Archive du 7 mai 2009

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mai

Silent scream - Chapitre 5

   Ecrit par : admin   in Silent scream

Chapitre 5 écrit par Shinigami

Prague, 21 avril 1771

Voilà près de douze ans que j’errais de part le monde, allant de pays en pays dans l’espoir d’oublier ma solitude. Malgré les années passées, je n’arrivais pas à oublier Alakhiel, ni ma soif de vengeance. Qu’importe le nombre de personnes que je tuais chaque nuit, ma haine était toujours là, toujours aussi farouche, toujours plus présente. Je la sentais croître en moi, me dictant comme jamais le moindre de mes actes, nourrissant cet impétueux désir de sang qui me nouait douloureusement les tripes.

J’étais devenu un animal, un monstre sanglant qui prenait plaisir à torturer ses victimes avant de les tuer, leur envoyant mentalement les images de leur mort toute proche, avant de les vider de leur sang, les saignant comme on saignerait un porc. C’est cette cruauté qui me faisait me sentir vivant, qui me rappelait à chaque instant ce pourquoi j’étais venu au monde.

Si auparavant mon terrain de chasse s’était limité aux quartiers bourgeois, à présent, je tuais tout ce qui me passait à porté de crocs, sans le moindre discernement. De la putain de bas étage à l’ecclésiastique en passant par les marins qui, au petit matin, finissaient ivres morts sur les quais et les jeunes bourgeois qui venaient dépenser leurs galions dans les bordels les plus malfamés.

Si j’avais, auparavant, gardé une part d’humanité, à présent, je n’en gardais plus la moindre trace. Je tuais avec acharnement, n’accordant pas la moindre once de clémence à mes victimes. Je voulais du sang, toujours plus de sang… Cette boucherie que j’engendrais dans chaque ville où je me rendais, me précédait partout où j’allais, effrayant les villageois qui devenaient de plus en plus méfiants et suspicieux. Cependant, c’était sans compter sur ce pouvoir qui était le mien qui me permettait de contrôler l’esprit des humains et ceux de certains vampires de basse classe comme bon me semblait. Et chaque nouvelle victime semait un peu plus la terreur et la discorde dans le coeur des hommes.

Chaque goutte de sang que je faisais couler me faisait jubiler d’excitation, attisant sans cesse ma soif de carnage. J’espérais trouver la paix intérieure qui me faisait tant défaut, souhaitant faire disparaître de mon esprit l’image d’Alakhiel qui me hantait inlassablement, nuit et jour, partout où j’allais. Chaque nuit, je sombrais un peu plus dans la folie, entraîné presque malgré moi dans ce cercle vicieux.

Malgré ma soif de vengeance, je n’avais jamais songé à donner naissance à un nouveau compagnon. Alakhiel avait été et restera ma seule et unique faiblesse. J’aurais dû le tuer cette nuit-là, j’avais eu toutes les occasions qu’il me fallait, mais, le Diable seul sait pourquoi, j’en avais été incapable. C’est cette faiblesse irrationnelle qui avait fait de moi ce que j’étais devenu, un monstre sanguinaire.

Je n’arrivais pas à comprendre d’où me venait cette fixation, cette hantise de lui. Etais-je maudis pour ne pas trouver la paix ? Etais-je condamné à perpétuer ces crimes jusqu’à la fin des temps, ruminant ma solitude et ma rancœur à travers les âges, rongé par mes souvenirs ?

Errant telle une ombre dans les rues désertes du quartier malfamé de Prague, je cherchais ma rédemption dans le sang de mes victimes, cherchant à assouvir ce désir insatiable qui me torturait. J’en étais à ma troisième victime et toujours je ressentais cette envie, ce besoin de faire couler ce liquide carmin qui me maintenait dans cette vie qui n’en était pas vraiment une.

Soudain, une jeune femme sortie d’une des ruelles alentours apparue à quelques pas de moi. Habillée de manière outrageuse qui ne laissait aucun doute sur sa profession, la catin s’approcha de moi, un sourire qui se voulait aguicheur se dessinant sur son visage maquillé à outrance :

- Et bien mon joli, minauda-t-elle, que fais-tu seul à une heure aussi tardive ! Tu ne crois pas que t’es un peu jeune pour trainer dans un endroit pareil ? A moins que tu ne recherches de la compagnie, ajouta-t-elle en mettant en valeur sa poitrine qui débordait de son bustier.

Un rictus malsain étira mes lèvres et d’un mouvement brusque, j’attirais la jeune femme à moi, la tenant fermement entre mes bras afin qu’elle ne puisse pas s’échapper.

- T’es bien pressé mon joli ! S’exclama-t-elle visiblement ravie de mon élan de brutalité.

Une main posée sur sa hanche et l’autre lui maintenant la tête penchée sur le côté, je dégageais les cheveux de son cou avant d’embrasser avec frénésie sa peau blanchâtre. Puis, d’un coup sec, je plantais mes crocs acérés dans sa veine palpitante de vie offerte à moi en une invitation à venir y goûter.

Tressaillant sous la douleur occasionnée par la morsure, ma victime gloussa, ses mains posées sur mon séant :

- Hm… T’es plutôt sauvage… J’aime les garçons dans ton genre ! Laisse-moi m’occuper de toi, tu verras, tu ne goûteras plus jamais quelque chose d’aussi bon…

Quittant son cou, je plantais mon regard dans le sien, avant de répondre :

- Je n’en doute pas une seule seconde…

A ces mots, un sourire carnassier étira mes lèvres, dévoilant mes canines étincelantes. Face à ce spectacle que je lui offrais et comprenant qu’elle flirtait avec la mort, la catin poussa un hurlement de terreur strident qui se répercuta sinistrement dans la nuit. D’un geste vif, je lui arrachais la gorge, la tuant sur le coup avant de laisser choir son cadavre sur le sol pavé qui lentement, se teintait de sang. C’est sur cette note lugubre que je pris la direction du luxueux appartement que j’avais acheté dans le quartier noble de la ville, alors que l’aube n’allait pas tarder à naître.

Pendant encore plusieurs mois, je décimais une partie de la population de la ville puis, de plus en plus, je m’aventurais dans la campagne alentour. Une nuit, j’arrivais près d’une maison isolée de tout. Sans bruit, je me faufilais dans l’écurie et égorgeais le palefrenier sans même toucher à son sang. Cependant, je ne me rendis compte que trop tard que ceci était un piège… A l’extérieur, des hurlements de colère venaient briser le calme de la nuit. Alors que je me dirigeais vers la sortie dans le but de m’échapper après avoir tuer quelques uns de ces pouilleux, une torche enflammée vola à quelques centimètres de mon visage, terminant sa course dans la réserve de foin qui s’enflamma aussitôt.

Gardant mon sang froid malgré les flammes libératrices qui me retenaient prisonnier, je continuais sur ma lancée, tandis que déjà, l’épaisse fumée me brûlait les yeux, m’empêchant d’y voir clair. Alors que je croyais ma fin proche, le vacarme extérieur cessa subitement et quelques secondes plus tard, un homme d’une stature assez imposante se dressa face à moi, au milieu des flammes. J’eu tout juste le temps de le voir s’avancer dans ma direction avant de sombrer dans l’inconscience, affaibli par le feu qui m’encerclait.

Lorsque je reviens à moi, j’étais allongé sur un lit somptueux dans une pièce richement décorée. La porte s’ouvrit alors brusquement, me sortant de ma contemplation des lieux et aussitôt, je reportais mon attention sur l’inconnu, tous les sens en alerte, près à me défendre au moindre geste suspicieux de mon mystérieux hôte :

- Enfin tu reviens à toi, constata-t-il en s’approchant de moi, un plateau entre les mains.

- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Demandais-je sur le qui-vive.

- Calme-toi ! M’ordonna-t-il. Tu es en sécurité… Enfin, pour l’instant, ajouta-t-il en me tendant un verre.

Je m’en emparais avant de le renifler avec méfiance, ce qui fit sourire mon hôte :

- Tu peux boire sans crainte… C’est le mien…

Pour prouver ces dires, il dénuda son poignet pour me montrer la récente plaie qui cicatrisait lentement. Rassuré, je portais le verre à mes lèvres et le vidais avec avidité.

- Depuis combien de temps suis-je ici ? Demandais-je, une fois mon verre terminé.

- Je t’ai ramené au petit matin, la nuit n’est pas encore tombée. Tu étais inconscient tout ce temps, Ezekiel, répondit mon hôte.

- Comment connaissez-vous mon nom ? Demandais-je avec calme, mais sur un ton qui exigeait une réponse.

- Je connais bien plus que choses sur toi que tu ne pourrais l’imaginer, Ezekiel. Quant à savoir comment et qui je suis, déclara mon hôte en se levant, tu le sauras bien assez tôt… En attendant, ajouta-t-il avant d’ouvrir la porte, je te déconseille fortement de sortir cette nuit…

Et alors qu’il esquissait un pas pour sortir, je demandais vivement, ma curiosité insatisfaite :

- Pourquoi m’avez-vous sauvé ?

- Je ne t’ai pas sauvé, répondit mon vis à vis. Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour moi…

Et sur ces paroles énigmatiques, il quitta la pièce. Je restais un instant immobile, repensant aux paroles étranges de mon hôte. Puis, ne supportant plus l’enfermement, j’enfilais ma chemise qui reposait sur le dossier de la chaise à côté de mon lit, et à mon tour, je quittais la chambre.

Pendant un temps indéterminable, je parcourais le château dans les moindres recoins, faisant connaissance avec les lieux. Puis, sentant que la nuit était enfin tombée, je me rendis sur les toits. Une fois en haut, d’un formidable saut, j’allais m’asseoir sur une des gargouilles qui surplombaient le vide. Là, je contemplais la nuit, écoutant ce qu’elle avait à me dire, sentant les odeurs qu’elle m’apportait.

- Te décideras-tu enfin à me dire ton nom ? Demandais-je au bout d’un moment, en sentant mon sauveur s’arrêter à quelques pas de moi.

- Tes pouvoirs sont plus élevés qu’il n’y paraît, déclara celui-ci sans répondre à ma question. Peu sont ceux qui arrivent à sentir ma présence.

- Dois-je le prendre comme un compliment ? Ironisais-je. Et cela ne répond toujours pas à la question que je t’ai posée par deux fois déjà. Si tu me connais aussi bien que tu le prétends, tu dois aussi savoir que ma patience à des limites et que j’arrive à bout…

Seul le silence me répondit, bientôt brisé par un long soupir, puis enfin, mon hôte déclara, d’une voix étrangement lasse :

- Suis-moi !

Docile, je me levais et lui emboitais le pas. Il nous mena dans un immense salon richement meublé et me montrant un fauteuil, il m’invita à y prendre place avant de faire de même en face de moi. Dans la cheminée, un feu de bois nous offrais une douce chaleur et une lumière suffisante pour notre vue surdéveloppée. Je sentais un étrange malaise envelopper mon vis à vis mais je n’aurais su déterminer d’où il provenait. Pendant un instant, je le fixais, détaillant avec attention ses cheveux noirs ondulés qui lui tombaient sur les épaules, son regard bleu hypnotisant, et ses traits fins. Il était beau, c’était indéniable, mais il émanait de lui quelque chose qui me mettait mal à l’aise.

Se soustrayant à mon introspection, il commença à parler, me fixant de manière un peu trop prononcée :

- Je m’appelle Draven. Je suis né en tant qu’humain en 1443 à Rome. Pendant près de vingt ans, j’ai vécu une vie paisible et sans histoire, jusqu’à cette nuit du 3 novembre 1465. Cette nuit-là, j’étais près de découvrir un monde nouveau, je m’apprêtais à vivre ma renaissance. Je revenais de la taverne, complètement ivre, chose qui m’arrivait régulièrement pour la plus grande horreur de mes parents, tous deux issus de nobles familles. C’était là, sur le chemin qui me ramenait chez moi que je l’ai rencontré pour la première fois. Il était là, je ne savais pas vraiment ce qu’il était, un homme ? Un monstre ? Mais j’étais attiré par lui de façon irrationnelle. Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé par la suite, mais lorsque je me réveillais, je n’étais plus le même homme. Ma perception de l’environnement, des hommes, de tout ce qui m’entourait avait changé… Il m’avait initié au monde resplendissant de la nuit, il avait fait de moi un vampire, un de ses fils immortels…

Après une courte pause, il poursuivit :

- Pendant des décennies, nous avons vécu ensemble, parcourant le monde, et malgré les moments difficiles, je n’ai jamais regretté d’être devenu ce que je suis désormais. Il m’a offert une deuxième vie, la jouissance de l’immortalité et un peu de son amour aussi… Je crois… Même s’il ne m’a jamais aimé comme et autant que je l’aimais, je m’en contentais… Et puis un jour, il y a eu ce garçon… Jusqu’à lui, jamais il n’avait posé les yeux sur quelqu’un d’autre que moi, mais lorsqu’il l’a vu, pour la première fois depuis tant d’années, j’étais devenu invisible à ses yeux. Et puis, il y a eut cette nuit où il a finit par en faire l’un des nôtres. Après des mois d’obsession, il a finalement succombé à sa passion et a finit par lui offrir le don obscur…

- C’est bien beau tout ça, l’interrompis-je, mais quel rapport avec moi ?

- Tout simplement parce que l’homme qui m’a volé l’amour de Darius n’est autre que toi…

Darius… Ce nom résonnait comme un écho dans mon esprit, un écho sinistre et lugubre qui me paralysait, me renvoyant des siècles en arrière, en cette nuit de l’hiver 1537… Cependant, je n’eu pas le temps de m’attarder dans mes sombres souvenirs que Draven poursuivit :

- Alors tu comprends maintenant ? Si je t’ai sauvé la nuit dernière, c’est seulement pour avoir le plaisir de te tuer de mes propres mains, s’exclama-t-il, un rictus mauvais étira le coin de ses lèvres. Depuis ce jour-là, j’attends avec impatience le moment où ta tête tombera, et ce soir, je serais celui à qui revient ce privilège…

A ces mots, j’éclatais de rire, oubliant momentanément mes douloureux souvenirs et déclarais :

- Et tu parviendrais à vivre avec ce poids sur les épaules ? Tu serais prêt à devenir un banni, un hors à loi rien que pour avoir ma tête ? Et puis, franchement, crois-tu sincèrement que je vais me laisser tuer aussi facilement ?

- Tu ferais bien de t’y faire, répliqua-t-il. Pour toi le combat et déjà perdu d’avance et tu le sais aussi bien que moi !

A ces mots, il se fit plus agressif, montrant ses crocs comme un chien enragé, et faisant de même, bien décidé à me défendre, je déclarais avec ironie :

- Pour quelle raison souhaites-tu autant ma mort ? Pour le fait qu’il m’ait aimé plus que toi, où alors, pour te venger du fait que je sois celui qui l’ait tué ?

- Rien que pour cette raison tu mériterais de pourrir en enfer ! S’exclama Draven en engageant le combat, se jetant sur moi avec la rapidité et la fureur d’un fauve enragé. J’esquivais du mieux que me le permettait mon corps affaibli par le manque de sang et prit de court par la célérité impressionnante que lui conférait le grand âge de mon ennemi.

Un combat sans merci s’engagea alors entre nous et si je n’avais pas l’avantage, ma soif de sang soudainement éveillée compensait ma lenteur et la faiblesse de mes attaques. Je n’aurais su dire combien de temps dura notre duel, mais plus celui-ci s’éternisait, plus je sentais le monstre en moi me contrôler. A présent, je ne désirais plus qu’une chose, voir le sang de mon ennemi rougir les tapis qui ornaient le sol. Ses yeux injectés de sang reflétaient la haine qu’il avait à mon égard et amusé par la situation que je trouvais de plus en plus plaisante, je me laissais aller à rire, esquivant avec de plus en plus d’habileté les coups épars et désordonnés de mon adversaire. Aveuglé par sa haine, Draven perdait peu à peu l’avantage qu’il avait acquit au début du combat. Quoi qu’il en soit, il ne pouvait y avoir de place pour nous eux et l’un de nous devrait obligatoirement finir par mourir…

Avisant une brèche dans la défense de mon aîné, je tentais le tout pour le tout… D’un geste d’une célérité surprenante, je giflais violemment mon vis à vis, lui arrachant au passage la partie gauche du visage. Puis, dans un élan sanglant, je plongeais ma main dans sa poitrine et lui arrachait le coeur.

Les yeux révulsés par la mort, Draven tomba à genoux dans un bruit sourd puis s’effondra sur le sol, mort, tandis que lentement, son sang entachait les luxueux tapis persans. Pour la seconde fois de ma vie, je tuais l’un des miens, le premier ayant été celui qui m’a fait…

Prit de frénésie meurtrière, j’attrapais une torche et mettais le feu aux rideaux de velours avant de sauter par la fenêtre. Mon désir de sang s’était réveillé lors de mon combat avec Draven et il ne demandait qu’à être assouvi. Regagnant les rues de Prague, j’errais sans but réel, fauchant toutes les vies que je croisais sur mon chemin. Après plusieurs années à hanter la ville, mon temps ici était finalement révolu. Un peu avant l’aube, je retournais chez moi, ma décision prise… Demain à la même heure, je serais déjà loin d’ici…

Bénarès, 30 juin 1785

Après avoir quitté Prague, j’entrepris de longues années d’errance, traversant des villes comme Vienne, avant d’arriver en Hongrie. Je restais un moment à Budapest avant de finalement poursuivre ma route vers l’est, découvrant sans cesse des terres toujours plus sauvages et désertiques. De là, j’arrivais en Roumanie et pendant quelques mois, je m’installais en Transylvanie, une région reculée des Carpates, dans la petite ville de Deva.

Cependant, ne m’y sentant pas chez moi, je repris ma route, remontant vers Moscou avant de traverser l’URSS, toujours en direction de l’est. Puis, bifurquant vers le sud, je traversais les immenses plaines mortes de Mongolie. Là, stoppant mon itinérance, je passais près d’un an à Lhassa, la capitale du Tibet. Durant mon exil, j’étais presque parvenu à oublier Alakhiel, son image me hantait toujours mais n’était plus aussi obsédante, remplacée par les images atroces de cette nuit d’horreur…

Consciemment où non, ce soir là, Draven avait fait ressurgir des tréfonds de ma mémoire des souvenirs que je gardais enfouis au plus profond de moi dans l’espoir qu’ils disparaîtraient un jour. Des bribes de scènes jaillissaient dans mon esprit torturé, incohérentes, me faisant sombrer toujours un peu plus dans la folie. Je n’étais plus que l’ombre de moi-même et c’est dans cet état lamentable que j’atteignais l’Inde après avoir traversé le Népal. J’élisais domicile dans le quartier riche de Bénarès, une ville en expansion dans le nord est du pays.

La nuit venait de tomber, mais je restais là, avachi dans le riche sofa qui meublait le salon de ma maison anglaise, l’Inde étant une colonie anglaise depuis 1750. Peu à peu, je me sentais perdre la notion de réalité, tandis que mes cauchemars se faisaient de plus en plus obnubilant. Lentement, je me sentais partir, revenant toutes ces décennies en arrière, lors de cette nuit d’horreur…

Allongé sur le sol, je me débattais avec la force du désespoir contre cet homme qui évitait mes coups sans la moindre difficulté. Du sang coulait le long de son menton, s’échappant de sa bouche encore pleine de se liquide carmin pour venir s’écraser sur ma chemise en lambeau et sur ma peau, ajoutant au dégoût et à la terreur que je ressentais déjà. L’odeur du sang frais me révulsait profondément et j’avais du mal à retenir des soubresauts de nausée. Son haleine fétide empestait l’air alors que je tentais de me débattre, dégoûté par la sensation de son souffle dans mon cou. Un sourire victorieux et amusé étirait les lèvres purpurines de mon agresseur et d’une voix étrangement rauque, il déclara :

- Allons, arrête de te débattre inutilement. Tu ne peux rien contre moi…

- Libérez-moi, gémissais-je. Je vous en supplie… Ajoutais-je en tressaillant de dégoût alors que ses mains répugnantes s’aventuraient sur mon torse dénudé.

- Pas maintenant, déclara-t-il. Pas avant que tu ne sois entièrement à moi… Corps… Et âme…

Je sursautais violemment en prenant pleinement conscience des intentions malsaines de cet homme… Je ne savais pas ce qu’il était, un homme, un monstre, mais tout ce que je savais, c’était que je souhaitais mourir à cet instant précis. Mourir pour ne pas avoir à subir ce déshonneur, cette humiliation qui me hanterait jusqu’à la fin de mes jours…

J’avais envie de hurler, mais je savais parfaitement que c’était inutile, personne ne viendrait m’aider… J’étais seul… Désespérément seul avec cet individu, cet être démoniaque… J’étais à sa merci et je ne pouvais que le regarder abuser de moi, accepter cette fatalité qui s’abattait sur moi.

Je revins à moi en sentant ses mains répugnantes effleurer la peau nue de mon ventre et s’immiscer avec impatience dans mon pantalon tandis que ses lèvres parsemaient mon cou de tâches de sang, m’avilissant un peu plus à chaque marque déposée. Sous cet attouchement, je me mis à me débattre avec plus de conviction, les yeux clos pour ne pas voir la réalité en face, pour ne pas voir ce qui était en train de m’arriver…

- La peur que je lis sur ton visage ne t’en rend que plus désirable… Susurra l’homme à mon oreille, avant de la lécher.

Sentant sa main se faufiler jusqu’à mon intimité, j’ouvris les yeux sous la surprise, criant, suppliant mon agresseur de me tuer, celui-ci prenant un malsain plaisir à regarder les larmes de peur et de honte couler en cascade sur mes joues.

A présent à moitié nu, ne portant plus sur moi que les lambeaux de ma chemise ensanglantée, j’étais livré au plaisir pervers de cet homme qui me souillait au plus profond de mon âme. Sans prévenir, sa langue franchit la barrière de mes lèvres, manquant de m’étouffer et le goût métallique du sang manqua de me faire vomir. Plaquant mes deux mains sur son torse, je le repoussais aussi loin qu’il m’était possible de le faire, tentant une fois de plus de m’arracher à son étreinte avilissante.

Les larmes d’humiliation me brouillaient la vue et me piquaient les yeux, m’obligeant à les garder fermer, bien que de toute manière, je ne les aurais ouvert pour rien au monde. Je ne voulais pas affronter la réalité, voir cet homme au dessus de moi profiter de ma faiblesse pour abuser de mon corps. A dessus de moi, je sentais l’homme s’activer, et même si je ne le voyais pas, je ne savais que trop bien ce qu’il était en train de faire, le bruit de vêtements froissés ne laissant que peu de place à l’imagination.

Puis, d’un geste brusque, il écarta mes cuisses et vint prendre place entre mes jambes. Aussitôt je recommençais à me débattre, épuisant vainement les dernières forces qui me restaient.

- S’il vous plait, arrêtez… Suppliais-je entre deux sanglots. Pitié… non… Ne me faites pas ça…

Je commençais à paniquer, la terreur décuplant mes forces, je parvins à m’arracher à son étreinte l’espace d’un instant, mais bien vite, mon agresseur me ramena à lui en riant, comme il ramènerait à lui une proie à l’agonie qui, dans un dernier souffle de vie tentait de s’échapper. Je n’étais rien de plus qu’un jouet à ses yeux, un morceau de viande dont il pouvait abuser à sa guise.

D’un geste brutal, il me fit me retourner, me maintenant au sol par la seule force de son bras. Puis, sans prévenir, il me pénétra d’un coup sec. Jamais il ne me serat possible de décrire une telle douleur, un tel rabaissement. Face contre terre, je ne pus retenir un hurlement de souffrance, tandis qu’entamant un va et vient soutenu, il possédait mon corps, me tuant un peu plus à chaque pénétration.

Jamais je ne m’étais senti aussi humilié. Chaque grognement rauque et bestial de cet homme m’avilissait un peu plus, attisant mes larmes. Je me sentais sale et trahit, rabaissé plus bas que terre. J’aurais vendu mon âme au Diable pour ne pas avoir à vivre ce que j’étais en train de subir. Plus jamais je ne pourrais vivre sans me rappeler cette dégradante humiliation, et je préférais mourir que de continuer à vivre avec ce fardeau sur le coeur.

A présent, mes sanglots s’étaient tu, mais les larmes de honte continuaient d’inonder silencieusement mes joues alors qu’il me besognait toujours plus brutalement. Ses gémissements parvenaient à mes oreilles, me révulsant au plus haut point. J’avais depuis longtemps cessé de me débattre, toute tentative de fuite s’étant vue couronnée d’échec.

Après un temps qui me parut interminablement long, il finit par exploser, se déversant en moi, achevant de me détruire, de souiller ce corps qui ne m’inspirait plus que du dégoût. Je n’éprouvais plus le moindre sentiment, plus rien n’avait d’importance à présent. Il aurait pu abuser de moi une seconde fois, cela m’indifférais totalement. Brisé, je restais là, étendu nu à même le sol, le visage ruiné par les larmes. Plus rien n’existait hormis ce sentiment, cette impression de me sentir sale, tellement sale… Mon corps tout entier me faisait souffrir, mais la douleur physique n’était rien à comparé de ce que je ressentais au plus profond de mon âme.

Un spasme de répulsion parcourut mon corps lorsque je sentis la semence de cet homme mêlée à mon propre sang couler le long de ma cuisse.. Mu par une volonté qui me dépassait, je trouvais en moi la force nécessaire pour me redresser sur mes coudes et dans un spasme plus violent que les autres, je vomi le maigre contenu de mon estomac vide avant de finalement sombrer dans les ténèbres de l’inconscience. Ce soir là, j’avais eu dix-neuf ans, et ce soir-là, j’avais été violé puis tué…

Je me réveillais en sursaut, le corps moite de sueur. J’avais dû m’assoupir, épuisé mentalement. Reprenant peu à peu mes esprits, je me passais une main tremblante sur le visage. C’était un cauchemar, rien de plus… Le souvenir de la nuit où Darius m’avait octroyé le don obscur, la nuit où il m’avait violé…

Le souvenir de cet épisode macabre de ma vie humaine me torturait l’esprit, attisant mon désir de vengeance qui grandissait en moi. Darius avait beau être mort depuis bien des décennies, je ne parvenais pas à me défaire de cette haine farouche qui étreignait mon coeur lorsque je pensais à lui. L’avoir tué de mes propres mains n’apaisait pas mon ressentiment.

D’un bon, je me levais et commençais à faire les cent pas dans la pièce, jusqu’au moment où l’appel de la nuit et mon instinct de prédateur se fasse trop insistant pour pouvoir y résister, tous mes sens en alertes depuis mon réveil.

Soudain, ne supportant plus l’enfermement et les murs qui me retenaient prisonnier, j’attrapais ma cape et en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, j’étais dehors. Arpentant les rues de la ville, je fauchais des vies au passage, chaque goutte de sang versée ne parvenant pas à étancher mon appétit sanguinaire. De plus, ma rancœur s’était éveillée depuis mon cauchemar et seule la vue du sang parviendrait à l’apaiser. C’était ainsi, les faibles se sacrifiaient pour assouvir la colère des être supérieurs…

Alors que j’égorgeais ma troisième victime de la soirée, je vis un homme m’observer depuis l’endroit où il se trouvait. Celui-ci avait l’air calme et serein, comme s’il ne craignait pas l’incarnation de la mort que j’étais. Un sourire sadique et carnassier étira mes lèvres carmines et m’approchant lentement de lui, je demandais :

- Et bien vieillard, es-tu fou ou inconscient ? Tiens-tu à ce point à mourir ? Tu as déjà un pied dans la tombe, je peux t’aider à y mettre le second !

- Pourquoi me tuerais-tu ? Demanda alors l’ancien sans se départir de son calme en un anglais parfaitement maîtrisé.

- Pourquoi ne te tuerais-je pas ? Répliquais-je avec sarcasme, mais tout de même déstabilisé de l’affront dont il faisait preuve.

- Tout simplement parce que je suis un vieil homme qui à fait son temps. J’ai vu ce que j’avais à voir, fait ce que j’avais à faire dans ce monde, et à présent, la mort ne m’effraie plus, déclara-t-il avant d’ajouter après une courte pause. J’ai entendu parler de toi Seigneur Démon, des rumeurs venues de l’ouest parlant d’un monstre assoiffé de sang. Crois-moi, Seigneur Démon, me tuer ne t’apportera pas la satisfaction que tu recherches.

- Comment pourrais-tu savoir ce que je recherche, l’ancêtre ? Demandais-je un peu trop précipitamment, étrangement mal à l’aise en compagnie de cet homme.
Le vieil homme ne répondit rien, se contentant de me fixer de son unique œil. Face à ce regard perçant, je réprimais un frisson de malaise. Jamais encore je n’avais ressenti un tel sentiment, cette impression que ce simple mortel à demi aveugle puisse lire en moi avec une telle aisance. J’émis un claquement de langue rageur, puis d’un saut souple et félin, je regagnais les toits, chemin par lequel je rentrais chez moi.

Les mois qui suivirent, je rendis souvent visite à Indra, le vieil Hindou. Sa compagnie avait quelque chose d’apaisant et sa présence suffisait à me calmer. Depuis que je l’avais rencontré, j’éprouvais de moins en moins cette envie de tuer juste par plaisir, me satisfaisant d’une seule vie pour me nourrir. Chaque soir, je le rejoignais à l’endroit où je l’avais rencontré et m’asseyais à ses côtés. Durant de longues heures, nous parlions de tout et de rien, échangeant nos points de vue et nos expériences, mais jamais je ne lui parlais de moi de façon trop personnelle. Je voyais en lui un confident, une sorte de guide et très vite, un lien au delà de l’amitié s’était créé entre nous.

7
mai

Silent scream - Chapitre 4

   Ecrit par : admin   in Silent scream

Chapitre 4 écrit par Lybertys

Très brusquement, cette faim qui me torturait avec douceur fut totalement dissimulé derrière une souffrance que je n’avais jamais connu. Je n’arrivais pas vraiment à mettre un mot sur ce que j’étais en train de vivre, mais j’avais cette cruelle impression que l’on était en train de m’arracher quelque chose d’extrêmement précieux, aussi précieux qu’un simple battement de cœur qui offrait la vie et la faisait subsister. Ma vue était totalement voilée et je me trouvais dans le noir, un noir si absolu que je me croyais perdu à jamais. Mon corps, salit par ce liquide carmin était maintenant parcouru de spasmes et de contractures de plus en plus violent. Je n’avais aucune idée de ce qui était en train de m’arriver, mais je sentais la vie m’abandonner totalement. Pourtant, ma conscience était encore là. Je pouvais ressentir la souffrance physique, mais je semblais être uniquement spectateur, n’appartenant plus à ce corps en train de disparaître pour se transformer en quelque chose qui m’apparaissait comme monstrueux. Mes yeux se révulsèrent et je ne pus que laisser échapper de ma bouche entrouverte, un cri de douleur muet. La peur m’envahit d’un seul coup, un peur sourde que je n’avais jamais ressenti aussi vivement, une peur à laquelle chaque être humain est soumis : la peur de mourir. Car c’était bien cela qui était en train de m’arriver. Une à une, je perdis toute mes perceptions, me faisant sans m’en rendre compte et bien trop violemment, tomber dans l’inconscience. J’eus le temps de laisser aller un dernier souffle pour abandonner soudain, trop facilement tout effort de survie. La seule chose que je pouvais percevoir de manière faillible était une présence proche de moi, dont je n’arrivais pas à déterminer la nature. Elle semblait jouer à la fois le rôle du protecteur, mais avait aussi quelques chose de terrifiant et de terriblement dangereux. Le froid envahissait peu à peu mes membres, un froid si éthéré qu’il était semblable à celui de la mort, un froid qui paralysait peu à peu la totalité de mon être jusqu’à faire cesser de battre mon cœur. Ce fut une douleur soudaine à la fois tellement vive et tellement pure qui me fit soudain perdre l’esprit, et je sombrais brutalement dans l’inconscience.

Lorsque j’ouvris les yeux, j’avais cette impression cruelle que l’on m’avait changé de corps. Il était indéniable que celui que j’habitais à présent était différent, tout comme mes souvenirs au sujet de ce qui m’avait amené jusqu’ici. Je ne gardais de la nuit dernière qu’un pâle souvenir brouillé, d’où rien de clair ne se démarquait. Alors que je tentais de bouger, découvrant mon corps tel un nouveau né, ayant du mal à être maître de ceux-ci, la panique et la peur commençaient à se saisir de moi. Ne pas comprendre ce qui m’arrivait, réaliser que cela n’était pas un simple mauvais rêve avait quelque chose d’effrayant. Je le savais, j’étais différent, ma perception du monde était différente, et il s’était passé quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Tout semblait si irréel que je ne parvenais à dire si je n’étais finalement pas dans un monde différent. Encore allongé sur ce qui semblait être un lit je me redressais et ce fut à ce moment là que j’entendis une voix légèrement moqueuse qui me glaça le sang à cause de la surprise :
-              Alors, c’est que maintenant que tu te réveilles ? Je t’attends depuis un moment déjà…
Je ne pus que sursauter, ne m’attendant pas à partager la pièce avec une autre personne. Ne pouvant que reposer ma colère liée à ma peur sur lui, trouvant un responsable parfait à mon état, je m’exclamais furieux, sans prendre le temps de répondre à sa question qui était le cadet de mes soucis :
-              Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Que m’avez-vous fait ?
-              Commence déjà par te calmer, répondit-il d’un ton sec qui n’acceptait pas de réponse.

L’angoisse me serrait la poitrine, mais je tentais de me contrôler, comprenant qu’il ne fallait pas chercher cet homme. Je savais que ma place ici dans ce lit et mon état actuel était lié à cet homme, mais toujours ce même brouillard sur le passé que je ne parvenais pas à lever, l’esprit totalement brumeux. Le silence régnait dans la chambre, n’osant rien lui répondre. Satisfait, il me demanda, plus en guise de confirmation que dans l’attente d’une réponse :
-              T’es calmé ?
Ne supportant pas son petit air supérieur, qui ne faisait qu’attester de la toute puissance qu’il avait sur moi, je ne puis que lui adresser un regard meurtrier. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais je haïssais cet homme. Cela était certainement lié à ce qui s’était passé avant. Je lui en voulais pour plus d’une raison. Il semblait en savoir bien plus sur moi, que moi au moment actuel. Poursuivant dans sa lancée, sans répondre à mon agressivité, il déclara d’une voix calme et posée, synonyme de l’assurance qui l’habitait et qui me faisait cruellement défaut :
-              Bonsoir Alakhiel…
-              Comment m’avez-vous appelé ? Demandais-je, la crainte remplaçant instantanément la colère.

-              Alakhiel, répondis-il patiemment, contrastant avec mon état de part son sang froid.
Jamais je n’avais entendu ce nom, et il ne me semblait pas familier, même dans mes vagues souvenirs. Comment cet homme qui n’avait rien d’humain, connaissait-il mon nom ? N’était-il pas en train de se tromper de personne ? Cette situation n’était-elle pas en fait, un terrible mal entendu ?
N’ayant pas de réponses satisfaisantes à mon sujet, je décidais d’en choisir d’autres parmi la foules de questions qui se bousculaient dans mon esprit.
-              Qui… Qui êtes-vous ? Demandais-je, non sans appréhension. Qu’est ce que je fais là ?
Mon vis-à-vis ne cacha pas sa surprise et me demanda, sans prendre la peine de répondre à mes questions :
-              Tu ne te souviens de rien ?

Assis en face de lui, je restais silencieux, tentant de distinguer quelque chose de précis parmi les impressions et les ressentis qui me restaient de la veille. C’était comme si je venais de vivre une profonde coupure entre ma vie d’avant et ma vie de maintenant. Plongeant dans mes tentatives de souvenirs, je finis par répondre honteux et gêné de cet homme qui en savait bien plus :
-              Je… Non, c’est encore tout embrouillé…
-              Ne t’inquiète pas, tes souvenirs reviendront, mais pour le moment il est préférable que tu ne cherches pas à t’en souvenir. C’est encore trop tôt, tu n’es pas assez fort…
Totalement perdu et apeuré, je répliquais :
-              Qu’est ce qui est encore trop tôt ? De quoi parlez-vous ? Et puis, d’abord qui êtes-vous ? Vous n’avez pas répondu à ma question…
Je savais que j’étais en train de jouer avec le feu, mais c’était plus fort que moi, je ne pouvais pas m’en empêcher, supportant de moins en moins sa primauté sur mon être. Mais c’est avec patiente qu’il me répondit :
-              Je m’appelle Ezekiel. Et je suis ton créateur.
A sa dernière phrase, je ne pus que m’exclamer :
-              Mon quoi ?

-              Tu ne te souviens vraiment pas ? Hier soir, ajouta-t-il face à mon hochement te tête négatif, j’ai bu ton sang et j’ai fais de toi une créature de la nuit… Tu es un vampire à présent…
A cet instant là, je sentis le sol s’affaisser sous mes pieds. Dans d’autres circonstance, je l’aurais pris pour un fou, mais j’avais peur de mettre fois en ses paroles qui me semblaient cruellement véridiques. C’est pourquoi, plus par angoisse que par moquerie, je me mis à rire de façon hystérique, ne souhaitant pas croire un traitre mot de ce que cet homme qui s’apparentait maintenant plus à un fou, était en train de me raconter. Vexé que je ne le prenne pas au sérieux, il s’exclama bien trop vivement :
-              Regarde-toi ! Regarde tes mains ! Et si cela ne suffit pas, regarde dans ce miroir…
Prenant son exclamation au sérieux, je posai mon regard sur mes mains, et mes yeux s’agrandirent d’effroi, confirmant ce que j’avais crains jusqu’à maintenant. Celles-ci s’étaient affinées et mes ongles étaient à présent aussi durs et longs que des griffes acérées. Ce n’était plus mon corps, je n’étais plus la même personne que dans mes souvenirs.
Furieux, je m’exclamais :
-              Qu’est ce que vous m’avez fait ?
-              Je te l’ai dit, j’ai fais de toi un vampire… Alakhiel… Prince de la nuit…
Je ne pus que pâlir à cette appellation et ce fut seulement lorsque l’instant de surprise et d’incompréhension fut passé que je fus envahis par une haine à son égard qui n’avait pas de nom. Sans prendre le temps de réfléchir, je me jetais sur lui, le saisissant à la gorge en m’exclamant, les yeux embrumés par les larmes de rage :
-              Noon ! Vous mentez !

-              Pour quelle raison le ferais-je ? Demanda-t-il à présent agacé de mon comportement.
Réalisant alors seulement maintenant que tout ceci allait bien au-delà d’une simple farce, je le lâchais comme si je venais de me brûler au contact de sa peau qui semblait tout aussi irréel que la mienne. Je me précipitais vers la porte et alors que j’esquissais un geste pour l’ouvrir, celle-ci me résista. Dans la panique la plus totale, au bord de l’hystérie, la peur guidant mes faits et gestes, je tambourinais des poings contre la porte en m’écriant :
-              Laissez-moi sortir !

-              Mais je ne te retiens pas, fit-il remarquer avec calme. Tu es libre de sortir. De plus ajouta-t-il avec ironie, et une pointe de sadisme, tu dois avoir faim… Ne le sens-tu pas ? Cet instinct de chasseur qui s’éveille en toi ? Ce désir insatiable qui s’embrase en toi au point de te faire vibrer… Ne frémis-tu pas à la simple idée d’une veine palpitante de vie roulant sous tes crocs, en sentant la vie de ta victime s’échapper de son corps inerte ?
Lentement, je me retournais et lui lançais un regard perçant, tentant de le comprendre. Je finis par murmurer d’une voix qui cachait mal la peur qui m’habitait :
-              Vous êtes complètement fou !
Il éclata de rire face à cette accusation et le regard que je lui lançais alors n’en fut que plus dur et accusateur. J’avais peur de lui, tout comme j’avais peur de donner foi en ses paroles. Les yeux brillants d’une lueur de satisfaction, signe de la folie qui l’habitait, il esquissa un sourire sadique que j’avais maintenant en horreur et déclara :
-              Mais qui est le plus fou des deux ? Celui qui le sait ou bien celui qui accuse l’autre ?
Je ne pus que rester muet, était à dix mille lieux de m’attendre à une telle réponse de sa part. Puis, reprenant le contrôle de moi-même, je m’exclamais plus pour moi-même que pour cet être auquel je ne pouvais donner le nom d’homme :

-              Je refuse de devenir votre jouet ! Je ne deviendrais pas comme vous ! Vous êtes le mal en personne et je refuse de finir comme vous, fou à lier et monstrueux !
-              Et bien il faudra t’y faire ! S’exclama-t-il en retrouvant son sérieux, comme lassé.
-              Jamais ! M’écriais-je avant de courir à travers la pièce et de sauter par la fenêtre qui vola en éclat.
C’était mon instinct qui m’avait guidé, et la seule issue que j’avais trouvé à ce piège qui se refermait trop douloureusement sur moi. Arrivé sur le sol avec une légèreté qui me déconcerta, je me redressais et courait le plus vite qu’il m’était donné de le faire. Il fallait que je m’éloigne de cette créature qui m’avait contaminée. Peu à peu, mes souvenirs devenaient plus clair, mais je ne voulais pas me souvenir. Au plus profond de moi, je savais qu’il n’avait fait que me dire la vérité, ce saut par la fenêtre n’avait fait que le confirmer, mais je ne voulais pas l’accepter. De plus je courais lestement sans même me fatiguer, sans même ressentir un simple essoufflement ou une faiblesse. La seule chose que je ressentais, c’était cette faim que m’avait décrite Ezekiel et qui commençait effectivement à me tirailler. Mais je ne pouvais pas l’admettre, car cela donnerait raison à ce vampire.

Il faisait nuit, et seule la lune éclairait ma course. Pourtant, j’avais l’impression d’être en plein jour et de découvrir le monde dans lequel j’avais grandi sous un regard nouveau. Ce qui était éloigné de moi me semblait si près et la façon dont je pouvais distinguer les détails en était presque effrayante. Mais c’était loin d’être le seul sens à être amplifié. Chaque odeur parvenait à mes narines, et je parvenais à les distinguer très nettement les unes des autres. Quand aux sons, le plus minime, même le souffle d’un petit rongeur à mille mètres d’ici pouvait me parvenir. J’entendais surtout son cœur battre, provoquant mon essence, souhaitant accorder le mien au sien. Je finis par m’arrêter de courir. Je m’étais volontairement éloigner de la ville, ne souhaitant croiser personne dans mon état. Seulement, j’étais loin de vouloir m’extasier sur mes capacités. J’avais en horreur ce que j’étais en train de devenir. Je marchais d’un pas rapide, étant maintenant très près de la forêt. Je finis par m’arrêter, jugeant inutile d’aller plus loin. Inconsciemment, je m’assis sur un petit muret à la lisière de la forêt et scrutait une maison qui m’était familière. Le souvenir revint presque immédiatement : Elisabeth. La suite suivit tout naturellement, jusqu’au moment où Ezekiel m’avait attiré dans cette chambre et m’avait mordu après avoir profité de mon corps de la plus douce des manières qui soit. J’eus un bref sentiment de répulsion vis-à-vis de nous, et de ce qu’il m’avait forcé à faire. Ce que je ne comprenais pas, c’était pourquoi il m’avait fait à son image. Pourquoi avait-il choisi de faire de moi un vampire au lieu de me tuer ? Pourquoi ne m’avait-il pas laissé le choix ?
Ma condition m’empêchait maintenant de retourner à mon ancienne vie, annihilant toute possibilité de ne serait-ce que parler une dernière fois à Elisabeth. Que dirait-elle en me voyant ? Elle prendrait peur, cette même peur qui me saisissait actuellement. Je ne pouvais qu’être là, à regarder cette maison. Etait-elle en ce moment en train de dormir paisiblement dans son lit ? Je sentais sa présence, mais ne cherchais pas à en percevoir plus sur elle. Me contenter de la savoir ici, loin de ce monde dans lequel je venais d’être entraîné. J’avais mal, mal de ne plus avoir le droit de l’aimer, souffrant de ne jamais lui avoir dit : « Je vous aime ».

Je restais là, sans bouger, laissant le temps défiler, me contentant de fixer la maison, tentant de ne plus penser à rien d’autre qu’à cette femme que j’aimais encore passionnément. Ce ne fus qu’au petit matin, que j’entendis dans un murmure provenant de Ezekiel qui s’était rapprocher de moi sans que je ne m’en aperçoive :
-              Il nous faut partir. Le soleil va bientôt se lever et tu n’as toujours pas mangé. Il faut te nourrir…

-              Je ne bougerais pas d’ici, répondis-je calmement.
Je désirais rester là, à songer encore un peu au futur idéalisé que nous aurions pu vivre. Après tout, il ne me restait que cela. Seulement agacé par mon attitude, il soupira de lassitude et sur un ton qui dissimulait mal ses ressentis il déclara :
-              Ecoute, je fais cela pour toi, mais si tu préfères te laisser mourir ici c’est ton problème.
-              Et qui vous dis que ce n’est pas ce que je souhaite ? Rétorquais-je.
De toute façon, je n’avais plus rien qui me retenait ici, pas même une main tendue qui allait m’aider à me hisser de cet enfer. Il n’y avait en fait qu’Elisabeth qui me retenait et l’espoir fou d’un amour possible qui persistait…
Aux derniers mots que je venais de prononcé, Ezekiel laissa échapper un rire sonore et moqueur qui eut pour effet de m’énerver d’avantage. Je lui adressais un regard meurtrier qui ne l’intimida pas le moins du monde, et il me demanda entre deux éclats de rire :
-              Tu crois vraiment que tu serais prêt à l’abandonner ?

Comprenant immédiatement le sous-entendu, mes yeux s’agrandir d’horreur et d’une voix emplie de terreur, je m’exclamais :

-              Co… Comment savez-vous ?

-              Je sais beaucoup plus de chose que tu ne le penses, répondit-il avec sérieux en s’approchant dangereusement de lui.
Tétanisé, j’esquissais un pas en arrière, et perdant toute mon assurance, je murmurais, maintenant saisit d’une peur plus profonde que celle de perdre ma propre vie :
-              Je… Vous ne lui ferez aucun mal…

-              Je ferais ce qui est nécessaire pour que tu l’oublies ! S’exclama-t-il menaçant, comme s’il ne supportait pas de me voir ainsi pour cet amour qui me rattachait encore à la vie.

Face à cette menace implicite, mes yeux s’écarquillèrent d’horreur et d’une toute petite voix, je m’exclamais, comme désespéré :

-              Je vous en prie, ne la touchez pas… Je ferais ce que vous voudrez, mais épargnez sa vie…
Sa vie était ce qui me tenait encore à la mienne. Je ne pouvais que le supplier, me pliant totalement à sa volonté, priant pour qu’il accepte de ne pas lui faire du mal. Agenouillé, je tremblais, j’étais prêt à tous pour lui sauver la vie. Je l’aimais et cet amour me préparait à surmonter n’importe quoi. Si ce vampire désirait que je me plie à ses envies, les plus malsaines soit-elles, alors que je le ferais. Ma vie de mortel idéalisé avait pris fin à l’instant même où j’avais croisé le regard d’Ezekiel et le don qu’il m’avait fait me condamnait pour l’éternité. Il ne cessait de me regarder, comme écœuré et dégoûté de mon état. Soudain, il déclara avec hargne :

-              Soit !
Il m’empoigna alors par le col, et me souleva avec une facilité déconcertante au niveau de son visage. Lorsque je fus à seulement quelques centimètres de lui, tremblant de peur, il murmura d’une voix qui me fit frissonner :

-              Je ne veux plus jamais que tu reviennes à cet endroit. Oublie-la ! Où je serais forcé de la tuer…

Sur ces menaces, il me lâcha sans ménagement, et sans un regard en arrière, il prit le chemin de son manoir. Passant ma main sur mon cou, le massant légèrement, je regardais une dernière fois la maison, comprenant que jamais plus je ne reviendrais ici. Résigné, sauvant la vie d’une femme qui ne se souviendrait plus de moi que comme un vague souvenir, je suivis Ezekiel. Plus nous marchions et plus je sentais un manque abyssale s’emparer de moi. C’était comme une faim si importante que rien ne semblait pouvoir faire taire. Pourtant, je n’en fis surtout pas part à Ezekiel.

Lorsque nous arrivâmes à son repère, les premiers rayons de soleil pointaient déjà à l’horizon, inondant le ciel de couleurs vives et chatoyantes. Nous allâmes directement dans sa chambre. Découvrant les lieux pour la première fois, je pus apercevoir un cercueil trônant au centre de la pièce. Ezekiel se tourna vers moi et rompit le silence qui s’était installé entre nous depuis que nous avions quitté la maison d’Elisabeth :

-              Tu dormiras avec moi cette nuit, et demain nous irons te trouver ton propre cercueil.
Ce fut non sans hésitation que je pris place dans le cercueil, étant loin d’être à l’aise à l’idée d’y dormir. Lorsque je fus installé, le vampire vint prendre place à mes côtés avant de nous plonger dans noir. Une angoisse m’envahie aussitôt, me rappelant ma crainte des endroits exigus durant ma vie de mortel. Tout contre lui, je ne parvenais à faire taire cette agitation, mêlée à une faim de plus en plus insupportable. Ne tentant pas en place, je gesticulais dans tous les sens, à la recherche d’une position qui permettait de faire taire en moi cette chose qui hurlait famine. Etant collé contre Ezekiel, celui-ci ne tarda pas à se tourner vers moi et à s’exclamer avec agressivité :
-              Quand tu auras finis ton cirque peut être que je pourrais dormir ! C’est de ta faute si ta faim, alors maintenant tu prends ton mal en patience et tu dors ! La prochaine fois que tu bouges je te fous dehors !
Prenant sa menace très au sérieux, je ne répondis rien, tentant au mieux de faire taire cette faim qui me dévorait de l’intérieur. Seulement, je ne tins qu’un temps, la faim étant trop grande, je ne pus me contenir, à la plus grande exaspération d’Ezekiel. Jamais je n’avais ressentis un tel besoin de me nourrir. A bout de patience, Ezekiel se tourna de nouveau vers moi et de son bras, il me plaqua contre la paroi du cercueil. Très vite, n’ayant pas le temps d’avoir réellement peur, il me présenta son poignet dont il venait de couper la veine. Après un court instant d’hésitation, ce ne fut pas ma raison qui me poussa à l’attraper et je m’abreuvais de son sang qui coulait à flot. Je n’aurais su décrire le bien que cela me prodigua. Son sang coulait à flot dans ma gorge et pour rien au monde je n’aurais voulu que cela cesse. Une sensation de chaleur engourdissait peu à peu mes membres, m’enivrant comme jamais. Je perdais peu à peu tous ressentiments, ne vivant plus que pour ce sang qui caressait mes lèvres avec volupté. Chaque goûte de ce liquide carmin m’était la plus précieuse du monde, et je me faisais violence pour ne pas penser à sa provenance. Puis, jugeant que j’avais suffisamment bu, il retira son poignet, accompagné d’un sentiment de frustration pour ma part. Celui-ci fut vite tu par sa voix froide et sèche qui m’intima :
-              Maintenant dors !
Provisoirement serein, je me laissais aller à fermer les yeux, suivant de peu Ezekiel dans son sommeil. Des peurs sourdes et profondes m’envahir pendant mon sommeil et je ne trouvais qu’un corps proche du mien comme réconfort à cette solitude qui commençait à me ronger. J’avais beau détester cet homme pour ce qu’il m’avait fait et ce qu’il allait me faire, il était maintenant le seul à faire parti de mon monde.
Je ne me réveillais que lorsque je sentis Ezekiel quitter le cercueil. Prenant sur le temps de me préparer à une nouvelle nuit en sa compagnie. Lorsque je consentis enfin à me lever, je le vis assis sur la rambarde du balcon, qui donnait le jardin. Il semblait contempler le ciel, observant la lune et les étoiles. Ses cheveux tombaient délicatement sur ses épaules. Je ne pouvais nier qu’il était vraiment un être de toute beauté, une beauté mortelle. Assis ainsi, il ne sembla pas percevoir ma présence. Quelque chose semblait émanait de lui. A le voir seul ainsi, à regarder vers un espace infini semblable à sa vie d’immortel, il reflétait une certaine mélancolie. Je ne savais pas si cela venait de moi, projetant mon état sur le sien, où s’il souffrait réellement. Arrivé à sa hauteur, d’une voix douce à laquelle je ne m’attendais pas, je lui demandai, me surprenant moi-même :
-              Vous allez bien ?
Il se tourna vers moi, mais ne répondit rien, se contentant de me fixer de son regard perçant qui me rappelait sans cesse sa supériorité sur moi. Je ne pouvais nier le fait que j’étais contraint par lui, et non libre comme il l’aspirait pour sa propre vie. Le vampire que j’avais devant moi semblait être bien plus complexe que je ne le pensais. Je n’eus pas le temps d’aller plus avant dans mes réflexions. Il se détourna soudainement de moi et avant que je n’ai eut le temps de dire quoi que ce soir, il déclarait, d’un ton un peu trop sec et cassant :

-              Il est temps de t’apprendre à chasser…

Sur ces mots, nous nous mîmes en route et il me conduisit dans la taverne la plus réputée de la ville pour la classe sociale de personne qui s’y rendait. Si j’avais pu entrapercevoir Ezekiel assez torturé à notre réveil, ce n’était plus le cas maintenant. Il était redevenu le vampire froid parti en chasse. J’avais peur de comprendre ce qu’il attendait de moi, et l’angoisse commençait à me nouer les entrailles. Rien que le terme « chasser » me dérangeait. Je savais que nous devions nous nourrir de sang humain, mais l’idée de devoir tuer m’était impossible. Sans chercher à dissimuler notre présence, nous traversâmes la salle bondée pour aller nous asseoir à une table située dans le fond de la pièce, là où la lumière tamisée semblait nous assurée un minimum de discrétion. Une fois que nous fûmes confortablement installés sur la banquette de velours noir, je vis Ezekiel scruté la foule tel un prédateur choisissant avec méticulosité sa proie future. Si j’avais déjà côtoyé la foule du temps de mon vivant, c’était maintenant une expérience complètement nouvelle. Chaque personne avait une odeur différente, chaque sang coulant dans leur veine semblait avoir un goût différent. Un nouvel instinct était en train de naître et de croître en moi, et je n’avais de cesse que de le réprimer. A plusieurs reprises, des femmes de bonnes compagnies cherchèrent à se joindre à nous, mais il les rejetait sans ménagement, à monplus grand étonnement. Ezekiel prit alors du temps pour m’expliquer :
-              Des chasseurs de notre rang se doivent de chasser des proies de qualité. Et quel plaisir y a-t-il à chasser des proies qui se jettent sous nos crocs… Non, le mieux, c’est d’attendre qu’une belle jeune fille pure et innocente s’égare en ce lieu…
Je ne pus que lui adresser un regard outré et empli d’effroi alors qu’il éclatait de rire. Plus le temps passait et plus je le pensais complètement fou. Malheureusement, après peu de temps, je vis Ezekiel figer son regard sur une jeune fille, dans la fleur de l’âge. Emmitouflée dans une longue cape de tissus de qualité, je pouvais sentir émaner d’elle, tout comme Ezekiel, une amère odeur de tristesse. Horrifié qu’il la choisisse, je ne fis cependant aucun commentaire, me contentant d’observer la proie et le prédateur, me refusant à y être impliqué. Lorsqu’elle quitta la taverne, la mort dans l’âme, Ezekiel se leva et partit à sa suite. Je le suivis de près, ne pouvant faire autre chose. Nous la suivîmes durant un bien trop long moment à travers les ruelles sombres et mal éclairées, lieu parfait pour le crime qu’il allait commettre. Alors que sa proie tournait au détour d’une ruelle, il se tourna vers moi et déclara, une lueur de malice malsaine au fond des yeux :
-              Observe !

Sans plus de cérémonies, il m’abandonna derrière lui et reprit son jeu. La fille s’était rendue compte de notre présence et je parvenais à entendre malgré moi son battement cardiaque accélérer considérablement alors que la peur grandissait en elle. Jouissant de son pouvoir, il continua un instant à l’observer avant de finalement se montrer à elle. Je ne comprenais pas comment l’on pouvait être aussi vicieux et mauvais, à dix mille lieu d’y voir une quelconque forme de plaisir à exécuter cela. A sa vue et semblant comprendre que sa vie était à présent entre les mains de ce monstre, elle laissa échapper un sanglot de terreur et s’agenouilla lamentablement à ses pieds, le suppliant :

-              Je vous en prie, sanglota-t-elle. Ne me tuez pas…
Alors que je pensais un instant possible qu’Ezekiel accède à sa requête, il lui demanda avec un calme qui contrastait avec l’intensité qui régnait autour de nous :
-              Et pourquoi t’épargnerais-je ? Tu empestes la tristesse et le mal-être à des kilomètres, je peux te soulager… Ne t’inquiète pas, ajouta-t-il en la relevant. Tu ne sentiras rien…

Et avant qu’elle n’ait le temps de réagir, il planta ses crocs dans la veine chaude et palpitante de son cou. Même si la faim me tiraillait les entrailles, le dégoût et l’horreur furent plus fort. Si c’était cela être vampire, alors jamais je ne suivrais ma nature.

Avant qu’elle ne trépasse, Ezekiel m’appela et m’invita à le rejoindre avant de me jeter le corps inerte mais toujours vivant de la jeune fille dans mes bras, m’intimant l’ordre de l’achever. Engourdis par l’odeur du sang qui vint instantanément caresser mes sens, je commençais à abaisser ma tête vers le cou ensanglanté de la jeune fille. Sentant son cœur extrêmement ralentis, je repris conscience de ce qu’il était en train de me demander de faire. Rejetant le corps inerte de la jeune fille comme s’il me brûlait le corps, je m’exclamai :

-             Je ne peux pas… Vous me demandez de la tuer…

-              Je te demande d’assumer ce que tu es ! S’exclama-t-il furieux face à ma réaction. Abandonne ton humanité Alakhiel, elle ne t’est plus d’aucune utilité.

Je ne pus que lui adresser un regard apeuré, totalement terrifié, avant de finalement m’enfuir en courant, seule et unique solution qui s’imposait à moi. Je courus aussi vite que mes capacités me le permettait. Cependant, sachant pertinemment qu’il finirait par me rattraper, je finis par m’arrêter sur le banc d’un parc, tremblant légèrement d’émotions toutes plus puissantes et violentes les unes que les autres. Ezekiel arriva après très peu de temps, sa colère étant si forte qu’elle me vrillait les tempes. Arrivé à ma hauteur, il m’attrapa par le col, sans me laisser le temps de réagir, et me souleva de terre, comme si je ne pesais rien. Une chose était sûre, même si je devais maintenant subir sa colère, jamais je ne regretterais de ne pas avoir mis fin aux jours de cette jeune fille.

-              Cesse immédiatement ces simagrées ! Tu es un vampire Alakhiel, comporte-toi comme tel ! S’exclama-t-il hors de lui. C’est cette fille qui te rend si faible… Peut-être devrais-je la tuer, pour qu’enfin tu te la sortes de la tête ! Elle te rend faible et misérable, tu ne vaux strictement rien Alakhiel, tu es pathétique.
Si je pouvais supporter sa violence aussi bien verbale que physique, le simple fait qu’il menace de toucher à Elisabeth me mit hors de moi. Un éclair de rage traversa mes prunelles, et d’un geste vif, sans la moindre réflexion, je laissais ma main atterrir sur sa joue. De surprise, il me lâcha et je me reculais précipitamment de quelques pas, réalisant la portée de mon geste, tandis qu’il portait sa main à sa joue. Une fine coupure zébrait sa joue et une goutte de sang s’en échappait. Un sourire démonique étira ses lèvres faisant vibrer mon être de crainte, tandis que la coupure cicatrisait instantanément. Léchant la goutte de sang qui perlait sur son doigt, il s’approcha de moi, et d’un geste vif que je n’eus pas le temps d’intercepté, il me saisit par le cou et me souleva à bout de bras. Suffoquant, je pus l’entendre me dire :
-              Ne recommence jamais ça !

Et sans la moindre considération pour ma personne, il me jeta plus loin avant d’ajouter :

-              Si tu ne veux pas te nourrir soit, mais ne compte pas sur moi pour t’aider comme je l’ai fait la dernière fois. Nous verrons bien combien de temps tu tiendras le ventre vide, mais à mon avis, tu changeras vite d’avis lorsque tu commenceras à ressentir la faim. Maintenant vient, il nous reste une course à faire.

Paris, 16 avril 1752

Ce soir là, comme tous les soirs précédents, je suivais Ezekiel lors de ses chasses nocturnes, celui-ci gardant le vain espoir que je daigne enfin chasser ma première proie. Cela faisait maintenant trois jours que je n’avais toujours pas bu de sang, et la faim me rongeait constamment l’esprit. Je passais la journée à me tordre dans tous les sens dans mon cercueil, tentant de faire taire cette douleur qui possédait mon corps si violemment qu’elle me faisait perdre la raison. La seule chose qui m’aider à tenir, était de penser qu’il n’y avait rien de pire que de tuer. En me refusant à vider le sang d’un homme, je n’étais pas encore pleinement vampire. Dans mon cas, il était de toute façon plus facile d’avoir faim que de m’en vouloir à jamais par la suite. Malgré son indifférence, je pouvais sentir malgré moi Ezekiel s’inquiéter pour moi. Bien évidement, je me gardais bien de lui faire savoir, semblant croire que je ne parvenais à aucun moment à lire en lui. Certes, je ne saisissais que furtivement et sans que je m’y attende, de vagues impressions.

La faim revint me brouiller les pensées. Celle-ci était de plus en plus prenante, ses assauts violents ne me laissaient que peu de répit, et j’avais du mal à avoir plusieurs réflexions cohérentes à long terme. Ce soir là, il semblait simplement attendre, que je me décide enfin. Il m’avait enseigné comment vider une proie avec rapidité et efficacité, espérant que j’adopte cette méthode qu’il jugeait comme étant barbare à défaut de savourer le sang de ma victime. Mais cela prouvait qu’il ne pouvait pas m’obliger à manger. Je ne voulais pas céder, pour rien au monde et pourtant, je sentais au plus profond de moi que je ne pourrais échapper à cette tentation sans cesse grandissante qu’en trouvant un moyen de me donner la mort. Et cela m’était impossible, du moins tant qu’Elisabeth serait toujours en vie.

Cependant, alors que nous longions la Seine, mes narines furent chatouillées par cette odeur de sang que je ne pouvais que trouver délicate malgré moi. Humant son odeur à défaut de m’en repaître, je me mis inconsciemment à suivre Ezekiel qui marchait en direction de cette odeur. Plus nous approchions, plus il m’aurait été impossible de faire marche arrière. Nous arrivâmes bientôt sous un pont sous lequel un homme dans la force de l’âme, gisait, assis contre le mur, le corps ensanglanté. Mon corps tremblait presque sous la résistance que je m’imposais. Ezekiel était en train de s’approcher furtivement de lui, de façon à ne pas éveiller ses soupçons. Je ne fis bientôt plus du tout attention à lui, étant hypnotisé par la vision de sang et son odeur au combien délicieuse. Sans vraiment le réaliser, j’avais déjà fait un pas vers lui, marchant dans ce seul sens unique qui m’était imposé. Je finis par marcher vers cet homme à demi conscient, et une fois à sa hauteur, je m’agenouillais près de lui, me mentant en me disant que c’était pour lui porter secours. Du bout des doigts, j’essuyais le sang qui maculait la peau de son cou et les portais à ma bouche. Galvanisé par le goût suave du liquide carmin aux reflets de rubis, je perdis pied. A la seule pensée qu’il allait de toute façon mourir, je me jetais sur lui. C’était comme si me donnant cette excuse, je me lavais du péché que j’allais commettre. Mes crocs entrèrent avec une facilité déconcertante dans la peau de son cou, réalisant ce geste par pur instinct. Sentir la veine palpitante entre mes lèvres dans le cou de ma victime était électrisant. Dans un état second, je me fis enfin taire cette faim qui me refusait un sommeil réparateur depuis plusieurs jours, m’offrant une nouvelle jeunesse. Avec avidité, je me remplissais de ce liquide vital, souhaitant que cet instant magique ne prenne jamais fin. Malheureusement, ce fut Ezekiel qui me ramena à la réalité, me déclara d’une voix douce :
-              Cela suffit Alakhiel… Il faut t’arrêter maintenant, ne bois jamais de sang mort. Il faut t’arrêter juste avant que le cœur ne cesse de battre…
Trop brusquement ramené à la réalité, je relâchais le cadavre que j’avais attiré à moi pour mieux le vider de son sang. J’avais fais cela avec tellement de facilité, qu’un vide abyssale se tenait sous mes pieds. Ne pouvant supporter cette vue, symbolisant mon humanité à jamais perdu, je finis par me relever, fuyant comme rarement il m’était arrivé de le faire, fuyant ce que j’étais vraiment. Je pus entendre Ezekiel éclater de rire et me crier :
-              On ne renie pas sa vraie nature Alakiel… Tu es fait pour tuer…
Je pouvais encore sentir ce sang si doux coulant généreusement dans ma gorge. Cela m’avait fait tellement de bien… Et pourtant je venais de commettre ce contre quoi je m’étais battu pendant plusieurs jours. J’étais devenu un monstre et plus jamais je ne pourrais redevenir celui que j’étais. Il fallait que je me fasse une raison, Elisabeth m’était à jamais interdite. En même temps que le sang de cet homme coulait dans mes veines, je me sentais investie de cette solitude si cruelle qui je le savais, m’accompagnerait à jamais.
Ezekiel ne tarda pas à me rejoindre, s’asseyant sur le même banc que le mien. Je m’y étais installé sans trop m’en rendre compte, trop perdu dans ma détresse. C’est alors que je sentis sa main se poser sur ma cuisse, en un geste qui m’apaisa plus que je ne l’aurais cru. N’ayant que lui, et craquant à cause de cet élément déclencheur, je me mis à pleurer, ne cherchant pas à dissimuler mes sanglots, et posai ma tête sur son épaule, ayant plus que tout besoin de réconfort, le trouvant dans celui qui était la cause de tout. C’était le seul avec qui j’avais pu avoir un contact, le seul avec qui je pouvais parler, l’unique être qui faisait partit de mon monde. Et bien que je nourrissais pour lui une rancœur sourde, il était la seule épaule sur laquelle je pouvais m’épancher. Ezekiel resta parfaitement immobile, comme s’il ne savait que faire. Comprenant sa réaction et trouvant que j’étais peut être aller un peu trop loin, je finis par retirer ma tête en m’excusant, honteux mais toujours meurtri. Il me regarda étrangement, alors que les larmes roulaient silencieusement sur mes joues bien moins pâles depuis mon repas. Du bout du pouce, il essuya les larmes qui perlaient aux coins de mes yeux et délicatement, ses lèvres prirent possession des miennes pour un baiser des plus tendres dont seule la lune fut témoin. Je ne savais pas vraiment ce qui me poussais à échanger ce baiser avec lui, je savais juste que j’en avais besoin et envie. Comme mû par une force qui m’était inconnue, je le laissais goûter les lèvres. Cette fois-ci, ce n’était pas comme la dernière fois. Il ne me forçait pas, je possédais entièrement ma force de volonté, et je pouvais y mettre fin lorsque je le désirais. A mon plus grand étonnement, ce fut même moi qui approfondit notre échange. Ma langue timide et hésitante, vint quémander l’accès à ses lèvres afin d’aller rejoindre sa jumelle pour l’entraîner dans un ballet des plus sensuels. Avec délicatesse et douceur qui contrastait avec sa force de caractère, je caressais langoureusement la sienne, comme pour lui faire découvrir quelque chose qui lui était inconnu, tout comme cela l’était pour moi.
Soudain, Ezekiel s’écarta précipitamment, comme réalisant ce qu’il venait de faire. Dans un sursaut d’effroi, il mit donc fin au baiser. J’ignorais pourquoi mon cœur se serra à cet instant, ce baiser prenait une teinte d’interdit. Il me sembla voir de la crainte dans ses yeux, chose que je n’aurais jamais crue possible venant de sa part.

Sans un mot, il se détourna de moi, et prit la direction du manoir.
Le chemin du retour, s’effectua dans un silence monastique, et l’inquiétude de son état, me fit oublier la mort que j’avais donné à un homme. Comme envoûté, je le suivais pas à pas, rechignant à m’éloigner plus de lui. Alors que les premiers rayons du soleil commençaient à illuminer le ciel, nous regagnâmes la chambre où était entreposé nos deux cercueils. Après m’avoir prononcé de brèves paroles, il referma son cercueil me laissant seul. Résigné, j’allais faire de même, mes yeux restèrent figés sur lui, comme incapable de me résoudre à rejoindre le mien. Quelque chose avait changé entre nous, à l’instant même où j’avais accompli ma véritable nature, je m’étais lié à lui, seul être qui empêcherait cette solitude de m’envahir et qui au combien me faisait trembler. Sans vraiment réaliser mes faits et gestes, je me dirigeai vers son cercueil et l’ouvrit. Il était là, étendu, me fixa de son regard plein d’effroi. Je me rappelais de ma nuit avec lui, dans ce même lieu exiguë. Accepterait-il au moins cette nuit, une nouvelle fois ma présence près de lui ?

Le fixant longuement, il finit par comprendre, et après avoir soupiré de lassitude il finit par se décaler sur le côté en une invitation explicite à venir le rejoindre. Je ne me fis pas prier et je vins instantanément à ses côtés, fermant le cercueil avant de me blottir contre lui. C’est enlacé l’un contre l’autre que nous parvînmes finalement à trouver le sommeil.

Paris, 1er décembre 1759

Les mois défilèrent, puis les années durant lesquelles nous menâmes paisiblement notre vie de vampire, vivant ignoré de tous, tuant nos proies lors de soirées mondaines auxquelles Ezekiel aimait à se rendre dans l’ombre.
Nous menions une vie plutôt calme, régie par nos fréquentes disputes. Mon premier meurtre était maintenant loin dernière une série d’autres bien trop longue, et pourtant, je ne parvenais pas à prendre autant de plaisir que mon semblable, ne tuant vite et bien que lorsque c’était nécessaire.
Une seule chose menaçait notre équilibre apparent, comme ce soir là, où je m’étais encore rendu malgré les risques, devant la maison d’Elisabeth. Cette nuit, emprunt d’un profond sentiment de mélancolie, je ne parvenais pas à me décider à partir de ce lieu, contemplant jusqu’aux derniers instants qui m’étaient possible Elisabeth assez proche de l’éveil et entendre chacun de ses battements de cœur faisait comme vibrer le mien. Perdu dans mes pensées, je ne me rendais même pas compte que le matin était bien trop proche, chose dangereuse en soit… Je ne m’en rendis compte que trop tard…
Je fus brusquement attrapé par l’épaule par Ezekiel, pour me retrouver face à lui. La violence de son geste n’était rien par rapport à celle que je pouvais déceler sur son visage. Sa main s’abattit sur ma joue avec une brutalité que je ne lui avais jamais connue, me faisant chanceler sous le coup porté. D’une voix dangereusement basse qui provoqua chez moi de violents frissons de terreur, il déclara :
-              Il me semble que nous nous étions mis d’accord sur ce point, non ? Tu as rompu notre accord, alors assume tes actes et regarde la mourir…
-              Nooon ! M’exclamai-je, en sentant vibrer mon âme de douleur et de peur.
Instinctivement, je me plaçais entre lui et la maison où elle vivait. De toutes mes forces, j’allais empêcher cela, même si je devais le payer de ma vie. Ezekiel se jeta sur moi, me poussant brutalement sur le côté de façon à lui libérer le passage. Dépassant mes capacités, il entra dans la maison, sans que je puisse le rattraper. A peine fut-il dans sa chambre, qu’il l’attrapa Elisabeth par le cou, un sourire dépeint sur ses lèvres tel que je les haïssais. Alors qu’il allait planter ses crocs dans la veine qui palpitait au niveau de son cou, je me jetais de toutes mes forces sur lui dans le but de lui faire lâcher prise, ignorant volontairement que tout cela était vain. D’un revers de la main, il m’expulsa de nouveau. En me voyant tomber, Elisabeth poussa un cri d’horreur et d’une voix emplie de surprise, elle s’exclama :
-              A… Adriel ? Est-ce vous ? Je vous en prie… Dites-moi ce qui se passe…
A l’entente de mon nom d’humain, tout me revint clairement. La soirée où tout avait basculé. Adriel… C’était mon vrai nom. Je n’étais pas ce qu’Ezekiel avait tenté de me faire croire. Je ne pus que murmurer son nom d’une voix brisée et emprunte de tristesse. Mais Ezekiel ne semblait pas vouloir me laisser de répits, ce n’était pas dans sa nature, tout en lui respirait le mal…
-              Comme tu l’aimes ta belle jouvencelle, clama-t-il en riant avant de reprendre plus enragé que jamais. Tu risque ta peau pour cette catin, s’exclama-t-il furieux, mais avec quoi est ce que tu réfléchis ?

Elisabeth émit un cri de surprise face à son excès de rage, et reportant son attention sur elle, il déclara calmement, un sourire diabolique étirant ses lèvres :
-              Ici s’arrête ta vie ma chère… Quel dommage, de mourir si jeune par le simple fait qu’il soit amoureux de toi… Tout cela est de ta faute vois-tu !

-              Qu’est ce que… Qu’est ce que tout cela signifie ? Demanda Elisabeth en palissant soudainement, se tourna vers moi, toujours étendu sur le sol, trop faible pour faire quoi que ce soit.
Chaque mot prononcé par Ezekiel était un poids supplémentaire, nourrissant cependant ma haine.
-              Adriel… Expliquez-moi ce qui se passe, je vous en prie… Que signifie tout cela ?

Aussitôt, Ezekiel m’attrapa par le cou et en un lien d’œil, je fus entre ses bras, lamentable et vulnérable dans le reflet de ses yeux. Tout contact avec lui me révulsait, mais pas autant que son être et ses actes. D’une voix qui cachait mal le sentiment de délectation qui le faisait vibrer de satisfaction, il déclara sans se départir de son maudit sourire :

-              Oui, Alakhiel, explique-lui ! Dis lui comment elle va mourir !
Dans un vain espoir, je gémis pitoyablement :

-              Je vous en prie. Epargnez-là… Je… Je ferais ce que vous voudrez…
-              Tu m’as déjà servi ce refrain la dernière fois, s’exclama-t-il furieusement.
Puis, se tournant vers Elisabeth, il la saisit par les cheveux et d’un geste vif, son visage sur à seulement quelques centimètres du mien. Tout mon corps était criblé de douleur, comme des spasmes qui semblaient ne jamais prendre fin, m’empêchant de faire quoi que ce soit. Une lueur bestiale et malsaine étincela dans son regard de braise, tandis que d’une voix redevenue calme, il déclara, caressant tendrement les cheveux soyeux d’Elisabeth, humant son odeur à plein nez :
-              Ton cœur bat si vite… Aurais-tu peur ? Peur de mourir ? Je peux entendre les battements frénétique de ton cœur qui s’emballe dans ta poitrine, murmura-il en posant sa main sur son cœur. Je peux sentir ton sang palpiter dans tes veines qui ressortent sous ta peau pâle en une sensuelle invitation à venir y goûter… Me laisseras-tu boire ton sang, ma chère ? Je frémis à l’idée de sentir l’exquise volupté de ton sang se répandre dans ma gorge, tiède et savoureux comme le plus doux des arômes, de te sentir t’amollir dans mes bras alors que je te vide de ton sang avec une lenteur extrême qui te mènera de vie à trépas en une longue et interminable attente. Puis, ton corps finira par se raidir totalement alors que j’aspirerais hors de toi la dernière goutte de ton sang, comblant mon désir insatiable et à ce moment là seulement, tu rendras ton dernier souffle. A jamais belle, froide comme une pierre tombale, tu erreras dans la mort…

Effrayé tout autant que je l’étais, mais pour d’autres raison, Elisabeth laissa s’échapper un hoquet de sanglot, alors que son regard se détournait de celui du monstre. Puis d’une voix suppliante, elle s’exclame :
-              Libérez-moi, je vous en prie… Laissez-moi m’en aller…

Sa main n’emprisonnant plus mon cou, il continuait d’exercer une pression insoutenable sur moi. Je pouvais le sentir frissonner de pure exaltation, prenant plaisir à lui torturer l’esprit, encore plus qu’avec ses autres proies.

Un sourire cruel naquit sur ses lèvres et la vue de l’étincelle meurtrière qui luisait dans ses yeux me réveilla de mon effroi. Je me jetais une fois de plus sur lui, afin de tenter de protéger Elisabeth d’une mort certaine. Mais comme la première fois, ce fut peine perdue. Me saisissant par le cou, il me porta à bout de bras, tandis que mes mains attrapaient ses poignets, je tentais désespérément de lui faire lâcher prise. Comme perdu dans sa folie, une idée sembla lui traverser l’esprit, et avec un rictus satanique dépeint sur le visage, il déclara :
-              Et si… Au lieu de la tuer, je lui offrais le don obscur ?

Je ne répondis rien, en étant de toute façon incapable, me contentant de me débattre alors qu’il amplifiait la pression de ses doigts autour de mon cou en une menace non feinte. C’était une chose de suffoquer en étant humain, mais mes nouvelles perceptions de vampire me rendaient le mal-être encore plus abominable et éprouvant. Lentement, il amplifiait la pression, me faisant perdre peu à peu conscience. Il me ramena vers lui, et lorsque mon visage ne fut qu’à quelques centimètres du sien, il déclara :

-              J’ai laissé passer trop de choses ces dernières années, Alakhiel, j’ai été beaucoup trop indulgent avec toi. Sais-tu pourquoi je t’ai choisi ? Parce que tu as cette haine et cette rage en toi, mais trop attaché à ta vie humaine, tu te refuses à laisser ta vraie nature rependre le dessus. Tu est lâche et misérable Alakhiel, tu ne vaux absolument rien. J’aurais mieux fait de te laisser mourir après t’avoir vidé de tons sang au lieu de faire de toi un enfant de la nuit.
-              Vous êtes un monstre, soufflais-je.
Je rajoutais, plus pour me convaincre que pour le convaincre lui :
-              Je ne suis pas comme vous…
-              Oh si tu l’es, murmura-t-il. Toi et moi nous sommes pareil… Nous sommes nés pour tuer, Alakhiel…
Son esprit s’infiltrait dans le mien, sans qu’il en ait véritablement conscience, tentant de me faire ployer sous sa volonté.
-              Arrêtez ça tout de suite ! M’écriais-je.
-              Alors prends-là, Alakhiel ! S’écria-t-il. Tue-la et débarrasse-toi de cette humanité qui te ronge. Pour toi la souffrance est atroce, tu la ressens parce que tu es un vampire, Alakhiel, cesse de renier ta vraie nature… Tu résiste au seul remède qui t’apporterais la paix…
Le pire était de savoir que ses paroles était empreinte de vérité. A bout de force moralement, je m’exclamais tout de même :
-              Je ne peux pas …
-              Songe gamin, que tout ce qui t’attend, c’est de la regarder vieillir au fil des années, annihilant toutes possibilités d’être un jour un vampire sain d’esprit, noble et puissant. Tu t’adonnes à tes remords et à ta culpabilité que tu chéries tant et tombe dans la décadence…
-              Taisez-vous, le suppliais-je, cessant de me débattre pour porter mes mains à mes oreilles, dans l’espoir d’échapper à cette vérité trop cruel qui me frappais brutalement.
Ezekiel voyait plus profondément en moi que je n’en serais jamais capable ; une vérité qui ne devait m’être dévoilé.
Sans tenir compte de mes supplications, il poursuivit son réquisitoire passionné :
-              Tu es un vampire de la pire espèce… Amoureux de tes remords et de ta culpabilité, tu te complains dans ton malheur et ta souffrance alors que tu as la possibilité de tout faire cesser…
Me lâchant, il se retourna vers Elisabeth pétrifiée de terreur et d’un violent coup de coude, il la bouscula dans mes bras, m’offrant le contact que je n’avais jamais eu d’elle durant ma vie humaine, faute de l’avoir espéré. Son cœur battait si vite… Et sa peur venait vriller mes tympans. Comment pouvait-il jouir de pareille souffrance d’autrui ?
-              Tu as le choix, déclara-t-il. Tu as la possibilité de la tuer rapidement sans la faire souffrir ou de prendre ton temps, mais fait le ! Tue-la ! Si tu ne le fais pas, c’est moi qui m’en chargerais et ce ne sera pas de la manière la plus douce. Si c’est moi qui la tue, elle agonisera lentement dans d’atroces souffrances… A toi de prendre ta décision, Alakhiel !
Je ne supportais plus qu’il m’appelle ainsi. Si je ne détenais pas la vie d’Elisabeth entre mes mains, j’aurais ôté la mienne sur le champ. J’étais incapable de protéger celle que j’aimais. Je restais silencieux, immobile, pitoyable comme il le disait… A bout de patience, il s’exclama, de plus en plus énervé :
-              Ma patience à des limites !
Une rage immonde semblait luttait dans l’esprit de Ezekiel, prêt à tout pour arrivé à ses fins. Constatant que je me refusais encore à lui ôter la vie, me demandant une chose que je ne pouvais faire, déchiré entre les deux seules possibilités que je ne pouvais et ne voulais pas voir accomplie, Ezekiel saisit violemment Elisabeth par les cheveux et l’attira à lui sans aucun ménagement. Elle laissa s’échapper un cri de surprise qui se transforma bien vite en hurlement de terreur alors qu’il découvrait ses canines acérées avant de plonger dans son cou, la maintenant fermement contre lui. Cette image : j’avais prié ne jamais la voir. Ezekiel avait raison, sa mort entraînerait la mort de ma vie humaine. Mais il se trompait, jamais sa mort ne me permettrait de devenir un vampire comme lui. En me choisissant, il s’était condamné à voir en moi un être qui le révulserait…

Entrant soudain dans un état second, je me jetais sur lui, le projetant violemment sur le sol avec une force que je m’ignorais. Sans perdre de temps, fou de désespoir, laissant échapper toute haine, enroulant Elisabeth dans un flot d’amour perçut uniquement par elle et invisible aux yeux de tous, je mordis profondément dans la gorge de ma bien-aimée, aspirant le sang qui s’échapper de la plaie causées par mes canines.
Je fis vite, me surprenant tout de même à savourer ce goût si différent de tous les autres, aspirant la vie d’Elisabeth, me condamnant à jamais. Plus sa vie s’échappait plus je me sentais sombrer. Ezekiel m’avait détruit, tout comme il le faisait avec le reste du monde. Alors que les battements de son cœur allaient cesser, je fus brutalement entraîné par Ezekiel dans l’endroit le plus sombre de la pièce, s’avisant du jour qui se levait. M’empêchant de pleurer sa mort, d’admirer une dernière fois son corps animé par un souffle de vie, je me laissais faire. Hagard, je ne savais pas ce qu’il faisait, mais je fus brusquement jetais dans une pièce totalement noire par Ezekiel, avant qu’il ne m’y rejoigne. Fermant la trappe par laquelle nous étions rentrés. Perdu, je me laissais tomber à genoux sur la pierre glacée et humide. Ezekiel déclama furieux plusieurs paroles que je ne pris pas la peine d’écouter, en étant tout bonnement incapable. J’étais vide… Le goût du sang de celle que j’avais aimé était encore imprimé dans ma bouche. J’étais pris de stupeur d’avoir aimé le goût de son sang, la saveur de sa vie… C’était le meilleur que je n’avais jamais bu.  Son sang coulaient maintenant dans mes veines, me rendant compte que j’y avait pris du plaisir. Aussi, je me contentais de murmurer une pensée qui s’imposait à moi :
-              Notre place est en enfer…
Ezekiel ne répondit rien, me laissant seul et s’éloignant de moi. Je rampais jusqu’au coin opposé au sien, comme si je m’éloignais du propre mal qui m’habitait à présent, celui que j’avais toujours fuit. Il avait finit par me rattraper, et de la plus odieuse des façons qui soit…

Durant les jours qui suivirent, j’étais comme éteint. Plus rien n’attirait mon regard, me laissant dépérir en perdant cette vie qui m’avait animé toutes ses années. Le manoir était devenu mon seul lieu de vie, ne chassant plus que quelques rats au détour d’un couloir lorsque la faim était trop douloureuse. Ezekiel poursuivait sa vie de vampire, sortant chaque jour, constatant dans son regard lorsqu’il se déposait sur moi qu’il me perdait…

Paris, 16 décembre 1759

Encore une nuit de plus qui commençait, une nuit si infinie et si cruelle. Chaque jour, je rêvais de la mort d’Elisabeth et de cet instant avec Ezekiel, et à peine eussè-je ouvert les yeux que je me sentais accablé par ce poids qu’aucun humain n’aurait pu soutenir. Cette nuit là cependant, quelque chose changea et ce dès mon réveil. Alors que je pouvais entendre Ezekiel quitter le manoir, je sus que je ne pourrais supporter sa vue une fois de plus. Je me trouverais la paix en sa présence qu’en lui donnant la mort, et cela j’en étais incapable. Cette nuit là, je me sentais étouffé, et je pris la décision de faire ce que depuis longtemps j’aurais du faire. Fuyant la solitude, j’avais été responsable de la mort d’Elisabeth, mais cela ne me faisait pas lui pardonner. C’est uniquement seul que je pourrais m’en remettre, ou du moins, seul que je pourrais décider moi-même de mon avenir. J’étais sur le balcon, enroulé dans une cape qu’Ezekiel m’avait offert un an auparavant. J’avais vécu beaucoup avec lui, en si peu d’années, mais notre séparation était inévitable. Me redressant, vacillant à cause du manque de sang, je pris ma décision. Sautant du balcon, j’atterris un peu trop lourdement sur le sol. Mais cela ne m’empêcha pas d’entamer une course à une allure raisonnable. Il fallait que je m’éloigne.
Au fond de moi, une petite voix me murmurait que ce n’était pas un adieu définitif et que je serais amené à le revoir. Mais cela entraînerait forcément la fin de l’un de nous deux…

7
mai

Silent scream - Chapitre 3

   Ecrit par : admin   in Silent scream

Chapitre 3 écrit par Shinigami

Quelque peu étourdit par la quantité de sang que je venais de perdre, je me reculais précipitamment de ma victime, réalisant seulement à la vue du sang qui maculait son torse et les draps blancs, l’ampleur de la conséquence de mon égoïsme. Etendu sous mes yeux, le corps de ma victime était parcouru de spasmes et de contractures de plus en plus violents, signe indéniable que la mort allait subvenir dans peu de temps. Les yeux révulsés et la bouche entrouverte en un cri de douleur muet, je pouvais sentir une peur sourde émaner de l’homme qui agonisait face à moi. Sans que je ne sache pourquoi, mon cœur se contracta douloureusement à cette vision. J’avais cette horrible sensation qui s’emparait de moi, cette impression que je n’avais pas ressentie depuis bien des décennies, et cela me donnait la nausée.

Pour la première fois depuis plus de cent cinquante ans, je me trouvais monstrueux. L’innocence et la pureté de ce jeune homme m’avait fait faire un saut dans le passé et je m’étais revu à sa place. L’odeur suave et électrisante du sang me ramenait irrémédiablement dans mes souvenirs, durant cette nuit de carnage où tout a commencé… Je m’en souvenais comme si cela s’était passé la veille. Seul le cadre était différent, mais je m’apercevais qu’en fin de compte, je n’étais pas si différent de lui… A cette idée, je fus pris d’une violente envie de vomir et me précipitais à la salle de bain attenante à la chambre, tandis que sur le lit, ma victime rendait son dernier souffle.

Lorsque je reviens, je posais immédiatement mon regard sur lui, hypnotisé par la mort que l’avait finalement emporté. La pâleur naturelle de sa peau additionnée à la pâleur de la mort lui donnait un teint cadavérique que je ne pouvais m’empêcher de trouver terriblement sensuel. D’un pas chancelant, je revins m’asseoir au chevet de ma victime et pris mon mal en patience. A présent, je devais attendre. De temps en temps, je me levais et faisais quelques pas dans la chambre, allant verrouiller la porte et tirer les rideaux, l’aurore n’allant pas tarder à se lever.

Après un brin de toilette, j’en fis de même pour ma victime avant de le revêtir. Lorsque le jour se leva, je m’installais dans le lit aux côtés du corps inerte de ma victime et après avoir vérifié que tout était en ordre, je m’endormis d’un sommeil profond duquel je ne sortirais qu’à la tombée de la nuit.

Comme je l’avais prédis, ce ne fut que quelques minutes après le couché du soleil que je me réveillais. Cependant, ce ne fus pas le réveil auquel je m’attendais. Je sentais que l’on s’agitait à mes côtés et je pouvais ressentir une peur croissante me comprimer les tempes. Aussitôt, j’ouvris automatiquement les yeux, comprenant que mon nouveau compagnon venait de s’éveiller au monde de la nuit.

Si passé un temps je l’avais trouvé incroyablement beau, à présent, sa métamorphose en créature de la nuit ne faisait que renforcer sa perfection et son teint d’une pâleur mortelle lui donnait un tout autre charme mystique mais tout aussi sensuel. Si j’avais été troublé plus que je ne l’aurais dû par cette vision que s’offrait à moi, je retrouvais bien vite mon assurance habituelle et d’une voix légèrement moqueuse, je déclarais :

- Alors, c’est que maintenant que tu te réveilles ? Je t’attends depuis un moment déjà…

Je le vis sursauter à l’entente de ma voix et se tournant vers moi, il s’exclama, visiblement furieux, sans prendre le temps de répondre à ma question :

- Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Que m’avez-vous fait ?

- Commence déjà par te calmer, répondis-je d’un ton sec qui n’acceptait pas de réponse.

Cela parut avoir son effet car aussitôt, le silence se fit dans la chambre.

- T’es calmé ? Demandais-je plus en guise de confirmation que dans l’attente d’une réponse.

Mon vis à vis m’adressa un regard meurtrier et la nouvelle étincelle qui brillait dans ses yeux s’enflamma ardemment sous l’excès de colère et de haine qu’il semblait me vouer. Cependant, ne souhaitant pas entrer dans son petit jeu, je déclarais d’une voix calme et posée, synonyme de toute l’assurance qui m’habitait :

- Bonsoir Alakhiel…

- Comment m’avez-vous appelé ? Demanda-t-il, la crainte remplaçant instantanément la colère.

- Alakhiel, répondis-je patiemment.

Je savais que cela ne serait pas facile, mais pourtant, il fallait qu’il s’y habitue et fasse son deuil de son ancienne vie.

- Qui… Qui êtes-vous ? Demanda-t-il son sans appréhension. Qu’est-ce que je fais là ?

Surpris, je lui demandais, sans même répondre à ses questions :

- Tu ne te souviens de rien ?

Assis face à moi, il resta silencieux un instant avant de répondre, visiblement plongé dans ses souvenirs :

- Je… Non, c’est encore tout embrouillé…

- Ne t’inquiète pas, tes souvenirs reviendront, mais pour le moment, il est préférable que tu ne cherches pas à t’en souvenir. C’est encore trop tôt, tu n’es pas assez fort…

- Qu’est-ce qui est encore trop tôt ? De quoi parlez-vous ? Et puis, d’abord qui êtes-vous ? Vous n’avez pas répondu à ma question…

- Je m’appelle Ezekiel, répondis-je avec toujours cette patience que je ne me connaissais pas. Et je suis ton créateur…

- Mon quoi ? S’exclama-t-il.

- Tu ne te souviens vraiment pas ? Hier soir, ajoutais-je face à son hochement de tête négatif, j’ai bu ton sang et j’ai fais de toi une créature de la nuit… Tu es un vampire à présent…

A ces mots, il se mit à rire de façon hystérique, ne croyant pas un mot de ce que je lui racontais. Vexé qu’il ne me prenne pas au sérieux, je m’exclamais peut être un peu trop vivement :

- Regarde-toi ! Regarde tes mains ! Et si cela ne suffit pas, regarde dans ce miroir…

Semblant prendre mon exclamation au sérieux il posa son regard sur ses mains et ses yeux s’agrandirent d’effroi. En effet, celles-ci, comme les miennes lors de ma transformation, s’étaient affinées et ses ongles étaient à présent aussi durs et longs que des griffes acérées.

- Qu’est-ce que vous m’avez fait ? S’écria-t-il furieusement.

- Je te l’ai dit, j’ai fais de toi un vampire… Alakhiel… Prince de la nuit…

Je le vis pâlir à cette appellation et après le moment de surprise et d’incompréhension passé, il se jeta sur moi et me saisissant à la gorge, il s’exclama, les yeux embrumés par les larmes de rage :

- Noon ! Vous mentez !

- Pour quelle raison le ferais-je ? Demandais-je, à présent énervé par son comportement.

Semblant réaliser que tout ceci allait au delà d’une simple farce, il me lâcha comme s’il venait de se brûler au contact de ma peau et se précipita vers la porte et alors qu’il esquissait un geste pour l’ouvrir, celle-ci lui résista. Au bord de l’hystérie, ma victime commença à tambouriner des poings contre la porte en s’écriant :

- Laissez-moi sortir !

- Mais je ne te retiens pas, fis-je remarquer avec calme. Tu es libre de sortir. De plus, ajoutais-je avec ironie et une pointe de sadisme, tu dois avoir faim… Ne le sens-tu pas ? Cet instinct de chasseur qui s’éveille en toi ? Ce désir insatiable qui s’embrase en toi au point de te faire vibrer… Ne frémis-tu pas à la simple idée d’une veine palpitante de vie roulant sous tes crocs, en sentant la vie de ta victime s’échapper de son corps inerte ?

Lentement, Alakhiel se retourna et me lançant un regard perçant, il murmura d’une voix qui cachait mal la peur qui l’habitait :

- Vous êtes complètement fou !

J’éclatais de rire face à cette accusation et le regard qu’il me lança alors n’en fut que plus dur et accusateur. Les yeux brillant d’une lueur de satisfaction, signe de la folie qui m’habitait, j’esquissais un sourire sadique et déclarais :

- Mais qui est le plus fou des deux ? Celui qui le sait ou bien celui qui accuse l’autre ?

Alakhiel resta muet, semblant ne pas s’attendre à une telle réponse de ma part puis reprenant le contrôle de lui-même, il s’exclama :

- Je refuse de devenir votre jouet ! Je ne deviendrais pas comme vous ! Vous êtes le mal en personne et je refuse de finir comme vous, fou à lier et monstrueux !

- Et bien il faudra t’y faire ! M’exclamais-je en retrouvant mon sérieux, lassé par ses lamentations infantiles.

- Jamais ! S’écria-t-il avant de courir à travers la pièce et de sauter par la fenêtre qui vola en éclat.

Un sourire satisfait naquit sur mes lèvres et lentement, je m’approchais de la fenêtre pour le voir se redresser et disparaître dans les ténèbres de cette nuit sans lune. S’il refusait de voir la vérité en face, bien vite, il se rendrait compte que celle-ci était belle et bien réelle. Sa naissance au monde de la nuit l’avait doté de facultés qu’un être humain ne possédait pas et bientôt, il serait forcé d’admettre que sa vie d’avant n’était plus.

Je restais un instant immobile, le regard perdu dans le vide, fixant sans vraiment le voir l’endroit où avait disparu Alakhiel jusqu’à ce que je fus tiré de ma contemplation par des coups frappés à la porte de la chambre. Reprenant mes esprits, je me retournais alors face à mon silence, ils commençaient à enfoncer la porte et après un dernier regard sur la pièce, je sautais à mon tour par la fenêtre.

J’atterris lestement sur le sol, et me redressant rapidement, je m’évanouissais dans la nuit noire avant que quelqu’un n’ait le temps de se rendre compte de ma présence. Je marchais ainsi dans les bois pendant un bon moment avant de finalement arriver dans la ville la plus proche. Un sourire démoniaque étira alors mes lèvres et remontant le col de ma veste devant mon visage, me donnant ainsi un air mystérieux, je commençais ma chasse nocturne, déambulant dans les ruelles sombres à la recherche d’une pauvre âme égarée. Il ne me fallut pas longtemps pour trouver ce que je recherchais. Usant de mon pouvoir, j’attirais ma proie dans l’angle d’une ruelle mal éclairée, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, mes crocs étaient plantés dans sa gorge tandis que son sang coulait onctueusement sur mon menton, alors que j’achevais de prendre sa vie. Une fraction de seconde avant son trépas, je laissais tomber à terre le corps inerte de ma victime et sans un regard pour lui, je quittais les lieux, momentanément rassasié.

J’errais ainsi, sans réel but, outre celui de me nourrir, durant le reste de la nuit et ce ne fus qu’au petit matin que je partis à la recherche de mon nouveau compagnon. A vrai dire, je savais exactement où il était, étant lié à lui mentalement, et j’eus simplement à lire dans ses pensées pour le retrouver. Moins d’un petit quart d’heure plus tard, j’étais de nouveau à ses côtés. Il était là, assis sur un muret à la lisière de la forêt, les yeux rivés sur une petite maison. Arrivant silencieusement, je m’approchais de lui sans qu’il ne s’en aperçoive et dans un murmure, je déclarais :

- Il nous faut partir. Le soleil va bientôt se lever et tu n’as toujours pas mangé. Il faut te nourrir…

- Je ne bougerais pas d’ici, répondit calmement mon compagnon.

Agacé par son attitude puérile, je soupirais de lassitude avant de reprendre, sur un ton qui dissimulait mal mes ressentis :

- Ecoute, je fais cela pour toi, mais si tu préfères te laisser mourir ici c’est ton problème.

- Et qui vous dis que ce n’est pas ce que je souhaite ?

A ces mots, je laissais s’échapper un rire sonore et moqueur qui eut pour effet d’énerver d’avantage mon vis à vis qui m’adressa un regard meurtrier. Pas intimidé le moins du monde, je demandais entre deux éclats de rire :

- Tu crois vraiment que tu serais prêt à l’abandonner ?

Semblant comprendre le sous-entendu, ses yeux s’agrandir d’horreur et d’une voix emplie de terreur, il s’exclama :

- Co… Comment savez-vous ?

- Je sais beaucoup plus de chose que tu ne le penses, répondis-je avec sérieux en m’approchant dangereusement de lui.

Tétanisé, il esquissa un pas en arrière et perdant toute son assurance, il murmura :

- Je… Vous ne lui ferez aucun mal…

- Je ferais ce qui est nécessaire pour que tu l’oublies ! M’exclamais-je menaçant, ne supportant pas de le voir ainsi faible et misérable à cause d’un amour qui ne lui serait jamais rendu.

Face à cette menace implicite, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur et d’une toute petite voix, il s’exclama :

- Je vous en prie, ne la touchez pas… Je ferais ce que vous voudrez, mais épargnez sa vie…

A l’entente de ses mots, je restais un instant stupéfié par une telle supplication tout en fulminant intérieurement de rage. Comment un homme qui à présent faisait partie des créatures de la nuit pouvait-il ainsi s’agenouiller et se rabaisser pour le simple amour d’une femme. Sous l’effet de la rage et de la colère que je ressentais à cet instant, je retenais à grand peine une envie viscérale d’aller égorger cette catin qui le rendait si faible et assujetti pour me repaître de son sang et jouir de cette sensation d’extase qui s’emparait de moi lorsque je sentais ma victime rendre son dernier souffle. Cependant, je restais paralysé face à son visage larmoyant et pour la seconde fois de ma vie, je ne fus plus maître de moi-même. Aussi, je déclarais avec hargne :

- Soit !

Sur ce, je l’empoignais par le col et comme s’il ne pesait rien, je le soulevais au niveau de mon visage et lorsqu’il fut à seulement quelques centimètres de moi, je murmurais :

- Je ne veux plus jamais que tu reviennes à cet endroit. Oublie-là ! Ou je serais forcé de la tuer…

Sur ces menaces, je le lâchais sans ménagement et sans un regard en arrière, je pris le chemin de mon propre manoir. Je n’avais pas besoin de surveiller mon nouveau compagnon, je savais qu’il me suivrait. Il tenait bien trop à sa chère et tendre. Lorsque nous arrivâmes à mon repère, les premiers rayons de soleil pointaient déjà à l’horizon, inondant le ciel de couleurs chatoyantes. Alakhiel n’avait pas mangé, mais cela ne m’importait guère, il se rattraperait la nuit suivante. J’espérais que la faim qui le tiraillerait durant toute la durée de son sommeil le ferait réfléchir sur son comportement.

Une fois arrivés dans la chambre où se trouvait mon cercueil, je me tournais vers Alakhiel et lui adressais la parole :

- Tu dormiras avec moi cette nuit, et demain nous irons te trouver ton propre cercueil.

Avec hésitation, il prit place dans le cercueil dans lequel je dormais et lorsqu’il fut installé, je pris place à ses côtés avant de nous plonger dans le noir. Tout contre moi, je sentais Alakhiel s’agiter, mais n’y prêtant pas plus attention, je fermais les yeux. Cependant, lorsqu’au bout de quelques heures il semblait toujours éveillé, gesticulant dans tous les sens, m’empêchant de trouver le sommeil, je me tournais vers lui et m’exclamais avec agressivité :

- Quand tu auras finis ton cirque peut-être que je pourrais dormir ! C’est de ta faute si t’as faim, alors maintenant tu prends ton mal en patience et tu dors ! La prochaine fois que tu bouges je te fous dehors !

Semblant prendre mes menaces au sérieux, il ne répondit rien et satisfait, je fermais les yeux dans l’espoir d’enfin parvenir à dormir, mais c’était peine perdue. Alors que j’étais sur le point de m’endormir, Alakhiel recommença à bouger dans tous les sens, et à bout de patience, je me tournais vers lui et de mon bras, je le plaquais contre la paroi du cercueil tandis que d’un coup de dent rapide et efficace, je m’ouvrais la veine du poignet et lui la présentais. Après un instant d’hésitation, il finit par attraper mon poignet et avec avidité il s’abreuva du sang qui coulait à flot de mon poignet.

Lorsque je le jugeais suffisamment rassasié pour patienter jusqu’à la nuit, je retirais mon poignet et d’une voix sèche, je lui intimais :

- Maintenant dors !

Epuisé par le manque de sommeil et la perte de sang, je ne mis pas longtemps à trouver le repos auquel j’aspirais depuis déjà plusieurs heures. Alakhiel ne tarda pas à s’endormir à son tour. Je ne me réveillais qu’à la tombée de la nuit lorsque les derniers rayons de soleil eurent disparu à l’horizon et que le ciel commençait à revêtir son manteau de nuit. Lorsque j’ouvris les yeux, j’eus la surprise de trouver Alakhiel toujours endormi mais blotti contre moi, tenant mon bras contre lui, comme s’il craignait que je le laisse seul. Le moment d’étonnement passé, j’esquissais un geste pour le réveiller avant de retirer mon bras de son étreinte et de quitter mon cercueil.

Après avoir tiré les rideaux, j’ouvrais la fenêtre de la chambre et allais m’asseoir un instant sur la rambarde du balcon qui donnait sur le jardin. Les yeux rivés au ciel, j’observais la lune et les étoiles à défaut de pouvoir contempler le soleil. Perdu dans mes songes, c’est à peine si je sentis la présence d’Alakhiel à mes côtés. D’une voix étrangement douce qui contrastait avec sa méchanceté habituelle, il me demanda :

- Vous allez bien ?

Je me tournais vers lui mais ne répondis rien, me contentant de le fixer de mon regard perçant. Si j’avais le pouvoir de lire dans ses pensées et de prendre le contrôle de son esprit, lui en était encore incapable, cependant, j’eus l’impression qu’à cet instant, il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. Déconcerté par cette constatation, je me détournais de lui, sentant son emprise sur moi augmenter considérablement et avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit, je déclarais, d’un ton un peu trop sec et cassant :

- Il est temps de t’apprendre à chasser…

Sur ces mots, nous nous mîmes en route et je conduisais Alakhiel dans la taverne la plus réputée de la ville pour la classe sociale de personne qui s’y rendait. A défaut de chasser dans le grand monde, je l’emmenais dans mon deuxième terrain de chasse préféré, là où nous pourrions trouver des morceaux de choix. Sans chercher à dissimuler notre présence, je traversais la salle bondée pour aller nous asseoir à une table située dans le fond de la pièce, là où la lumière tamisée nous assurerait un maximum de discrétion. Une fois que nous fûmes installés confortablement sur la banquette de velours noir, je commençais à regarder plus en détail les personnes parmi lesquelles nous nous trouvions. A plusieurs reprises, des femmes de bonnes compagnies cherchèrent à se joindre à nous, mais je les rejetais sans ménagement, sous le regard étonné d’Alakhiel. Aussi, je me fis un devoir de lui expliquer, un sourire sadique dépeint sur le visage :

- Des chasseurs de notre rang se doivent de chasser des proies de qualité. Et quel plaisir y a-t-il à chasser des proies qui se jettent directement sous nos crocs… Non, le mieux, c’est d’attendre qu’une belle jeune fille pure et innocente s’égare en ce lieu…

Alakhiel m’adressa un regard outré et empli d’effroi alors que j’éclatais de rire, amusé par les réactions exagérées de mon jeune compagnon. Cependant, nous n’eûmes pas à attendre bien longtemps avant que je ne repère la proie idéale. Il s’agissait d’une jeune fille, dans la fleur de l’âge. Emmitouflée dans une longue cape de tissus de qualité, il émanait d’elle une suave odeur de tristesse qui électrisa mes sens. Lorsqu’elle quitta la taverne, la mort dans l’âme, je me levais et partis à sa suite, suivis de près par Alakhiel. D’humeur joueuse, je décidais de suivre un moment ma future victime à travers les ruelles sombres et mal éclairées, lieu parfait pour assouvir ma faim et apprendre les joies de la chasse à mon compagnon. Alors que ma proie tournait au détour d’une ruelle, je me tournais vers Alakhiel et déclarais, une lueur de malice au fond des yeux :

- Observe !

Sans plus de cérémonies, j’abandonnais Alakhiel derrière moi et repris mon jeu. La jeune fille s’était rendu compte de notre présence et je pouvais entendre son battement cardiaque accélérer considérablement alors que la peur grandissait en elle. Jouissant de ce pouvoir, je continuais un instant de l’observer avant de finalement me montrer à elle. A ma vue et semblant comprendre que sa vie était à présent entre mes mains, elle laissa s’échapper un sanglot de terreur et s’agenouilla à mes pieds, me suppliant :

- Je vous en prie, sanglota-t-elle. Ne me tuez pas…

- Et pourquoi t’épargnerais-je ? Demandais-je avec un calme qui contrastait avec l’intensité qui régnait autour de nous. Tu empestes la tristesse et le mal être à des kilomètres, je peux te soulager… Ne t’inquiète pas, ajoutais-je en la relevant. Tu ne sentiras rien…

Et avant qu’elle n’ait le temps de réagir, je plantais mes crocs dans sa veine chaude et palpitante de vie, me repaissant de ce liquide carmin au goût légèrement métallique, si précieux à mes yeux. Avant l’instant fatidique, j’appelais Alakhiel et l’invitais à venir me rejoindre avant de lui jeter le corps inerte mais toujours vivant de la jeune fille dans ses bras, lui intimant l’ordre de l’achever. Je le vis hésiter un instant, puis c’est avec satisfaction que je le vis finalement plonger vers le cou ensanglanté de ma victime. Cependant, contre toute attente, il rejeta le corps inerte de la jeune fille et s’exclama :

- Je ne peux pas… Vous me demandez de la tuer…

- Je te demande d’assumer ce que tu es ! M’exclamais-je furieux face à tant de lâcheté de sa part. Abandonne ton humanité Alakhiel, m’exclamais-je, elle ne t’est plus d’aucune utilité.

Alakhiel m’adressa un regard apeuré avant de finalement s’enfuir en courant. De rage, je m’emparais du corps de la jeune fille et finis par l’achever. Puis, je partis à la recherche d’Alakhiel. Il ne me fallut pas longtemps pour le trouver, assis sur un banc dans le parc. M’approchant de lui, ma colère n’ayant toujours pas diminuée, je l’attrapais par le col et le soulevais de terre comme s’il ne pesait rien.

- Cesse immédiatement ces simagrées ! Tu es un vampire Alakhiel, comporte-toi comme tel ! M’exclamais-je hors de moi. C’est cette fille qui te rend si faible… Peut être devrais-je la tuer, pour qu’enfin tu te la sorte de la tête ! Elle te rend faible et misérable, tu ne vaux strictement rien Alakhiel, tu es pathétique.

A ces mots, un éclaire de rage traversa ses prunelles et d’un geste vif, sa main atterrie sur ma joue. De surprise, je le lâchais et il recula précipitamment de quelques pas tandis que je portais ma main à ma joue. Une fine coupure zébrait ma joue et une goutte de sang s’en échappait. Un sourire démoniaque étira mes lèvres tandis que la coupure cicatrisait instantanément. Léchant la goutte de sang qui perlait sur mon doigt, je m’approchais d’Alakhiel et d’un geste si vif qu’il n’eut pas le temps de l’intercepter, je le saisis par le cou et le soulevais à bout de bras. La voix tremblante de colère mal contenue, je déclarais :

- Ne recommence jamais ça !

Et sans plus de cérémonies, je le jetais plus loin avant d’ajouter :

- Si tu ne veux pas te nourrir soit, mais ne compte pas sur moi pour t’aider comme je l’ai fait la dernière fois. Nous verrons bien combien de temps tu tiendras le ventre vide, mais à mon avis, tu changeras vite d’avis lorsque tu commenceras à ressentir la faim. Maintenant vient, il nous reste une course à faire.

Paris, 16 avril 1752

Ce soir là, comme tous les soirs précédents, j’emmenais Alakhiel avec moi, dans l’espoir qu’il daigne enfin chasser sa première proie. Depuis trois nuits il n’avait toujours pas mangé et malgré l’indifférence dont je faisais preuve face à lui, intérieurement, j’étais inquiet. Je lui avais pourtant enseigné comment vider une proie de son sang avec rapidité et efficacité, espérant qu’il adopte au moins cette méthode barbare à défaut de savourer le sang chaud de sa victime, mais rien ne semblait vouloir pallier à son entêtement. Cependant, je sentais malgré tout qu’il ne tarderait pas à chasser sa première proie. La faim commençait à le tirailler et il ne résisterait pas bien longtemps à ses assauts.

Et il ne tarda pas à me donner raison… Alors que nous longions les quais de la Seine, mes narines furent chatouillées par la délicate odeur de sang. Je me tournais alors vers Alakhiel et à le voir ainsi renifler l’air, j’en déduis qu’il avait lui aussi senti l’odeur. La suivant, j’arrivais bientôt sous un pont sous lequel un homme dans la force de l’âge, gisait, assis contre le mur, le corps ensanglanté. Je m’approchais furtivement de lui de façon à ne pas éveiller ses soupçons, et alors que j’esquissais un nouveau pas vers lui, je jetais un coup d’œil à Alakhiel. Je le vis esquisser un pas hésitant vers l’homme à demi conscient avant de finalement reprendre sa marche et s’agenouiller près de lui.

Du bout des doigts, il essuya le sang qui maculait la peau de son cou et les porta à sa bouche. Galvanisé par le goût suave du liquide carmin aux reflets de rubis, il se jeta sur la veine qui palpitait dans le cou de la victime et y planta ses crocs. C’est avec satisfaction que je le vis se repaître avec avidité, buvant ce liquide vitale. Un sourire orgueilleux se dessina alors sur mes lèvres et d’une voix douce, je déclarais :

- Cela suffit Alakhiel… Il faut t’arrêter maintenant, ne bois jamais de sang mort. Il faut t’arrêter juste avant que le cœur ne cesse de battre…

Ces mots semblèrent le ramener à la réalité car, obéissant à mon ordre, il relâcha le cadavre qu’il avait attiré à lui pour mieux le vider de son sang. Cependant, semblant réaliser la portée de ses actes, il se releva précipitamment avant de s’enfuir à travers les ténèbres de la nuit. Eclatant de rire, je criais à son attention :

- On ne renie pas sa vraie nature Alakhiel… Tu es fait pour tuer…

Sans me presser, je partais à sa recherche et ne fus pas étonné de le retrouver sur le banc du parc où il avait prit l’habitude de se rendre lors de nos petits différents. Lentement, je vins prendre place à ses côtés, et sans réellement prendre conscience de mon geste, je posais ma main sur sa cuisse en un geste qui se voulait apaisant. Ceci sembla être l’élément déclencheur car à mon contact, Alakhiel se mit à pleurer, ne cherchant pas à dissimuler ses sanglots, et posa sa tête sur mon épaule. Surpris par cette démonstration de sentiments des plus déconcertantes, je restais un instant immobile, ne sachant pas comment réagir, ni que faire. Jamais je n’avais été soumis à ce genre de situation auparavant et je ne savais absolument pas quelle attitude adopter ni quel comportement adopter lors de situations de ce genre.

Alakhiel sembla comprendre mon hésitation car face à mon manque de réaction il retira sa tête en s’excusant. Pour la première fois depuis longtemps, les larmes qui maculaient ses joues firent remonter à ma mémoire des souvenirs de ma vie d’antan. Je ne savais d’où lui venait cette faculté de laisser ainsi libre court à sa douleur, moi-même n’ayant plus eu l’occasion de le faire depuis le soir de ma transformation…

Du bout du pouce, j’essuyais les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux et délicatement, mes lèvres prirent possession des siennes pour un baiser des plus tendres dont la lune fut le seul témoin. Pour la seconde fois de ma vie d’immortel, je goûtais à la texture délicate et voluptueuse de ses lèvres rosies par la fraîcheur de la nuit. A mon plus grand étonnement, ce fut Alakhiel qui approfondit notre échange, sa langue timide et hésitante, venant quémander l’accès à mes lèvres afin d’aller rejoindre sa jumelle pour l’entraîner dans un ballet des plus sensuels. La douceur et la délicatesse de sa langue qui caressait langoureusement la mienne me fit prendre conscience que jamais je n’avais ressentie une telle tendresse. Cette douceur avait un goût inconnu mais était loin d’être désagréable.

Soudain, je réalisais entièrement mes actes et dans un sursaut d’effroi, je me reculais précipitamment, mettant fin au baiser par la même occasion. Pour être honnête, je venais d’être assailli par une peur indescriptible. Pour la première fois depuis des décennies, j’avais ressenti la crainte, effrayé par des sensations et des sentiments inconnus qui s’étaient imposés à moi brusquement. C’était tellement doux, mais à la fois si terrifiant…

Sans un mot, je me détournais de lui et pris la direction du manoir. Le chemin du retour s’effectua dans un silence monastique et c’est toujours troublé que je regagnais la chambre dans laquelle étaient entreposés nos cercueils, alors que les premiers rayons du soleil commençaient à illuminer le ciel. Après de brèves paroles à Alakhiel, je refermais mon cercueil et fermais les yeux dans l’espoir de chasser et d’oublier cette sensation gênante et angoissante qui me hantait depuis toute à l’heure. Au fond de moi, j’avais l’intime conviction que quelque chose s’était passé entre nous, mais je ne parvenais pas à définir quoi et cela me perturbait au plus haut point.  J’avais cette impression de ne plus être maître de moi-même et cela me désorientait totalement.

Alors que je tentais de comprendre ce qui m’arrivait, ne parvenant pas à trouver le sommeil, l’esprit trop encombré de questions sans réponses, je fus surpris de voir mon cercueil s’ouvrir. Mon étonnement augmenta d’un cran lorsque je vis Alakhiel penché au dessus de moi, me fixant de son regard de braise. Comprenant ce qu’il voulait, n’ayant pas besoin de mots pour lire dans ses pensées, je soupirais de lassitude avant de finalement me décaler et rouler sur le côté en une invitation explicite à venir me rejoindre. Alakhiel ne se fit pas prier et vint instantanément me rejoindre, fermant le cercueil avant de se blottir contre moi. C’est enlacé l’un tout contre l’autre que nous parvinment finalement à trouver le sommeil.

Paris, 1er décembre 1759

Les mois défilèrent, puis les années durant lesquelles nous menâmes paisiblement notre vie de vampire, vivant ignorés de tous, tuant nos proies lors de soirées mondaines auxquelles j’aimais à me rendre dans l’ombre. Nous menions une vie plutôt calme et régie par nos fréquentes disputes. Cependant, cette relative sérénité ne semblait pas faite pour durer éternellement…

Depuis un moment déjà, je faisais les cent pas dans la chambre, la traversant de long en large faisant régulièrement des détours par le balcon dans l’espoir de le voir arriver. Mais plus les minutes défilaient, plus j’attendais en vain. Furieux, j’attrapais un vase que je jetais violemment sur le sol, répandant des morceaux de porcelaine dans toute la pièce alors que dehors, l’aube approchait irrémédiablement. N’y tenant plus, je finis par lire les pensées d’Alakhiel dans le but de découvrir l’endroit où il se trouvait. Ma fureur augmenta considérablement lorsque je compris qu’il m’avait menti.

Fulminant de rage, j’attrapais prestement la cape et sautais précipitamment du balcon, atterrissant lestement sur mes pieds, accroupi sur le sol. Me relevant à la hâte, je partis en courant à travers bois, me fondant dans les ténèbres mourantes de la nuit. Il ne me fallut pas longtemps pour rejoindre mon compagnon et avant qu’il n’ait le temps de se rendre compte de ma présence, je l’attrapais par l’épaule et le forçais à se retourner afin qu’il soit face à moi. Instinctivement, ma main s’abattit sur sa joue avec une violence rare, le faisant chanceler sous le coup porté et d’une voix dangereusement basse, je déclarais :

- Il me semble que nous nous étions mis d’accord sur ce point, non ? Tu as rompu notre accord, alors assume tes actes et regarde la mourir…

- Nooon ! S’exclama Alakhiel en se plaçant entre moi et la maison où elle vivait.

Perdant le contrôle de moi-même, me sentant redevenir ce monstre sanguinaire que j’étais, je poussais brutalement Alakhiel sur le côté de façon à me libérer le passage et avec une rapidité inhumaine qu’Alakhiel ne parvenait pas à égaler, j’entrais dans la maison et attrapais la jeune femme par le cou, prêt à la mordre. Alors que je m’apprêtais à planter mes crocs dans la veine qui palpitait au niveau de son cou, un sourire sadique et victorieux étirant mes lèvres entrouvertes, Alakhiel se jeta de toutes ces forces sur moi, dans le but de me faire lâcher prise.

Cependant, il était bien plus faible que moi et d’un revers de la main, je l’expulsais de nouveau. En le voyant tomber, la jeune femme poussa un cri d’horreur et d’une voix emplie de surprise, elle s’exclama :

- A… Adriel ? Est-ce vous ? Je vous en prie… Dites-moi ce qui se passe…

- E… Elisabeth, murmura Alakhiel d’une voix brisée et emprunte de tristesse.

- Comme tu l’aimes ta belle jouvencelle, clamais-je en riant, avant de reprendre plus enragé que jamais. Tu risques ta peau pour cette catin, m’exclamais-je, furieux, mais avec quoi est-ce que tu réfléchis ?

La jeune fille émit un cri de surprise face à mon excès de rage et reportant mon attention sur elle, je déclarais calmement, un sourire diabolique étirant mes lèvres :

- Ici s’arrête ta vie ma chère… Quel dommage, de mourir si jeune par le simple fait qu’il soit amoureux de toi… Tout cela est de ta faute vois-tu !

- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tout cela signifie ? Demanda la dénommée Elisabeth en pâlissant soudainement, se tournant vers Alakhiel toujours étendu sur le sol, trop faible pour pouvoir faire quoi que ce soit. Adriel… Expliquez-moi ce qui se passe, je vous en prie… Que signifie tout cela ?

Aussitôt, j’attrapais Alakhiel par le cou et en un clin d’oeil, il fut entre mes bras, lamentable et vulnérable comme il avait pu l’être durant sa vie de mortel. Et d’une voix qui cachait mal le sentiment de délectation qui me faisait vibrer de satisfaction, je déclarais sans me départir de mon sourire :

- Oui Alakhiel, explique-lui ! Dis lui comment elle va mourir !

- Je vous en prie, gémit lamentablement Alakhiel. Epargnez-là… Je… Je ferais ce que vous voudrez…

- Tu m’as déjà servi ce refrain la dernière fois, m’exclamais-je furieusement.

Puis, me tournant vers Elisabeth, je la saisis par les cheveux et d’un geste vif, son visage fut à seulement quelques centimètres du mien. Une lueur bestiale étincela dans mon regard de braise tandis que d’une voix redevenue calme, je déclarais, caressant tendrement les cheveux soyeux de la jeune fille, humant son odeur à plein nez :

- Ton cœur bat si vite… Aurais-tu peur ? Peur de mourir ? Je peux entendre les battements frénétiques de ton cœur qui s’emballe dans ta poitrine, murmurais-je en posant ma main sur son cœur. Je peux sentir ton sang palpiter dans tes veines qui ressortent sous ta peau pâle en une sensuelle invitation à venir y goûter… Me laisseras-tu boire ton sang, ma chère ? Je frémis à l’idée de sentir l’exquise volupté de ton sang se répandre dans ma gorge, tiède et savoureux comme le plus doux des arômes, de te sentir t’amollir dans mes bras alors que je te vide de ton sang avec une lenteur extrême qui te mènera de vie à trépas en une longue et interminable attente. Puis, ton corps finira par se raidir totalement alors que j’aspirerais hors de toi la dernière goutte de ton sang, comblant mon désir insatiable et à ce moment là seulement, tu rendras ton dernier souffle. A jamais belle, froide comme une pierre tombale, tu erreras dans la mort…

Effrayée, Elisabeth laissa s’échapper un hoquet de sanglot, alors que son regard se détournait du mien. Puis, d’une voix suppliante, elle s’exclama :

- Libérez-moi, je vous en prie… Laissez-moi m’en aller…

Je frissonnais de pure exaltation, prenant plaisir à lui torturer l’esprit tandis que je ressentais une peur vivace émaner d’elle. Je jouissais du pouvoir que j’avais sur elle, de cette admiration inconsciente que me vouaient Alakhiel et sa belle.

Un sourire cruel naquit sur mes lèvres et à la vue de l’étincelle meurtrière qui luisait dans mes yeux, Alakhiel se jeta une nouvelle fois sur moi pour tenter de protéger sa dulcinée. Mais comme la première fois, ce fut peine perdue. Le saisissant par le cou, je le portais à bout de bras tandis que ses mains attrapant mes poignets, il tentait désespérément de me faire lâcher prise. A cet instant, une idée me traversa l’esprit et un rictus démoniaque dépeint sur le visage, je déclarais :

- Et si… Au lieu de la tuer, je lui offrais le don obscur ?

Alakhiel ne répondit rien mais je le sentis se débattre alors que j’amplifiais la pression de mes doigts autour de son cou, en une menace non feinte. De colère, je resserrais lentement ma prise autour du cou d’Alakhiel, en le ramenant vers moi. Lorsque mon visage ne fut qu’à quelques centimètres du sien, je déclarais :

- J’ai laissé passer trop de choses ces dernières années, Alakhiel, j’ai été beaucoup trop indulgent avec toi. Sais-tu pourquoi je t’ai choisi ? Parce que tu as cette haine et cette rage en toi, mais trop attachée à ta vie humaine, tu te refuses à laisser ta vraie nature prendre le dessus. Tu es lâche et misérable, Alakhiel, tu ne vaux absolument rien. J’aurais mieux fait de te laisser mourir après t’avoir vidé de ton sang au lieu de faire de toi un enfant de la nuit.

- Vous êtes un monstre, souffla Alakhiel. Je ne suis pas comme vous…

- Oh si tu l’es, murmurais-je. Toi et moi nous sommes pareil… Nous sommes nés pour tuer, Alakhiel…

- Arrêtez ça tout de suite ! S’écria Alakhiel.

- Alors prends-là, Alakhiel ! M’écriais-je. Tue-la et débarrasse-toi de cette humanité qui te ronge. Pour toi la souffrance est atroce, tu la ressens parce que tu es un vampire, Alakhiel, cesse de renier ta vraie nature… Tu résistes au seul remède qui t’apporterait la paix…

- Je ne peux pas, s’exclama à son tour mon compagnon.

- Songe gamin, que tout ce qui t’attend, c’est de la regarder vieillir au fil des années, annihilant toute possibilité d’être un jour un vampire saint d’esprit, noble et puissant. Tu t’adonnes à tes remords et ta culpabilité que tu chéries tant et tombe dans la décadence…

- Taisez-vous, me supplia alors Alakhiel, cessant de se débattre pour porter ses mains à ses oreilles, dans l’espoir d’échapper à la vérité que je lui dévoilais en pleine face.

Sans tenir compte de ses supplications, je poursuivais mon réquisitoire passionné :

- Tu es un vampire de la pire espèce… Amoureux de tes remords et de ta culpabilité, tu te complains dans ton malheur et ta souffrance alors que tu as la possibilité de tout faire cesser…

Lâchant Alakhiel, je me retournais vers la jeune fille pétrifiée de terreur et d’un violent coup de coude, je la bousculais dans les bras de mon compagnon :

- Tu as le choix, déclarais-je. Tu as la possibilité de la tuer rapidement sans la faire souffrir ou de prendre ton temps, mais fait le ! Tue-la ! Si tu ne le fais pas, c’est moi qui m’en chargerais et ce ne sera pas de la manière la plus douce. Si c’est moi qui la tue, elle agonisera lentement dans d’atroces souffrances… A toi de prendre ta décision, Alakhiel !

Alakhiel resta silencieux, tandis que je parvenais à bout de patience :

- Ma patience a des limites ! M’exclamais-je, de plus en plus énervé.

Jamais encore je n’aurais cru un jour entrer dans une telle fureur. La rage qui m’habitait décuplait ma cruauté et un sentiment que je ne parvenais pas à déterminer me poussait à éliminer au plus vite cette catin qu’Alakhiel se refusait d’achever. Souhaitant mettre fin à ce conflit au plus vite, ne supportant plus de voir Alakhiel si faible, je saisis violemment Elisabeth par les cheveux et l’attirais à moi sans aucun ménagement. Elle laissa s’échapper un cri de surprise qui se transforma en hurlement de terreur alors que découvrant mes canines acérées, je plongeais lentement vers son cou, la maintenant fermement contre moi.

Alors qu’enfin j’allais assouvir ce désir insatiable qui me tiraillait les entrailles, les battements de son cœur tambourinant sourdement à mes oreilles, je fus violemment projeté au sol. Je me relevais avec agilité pour voir Alakhiel mordre profondément la gorge de sa bien-aimée, aspirant le sang qui s’échappait de la plaie causées par ses canines. Au même instant, le soleil se levait et les premiers rayons de soleil vinrent illuminer l’intérieur de la pièce. Par réflexe, je me déplaçais vers l’endroit le plus sombre de la maison, entraînant brutalement Alakhiel avec moi. Puis, avisant une trappe dans le planché, je la soulevais comme si elle ne pesait rien et jetais Alakhiel à l’intérieur, avant de m’y engouffrer à mon tour et refermer la porte, nous plongeant dans l’obscurité.

- J’espère que tu es fier de toi ? Regarde ! Par ta faute ! Nous sommes condamnés à rester ici jusqu’au couché du soleil, m’exclamais-je furieux.

- Notre place est en enfer, se contenta de murmurer Alakhiel.

Je ne relevais pas cette remarque, sachant pertinemment que dans l’état dans lequel il se trouvait, il serait bien incapable de comprendre ce que je lui disais. Aussi, je me trouvais le coin le plus sombre et le moins humide possible et m’allongeais sur le sol dur et froid, cherchant à trouver le sommeil pour les prochaines heures à venir, attendant que le jour décline.

Durant les jours qui suivirent, Alakhiel semblait comme éteint. S’il n’était pas déjà mort, je lui aurais trouvé un teint inquiétant tant il semblait livide. L’aura qui l’entourait habituellement, faisant resplendir sa grandeur et sa noblesse semblait ternie. Si avant il ne se nourrissait pas beaucoup, à présent, il ne chassait plus, ne quittant même plus le manoir lorsque le soleil s’était couché, se contentant de quelques rats qu’il attrapait au détour d’un couloir.

Paris, 16 décembre 1759

Une heure avant l’aube, j’étais de retour au manoir après une nuit de chasse fructueuse. Comme j’avais pris l’habitude de le faire depuis quinze jours, je ramenais à Alakhiel un jeune homme afin qu’il puisse se nourrir. Alors que j’entrais dans la chambre, celui-ci se réveilla, mais encore trop inconscient, il resta allongé sur le sol, là où je l’avais laissé choir.

Lentement, mais sûrement, je me rendis au balcon ou mon compagnon avait pour habitude d’attendre patiemment l’apparition de l’aube tandis que j’allais chasser pour nous deux en attendant qu’il guérisse et qu’il aille mieux.

Cependant, quelle ne fut pas ma surprise en découvrant le balcon désert… Inquiet, je fis le tour du propriétaire à la recherche de mon compagnon, mais après avoir visité toutes les pièces sans aucune trace de celui-ci, je dus me résoudre à l’idée qu’il était partit. Revenant dans la chambre, je trouvais le jeune homme à présent totalement éveillé, regardant les cercueils avec appréhension. A ma vue, il émit un hurlement de terreur mais de rage, je me jetais sur lui et plantais mes crocs dans son cou, alors qu’en moi, une petite voix résonnait, répétant inlassablement… “Il est parti… Il est parti…”

7
mai

Silent scream - Chapitre 2

   Ecrit par : admin   in Silent scream

Chapitre écrit par Lybertys

Paris, 12 avril 1752

Encore une soirée dans cette grande salle de réception au milieu de tout ce monde qui m’était totalement indifférent. Voilà une heure maintenant que je la cherchais des yeux et que je ne la trouvais pas. J’étais pourtant venu pour elle, choisissant avec méticulosité chacun de mes vêtements, jusqu’à mettre mon parfum préféré. Simplement une petite touche discrète, percevable s’il on s’approchait trop près de moi. Mon cœur s’emballait à chaque fois que je voyais une femme qui lui ressemblait, ayant l’espérance folle que ce soit elle. Malheureusement pour le moment, tout n’avait été que déception. Je m’étais démené pour obtenir cette invitation, sachant qu’elle y serait, et je priais ne pas avoir fait tout cela pour rien. Ce soir je me sentais enfin prêt à lui déclarer ma flamme, à lui dire combien elle comptait pour moi, lui murmurer des mots que je n’avais jamais susurré à personne, traduire par des mots ce qui embrassait mon cœur à chaque fois que je l’apercevais.

Cependant, malgré tous mes beaux projets, je ne parvenais toujours pas à la voir, n’osant pas demander à qui que ce soit si elle était présente. La soirée commençait à m’ennuyer, je n’aimais pas du tout ce genre d’ambiance auquel tout jeune aristocrate jusqu’à son plus vieil âge se devait d’adorer. Paraître parfait aux yeux de tous, vivre uniquement dans l’apparence, dans le regard de l’autre, cela me fascinait tout autant que cela me répugnait. La seule personne à qui je voulais plaire n’était pas là et j’avais de plus en plus de mal à cacher ma déception. Heureusement je portais un masque sur le haut du visage, dissimulant à tous mon ennuie et ma peine. J’étais encore jeune et du haut de mes dix neuf ans je me sentais totalement étranger à ce monde : différent. Etais-ce moi qui étais différent d’eux ou eux différent de moi. Tout ce que je savais c’est que j’attendais maintenant avec impatience que cette soirée se termine rapidement et qu’elle ne reste plus qu’un simple mauvais souvenir du jour où je n’avais pu voir Elisabeth. Son visage angélique venait sans cesse me hanter, me remémorant ses cheveux blonds et bouclés tombant délicatement sur ses fines épaules laiteuses. J’aurais donné n’importe quoi pour avoir le privilège de l’effleurer ne serait-ce qu’une seule fois et de lui voler un baiser. Je voulais passer l’éternité avec elle, être à ses côtés, vivre pour elle et ne plus être proche d’elle seulement dans mes songes. Tous dansaient autour de moi, et j’avais de plus en plus de mal à m’accrocher à leur rythme effréné et à l’euphorie qui les habitait. Je finis par me glisser jusqu’au buffet afin d’aller chercher de quoi me désaltérer. Il faisait une chaleur étouffante et le bruit que tous faisaient masquait presque le son mélodieux des violons. Je pris un verre de vin, produit par les vignobles de la maîtresse de maison qui avait une excellente réputation. Peut être que cela me permettrait d’oublier un peu et de devenir aussi insouciant que tous les autres hommes, afin de pouvoir me mêler à eux. Je me délectais de ce breuvage assez rapidement, finissant par le poser vide sur le buffet avant qu’un des domestiques ne se charge de le faire disparaitre.

Je retournais de nouveau dans cette masse humaine, n’ayant rien d’autre à faire que de me mêler à eux. Plus par désespoir que par espoir, je cherchais de nouveau Elisabeth du regard parcourant chaque parcelle de la grande salle, me glissant entre les personnes qui continuaient à danser dans un rythme effréné. La musique des violons était maintenant comme endiablée, embarquant chaque personne avec elle. Leur masque cachait leur identité aux yeux de tous et leur donnait des ailes. Soudain, mon regard se déposa sur un homme, installé un peu à l’écart, se détachant des autres. Je n’aurais su dire pourquoi, mais il me semblait différent. Je me figeais sur place, ne pouvant m’empêcher de le détailler. Ses longs cheveux noirs descendaient en cascade jusqu’au milieu de son dos, et son masque laissait entrapercevoir ses yeux gris scrutant la foule avec superbe de toute sa hauteur. Rare étaient les fois où j’avais pu voir un homme aussi beau. Sa veste, couleur cobalt, était parfaitement taillée et retombait tel un voile de soie sur sa taille fine. Il devait avoir un succès fou et sa beauté me semblait inégalable. Cet homme m’intriguait malgré moi, le spectacle qui s’offrait à moi semblait tellement irréel. Il semblait s’apercevoir je ne sais comment de ma présence, car il tourna  la tête vers moi d’un simple geste à peine perceptible.

Un sourire se dépeignit alors sur ses lèvres, m’offrant un frisson de peur mêlé de curiosité. Cet homme avait quelque chose de particulièrement intriguant et je n’aurais su dire pourquoi. Sans trop savoir comment ni de quelle façon, je me sentais comme mis à la place d’une proie que cet homme venait de choisir. Si j’avais voulu me détacher de son regard et me détourner de lui, je sentais que tout cela m’était impossible. Je ne pouvais pas bouger ne serait-ce que le petit doigt, et cette sensation s’accentua lorsqu’il s’approcha de moi, me rendant comme paralysé.

Arrivé à quelques pas de moi, il s’arrêta mais ne me quitta pas pour autant du regard. De mon côté, j’aurais bien été incapable de faire quoi que ce soit. Je n’arrivais même plus à aligner deux pensées cohérentes et je me sentais comme transparent à ses yeux. J’avais cette cruelle impression qu’il était en train de lire en moi… Tout cela semblait si irréel… Il avait dépeint sur son visage dont la perfection de ses traits pâles était plus intrigante et envoûtante, un petit air sadique qui renforçait son charme. Tout dans sa manière d’être faisait penser à un prédateur en chasse et je ne semblais pas réaliser qu’il venait de trouver en moi la proie idéale.

Perdu dans le gris de ses yeux, je n’aurais plus vraiment su dire ce qu’il se passait autour de moi, ni ce qui était en train de se passer en ce moment même. Si j’eus voulu faire quoi que ce soit, je m’en sentais à cet instant même incapable. J’avais cette atroce impression d’être dépossédé de mes droits sur mon corps et de n’être plus maître de rien.

Tous dansaient autour de moi, mais je ne les voyais même plus. La seule chose qui appartenait à mon monde en cet instant même était cet homme et son regard. Plus le temps passait, et plus je trouvais ses yeux brûlant d’une chose que je ne connaissais pas encore. Nous étions encore éloignés de quelques pas et pourtant je le sentais comme tout proche, bien plus proche que simplement collé à moi… Oui… Tout cela allait bien au-delà.

Je voulus me ressaisir, reprendre ce qui m’appartenait, reprendre possession de mon corps, mais je me rendis compte que j’en étais incapable et que la seule chose qui m’était permise était de prendre la place du spectateur, acteur malgré lui. J’étais réduit à un état de passivité que je n’avais jamais connu.

Il finit par s’approcher de moi, réduisant à néant l’infime distance qui nous séparait encore et qui ne me semblait que physique. Fébrilement, d’un geste à peine perceptible, il tendit sa main jusqu’à ma joue, laissant glisser ses doigts d’une manière subtile en une caresse délicate que je n’aurais jamais cru capable de sa part. Ce geste suffit à me mettre totalement à sa merci. Je perdis définitivement tout contrôle, me surprenant à souhaiter encore une fois ce genre de caresses. La peau délicate de ses doigts était étrangement froide, mais cela ne semblait pas m’inquiéter outre mesure…

Au contraire, mon cœur s’était comme emballé à ce contact, faisant fourmiller en moi mille sensations inconnues. Je n’étais plus moi-même, et ce que je ressentais en cet instant précis ne me ressemblait pas.

Sans se départir de son petit sourire satisfait et arrogant, il glissa son index sous mon menton, provoquant chez moi un violent frisson. S’il m’avait regardé fixement jusqu’à maintenant, le regard qu’il me lança alors fut totalement différent. Si j’avais pensé à m’en dégager auparavant, de celui-ci l’idée ne m’effleurait même pas.

La seule chose qui m’était maintenant possible de faire, était de me soumettre uniquement à sa volonté. Tout ce que je savais, c’était que je ne pouvais faire autrement, il désirait que je le suive, et c’est ce que je fis. Il commença à reculer, m’entraînant à sa suite, apparemment satisfait de l’effet d’attraction qu’il exerçait sur moi.

Comme emprisonné par son esprit, je ne pouvais que marcher tout près de lui, ne voulant surtout pas rompre le contact de ses doigts sur ma peau. C’était comme si ma vie en dépendait, j’avais besoin de sentir ses doigts sur moi pour que mon cœur batte. Rompre le contact ne serait-ce qu’une seule seconde était pour moi de l’ordre de l’inconcevable. Il en était de même pour son regard. Il m’était toujours impossible de m’en détacher, ses yeux semblaient si irréels, toujours aussi transperçant, semblant sonder la quelconque faille au plus profond de moi. Plus rien n’existait à part cet homme, j’en oubliais tout le reste, tous ceux que je connaissais, tout ce qui avait fait mon monde jusqu’à maintenant, totalement envouté par ce simple contact et ce regard si intense… Il m’entraina derrière un rideau, au fond de la pièce, loin de toute cette foule. Je ne pris même pas la peine de réfléchir à la raison qui le poussait à le mener jusqu’ici. Je perdais peu à peu tous mes repères, je ne savais plus rien.

Je ne savais pas ce qui m’attendait et mon rythme cardiaque ne parvenait à se calmer. La musique pourtant très forte ne parvenait plus à mes oreilles, je n’entendais plus rien. Une fois complètement caché des autres, je fus attiré assez brutalement vers cet homme et sans que j’ai eu le temps de faire quoi que ce soit ou même de réaliser ce qu’il voulait de moi, il s’empara avidement de mes lèvres, me transmettant une passion et un désir non feint. J’y répondis, sans savoir pourquoi, sans réaliser que j’étais en train d’embrasser un homme et qui plus est, lui donner mon premier baiser.

Pourtant, j’y répondais avec le même entrain, enivré par l’ardeur dont il faisait preuve et les mille sensations nouvelles qu’il m’offrait. Ce baiser était terriblement agréable, assouvissant une nouvelle envie née en moi, une pulsion bestiale qui faisait écho à la sienne et que je n’avais jamais ressentie.

Très vite, nos langues entamèrent un ballet farouche et sensuel, me laissant à chaque seconde un peu plus à sa merci. Le pouvoir qu’il avait sur moi était effrayant. Il pouvait faire ce qu’il voulait de moi, contrôlant la totalité de mon être, et de mes envies. Ce fut lui qui mit fin au baiser, me défrustrant en laissant sa langue redessiner avec volupté et aisance les traits de mon visage, alors que ses mains s’affairaient à je ne sais trop quoi dans mon cou. Immobile, je me contentais de recevoir ce qu’il m’offrait, sans pouvoir faire quelque chose en retour ou me détacher de son étreinte. Lorsqu’il glissa sa bouche dans mon cou, je perdis totalement pied. Grisé par toutes ses sensations qu’il provoquait en moi, rien qu’en passant sa langue sur cet zone de peau particulièrement sensible éveillée pour la première fois, je fus obligé de m’attacher fermement à lui comme je le pouvais, le serrant de toute mes forces pour ne pas chuter. J’étais totalement abandonné à lui, ne pouvant que vouloir plus…

Jamais je n’avais connu cela, jamais mon corps n’avait vibré ainsi pour quelqu’un. Le simple fait d’être coller ainsi à lui et de sentir sa bouche à la fois froide et terriblement chaude sur la peau de mon cou m’emmenait à dix mille lieux d’ici.

Pourtant, je le sentais au plus profond de moi, j’étais en train de jouer avec le feu. J’avais cette cruelle impression que ma vie était en jeu mais que je ne pouvais rien faire pour y mettre un frein et faire cesser tout cela. J’étais comme embarqué dans un labyrinthe qui me menait irrémédiablement vers ma fin, m’empêchant de faire demi-tour. La volonté de cet homme en train de se délecter de la peau de mon cou avec un savoir faire divin, dépassait largement celle de toutes volontés humaines. La mienne ployait sous la sienne jusqu’à s’effacer complètement, savourant la délicieuse torture qu’il exerçait sur moi. Engourdi, je perdais toute notion de bien ou de mal, je ne savais même plus vraiment ce que nous étions en train de faire, je me sentais partir…

Soudain, je le sentis raffermir sa prise sur moi, avant de m’attirer dans un lieu qui m’était inconnu. Il semblait avoir changé de plan et je l’acceptais sans siller. Je me contentais de m’accrocher fermement à lui, pendant qu’il me guidait à l’étage. Lui aussi m’attirait tout  contre lui, comme s’il avait peur de me perdre. Il dégageait une telle démonstration de possession que je ne pouvais m’y soustraire.

Il m’attira alors dans une pièce qui semblait être une chambre. Il s’écarta de moi un instant afin de refermer la porte, me tenant tout de même par le bras avec toujours cette même peur que je lui échappe. Il semblait terriblement empressé et semblait user d’une grande force de volonté pour ne pas se jeter sur moi. Il se mit alors à me détailler, laissant glisser ses yeux sur l’entièreté de mon corps sans la moindre pudeur. Si ce regard était terriblement dérangeant, il n’en était pas moins brûlant. A cet instant, je sentais que je n’étais pas le seul à être envoûté, il semblait que j’exerçais malgré moi sur cet homme un puissant pouvoir d’attraction. De mon côté, je ne pouvais être indifférent à sa beauté, même si celle d’un homme ne m’avait jamais attiré, celle -ci s’élevait au dessus de tout. Ses longs cheveux noirs étaient une invitation à laisser s’y perdre ses mains. Ses lèvres qui avaient déjà goûté aux miennes m’attiraient irrémédiablement. Je ne savais même pas si ce désir m’appartenait ou s’il venait de m’être imposé.

Lentement, il s’approcha de moi et me retira mon masque d’un geste vif mais néanmoins emprunt de douceur, dévoilant mon visage à cet inconnu. Il sembla alors comme hypnotisé, ne semblant pas parvenir à quitter mon visage du regard, enregistrant le moindre détail, comme si j’étais un objet d’art. Jamais je ne m’étais senti ainsi sous le regard de quelqu’un et encore moins d’un homme. Je me surpris à espérer un jour voir la même étincelle briller dans les yeux d’Elisabeth.

Nous restions là, sans bouger, l’un en face de l’autre, lui menant la danse et moi attendant le moindre signal. Je ne savais toujours pas ce qui allait m’arriver et pourtant je ne faisais rien pour en savoir plus ou pour changer les choses.

C’est alors qu’il prit de nouveau  mes lèvres en otage, faisant preuve d’une tendresse et d’une délicatesse que je n’aurais jamais cru capable de la part d’un homme, comblant un manque qu’il avait créé précédemment. Contrairement au précédent baiser qu’il m’avait offert, celui-ci semblait bien plus profond, nous menant tous les deux bien plus loin vers des terres qui m’étaient inconnues. Je répondis à son baiser, comme il me le demandait silencieusement cédant sans aucune difficulté à chacun de ses caprices. Alors que notre échange gagnait en intensité, je sentis ses mains passer entre nos deux corps, semblant vouloir s’aventurer bien plus loin. Il m’emmenait à chaque fois un peu plus loin, faisant ployer avec force et savoir faire chacun de mes remparts. Cependant, une toute autre forme de peur s’insinua en moi lorsqu’il entreprit de déboutonner ma veste. Même si dans ce geste empli de délicatesse, il fit glisser ma veste le long de mes bras avant de la laisser tomber sur le sol, je sentais que ce qui allait suivre allait bien trop loin et était bien trop tôt pour moi. Je n’étais pas prêt, et j’avais peur de deviner les intentions de cet homme. Son regard empli de désir fixait mon torse comme s’il eut voulu le dévorer. Jamais je n’avais vu quelqu’un me désirer ainsi, n’ayant de toute façon jamais connu le désir charnel. Je regrettais le choix de cette chemise blanche qui, un peu trop transparente, laissait entrapercevoir ma peau et semblait nourrir le désir insatiable de cet homme. Il m’était maintenant impossible de ne pas constater qu’il avait envie de moi.

Un combat dont j’ignorais l’enjeu semblait se jouer dans son esprit et il me semblait qu’il se faisait violence pour ne pas me sauter dessus.  Il prit alors une décision et laissa aller ses mains sous ma chemise ample, caressant ma peau vierge de tout attouchement. A mon plus grand soulagement, il vint encore ravir mes lèvres d’un baiser, s’emparant délicatement de ma bouche en une caresse aérienne. En moins d’une heure, il avait réussi à me rendre totalement dépendant de ses baisers alors que j’y goûtais pour la première fois. J’en venais même à me demander comment j’avais pu vivre jusqu’à présent sans jamais avoir goûté à de pareilles sensations et comment j’avais fait pour ne pas y avoir droit. Sa langue caressait mes lèvres m’invitant implicitement à les entrouvrir afin qu’il puisse de nouveau investir ma bouche, prenant possession de mon être.

Lorsque nos langues se rencontrèrent, je fus comme transporté dans un pays lointain, appartenant seulement à cet homme et ne vivant que grâce à lui. Enivré par son savoir faire, tous mes sens étaient maintenant en éveille dans l’attente du nouveau plaisir qu’il allait m’apporter.

Nos langues se caressaient et se liaient dans un ballet des plus sensuels, dont ce parfait inconnu menait la danse. Je me laissais simplement guider, ne pouvait faire plus que ressentir ce qu’il m’offrait. Ses mains ne cessaient de parcourir mon corps. Je ne savais pas vraiment ce qui m’arrivait, ni même quelle était cette chaleur brûlante qui embrasait à présent mes reins. Les yeux mi clos et le souffle erratique, j’étais comme en transe. La température de mon corps gagnait en degrés à chaque seconde.

Il finit par quitter mes lèvres avant de faire glisser sa langue le long de ma mâchoire, redessinant les contours de mon visage avant de redescendre dans mon cou, goûtant chaque parcelle de ma peau et m’offrant mille sensations. Du bout de ses doigts, il effleura ma colonne vertébrale, me faisant frissonner entre ses bras, me laissant totalement aller. Ma volonté n’était plus, c’était comme s’il avait eu raison de moi. Alors qu’il effleurait ma colonne vertébrale, un hoquet de surprise franchit mes lèvres bientôt suivit d’un profond soupir de satisfaction et de bien être.

Je fermais alors les yeux comme pour être encore plus attentif à ce qu’il me faisait. Je m’agrippais à ses épaules tentant désespérément de me raccrocher à une réalité qui n’existait déjà plus. Le pas venait d’être franchi pour de bon. Il venait de gagner plus que je ne le pensais. Après être descendu une énième fois le long de mon dos, il laissa ses doigts s’aventurer ailleurs, partant à la découverte du reste de mon corps.

Ses mains partirent à la découverte de mes reins avant de revenir sur mon ventre. Sa peau froide contrastait avec la chaleur de la mienne. Ses mains redessinaient amoureusement la sculpture délicate de mes abdominaux puis remontaient lentement vers les boutons de chair rose qui pointaient sous le plaisir qu’il m’offrait, sous la fine toile de ma chemise qui découvrait maintenant éhonteusement mon épaule gauche. Cet homme touchait avec un doigté sans pareil, me faisant oublier ce que nous étions en train de commettre.

Avec dextérité, il entreprit alors de dégrafer les premiers boutons de ma chemise qui semblait devenue de trop pour lui avant de la faire glisser sur mes épaules et dans mon dos, mettant à nu le haut de mon corps en proie à son regard.

Semblant galvanisé par la simple vue de mon corps offert à lui, il délaissa mon cou pour partir à la découverte de mon torse imberbe, léchant et goûtant à chaque parcelle de ma peau comme s’il me voulait entièrement. Jamais je n’avais connu pareilles sensations, jamais personne ne m’avait touché ainsi et encore moins à ce genre d’endroit. Du bout de la langue, il joua un moment avec mes boutons de chair, faisant naître une certaine forme d’excitation qui m’était totalement inconnue, les faisant durcir d’avantage sous ses lèvres. Ne tentant plus, je laissais un petit gémissement franchir la barrière de mes lèvres entrouvertes, ne pouvant en contenir d’avantage. Je me contrôlais de moins en moins pour ne pas dire plus rien.

Soudain, il me plaqua violemment contre lui, frottant lascivement son intimité gonflée de désir contre mon bassin, tandis que ses mains se glissaient sans honte aucune sous le tissu de mon pantalon en toile, caressant mes fesses avec un plaisir non feint. Je n’aimais pas bien que tout aille aussi vite me faisant lentement mais sûrement sortir de cet état second. Même si un râle rauque s’échappa de ma gorge alors que nos deux corps enlacés entamaient un langoureux déhanchement érotique dénué de tout sentiment de honte ou de gêne, la peur était en train de reprendre le dessus, m’aidant à réaliser pleinement ce que cet homme voulait de moi. Alors qu’il s’affairait à défaire les attaches de mon pantalon, le visage enfouis dans mon cou gracile, je me tendis brusquement ne voulant surtout pas que cela aille plus loin.

Alors que je commençais  à me débattre, je me demandais comment nous avions pu en arriver jusque là. Je voulais lui échapper, c’était comme s’il venait de relâcher l’emprise qu’il avait sur moi et que je revenais un peu trop abruptement à la réalité.

Me débattre, tenter de sauver ma peau, c’était maintenant la seule possibilité que j’entrapercevais. Cet homme m’effrayait de part ce qu’il était et de ce qu’il s’apprêtait à me faire. Alors que j’allais tenter de le frapper pour qu’il s’éloigne et me laisse en paix, il attrapa mes poignets d’un geste vif et précis, me démontrant en un seul instant que tout était peine perdue. Par ce simple geste, par cette démonstration de supériorité, il m’avait également immobilisé en un instant. Son regard de prédateur posé sur moi était bien plus effrayant et plus il me regardait, plus la peur montait en moi. Qu’allait-il me faire à présent ? Que voulait-il de moi ? Et surtout, qui était-il ? Une multitude de question se bousculaient dans ma tête.

Brusquement, avec une violence dont il n’avait jamais fait preuve jusqu’à maintenant, il me jeta sur le lit à baldaquin qui trônait au milieu de la pièce, m’arrachant un cri de stupeur. J’étais totalement  perdu et je ne voyais aucune issue. De manière vive et agile, il prit place à quatre pattes au dessus de moi, maintenant fermement mes mains au dessus de ma tête. J’étais comme pris au piège, totalement bloqué. Je n’étais plus que la simple proie sans défense pris dans la toile de son prédateur. Mon cœur battait à vive allure sans que je ne parvienne à faire quoi que ce soit. J’avais beau chercher à me soustraire de sa poigne de fer, le désespoir qui s’insinuait en moi devenait trop profond.

C’est alors qu’il plongea son regard dans le mien, un regard qui me glaça le sang jusqu’à m’immobiliser entièrement. Ma peur était toujours là mais comme atténuée, grouillant dans mes entrailles sans que je ne puisse l’exprimer. Je n’étais à présent plus qu’une masse inerte, telle une poupée de chiffon redevenue totalement à sa disposition, retrouvant peu à peu mon engourdissement de départ.

Du genou, il écarta mes cuisses tout en effleurant mon intimité, réveillant de nouveau en moi le désir que j’avais pu ressentir. Je ne savais plus raiment ce qui venait de se passer, ma seule connaissance était que je devais rester à sa disposition. Malgré tout cela, je ne pouvais m’empêcher de sentir grandir le désir en moi alors qu’il explorait mon corps, se penchant légèrement au dessus de moi. Puis, il sembla passer à autre chose, le désir brillant dans ses yeux. Tout en effleurant mon intimité, il retira mon pantalon et mes sous vêtements avec une lenteur exagérée, me faisant frémir d’impatience.

Une fois que je fus entièrement nu, il se recula comme pour m’admirer. Ma tête tournait sans que je sache pourquoi et son regard posé sur ma peau me brûlait. Etrangement, je ne ressentais aucune gêne à être totalement nu, ainsi exposé devant lui alors que c’était la première personne à avoir ce privilège. Perdu entre les draps blancs, je n’attendais plus qu’une chose, qu’il décide enfin à faire quelque chose de moi et de mon corps.

Il me contempla ainsi durant un temps qui me parut indéfini avant d’entreprendre enfin de passer à autre chose. Il commença par esquisser un mouvement pour retirer sa veste, souhaitant apparemment lui aussi gagner sa tenue d’Adam, mais stoppa son geste avant de plonger son regard gris profond dans le mien, m’intimant je ne sais comment, de me relever. N’ayant pas d’autre choix que d’obéir à cette injonction muette et avec une grâce féline que je ne me connaissais pas, je m’agenouillais face à lui et comme il l’avait précédemment fait, j’entrepris d’explorer sa bouche et sa peau d’une pâleur mortelle tout en défaisant un à un les boutons de sa veste.

Cependant, à la différence de ses gestes, les miens avaient beau être doux, je ne pouvais empêcher mon hésitation malgré le désir de bien faire. Cela ne semblait pas vraiment lui déplaire car il émit un gémissement de contentement lorsque mes doigts effleurèrent fébrilement son torse.

Craintif et surtout particulièrement intimidé, je me reculais. Dans un geste rassurant, l’homme caressa alors mon visage avant de se pencher vers moi et de ravir mes lèvres pour un long baiser empli de douceur qui eut pour effet de me détendre presque instantanément. Afin de m’aider un peu, il se débarrassa rapidement de sa veste qu’il jeta au pied du lit comme un vulgaire bout de tissu, ne portant son attention que sur mon unique personne. Sentant que je ne pouvais me permettre de le faire, j’entrepris de réitérer mon geste et de faire la même chose avec sa chemise, prenant un peu plus d’audace et d’initiative. Il se laissa faire, semblant être ravi de ce que je venais d’entreprendre, constatant qu’il frissonnait de plaisir au contact aérien de mes doigts sur sa peau apparemment plus que sensible. Jamais je n’avais ressentis pareilles sensations perdant peu à peu la tête et me laissant aller à assouvir la moindre de ses envies.

De nouveau, il s’empara de mes lèvres avec une avidité qui trahissait son désir de me posséder. Nos langues jouaient ensemble, se caressant et dansant au son d’une mélodie que nous étions les seuls à entendre, en une chorégraphie parfois langoureuse et sensuelle, parfois avide et passionnée. Mes mains gagnèrent en audace et commencèrent à descendre le long de son torse, caressant ses abdominaux au passage pour se rendre à un endroit bien précis, situé un peu plus en aval.

Toutefois, il saisit fermement mais tendrement mes poignets, stoppant cette action qui venait de ma propre initiative tout en me rassurant du regard quant à ses intentions. Sans me lâcher des yeux, il s’approcha de moi et après un énième baiser, il m’invita à m’allonger sur les draps immaculés.  Sans trop savoir comment, je sentais qu’il me demandait de lui faire confiance et de fermer les yeux sans tenter quoi que ce soit, me réduisant à un état de passivité total. Je ne pouvais cependant m’empêcher de craindre la suite, avançant à tâtons vers l’inconnu. Il tenta de me rassurer comme il le pouvait, m’offrant un baiser empli de tendresse que jamais je n’avais connu. Passablement rassuré sur ses intentions, je fermais les yeux tout en lâchant un soupir de bien être. J’attendis plusieurs secondes sans trop savoir ce qui allait m’arriver ni à quel moment cela allait se produire.

Soudain, je sentis une pluie de douceur tomber sur moi enivrant mon odorat d’un doux parfum floral. A ce contact, je plissais tout de même le front d’interrogation et mon corps frémis de part en part sans trop savoir ce qui m’arrivait. Lorsque cette pluie de caresses qui semblait être due à la caresse de pétales de fleurs cessa, je sentis ses lèvres effleurer à peine ma bouche entrouverte, laissant mon corps alanguis dans les draps. Toujours je gardais les yeux fermés, ne rompant pour rien au monde l’ordre silencieux qu’il m’avait donné. Je sentis soudain glisser sur moi, le long de mon visage, quelque chose d’étonnement doux. L’odeur qui envahi alors mes narines ne me laissa plus aucun doute quant à l’espèce de fleur dont il se servait. Cela devait être une des roses qui était posées dans le vase à côté du lit.

Lentement et en une caresse éthérée, telle un courant d’air, il explora mon visage, redessinant les traits fins de mon faciès, s’attardant d’avantage sur mes lèvres, m’offrant encore plus de sensations nouvelles. Ivre de ses caresses, je ne pouvais m’empêcher de me sentir transporté lorsqu’il entreprit d’effleurer la peau sensible et fragile de mon cou, encore vierge de tout autre attouchement de la part d’autres personnes.

A aucun moment, il ne me toucha de sa peau, ne m’offrant que des caresses à l’aide de sa rose. J’en éprouvais d’ailleurs une sorte de frustration, souhaitant des contacts un peu plus prononcés que la simple caresse d’une rose qui m’offrait beaucoup. Il était indéniable que je prenais du plaisir. Plusieurs fois des soupirs de contentement s’échappèrent de mes lèvres entrouvertes, prouvant que j’appréciais malgré tout le traitement reçu. Mon corps tressaillait et se cambrait violemment lorsque la rose venait effleurer une zone érogène de mon anatomie, la fine ligne verticale qui descendait jusqu’au nombril. Grisé par ses sensations et enivré par les effluves du parfum suaves des roses, je me sentais partir, subissant la plus douce et délicieuse de toute les tortures.

Il finit par abandonner mon torse pour amorcer une lente descente vers la partie la plus sensible de mon anatomie, le point culminant de mon plaisir et de mon désir encore vierge de caresses. Alors que les pétales de la rose effleuraient mon intimité, je me surprenais à laisser s’échapper un gémissement rauque et des grognements bestiaux qui grondaient dans ma gorge. Attisé par cet attouchement des plus intimes et brûlant, je me mis à onduler inconsciemment du bassin, dans l’espoir vain de renouveler et approfondir ce frôlement qui m’avait attisé au plus haut point.

Sous ses caresses interposées, je découvrais une passion et un feu nouveau que je n’avais encore jamais ressenti auparavant. Chaque sensation était décuplée, le moindre frôlement de la rose s’attirait de ma part un déhanchement dépourvu de toute honte dans une piètre croyance de se voir réitérer cette exquise chaleur. A mon plus grand bonheur, il accéda à ma requête, m’offrant mille plaisirs jamais connu. Le pire dans tout cela, était que j’étais comme envoûté et avide de bien plus à chaque instant.

Il me sembla alors qu’il m’intimait de me retourner afin d’exposer mon dos à son regard gourmand qui vrillait mes reins de désir tout aussi puissant. Sans ouvrir les yeux, comme il me le demandait, je me retournais accédant à sa requête sans la moindre hésitation et m’allongeais sur le ventre écartant légèrement les jambes pour satisfaire ses désirs. Ce ne fut que lorsque je fus confortablement installé qu’il reprit enfin son manège partant de ma nuque sur laquelle il ne s’attarda pas indéfiniment, pour se concentrer sur ma colonne vertébrale.

Un violent frisson me parcourut l’échine à ce doux frôlement. Jamais je n’avais ressenti pareilles sensations et encore moins prendre autant de plaisir. Cet homme m’offrait, contraint et forcé m’empêchant de faire quoi que ce soit, le plus doux viol qui n’ait jamais existé, le maquillant si parfaitement qu’il parvenait presque à me le faire oublier.

Mon corps, totalement à son écoute, réagissait au moindre effleurement, même le plus infime, trahissant le fait que j’étais encore ignorant des plaisirs charnels. Cet homme était en train de s’offrir mon corps inviolé et plusieurs fois je l’entendis gémir d’impatience, me laissant avancer à tâtons vers l’inconnu. Après un moment de ce traitement, lorsque mon corps ne réagit plus aussi intensément qu’aux premiers effleurement, il descendit à la découverte de la chute de mes reins et du haut de mes fesses, passant et repassant à cet endroit, poussant parfois le vice jusqu’à laisser la rose glisser entre mes fesses, me faisant instantanément pousser un gémissement étouffé par les draps. J’avais maintenant de plus en plus de mal à me retenir de me libérer et pourtant, je faisais comme je le pouvais, usant de toutes mes forces et de mon sang froid. L’homme sembla s’en apercevoir et choisit ce moment là pour stopper tout mouvement, m’arrachant un couinement de mécontentement qui semblait proche d’un éclat de sanglot. Mon corps ondulait éhonteusement, dans un mouvement qui m’était jusqu’alors inconnu, à la recherche d’une caresse plus poussée, de manière à la fois sensuelle et terriblement indécente.

Cette torture intenable d’être dans l’attente, prit fin à mon plus grand plaisir lorsque je sentis ses doigts humides glisser le long de ma colonne vertébrale, s’attardant sur la chute de mes reins, titillant mon intimité afin de me détendre. J’ignorais ce qui se passerait par la suite et une légère crainte ne pouvait s’empêcher de s’insinuer en moi. Alors que ses doigts jouaient avec mon intimité, détendant mes muscles à chaque fois un peu plus, je sentis quelque chose pénétrer en moi avec une lenteur infinie. Mon corps se tendit légèrement sous cette intrusion et mes doigts se crispèrent sur les draps. Je ne pouvais pas dire que j’avais mal mais pourtant il fallait laisser un peu de temps à mon corps et mon esprit pour se faire à cette présence et cette idée. Me pénétrant ainsi, cet homme touchait quelque chose de bien plus intime qu’avec ses simples caresses.

La suite se déroula cependant très bien, la chaleur montait de plus en plus en moi, grisant mon corps jusqu’à en demander toujours plus. Seulement lorsqu’il inséra un troisième et dernier doigt en moi, je laissais s’échapper un cri de douleur. Si le plaisir qu’il m’avait apporté jusque là était puissant, la douleur et la souffrance que je vivais à présent m’avaient trop violemment fait redescendre sur terre.

Aussitôt, l’homme cessa tout mouvement, se penchant au dessus de moi, il prit possession de mes lèvres, certainement pour me faire oublier la douleur qu’il était en train de m’infliger. Peu à peu, je finis par m’y habituer, finissant par onduler de moi-même en un lent déhanchement érotique alors que je croyais ne jamais prendre de plaisir avec cette douleur. Je m’empalais maintenant, toujours plus profondément sur ses doigts, voulant toujours plus, sans chercher à étouffer mes gémissements de plaisir.

C’est alors qu’il stoppa toute action et retira ses doigts de mon intimité, s’attirant de ma part un gémissement rauque de frustration. Je l’entendis s’affairer à je ne sais quoi dans mon dos et d’un simple coup d’œil, je vis qu’il venait de se dévêtir, cachant très mal son excitation de plus en plus imposante et puissante.

C’est alors qu’il esquissa un ample mouvement pour me pénétrer. Alors qu’il s’enfonçait lentement en moi, je fus assailli de sensations intenses que jamais je ne me serais cru capable de ressentir. Je pouvais sentir en moi sa peau tendue et brûlante me vrillant les reins de plaisir. Certes sa présence était imposante, mais avec sa préparation et la lenteur de sa pénétration, je ne ressentis au départ qu’une gêne et des sensations auxquelles je ne pouvais donner de nom. Le sentir ainsi en moi était le souhait ultime, le comble du manque que j’avais ressenti jusqu’à maintenant.

Il posa soudain ses mains sur mes hanches, m’incitant à écarter les cuisses et à relever les fesses, avant de me pénétrer d’un grand coup de bassin, ample mais profond, qui me fit voir les étoiles. Les mains crispées dans les draps, le dos cambré, je ne cherchais même plus à me raccrocher à la réalité, perdu dans les limbes du plaisir.

La chaleur de mon corps n’avait de cesse d’augmenter, ayant l’impression de lui appartenir totalement, grisé par le désir d’aller plus loin. Il sembla le sentir car il entama alors un ample et régulier mouvement de va et vient qui attisa cette passion qui prenait forme en moi. Jamais je n’aurais pu m’imaginer qu’il puisse m’offrir de telles sensations et alors que mon corps ondulait au même rythme que le sien, en une antique chorégraphie sensuelle et érotique, des petits cris d’animal sauvage s’échappaient de ma gorge se mêlant harmonieusement aux mélodies des violons qui jouaient à un rythme endiablé, alors que la réception atteignait son apogée.

Il garda un moment le même rythme ample et lent, semblant prendre sur lui pour ne pas accélérer. Sentir son corps brûlant se mouvoir ainsi au dessus de moi ne faisait que me rendre un peu plus fou d’ivresse.

Tout à coup, semblant avoir atteint les limites de sa patience, il esquissa un mouvement pour se retirer puis, me saisissant par les hanches, il m’attira violemment à lui, me pénétrant plus violemment et plus profondément en gémissant son plaisir, tandis que je me cambrais violemment en étouffant tant bien que mal un cri de plaisir, les yeux fermés et une expression extatique affichée sur mon visage.

A mon plus grand plaisir, il réitéra son geste encore et encore, jusqu’à m’arracher un cri de plaisir à l’état brut, frôlant de plus en plus le point de mon plaisir ultime. Ma peau luisait d’une fine pellicule de sueur, ne pouvant de cette chaleur envahissant mon corps. C’est alors que je sentis ses doigts passer finement le long de ma colonne vertébrale. Ce geste fut de trop et je dus me contracter violemment sous lui afin de ne pas venir si vite, voulant profiter encore et encore. S’en apercevant, il retira aussitôt sa main de mon dos et ralentit la cadence de ses déhanchements avant de se stopper totalement et de se retirer de moi. Un sanglot de mécontentement et de frustration accueillit son initiative mais cela ne le fit pas céder pour autant. Heureusement, il me vola un baiser ardent et fiévreux, me faisant oublier un instant ce manque, mêlant nos langue avec une ferveur dévorante. Il m’intima alors mentalement de me retourner et c’est ce que je fis sans chercher à comprendre d’où il sortait ce pouvoir et de quelle manière il s’y prenait depuis le début pour me faire céder.

Obéissant docilement à son ordre muet, je me retournais avec une grâce féline que je ne me connaissais pas. Ecartant les jambes, j’en passais une de chaque côté de lui en une invitation explicite et terriblement sensuelle. Il ravit une fois de plus mes lèvres, m’entraînant dans un baiser des plus passionnés tout en me pénétrant de nouveau. D’un ample et habile coup de reins, il fut de nouveau profondément en moi, touchant cette fois-ci du premier coup, le point le plus sensible de mon anatomie. Les lèvres entrouvertes en un cri muet, j’étais sur le point de me libérer, ne sachant cette fois-ci plus me retenir. Il accéléra la cadence, semblant être très proche de mon état. A ses gémissements, se mêlaient mes petits cris érotiques. Alors qu’il me pénétrait une ultime fois en un violent coup de bassin, je me libérais sur mon ventre dans un cri muet tandis que mon corps s’arquait brusquement et que je rejetais ma tête en arrière devant le trop plein de sensations. A son tour, il se libéra, sentant sa semence se répandre en moi, me marquant à jamais de son sceau invisible et indélébile.

C’est à ce moment là seulement que j’osais poser mon regard sur lui. Son esprit semblait tout comme le mien, encore embrumé de la jouissance que nous venions de vivre. Me fixant, il sembla se passer quelque chose en lui et une lueur que je ne n’aurais su décrire, n’appartenant pas au monde des hommes, illumina son regard.

Sans prévenir, il enfouit son visage dans mon cou, me faisant frissonner, curieux de ce qu’il allait encore me faire.

Pendant un temps qui me parut terriblement long et à la fois si court, il ne se passa strictement rien. Tout à coup, il se jeta bestialement sur mon cou, m’offrant la douleur vive d’une morsure de crocs acérés en plein dans la veine qui palpitait de vie. Si j’avais voulu me débattre, je savais que cela n’aurait pas été possible. Lentement, il aspirait ma vie, réalisant seulement maintenant que cet homme irréel n’était autre qu’un vampire. Cette morsure était tout autant douloureuse qu’étrange. Peu à peu, je me sentais partir, chacun de mes muscles s’engourdissant.

La mort était proche, bien trop proche et mon esprit embrumé perdait toute notion humaine. Lentement mais avec violence, ce vampire se nourrissait de ma vie après s’être servit de mon corps. L’emprise qu’il avait eu sur moi s’estompait en même temps que son appétit était satisfait.

Les yeux fermés, j’abandonnais mon instinct de survie, me laissant mourir et n’ayant pas d’autre choix, presque vidé de la totalité de mon sang alors qu’il écartait sa bouche de mon cou ensanglanté. Très peu de temps après, au bord du gouffre de la mort, je sentis un liquide chaud et visqueux qui manquait terriblement à mon corps couler sur mes lèvres. Sans réfléchir, par pur automatisme et par un instinct que je ne me connaissais pas, j’aspirais ce liquide avec une avidité telle, craignant de ne pas en avoir assez, ne répondant que par la nécessité de mon corps vidé.

Mon corps recouvert de sang, je sentais peu à peu l’idée de mort et de vie me quitter, sans trop savoir comment ni pourquoi. Le vampire me retira vivement son poignet sans que je n’en connaisse la raison. Une faim sourde prit naissance au plus profond de moi, une faim de ce sang auquel je venais de goûter, telle le premier lait qu’une mère offre à son nourrisson.