alors que je retournais au réfectoire pour aller chercher ma veste et retourner travailler, je tombais en plein milieu d’un échange houleux entre Marion et Gabriel.
- Tu peux m’expliquer ce qui t’as pris hier soir ? demanda Marion.
- Y’a rien à expliquer, répondit-il très sèchement.
Je sentais soudain à la manière dont Marion se planta devant lui, que je n’avais vraiment pas à assister à cette conversation. Elle lui demanda alors :
- Tu me trompes ?
Aussitôt, Gabriel répondit stupéfait :
- Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? S’exclama-t-il après avoir retrouvé un minimum de sérieux. Arrête tes conneries, et lâche-moi un peu, tu veux !
- J’ai quand même le droit de me poser la question figure-toi, ajouta-t-elle en haussant le ton. On s’est pas vu depuis une semaine et alors que je viens te voir, tu trouves le moyen de me foutre à la porte !
Je n’étais même pas étonné de ce que lui disait Marion et des choses intimes que j’étais en train d’apprendre. Il suffisait de se pencher un peu sur son cas pour s’apercevoir que tout dans la vie de Gabriel n’allait pas comme il le fallait. Je restais tout de même choqué par sa réponse, même si je savais qu’il n’allait pas être tendre dans sa réponse.
- Oui et alors ? Il ne t’est pas venu à l’esprit que je n’avais peu être pas envie de te voir justement ?
Je vis Marion encaisser le coup sans trop vraiment réaliser ce qu’elle venait d’entendre. Dans un état de choc proche de celui de Marion, je ne fis pas attention et ne vis pas que Gabriel était en train de partir et étant sur son chemin, il me bouscula, ne m’ayant pas vu. Aussitôt le contact qui s’était rompu hier revint plus violemment que jamais. Ce qu’il ressentait à l’instant, en plus de ce qu’il se cachait à lui-même, je le vivais multiplié par dix. Je crus ne jamais réussir à respirer de nouveau. Toutes mes forces venaient de m’être enlevées. Mon corps maintenant totalement meurtri, me donnait l’impression d’avoir était roué de coups. La migraine que j’avais connu la veille était revenue de plus belle. Et toujours cette question, comment faisait-il pour ne pas s’effondrer. J’en avais la certitude, ce n’était maintenant qu’une question de temps avant la fin. Gabriel avait besoin d’aide ou bien il craquerait à jamais. Malgré toute la colère que j’avais pu ressentir pour lui et que je ressentais encore, je ne pouvais pas ne pas venir à son aide. J’étais le seul qui avait eu un véritable aperçu de cette souffrance à l’état brut. Ne m’en remettant pas je le fixais d’un air apeuré. Cet homme m’effrayait de part notre liaison. Ressentir tout de lui, sans aucune limite était terriblement angoissant. Apparemment, il n’apprécia pas que je le regarde comme cela, peut être que mon regard était en train de lui renvoyer un seul instant l’image de sa souffrance, ou peut être, inconsciemment, pouvait-il y lire ma peur face à sa douleur.
C’est sa voix emplie de hargne qui me ramena à la réalité :
- Tu peux pas regarder où tu vas non ? T’es miro ou quoi ?
Tout ce cinéma d’arrogance et d’apparence m’agaçait énormément. Il ne faisait que se mentir à lui même. Dans l’état actuel ou j’étais, étant loin de m’en remettre, je n’étais pas près à affronter sa colère contre le monde entier et son caractère exécrable. J’avais l’impression de ne jamais parvenir à me débarrasser de ce mal qui habitait Gabriel et qui avait maintenant pris possession de chaque partie de mon être, attirant mon âme vers la chute ultime. Sachant cela, je répondais rapidement sans trop réfléchir, ayant surtout besoin d’être seul et de m’éloigner de lui :
- Oh, commence pas à m’emmerder hein !
Evidemment, cela ne lui plu vraiment pas et il répondit aussitôt :
- Pardon ? Moi je t’emmerde ?
Pour me défendre, je décidais d’attaquer, c’était la seule manière de m’en sortir :
- Oui tu m’emmerdes, toujours avec ton air supérieur et arrogant ! Tu peux pas t’empêcher de faire chier les autres, c’est maladif ou quoi ? T’as besoin de faire chier le monde pour te sentir bien ?
- Tu commences vraiment à me les briser, de plus, je t’ai rien demander alors retourne curer tes box et fou moi la paix !
Autant dire que je m’attendais à tout sauf à cela. Je savais qu’il l’avait dit sous la colère, mais je ne pouvais m’empêcher d’en être indigné. Heureusement, il s’en alla. Marion me regarda un instant, puis passa devant moi sans un seul mot. Je me retrouvais seul dans le réfectoire, les jambes tremblantes, ayant l’impression qu’un ouragan m’était passé dessus. Comment aider un homme qui souhaitait tout sauf cela ? Tout à coup ce que j’étais en train d’entreprendre me semblait inutile, et surtout vain. Je n’avais aucune chance. Je dus m’asseoir, me remettant doucement de la douleur quasi inhumaine que j’avais ressenti quand il m’avait heurté. Un voile de solitude s’empara de moi, depuis ce jour, il y a plus de dix ans, je ne l’avais jamais autant ressenti. La prison me l’avait caché, le retour à la liberté me le dévoilait de nouveau, sans prendre de gant. Je me souvins de lui, je portais un regard détaché sur ma vie, me posant toujours cette même question : « A quoi bon ? »…
Je venais d’être projeté dans un monde où j’avais maintenant l’impression de ne pas avoir le droit d’en faire parti, ou peut être de ne jamais en être capable. Les bonnes résolutions que j’avais prise en prison étaient en train de s’effilocher. J’avais soudain envie de partir, de fuir comme je l’avais pensé la veille, mais fuir pour aller où. Le seul échappatoire qui s’offrait à moi, celui de la solitude ultime, celui de ma fin, celui que je ne pouvais envisager réellement. Pourquoi ? Qu’est-ce qui me retenait ici ? Peut-être le besoin de me racheter…Peut être que je n’avais pas le courage de le faire, et surtout qu’au fond de moi je n’avais pas envie de réellement quitter cette vie.
Seulement, quel avenir ? Quel futur s’offrait à moi ? Allais-je vivre seul et faire ce boulot toute ma vie ? Le seul but qui m’était fixé maintenant était d’aider cet homme. Il s’était imposé à moi et je n’avais pas vraiment eu le choix. Même si cela était extrêmement douloureux, même si cela était loin d’être une solution de facilité, je savais que c’était l’unique chose qui me tenait encore debout, qui me maintenait au bord du précipice à l’aide d’un fil que je savais très fin.
Trouvant que mes pensées devenaient bien trop sombres et surtout très dangereuses, je pris sur moi et décidais de me lever. Un mal de tête violent s’était maintenant saisi de moi et je savais que je devrais passer au meilleure des cas toute ma journée avec. Alors que je me dirigeais vers la sortie je tombais nez à nez avec une scène que je n’aurais jamais du voir. Je ne m’arrêtais pas et poursuivi mon chemin, réalisant à peine ce que je venais de voir : Marion, tendrement enlacée dans les bras d’un autre homme, en train de l’embrasser à pleine bouche, trahissant son amour pour Gabriel.
C’était étrange à dire, mais j’avais l’impression d’être tout aussi trahis que Gabriel ne l’était. Alors que j’aurais simplement pu ressentir un léger malaise, je me retrouvais investi dans cette histoire qui n’était pas la mienne. C’était la dernière des choses à faire subir à Gabriel en ce moment. J’avais la certitude qu’il n’avait pas connaissance de cela.
Heureusement, c’est ce moment-là que choisit Dorian pour m’appeler. Il était à l’entrée de la sellerie et m’indiquait clairement de le rejoindre. J’entrais dans cette pièce assez mal éclairée et l’écoutais m’indiquer le travail à faire qui consistait à graisser les cuirs des selles. Alors que je lui tournais le dos pour accomplir ma tâche, prenant garde à ne surtout pas le toucher, vu ma sensibilité accrue, je sentis son regard posé sur moi, et l’envie qui émanait de lui. Je choisis de me retourner vers lui, lui faisant face et sautant sur l’occasion. Ce que j’allais faire, j’en avais plus que tout besoin en cet instant. Je devais évacuer le trop plein, je devais sentir ce contact physique pour me rattacher à la réalité.
De manière féline, je m’approchais de lui, lui lançant un regard provocateur. Dorian ne mit pas bien longtemps à comprendre mon intention et pris de court, il ne pu que répondre à mon baiser passionné. Nos langues ne mirent que peu de secondes à se rencontrer et à se mêler dans un esprit de fusion totale.
Je me laissais fondre en lui, me débarrassant de ce poids qui était de trop pour mes épaules. Je pouvais sentir son rythme cardiaque s’accélérer, faisant écho au mien et me rappelant que je vivais moi aussi. Sentir ses lèvres sur les miennes, sa langue caresser la mienne avec envie consolidait le fil si fin qui me maintenait en vie.
Je laissais glisser mes mains sur son corps que je connaissais maintenant intimement, l’attirant plus près de moi, pour approfondir notre échange. Je serais bien resté des heures ainsi, m’unissant simplement de cette manière à son être, mais cela aurait pu être risqué pour lui comme pour moi. Je finis par m’arracher à contre cœur à son étreinte et après un sourire échangé, je me tournais pour accomplir mon travail. Si je restais face à lui, je savais très bien que je n’y résisterais pas. Je finis par me plonger totalement dans mon travail, y mettant tout le soin et l’attention dont j’étais capable, les joues encore rosies par la chaleur du baiser échangé. Dorian était parti vaquer à d’autres tâches, me laissant seul accomplir mon travail, avec l’ordre de nourrir les chevaux une fois ces deux selles terminées. Une bonne heure plus tard, j’avais eu le temps de finir et je me dirigeais vers le lieu où étaient rangées les fourches. Au retour, je tombais nez à nez avec celui que j’avais le moins envie de croiser aujourd’hui. Il se tenait accroupis dans la sellerie, cherchant apparemment une brosse. Lorsqu’il se redressa nous tombâmes nez à nez. Je n’avais pas besoin de me servir de mon don pour deviner qu’il n’avait pas envie de me voir. L’image de Marion le trompant me revint en mémoire et sa souffrance vint de nouveau s’infiltrer en moi. Je ne pouvais pas le laisser comme cela et la première des choses que j’avais à faire était de tenter d’établir de meilleurs liens entre nous. La chose était loin d’être évidente, car sans un regard de plus pour moi, il me dépassa et se dirigea vers le box de sa montre. Je n’avais pas d’autre choix que de le suivre, sachant que je prenais sur moi pour faire cela. Arrivé au box, je parvins à capter son attention un instant, et voulu prendre la parole. Cependant, il me devança en me demanda froidement :
- Qu’est ce que tu veux ?
- Je…commençais hésitant, ne sachant pas comment le prendre. Je tenais à m’excuser pour tout à l’heure…
- Hn, et alors ? Qu’est ce que tu veux que cela me foute ?
J’avais de plus en plus de mal à me concentrer face à ce qui émanait de lui, si bien que sa réponse me mit presque hors de moi, bien que je ne le laissais pas paraître pour le moment. N’appréciant tout de même pas sa remarque, trouvant qu’il dépassait les bornes, je répliquais :
- Dis moi, tu es toujours comme ça avec tout le monde ou c’est juste parce que c’est moi ?
- Rassure-toi, tu n’as rien d’exceptionnel !
Certes le chemin de la réelle discussion était très lointain, mais j’en profitais tout de même pour en apprendre un peu plus sur lui. Je décidai de ne pas m’emballer et de répondre calmement :
- Tu es toujours comme ça ? A balancer des vannes à longueur de journée ?
Cette fois-ci, ce fut à son tour de soupirer, apparemment plus qu’agacé. Je tentais continuellement de garder cette distance entre nous, ne sachant pas vraiment comme je réagirais s’il était trop près. Stoppant toute action, il se retourna vers moi et avec un sourire qui était totalement hypocrite, il me déclara :
- Non, je me suis levé du pied gauche ce matin ! Ca te va comme réponse ?
Je perdis patience, ne parvenant plus à me contrôler, sa colère venant se mêler à la mienne, je ne fis pas attention aux mots blessants que je lui jetais à la figure.
- J’y crois pas ! Il faut toujours que t’ais le dernier mot hein ? C’est pas croyable d’être aussi gamin ! T’es vraiment aigri comme type ! Pas étonnant que ta copine aille voir ailleurs…
Je vis aussitôt son visage se décomposé, pâlir sous la nouvelle cruelle je venais de lui apprendre. Une douleur à l’état brut, un sentiment de trahison profonde envahi son cœur et le mien. Ne pouvant supporter cela, j’esquissais un mouvement vers lui, ce qui eut pour effet de le faire s’exclamer furieux :
- Ne t’approche pas de moi !
Je me maudissais tellement de lui avoir dit cela. Je stoppais mon geste, ne sachant plus vraiment que faire ou que dire.
- Ma vie privée ne concerne que moi c’est clair ? Alors tu vas me faire le plaisir de te mêler de tes affaires et de rester en dehors de mes histoires ? Est-ce que je te pose des questions sur tes histoires de cul ? Non ? Alors fais en de même !
La fureur qu’il déchaîna m’effrayait. L’idée qu’il me connaisse totalement, qu’il connaisse mon passé et mon don m’effrayait. Je me rendais soudain compte que j’avais extrêmement peur de me faire juger par cet homme. Sa colère me rappela celle de celui qui m’avait mené jusqu’ici dans ma vie. En une seule phrase, en une seconde seulement ou je ressentais tout, il m’avait fait replonger dans le passé et dans sa propre souffrance. Pâlissant à vue d’œil, ne parvenant plus à cacher quoi que ce soit, je bredouillais :
- Je… Tu ne sais rien de moi…
- Justement toi non plus !
Sur ces derniers mots, il attrapa la longe de son cheval et me bouscula, finissant d’achever en moi le peu de force mentale qu’il me restait. Je le suivis très difficilement et le vis enfourcher son cheval lestement une fois dehors, avant de s’élancer au galop afin de partir loin de moi, loin de ce qu’il ne supportait plus. Mon regard l’avait percé à jour, et ne plus pouvoir mentir comme il le faisait avec tout le monde, ne plus pouvoir se protéger sous son arrogance était en train de fissurer le mur qu’il s’était construit. Je le vis disparaître à l’horizon, sachant que je ne pouvais rien faire pour lui pour le moment.
Je sentis à ce moment-là Dorian arriver derrière moi. Je me tournais pour lui faire face, tentant de sourire pour cacher le tout qui rongeait mon esprit, mon corps le supportant de moins en moins bien.
- Juha ?!!! Qu’est ce qui t’arrive ? Tu es tout pâle ! Ca t’arrive souvent les crises comme ça ? Tu avais la même tête hier…
- Non ça va, ne t’inquiète pas, dans quelques minutes ça va passer… lui mentais-je.
- J’étais venu te dire, il y a quelqu’un au téléphone pour toi, dans le bureau.
Intrigué et surtout très étonné je lui demandais :
- Tu es sur que tu ne t’es pas trompé ?
- Non, cet homme te cherche bien, je lui ait dis que je venais te chercher…
C’était totalement impossible que quelqu’un me cherche, n’ayant plus de contact avec personne depuis dix ans et n’ayant annoncé ma sortie à personne. Qui était-ce et comment cette personne m’avait trouvé ?
Retrouvant de nouvelle force en moi grâce à la curiosité, je me dirigeais jusqu’au bureau non sans une certaine appréhension et une angoisse grandissante. Alors que j’arrivais dans le bureau, je trouvais le combiné décroché posé sur la table. Les mains tremblantes je saisis le téléphone et le porta à mon oreille avant de dire fébrilement « Allô ». J’entendis une respiration un cours instant, avant d’entendre la tonalité classique me signifiant qu’il avait raccroché.
Le combiné me glissa des doigts, ne parvenant plus à le maintenir. La seule question qui avait emplie toute mes pensées était : qui était-ce ? Une peur sourde s’insinua en moi, sans que je puisse avoir de prise sur elle. J’étais effrayé par ce que ce coup de téléphone pouvait entraîner. Dorian avait bien dit que c’était un homme, et malgré moi je pensais connaître son identité. Préférant ne pas y penser et vivre cela uniquement comme un mauvais rêve, je sortais de ce bureau après avoir raccroché ce téléphone, n’essayant même plus de tenter de cacher mon mal-être. Je rejoins Dorian qui était en train de vérifier mon travail dans la sellerie, essayant de quitter cette sournoise idée que le passé allait revenir me hanter. Je fus sorti de mes pensées par Dorian qui me demanda :
- Tu as pu l’avoir ? Tu as fais vite.
- Oui… répondis-je simplement, ne sachant rien dire de plus.
- Juha ? Tu es sur que tu vas bien ? Tu ferais mieux de rentrer chez toi. De toute façon il n’y a plus rien que tu puisses faire aujourd’hui. Va te reposer tu seras plus efficace demain…
N’ayant même pas le courage de contester sa décision, j’acquiesçais faiblement.
- Je passe te chercher demain matin ?
- Oui, merci…
- L’ami qui te loue l’appartement habite sur la place, à deux maisons de chez moi, passe chez lui directement pour signer les papiers et avoir les clefs.
Il me griffonna l’adresse sur un bout de papier sortie de sa poche et me le tendit :
- Voilà, à demain Juha, passe une bonne soirée.
- Toi aussi, à demain, et encore merci.
Je le quittais me rendant dans la chambre que m’avais louée Philippe. J’attrapais mon vieux sac de toile et y mettais le peu d’affaires qui m’appartenaient. Puis, emmitouflé dans mon manteau, je sortis et pris le chemin pour rentrer chez moi. Plus que tout, j’avais besoin de repos, mais l’idée de me retrouver seul dans cet appartement m’angoissait légèrement, je ne pouvais le nier. Progressivement, il se mit à neiger et le soleil passait lentement derrière les montagnes pour faire place au froid hivernal.
Je marchais sans trop faire attention au monde qui m’entourait, ayant déjà assez de préoccupations avec moi-même. Un bruit pourtant me fit lever les yeux et je vis un cheval, légèrement affoler, dans le champ à côté de la route. Je ne mis pas longtemps à reconnaître le cheval de Gabriel et inquiet je m’approchais de lui tout doucement quittant la route. Je n’y connaissais rien en équitation, mais je savais qu’il était dangereux de laisser un cheval seul au bord d’une route. Il suffisait d’un minimum de jugeote pour le savoir. De la même manière dont j’avais vu Gabriel le faire avec le cheval de ce matin, je m’approchais de celui-ci. Lentement, je continuais ma progression vers lui, en étant attentif à chacune de ses réactions, m’arrêtant lorsque je sentais que ma présence le dérangeais. Je savais que je ne me rendais pas compte de cela uniquement grâce à mon observation, ayant parfaitement conscience que mon don y était pour quelque chose. Avoir l’intuition de ce que l’autre ressentait, même un animal était une chose que je faisais sans même en avoir conscience la plupart du temps. Je finis par arriver à sa hauteur, et m’arrêtais un instant le temps de le laisser m’accepter à ses côtés. Docile, il ne bougea pas d’un pas et lentement je tendais ma main vers lui dans le but d’attraper sa longe qui traînais sur le sol. Je soupirais de soulagement lorsque je sus que j’avais réussi. La longue dans les mains, je continuais de m’aventurer dans le champs, constatant avec joie que la monture de Gabriel m’obéissait à peu près, me suivant en se plaçant à quelques pas derrière moi.
Lorsque je vis une tache bien plus loin, j’accélérais le pas, me doutant parfaitement de l’identité celle-ci. En avançant je pouvais et sentir et voir Gabriel étendu dans la neige inconscient. Je courais presque vers lui, ne lâchant surtout pas la longe, voyant que l’animal commençait à être impatient. Une fois arrivé à sa hauteur, je restais figé sur place, me rendant compte que j’étais dans l’incapacité de me baisser vers lui. Sa tête avait heurté une pierre, et son sang commençait à imbiber la neige, ses yeux clos et sa peau rendue pâle par le froid lui donnait l’apparence d’un mort. Il me renvoyait une fois de plus bien trop loin, bien trop profondément dans mon passé. Je savais qu’il fallait que j’agisse vite, il était question de sa vie, mais j’étais comme paralysé. La souffrance psychique je pouvais la supporter, mais la souffrance physique violente, celle qui nous rend proche de la mort, c’était au dessus de mes forces. C’est en voyant son torse se soulever et s’abaisser, signifiant qu’il respirait encore, que je tentais de me reprendre.
Je dus me faire violence pour me pencher et prendre le portable qui dépassait un peu de sa poche. Appeler les secours, c’était la seule chose qui était en mon pouvoir. J’ôtais ma veste, lâchant un court instant la longe de son cheval qui restais là sans bouger à côté de nous, cherchant parmi la neige piétinée un petit brin d’herbe. Je lui posais dessus, frissonnant sous le vent qui commençait à se lever. J’appelais enfin les secours, leur indiquant ma position, et ce qu’il s’était passé. Dans dix minutes minimum me dirent-ils, ils seraient là. Je restais là, debout, le dominant de ma hauteur, ne sachant pas vraiment que faire. Je ne connaissais le numéro d’aucune personne au centre et n’aurait pas été capable de parler à qui que ce soit d’autre. Je sentis soudain mes jambes céder sous mon poids, me retrouvant agenouillé à ses côtés. Je me mis à trembler comme une feuille, sachant pertinemment que cela n’était pas du au froid. Je tenais fermement la longe de ma mains droite, cela me permettait de m’aider à tenir. Je fixais le corps inerte sans jamais pouvoir esquisser un seul geste vers lui. J’étais en train de me perdre, mêlant ma frayeur à son inconscience et ma propre souffrance à la sienne. J’étais comme en état de choc. J’attendais que quelqu’un vienne nous aider. Dix minutes… Il fallait seulement attendre dix minutes… A l’instant, elles me paraissaient aussi longues que les dix ans que j’avais passé exclu de tout. Depuis plus de dix ans, je me retrouvais toujours paralysé devant un corps inerte, devant un corps proche de la mort ou l’étant déjà. Je revoyais son visage, je me retrouvais à ressentir ces choses que je m’efforçais chaque jour de cacher. Mon manque de lui était toujours aussi fort, comme une plaie béante à vif qui ne s’était jamais refermée après toutes ces années.
Je sentais peu à peu la souffrance mentale de Gabriel se faire de plus en plus lointaine. Je me rendais compte qu’il était en train de partir et je ne faisais rien pour le retenir ou pour l’aider. Plongé dans un profond désarroi, une larme coula le long de ma joue sans que je m’en aperçoive, laissant un sillon glacé par le vent. La main fébrile, je la tendis vers lui, sachant que si je ne le faisais pas, il ne tiendrait pas. Le soleil avait presque disparu et il risquait l’hypothermie, voir bien plus grave… Je la posais sur son front et constatais qu’il était brûlant de fièvre.
Je dus fermer les yeux un instant pour tenter de faire le point en moi, tout était bien trop en ébullition, tout bougeait dans tous les sens, je ne savais plus à quoi me rattacher. J’avais l’impression de perdre ce qui faisait mon unité. C’est au prix d’un effort immense que je parvins à rassembler toutes les parties de moi, les séparant de celles qui ne m’appartenaient pas. Je laissais glisser ma main jusqu’à la sienne et la serra très fort, tentant de le ramener parmi nous, sentant qu’il était en train de quitter ce monde. Mentalement, je lui hurlais de revenir, de ne pas partir, de rester ici. Il ne pouvait pas partir comme cela, c’était bien trop bête et cela n’avait aucun sens. Je serrais encore plus fort sa main, sa respiration était en train de s’accélérer légèrement. Bientôt, j’entendis les sirènes s’approcher, s’accompagnant d’un soulagement de ma part. La monture de Gabriel s’agita, semblant craindre le bruit du camion. Je finis par me redresser, lâchant la main de Gabriel afin d’être sur d’être capable de maîtriser cet animal. Deux ambulanciers sortirent du véhicule garé sur le bord de la route, et accoururent vers moi avec une civière. L’un vint me demander très rapidement ce qu’il s’était passé, tandis que l’autre prodiguait déjà les premiers soins et la première auscultation à Gabriel. Une fois qu’ils eurent finis de l’installer sur la civière, ils me donnèrent pour mission de prévenir le centre. Je me retrouvais donc seul dans la neige, en plein milieu de ce champ dans ma veste, avec ce cheval qui commençait à s’impatienter. Je me mis en marche, après un dernier regard sur l’ambulance, prenant la direction de l’écurie. Marcher rapidement me réchaufferait peut être un peu. L’épuisement qui s’était maintenant emparé de moi n’aidait en rien à réchauffer mon corps.
C’est frigorifié que j’arrivais dans les écuries, et que je croisais par chance Philippe en train de s’occuper d’un cheval. Intrigué de me voir ici, en prime avec le cheval de Gabriel, il sortit aussitôt du box et vint à ma rencontre.
- Qu’est ce que tu fais avec ce cheval ? me demanda-t-il aussitôt.
Puis étant plus près et voyant l’expression maladive et inquiète qui se dépeignait sur mon visage il me demanda d’un ton bien plus inquiet :
- Qu’est-ce que tu fais habillé comme ça ? Tu n’as pas l’air bien.
Malgré le froid qui paralysait mes mâchoires, je réussis à articuler quelques mots, lui expliquant la situation. A peine eut-il entendu « Gabriel, chute, hôpital » il m’attrapa la longe des mains et ramena le cheval dans le box. Après l’avoir débarrassé de son matériel, il sortit et se redirigea vers moi qui n’avait pas bouger d’un pouce.
- Viens avec moi, tu m’expliqueras mieux en chemin, on va à l’hôpital.
Sans dire un mot je partis à sa suite, et montais dans la voiture avec lui. Il me laissa cinq minutes le temps de me réchauffer, avant de me demander ce que j’avais fait de ma veste, et de lui raconter précisément tout ce qu’il s’était passé et ce que j’avais fait. Il semblait terriblement angoissé et je perçus que leur relation n’était pas uniquement celle de patron à employé.
A l’intuition que l’on pouvait avoir,on aurait pu nommer cette relation de père à fils.
A peine garé sur le parking, nous sortîmes de la voiture et nous nous ruions vers l’accueil de l’hôpital. On nous indiqua qu’il était encore en observation et qu’il fallait attendre encore une petite demi-heure avant de se rendre à la chambre où il serait transféré.
Encore plus angoissé qu’avant, Philippe me proposa d’aller boire un café, disant que cela me réchaufferait. Je remarquais que j’étais toujours grelottant. Je mis double dose de sucre dans celui-ci, tentant de me donner un minimum de force. Lorsqu’une infirmière vint enfin nous chercher, elle nous expliqua que Gabriel n’avait rien eu de grave à part une petite commotion cérébrale, qu’il allait lui falloir un peu de repos, et que c’était une chance d’avoir réussi à l’aider aussi tôt, car cela aurait pu être bien plus grave. Soulagés, mais souhaitant tout de même constater son état par nous-même, nous nous rendîmes dans sa chambre. Il était là, allongé dans son lit, légèrement redressé, la tête dans les vapes. Je restais un peu à l’écart, tandis que Philippe se jetait presque sur lui.
C’est à ce moment là que je m’aperçu en faisant un tour d’horizon de la pièce que ma veste avait été posée sur la chaise à côté de moi, placée à l’opposé du lit. Gabriel semblait être totalement dans les vapes, et mit du temps avant de parler à Philippe. Je ne fis pas vraiment attention à ce qu’ils échangèrent, trop occupé à tenter de me réchauffer. Je pris ma veste et m’y emmitouflait. Puis, voulant tout de même voir comment Gabriel allait, m’avouant que je m’inquiétais tout de même beaucoup pour lui, je m’approchais un peu, entrant dans l’intimité qui s’était installé entre les deux hommes. Lorsque Gabriel m’aperçut, il semblait avoir retrouvé assez de force pour s’exclamer assez fébrilement tout de même, mais sans cacher son agacement et son arrogance habituelle :
- Qu’est ce qu’il fout ici lui ?
- Enfin Gabriel ! C’est grâce à lui que tu es ici. On peut même dire qu’il t’a sauvé la vie.
Je ne fis pas attention à la suite de leur échange. Etant en train de me réchauffer progressivement, je sortais de mon engourdissement. Je réalisais soudain dans quel endroit je me trouvais : un lieu plus que dangereux pour moi, un lieu que j’avais toujours évité depuis la découverte de mes capacités. J’étais en train de prendre conscience de la véritable bataille qui se menait dans mon esprit, des barrières qui s’étaient dressées et qui tentaient en vain de résister contre la foule de sentiments extérieurs frappant sans relâche aux portes de mon esprit. J’étais inconsciemment en train de lutter contre la souffrance des autres…
Tout devint flou, et j’avais de plus en plus de mal à me concentrer sur ce qui se passait dans le monde extérieur. Une voix terriblement inquiète et trahissant toujours un certain agacement, me sortit cependant de mon état second :
- Et Orphée ? Philippe ! Comment va mon cheval ?
- Calme toi Gabriel, Juha s’en ai très bien occupé, il l’a ramené et…
Je n’entendis pas la suite, il m’étais presque impossible de me concentrer plus de quelques instants sur une chose précise, telle que cette conversation. Philippe sembla enfin s’apercevoir de mon trouble et de mon mal-être car il se tourna vers moi, avec un regard interrogateur, suivit de celui méprisant de Gabriel. Bredouillant, je déclarais :
- Je crois que je vais rentrer, je…
- Oh, excuse moi, je n’avais pas vu ton état, j’étais tellement inquiet pour Gabriel. C’est vrai que tu semble avoir besoin de repos. On est pas habitué au travail ici hein ? dit Philipe tentant de détendre l’atmosphère.
Pour une fois, c’était le regard de Gabriel qui était posé sur moi et je ne parvenais pas à le soutenir, le fuyant par tous les moyens. Il était en train de me détailler, bien qu’encore dans un état semi-comateux. Mais j’avais la cruelle impression qu’il tentait de découvrir quelque chose en moi, en m’inspectant ainsi, quelque chose qui était en train de l’intriguer. Je lui en voulais d’être aussi peu reconnaissant de l’avoir sauvé, et supportais très difficilement son regard posé sur moi. Même pas un merci, mais cela n’était pas mon problème pour le moment. Pour l’heure, il fallait que je sorte d’ici. C’est heureusement ce que nous fîmes. Philipe allait me raccompagner, disant à Gabriel qu’il reviendrait après. Je jetais un dernier regard à Gabriel. Nos regards se croisèrent un instant, sa souffrance était plus forte que toutes celles que je pouvais ressentir, et il m’était impossible de tenir plus longtemps. Plus que cet hôpital, je devais m’éloigner de lui.
Nous quittâmes cet hôpital, nous dirigeant sur le parking. Dorian avait apparemment prévenu Philippe au sujet de mon emménagement, car il me demanda où il devait me déposer. Je sortis le papier que m’avait donné Dorian, sur lequel était marquée l’adresse. Philippe me fit alors un sourire bienveillant, avant de déclarer :
- Très bien, allons-y.
Heureusement, ce n’était pas très loin de l’hôpital et en un petit quart d’heure, nous arrivâmes à l’adresse donnée. J’étais resté silencieux tout le long du voyage, et ce n’est qu’au moment où je sortais de la voiture, récupérant mon sac que je l’entendis me dire :
- Il ne te le dira peut être pas, ce n’étais vraiment son genre, mais merci pour ce que tu viens de faire pour lui…
Les coins de mes lèvres s’étirèrent un peu, lui offrant un sourire. Je finis par lui dire au revoir et Philipe reprit le chemin de l’hôpital. Je me retrouvais maintenant devant la porte de mon locateur, sonnant à la porte. Il vint m’ouvrir très rapidement, et s’exclama dès qu’il me reconnut :
- Tiens Juha ! Je ne t’attendais plus…
Il me fit rentrer chez lui, disant qu’il n’avait pas beaucoup de temps. En une dizaine de minutes, je me retrouvais de nouveau dehors, les papiers signés en poche et les clefs de mon nouvel appartement dans la main. Il ne me restait plus que quelques dizaines de mètres à faire pour rentrer chez moi. Ayant un bon sens de l’orientation et une bonne mémoire, je retrouvais mon appartement assez rapidement.
Tourner la clef dans la serrure avait quelque chose d’excitant mais je n’avais pas le cœur à être heureux. Comme si ce lieu avait toujours été à moi, je jetais négligemment les clefs sur la table, déposais mon sac sur le sol. Je vis qu’il m’avait laissé des draps et le lit était fait. Dorian devait y être pour quelque chose. De la nourriture y avait aussi était amenée, de quoi tenir quelques jours, et le chauffage était mis en route, instaurant dans la pièce une sorte de cocon douillet, un refuge pour me ramener au calme et au repos.
Tel un zombie, je me dirigeais jusqu’à la petite salle de bain, hésitant entre un bain et une douche. J’optais pour une douche brûlante, et sans rien faire d’autre, n’ayant pas faim, ni envie de quoi que ce soit, je m’étendais sur le lit, rabattis les couvertures sur moi et m’endormis aussitôt, dans un sommeil lourd, sans rêves, me suffisant pour récupérer pleinement.
Ce fut une sonnerie de téléphone qui me réveilla en sursaut. Je me redressais et mis un temps avant de réaliser où je me trouvais et ce qui s’était passé la veille. Je tournais la tête en direction du fameux téléphone que j’ignorais possédé. Je me levais donc à la hâte, décrochant le téléphone de justesse.
- Salut Juha, bien dormi ?
C’était la voix de Dorian.
- Je passe te prendre dans dix minutes ça te vas ? Au fait tant que j’y pense, ton ami à rappellé hier soir, je lui ai donné ton numéro de fixe, comme ça, ça sera plus simple. Aller à tout de suite.
- Oui, à tout de suite.
Si j’avais été calme jusqu’à maintenant ce n’était plus le cas. L’idée qu’une personne me cherchait avec tant de ténacité et ne me dévoilait pas son identité me faisait craindre le pire.
 Je préférais ne pas y penser, et préférais me concentrer sur le fait que j’avais dix minutes pour me préparer.
La journée fut assez longue et pénible, je n’avais pas encore récupéré de la veille. J’appris de la part de Philipe que Gabriel ne rentrerait que le demain, et qu’il restait encore en observation à la clinique. Cela ne me gênait pas vraiment, au contraire, cela m’offrait un peu de répit. J’avais de plus en plus de mal à digérer le fait qu’il ne m’ait pas remercié ou ne serait-ce qu’esquisser autre chose que de la rancœur à mon égard et son air supérieur. Une sorte de mélancolie s’était maintenant installée dans mon cœur, certains psy disent qu’il est tout à fait normal de passer par une phase de dépression une fois sortie de prison. J’aspirais à me retrouver seul sans le vouloir vraiment. J’étais dans un état d’entre deux, ayant l’impression de ne pas être à ma place et de ne jamais pouvoir l’être un jour.
Ce fut la nuit qui fut la plus terrible pour moi. L’homme du téléphone avait mon numéro et m’appela plusieurs fois sans jamais dire un seul mot. L’angoisse qui m’habitait n’était plus du tout tenable. Je finis de rage par débrancher le téléphone, pour avoir la paix, même si ce n’était plus la peine maintenant. Impossible de fermer l’œil pas la suite. Qui cela pouvait-il être et que me voulait-il ?
Je restais là assis sur mon lit, les jambes rabattues sur ma poitrine, attendant que le temps passe et que ma peur me quitte. Ce fut des coups frappés à la porte qui me sortirent au petit matin de mon état second. Je sentis aussitôt mon cœur s’emballer à une vitesse folle. Je ne sais où je trouvais les forces de me lever et de marcher jusqu’à la porte afin d’ouvrir à l’inconnu. Je ne pu que soupirer de soulagement lorsque je constatais que le visiteur n’était autre que Dorian.
- Juha ? Pourquoi tu ne réponds pas au téléphone ? Tu l’as débranché ? Eh ? Ca va ?
Il était vrai que l’expression que j’abhorrais était proche de quelqu’un qui venait de voir un fantôme. Je me préparais rapidement devant l’air de plus en plus suspicieux et inquiet de Dorian.
La journée fut semblable à la suivante, si ce n’est que j’étais constamment sur mes gardes, toujours à l’afflux. Je ne comptais pas le nombre de fois où je sursautais ou lorsque mon cœur manquait un battement.
Lorsque j’appris en fin de journée que Dorian ne pouvais pas me raccompagner en voiture, je ne pu décrire la panique qui s’empara de moi, allant même jusqu’à être difficile à cachée. Mais je n’eu pas le choix, et en fin de journée, alors que le soleil était déjà parti depuis un bon moment je pris le chemin pour rentrer chez moi. Durant tout le trajet, je ne pus me débarrasser de cette désagréable impression d’être suivi. Je me retournais plusieurs fois, pour constater toujours la même chose : j’étais le seul à marcher sur cette route et le reste n’était que le fruit de mon imagination.
Arrivé devant la porte de mon appartement, je me sentis légèrement soulager, mon cœur continuant de battre à toute allure. C’est au moment où je tournais la clef dans la serrure que j’entendis des pas derrière moi. Je n’hésitais pas une seule seconde à me retourné, et vis avec le plus grand effroi qu’il n’y avait personne, sauf une sorte de sentiment de haine qui irradiait le couloir. Je commençais à me dire que je devenais complètement fou !
C’est au moment où j’entrouvris la porte que je sus que je ne l’étais pas. Quelqu’un se tenait vraiment derrière moi et je pouvais sentir son souffle chaud dans ma nuque. Je fis quelques pas pour rentrer chez moi, tentant de garder mon calme et de ne pas me mettre à crier de terreur. Puis je décidais de me tourné, n’ayant d’autre moyen que de faire face à ma peur.
Jamais je n’aurais imaginer me trouver en face de lui, ou pire encore j’avais l’intime conviction de son identité depuis le début, mais je me le dévoilais uniquement maintenant, ne voulant pas croire que j’avais raison.
D’une voix extrêmement froide j’entendis cet homme qui me faisait maintenant face avec toute sa haine tournée vers moi :
- Tu n’aurais jamais dû sortir Juha ! Tu le sais tu mérites bien plus que ces dix petites années de prison ! Assassin, ordure…
Je n’eus pas le temps de réagir que déjà il s’était jeté sur moi, déversant toute sa haine, sa colère et sa brutalité sur moi… Les larmes coulaient de mes yeux… Il lui ressemblait tellement. Qu’est ce qui était le plus douloureux ? Les coups qui pleuvaient maintenant sur moi sans que je puisse rien faire, ou tous les ressentis haineux qu’il éprouvait à mon égard. Coup après coup, je sentais ma conviction et mes forces de vivre diminuer, anéanties par ce retour brutal dans le passé. Dire qu’il y a dix ans, cet homme était mon meilleur ami, celui sur qui j’avais pensé pouvoir compter toute ma vie.  Les insultes pleuvaient comme les coups, il ne s’arrêterait pas tant que de la rancœur à mon égard existait encore dans son cœur. Je savais que ma vie ne ferait pas le poids face à celle-ci, mais peut être était-ce la fin que je méritais. Après tout, cela était vrai, je n’étais qu’un meurtrier et je méritais le même sors…

A suivre…

3
déc

Once in a lifetime - chapitre 07

   Ecrit par : admin   in Once in a life time

Chapitre 07 par Lybertys

 

Nous marchâmes pendant près d’une heure dans un silence monastique. Je n’étais finalement pas habitué à discuter pendant que je marchais, faisant normalement ce genre de trajet seul. J’appréciais le silence, plongé dans mes pensées. Je me demandais où nous allions pouvoir nous rendre tout en restant caché. Tant que nous ne nous serions pas éloignés de cette région, nous avions malheureusement toutes les chances de nous faire rattraper par son père. J’étais sûr qu’il avait les bras longs et qu’il avait engagé des détectives à sa botte. Nous évitions les routes et je préférais de toute façon la nature au béton. Ce fut à cet instant que Gwendal choisit de briser le silence, me demandant alors que nous traversions une forêt :
- Est-ce qu’il va te manquer ?
- Hein ? M’exclamais-je, ne voyant pas de qui il parlait. Qui donc ? Ajoutais-je perdu.
- Ben Julien ! A ton avis, qui d’autre ? Soupira-t-il.
- Excuse-moi, je pensais à autre chose. S’il va me manquer ? Un peu oui, avouais-je. C’est un très bon ami, je tiens beaucoup à lui…
- Oh… souffla-t-il.
Chaque personne que je quittais me manquait, mais jamais ce manque n’avait vaincu mon envie de voyager et de mettre fin à mon mode de vie. Même si Julien était un peu plus spécial que les autres, il n’avait jamais réussi à me retenir… Je doutais que Gwendal parvienne à comprendre un jour mon mode de penser et de vivre, même s’il voulait me suivre.
- C’est vrai qu’il est gentil, souffla-t-il avant de se murer à nouveau dans le silence.
Celui-ci ne me dérangea pas, et je me laissais emporter par mes pensées, profitant de ce sentiment si particulier de perte de toute attache et d’inconnu perpétuel vers lequel je me dirigeais. Pour rien au monde je ne voulais perdre cette liberté…
Nous continuâmes à marcher silencieusement, Gwendal derrière moi tandis que j’ouvrais la marche. Je finis par reconnaître l’endroit, j’étais déjà passé par là. Ma blessure commençait à me tirer légèrement, mais cela restait supportable. Tentant de localiser ma route au mieux pour éviter à Gwendal des détours inutiles, je m’arrêtais brusquement. Gwendal le remarqua trop tard et il me fonça dedans. Alors que je me retournais, je ne pus m’empêcher de sourire intérieurement en le voyant par terre.
- Ca va Gwen ? Demandais-je en lui tendant la main pour l’aider à se relever.
- Oui ça va ! Tu peux pas prévenir quand tu t’arrêtes ? S’exclama-t-il en attrapant la main que je lui tendais.
- C’est toi qui était dans la lune ! M’exclamais-je avant de me taire.
Jamais je n’aurais pensé qu’il soit aussi léger. Gwendal me semblait soudain si frêle et si fragile. J’avais du mal à croire qu’il ait pu marcher jusqu’ici sans être épuisé. Je marchais cependant plus doucement depuis qu’il partageait ma route. Il y avait une chose que je ne pouvais cependant pas nier, Gwendal était un bel homme. Les trais fins et de haute naissance, il ne faisait pas parti de ceux que je côtoyais habituellement.
- Quoi ? Grogna-t-il lorsqu’il remarqua que je l’observais avec attention. Est-ce que tu as été un vautour dans une autre vie ?
- Non, excuse-moi ! Répondis-je, un sourire malicieux étirant mes lèvres. Mais vu ton poids plume, c’est pas étonnant que tu t’envoles au premier coup de vent !
- Mon poids plume ? Répété-t-il, incrédule. Dis, si tu n’as rien trouvé de mieux à faire que de m’insulter, la prochaine fois abstiens-toi ! Je n’ai que faire de tes remarques sarcastiques !
J’avais presque oublié son mauvais caractère et le peu d’humour qu’il pouvait avoir sur lui.
- Ca va, excuse-moi ! Je n’ai pas dit ça pour te blesser, déclarais-je en perdant mon sourire.
Puis, retrouvant mon sourire, ne voulant pas m’appesantir là dessus, je lui demandais :
- Tu n’as pas faim ?
- Si, répondis-je, en me rendant mon sourire. Un peu.
- Dans ce cas, trouvons un coin sympas pour manger !
L’instant suivant, comme je l’avais pensé, nous arrivâmes dans une clairière très agréable. Je jetais mon sac, imité par Gwendal. Alors que je commençais à chercher le repas, j’entendis Gwendal pousser un cri inhumain. Sursautant, je me retournais vers et le vis en train de se tenir le genou.
- Gwen ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Ca va pas de crier comme ça ?
- Je… Commença-t-il en s’asseyant afin d’observer son genou. C’est cette pierre ! Je me suis fait mal !
Rassuré, je ne pus m’empêcher de dire :
- Et tu cries comme ça pour ça ? M’exclamais-je, incrédule.
Pour toute réponse, il me lança un regard assassin, ne prenant pas la peine de me répondre. Soupirant de lassitude face à son attitude enfantine, m’efforçant au calme, je tentais :
- Allez, montre-moi…
- Je n’ai pas besoin de ton aide ! Déclara-t-il, catégorique, en se détournant de moi.
- Très bien, comme tu veux ! Soufflais-je en allant m’asseoir en face de lui, n’ayant pas envie d’insister.
Là, je commençais à sortir la nourriture de mon sac et lui tendis un bout de viande séchée avec du pain fraîchement préparé par Julien. Il les prit et commença à manger en silence. Constatant son état de fatigue et voulant le ménager, je me rappelais qu’un ancien amant ne vivait pas très loin d’ici.
- Avec un peu de chance, demain soir nous pourrons dormir dans un lit ! Dis-je alors, comme pour lui donner un peu de courage.
- Ah bon ? Demanda-t-il.
- Oui, j’ai un ami qui n’habite pas très loin d’ici, dis-je sans rentrer dans les détails. A une journée de marche, peut-être moins, je sais plus trop.
- Oh…
- Ca ne te fait pas plaisir ? Demandais-je surpris.
- Si, répondit-il en esquissant un sourire. Mais faudrait-il que j’arrive jusqu’à là-bas… Si je ne sens plus mes pieds, je te parle pas de l’état de mon dos… Soupira-t-il en fermant les yeux, collant son front contre ses mains. Comment tu fais pour ne pas être dans le même état que moi ?
- L’habitude, répondis-je, amusé par sa question. Je suis sur la route depuis quelques années de plus que toi, ne l’oublie pas.
Les yeux toujours fermés, il ne répondit rien. Prenant conscience de sa réelle souffrance, je me levais et allais vers lui. Alors que je posais les mains sur ses épaules, Gwendal sursauta et se redressa violemment.
- Calme-toi, soufflais-je amusé de le voir ainsi sur le qui-vive. Ce n’est que moi !
Lentement, je commençais à dénouer lentement chacun des nœuds douloureux qui contractait ses muscles. J’avais appris à le faire grâce à un amant masseur. J’étais resté pendant quelques temps chez lui et il avait commencé à me former. Mais l’appelle de la route avait encore une fois était le plus fort. Gwendal finit par se laisser aller, et ce ne fut que lorsque je sentis chacun de ses muscles détendus que je mis fin au massage improvisé, surpris de la finesse de ses épaules, même à travers les vêtements.
Gwendal ne réagit pas immédiatement, comme plongé dans un état d’euphorie. Je n’avais pas trop perdu la main.
- Ca va mieux ? Lui demandais-je après quelques instants.
- Merci, oui ! C’est très agréable, et je n’ai presque plus mal ! Comment tu fais ? Demanda-t-il.
- Si je te le disais ça ne marcherai plus ! Répondis-je en lui adressant un clin d’œil qui le fit sourire. Une pomme ? Lui proposais-je en retournant à ma place.
- Avec plaisir ! Merci ! Répondit-il en attrapant celle que je lui lançais.
Nous mangeâmes notre pomme en silence et ce ne fut qu’après une petite sieste que nous reprîmes la route. Cependant, alors que nous marchions depuis une vingtaine de minutes, la pluie se mit à tomber en une violente averse.
Sentant que cela allait tourner à l’orage très rapidement et étant en quelques minutes trempés jusqu’aux os, je l’attrapais par le bras et m’écriais afin de me faire entendre malgré le vacarme :
- Viens ! Il y a une grotte où nous pourrons nous abriter pas très loin d’ici !
Sans un mot, il m’emboîta le pas. Me fiant à ma mémoire et à mon sens de l’orientation, nous ne tardâmes pas à trouver la grotte. Sans la moindre hésitation, je m’y engouffrais, trop heureux d’avoir retrouvé cet abris. Alors je pouvais entendre Gwendal me suivre à tâtons il me rentra dedans pour la seconde fois de la journée.
Là, j’allumais une lampe de poche que je venais enfin de trouver dans mon sac et commençais à observer la grotte. Elle était comme dans mes souvenirs, profonde et suffisamment grande pour que nous ayons la place de bouger. Gwendal, appeuré, n’osait pas s’éloigner de moi. Il ne me fallut pas longtemps pour m’apercevoir qu’il grelottait de froid, les bras crispés autour de lui pour tenter de se réchauffer.
- Change-toi, Gwen ! Ne reste pas comme ça, tu vas attraper la mort !
Docilement, il alla chercher son sac et enleva ses affaire de dessus qui avait pris l’eau. Il chercha des affaires sèches, pendant que je faisais de même. C’est alors que je l’entendis me dire dans un claquement de dents :
- Tu peux partir, s’il te plait ?
- Partir ? Pour quoi faire ? Lui demandais-je, une fois de plus surpris.
- Pour que je puisse me changer, évidemment ! A ton avis, pour quoi d’autre ?
- Parce ce que tu crois vraiment que je vais sortir, juste pour te permettre de te changer ? M’exclamais-je, incrédule.
- Et bien… Oui ! Affirma-t-il.
- Tu sais, commençais-je, je t’apprécie beaucoup, Gwen, mais pas au point d’aller faire un tour dehors par ce temps. Allez, change-toi ! Lui ordonnais-je, agacé qu’il fasse passer sa santé après sa pudeur.
Ignorant mon ordre, il resta là, immobile, serrant ses vêtement contre lui. Réalisant qu’il ne bougerait pas, je soupirais, las :
- Promis, je ne regarde pas ! J’ai passé l’âge de ce genre d’enfantillages tu sais ! Ajoutais-je en lui adressant un sourire sardonique. Et puis tu n’est certainement pas le premier homme nu que je vois !
A ces mots, je devinais que Gwendal s’empourprait violemment. Il finit par céder alors que j’attrapais mes propres affaires. En un rien de temps, j’étais vêtu de vêtements secs, appréciant la chaleur qui revenait peu à peu dans mon corps. Étendant au mieux mes affaires, j’allais rejoindre Gwendal, assis près de la paroie de la grotte, les jambes contre lui.
- Je crois que nous allons attendre là jusqu’à ce que l’averse se calme, déclarais-je, en venant m’asseoir à ses côtés. Ca va toi ? Ajoutais-je en reportant mon attention sur lui.
- Je… J’ai froid…
- Attends, soufflais-je, en me relevant. Ne bouge pas.
M’éloinant de quelques pas, je cherchais mon duvet, soigneusement rangé au fond de mon sac. Le remplisant à nouveau de toutes mes affaires, craignant d’oublier ou de perdre quelque chose dans cette obscurité, j’allais rejoindre Gwendal. Sans perdre de temps, je nous recouvris du duvet en prenant place à ses côtés. Mon compagnon de route était pris de tremblements et le claquement de ses dents me serra le cœur. Peu à peu, ceux-ci s’espacèrent.
- Ca va mieux ? Lui demandais-je en caressant doucement ses cheveux.
- Un peu… Oui… Je… Euh… Merci…
Gwendal eut à peine le temps de terminer sa phrase je passais un bras autour de ses épaules, attirant son corps peu épais contre le mien.
- Viens contre moi, soufflais-je. Il n’y a rien de mieux que la chaleur humaine pour réchauffer. Et si vraiment ça marche pas, repris-je, un court instant plus tard, je connais une autre méthode, autrement plus agréable.
- Hein ? S’exclama-t-il en se redressant légèrement, ayant exactement la réaction que j’avais prévue.
- Ca va ! Pouffais-je. Je plaisantais ! Allez, viens-là !
Docilement, il se laissa aller contre moi, allant même à ma plus grande surprise, jusqu’à poser sa tête contre mon épaule. Le silence s’installa entre nous, écoutant simplement la pluie tomber en un grondement assourdissant. Distraitement, ma main passait encore et encore dans ses cheveux si doux, en une tendre caresse. Il semblait si fragile contre moi, que je me sentais investi de la mission de tout mettre en œuvre pour le protéger. Ce fut après un temps indéterminé que je l’entendis me demander doucement :
- Hayden ?
- Mmh… Oui ? Répondis-je dans un état second, bercé plus que je ne l’aurais cru par la pluie.
- Tu es né où ?
- A Lyon, répondis-je distraitement.
- A Lyon ? Répéta-t-il, hésitant. Je ne connais pas cette ville… C’est où ?
- En France.
- En France ? Tu es né en France ? J’aurais jamais deviné… Tu n’as aucun accent !
S’il savait à quel point j’avais tout fait pour perdre ce qui me rattachait à ma langue maternelle… Pour toute réponse, j’esquissais un sourire amusé, avant de répondre, après un instant de silence :
- Quand on passe beaucoup de temps dans un pays, on finit par apprendre la langue….
- Beaucoup de temps ? Répondit-il surpris. Tu es en Angleterre depuis longtemps ?
- Quelques années oui, répondis-je, commençant à être embêté qu’il me questionne ainsi sur un passé que je voulais oublier.
- Et tu as beaucoup voyager avant ça ? Tu as vu quels pays ?
- Non ? Je suis venu directement en Angleterre après avoir quitté la France. J’avais besoin de m’éloigner pour oublier… Enfin, voilà, je suis venu ici…
- C’est quand ta mère est morte… C’est ça ? Demanda-t-il, hésitant.
Mon cœur loupa un battement. Pourquoi me parlait-il de cela ? En quoi ma vie l’intérressait-il ?
- Oui… Mais s’il te plait… Je ne veux pas en parler… Répondis-je, poliment.
- Oh… Je comprends… Pardonne-moi, souffla-t-il en se réinstallant plus confortablement.
Je ne répondis rien. Il suffisait d’un simple évocation pour faire remonter en moi cette rancœur et cette honte par rapport à mes origines. Ce que j’avais commis, les seringues de ma mère, la solitude de mon enfance et l’entrave du à la dépendance : plus jamais je ne voulais connaître cela. Je voulais l’effacer de ma mémoire définitivement. Alors pourquoi chaque personne que je rencontrais finissait indéniablement par me questionner sur mon passé. Cela m’avait valu plusieurs disputes et il était vrai que je n’étais pas vraiment agréable lorsque l’on touchait à ce sujet. Je pouvais même devenir agressif, mais cela était le seul moyen que j’avais trouvé pour leur faire comprendre de ne pas chercher à aller plus loin.
Gwendal finit par s’endormir dans mes bras, tandis que perdu dans mes pensées, je continuais à le caresser distraitement. Son corps avait enfin retrouvé une chaleur normale. Malgré moi, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter pour lui. Avait-il la forme physique pour la vie que je menais ? N’allait-il pas se lasser ? Et que se passerait-il lorsque nos chemins se sépareraient. J’étais habitué à rencontrer des gens sur ma route mais jamais à la partager avec eux. Comment vivrais-je cette séparation ? La pluie ne cessait pas, et je finis par m’assoupir à mon tour, perdu dans mes pensées, pas complètement remis de ma blessure.
Ce fut un coup de tonnerre résonnant violemment dans la grotte qui me réveilla. Je sentis instantanément Gwendal se coller plus contre moi. Raffermissant ma prise autour de ses épaules dans un geste qui se voulait réconfortant, je soufflais :
- Hey ! Calme-toi… Ce n’est que le tonnerre.
- Je… Je déteste les orages… Et là, dehors, c’est… C’est encore pire… Gémit-t-il, en enfouissant son visage dans ma chemise.
- Ca va aller, murmurais-je doucement, peu surpris de sa phobie. T’inquiètes pas, c’est rien… Tu ne crains absolument rien… Je suis là…
- J’ai dormi longtemps ? Demanda-t-il en étouffant un bâillement. Il est tard ?
- La nuit est déjà tombée… Constatais-je. Nous dormirons ici cette nuit. Déclarais-je. Tu as faim ?
- Oui, un peu, répondit-il en m’adressant un petit sourire que je devinais.
- Bien, par contre, je suis désolé, mais pas de repas chaud pour ce soir ! A moins que tu ne souhaites sortir dehors et que tu pries très fort pour trouver du bois sec ! Pour ma part je n’y crois pas trop, mais après tout, qui ne tente rien n’a rien, comme on dit ! Ajoutais-je en lui adressant un clin d’œil.
- Sans façon, répondit-il en me rendant mon sourire. Froid, ça ira très bien ! Je suis pas difficile tu sais !
- Ah bon ? J’aurai pourtant parié le contraire !
- Oui bon ! Tout est relatif ! Déclara-t-il en esquissant un mouvement pour se lever.
- C’est bon, reste assis ! J’y vais ! L’assurais-je en me levant.
Attrapant ma lampe de poche, je relachais mon étreinte autour de lui et allais jusqu’au sac duquel je sortis un bout de jambon avec une tranche de pain et une pomme. Les mains pleines de nourriture, je revins m’asseoir tout contre lui et lui tendis sa part. Nous mangeâmes dans un silence presque monastique. Une fois son repas terminé, il repoussa le duvet et se leva, sous mon regard intrigué :
- Où vas-tu ? Lui demandais-je surpris.
- Il faut que je marche un peu, répondit-il, en m’adressant un petit sourire. J’ai mal aux jambes et aux fesses !
- C’est d’être resté trop longtemps assis ! Moi aussi ça me le fait ! Ajoutais-je en l’imitant, ne rechignant jamais pour une petite marche même si cela impliquer tourner en rond dans la grotte.
Pour toute réponse, Gwendal commença à tourner en rond. C’est alors qu’après un moment, il me demanda en se tournant vers moi :
- Dis ! Tu pourrais m’apprendre à parler français ?
- T’apprendre à… Répétais-je surpris. Tu sais, repris-je après un instant d’hésitation. J’essaye d’oublier tout ce qui a attrait avec mon pays d’origine, dis-je le plus calmement et le plus honnêtement possible.
- Je comprends, souffla-t-il, déçu.
Je n’avais pas utilisé une seule fois cette langue depuis que j’avais quitté la France. Celle-ci me rappelait trop les cris de ma mère et la façon brusque qu’elle avait de s’adresser à moi. Je fus heureux de ne pas le voir insister, reprenant ses allers-retours dans le noir.
- Hayden ? M’appela-t-il à nouveau après un moment.
- Quoi ? Demandais-je, commençant à être agacé par ce genre de question.
N’avait-il pas compris ! Allait-il encore insister ?!
- Tu ne t’es jamais attaché à quelqu’un au point de vouloir rester avec ?
- Tu as fini avec tes questions débiles ? M’exclamais-je agressivement, ne pouvant plus me contenir.
Sursautant, Gwendal me tourna le dos et alla vers son sac. Je devinais plus que je ne le vis s’installer contre le mur opposé de la grotte avec son duvet. Il s’allongea, recouvrant sa tête à l’aide de son duvet. Soupirant intérieurement, je me décidais à aller le rejoindre. Je n’aimais pas être agressif avec lui, mais je voulais qu’il comprenne que je ne voulais pas de ce genre de questions trop personnelles. Alors que je m’asseyais à côté de lui, Gwendal me tourna obstinément le dos, restant sous son duvet.
- Ecoute, Gwen… Commençais-je. Je suis désolé, je n’aurais pas du te parler sur ce ton… Mais, je n’aime pas parler de moi…
- Parce que cela justifie peut-être la façon dont tu m’as parlé ? Demanda-t-il vexé.
Je me redressais, ne sachant que faire. Je n’avais jamais été doué pour la vie à deux. Faisant quelques pas, je finis par me résigner à lui dire, comme un aveu trop personnel :
- Tu sais, la raison pour laquelle j’essaye d’oublier mon passé, c’est parce que je n’en suis pas fier…
- Ton passé à fait de toi ce que tu es… Pourquoi le fuir ? Demanda-t-il, un peu calmé.
- Ah oui ? Parce que tu ne fuis pas toi, peut être ? Demandais-je avec hargne, toute patience m’ayant quitté.
- Mais ça n’a rien à voir avec moi ! S’exclama-t-il brusquement, en se redressant.
- Tiens donc ! C’est pourtant pas l’impression que j’ai !
Je l’avais pourtant mis en garde indirectement. Il s’était approché de trop près du seul sujet sensible qu’il ne fallait jamais aborder avec moi. Mon passé était derrière moi, et cela ne servait à rien de revenir dessus.
- Je ne fuis pas mon passé ! S’écria-t-il. Je ne fuis pas la personne que je suis ! Je suis comme je suis, c’est tout ! Je fais avec ! Je fuis un avenir dont je ne veux pas ! Je fuis une vie insignifiante pour moi !
- Une vie à ton image ! Crachais-je, sans réfléchir.
J’étais tel un animal blessé que l’on avait attaqué, et la seule réponse que je connaissais était l’attaque.
- Comment peux-tu être aussi méchant ? Me demanda-t-il d’une voix étranglée.
Je n’aurais pas du aller jusque là. Je ne voulais pas le faire pleurer, et il n’y avait pas la moindre once de vérité dans ce que je venais de lui dire. Se détournant de moi, il attrapa son duvet et alla s’installer à l’entrée de la grotte. S’installant sans son duvet, callant sa tête contre la paroi humide, il regarda la pluie tomber. Voulant rattraper mon erreur, je m’approchais de lui.
- Gwendal… Commençais-je, en posant une main sur son épaule.
- Laisse-moi ! Cracha-t-il avec hargne en se dégageant. Dégage !
N’insistant pas, ne sachant pas vraiment comment me comporter avec lui et énervé qu’il s’adresse à moi de cette façon, je retournais vers mon sac et en sorti la trousse à pharmacie. Avec un soin qui contrastait avec l’agacement qui bouillait dans mes veines, je refis mon pansement. La plaie était plutôt belle à voir, j’étais rassuré par sa cicatrisation. Je ne ressentais plus qu’une légère douleur et un tiraillement. Le début de démangeaison n’était qu’un bon signe supplémentaire.
Puis, trouvant un endroit le plus confortable possible, je m’installais dans mon duvet, tentant d’ignorer au mieux les reniflements de mon vis-à-vis qui continuait de pleurer. Ce ne fut que lorsqu’il s’endormit que je me laissais aller à mon tour en pensant que la route avec lui ne serait vraiment pas de tout repos…
Un grondement fracassant me tira de mon sommeil, résonnant contre les parois de la grotte. Me redressant légèrement, je tentais de m’assurer que Gwendal allait bien après le cri qu’il m’avait semblé percevoir de sa part. Au deuxième éclair, j’entraperçus sa silhouette se terrer un peu plus contre le mur. Il ne lui en fallut pas plus. Attrapant son duvet, je l’entendis plus que je ne le vis se ruer vers moi en trébuchant. Un éclair illumina la grotte à nouveau, me permettant de le voir. J’écartais mes bras, l’invitant à venir s’y réfugier. Oubliant sa rancœur, il céda et il se précipita entre mes bras, tremblant de peur et de froid. Son corps entier était tendu et congelé. Comment avait-il pu tenir si longtemps à l’entrée de cette grotte ! Je ne pouvais décemment pas le laisser ainsi.
- Tu es glacé, soufflais-je, après un nouveau coup de tonnerre. Tiens moi ça ! Demandais-je en lui tendant la lampe de poche. En zippant les deux duvets ensembles, on pourra se tenir plus chaud, qu’en dis-tu ?
- Je… D’accord ! S’empressa-t-il de répondre alors qu’un éclair illuminait la grotte.
Sans attendre, je m’affairais à attacher ensemble nos deux duvets. Lorsque cela fut fait, je me rallongeais et l’invitais à prendre place à mes côtés, chose qu’il accepta sans tarder. Il prit cependant soin de me tourner le dos, se tentant plus qu’il n’était possible éloigné de moi.
Mais il continuait de tremblait comme une feuille, son corps parcourut de spasmes.
- Arrête de trembler, soufflais-je, agacé par son comportement.
- Je tremble si je veux ! Me donne pas d’ordre, j’en ai pas à recevoir de toi ! Répondit-il sur le même ton avant de se réfugier sous le duvet alors que le tonnerre grondait inlassablement.
Poussant un profond soupir intérieur, je laissais mes mains s’activer dans son dos, le frottant pour tenter de le réchauffer au mieux. Il allait attraper la mort… Gwendal finit par se laisser alors, poussant même un soupir de bien être. Mais ce n’était pas assez.
- Cela ne suffira pas à te réchauffer. Tu est complètement glacé… Allez, viens pas là ! Ajoutais-je en l’attirant vers moi, passant outre ses résistances.
Je le sentis se tendre à mon contact, mais il ne mit finalement pas beaucoup de temps avant de se relâcher, et ne tarda pas, enfin réchauffé à s’endormir.
Le sommeil ne vint pas pour moi. Cela commençait à faire longtemps que je n’avais pas tenu quelqu’un aussi intimement entre mes bras et je n’étais pas quelqu’un qui avait été élevé dans la tendresse. J’avais du mal à l’être et encore plus à en recevoir. Mon accès de colère et l’impossibilité d’avoir fait autrement était ce qui avait était une des causes de mon impossibilité d’avoir une véritable relation. Julien en était la preuve. Même si nous nous étions aimé, je n’avais jamais pu lui apporter ce qu’il voulait, trop indépendant, loup solitaire et avare en gestes de tendresse. J’avais du mal à faire confiance à l’autre au point de baisser toute mes gardes et de rester près de lui aussi simplement. Il y avait toujours ce petit quelque chose qui m’en empêchait. J’avais toujours dû me débrouiller seul ou m’occuper des autres. Je ne pouvais compter que sur moi-même. J’aimais le contact physique avec les autres et leur compagnie, mais taisant ma véritable nature, ce que j’étais réellement et ce passé qui me constituait, je construisais un mur impénétrable entre moi les autres. Personne ne savait qui j’étais vraiment : ce petit enfant tremblant devant sa mère, tapi dans un coin de cuisine, effrayé par la main qu’elle levait sur moi…
Ce fut sur cette dernière pensée que je fermais les yeux, frissonnant un froid que personne n’était jamais parvenu à calmer.
Je me réveillais tôt le lendemain matin. Le soleil était de retour, baignant l’entrée de la grotte de ses premiers rayons. Une buée se dégageait de la pierre chaude, offrant une agréable vue. Sortant du duvet, j’allais m’étirer un peu, engourdis par la nuit et m’offrit une toilette matinale avec les moyens du bord. Rassemblant toutes les affaires, je laissais le petit-déjeuner sorti. Puis je reportais mon attention sur Gwendal qui était toujours en train de dormir profondément. J’entrepris alors de le réveiller et je n’aurais jamais cru qu’il faille en faire autant. Ce ne fut que lorsque j’en vins à le secouer qu’il ouvrit enfin légèrement les yeux :
- Et ben, pour te faire ouvrir les yeux c’es quelque chose ! Fis-je remarquer. Allez, lève-toi !
Il ne répondit rien, m’annonçant le ton de la journée. Il m’adressa un regard assassin avant de se tourner de l’autre côté. Soupirant, je n’insistais pas et m’éloignais. J’allais m’installais et commencais le partage du petit déjeuner. Gwendal mit un certain temps avant de me rejoindre et il ne m’adressa même pas un seul mot, se contentant de m’ignorer. Rentrant dans son petit jeu, je ne cherchais pas à échanger avec lui. Il ne nous fallut pas plus d’un vingtaine de minutes pour finir de nous préparer et plier le reste de nos affaires. Ce fut toujours dans un silence monastique que nous reprîmes la route. Le soleil haut dans le ciel offrait une humidité ambiante du à l’orage de la veille, rendant l’air lourd et désagréable.
Comme je l’avais prédis, il nous fallut presque la journée pour arriver chez mon Max, un amant de passage. J’avais travaillé quelques mois dans son bar et étais revenu le voir plusieurs fois et notre attirance mutuelle avait engendré une relation étrange. Il n’y avait rien de plus qu’une relation physique entre nous et une certaine forme d’amitié peu approfondie. Nos corps s’entendaient bien, il me rappelait le patron du bar que ma mère fréquentait beaucoup quand j’étais petit et qui avait toujours un chocolat chaud pour moi qui m’attendait. Max était un homme bien qui faisait tourner son bar du mieux qu’il pouvait. Il était partit de rien et j’admirais le travail qu’il avait accompli.
Gwendal me suivit silencieusement dans le fameux bar qui donnait sur la place publique. Nous n’avions pas échangé plus de trois phrases, Gwendal était rancunier et moi n’ayant pas la moindre envie de faire le premier par pour qu’il m’assomme de questions et ne me juge sur mon passé et mes choix. M’approchant du comptoir, je demandais à un barman :
- Salut ! Dis-moi, est ce que Max travaille toujours ici ?
- Ca s’pourrait bien ! Ca dépend qui le demande ! Répondit le barman en posant sur moi un regard sceptique.
- Dis-lui simplement qu’Hayden demande à le voir ! Répliquais-je peu impressionné.
Le barman me jaugea un instant du regard avant de disparaître par une porte située derrière le comptoir. L’instant suivant, il réapparaissait accompagné de Max, homme âgé d’une trentaine d’année, les cheveux bruns habituellement long coupés très courts. Un sourire se détacha aussitôt de son air renfrogné lorsqu’il me vit. Il s’approcha aussitôt de moi et nous nous étreignîmes avec force :
- Hayden ! S’exclama Max. Ma parole, ça fait une paye que je ne t’avais pas vu ! Je n’y croyais plus !
- Que veux-tu ! La vie nous réserve des surprises ! Répondis-je en me libérant de sa puissante étreinte. Alors qu’est ce que tu deviens ? Toujours à pourrir dans ton trou à rats ?
- Comme tu vois ! On ne se refait pas ! S’exclama-t-il en riant.
Même si je n’étais pas émotionnellement attaché à Max, cela me faisait plaisir de le revoir. Nous avions passé de bons moments ensemble et s’il n’en avait pas l’apparence extérieure, c’était un homme profondément gentil et prêt à beaucoup pour aider son prochain. Malgré les deux années où je ne l’avais pas vu, il n’avait pas changé. Il faisait beaucoup de sport pour entretenir son corps lorsqu’il ne travaillait pas à faire marcher son bar et contrastait avec l’image bedonnante de l’homme derrière le comptoir, patron de son bar.
Max remarqua la présence de Gwendal qui se tenait à côté de moi, les bras croisé sur sa poitrine :
- Et qui est cette charmante personne ? Demanda-t-il avec un sourire qui en disait long sur ce qu’il était en train de s’imaginer.
- Laisse tomber, Max ! M’exclamais-je. Il est trop bien pour toi ! Max, je te présente Gwen ! Un ami de voyage ! Gwen, voici Max !
- Enchanté Gwen ! Souffla Max. C’est un plaisir de faire ta connaissance !
- Et bien, sachez que je ne vous retourne pas la politesse ! Déclara-t-il en évitant soigneusement de serrer la main qu’il lui tendait.
N’appréciant pas du tout son attitude, je me promis de lui en toucher un mot plus tard.
- Fait pas attention ! Déclarais-je en me tournant vers Max. Il est assez spécial !
Se tournant vers moi, Gwen m’adressa un regard furibond. N’étant pas le genre d’homme à s’attarder sur ce manque de politesse de la part de Gwendal, Max se tourna vers moi et déclara :
- Je t’offre un verre ?
- Avec plaisir ! Répondis-je en m’asseyant au comptoir, laissant mon sac à mes pieds.
Gwendal m’imita et lorsque Max lui proposa la même chose, il refusa simplement.
- Alors, s’exclama Max en reportant son attention sur moi. Quel bon vent t’amène ?
- Nous passions par là, alors je me suis dis que je ne pouvais pas ne pas passer te voir.
- Rassure-moi, dit-il avec un regard lourd de sous entendu qui me fit frémir en imaginant la suite, tu restes ici cette nuit.
- Si nous sommes invités, avec plaisir…
- Il prendra la chambre d’ami, dit-il en me montrant brièvement du regard Gwen qui semblait absent, plongé dans ses pensées, ne prenant part à notre discussion. Quant à toi… À moins que vous ne soyez ensem…
- Comme je te l’ai dit, nous ne sommes que de simples compagnons de voyage. Je suis donc tout à toi. Dis-je en riant.
- Où est ce que tu l’as trouvé celui-là, ce n’est pas ton genre de voyager avec quelqu’un ? 
- Nos routes se sont croisées, rien de bien intéressant, dis-je, voulant rester le plus évasif possible. Et toi après ces deux ans, il a du s’en passer des choses ! Si tu me racontais !
Il n’en fallut pas plus à Max pour me parler de son bar, un petit bijou à ses yeux, battis avec la sueur de son front. Mais Max ne tarda pas à interrompre son histoire pour me montrer Gwendal.
- Tu devrais le monter dans la chambre, ton ami à l’air épuisé au point de s’endormir au comptoir. Je n’avais jamais vu ça ! A part pour ceux qui boivent trop, mais ça n’a pas l’air d’être son cas !
- Oui, bonne idée. Encore merci pour ton hospitalité Max.
- Tu seras toujours le bienvenu ici Hayden, tu le sais.
Je lui adressais un sourire avant de reporter mon attention sur Gwendal. Il semblait dormir profondément. Aussi je le secouais légèrement, tentant de le faire revenir à lui.
- Gwen ! Réveille-toi ! Soufflais-je.
Pour toute réponse, il m’adressa un grognement qui se voulait dissuasif, ne semblant avoir aucune envie de se réveiller. J’avais du mal à imaginer qu’on puisse être aussi épuisé après une journée de marche où le rythme avait été moindre qu’à ce dont j’avais l’habitude.
- Ne reste pas là ! Insistais-je. Viens, je vais te montrer ta chambre ! Allez, lève toi !
Cédant, Gwendal entrepris de se lever, mais il manqua de s’écrouler et ne du son salut qu’à mes reflexes. Je le retins comme je peux par le bras.
- Ca va ? Lui demandais-je, légèrement inquiet.
Il ne me répondit rien et partit à ma suite. Nous montâmes au premier étage, je connaissais bien les lieux. Arrivé devant la chambre dont Max m’avait parlé, j’ouvris la porte et lui dit :
- Voilà, c’est ta chambre pour cette nuit. Repose-toi, tu as l’air d’en avoir besoin.
- Hn… Merci souffla-t-il simplement.
Il se dirigea hagard vers son lit alors que je refermais la porte derrière lui. Retournant voir Max, je lui demandais si je pouvais emprunter sa douche, en rêvant depuis hier soir. Après avoir eu son accord, j’attrapais nos deux sacs et remontait à l’étage. Je déposais silencieusement le sac de Gwen dans sa chambre qui était déjà en train de dormir à moitié affalé sur son lit. Souriant face à cette image, j’allais prendre une douche bien méritée.
Une fois lavé, mon pansement refait et vêtu de propre, j’allais rejoindre Max dans le bar. Un autre verre m’attendait déjà, et je passais une soirée agréable, apprenant à connaître un des nouveau barman engagé. Il m’offrit un plat consistant, et les verres s’enchaînèrent. Alors que je me sentais légèrement engourdi et que l’heure de la soirée était déjà bien avancée, Max me fit sous entendre qu’il était l’heure d’aller se coucher. Je le suivis avec plaisir. J’avais l’impression que je n’avais pas touché intimement un corps depuis des lustres.
Nous n’attendîmes même pas d’arriver jusqu’à la porte de sa chambre pour qu’il se jette sur moi, m’embrassant avec ardeur, me laissant présager la suite.
Cette nuit, j’allais m’offrir à lui comme je l’avais déjà si souvent fait, sans la moindre honte, sans la moindre pudeur ni retenue. Je voulais qu’il me possède pour me sentir vivre, comme pour m’éloigner un peu plus du gouffre de mon passé qui m’attirait inlassablement…
Le lendemain, je me réveillais le corps courbaturé par les ébats de la veille, mais serein comme je l’étais rarement. M’étirant, je vis que Max dormait encore profondément. Amusé, je récupérais mes affaires éparpillées dans la chambre et filais sous la douche. Une fois propre, j’allais voir Gwendal. Celui dormait, enfoui sous sa couette. Je l’appelais doucement, tentais de le secouer légèrement, mais ce fut sans le moindre succès. Ces yeux restaient désespérément clos et seule sa respiration pouvait qu’il était encore en vie. Il me fallut près d’une demi heure avant qu’il se réveille enfin. Je l’appelais d’une voix tremblante d’inquiétude, craignant le pire :
- Gwen ! Gwen, réveille-toi ! Allez ouvre les yeux !
Obéissant, Gwendal finit enfin par ouvrir les yeux avant de les refermer aussitôt. Ne désirant pas le voir sombrer à nouveau, j’insistais appelant son nom et ce ne fut que lorsque je vis sa main se redresser légèrement avant de retomber mollement sur le lit que je m’exclamais :
- Non de Dieu, Gwen ! M’exclamais-je. Ne me refais jamais une peur pareille ! Ca fait une demi-heure que j’essaye de te réveiller et que tu restes aussi immobile qu’un cadavre ! Est-ce que tout va bien ?
- Ca va ! Déclara-t-il, d’une voix rauque.
- Tu es sûr ? Demandais-je en le voyant aussi pâle que la mort. Tu as vraiment mauvaise mine !
- Ca va ! Répéta-t-il avec conviction.
Ne voulant pas insister d’avantage, puisqu’il ne semblait pas vouloir de mon aide, je répondis :
- Très bien ! Je te laisse te préparer ! Rejoins moi en bas, lorsque tu seras prêt, nous partons d’ici une heure !
Sans attendre de réponse, je quittais la pièce, lui laissant le temps de se préparer. Je croisais Max qui sortait de la douche en serviette.
- Sers-toi dans la cuisine de ce dont tu as besoin, je te rejoins.
Je m’installais dans la cuisine et préparait un café brûlant pour m’aider à me réveiller.
Comme je l’avais prévu, après une heure, nous étions de nouveau en route. J’avais remerciais chaleureusement Max, lui promettant de revenir le voir. Gwendal quant à lui, lui décrocha à peine un seul mot. Ce fut après une bonne heure de silence à marcher en sa présence que je finis par craquer. Me retournant brusquement, je croisais les bras sur ma poitrine et déclarais, clairement agacé par son comportement :
- Bon ! Tu m’expliques ce que tu as depuis hier soi ? Tu as été excécrable envers Max qui a eut la gentillesse de t’héberger !
- Et bien, la prochaine fois, qu’il s’abstienne ! Répliqua-t-il avec une colère que je ne lui connaissais pas. Je préfère encore mille fois dormir dehors sous un orage que de revivre la nuit comme celle que je viens de passer !
- Ah oui ! M’exclamais-je. Et son altesse pourrait-elle m’expliquer ce qui lui arrive cette fois-ci ? Tu as tes règles ou quoi ?
- Ce qui m’arrive ? Cria-t-il comme à bout de nerf. Il m’arrive que tu es quelqu’un d’exécrable ! Tu n’est qu’un égoïste ! Tu agis toujours sans la moindre considération pour moi !
- Pardon ? M’étranglais-je, m’attendant à tout sauf à cela.
- Tu m’as très bien compris ! Poursuivit-il. Tu crois que je ne vous ai pas entendu cette nuit ? C’est… C’est simplement répugnant !
- Oh ! Et je peux savoir ce qui te dérange ? Répliquais-je avec sarcasme. Tu es jaloux ?
- Moi jaloux !? Cracha-t-il avec mépris. Plutôt mourir ! C’est malsain et… Immonde ! Pourquoi tu as fait ça ? Je t’ai dit que j’avais de l’argent pour payer des chambres d’hôtel ! Mais non, toi tu préfères te vendre.
Je pris sa remarque comme un coup de poing en pleine figure. Comment pouvait-il me dire une telle chose ? Comment pouvait-il me comparer à ma mère ! Comment pouvait-il concevoir la chose de cette manière ? Et pourquoi fallait-il toujours qu’il se débrouille à me rappeler du lieu où je venais… Emporté par la colère, je lui attrapais le bras et le forçais à se retourner alors qu’il tentait de fuir. D’un geste brutal et avec une force que je ne lui soupçonnais pas capable d’avoir, il se dégagea de ma poigne :
- Ne me touche pas ! S’exclama-t-il. Je ne sais pas où tes mains ont traînées !
Alors que j’allais répondre par une réplique acerbe, je vis Gwendal pâlir à vue d’œil. Reculant de quelques pas, il posa sur moi un regard emplie de tristesse que je ne parvins pas à interpréter. Puis il se retourna et esquissa un mouvement pour s’éloigner. Cependant, il fit à peine quelques pas avant de tomber lourdement sur le sol, inconscient.
Accourant vers lui, je le pris dans mes bras en m’agenouillant. Son front perlant de sueur était brûlant. Quel imbécile ! Pourquoi ne m’avait-il pas avoué qu’il se sentait si mal ! Laissant son sac et le sien, je le pris dans mes bras, le soulevant comme s’il ne pesait rien. Là, je le posais à l’ombre d’un arbre avant d’aller récupérer les sacs. Je pris une serviette dans mon sac et courus jusqu’à une rivière que je savais proche d’ici. En un rien de temps je fus de retour et retrouvais Gwendal se tenant la tête comme si celle-ci était affreusement douloureuse.
M’agenouillant près de lui, ce ne fut que lorsque je parlais qu’il sursauta, remarquant ma présence.
- Gwendal, est ce que ça ?
Il tenta de s’écarter aussitôt, posant sur moi un regard de dégout.
- Ne t’approche pas ! Souffla-t-il comme si cette simple phrase lui coûtait beaucoup.
- Arrête de faire l’enfant Gwen…
Puis sans lui laisser le choix, je posais la serviette humide sur son front qu’il accepta avec un soupir.
- Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu te sentais aussi mal.
- Parce que… Parce que tu n’en as rien à faire de moi.  Murmura-t-il.
Soupirant, je ne répliquais rien, comprenant que ce n’était pas le moment pour une telle discussion.
- Ne bouge pas d’ici, je reviens, dis-je en me redressant.
Gwendal devait voir un médecin. Son corps n’étant pas habitué à un telle vie, ce n’était pas étonnant qu’il tombe malade. Attrapant les deux sacs, je décidais d’aller les cacher. C’est à cet instant que je me souvins de la grange abandonnée pas loin. Ignorant la chaleur étouffante, je partis au pas de course pour y cacher les sacs. Nous resterions sûrement ici ce soir. Il suffisait que je l’aide à marcher jusqu’à chez le médecin, puis nous achèterions ses médicaments et reviendrons ici. Après avoir cacher les sacs, je partis rejoindre Gwendal qui était heureusement toujours conscient.
- Je me suis permis de prendre l’argent dans ton sac pour payer le médecin, expliquais-je. Tu te sens de te lever, je vais t’aider.
Alors que je tentais une main vers lui, il la repoussa mollement en déclarant :
- Ne me touche pas, tu es répugnant, tu me dégoûtes… Tenta-t-il.
Il eut beaucoup de chance d’être malade. Sans cela je lui aurais tourné le dos sans même réfléchir. Ignorant ses paroles blessantes, je l’attrapais et le hissais sans la moindre difficulté sur ses deux jambes. Sans lui laisser le choix, je passais son bras sur mon cou et le soutenant fermement, je commençais à marcher. Dans un état de semi-conscience, Gwendal mit péniblement un pied devant l’autre sans un mot. Le village n’était qu’à une petite heure à pied, mais nous n’avions même pas parcouru le quart au bout d’une demi-heure. Gwendal semblait être incapable de mettre un pied devant l’autre. Il trébuchait et manqua de`s’effondrer plus d’une fois.
Ne supportant plus, je le pris sur mon dos. Il passa mollement ses bras autour de mon cou, appuyant sa tête brûlante contre ma nuque. Son poids plume n’ayant rien d’encombrant, j’entamais la marche d’un pas rapide, désirant y arriver au plus vite. Ce fut avec un soulagement non fein que nous arrivâmes au village. Après avoir demandé mon chemin à un passant qui me regarda avec deux gros yeux ronds, je me rendis au lieu indiqué. Heureusement, il ne fallait pas prendre de rendez-vous et la chance tournant de notre côté, il n’y avait personne dans la salle d’attente. Le médecin nous pris rapidement et il me laissa attendre dans la salle d’à côté pendant qu’il l’auscultait.
Après une vingtaine de minutes qui me parurent durer une éternité, le médecin m’invita à les rejoindre. Gwendal était assis sur la chaise devant le bureau et semblait légèrement plus lucide. Je pris place en face du médecin qui déclara :
- Votre ami a une angine. Ce n’est rien de grave si cela est traité à temps. Je lui ai donné une ordonnance précise et lui ait déjà donné un anti-fièvre et quelques médicaments.
- Merci beaucoup, répondis-je.
- Il dit s’appeler Julien. Je veux bien garder cette version et ne rien ébruiter. Mais cela nécessite une petite contrepartie, en plus du prix de la consultation.
Comprenant très bien ou il voulait en venir, je fouillais dans l’enveloppe garnie qui Gwendal avait emporté. Tirant plusieurs billets, je lui tendis, achetant son silence. Gwen me jetta un bref regard, les yeux embrumés.
- Très bien, dit-il en rangeant l’argent dans son tiroir. Je ne vous ai jamais vu, vous pouvez sortir. Un repas chaud ce soir, les médicaments suivant les prescriptions et Julien sera sur pied dans deux jours comme si rien ne lui été arrivé !
Nous quittâmes son cabinet aussi rapidement que nous y étions entré. Gwendal s’appuyait sur moi. Ne voulant pas attirer davantage l’attention sur nous, je laissais Gwendal à l’entrée du village, près de la forêt et repartie chercher ses médicaments.
Lorsque je reviens, je le trouvais à moitié endormis, assis sur le sol à moitié appuyé contre un arbre. Le médecin lui ayant déjà donné des médicaments, il prendrait les prochains dans quelques heures. J’aurais préféré le laisser se reposer, mais je n’aimais pas l’idée de traîner ici. Même si nous avions graissé la patte du médecin, rien ne nous prouvait qu’il n’appellerait pas la police pour prévenir de la présence de Gwendal ici.
- Lève-toi, lui dis-je en lui tendant une main qu’il refusa de saisir.
- On ne retourne pas chez Max, s’empressa-t-il de me demander alors qu’il me voyait reprendre le même chemin, s’appuyant contre l’arbre n’ayant que très peu d’équilibre.
- Non, je n’abuserais pas de son hospitalité. Il y a une grange abandonnée pas loin. J’y ai laissé nos affaires. Nous passerons quelques jours là bas, tu pourras te rétablir.
Le voyant faire un pas peu assuré, j’ajoutais :
- Laisse-moi te porter, il vaut mieux que tu économises tes forces pour guérir.
Contre toute attente, Gwendal acquiesça, me cédant très facilement. En un rien de temps, il fut sur mon dos en murmurant :
- C’est horrible… Je n’ai jamais été malade…
- Il faut une première à tout, déclarais-je, peu surpris d’apprendre une telle nouvelle.
Il devait être surprotégé dans sa tour d’ivoire…
Nous fûmes rapidement arrivés à la grange. Récupérant nos sacs, je préparais un nid douillet à Gwen avec son duvet. Pliant un de mes pulls, je lui fit un oreiller avant de l’inviter à s’installer. Celui-ci ne rechigna pas. A peine fut-il allongé qu’il sombra dans un sommeil profond. Soupirant de soulagement face à la tournure des évènements, je décidais de ne pas rester inactif. Attrapant mon linge sale dans mon sac et le sien, je pris du savon et retournais près de la rivière. Là, j’entrepris de laver nos vêtements avec énergie. Après les avoirs étendus au soleil près de la grange, j’allais chercher du bois que je rassemblais pour le soir. N’ayant rien dans mon sac qui puisse constituer de la nourriture pour un malade, je me permis de prendre un nouveau billet dans l’enveloppe de Gwen et repris la direction du village pour acheter quelques légumes.
Gwendal ne revint à lui qu’en début de soirée alors que j’étais en train de cuisiner une soupe avec les moyens du bord. Je l’entendis s’approcher de moi avant de s’asseoir comme si ce simple parcours l’avait épuisé.
- Qu’est ce que tu prépares ? Me demanda-t-il.
- Une soupe, pour que tu prennes tes médicaments sans avoir l’estomac vide.
- Je n’aime pas la soupe, dit-il boudeur.
- Et bien, tu te forceras ! Déclarais-je. Je n’ai pas fait deux heures de marche et une bonne heure de cuisine pour que monsieur le malade fasse la fine bouche.
Gwendal ne répondit rien, ayant perdu de son répondant.
- Tu es presque agréable quand tu es malade, dis-je en riant.
- Ah ah ! Dit-il vexé.
Attrapant une gamelle propre, je la remplie de soupe fumante avant de le lui tendre.
- Voilà, c’est prêt.
Gwendal l’attrapa en faisant la moue. Lui tentant une cuillère, j’allais ensuite chercher ses médicaments, lui donnant la dose prescrite sur l’ordonnance. Gwendal mangea silencieusement, ne faisant aucun commentaire, tandis que je prenais ma part. Aucun mot ne fut échangé et ce ne fut que lorsqu’il posa son assiette ayant consommé l’entièreté de sa soupe chaude et prit ses cachet qu’il se leva difficilement. Une fois debout il déclara :
- Je… Je retourne me coucher. Bonne nuit.
- Bonne nuit Gwen. Dit-je sur le même ton. Si tu as besoin de quelque chose n’hésite pas.
- Merci… Murmura-t-il faiblement.
Je pris mon temps pour tout ranger, rassemblait le linge et le pliait. Une fois que tout fut fini, je profitais de la dernière heure de soleil pour poursuivre la lecture de mon livre que j’avais délaissé depuis quelques temps. Lorsque la lumière vint à manquer, j’admirais le coucher de soleil. Puis, n’ayant rien d’autre à faire, j’allais chercher mon duvet et vins me mettre près de Gwendal. Il ne faisait pas particulièrement froid, mais je voulais être là au cas où il ait besoin de moi. Ce fut en espérant qu’il aille mieux le lendemain que je partis le rejoindre dans les bras de Morphée.
Le lendemain fut semblable à la veille, si ce n’est que Gwendal commençait à aller déjà beaucoup mieux. Nous étions en fin d’après-midi lorsqu’il vint me rejoindre s’asseyant à quelques mètres de moi tandis que je continuais ma lecture. Fermant mon livre, je m’approchais de lui.
- Comment te sens-tu ? Lui demandais-je.
Face à son absence de réponse, je tentais de poser ma main sur son front pour m’assurer moi-même que la fièvre était tombée. Mais Gwendal repoussa vivement ma main, et déclara :
- Combien de fois est-ce que je t’ai dis de ne pas me toucher.
- J’ai la réponse à ma question, déclarais-je agaçé. Oh et puis merde à la fin. Je me demande pourquoi je m’entête avec toi. Tu as une attitude d’enfant gâté. Tu es vraiment insuportable quand tu es comme ça.
- Si je suis si insupportable, tu n’as qu’à partir, je me débrouillerais tout seul.
- J’aimerais bien voir ça ! Dis-je en lui éclatant de rire au nez.
Je ne l’imaginais pas une seconde vivre la vie que je menais seul.
- Je me débrouillerais mieux que toi en tout cas ! Claqua-t-il faisant stopper net mon rire.
- Qu’est ce que tu sous-entends par là ? Lui demandais-je.
- Jamais je ne m’abaisserais à coucher avec quelqu’un pour avoir un toit ! Cria-t-il, rageur.
- Ca n’a strictement rien à voir ! Je n’ai pas couché avec lui pour avoir un toit mais parce que je voulais me faire plaisir, chose que tu sembles toujours t’interdir ! Répliquais-je, sentant monter une colère sourde en moi.
- Le fait reste le fait ! Clama-t-il hors de lui. Tu as couché avec celui qui t’héberge, ce n’est pas mieux que ce que faisait ta mère pour de l’argent.
Une colère sans nom me prit. Comment le savait-il ? Comment osait-il me comparer à elle. Alors que je me levais, je vis dans le regard de Gwendal qu’il regrettait ce qu’il venait de dire. Mais le mal était fait. Ne voulant pas retourner ma haine contre lui, je tapais de toute mes forces contre les vieilles planches en bois de la grange qui cédèrent sous le choc. Ignorant la douleur vive sur mon poing encore serré, je retournais mon attention sur Gwendal qui eut un mouvement de recul, me craignant véritablement.
- Tu as enquêté à ce point sur moi ! Je ne sais pas comment tu as su ! Et toutes ces questions que tu me posais innocemment ! Je ne te croyais pas comme ça Gwendal.
Sans un mot de plus, furieux, je lui tournais le dos et partit en marchant d’un pas vif. Il fallait que j’évacue ma colère et je ne pourais le faire que loin de celui qui l’avait déclenché. Je marchais d’un pas vif, haineux comme rarement cela m’arrivait d’être, les poings serrés. Le simple fait qu’il sache ce qu’était ma mère me révulsait, et me comparer à celle que j’avais toujours haie secrètement était la pire des choses. Comment pouvait-il me juger ainsi ? Pourquoi me sortait-il les mêmes termes que ma mère employait à mon égard ? Combien de fois ma mère m’avait-elle traité avec dégoût…
Je ne sus combien de temps je marchais ainsi, faisant un cercle immense autour de la grange, tentant de calmer en moi les tremblements de hargne. Avais-je bien fait de l’accepter avec moi ? Accepter Gwendal à mes côtés c’était lui ouvrir la porte à une intimité que je n’avais jamais offerte à personne. Personne ne connaissait le véritable Hayden… Hayden… Ce n’était même pas mon véritable nom… Ma mère m’avait appelé Mathis… Mais j’avais renié ce nom à l’instant même où elle avait quitté ma vie. Cependant c’était une chose de le renier, mais il était impossible de le faire totalement disparaître. Mathis était toujours là, près à refaire surface si je ne me protégeais pas assez. Soupirant, après plusieurs heures de marches, une légère averse commença à tomber. Ignorant la pluie, je me décidais tout de même à rentrer. L’averse fut finit au moment même où j’arrivais.
Gwendal était toujours là, à l’entrée de la grange. Lorsqu’il me vit arriver, il me lança un regard que je ne sus interpréter. N’ayant aucune envie de partager le même espace que lui pour le moment, je m’installais à l’extérieur, m’appuyant contre le mur de la grange, là où l’herbe avait été protégée de la pluie.

Gwendal hésita, puis finit par s’approcher de moi. Je ne lui adressais pas même un regard.
- J’ai cru que tu ne reviendrais pas, dit-il d’une voix basse.
Je n’eus pas la moindre réaction, encore trop en colère contre lui.
- Ta main… Souffla-t-il. Il faudrait que tu la soignes…
Je posais les yeux sur la main avec laquelle j’avais violemment frappé les planches en bois de la grange et vis qu’elle était ensanglantée. Je n’en avais même pas eu conscience. L’approchant devant moi, je fis bouger les doigts. C’était douloureux, pensais-je en grimaçant, mais rien n’était cassé. C’était simplement de nombreuses coupures. Sans lui porter le moindre intérêt supplémentaire, je la posais sur mon ventre. Je m’en occuperais plus tard. La douleur me permettait de penser à autre chose.
Gwendal disparut dans la grange et je me laissais aller à fermer les yeux appréciant les rayons de soleil qui venait sécher mes vêtements trempés. Il faisait suffisamment chaud pour ne pas avoir à me changer tout de suite. Je sursautais lorsque j’entendis Gwendal me parler. Je n’avais même pas eu conscience qu’il était à côté de moi.
- Laisse-moi voir ta main s’il te plait.
Je tournais la tête vers lui, posant véritablement mon regard pour la première fois sur lui depuis notre altercation. Il tenait la trousse à pharmacie qu’il avait sûrement pris dans mon sac.
- Je croyais que mes mains te dégoûtaient, dis-je, acerbe.
- Je peux le supporter le temps de soigner ta main, répliqua-t-il.
Le silence s’imposa un instant avant qu’il ne murmure :
- Je m’excuse pour ce que je t’ai dit. Je n’aurais pas dû. Je suis désolé.
Je ne répondis rien. Qu’aurais-je pu répondre. Mais Gwendal insista :
- Hayden, laisse-moi voir ta main s’il te plait.
Soupirant, je finis par la lui tendre, posant mon regard sur lui. Il grimaça en voyant le sang qui commençait à sécher. Ouvrant la trousse à pharmacie, il entreprit soigneusement de panser mes plaies plus ou moins superficielles avec les moyens du bord.
- Comment as-tu su pour ma mère ? Soufflais-je après un moment.
Gwendal me leva les yeux vers moi, arrêtant un instant ses soins.
- Mon père… Il a enquêté sur toi. Il… Il me l’a dit quand je suis revenu chez moi de force… Je n’aurais pas du te dire ça ! Je ne le pensais pas !
- C’est bon, soupirais-je. Je m’excuse pour ce que je t’ai dis dans la grotte l’autre soir. On est quitte comme ça. Dis-je en tentant de lui sourire.
Gwendal tenta de me rendre mon sourire, mais je sentais que le cœur n’y était pas. Le silence s’imposa à nouveau, laissant le temps à Gwendal de terminer ses soins. Ma main fut entièrement bandée, laissant chacun de mes doigts libres. Je le remerciais alors qu’il rangeait la trousse à pharmacie. Ce ne fut que lorsqu’il revint avec une pomme en s’asseillant à côté de moi, que j’entamais une véritable discussion avec lui, nous devions parler :
- Pourquoi est-ce que tu as été aussi désagréable avec Max ? Lui demandais-je.
- Je ne sais pas, déclara-il. Je ne l’aime pas, il ne m’inspire pas confiance.
- Pourquoi ça ? Lui demandais-je étonné. Il n’y a pas plus gentil et honnête que Max.
- Non mais tu n’as pas vu le regard qu’il posait sur toi ! C’était… Abject ! Pervers ! Répugnant !
Je ne pus m’empêcher de dire avant de répondre :
- C’est bon, je crois que j’ai compris Gwen. C’était simplement du désir, rien de plus…
Je pris une pause avant d’ajouter, face à sa moue dubitative et légèrement écoeurée :
- Max est parti de rien. Son bar était un bâtiment délabré qu’il a acheté pour une bouchée de pain. En réalité, il y a mis toutes ses économies. Il l’a retapé seul, et il venait tout juste d’ouvrir lorsque je suis arrivé. Il adore raconter son histoire maintenant. Il m’a embauché et j’ai travaillé deux mois pour lui le temps qu’il trouve un remplaçant. Pour ce qui est de ce qui semble t’écoeurer au plus haut point, nous éprouvions une attirance mutuelle et nous avons simplement pris du bon temps ensemble…
- Et bien, tu aurais pu le faire plus discrètement. J’ai passé une nuit atroce ! S’exclama-t-il.
- Je tenterais d’être plus discret la prochaine fois, dis-je amusé.
- La prochaine fois ? Tu t’envoies vraiment en l’air avec n’importe qui ? Me demandant-il avec des yeux écarquillés.
- Ca ne te regarde pas ! Déclarais-je d’un ton un peu sec. Quoi ? Tu es jaloux, ajoutais-je en riant.
- Je ne suis certainement pas jaloux de ça ! S’exclama-il offusqué.
Puis il repris après un temps :
- Je pensais que… Je pensais que tu le faisais avec ceux que tu aimais… Comme avec Julien.
Sentant la discussion dévier vers un sujet sérieux, je lui répondis avec franchise :
- Tu sais Gwen, je n’ai jamais aimé quelqu’un au point de tout abandonner pour lui. Je ne sais même pas vraiment ce qu’on ressent. Je te l’ai pourtant dis. Je vis libre et je profite de tous les plaisirs qu’offre cette liberté.
- Mais… Dit-il alors que je sentais que cette conversation le gênait au vue de la couleur rosie de ses joues. C’est pourtant un acte extrêmement intime. Comment peux-tu le faire avec quelqu’un que tu connais à peine. Ce doit être affreux !
- Si c’était affreux, crois-moi, j’aurais cessé depuis longtemps !
Je comprenais ce qu’il sous entendait. Cela n’était d’ailleurs pas difficile à comprendre. Il devait être toujours puceau, attendant de trouver celui ou celle qui serait le bon, la personne qu’il aimerait et serait aimé en retour… Je ne croyais pas à cet idylle et je lui fis savoir.
- Tu sais Gwendal, ce que tu sembles idéaliser, je ne l’ai jamais connu. Cela est peut-être du à ma mère, mais… J’ai vraiment du mal à croire à l’existence d’une telle chose.
- Tu ne l’as peut-être jamais cherché, commenta Gwendal avec un petit sourire.
- Peut-être, murmurais-je.
Le silence s’installa à nouveau, chacun méditant sur les paroles de l’autre. J’attaquais alors la pomme qu’il m’avait apporté et ce fut à cet instant que Gwen me demanda :
- Tu es resté en contact avec ta mère ? Tu sais ce qu’elle devient.
Je faillis m’étouffer avec le morceau de pomme que je venais d’avaler. Je revis instantanément son corps sans vie, baignant dans son vomi et sa sueur. Mon cœur se serra durement. Ancrant mon regard dans le sien, je restais un instant sans voix, comme totalement perdu. Je finis par me ressaisir. Il fallait définitivement mettre un terme à ce genre de question.
- Je n’ai pas la moindre envie de parler de ça Gwendal ! S’il te plait, arrête de me questionner sur mon passé.
Alors que je voyais Gwendal près à s’excuser au vue de ma réaction, je lui proposais alors aussitôt, sans trop réfléchir à ce que cela allait impliquer :
- Je te propose la chose suivante : tu arrêtes de m’interroger et en échange, je veux bien tenter de t’apprendre le français. Mais je ne te promets rien. Cela fait très longtemps que je ne l’ai pas parlé.
- Je… Tu n’es pas obligé. Souffla-il, embarassé.
Je lui tendis ma main, comme pour conclure le marché.
- Je ne te le proposerais pas deux fois Gwen. Alors ?
Hésitant, Gwendal finit par saisir ma main valide.
- C’est d’accord ! Conclu-t-il.
Ce fut la faible pression de sa main qui m’alerta. Posant une main sur son front, je remarquais que celui-ci était brûlant.
- Gwendal, tu devrais te reposer et dormir un peu. Nous sommes là pour ça. Tu es brûlant de fièvre.
Me redressant, je lui tendis la main pour l’aider à se lever et je le retins alors qu’il semblait prit d’un vertige. Avec précaution et douceur je l’accompagnais jusqu’à son lit. Il s’y étendit sans le moindre refus. Je reviens lui apporter une serviette humide et de nouveaux cachets.
- Dors, soufflais-je après avoir passé ma main dans ses cheveux dans un geste tendre qui m’étonna moi-même.
Cette nuit là, Gwen fit une rechute. Il eut une impressionnante poussée de fièvre et ce fut son claquement de dents qui me réveilla, suivit de mon prénom murmuré.
- Gwendal ? Ca va ? Lui demandais-je.
- Non, j’ai soif et je suis gelé.
- Tu es pourtant brûlant dis-je en posant ma main sur son front. Bouge pas je t’apporte à boire.
En un rien de temps, je fus de nouveau à ces côtés, remplissant un gobelet d’eau fraîche provenant d’une de nos gourdes. Je lui donnais à nouveau un médicament contre la fièvre.
- J’ai mal à la gorge, gémit-il en tentant comme il pouvait de boire.
- La… Souffla-je en lui caressant la joue, ça va passer… Sa main se serra sur ma chemise et il m’attira brusquement contre lui.
Surpris par une telle force, je manquais de tomber sur lui. Comprenant ce qu’il voulait, je m’allongeais près de lui, et en un rien de temps, il fut tout contre moi, tremblant de froid et brûlant de fièvre. Passant lentement ma main dans ses cheveux collés par la sueur, je lui murmurais de se calmer.
- Tu restes là, murmura-t-il, comme sous le délire de la fièvre. Ne m’abandonne pas. Ne pars pas. Reste ici… S’il te plait.
- Je ne bouge pas Gwendal, je suis là…
Fébrile, ses poings restaient serrés sur ma chemise comme s’il avait réellement peur que je ne m’échappe. Attendris, je tins ma promesse. Même lorsqu’il s’endormit à nouveau, je restais près de lui jusqu’au petit matin…

Nous restâmes une journée et une nuit de plus avant de reprendre la route, attendant que Gwendal soit parfaitement rétabli. Nos rapports s’était grandement améliorés lorsque nous reprîmes la route. Gwendal s’en tint à notre marché et ne me posa plus aucune question sur mon passé. Il m’interrogea en revanche sur mon mode de vie, ayant toujours beaucoup de mal avec mon côté libertin. Pour ma part, je commençais à lui apprendre le français, mais j’éprouvais toujours un certain dégoût pour cette langue à laquelle je tentais de passer outre. Gwendal était cependant un très bon élève et apprenait vite. Nous progressâmes rapidement, sans se presser bien que nous devions nous éloigner le plus possible de son père.
Après plusieurs jours de marches, nous finîmes par arriver dans un lieu que je connaissais bien. J’y étais arrivé assez rapidement après ma fuite de la France. Linda, une femme âgée vivait dans une maison trop grande pour elle et m’avait accueilli à bras ouverts. Je l’avais beaucoup aidé à remettre en état son jardin et sa maison qui était arrivée à un état de délabrement dangereux. Elle n’avait pas les moyens pour embaucher quelqu’un. Si elle s’était au départ méfiée de moi, elle avait fini par baisser ses gardes. Elle était veuve et n’avait jamais eu d’enfant. Sa solitude aurait pu la rendre aigrie, mais c’était tout le contraire. Lorsqu’elle a eu confiance en moi, elle s’est avérée être une femme drôle, sensible et presque maternelle.

- Où est ce qu’on va ? Me demanda Gwendal, tu sembles bien pressé tout d’un coup.
- Ce soir, nous dormons dans un lit bien confortable, déclarais-je avec un sourire.
Mais Gwendal ne répondit pas à mon sourire, bien au contraire.
- Ne t’inquiète pas, dis-je en éclatant de rire. C’est une femme et âgée qui plus est !
Gwendal s’empourpra, gêné d’être découvert aussi facilement.
 - Comment s’appelle-t-elle ? Comment tu l’as connu ? Finit-il par demander.
- Elle s’appelle Linda. C’est une femme très gentille, tu verras, tu l’aimeras beaucoup et je pense qu’elle t’apprécieras. Elle a fait beaucoup pour moi. Chaque année, à cet époque, je viens la voir et on célèbre son anniversaire. Son mari est mort et elle n’a pas eu d’enfants. Elle a rarement du monde qui vient la voir… Alors ça te convient ?
- Je… Oui ! Déclara-t-il en me rendant enfin mon sourire. On y est bientôt ?
- Encore une petite demi-heure, ajoutais-je avant de me remettre en route, Gwendal m’emboîtant le pas.
- Tu as rencontré beaucoup de monde, continua-t-il. Il est rare que l’on passe plus de quelques jours sans que tu ne connaisses quelqu’un.
- C’est vrai, répondis-je. Cela dépend des régions. Je suis resté pas mal de temps dans celle-ci. L’hiver est rude, mais l’été est une saison très agréable ici.

- Tu as de la chance… Je n’ai jamais rencontré personne hormis les amis de mon père.
- Mais maintenant, tu t’offres aussi cette chance ! Qui sait, peut être que tu rencontreras une jolie fille et que me laissera continuer seul. Ajoutais-je en riant.
- Je… je… Je veux pas rencontrer de fille, bafouilla-t-il, embarassé.
- Ou un beau mec comme moi ! Déclarais-je, me moquant de lui.
Gwendal vira aussitôt au cramoisi. Jamais je n’aurais pensé que l’on puisse devenir aussi rouge en si peu de temps.
- Je ne veux pas renconter quelqu’un comme ça ! Déclara-t-il, vexé que je me moque ainsi de lui.
- C’est ce que tu crois, dis-je amusé.
Gwendal ne répondit rien et je décidais d’arrêter d’insister. Le silence guida nos pas, jusqu’à ce que mon compagnon change de sujet.
 - Vivement qu’on arrive, je ne sens plus mes pieds.
- Il faudra qu’on t’achète de nouvelles chaussures, dis-je, en posant mes yeux sur les siennes qui étaient loin d’être appropriées.
Il fallut même moins d’une demi-heure pour arriver devant sa maison. Elle était à l’écart de la ville. Nous passâmes le petit portail en fer forgé que j’avais repeint l’an dernier. Mon cœur battait, trop heureux d’enfin la revoir. Je frappais plusieurs coups à la porte, sachant qu’elle mettait toujours du temps avant de m’entendre et de marcher jusqu’à celle-ci. Elle commençait à sentir les années passer. A ma grande surprise, la porte s’ouvrit presque ausstôt, manque de me faire sursauter. Une jeune femme, les lèvres pincées, nous demanda aussitôt :
- Je peux savoir ce que vous voulez ? Demanda-t-elle très désagréablement.
- Heu… Bonjour, est ce que Linda est ici.
- Cette vielle bique ? Elle nous a quitté depuis 6 mois.
- Pardon ? Demandais-je, le cœur battant, ayant peur de mal interprété. Où est-elle ?
La femme me regarda comme si j’était le plus grand de tout les imbéciles.
- Au cimetière, comme toutes les personnes qui décèdent ! Autre chose ? Vous êtes sur une propriété privée ici, alors si vous ne voulez rien de plus, je vous prie de partir.
Sans que je n’ai le temps de répondre quoi que ce soit, la femme claqua la porte. Je restais là, face à cette porte qui resterait maintenant à jamais fermée. Nous ne nous étions même pas dit au revoir, je n’avais pas été là pour elle. Je restais immobile, sans vraiment savoir ce que je ressentais. J’étais perdu, je n’arrivais pas à digérer l’information. C’est alors que je sentis une main attraper les miennes alors que Gwendal me disait :
- Viens Hayden, suis-moi.
Hagard, je le laissais mener le chemin. Une fois à l’extérieur de sa propriété, il me fit asseoir sur le vieux banc en bois.
- Je suis désolé que tu l’ai appris de cette manière, souffla-t-il, en s’asseyant à côté de moi, pour la première fois étonnamment près.
Sans un mot, je laissais mon sac tomber à mes pieds. Je n’avais pas envie de parler. À vrai dire, j’avais envie d’être seul, mais je ne repoussais pas sa main qui passait timidement dans mon dos. C’était si soudain. Et pourtant, elle avait tenté de me le faire comprendre à son dernier anniversaire. Je n’avais pas été là et elle avait sûrement du s’éteindre seul. J’aurais du être présent et lui tenir la main. J’aurais dû accepter de rester plus longtemps alors qu’elle me l’avait si expressément demandé. Je n’aurais pas dû ignorer ses larmes alors que je m’éloignais de chez elle…
Après un long silence durant lequel je restais silencieux, enfermé dans mon mutisme, Gwendal finit par proposer :
- Et si nous prenions une chambre d’hôtel ce soir. Je pense que nous en avons besoin… Surtout après ce que tu…
- Je n’en ai pas besoin, répondis-je en le coupant.
- Moi si ! Une vraie douche, un vrai lit, cela nous fera le plus grand bien.
- Si c’est pour toi alors d’accord… Dis-je, las.
- Bon et bien, dit-il en se redressant, allons-y, il commence à se faire tard.
Je le suivis sans un mot. Je ne savais pas quoi dire. Pour la première fois, ce fut Gwendal qui passa devant. Nous fîmes le chemin inverse pour revenir dans une petite ville. Arrivé devant un hôtel modeste, le seul dans cet endroit, dont le rez-de-chaussée était un bar, Gwendal me donna l’argent et m’attendit dans un coin. Il valait mieux qu’on voit son visage le moins possible. Je payais pour une chambre à partager, ayant même le luxe d’avoir deux lits séparés. Cela plairait sûrement à Gwendal. Nous allâmes y déposer nos affaires et nous nous offrîmes à chacun une douche amplement méritée. Gwendal me proposa d’aller manger un petit quelque chose au bar d’en dessous qui servait des plats simples. L’ambiance y était animée, et il nous choisit une table quelque peu excentrée. Gwendal commanda son plat et lorsque le serveur me demanda ce que je voulais pour ma part, je lui dis :
- Un verre de votre alcool le plus fort, et soyez généreux.
S’il parut surpris par ma demande, il n’en fit rien et ajouta :
- Ce sera tout ?
- Oui, merci. Répondis-je.
- Bien, déclara le serveur en récupérant les cartes.
Ce ne fut que lorsque celui-ci fut parti que Gwendal me dit :
- Tu es sûr que c’est une bonne idée ?
- T’occupe pas Gwen. Dis-je simplement, l’air renfrogné.
- C’est juste que ce n’est vraiment pas la meilleure méthode pour faire son deuil…
- Parce qu’il existe une bonne méthode, répondis-je, acerbe.
- Oh et puis, fait bien comme tu veux. Saoule-toi ! Mais ne me demande pas de te tenir la main quand tu ne te sentiras pas bien.
- Je ne t’ai jamais demandé de t’occuper de moi. Personne ne l’a jamais fait jusque-là ! Pas même ma mère.
Brusquement, ne voulant plus sentir son regard mi peiné, mi juge sur moi, j’ajoutais :
- Désolé Gwendal, je crois que j’ai besoin d’être seul.
Sans un mot de plus, sans lui laisser le temps d’avoir une quelconque réaction, je lui tournais le dos et allais m’installer au comptoir. Je bus mon verre cul sec, et un deuxième ne tarda pas à venir se présenter devant moi. Levant les yeux intrigué vers le barman, celui-ci répondit :
- C’est offert par le client assis à l’autre bout. Il me demande s’il peut vous rejoindre.
Je tournais la tête vers lui, il me fit un petit sourire et un petit signe de la main. Brun ténébreux, un peu plus grand que moi, mais plus fin, il était plutôt pas mal. Pourquoi pas… Cela me changerait les idées et me permettrait d’évacuer ce je ne sais quoi qui m’oppressait.
- Alors ? Insista le serveur.
- Je me ferais un plaisir de partager ce verre avec lui.
Celui-ci ne se fit pas prier. Dès lors que le serveur lui souffla ma réponse, il ne tarda pas à arriver près de moi. Je lui souris, il me répondit… Ainsi commença le jeu de la séduction. Plus rien existait à part lui et moi. J’oubliais tout, mon voyage, la mort de Linda et même Gwendal que je ne vis pas retourner dans la chambre sans m’adresser un mot.
Lorsque j’ouvris les yeux, la nuit était déjà avancée. J’avais simplement dû m’assoupir une petite heure pour me remettre de nos ébats. L’homme allongé à côté de moi dont je ne connaissais pas le nom ronflait. C’était sûrement cela qui m’avait réveillé. N’ayant aucune envie de le voir le lendemain matin, je me levais en ignorant mon mal de crâne. Je rassemblais mes affaires et filais sous la douche pour effacer toutes traces de nos activités de chambre.
Une fois propre, ce fut sans le moindre bruit que je sortis de sa chambre et tentais de me souvenir de la localisation de celle que je partageais avec Gwendal.  Celui-ci devait sûrement dormir. A chaque pas que j’effectuais dans le couloir, je sentais à nouveau un peu plus cette sensations oppressante me revenir à la gorge. Tentant de l’ignorer, n’aspirant qu’à une bonne nuit de sommeil dans un lit confortable, je poussais lentement la porte de notre chambre.
Le plus silencieusement possible, je marchais à pas feutré, mais brusquement, je m’accrochais les pieds sur le sac, mais je m’approchais les pieds sur le sac qui traînait et m’étendais bruyamment de tout mon long. Je venais de me tordre la cheville.
- Merde ! Râlais-je malgré moi. Fait chié.
Gwendal se redressa brusquement et appela, la voix tremblante :
- Hayden… C’est… C’est toi ?
- Oui, répondis-je. 
En me redressant, je boitais lamentablement jusqu’à mon lit. Gwendal alluma la lumière.
- Qu’est ce qui se passe ?
- Rien, je me suis juste tordu la cheville, désolé de t’avoir réveillé.
- Je ne dormais pas, répondit-il. Je n’y arrive pas.
Je me massais la cheville, soulagé de voir que ce n’était vraiment rien de grave. Une petite douleur pendant plusieurs jours et ça serait terminé. Gwendal se leva et vint s’asseoir à côté de moi. Me sentant un peu coupable de la manière dont je l’avais abandonné plus tôt dans la soirée, je soupirais avant de lui dire :
- Je suis désolé de t’avoir lâché comme ça tout à l’heure. C’était pas cool… Mais j’avais besoin de… Enfin…
- Tu sais, je comprends ce que tu ressens répondit-il. J’ai perdu ma grand-mère.
- Linda n’était pas ma grand-mère, répliquais-je alors que me gorge se serrait malgré moi, sans que je puisse le retenir.
- Elle ne l’était peut-être pas, mais il me semble que dans ton cœur, c’était tout comme. Autrement tu ne serais pas aussi affecté.
Je ne répondis rien, cessant de masser ma cheville. Une petite voix dans ma tête sembla me chuchoter sournoisement que plus jamais je n’aurais la chance de revoir Linda. Elle était partie, de manière définitive… Ma gorge ne noua, mon rythme cardiaque s’embala, j’avais envie de pleurer mais étonnamment, ce fut la main de Gwendal se posant sur ma cuisse qui m’en empêcha. Je n’étais pas du genre à pleurer ainsi devant les autres. Mathis l’aurait fait, pas Hayden.
- Elle était âgée, finis-je par souffler. Cela devait arriver à un moment ou à un autre.
Le silence qui suivit cette réplique ne dura pas longtemps, car je finis par lui demander :
- C’était ta grand mère paternelle ? Me risquais-je, n’en connaissant finalement pas beaucoup sur lui.
-  Maternelle, répondit-il. Elle est partie il y a 6 ans…
- Tu étais proche d’elle ?
- Plus qu’avec mes parents. Elle était différente. D’ailleurs ma famille ne l’appréciait pas beaucoup pour son franc parlé.
- J’aurais bien aimé la rencontrer. Je suis sûr que tu as hérité de certains traits de son caractère, dis-je en me moquant légèrement de lui.
Je soupirais en m’étirant.
- Il faudra qu’on trouve un travail, ajoutais-je, en changeant de sujet. On ne peut continuer de vivre sur nos économies. Qu’est ce que tu sais faire ?
- Je… C’est-à-dire que…
- Oh j’ai une idée, tu compteras les billets que je gagnerais, dis-je en me moquant de lui, ça tu es capable de le faire.
- Il est hors de question que je ne participe pas ! Déclara-t-il, n’appréciant pas ma moquerie.
- Nous vivons sur ton argent Gwen, tu participes largement.
- Ce n’est pas mon argent, c’est le nôtre ! Rétorqua-t-il. Il est pour nous deux.
- Alors laisse-moi travailler pour nous deux, répliquais-je avec un sourire. Tu n’as pas la condition physique pour les genres de travaux que l’on trouve dans notre condition de vagabonds…
- Mais je veux aider… Même si je ne sais pas faire grand chose…
- Nous en reparlerons demain, dis-je en baillant. Pour l’instant, que dis-tu d’une bonne nuit de sommeil ? Ce serait bête de ne pas profiter de cet hôtel.
- Ca va aller ? Me demanda-t-il soudain inquiet.
- De quoi ? Ma cheville ? Demandais-je étonné.
- Non… Linda…
Pourquoi mettait-il toujours le doigt où il ne fallait pas.
- Nous irons voir sa tombe demain avant de reprendre la route, dis-je, la voix plus grave et basse.

Gwen acquiesça, avant de retourner dans son lit. Au vu de la chaleur qui régnait dans la pièce, je ne gardais que mon boxer et m’installais sous les draps. Ce n’était certes pas un hôtel de luxe, mais le lit me semblait aussi confortable qu’un cocon. Ce fut épuisé, l’image de Linda gravée dans ma mémoire, que je finis par m’endormir…
Le lendemain, il avait été facile de trouver le cimetière après avoir demandé notre route. Je m’étais levé le cœur serré, ayant encore du mal à réalisé que Linda nous avez quittée. J’avais rêvé d’elle cette nuit et de la douceur maternelle dont elle avait fait preuve avec moi lorsque j’avais un peu plus de 16 ans. Je lui devais tellement… Arrivé devant sa tombe, Gwendal se mit un peu en retrait, sûrement par respect et pour me laisser seul faire mon deuil. La tombe était modeste, mais cela me réchauffa le cœur de voir qu’une personne avait laissé un bouquet de fleur. Ouvrant mon sac, je sortis le cadeau que j’avais prévu pour elle. C’était son anniversaire après tout. J’avais mis du temps à le réaliser. C’était une petite sculpture en bois de sa maison dont elle était si fière. Je l’avais réalisée de mémoire. Lentement, je le déposais sur sa tombe. Comment j’aurais aimé voir son visage lorsqu’elle aurait ouvert ce cadeau… J’aurais aimé qu’elle me raconte encore une de ces histoires. Elle avait été comme moi. Elle avait voyagé et parcourut tellement de pays. Puis elle avait rencontré son mari mais n’avait jamais cessé de voyager dans ses rêves. Elle était un modèle pour moi et plus jamais je n’écouterais ses conseils.  Aimait-elle vraiment cette maison dans laquelle je l’avais rencontrée. Chaque année, le soir de son anniversaire, je lui racontais ce que j’avais découvert durant le temps qui nous séparait. Son rire emplissait la pièce. Mais tout cela était terminé et son nom gravé dans la pierre me le rappelait amèrement.
Sans que je puisse les retenir, quelques larmes silencieuses coulèrent sur mes joues. Je ne cherchais pas à les essuyer. Elle me manquait déjà. Peut-être que Gwendal avait raison après tout. C’était en quelque sorte la grand-mère que je n’avais jamais eu. Je ne sus combien de temps je restais devant sa tombe.
Je finis par me redresser, essuyant les dernières traces de larmes qui maculait mes joues.  Me tournant vers Gwendal, j’esquissais un sourire qui sonnait faux avant de déclarer la voix basse :
- Reprenons la route.
Gwendal acquiesça silencieusement. Alors que j’emboîtais le pas, il me suivit. Pour la première fois de ma vie, je ne pris aucun plaisir à reprendre mon chemin. C’était comme si quelque chose m’accrochait à cet endroit. Quel cruel paradoxe… Il m’avait été plus facile de la quitter vivante et c’était sa mort qui me retenait. Sans un regard en arrière, nous quittâmes le cimetière, en silence, murmurant intérieurement « adieu Linda».

 

A suivre…